E. LE SERVICE NATIONAL UNIVERSEL DOIT ÊTRE ORIENTÉ EN DIRECTION DE L'ENGAGEMENT CITOYEN
Dans le débat public, les objectifs du SNU ont fait l'objet de questionnements . Sa dimension supposée « militariste » est parfois dénoncée, tout comme la conception de l'engagement des jeunes qu'il renverrait. Le syndicat enseignant SNES-FSU écrivait par exemple que : « Les jeunes ont besoin d'école, pas d'un dispositif de domestication qui dévoie les symboles de l'armée au profit d'un projet politique qui vise une fois de plus à affaiblir l'éducation nationale » 36 ( * ) .
La nature du séjour de cohésion, entre engagement civique et retour à une forme de « service militaire », a fait l'objet d'hésitations de la part du Gouvernement, qui ont été dommageables pour l'image du SNU .
Le rattachement en juillet 2022 de la secrétaire d'État chargée du service national universel au ministre des armées et non plus seulement au ministre de l'éducation nationale, alors qu'auparavant la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement n'était rattachée qu'au ministre de l'éducation nationale, avait envoyé le signal d'une volonté politique de rapprocher le SNU des armées.
Dans cette optique, le Président de la République avait déclaré, dans un discours prononcé le 13 juillet 2022 au ministère des armées : « Je vous demande de faire davantage en donnant à nos réserves une nouvelle ambition et en investissant plus et mieux le grand projet de SNU que je porte ». L'enjeu était à la fois de mobiliser le personnel et les centres d'hébergement des armées pour le séjour de cohésion, et de renforcer les liens entre l'apprentissage de la défense et la citoyenneté.
Cependant, il a été souligné à plusieurs reprises au rapporteur spécial que les armées sont « réticentes » à s'impliquer fortement dans le SNU. Elles craignent que le dispositif vienne rogner une partie de leur budget, et surtout, elles estiment n'avoir ni le personnel disponible ni les compétences pour encadrer un nombre aussi important de jeunes. Le ministre des armées lui-même, Sébastien Lecornu, reconnaissait au sujet du SNU que : « Les armées ne veulent pas être utilisées à quelque chose qui les éloignerait trop de leur mission » 37 ( * ) .
En conséquence, le rôle de l'armée dans l'organisation du séjour de cohésion est aujourd'hui limité . Les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel le résume ainsi : « Actuellement, le rôle des Armées tient essentiellement à l'organisation et à la mise en oeuvre de la Journée Défense et Mémoire ainsi qu'à la participation aux actions de formation. » 38 ( * )
Enfin, le projet de généraliser le SNU sur le temps scolaire, et de le mêler à l'obligation scolaire, est un signe que le rapprochement du SNU et des armées n'est plus à l'ordre du jour.
Dans ses visites de centres de cohésion, le rapporteur spécial a pu observer que le personnel des armées jouait en effet un rôle relativement mineur dans l'organisation du séjour de cohésion : la grande majorité des activités ne portent pas sur la défense. On ne peut donc pas dire que le SNU, dans sa forme actuelle, soit « militarisé ».
Or, cette incertitude sur le degré d'implication des armées dans le dispositif a entretenu une véritable confusion sur l'image du SNU dans l'opinion publique, qui a des conséquences même sur les jeunes qui ont participé au séjour de cohésion . L'INJEP, dans son enquête sur les jeunes qui ont effectué le séjour de cohésion en 2021, présente ainsi ce témoignage : « Enfin, une quinzaine de volontaires font part de leur étonnement quant aux réactions suscitées par leur participation au SNU dans leur entourage. Ils constatent la méconnaissance du Service national universel, la confusion persistante avec le service militaire et le maintien d'a priori « négatifs » sur le dispositif : « trop politisé », « trop tourné vers l'Armée », « trop insistant sur le côté République et ordre ». » 39 ( * )
Le rapporteur spécial partage ainsi pleinement le constat de la mission d'information « Culture citoyenne » menée par la commission de la culture du Sénat : « Pour la mission d'information, il est urgent de clarifier les objectifs du service national universel, qui, au gré des interventions politiques, oscillent entre l'héritage du service national et la promotion de l'engagement associatif . » 40 ( * )
Cette clarification est d'autant plus nécessaire que plusieurs signes indiquent que l'acceptabilité sociale d'un SNU qui ressemblerait trop au service militaire serait faible parmi les jeunes.
Entre ces deux « pôles », le civil et le militaire, le rapporteur spécial est favorable à un dispositif qui soit tourné vers la société civile et l'engagement citoyen . Bien entendu, l'armée et l'éducation à la défense peuvent y prendre part, dans un objectif de cohésion de la Nation, mais le coeur du SNU doit rester l'engagement civique.
Si ce rapport s'est concentré sur les problématiques financières du SNU, le projet de généralisation du séjour de cohésion soulève également des questions importantes relatives aux libertés individuelles des jeunes et la façon dont la Nation reconnaît leur engagement .
Or, le Parlement n'a jusqu'à présent pas été saisi de cette question . L'expérimentation a été engagée depuis 2019 sans qu'une véritable loi sur le service national universel n'ait été adoptée. Certes, une loi n'est pas juridiquement nécessaire tant que le dispositif se trouve à un stade expérimental, mais elle serait souhaitable pour qu'il puisse y avoir un véritable débat sur le service national universel .
Recommandation n° 4 : garantir que le Parlement puisse se prononcer sur le service national universel.
* 36 « SNU au lycée, généralisation ou obligation ? », SNES-FSU, 26 février 2023.
* 37 « Sébastien Lecornu, ce ministre très politique taillé pour le costume militaire », Le Figaro, 12 juillet 2022.
* 38 Réponses des services de la secrétaire d'État chargée du service national universel au questionnaire du rapporteur spécial.
* 39 INJEP, « Le SNU un an après : enquête auprès des participants de 2021 », février 2023, page 33.
* 40 Mission d'information sur « La redynamisation de la culture citoyenne : Jeunesse et citoyenneté, une culture à réinventer », Stéphane Piednoir (Président) et Henri Cabanel (Rapporteur), juin 2022, page 136.