N° 188

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur le champ et la mise en oeuvre effective des dispositifs de suspension des avantages fiscaux pour les dons aux associations ,

Par MM. Jean-François HUSSON et Éric JEANSANNETAS,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

I. LES AVANTAGES FISCAUX POUR LES DONS AUX ASSOCIATIONS REPOSENT SUR UNE DOUBLE RELATION DE CONFIANCE

A. LES RÉDUCTIONS D'IMPÔT VISANT À ENCOURAGER LA GÉNÉROSITÉ PUBLIQUE REPRÉSENTENT LE PRINCIPAL SOUTIEN PUBLIC ENVERS LES ASSOCIATIONS

La réduction fiscale pour les dons aux associations d'intérêt général, codifiée à l'article 200 du code général des impôts (CGI), est une dépense fiscale ancienne, qui date des débuts de la IV e République. Elle a vocation à encourager les contribuables à s'impliquer dans le développement du tissu associatif, qui est l'une des pierres angulaires de la société civile .

À cet égard, la réduction d'impôt de l'article 200 du code général des impôts fait figure de symbole , et le monde associatif a souvent rappelé devant les rapporteurs son attachement au régime du mécénat. D'ailleurs, d'autres réductions fiscales existent sur ce modèle : l'article 238 bis du CGI qui porte le régime du mécénat applicable pour les entreprises, et l'article 978 du CGI relatif à la réduction d'impôt sur la fortune immobilière pour les dons.

Au-delà de la dimension symbolique, les dons représentent une source majeure du financement des associations en France .

Montant des dons déclarés

Nombre de foyers
fiscaux donateurs

Coût de la réduction d'impôt de l'article 200 du CGI

Source : Tome 1 des Voies et moyens annexé au projet de loi de finances pour 2023 et Recherches & Solidarités, Panorama de novembre 2022, à partir des données de la direction générale des finances publiques

B. LES ASSOCIATIONS QUI COMMETTENT DES INFRACTIONS NE DOIVENT PAS BÉNÉFICIER DE LA RÉDUCTION FISCALE POUR LES DONS

Cette réduction fiscale repose sur une double relation de confiance . D'un côté, les associations n'ont pas à se prévaloir d'une autorisation préalable pour émettre des reçus fiscaux ouvrant droit pour les contribuables à la réduction d'impôt pour les dons. En retour, les contribuables doivent pouvoir donner aux causes qui leurs tiennent à coeur en ayant la garantie suffisante que les activités menées par ces associations respectent la loi.

Il n'est donc pas acceptable que des associations qui commettent des infractions bénéficient indirectement d'un soutien public via la réduction d'impôt pour les dons . Dès lors, les associations qui font appel à la générosité du public doivent pouvoir être contrôlées.

Les rapporteurs ont notamment reçu des témoignages des représentants des chasseurs et du monde agricole, qui ont subi des actes de violence et des dégradations , et qui s'interrogeaient sur la possibilité pour des associations qui mèneraient ou encourageraient ce type d'actions de bénéficier de la réduction fiscale pour les dons. Il s'agit précisément de l'objet de la pétition ayant conduit à la création de la présente mission.

Si la mission n'a bien entendu pas vocation à porter des accusations sur certaines associations en particulier, ni la compétence pour mener une enquête sur celles qui commettraient des infractions, elle s'est en revanche attachée à vérifier que les mécanismes de suspension du régime du mécénat répondent aux enjeux.

II. L'ADMINISTRATION FISCALE A BIEN LA CAPACITÉ, EN DROIT, DE SUSPENDRE LE BÉNÉFICE DE LA RÉDUCTION D'IMPÔT POUR LES ASSOCIATIONS AYANT COMMIS DES INFRACTIONS

A. DEPUIS LE 1 ER JANVIER 2022, UNE NOUVELLE PROCÉDURE PERMET À L'ADMINISTRATION FISCALE DE CONTRÔLER LA RÉGULARITÉ DE L'ÉMISSION DES REÇUS FISCAUX OUVRANT DROIT À LA RÉDUCTION D'IMPÔT

Depuis l'article 18 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, entré en vigueur le 1 er janvier 2022, l'administration peut contrôler sur place que l'organisme sans but lucratif qui émet des reçus fiscaux respecte les conditions prévues par la loi . Avant cette loi, la Cour des comptes pouvait déjà contrôler la conformité des dépenses à l'appel à la générosité.

