II. DES DIVERGENCES SUR LES RÉPONSES

Toutefois, ce constat partagé ne permet pas de dégager des solutions communes.

Les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution ne sont pas demandeuses de profondes évolutions institutionnelles, seulement d'aménagements à la marge. Elles sont globalement satisfaites de leur statut.

La majorité des souhaits d'évolution exprimés n'appelle pas directement de modifications de la Constitution, à l'exception de celui de la Polynésie française d'inscrire dans la loi fondamentale le fait nucléaire polynésien et de donner valeur législative aux lois de pays.

Certaines dispositions de l'article 74 pourraient néanmoins être précisées. Le contenu attaché à la notion de collectivités « dotées de l'autonomie » pourrait ainsi être renforcé.

Enfin, à propos d'un projet de refonte globale du cadre constitutionnel des outre-mer, qui mettrait un terme à la dichotomie DOM-COM, certaines collectivités de l'article 74 se sont exprimées contre (Saint-Martin, Polynésie française), les autres demeurant ouvertes, sous réserve que cette refonte ne remette pas en cause leur statut actuel et leur autonomie.

Les collectivités régies par l'article 73 ont exprimé des orientations parfois opposées.

D'un côté, la Guyane et la Martinique dans une moindre mesure ont exprimé une volonté forte d'évolution. Elles souhaitent en particulier obtenir un pouvoir normatif autonome dans de nombreux domaines de compétence. Or, leur statut de collectivité de l'article 73 les en empêche. La Guyane va plus loin en demandant une mention particulière dans la Constitution qui garantirait son autonomie. En revanche, le basculement vers l'article 74 n'a pas été formulé. Même constat pour la Martinique.

De l'autre, Mayotte et le département de La Réunion demeurent attachés au statu quo. Le département de La Réunion souhaite le maintien de l'amendement dit Virapoullé. Un partenariat renouvelé avec l'État, mettant l'accent sur la co-construction des politiques publiques et des consultations appuyées en amont, est plébiscité. Toutefois, la région de La Réunion est favorable à la suppression de l'amendement Virapoullé et semble ouverte à de nouvelles compétences.

Entre les deux, la Guadeloupe est ouverte à des évolutions, mais sans position totalement arrêtée.

III. TROIS SCÉNARIOS POUR OUVRIR LE CHAMP DES POSSIBLES

Ce bilan des auditions a conduit la délégation à dégager trois principaux scénarios. Les scénarios 2 et 3 sont privilégiés si une possible majorité des 3/5ème se dégage. La révolution des méthodes, développée dans le scénario 1, doit néanmoins être engagée dans tous les cas de figure et sans attendre une éventuelle révision constitutionnelle. L'efficacité des politiques publiques doit être la boussole de l'action et la question institutionnelle ne doit être posée que si elle permet de renforcer cette efficacité.

Premier scénario : statu quo constitutionnel, révolution des méthodes

Le premier scénario est celui du statu quo constitutionnel accompagné toutefois d'une révolution des méthodes.

Cette option ne toucherait donc pas aux articles 73 et 74 dont une révision consensuelle n'est pas acquise dans le contexte politique actuel. Toutefois, elle ne saurait être synonyme d'immobilisme, l'État devant réinterroger complètement son organisation sur les territoires et ses méthodes d'élaboration des lois et décrets.

En effet, une révolution des méthodes est indispensable, quelles que soient les réformes constitutionnelles ou institutionnelles envisagées.

Six recommandations paraissent particulièrement intéressantes pour mettre les outre-mer au coeur de la fabrique de la loi :

Consacrer chaque année au Parlement une semaine législative ou de contrôle aux outre-mer au cours de laquelle une loi annuelle d'adaptation serait examinée - issue d'un projet de loi ou à défaut d'une proposition de loi. Des travaux de contrôle pourraient aussi être menés à cette occasion ;

- Consulter les outre-mer au stade des études d'impact. Un travail majeur reste à faire pour que l'adaptation des dispositifs aux spécificités des outre-mer soit examinée dès l'élaboration des avant-projets de loi et de décret. Et non à la toute fin. C'est à ce stade des études d'impact que les collectivités ultramarines devraient être consultées ;

- Lancer une revue générale des normes outre-mer code par code, afin de balayer les dispositions techniques inadaptées. Cette revue générale se ferait en concertation étroite et directe avec chaque territoire ;

Expérimenter outre-mer une déconcentration massive de l'État autour du préfet pour réellement co-construire les politiques publiques sur les territoires, pas à Paris ;

- Aller vers un État accompagnateur, notamment dans la mise en oeuvre des procédures d'habilitation de l'article 73 ;

Renforcer massivement les moyens de la DGOM pour qu'elle joue pleinement son rôle de pilotage et d'évaluations des politiques publiques outre-mer.

Deuxième scénario : modifier et compléter les articles 73 et 74 de la Constitution

Cette option consisterait à compléter les articles 73 et 74 par plusieurs dispositions, afin de mettre à la disposition des outre-mer de nouveaux outils, en particulier pour les collectivités de l'article 73 demandeuses.

