C. AUGMENTER LE NOMBRE DE TERRAINS DE STAGE DANS LES ZONES SOUS-DENSES ET LEVER LES FREINS À LEUR ATTRACTIVITÉ

1. Accompagner la progression du nombre de terrains de stage dans les zones sous-denses

L'attachement à un territoire et sa connaissance sont de puissants déterminants de l'installation des professions de santé. L'étude précitée du CNOM sur l'installation des jeunes médecins souligne que « l'installation est étroitement liée à une dimension territoriale » : parmi les facteurs favorisant l'installation, 60 % des internes et des remplaçants indiquent la proximité familiale et les services publics . C'est la raison pour laquelle il faut veiller à réduire l'hospitalo-centrisme du parcours de formation des futurs médecins, afin que les étudiants et internes puissent expérimenter au plus tôt la médecine de ville telle qu'elle se pratique dans les territoires.

À défaut d'un lien familial dans un territoire donné, les stages en médecine libérale peuvent également constituer un canal privilégié pour favoriser la découverte des territoires sous-denses et les futures installations, à condition toutefois que cette expérience se déroule dans de bonnes conditions.

Un préalable nécessaire est l' augmentation du nombre de terrains de stage dans les zones sous-denses , qui permettra de satisfaire à l'obligation issue de la loi dite « OTSS 26 ( * ) » d'effectuer un stage d'un semestre en priorité dans une zone sous-dense. Le code de l'éducation 27 ( * ) dispose que les étudiants en médecine générale réalisent au cours de la dernière année du 3 e cycle de médecine au minimum un stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (SASPAS) d'un semestre. Ce stage est réalisé dans des lieux agréés, en priorité dans les zones sous-denses. L'effectivité de cette obligation est néanmoins soumise à la présence de terrains de stage adaptés à la formation des étudiants.

Ces terrains de stage sont proposés par des maîtres de stage des universités (MSU), praticiens agréés de médecine générale exerçant en ambulatoire, qui accueillent des étudiants en médecine dans le cadre de stages, soit au cours de l'externat (4 e ou 5 e année), soit au cours de l'internat de médecine générale (entre la 7 e et la 9 e année), afin de leur permettre de découvrir la médecine générale et les soins premiers. La durée de l'agrément est de cinq ans. En 2021, on recensait près de 12 000 maîtres de stage des universités en soins de ville.

Aujourd'hui, la formation à la maîtrise de stage est essentiellement dispensée dans les CHU et les villes universitaires, ce qui est bien souvent un obstacle majeur pour les médecins surchargés exerçant en zone sous-dense, éloignés des centres de formation. Il serait de bonne pratique d'ouvrir des possibilités de formation à distance , de diffuser des formations en ligne et d'accroître l'incitation à devenir MSU pour les médecins généralistes âgés. Actuellement, le MSU bénéficie d'honoraires pédagogiques à raison de 600 euros par mois pour le suivi d'un interne et 300 euros pour le suivi d'un externe, à partager entre les différents MSU en cas de terrains de stage multiples. Pour accroître le nombre de terrains de stage dans les zones sous-denses, ces montants pourraient être bonifiés à hauteur de 30 % pour les praticiens exerçant en zones d'intervention prioritaire .

Proposition 16 : Accroître l'incitation à devenir maître de stage des universités, en particulier dans les zones sous-denses, simplifier les modalités d'accès de formation à la maîtrise de stage et viser un objectif de 20 000 maîtres de stage des universités d'ici 3 ans.

De la même façon, les initiatives permettant de déployer des enseignants dans les territoires sont à encourager, à l'instar du plan « territoires universitaires de santé » mis en oeuvre par les facultés de médecine d'Angers, Caen, Reims et Tours pour développer les parcours de stage dans les territoires et permettre aux centres de soins de délivrer une formation universitaire à des étudiants en médecine. Ce sont actuellement les collectivités territoriales qui financent la part universitaire des postes et les centres hospitaliers et l'ARS qui financent la partie hospitalière. La mission d'information appelle l'État à un financement plus volontariste de ces initiatives locales.

