B. LA DIFFICILE ASSIMILATION DES RÉFORMES PAR LES ÉLUS LOCAUX ET LES ACTEURS DE L'ÉTAT TERRITORIAL

1. La faible évaluation des réformes successives
a) Une absence d'évaluation de la RGPP et de la MAP

L'enchainement des réformes de l'État territorial à un rythme soutenu sur les quinze dernières années laisserait imaginer qu'un effort substantiel d'évaluation de ces politiques a été déployé au fil du temps. Il n'en est absolument rien, ce qui ne peut manquer d'interroger : les administrations déconcentrées seraient-elles condamnées à un cycle de transformations incessantes sans que jamais ne soient tirés les enseignements de l'expérience précédente ?

Dans le cadre de la RGPP, le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) a essentiellement tenu un rôle d' instance de validation des décisions prises. Il n'a pas survécu au changement d'orientation impulsé avec la MAP, à laquelle il aurait pourtant pu fournir d'utiles éléments de contexte et d'évaluation. Un même regret peut être formulé à l'égard du Comité interministériel de modernisation de l'action publique (CIMAP) qui lui a succédé dans le cadre de la MAP.

Au final, parmi les administrations d'État, seule France Stratégie se sera penchée sur les résultats obtenus par ces deux politiques, dans un rapport publié en 2018 sur le « bilan de la RGPP et de la MAP en matière de modalité d'accompagnement et de bonne appropriation par les agents ». Encore faut-il relever le thème très limité de son étude (l'accompagnement et l'appropriation par les agents) et un champ extrêmement général puisqu'englobant toutes les administrations, donc pas uniquement les administrations déconcentrées.

Il est d'ailleurs significatif que la démarche « Action publique 2022 » n'a reposé sur aucun exercice préalable d'évaluation ou de bilan, même approximatif, quant aux réussites, aux échecs et aux enseignements des politiques précédemment menées. Le Parlement n'a été que faiblement associé à cette réforme qui n'est qu'issue des travaux d'un comité comprenant une quarantaine de membres mêlant économistes, fonctionnaires, personnalités issues du secteur privé et élus, ayant rendu un rapport public durant l'été 2018. Ce rapport formulait des propositions fondées sur l'idée qu'« améliorer le service public tout en faisant des économies substantielles est possible », ce qui est une vieille antienne, et s'appuyait sur quatre prérequis : sortir de l'uniformité du service public, aller au bout de la logique de transparence et de responsabilisation, faire confiance en interne et ouvrir les services publics à toutes les initiatives d'intérêt général.

b) Le tableau de bord interministériel et territorialisé : nouvel outil d'évaluation ?

Souhaitée par vos rapporteurs, la culture de l'évaluation pourrait être encouragée par la création récente d'un tableau de bord interministériel et territorialisé des réformes .

Ce tableau de bord ne doit pas être confondu avec le baromètre de l'action publique, en ce que le premier constitue un outil de pilotage interne alors que le second est accessible à tous les administrés via Internet. Plus précisément, il est destiné à un usage interne à l'administration d'État et permet de restituer les résultats de l'ensemble des 83 réformes identifiées comme prioritaires par le Gouvernement.

Au niveau régional , le préfet de région dispose des résultats des réformes prioritaires suivies à la maille régionale, ainsi que ceux de l'ensemble des départements de la région. De cette façon, il dispose d'une vision complète des résultats dans les départements pour chaque politique, leur niveau d'avancement et les difficultés rencontrées.

Au niveau départemental , le tableau de bord permet de visualiser les résultats des politiques publiques prioritaires et d'apprécier leur degré de mise en oeuvre via la mesure de leur taux d'avancement, le suivi d'indicateurs, ainsi que des commentaires qualitatifs contextualisant l'exécution de ces réformes et les difficultés rencontrées.