Une ambiguïté subsistait néanmoins sur la portée du contrôle opéré en vertu de l'article 18 de la loi du 24 août 2021 : l'administration fiscale se borne-t-elle à effectuer un contrôle formel de l'objet de l'association avec l'une des catégories mentionnées à l'article 200 du CGI, comme la défense de l'environnement, ou mène-t-elle un contrôle approfondi des moyens utilisés pour que l'association accomplisse ses objectifs ?

La mission a interrogé la direction générale des finances publiques (DGFiP) à ce sujet, et celle-ci a retenu une interprétation large du dispositif, en considérant qu'une association qui utiliserait des moyens illégaux pour des objectifs relevant du régime du mécénat ne serait pas autorisée à émettre des reçus fiscaux : « par exemple, une association qui aurait pour objet d'occuper des immeubles sans droit ni titre ne pourrait pas bénéficier de ce régime quand bien même elle mettrait les immeubles occupés illégalement à disposition de personnes en difficulté sociale et se réclamerait ainsi de la finalité sociale contenue dans le champ du bénévolat . » 1 ( * )

Il apparaît ainsi que l'administration dispose déjà, en droit, des moyens pour suspendre la réduction fiscale des dons aux associations qui commettent des infractions. Toutefois, dans la mesure où cette nouvelle procédure est entrée en vigueur il y a moins d'un an, il n'est pas encore possible d'avoir un retour d'expérience, et certaines des conditions de sa mise en oeuvre doivent encore être précisées.

Les conditions concrètes de mise en oeuvre de la nouvelle procédure de contrôle de la régularité des dons aux associations issue de l'article 18 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République doivent encore être précisées

Les services de la DGFiP disposent donc d'une marge d'appréciation quant à savoir quels actes illégaux seraient passibles ou non d'une suspension de l'avantage fiscal pour les dons , à l'exception des cas précisément listés au II de l'article 1378 octies du CGI et pour lesquels une suspension automatique est prévue depuis 2009.

B. DEPUIS 2009, LA SUSPENSION AUTOMATIQUE DE L'AVANTAGE FISCAL LIÉ AUX DONS EST PRÉVUE POUR CERTAINES INFRACTIONS

L'administration fiscale est tenue de suspendre les avantages fiscaux des associations, quelles que soient les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises, lorsqu'une décision pénale définitive a été rendue au titre de l'une des infractions listées au II de l'article 1378 octies du CGI : abus de confiance, escroquerie, actes de terrorisme, blanchiment d'argent, recel, usage de menace ou de violence à l'égard d'un agent public et atteinte à la vie d'autrui par la diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle.

Il est fréquemment évoqué, notamment lors de l'examen de la loi de finances, l'opportunité d'élargir une nouvelle fois ce mécanisme de suspension automatique à de nouvelles infractions. Toutefois, en menant la présente mission, les rapporteurs se sont aperçu qu'il convenait surtout de s'assurer de l'application effective des mesures déjà votées.

III. UNE ABSENCE D'ARTICULATION ENTRE AUTORITÉ JUDICIAIRE ET ADMINISTRATION FISCALE QUI CONDUIT NOTAMMENT À L'INAPPLICATION DU MÉCANISME DE SUSPENSION AUTOMATIQUE DE L'AVANTAGE FISCAL DEPUIS 2009

A. L'ADMINISTRATION FISCALE N'A PAS À CONSTATER ELLE-MÊME LES INFRACTIONS, CELLES-CI RELEVANT DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

Il convient de souligner que même si l'administration fiscale exerce un contrôle de la régularité des dons aux associations, elle n'est pas juge au fond de la légalité des actions que mènent les associations .