2. Lever les obstacles matériels qui pèsent sur l'attractivité des stages en zones sous-denses pour les étudiants et les internes

À elles seules, l'augmentation et l'amélioration de la répartition des terrains de stage ne suffiront cependant pas pour développer de manière significative le nombre d'internes stagiaires dans les zones à la démographie médicale en tension. Il faut en parallèle agir sur les facteurs qui limitent le choix des étudiants de médecine générale : les coûts de déplacement et l' offre de logement .

Actuellement, les internes bénéficient d'une indemnité kilométrique d'un montant de 130 € brut par mois, versée par le centre hospitalier universitaire (CHU) dont ils relèvent, quand leur terrain de stage est situé à plus de 15 kilomètres du CHU ou de leur domicile. Cette indemnité, qui n'a pas été revalorisée depuis 2014 28 ( * ) , ne tient pas compte de la distance effectivement parcourue par l'interne et participe du désintérêt pour les zones éloignées des pôles universitaires de formation.

La distance à parcourir est parfois très importante. Si l'on prend pour exemple la faculté de médecine de Brest, située à plus de 240 kilomètres de la faculté de médecine la plus proche, celle de Rennes, le système indemnitaire actuel rend inenvisageable la couverture de l'intégralité du territoire par des stagiaires en médecine générale, surtout quand les transports en commun ne permettent pas une desserte fine du territoire et que le prix des carburants augmente fortement, d'autant plus qu'une partie des étudiants en médecine sont confrontés à des phénomènes inquiétants de précarité.

La précarité des étudiants en médecine

L'enquête précarité, réalisée par l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) en 2019, a mis en évidence plusieurs constats alarmants relatifs à la situation matérielle des étudiants en médecine :

- 1 étudiant sur 4 a déjà pensé à arrêter ses études pour des raisons financières ;

- 45 % des étudiants en sixième année d'études sont anxieux à propos de leur situation financière malgré la rémunération de l'externat ;

- 43 % des étudiants ne mangent pas à leur faim et plus d'un quart d'entre eux n'a pas accès à une offre de restauration pendant les stages ;

- 1 étudiant sur 5 éprouve des difficultés à payer son loyer ;

- 7 % des UFR ne versent pas l'indemnité mensuelle de transport de 130 € aux étudiants pour les stages situés en périphérie de la ville universitaire, 22 % des étudiants ont déjà fraudé dans les transports en commun pour des raisons financières, 37 % ont déjà connu des difficultés financières à cause des frais de transport engagés pour un stage et pour 61 %, la distance constitue un frein au choix du terrain de stage.

Source : https://cna-sante.fr/wp-content/uploads/2020/05/ANEMF-Enquete-precarite.pdf .

L'indemnité kilométrique est dimensionnée de telle manière qu'elle dissuade les internes de s'éloigner de leur lieu de formation ; sa conception même est un facteur d'aggravation de la répartition des soins. Il est impératif de rendre l'indemnité kilométrique plus incitative, en tenant compte de la distance effectivement parcourue par les internes 29 ( * ) , afin de conforter l'attractivité des terrains de stage éloignés des lieux de formation universitaire et participer à la découverte d'un plus grand nombre de territoires.

Proposition 17 : Procéder à la barémisation des indemnités de transport et prévoir une revalorisation annuelle prenant en compte l'évolution du coût de la mobilité, pour un meilleur déploiement territorial des internes de médecine générale, en particulier dans les zones sous-denses, et organiser une concertation sur l'opportunité de verser les indemnités de transport aux étudiants en maïeutique, pharmacie et masso-kinésithérapie.

En outre, certains terrains de stage sont trop éloignés des lieux de formation et de résidence des internes pour envisager des déplacements quotidiens. Dans cette hypothèse, il convient d'améliorer les solutions d'hébergement pour les étudiants en médecine du 3 e cycle. La plupart des stages ne proposent pas de logement intégré à la convention de stage, ce qui oblige certains internes à louer un studio, qui peut rendre désagréable une expérience de stage « à leurs frais ». La question du logement est une problématique centrale, d'autant que la faible durée des stages n'incite pas à s'inscrire dans un parcours locatif classique.

