C. RÉORIENTER, À MOYENS CONSTANTS, LES AIDES FISCALES POUR MIEUX ACCOMPAGNER LE PASSAGE À L'ÉCHELLE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES INNOVANTES
1. Des dispositifs fiscaux perfectibles...
Les principaux dispositifs fiscaux d'aide à l'innovation sont le crédit d'impôt recherche et le crédit d'impôt innovation, dont les mécanismes sont proches, mais les assiettes différentes.
Principes de fonctionnement du crédit
d'impôt recherche
et du crédit d'impôt
innovation
Le crédit d'impôt recherche (CIR), institué en 1983 et profondément réformé en 2008, consiste en un crédit d'impôt imputable sur l'impôt sur les sociétés ou sur le revenu ; il est assis sur les dépenses de recherche et développement et son taux est de 30 % jusqu'à 100 millions d'euros et de 5 % au-delà, sans limite de montant. Il est décrit à l'article 244 quater B du code général des impôts.
Le dispositif du crédit d'impôt innovation (CII), instauré en 2013, a été calqué sur celui du CIR et relève du même article du code général des impôts. Il vise les dépenses d'innovation (conception de prototypes et installations pilotes de produits nouveaux), son taux est de 20 % (30 % à compter du 1 er janvier 2023 188 ( * ) ), avec un plafond de 400 000 euros par an. En revanche, à la différence du CIR, ce crédit d'impôt est ciblé sur les PME (moins de 250 personnes, chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros ou total du bilan inférieur à 43 millions d'euros et entreprise non détenue par un grand groupe 189 ( * ) ). Il vise donc à favoriser l'industrialisation de solutions innovantes par les PME.
a) Le crédit d'impôt recherche : une efficacité limitée en dépit d'un coût élevé
En France, l'aide à l'innovation passe principalement par le crédit d'impôt recherche. En 2020, cette dépense fiscale, qui concernait quelque 21 000 sociétés, représentait un coût de 6,6 milliards d'euros 190 ( * ) , soit 86 % de l'ensemble des incitations fiscales en faveur de l'innovation et les deux tiers environ (contre 16,5 % en 2000 191 ( * ) ) des dépenses publiques totales d'encouragement à l'innovation. Cette évolution s'est en partie expliquée par une recherche de neutralité des aides publiques destinée à garantir leur conformité au régime des aides d'État de l'Union européenne, mais la préférence pour l'incitation fiscale est également liée à la volonté de ne pas orienter l'innovation, afin de laisser le marché décider.
La plupart des pays développés ont mis en place des dispositifs fiscaux comparables au CIR ; ainsi, en 2017, 30 des 35 192 ( * ) pays de l'OCDE comptaient un tel mécanisme, de même que nombre de pays n'appartenant pas à cette organisation, dont la Chine. Néanmoins, la France reste le pays dont les aides fiscales à l'innovation sont les plus généreuses .
En dépit de son coût élevé pour les finances publiques, le CIR a une efficacité relativement limitée. L'étude 193 ( * ) de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI) estime son effet d'entraînement à environ 1, en moyenne : le CIR conduit les entreprises à accroître leur dépense interne de recherche et développement du montant du CIR perçu . On n'observe donc pas d'effet d'aubaine ; l'incidence sur les dépenses de recherche et développement est bien réelle. Toutefois, cette moyenne cache de fortes disparités entre les entreprises de petite taille (pour lesquelles l'effet d'entraînement est estimé à environ 1,4) et les grandes entreprises (pour lesquelles il est de 0,4, ce qui démontre l'existence d'un effet d'aubaine partiel). De même, les effets positifs du CIR sur les variables d'innovation (nombre d'ingénieurs dans les effectifs ou nombre de dépôts de demande de brevet) et d'activité (investissement ou chiffre d'affaires) ne s'observent que sur les PME 194 ( * ) .
Pourtant, les PME, qui constituent 91 % des bénéficiaires du CIR, ne représentent que 32 % de la créance fiscale. Inversement, les 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de CIR et les 100 plus gros bénéficiaires en perçoivent 33 %, alors que les études montrent également que ce dispositif n'a pas d'effet sur la localisation en France des activités de recherche des groupes étrangers, même s'il semble avoir ralenti la délocalisation des activités de recherche et développement des groupes français .
b) Le crédit d'impôt innovation : un plafond trop faible et un effet de seuil trop brutal pour les ETI
Le montant total de CII perçu s'élevait en 2020 à 200 millions d'euros et concernait plus de 8 000 PME . Peu d'études existent sur ce dispositif, mais l'une 195 ( * ) d'elles a démontré une corrélation avec un accroissement de l'emploi, du chiffre d'affaires et de la probabilité de déposer des demandes de brevet, bien que la relation de causalité entre le recours au CII et ces phénomènes ne soit « pas établie » 196 ( * ) .
Certains orateurs entendus par la mission d'information, notamment les représentants de France Innovation 197 ( * ) , ont toutefois souligné deux limites de ce dispositif.