Le recul manque encore pour estimer l'apport réel de cet outil à la démarche d'évaluation, mais il est certain que la logique sous-tendant l'instauration de ce tableau de bord correspond bien à l'attente d'une évaluation aussi précise que possible des résultats et des conséquences des politiques de transformation des services déconcentrés de l'État. Pour autant, ces outils ne doivent pas devenir trop contraignants pour les acteurs.

2. L'absence de concertation des principaux acteurs
a) Des élus locaux faiblement concertés

Plus de quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l'État . Telle est la proportion qui ressort des réponses à leur consultation en ligne par vos rapporteurs. Plus précisément, 52,6 % ne sont « pas du tout d'accord » avec l'affirmation selon laquelle ils auraient été « suffisamment associés », quand 29 % se disent « plutôt pas d'accord » avec cette assertion. Seuls 2 % considèrent avoir été suffisamment associés.

De ces résultats, deux constats aussi alarmants l'un que l'autre doivent être tirés. D'une part, le reproche concernant le manque de concertation est très largement partagé . D'autre part, aucune mesure correctrice n'a été mise en place d'un train de réformes à l'autre. Faut-il d'ailleurs s'en étonner dès lors qu'aucune évaluation rigoureuse de la précédente réforme de l'administration déconcentrée n'a précédé la réforme suivante : les réformes s'empilent sans tentative d'en dégager de manière objective et documentée des enseignements pour la prochaine étape ni encore moins d'estimer les conséquences territoriales.

Déjà en 2016 , votre Délégation dans son rapport d'information dressait un constat très comparable en soulignant que « l'association aux réformes des acteurs de terrain demeure insuffisante aux yeux de la majeure partie des élus locaux et des syndicats qui ont été auditionnés ». Elle pointait le décalage avec le discours « officiel » des représentants de l'État qui insistaient, eux, sur la consultation des acteurs de terrain, au premier rang desquels les élus locaux.

Ce décalage peut de nouveau être relevé en 2022 au terme de la mission d'information confiée à vos rapporteurs. Ainsi, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) indique que « les collectivités territoriales ont été associées à la réflexion dans le cadre des travaux du Comité CAP 2022. S'agissant de l'échelon territorial, l'objectif est d'ouvrir davantage le champ de la réflexion au-delà du périmètre de l'administration de l'État, vers les collectivités territoriales et d'examiner toutes les pistes envisageables visant la meilleure synergie pour l'action publique entre les deux périmètres » 6 ( * ) . La DITP ajoute que « les souplesses d'organisation données aux préfets, les voies ouvertes par le projet de loi 3DS ainsi que la contractualisation (contrat de relance et de transition écologique, contrats de sécurité intégrés, contrat de plan État-région, « Action coeur de ville », « Petites villes de demain », France-Services, Territoires d'industrie) sont aussi le lieu de discussion entre l'État et les collectivités territoriales sur la définition d'organisations locales plus efficaces ». On ne peut toutefois s'empêcher de constater que, même dans ces éléments de réponse, aucune méthodologie de concertation des élus n'est clairement identifiée, et encore moins exposée.

Au total, ainsi que le résume l' Assemblé des départements de France (ADF) , invitée par vos rapporteurs à donner son point de vue sur cette question, « les réformes engagées ont [...] insuffisamment associé les acteurs de terrain » 7 ( * ) .

Proposition n° 2 : rendre impérative une concertation nationale avec les associations d'élus en amont du lancement d'une politique ministérielle se chevauchant avec des compétences décentralisées.

Délai : immédiatement

Acteur(s) : Premier ministre, chef du gouvernement

Encore ce déficit de concertation en amont aurait-il pu, au moins en partie, être compensé par une bonne information en aval des élus locaux sur les réformes conduites. Tel n'est malheureusement pas le cas, puisque 23,5 % des répondants à vos rapporteurs estiment ne pas du tout connaître la réforme en cours de l'organisation territoriale de l'État. Lorsque les élus locaux sont invités à évaluer leur degré de connaissance de cette réforme sur une échelle de 0 (« Je ne la connais pas du tout ») à 10 (« Je la connais très bien »), 85,5 % se situent entre 0 et 5 , ce qui confirme la méconnaissance d'ensemble.