Les rapporteurs de la mission ont conscience des difficultés que cela engendre chez les personnes victimes de ces infractions et pour les activités qui sont attaquées . D'un autre côté, les associations peuvent aussi compter parmi leurs membres des personnes qui commettent des actes illégaux, sans même le savoir ni a fortiori cautionner leurs agissements. La détermination des infractions, et notamment le fait de savoir si une infraction a été commise par une personne en son nom propre ou si elle a été soutenue par une association, relève avant tout de la procédure judiciaire, et non de l'action de l'administration fiscale .

L'articulation entre l'exercice de la justice pénale et le contrôle de l'administration fiscale est donc essentielle dans la mise en oeuvre des mécanismes de suspension de la réduction fiscale pour les dons aux associations .

B. UN MÉCANISME DE SUSPENSION AUTOMATIQUE DE L'AVANTAGE FISCAL QUI N'A JAMAIS ÉTÉ MIS EN oeUVRE DEPUIS SON INSTAURATION EN 2009, FAUTE DE CIRCUIT ÉTABLI ENTRE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE ET L'ADMINISTRATION FISCALE

La décision pénale définitive de condamnation au titre de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts est censée emporter la suspension automatique des avantages fiscaux pour les organismes concernés, mais cela requiert que l'administration fiscale en soit informée et qu'elle l'applique .

Or, les rapporteurs ont pu constater au cours de la mission que cette disposition n'a jamais été mise en oeuvre depuis 2009 , l'année où elle a été introduite dans le code général des impôts : « aucun circuit de mise en oeuvre de cette procédure n'a encore été défini depuis la création de cette dernière par la loi n°2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 et elle est par conséquent restée ineffective depuis cette date . » 2 ( * ) .

Il est pour le moins préoccupant que le mécanisme de suspension automatique du bénéfice de la réduction fiscale voté en 2009 n'ait toujours pas été appliqué.

Les rapporteurs recommandent donc de mettre très rapidement en place les outils permettant d'appliquer le mécanisme de suspension automatique de la réduction fiscale pour les dons aux associations en cas de condamnation pénale définitive pour certaines infractions.

Pour que le dispositif du II de l'article 1378 octies du code général des impôts puisse être appliqué, il convient premièrement de définir les modalités de transmission des informations utiles entre les juridictions pénales et les services de la direction générale des finances publiques . La direction générale des affaires criminelles et des grâces a évoqué la possibilité pour les juridictions pénales de transmettre à l'administration fiscale la liste des décisions définitives concernées par les dispositions du II de l'article 1378 octies du code général des impôts. En sens inverse, il est nécessaire que l'administration fiscale communique à la direction des affaires criminelles et des grâces la liste des organismes à but lucratif faisant appel à la générosité du public .

Il est indispensable que tout soit mis en oeuvre pour que ce contrôle soit rendu opérationnel le plus rapidement possible, afin que soit préservée la double relation de confiance au fondement du régime fiscal des dons .

Les recommandations des rapporteurs

à destination de la direction générale des finances publiques
et de la direction des affaires criminelles et des grâces

1. Définir dans les plus brefs délais un circuit d'information entre l'autorité pénale et l'administration fiscale permettant la mise en oeuvre effective de la procédure de suspension automatique de la réduction fiscale pour les dons aux associations ayant fait l'objet d'une condamnation pénale définitive au titre de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts.

2. Produire des statistiques sur le nombre d'associations condamnées en vertu de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts.

3. Finaliser les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle procédure de contrôle de la régularité des dons aux associations issue de l'article 18 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, et mettre rapidement en place un suivi quantitatif des décisions qui ont été prises sur son fondement.


* 1 Direction générale des finances publiques, réponses aux questions des rapporteurs.

* 2 Direction des affaires criminelles et des grâces, réponses aux questions des rapporteurs

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