Ce scénario évite le reproche d'immobilisme, sans ouvrir en grand le débat institutionnel. Il ouvre le champ des possibles. Toutefois, un défaut est de brouiller un peu plus le cadre constitutionnel des outre-mer, en érodant encore les différences entre les collectivités de l'article 73 et celles du 74.

Plusieurs modifications seraient souhaitables, notamment :

Réécrire le second alinéa du Préambule de la Constitution afin de supprimer la mention anachronique aux territoires d'outre-mer ;

- Affirmer le principe de l'adaptation des normes aux spécificités des outre-mer en prévoyant une obligation d'adapter, sauf à justifier de la non-nécessité d'une adaptation. Aujourd'hui, c'est l'adaptation qui est une simple faculté et qui doit être justifié. L'étude d'impact serait le document maître pour décliner ce principe ;

- Ouvrir aux collectivités de l'article 73 la faculté d'exercer un pouvoir normatif autonome. Cette faculté pourrait prendre la forme d'une extension permanente des habilitations préalablement obtenues, sous réserve que le statut du territoire le prévoit et ait recueilli le consentement de la population. Si un pouvoir normatif autonome était ainsi admis pour les collectivités de l'article 73 demandeuses, un amendement Virapoullé modifié excluant La Réunion de ce dispositif serait imaginable. De la sorte, La Réunion pourrait désormais recourir à la procédure d'habilitation (qui s'exerce sous le contrôle du Parlement et du Gouvernement faut-il le rappeler), mais continuerait à se distinguer parmi les collectivités régies par l'article 73 en s'interdisant tout pouvoir normatif autonome.

Reconnaître aux collectivités de l'article 74, le droit à exercer toutes les compétences, à l'exception des compétences régaliennes, et selon un calendrier choisi par elles.

En revanche, il ne serait pas fait droit aux demandes de mention particulière du statut de certains territoires dans la Constitution, notamment la Guyane et la Polynésie française.

Troisième scénario : vers un cadre constitutionnel rénové pour les outre-mer

Cette option reprend directement une proposition issue des travaux de Michel Magras en septembre 2020.

Cette proposition d'un cadre constitutionnel entièrement rénové part du constat que la réforme constitutionnelle de 2003 a d'ores et déjà conduit à un paysage institutionnel et juridique des outre-mer très éclaté, brouillant les lignes de partage traditionnelles.

Pour autant, la distinction binaire entre les articles 73 et 74 subsiste et prive les outre-mer de l'article 73 de l'accès à certains outils juridiques réservés aux collectivités de l'article 74. Elle alimente aussi des crispations sur la question des institutions - la peur de basculer dans « l'enfer » de l'article 74 ou au contraire de reculer sur l'autonomie - au détriment d'une approche plus pragmatique, interrogeant d'abord l'efficacité du statut pour conduire les politiques souhaitées sur les territoires.

Dès lors, un cadre unifié aurait plusieurs avantages.

Il serait assimilable à une boîte à outils au sein de laquelle chaque outre-mer pourrait choisir ceux qui lui conviennent dans le cadre d'une loi organique sur-mesure. La disparition des articles 73 et 74 ne constituerait pas l'absorption de l'un des régimes par l'autre, mais plutôt une addition garantissant à chaque collectivité de pouvoir placer librement le curseur de ses compétences, de son autonomie, de sa différenciation normative.

Toutefois, ce scénario 3, qui est juridiquement et intellectuellement le plus satisfaisant, doit encore convaincre. Le travail de pédagogie doit être amplifié, compte tenu des réactions observées. Du côté des acteurs économiques, un nouveau cadre constitutionnel fait craindre un « chamboule tout » institutionnel dont la pertinence pour résoudre les problèmes du quotidien n'est pas établie.

Pour convaincre et rassurer, trois garanties ou préalables sont indispensables.

En premier lieu, ce nouveau cadre constitutionnel ne s'appliquerait pas aux DROM souhaitant continuer à être régis par l'article 73. En effet, cet article ne serait abrogé pour chaque territoire concerné qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi organique fixant son nouveau statut. Il demeurerait donc en vigueur pour ceux des territoires dont la population aurait rejeté le nouveau statut.

En deuxième lieu, il convient de marteler que ce nouveau cadre constitutionnel ne créerait pas d'obligation d'évoluer institutionnellement. Ce cadre constitutionnel rénové serait permissif, sans être prescriptif.

En troisième lieu, ce cadre renforcerait le principe de la consultation et de l'approbation populaire avant toute évolution institutionnelle substantielle.

Ces garanties politiques, juridiques et démocratiques sont des préalables indispensables pour lever les oppositions à une nouvelle page constitutionnelle des outre-mer français.

Délégation sénatoriale aux outre-mer

http://www.senat.fr/commission/outre_mer/index.html

   

Stéphane Artano

Président, rapporteur

Sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon

Micheline Jacques

Rapporteur

Sénateur de Saint-Barthélemy

Vous pouvez consulter le dossier de l'étude :

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-senatoriale-aux-outre-mer/evolution-institutionnelle-des-outre-mer.html

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