Cette appréciation à partir d'une interrogation portant sur la vision globale de la démarche de réforme se trouve confirmée dans le cas particulier de l'évolution en cours du rôle institutionnel du préfet. En effet, à la question « Avez-vous eu connaissance du renforcement prévu du rôle du préfet annoncé lors du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) de février 2021 ? », 69 % des élus locaux répondent par la négative .

Ce déficit de concertation et, même, d'information n'est pas sans lien avec les craintes, les réserves et les critiques exprimées par les élus locaux quant au mouvement continu de réforme de l'État territorial sur la période contemporaine, et sur lesquelles vos rapporteurs reviendront.

Il paraît, en outre, indispensable de rappeler l'obligation incombant à l'État en application de l'article L. 2255-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), selon lequel « lorsqu'il est envisagé la fermeture ou le déplacement d'un service de l'État, à l'exception de ceux des administrations centrales et des services à compétence nationale, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou d'un organisme chargé d'une mission de service public situé dans le périmètre de l'opération, le représentant de l'État dans le département ou l'autorité exécutive de la collectivité territoriale, de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou de l'organisme chargé d'une mission de service public communique au maire de la commune et au président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont est membre la commune toutes les informations justifiant cette fermeture ou ce déplacement, au moins six mois avant la date prévue pour sa réalisation. Il indique également les mesures envisagées pour permettre localement le maintien de ce service sous une autre forme. Ces informations sont également transmises à la région et au département. ».

Proposition n° 3 : rendre effective l'obligation d'information des élus locaux en amont de toute évolution des services de l'État dans leur territoire.

Délai : immédiatement

Acteur(s) : Premier ministre, chef du gouvernement

b) Des représentants de l'État peu associés

Vos rapporteurs ont cherché à connaître les retours des élus locaux, mais aussi ceux des fonctionnaires en poste dans les préfectures et sous-préfectures. Il en ressort, notamment, une grande convergence de vue s'agissant du manque d'association aux réformes.

Le point de vue des préfets et sous-préfets
sur la réforme de l'organisation territoriale de l'État

Le regard croisé des préfets et sous-préfets, d'une part, et des élus locaux, d'autre part, offre une mise en perspective du mouvement de réformes de l'organisation de l'État territorial. Les graphiques suivants le mettent en évidence.

Cette comparaison des points de vue fait ressortir plusieurs points saillants :

- un accord fort sur le fait que la réforme de l'organisation territoriale de l'État est souhaitable pour les représentants de l'État comme pour les élus ;

- l'avis est toutefois plus modéré concernant la pertinence de la réforme, singulièrement chez les élus ;

- la réforme de l'organisation territoriale de l'État répond encore moins aux attentes des préfets et sous-préfets (36 %) qu'à celles des élus (22 %) ;

- ce sont les représentants de l'Etat qui dénoncent le plus (à 85 %, contre 64 % du côté des élus locaux) le rythme de réforme de l'organisation territoriale de l'Etat ;

- si l'absence de sentiment d'association aux réformes est très marqué chez les élus (82 %), il est loin d'être négligeable chez les représentants de l'État : 43 % , seul un sur cinq disant avoir été associé ;

- enfin, et cela est très révélateur, seul un représentant de l'État sur quatre estime que la réforme de l'organisation territoriale de l'État est efficace.

Au total, la confiance des préfets et sous-préfets vis-à-vis des réformes de l'organisation territoriale de l'État s'érode avec le temps.

La perception des réformes

Si 58 % des représentants de l'État jugent que la RéATE était une réforme utile, ce taux passe à 51 % s'agissant du PPNG. En outre 38 % (soit une majorité relative) indiquent que la démarche « missions prioritaires des préfectures » (MPP 22) inquiète le personnel des préfectures et sous-préfectures.

