II. POUR UN NUCLÉAIRE PLUS DISPONIBLE, PLUS ACCESSIBLE ET PLUS SÛR
A. GARANTIR LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT ET RÉDUIRE LA DÉPENDANCE EXTÉRIEURE, FACE À LA CRISE ÉNERGÉTIQUE NÉE DE LA GUERRE RUSSE EN UKRAINE
Face à la crise énergétique née de la guerre russe en Ukraine, les rapporteurs estiment crucial de garantir la sécurité d'approvisionnement et de réduire la dépendance extérieure .
À cette fin, il est impératif que l'État soutienne le groupe EDF dans la résolution des difficultés actuelles du parc existant , dont la disponibilité est toujours affectée par la désoptimisation du programme d'« arrêts de tranches », le problème de « corrosion sous contrainte » et le retard du chantier de l'EPR de Flamanville 3.
De plus, le Gouvernement doit présenter sans tarder un plan d'actions pour assurer la sécurité d'approvisionnement cet hiver et les prochains . Il doit agir, tout à la fois, sur la production - en optimisant celle d'énergie nucléaire et en accélérant celle des énergies renouvelables -, et sur la consommation - en encourageant les opérations de rénovation et de sobriété énergétiques. Les mécanismes de flexibilité, tels que la modulation de la production, les effacements de consommation, ou encore le stockage et les interconnexions, doivent aussi être mobilisés à plein.
Sur ce sujet, les rapporteurs observent que les 12 préconisations qu'il avait formulées , dans leur rapport d'information sur la sécurité d'approvisionnement, et le risque de black-out , publié en mars dernier 226 ( * ) , n'ont toujours pas été appliquées : le Gouvernement peut et doit corriger le tir, pleinement et rapidement !
C'est même indispensable tant que le contexte, déjà critique, s'est aggravé depuis lors.
Lors de son audition, RTE a ainsi rappelé que « les marges sont faibles en raison d'une disponibilité dégradée du parc nucléaire, du retard de l'EPR de Flamanville et des retards accumulés sur les nouveaux moyens de production renouvelables » et que « les situations de tension sur l'équilibre offre/demande sont à attendre en cas de vague de froid (de l'ordre de 4 °C en dessous des normales), de situation de très faible production éolienne sur la plaque européenne, ou de forte dégradation supplémentaire de la disponibilité du parc de production ».
Quant à la CRE, elle a insisté sur « l'importance majeure, parallèlement au renforcement du nucléaire, d'accélérer par tous les moyens le développement des énergies renouvelables électriques » , ajoutant que « sans mesures fortes de maîtrise de la consommation d'une part, de raccordement accéléré des ENR et d'exploitation de toutes les flexibilités disponibles d'autre part, notre pays court le risque de devoir recourir à des coupures tournantes en cas d'hiver froid ».
Outre la sécurité d'approvisionnement, il faut aussi réduire la dépendance extérieure, révélée par la guerre russe en Ukraine.
Si des actions ont été annoncées pour sortir de la dépendance aux importations d'hydrocarbures russes, à l'échelon européen, avec le Plan RePowerEU, et à l'échelon national, avec le Plan de résilience économique et sociale , elles n'intègrent pas l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone : aussi ces plans doivent-ils être rapidement complétés .
Dans ces domaines, une stratégie formelle de sécurisation de l'approvisionnement en matières et en métaux critiques doit également être adoptée . En effet des importations sont aujourd'hui nécessaires, dans les domaines de l'énergie nucléaire (uranium, hafnium, indium, niobium) comme de l'hydrogène bas-carbone (platine, iridium, ruthénium). Or, certaines matières sont issues de Chine (gadolinium et zirconium 227 ( * ) ) ou de Russie (californium 252, cobalt 60, lithium 7 228 ( * ) , bore 10, zinc 64 229 ( * ) ). Cette stratégie pourrait promouvoir, selon le cas, la diversification des sources, l'institution de réserves, l'essor d'une production voire d'une extraction européenne ou nationale ou le développement de substituts.
Interrogé sur ce point, l'AEN a indiqué que « de nombreux pays de l'OCDE/AEN ont adopté des stratégies formelles et ont pris des mesures pour sécuriser leur approvisionnement en minerais et métaux critiques, dont l'uranium ».
Certes, les groupes EDF et Orano mettent déjà en oeuvre des stratégies de « double diversification » : sur le plan de la conception et de la fabrication, pour le premier, sur le plan de la production et des achats, pour le second.
Pour autant, le contexte appelle à la vigilance, le groupe EDF ayant indiqué que « certaines matières premières en amont pourraient avoir une sensibilité à un contexte géopolitique particulier » et le groupe Orano que « certains projets et contrats poursuivis par Orano en Russie pourraient potentiellement être ralentis ou suspendus par le conflit ».
À ce stade, le constat est cependant rassurant, le groupe EDF ayant affirmé que « dans le contexte de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, EDF sait faire face à la sécurisation de son approvisionnement en uranium et en services de conversion et d'enrichissement » et le groupe Orano que « les projets et contrats poursuivis par Orano en Russie [représentent] dans leur ensemble moins de 0,5 % du chiffre d'affaires du groupe ».
Sollicité sur ce sujet, le Gouvernement a précisé que « la France n'est pas exposée à un risque de rupture d'approvisionnement à court terme ».
Au-delà de ces stratégies, qui peuvent donc être confortées, la faculté pour l'État de soumettre des produits à contrôle et à répartition pourrait être étendue aux métaux et matières critiques à la transition énergétique : en effet, l'article 143-1 du code de l'énergie prévoit son application pour « les ressources en énergie et en produits énergétiques de toute nature, ainsi que les produits pétroliers, même à usage non énergétique, et les produits dérivés ou substituables y compris les produits chimiques » .
5. Garantir la sécurité d'approvisionnement et réduire la dépendance extérieure, face à la crise énergétique née de la guerre russe en Ukraine : - Soutenir EDF dans la réponse aux enjeux actuels du parc nucléaire (programme d' « arrêts de tranches », phénomène de « corrosion sous contrainte », EPR de Flamanville 3) - Présenter un plan d'actions pour garantir la sécurité d'approvisionnement cet hiver et les prochains (effacements, renouvelables, stockages, interconnexions, rénovation) - Mieux intégrer l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone aux plans de sortie des hydrocarbures russes national (Plan de résilience) et européen (Plan RePowerEU ) - Adopter une stratégie formelle, pour l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone, de sécurisation de l'approvisionnement en matières et métaux critiques, pour diversifier les sources, instituer des réserves, envisager une production nationale ou européenne et développer des substituts - Envisager l'extension du contrôle de l'État sur les produits soumis à contrôle et à répartition |
* 226 Rapport d'information n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement, La France est-elle en risque de « black-out » ? , par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, 25 février 2022.
* 227 Groupe EDF.
* 228 Groupe EDF.
* 229 Groupe Orano.