C. DÉCONCENTRER LES PROCESSUS DE DÉCISION EN MATIÈRE D'OFFRE DE SOINS LIBÉRALE
La politique de santé relève aujourd'hui de la seule responsabilité de l'État 46 ( * ) . La politique de santé menée au niveau national comprend notamment l'organisation des parcours de santé, qui « visent, par la coordination des acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, en lien avec les usagers et les collectivités territoriales, à garantir la continuité, l'accessibilité, la qualité, la sécurité et l'efficience de la prise en charge de la population , en tenant compte des spécificités géographiques, démographiques et saisonnières de chaque territoire, afin de concourir à l' équité territoriale 47 ( * ) ». L'absence de mécanismes correctifs et d'instance responsable des inégalités territoriales d'accès aux soins contribue à l'inertie des fractures territoriales et à l'absence de réponse rapide pour y remédier.
De même, la responsabilité populationnelle territoriale , selon laquelle « l'ensemble des acteurs de santé d'un territoire est responsable de l'amélioration de la santé de la population de ce territoire ainsi que de la prise en charge optimale des patients de ce territoire 48 ( * ) », est insuffisamment mise en oeuvre par les ARS et n'est pas invocable pour contraindre l'État à apporter des mesures correctrices au bénéfice des territoires carencés. La démographie médicale actuelle est devenue inacceptable , il est impératif de responsabiliser les instances chargées de l'organisation du système de soins (les agences régionales de santé, les conseils de l'ordre, le conseil territorial de santé, etc.) afin qu'elles puissent réagir de manière forte aux carences dans l'offre de soins afin d'affecter le moins possible les parcours de soins des patients.
Proposition 30 : Réaffirmer la mission de service public du système de santé en rappelant la nécessité de mécanismes correctifs en faveur de l'équité territoriale et développer la notion de responsabilité populationnelle territoriale.
Face aux échecs patents de réduction des inégalités territoriales, les collectivités territoriales n'ont pas ménagé leurs efforts pour tenter d'apporter une réponse aux attentes médicales de leurs habitants. Pour ce faire, leurs moyens juridiques et financiers sont toutefois limités et leur association aux instances décisionnelles lacunaire 49 ( * ) . Les élus locaux ne sont pas associés à la vision d'ensemble et n'ont pas l'occasion de contribuer à la vision stratégique de réponse aux besoins.
La place des élus locaux dans l'organisation de proximité des soins pourrait être équivalente à celle des acteurs de la santé (médecins, hôpitaux, pharmacie). Cette attente est d'ailleurs partagée par les professionnels de santé : selon l'enquête « Soigner demain » du CNOM, 77 % des médecins souhaitent que les décisions d'organisation des soins soient prises localement, même si aucun consensus n'émerge quant à l'échelle la plus pertinente : 28 % pour le département, 23 % pour l'intercommunalité, 22 % pour la région.
Proposition 31 : Mieux associer les élus locaux dans l'organisation de proximité des soins, dans une logique de subsidiarité et de connaissance territoriale plus fine et renforcer la place des maires au sein de la gouvernance des hôpitaux, réduite depuis la suppression des conseils d'administration.
La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale a permis de faire progresser l'association des élus à la gouvernance des politiques de santé, mais ce mouvement doit être approfondi.
Les avancées de la loi
« 3DS » pour une meilleure association
des élus
locaux à la gouvernance des politiques sanitaires
Plusieurs articles de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale favorisent l'association des élus locaux à la gouvernance des politiques sanitaires :
- L' article 130 modifie l'article L. 1110-1 du code de la santé publique afin de préciser que les collectivités territoriales et leurs groupements, dans le champ de leurs compétences respectives fixées par la loi, contribuent à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins et assurer la continuité des soins et la sécurité sanitaire.
- L' article 119 modifie l'article L. 1432-3 du même code afin de prévoir que le président du conseil d'administration des agences régionales de santé (le préfet de région) sera assisté de quatre vice-présidents, dont trois désignés parmi les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements.
- L' article 126 crée ou rétablit les articles L. 1422-3, L. 1423-3 et 1424-2 du même code afin de permettre aux collectivités territoriales et à leurs groupements de contribuer au financement du programme d'investissement des établissements de santé publics, privés d'intérêt collectif et privés.
- L' article 125 complète l'article L. 6143-5 du même code afin que le maire de la commune où est situé un établissement public de santé ayant fusionné ou ayant été mis en direction commune avec l'établissement principal ou son représentant, puisse participer aux réunions du conseil de surveillance de l'établissement principal, avec voix consultative.
- L' article 128 modifie l'article L. 6323-1-3 du même code afin de préciser que les centres de santé peuvent être créés et gérés par les départements ou par les communes ou leurs groupements.
- L' article 122 complète l'article L. 1434-10 du code de la santé publique afin de préciser que les contrats locaux de santé, qui associent les agences régionales de santé et les collectivités, seront conclus en priorité dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins.
Des décrets d'application doivent encore être publiés pour la bonne mise en oeuvre de ces nouveaux dispositifs et il est encore trop tôt pour tirer le bilan de ces évolutions.
Afin d'ancrer de manière plus forte les agences régionales de santé dans les territoires, il est nécessaire de renforcer les moyens alloués aux délégations départementales qui remplissent les missions de proximité et de faire en sorte que les élus locaux soient en mesure de peser sur les priorités en matière de santé définies par les ARS. L'échelon départemental apparaît opportun, car il répond de manière pertinente aux enjeux de proximité et pourrait limiter la déconnexion entre des ARS dominées par une approche strictement administrative et les professionnels de santé sur le terrain ainsi que les collectivités territoriales aux premières lignes quant aux inégalités territoriales d'accès aux soins.
Proposition 32 : Renforcer les moyens alloués aux délégations départementales des agences régionales de santé et leur octroyer des compétences décisionnelles au niveau territorial.
* 46 L'article L. 1411-1 du code de la santé publique énonce que « la Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. La politique de santé relève de la responsabilité de l'État. » Cette rédaction résulte de l'article premier de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
* 47 5° du même article du même code.
* 48 Article L. 1434-10 du code de la santé publique.
* 49 Voir le II « le cadre juridique d'intervention des collectivités territoriales en matière de santé : des moyens d'action limités » du rapport d'information n° 63 de Philippe Mouiller et Patricia Schillinger, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales : Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action .