3. Le manque de clarté des objectifs recherchés
a) L'ambition affichée : améliorer le fonctionnement des services de l'État

Chaque réforme de l'État déconcentré est bien évidemment en théorie portée par l'ambition d'améliorer le fonctionnement de ces services et de répondre ainsi au mieux à la demande d'État dans les territoires. En 2016, votre Délégation avait observé à cet égard que « les objectifs poursuivis sont annoncés comme plus qualitatifs, l'accent étant mis sur la priorisation des missions plutôt que sur la réduction des effectifs ». Six ans après, cette affirmation demeure s'agissant de la nouvelle vague de réformes intervenues avec la stratégie « Action publique 2022 ».

Dans le cadre de cette stratégie, la DITP souligne que le mouvement actuel de déconcentration « dans le champ des politiques publiques comme dans celui de la gestion des ressources humaines et budgétaires » a pour objectif de « promouvoir une action publique plus proche, plus simple et plus efficace ». Elle met en avant trois grands axes : une responsabilité renforcée, des marges de manoeuvre accrues et le réarmement des services déconcentrés.

Concernant le renforcement de la responsabilité des acteurs de l'administration déconcentrée, le rôle du préfet dans la mise en oeuvre des réformes prioritaires et dans la stratégie du « dernier kilomètre » tient une place prépondérante. En effet, fort du mandat interministériel qui lui a été confié (la « feuille de route »), il coordonne et pilote les politiques publiques en s'appuyant sur le baromètre des résultats de l'action publique.

Justifiées par la volonté que les décisions soient prises au plus près de l'usager et des territoires, les marges de manoeuvre accrues résultent d'une série de dispositions allant de l'exercice du droit de dérogation à la déconcentration des décisions en matière de ressources humaines et budgétaires.

Le réarmement des services déconcentrés s'entend comme l'arrivée de nouvelles ressources humaines, soit la nomination d'une trentaine de sous-préfets à la relance et l'affectation de vingt-trois experts de haut-niveau / directeurs de projet dans les territoires. Il renvoie également à la création de l'ANCT pour accroître la mise à disposition de ressources d'ingénierie au niveau local. Enfin, il s'agit de moyens accrus (avec au total plus de 8 millions d'euros) accordés pour les laboratoires d'innovation territoriale « afin de permettre aux services déconcentrés de trouver des solutions à taille humaine conçues pour répondre aux enjeux de chaque territoire ».

Les laboratoires d'innovation territoriale

Les laboratoires d'innovation territoriale ont été créés à la suite d'un appel à projets lancé par la DITP dans le cadre du Programme d'investissement d'avenir (PIA) en novembre 2016. L'objectif de cet appel à projet consistait à permettre la création de lieux d'échanges et de valorisation de la créativité, des idées et des compétences des agents de l'administration territoriale de l'État .

Aujourd'hui, on dénombre douze laboratoires d'innovation territoriale implantés dans toute la France. Ils se différencient par leur organisation et les thématiques qu'ils traitent. Tous ont cependant comme point commun de proposer de nouvelles méthodes de travail et d'accompagner le changement au travers de projets dédiés. L'ambition vise à faciliter l'émergence et l'expérimentation de projets d'innovation publique qui répondent à des problématiques de territoire, à l'initiative des agents de terrain.

Ils sont portés par les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) , des services déconcentrés de l'État, des conseils régionaux ou départementaux, des communes...