Malgré la création en 2018 du statut de docteur junior et d'une indemnité forfaitaire d'hébergement 30 ( * ) de 200 € versée aux internes lorsqu'ils accomplissent un stage ambulatoire situé dans une zone sous-dense et à plus de trente kilomètres du centre hospitalier universitaire auquel ils sont rattachés administrativement ou de leur domicile pour les internes et les docteurs junior, les difficultés d'hébergement n'ont pas pour autant été levées. Les étudiants entendus par le rapporteur ont indiqué préférer la mise à disposition de logements plutôt que le parcours locatif usuel. Afin de répondre à cette demande et lutter contre la désertification médicale, la mobilisation des collectivités territoriales pour faciliter l'accueil et l'hébergement des étudiants est à conforter.

Proposition 18 : Favoriser l'accueil des étudiants en santé dans tous les territoires, en concertation avec les collectivités territoriales, et expérimenter des internats ruraux dans les zones sous-denses.

En 2019, plusieurs associations d'élus locaux, de syndicats étudiants et d'organisations de santé 31 ( * ) ont élaboré une Charte d'accueil des étudiants en santé dans tous les territoires , afin de formaliser les modalités d'accompagnement des parcours de formation des étudiants en santé à l'échelle territoriale, avec pour objectif premier la qualité pédagogique des stages, en favorisant l'hébergement territorial.

Les signataires se sont mis d'accord sur une définition de l'hébergement territorial en santé (HTES) et la description d'un lieu approprié à l'accueil des étudiants, afin que chaque territoire puisse proposer un accueil adapté et attractif, avec notamment des « internats ruraux » ouverts aux étudiants en santé en stage dans les territoires grâce à des logements dont l'accès est facilité par les collectivités locales. D'après cette charte, les HTES sont des lieux de vie partagés entre étudiants en santé de différentes filières, favorisant le compagnonnage et l'ancrage sur un territoire d'exercice professionnel qui doivent être favorisés pour tout terrain de stage situé à plus de 30 minutes de la faculté de rattachement. L'hébergement, qui se situe à proximité du lieu de stage, comprend au minimum trois places, dispose d'une connexion internet haut débit, de places de stationnement et d'espaces dédiés de travail. La participation financière des étudiants aux frais d'hébergement est définie par les collectivités territoriales de manière à correspondre à la capacité financière des étudiants.


* 26 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 27 Au II de l'article L. 632-2.

* 28 Arrêté du 11 mars 2014 fixant le montant de l'indemnité forfaitaire de transport pour les étudiants hospitaliers en médecine, en odontologie et en pharmacie accomplissant un stage en dehors de leur centre hospitalier universitaire de rattachement pris en application du décret n° 2014-319 du 11 mars 2014

* 29 L'étude précarité de l'ANEMF souligne qu'il n'est pas rare que certains terrains de stage soient situés à plus de 150 km de la ville universitaire, citant « l'exemple des étudiants de Tours, qui peuvent effectuer des stages au centre hospitalier de Dreux à cent quatre-vingts kilomètres, ou celui de Bourges à cent soixante kilomètres de Tours ! Ou encore celui des étudiants de Dijon, ayant des terrains de stage à Nevers, à distance de cent quatre-vingts kilomètres de la ville universitaire ! ».

* 30 Décret n° 2018-571 du 3 juillet 2018 portant dispositions applicables aux étudiants de troisième cycle des études de médecine, d'odontologie et de pharmacie.

* 31 Les 18 associations signataires sont les suivantes : ISNI, ISNAR-IMG, ANEMF, FNSIP BM, ANEPF, FNEK, FNESI, ANESF, FHF, la conférence des directeurs généraux de CHU, la CNDCH, la conférence des PCME de CHU, des PCME de CH et la conférence des PCME de CHS, le CEFIEC, l'ANDEP, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité et l'Association Régions de France.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page