D'une part, le plafond de dépenses éligibles est trop faible . S'il est sans doute adapté à certaines industries, le coût d'un démonstrateur dans certains secteurs, comme l'énergie, est tel que le plafond de 400 000 euros est largement dépassé et que l'aide devient marginale au regard de l'investissement .
D'autre part, le fait de ne cibler que les PME (conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total du bilan et d'indépendance) est préjudiciable à de nombreuses entreprises innovantes qui ont dépassé depuis peu le stade de la PME. Le « coût du 250 e salarié » est déjà important 198 ( * ) et l'exclusion des ETI du bénéfice du CII peut contribuer à ne pas les inciter à se développer. En outre, en dépit de leur statut d'ETI, le CII peut constituer pour ces entreprises une aide importante pour l'industrialisation de leurs innovations.
2. Dont l'efficacité doit être renforcée
Quelles que soient les imperfections de ces crédits d'impôt, la mission d'information a la conviction qu'il ne faut pas les remettre en cause . Elle souhaite toutefois proposer certaines modifications afin d'accroître leur efficacité.
a) Mieux cibler le crédit d'impôt recherche
Tous les intervenants entendus par la mission d'information ont insisté sur l'importance du CIR pour les acteurs économiques et sur la nécessité de son maintien 199 ( * ) . Toutefois, la quasi-totalité des interlocuteurs de la mission d'information - notamment ceux qui représentaient les petites entreprises - et la totalité des économistes ont insisté sur la nécessité de cibler davantage les PME au travers du CIR.
Le Conseil des prélèvements obligatoires a fait récemment des propositions 200 ( * ) dans le sens d'une évolution assez forte du crédit d'impôt.
Toutefois, la mission d'information est sensible au besoin de prévisibilité des acteurs de l'innovation, ce qui passe notamment par la stabilité fiscale. Dans un pays prompt à faire varier les règles fiscales, le CIR représente un îlot de stabilité apprécié par les entreprises.
Cela étant dit, les règles du CIR n'ont pas évolué depuis douze ans et l'on pourrait objecter que la générosité du dispositif se justifiait initialement par le différentiel de coût de production entre la France et les autres pays ; or, depuis lors, ce différentiel s'est partiellement résorbé, sous l'effet notamment de la baisse de l'impôt sur les sociétés et des impôts de production, sans compter l'effet du crédit d'impôt compétitivité emploi et des baisses de charges, qui ont réduit le coût du travail .
Aussi, la mission d'information, soucieuse à la fois de garantir une certaine forme de stabilité et de maintenir inchangée l'enveloppe totale consacrée au CIR, mais désireuse d'orienter davantage le CIR vers les entreprises sur lesquelles il a un effet puissant, propose deux évolutions possibles.
La première consiste à supprimer le taux de 5 % au-delà du plafond de 100 millions d'euros et, à coût total inchangé, à augmenter à due concurrence le taux en deçà de ce plafond . D'après les calculs de Xavier Jaravel 201 ( * ) , la suppression du CIR au-delà de 100 millions d'euros entraînerait une économie de 750 millions d'euros, qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses des PME. De même, Philippe Aghion a expliqué 202 ( * ) que le montant de l'équivalent britannique du CIR dépend du ratio entre les dépenses de recherche et développement et la taille de l'entreprise afin de mieux cibler les PME et ETI. Il considère pour sa part que le CIR actuel est trop favorable aux grandes entreprises, ce qui en amoindrit les effets macroéconomiques.
Une seconde évolution est envisagée, qui pourrait se cumuler à la première proposition : calculer, pour les groupes recourant à l'intégration fiscale, le crédit d'impôt à l'échelon de la holding . En effet, nombre de grandes entreprises consolident leurs résultats pour le calcul de leur bénéfice global, afin que les pertes de certaines filiales compensent les résultats positifs des autres et que l'impôt sur les sociétés soit, au total, plus faible. Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé, selon le choix de l'entreprise, au niveau de chaque filiale. Aussi la mission préconise-t-elle de viser le même échelon pour les deux procédures. Selon les calculs du Comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de 530 millions d'euros par an, qui pourrait, là encore à enveloppe globale inchangée, financer une augmentation à due concurrence du taux du CIR .
En toute hypothèse, l'une et l'autre de ces mesures devraient être soumises à l'approbation de la Commission européenne, afin de garantir le respect du régime des aides d'État. Toutefois, s'agissant d'un simple redimensionnement du dispositif et non de son remplacement par un système complètement différent, le risque juridique est assez limité.
Supprimer le CIR au-delà du plafond de 100 millions d'euros en ramenant le taux de 5 % à 0 % et augmenter à due concurrence le taux sous ce plafond .