Un premier bilan de ce dispositif a été dressé en avril 2019 par un cabinet indépendant (le cabinet Planète publique) sur commande de la DITP. Il en ressort qu'en l'espace de quelques mois de fonctionnement, ces laboratoires d'innovation territoriale totalisaient un ensemble de 94 actions et projets réalisés ou en cours. Ces réalisations recouvraient une grande variété d'actions, allant de la mise en oeuvre de chantiers structurants ou la création d'outils pérennes (par exemple, le projet « Zéro non-recours aux droits » porté par le Lab Zéro à Marseille ou le développement d'un simulateur d'entretiens de recrutement  par le Ti'Lab à Rennes) à la conduite d'interventions courtes et ponctuelles (réunions d'information, séances de créativité, sprints de prototypage...) en passant par des actions d'accompagnement et des apports d'ingénierie (montage de formations, appui à la conception de projets innovants, diffusions de kits et de guides de bonnes pratiques).

b) La réalité constatée : une baisse drastique des moyens de l'État dans les territoires

Si au lendemain de la RéATE, l'accent a eu tendance à être mis sur les aspects qualitatifs des réformes de l'administration déconcentrée, cela ne peut occulter la réalité d'une gestion des réformes par le chiffre et les effectifs . Au cours des auditions conduites par vos rapporteurs, c'est certainement l'Association des petites villes de France (APVF) qui a synthétisé cette analyse dans la forme la plus radicale : « les réformes successives de l'administration territoriale n'ont été pensées que d'un point de vue financier : l'objectif principal de ces réformes était de faire des économies d'échelle » 8 ( * ) .

Ce point de vue est partagé par les organisations représentantes des personnels de l'administration déconcentrée qui vivent et mettent en oeuvre un flux continu de réformes depuis une quinzaine d'années. Lors de la table ronde qui leur a été consacrée par vos rapporteurs le 23 novembre 2021, David Lecoq, au nom de la CGT, a ainsi déploré que « le bilan de ces réformes depuis quinze ans soit la baisse du nombre de fonctionnaires, qu'on essaie depuis d'absorber ». Selon la CFDT, « les différentes réformes mises en oeuvre (RGPP, RéATE, Plan préfecture nouvelle génération et « Action publique 2022 ») n'ont été ni prévues ni construites dans le sens d'une meilleure réponse aux collectivités territoriales : elles ont eu pour objectif une réorganisation interne des services de l'État aux fins de réduire les coûts budgétaires de fonctionnement (suppression de postes essentiellement) » 9 ( * ) .

De fait, dans son rapport « Les services déconcentrés de l'État : clarifier leurs missions, adapter leur organisation, leur faire confiance » 10 ( * ) , la Cour des comptes attestait que « les services déconcentrés de l'État ont contribué à la réduction des effectifs de l'État, liée à la fois aux transferts de compétences qui ont, pour certains, entraîné des transferts d'effectifs, et à la volonté de maîtriser le déficit budgétaire de l'État ». Elle chiffrait cette réduction entre 2011 et 2015 à 1,87 %, les effectifs passant de 1 334 406 à 1 309 416 agents.

L'évolution des effectifs du programme portant les moyens humains dédiés aux préfectures et aux sous-préfectures se révèle de ce point de vue particulièrement éclairante, en dépit d'un changement de périmètre à compter du 1 er janvier 2020.

Les effectifs de l'administration territoriale entre 2011 et 2021

(en équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT))

Source : d'après les bleus budgétaires annexés aux projets de loi de finances

De 2011 à 2019 les effectifs réels des préfectures et des sous-préfectures ont enregistré une baisse continue, passant de 27 765  équivalent temps plein travaillé (ETPT) à 24 885 ETPT, soit un recul de - 10,4 % .

À partir de 2020, le suivi de ces effectifs à partir des documents annexés au projet de loi de finances devient plus délicat en raison de changements de périmètre budgétaire. En effet, les effectifs du programme 307 « Administration territoriale » sont fusionnés avec ceux du programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » (c'est-à-dire ceux des DDI) dans un programme unique 354 « Administration territoriale de l'État ». Les effectifs de ce programme sont majorés de 1 803 ETPT du fait de la création de secrétariats généraux communs (SGC), induisant le transfert « entrant » des personnels issus des secrétariats généraux des DDI.

De même, en 2021, la poursuite de la réforme de l'organisation territoriale de l'État se traduit sur les effectifs du programme 354 « Administration territoriale de l'État » par une majoration de 424 ETPT en raison de la création des DDETS, de 321 ETPT du fait de la mise en place des SGC dans les départements d'outre-mer 11 ( * ) , et de 100 ETPT liés au transfert des missions des services de la main d'oeuvre étrangère au réseau des préfectures.

Au final, il est cependant possible de dresser un bilan de l'impact des réductions d'effectifs sur les préfectures et les sous-préfectures entre 2009 et 2020 12 ( * ) :

- pour les préfectures : 35 ont perdu au moins 50 ETPT (Saint-Brieuc ayant même connu une baisse de 46,2 %, soit 79 ETPT en moins), 23 ont enregistré une baisse comprise entre 40 et 50 ETPT, 19 sont concernées par une diminution comprise entre 30 et 40 ETPT et 21 ont abandonné moins de 30 ETPT. En sens inverse, trois préfectures ont vu leur effectif augmenter (+ 9,4 % pour Nantes, + 4,1 % pour Strasbourg et + 1,5 % pour Poitiers) ;

- pour les sous-préfectures : cinq sont concernées par une diminution supérieure à 30 ETPT (soit - 61,7 % pour Grasse, - 55,3 % pour Boulogne-Billancourt, - 48,8 % pour Brest, - 44,2 % pour Le Havre et - 39,6 % pour Nogent-sur-Marne), huit subissent une baisse comprise entre 20 et 30 ETPT, pour 59 d'entre elles la baisse se situe entre 10 et 20 ETPT et 159 ont connu une baisse inférieure à 10 ETPT. Il faut ajouter que quatre ont des effectifs en hausse (+ 25,6 % à Mirmande, + 6,4 % à Saint-Denis, + 4,6 % à Bellac et + 0,7 % à Mamers).

Les préfets et les sous-préfets déplorent le manque d'effectifs

Le tableau ci-dessous rend compte de l'avis des préfets et sous-préfets au sujet des effectifs dont ils disposent pour mener à bien leurs missions.

De manière globale, les préfets comme sous-préfets se rendent compte des limites de l'organisation de leurs services. Si la question de la formation des personnels amène un avis partagé (47 % estimant qu'ils sont assez formés contre 45 % qui ont un avis contraire), l'aspect quantitatif et humain amène des réponses bien plus tranchées :

- 70 % des préfets et sous-préfets estiment que les moyens humains des préfectures et des sous-préfectures sont insuffisants ;

- 66 % estiment qu'il n'y a pas suffisamment de personnel.

Proposition n° 4 : assurer des moyens suffisants de fonctionnement pour chaque sous-préfecture.

Délai : immédiatement

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur, direction de la modernisation de l'administration territoriale (DMAT)

Concernant les DDI , et selon les données communiquées par la direction de la modernisation de l'administration territoriale (DMAT) du ministère de l'Intérieur, qui pilote depuis 2020 les effectifs des DDI en application du décret n° 2020-1050 du 14 août 2020, ces directions ont, elles-aussi, subi une érosion continue de leurs effectifs.

Alors qu'en 2011 les effectifs physiques des DDI s'élevaient à 39 796 agents, ces directions ne comptaient plus que 25 474 agents en 2020, soit une chute de 36 % . Au cours de cette période, la création des DRJSCS et des DDJSCS a fortement impacté à la baisse l'effectif global des DDI, avec une réduction de 7,2 % entre 2014 et 2015.

L'évolution des effectifs physiques des DDI de 2010 à 2020

Source : DMAT

La dynamique à la baisse des effectifs des DDI

Le rapport de la Cour des comptes , paru le 14 avril 2022, sur « Les effectifs de l'administration territoriale de l'État » pointe une trajectoire à la baisse des effectifs des DDI, qui représentent l'un des maillons de l'ingénierie d'État en soutien des collectivités territoriales.