Calculer le CIR à l'échelon de la holding pour les groupes qui pratiquent l'intégration fiscale et augmenter à due concurrence le taux sous ce plafond .
b) Doubler le plafond du crédit d'impôt innovation
La mission d'information juge que les dispositifs de soutien à l'innovation, s'ils ont fait leurs preuves pour le secteur numérique, doivent désormais s'adapter aux contraintes de l'industrie . Or, comme indiqué plus haut, le dispositif du CII est encore trop limité pour produire pleinement ses effets .
Afin que ce dernier contribue à financer les gros démonstrateurs, dont le coût est très élevé, il conviendrait d'en doubler le plafond. En effet, la réalisation d'un démonstrateur est un moment clef du processus d'industrialisation de produits innovants. Or, comme le montre l'association France Innovation, si le financement de la recherche amont est relativement accessible, celui de la preuve de concept puis de l'industrialisation est beaucoup plus complexe. Il s'agit pourtant d'étapes stratégiques dans la valorisation d'une innovation. Cette mesure pourrait être financée par l'économie de crédit d'impôt engendrée par les réformes du CIR proposées supra . Le CII bénéficie d'une dérogation de la Commission européenne à l'interdiction des aides d'État au titre des aides accordées aux PME. Cette évolution, dans la mesure où elle instaure une différence de traitement en fonction des situations, est susceptible de contrevenir aux limites instituées par cette dérogation ; aussi est-il nécessaire de s'assurer de la conformité d'une telle mesure à la réglementation européenne relative aux aides d'État.
Doubler le plafond du CII pour le porter à 800 000 euros afin de permettre le financement de gros démonstrateurs industriels, dans le respect des règles européennes relatives aux aides d'État .
c) Instaurer un « coupon recherche-innovation » au bénéfice des PME
L'Association française des centres de ressources technologiques (AFCRT) 203 ( * ) a évoqué l'idée d'un coupon-innovation, inspiré du chèque technologique wallon, qui serait destiné uniquement aux PME et dédié au financement de l'innovation. L'emploi de cette enveloppe serait laissé à la libre appréciation de l'entreprise bénéficiaire pour mener des projets d'innovation en interne ou par le biais de prestataires extérieurs. Selon Hervé Pichon, président de l'AFCRT, avec une enveloppe de 120 millions d'euros et un coupon de 30 000 euros 204 ( * ) par PME ou start-up, le dispositif permettrait de toucher 4 000 PME innovantes. Cette disposition pourrait être financée par l'économie de dépense fiscale réalisée grâce aux mesures décrites supra , relatives au CIR. Un tel dispositif présente l'avantage de la simplicité et permettrait d'élargir le vivier des bénéficiaires d'aides à l'innovation à des PME que la bureaucratie associé aux dispositifs de soutien à l'innovation rebute.
Instituer un coupon recherche-innovation de 30 000 euros, à destination des PME, dans la limite d'une enveloppe globale de 120 millions d'euros, financée par l'économie engendrée par les mesures portant sur le CIR .
* 188 Article 83 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022. Le dispositif est prorogé, au même article, jusqu'à fin 2024.
* 189 Critère d'indépendance défini à l'article 3 de l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.
* 190 Cour des comptes, avril 2021, page 20.
* 191 CNEPI et France Stratégie, 2016, Quinze ans de politiques d'innovation en France .
* 192 À l'époque.
* 193 L'impact du crédit d'impôt recherche , mars 2019.
* 194 Ces conclusions convergent avec celles des travaux de l'OCDE sur le sujet.
* 195 « Évaluation du crédit d'impôt innovation : dynamique des bénéficiaires depuis son introduction », Insee Références , 2019.
* 196 Page 11.
* 197 Audition du 23 mars 2022.
* 198 Il est estimé à 1 million d'euros sur trois ans par France Innovation, compte non tenu du salaire.
* 199 Plusieurs intervenants, notamment des laboratoires publics, ont regretté la suppression au 1 er janvier 2022 du doublement de l'assiette pour les opérations de recherche menées par des organismes publics de recherche. Ce mécanisme est remplacé par le crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative (CICo), qui respecte la réglementation européenne en matière d'aides d'État.
* 200 Option a : suppression du taux de 5 % et abaissement du plafond de 100 à 20 millions d'euros, taux de 30 % inchangé (économie pour les finances publiques) ; option b : suppression du taux de 5 %, abaissement du plafond de 100 à 20 millions d'euros et taux porté à 40 % (enveloppe totale inchangée) ; option c : suppression du taux de 5 % et du plafond de 100 millions d'euros et instauration de trois taux : 40 % pour les PME, 25 % pour les ETI et 10 % pour les grandes entreprises. Rapport Redistribution, innovation, lutte contre e changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire , février 2022, pp. 35 à 68, notamment page 62.
* 201 Audition du 1 er février 2022.
* 202 Audition du 15 mars 2022.
* 203 Audition du 15 mars 2022.
* 204 L'AFCRT recommande une prise en charge de 60 % des dépenses, dans la limite de 50 000 euros. Les dépenses dépassant ce plafond seraient prises en charges par le bénéficiaire.