La Cour souligne qu'« entre 2012 et 2020, les DDI ont perdu 30,8 % de leurs emplois . De tous les services déconcentrés de l'État, ce sont les directions dont les effectifs ont baissé le plus rapidement depuis 2011 », même si ce constat doit être nuancé par des effets de périmètre altérant l'étude du schéma d'emplois de ces services.

Selon la Cour, « si le défaut de fiabilité des données ne permet pas de conclure définitivement, il semblerait néanmoins que les ministères, notamment l'écologie et les ministères sociaux, aient fait le choix de faire porter leurs schémas d'emplois [à savoir des réductions d'effectifs] en priorité sur leurs agents départementaux , parfois au-delà de la part que ces derniers représentent dans le programme [budgétaire] ».

L'évolution des plafonds d'emploi des DDI de 2010 à 2020

(en ETPT)

Source : DMAT

Pour 2021 , la DMAT estimait que les effectifs des DDI se situaient aux environs de 28 000 agents, soit une hausse de + 10 % . La création des DDETS s'est en effet traduite par le renfort de près de 5 000 agents des anciennes unités départementales des DIRECCTE et, en sens inverse, par le départ :

- des agents chargés des missions relatives à la jeunesse, au sport et à la vie associative des anciennes DDCS vers les services départementaux de l'éducation nationale ;

- des agents chargés des fonctions support dans les DDI vers les SGC.

La présence de l'État dans les territoires ne se limite pas aux seules préfectures, sous-préfectures et DDI. D'autres administrations déconcentrées tiennent également une place importante dans la relation entretenue par les collectivités territoriales avec l'État. C'est le cas notamment du réseau déconcentré de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et de ses trésoreries . Celles-ci assurent notamment le suivi de la gestion budgétaire et comptable des collectivités territoriales, de leurs établissements publics, des hôpitaux et des offices publics de l'habitat (OPH).

Or, la fusion de la direction générale des impôts (DGI) avec la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) a initié une révision du maillage territorial de cette administration financière, dont l'une des traductions les plus tangibles a été la suppression de nombreuses trésoreries . Dans son rapport d'information au nom de la commission des finances « Agir pour nos concitoyens : redonner de la proximité et de l'efficacité à l'action publique dans les territoires » 13 ( * ) , notre collègue alors Jacques Genest notait que « depuis 2013, les différentes réorganisations intervenues se sont traduites par la suppression nette de 535 trésoreries sur le territoire ».

En septembre 2020, le ministère de l'économie a toutefois annoncé une relocalisation d'une partie des effectifs de la DGFiP en province, vers des villes petites et moyennes. Au total, 2 500 postes pourraient progressivement être transférés de Paris entre 2021 et 2026 . À titre d'exemple, Mende accueille à partir de 2021 une vingtaine d'agents d'un service d'appui à la publicité foncière, Lisieux une quarantaine d'agents d'un centre de contact pour les contribuables professionnels à compter de 2023, ou Châteaudun 35 à 40 agents d'un pôle de contrôle fiscal à distance à compter de 2022. Il est toutefois encore trop tôt pour juger de la concrétisation de cette annonce.

Comme on le constate, pour les services préfectoraux comme pour les autres administrations déconcentrées, les réorganisations, les fusions et les changements de périmètres rendent difficile l'exercice de comparaison sur moyenne et longue période. Pour autant, le sens de l'évolution ne souffre aucun débat : les effectifs de l'administration déconcentrée ont sévèrement reculé .

Les baisses sont la plupart du temps justifiées par deux séries d'arguments : d'une part, une réorganisation débouchant sur un fonctionnement plus efficient des services, nécessitant dès lors moins de personnels, et, d'autre part, des gains de productivité dégagés par le déploiement de nouveaux outils technologiques (par exemple, la dématérialisation de la transmission d'actes). Cette argumentation demeure fragile dans la mesure où aucune évaluation ex post ne vient jamais la vérifier (ou l'infirmer) . En pratique en revanche, les exemples de dégradation du niveau de service rendu aux collectivités territoriales, et plus généralement aux usagers, se rencontrent fréquemment.

Deux exemples concrets de dysfonctionnement liés

aux réductions d'effectifs

1) La mission de contrôle de la commande publique

Avant la réforme de la DGCCRF, les agents de cette direction en département avaient en charge la mission de contrôle de la commande publique . Ils possédaient une vision globale des différents appels d'offre et des candidats répondant à ces appels. Ils pouvaient ainsi conseiller les collectivités territoriales et leur apporter leur expertise en situation d'appel infructueux, d'offre anormalement basse ou d'offre suspecte.

Dans le cadre de la RéATE, cette mission a été dévolue aux seuls agents en poste en DIRECCTE au niveau régional. Ainsi, le nombre d'agents en charge de ces missions a été réduit, mais avec une perte de la qualité de service rendu aux collectivités territoriales. En effet, l'expertise, la connaissance fine des répondants et l'effet de partage de connaissances en réseau se sont progressivement dilués. Désormais, les agents en charge de cette mission se concentrent sur la détection d'ententes illicites et délaissent l'aspect correspondant à l'accompagnement des collectivités territoriales et de leur commission d'appel d'offre .

2) Le déploiement numérique

Par ailleurs, le déploiement d'innovations numériques peut recéler des difficultés nouvelles, tant pour les personnels des services déconcentrés que pour les collectivités territoriales elles-mêmes. Ainsi que les représentants de la CFDT l'ont souligné auprès de vos rapporteurs, l'organisation des services des préfectures et des DDI a été « revue à l'aune de la numérisation », mais celle-ci « emporte des difficultés : déploiement d'applications informatiques peu efficaces, redéploiement des tâches sans tenir compte des difficultés techniques, suppressions de postes liées aux supposés gains de temps de travail, formation métiers qui peine à s'inscrire dans un calendrier opérationnel, surcharge dans l'exercice des missions, télétravail très hétérogène selon les grades, les départements et les services » 1 . L'exemple le plus récent est vraisemblablement à chercher du côté la mise en oeuvre des SGC depuis le 1 er janvier 2020 et des difficultés informatiques auxquelles elle est désormais confrontée. Ces difficultés ont conduit au « plan d'action et de soutien pour les SGC départementaux » produit par la DMAT au cours du dernier trimestre de l'année 2021 2 .

En conséquence de la e-administration, des services d'accueil du public dans les préfectures et les sous-préfectures ont par ailleurs été supprimés. C'est par exemple le cas concernant la délivrance des titres d'identité. De ce fait, un effet report des usagers sur les collectivités territoriales a pu être constaté. L'année 2022 aura ainsi été marquée par des phénomènes de file d'attente des usagers en demande de documents d'identité (nouvelle carte nationale d'identité, passeport) pouvant décaler de plusieurs mois l'obtention de ces documents.

1 Réponses écrites de la CFDT à vos rapporteurs, en date du 23 novembre 2021.

2 Cf . Note en date 13 octobre 2021.


* 6 Réponses écrites à vos rapporteurs, en date du 1 er décembre 2021.

* 7 Réponses écrites de l'ADF à vos rapporteurs, en date du 5 octobre 2021.

* 8 Réponses écrites de l'APVF à vos rapporteurs, en date du 5 octobre 2021.

* 9 Réponses écrites de la CFDT à vos rapporteurs, en date du 23 novembre 2021.

* 10 Rapport en date du 11 décembre 2017.

* 11 Hors Guyane.

* 12 Source : direction de la modernisation de l'administration territoriale (DMAT). Les effectifs donnés correspondent au plafond d'emploi accordé.

* 13 Sénat, rapport d'information n° 334 (2019-2020).

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