B. LES FORCES ARMÉES ET FORMATIONS RATTACHÉES ONT ÉTÉ AFFECTÉES DE MANIÈRE DIFFÉRENTIÉE PAR LES MUTATIONS SUCCESSIVES DU FORMAT EN RESSOURCES HUMAINES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE DEPUIS LA PROFESSIONNALISATION.
1. L'armée de terre, dont le modèle de ressources humaines a été révolutionné par la suspension de la conscription, connait une stabilisation de ses effectifs depuis le début de la programmation militaire actuelle
L'armée de terre est la force sur laquelle la professionnalisation a eu les conséquences les plus importantes en matière d'effectifs. En effet, au moment de la décision de suspendre la conscription, les différentes forces armées n'accueillaient pas les appelés dans les mêmes proportions.
Alors que, en 1996, la proportion des appelés dans l'effectif total était en moyenne de 40 % au ministère de la défense et de 26 % au sein de la Marine nationale, l'armée de terre accueillait 132 319 appelés soit 49 % de son effectif global.
La professionnalisation s'est donc traduite par une manoeuvre de ressources humaines particulièrement complexe pour l'armée de terre qui a permis le recrutement de nombreux militaires professionnels pour compenser le départ des appelés, l'effectif du personnel militaire professionnel de l'armée de terre passant de 105 978 en 1997 à 142 239 en 2002, soit une augmentation de 34 % en cinq ans seulement.
Parallèlement, la professionnalisation s'est traduite par une réduction des occasions pour les civils, en particulier des jeunes générations, de rencontrer l'institution militaire. En dehors des conséquences sur le lien armée-Nation, ce nouvel état de fait a des conséquences importantes en matière de recrutement pour l'armée de terre. L'impératif de jeunesse des armées impose en effet un flux d'entrées conséquent chaque année, de 12 000 recrutements dans l'armée de terre en 2022, ce qui constitue une difficulté renforcée par la disparition progressive de la période de service militaire à partir de 1997.
Postérieurement, l'armée de terre a fait face à une période de déflation rapide des effectifs dans le cadre de la RGPP qui s'est traduite par des départs massifs de cadres expérimentés dont les compétences ne peuvent être reconstituées qu'après une période de plusieurs années, en particulier dans les fonctions opérationnelles qui n'étaient pas identifiées comme prioritaires pendant cette période dont notamment la défense sol-air et les unités très spécialisées du génie.
La programmation militaire actualisée prévoit la réduction de 265 postes dans l'armée de terre entre 2019 et 2025
Enfin, après que l'armée de terre a connu un redressement de ses effectifs entre 2015 et 2018, la trajectoire initiale des effectifs de l'armée de terre fixée au moment de l'adoption de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 prévoyait la création de 1 046 postes supplémentaires dans l'armée de terre au cours de la période. À la suite des actualisations non législatives successives de la programmation militaire, ou ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM), l'armée de terre a connu un infléchissement de la trajectoire de ses effectifs : la trajectoire actualisée à la fin de l'année 2022 prévoit une réduction de 265 postes dans l'armée de terre sur l'ensemble de la période .
Les rapporteurs seront attentifs à ce que cet écart important avec la trajectoire initiale, qui s'explique par les mouvements de redéploiement décidée en cours de programmation, soit pris en compte dans la prochaine loi de programmation militaire.
2. Le redressement relatif des effectifs de l'armée de l'air et de l'espace prévu par la programmation militaire actuelle intervient après une période de déflation qui continue de produire des effets sur le long terme
L'armée de l'air, devenue en juillet 2021 l'armée de l'air et de l'espace 15 ( * ) , accueillait encore 32 674 appelés du contingent en 1996 soit 35% de ses effectifs. La suspension de la conscription, en application de laquelle l'armée de l'air a cessé d'accueillir des appelés à partir de 2002, a eu pour effet une réduction significative du format en ressources humaines de l'armée de l'air étant donné qu'à moyen terme, elle n'a pas été compensée par le recrutement de militaires professionnels : en 2007, le nombre de militaires de l'armée de l'air était inférieur à celui de 1997. La professionnalisation s'est donc traduite par une réduction de 27 % des effectifs globaux de l'armée de l'air entre 1997 et 2007.
Les années 2000 ont été marquées par une nouvelle phase de déflation des effectifs, à l'image de l'ensemble des forces armées. Dans l'armée de l'air, les réformes mise en place entre 2008 et 2016 se sont traduites par la fermeture de 13 bases aériennes en métropole et 4 en outre-mer et par la réduction du nombre des états-majors et directions dont le nombre est passé de 14 à 6.
Cette phase de réduction des effectifs a créé un déficit structurel de main d'oeuvre dans certains domaines dont notamment la sécurité et la protection des bases aériennes (suppression de 30% des postes sur la période), le domaine des mécaniciens aéronautiques (suppression de 4 000 postes sur la période) ou encore dans le domaine de la gestion des ressources humaines (suppression de 600 postes de recruteurs et formateurs entre 2008 et 2015).
Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d'après des données du ministère des armées
La phase de déflation des effectifs de l'armée de l'air a été close à partir de 2016, et programmation militaire 2019-2025 a engagé une dynamique de redressement des effectifs de l'armée de l'air, en prévoyant un renforcement de l'armée de l'air notamment dans le domaine du renseignement et du spatial.
Dans sa version actualisée en 2022, la trajectoire des effectifs de l'armée de l'air et de l'espace prévoit la création de 1 586 postes supplémentaires sur la période 2019-2025 . Le renforcement du format de l'armée de l'air et de l'espace est orienté dans les domaines prioritaires dont notamment le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique et le domaine spatial, qui concentre 264 créations de postes sur la période de la programmation, notamment pour alimenter le commandement de l'espace (CDE), organisme à vocation interarmées créé en 2019 et placé sous l'autorité organique du chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace 16 ( * ) .
Mais il faut relever que 2024 et 2025 représentent 713 créations de poste, soit 45 % de l'augmentation prévue pour toute la LPM . Les rapporteurs seront donc vigilants pour s'assurer que la prochaine programmation intègre une trajectoire cohérente avec les priorités identifiées pour l'armée de l'air et de l'espace en matière d'effectifs.
3. Le format en ressources humaines de la Marine nationale peut être consolidé par la poursuite du redressement des effectifs en cohérence avec les investissements capacitaires qui seront inscrits dans la prochaine loi de programmation militaire
À l'image de l'ensemble des forces armées, la Marine nationale a transformé son modèle de ressources humaines au moment de la suspension de la conscription qui l'a privé d'une ressource représentant 17 906 appelés du contingent en 1996.
La réduction des effectifs engagée dans les années 1990 et prolongée dans les années 2000 a eu pour conséquence de renforcer le recours à l'externalisation ou à l'emploi de civils pour certaines fonctions préalablement assurée par des militaires, dont notamment les fonctions de soutien et le maintien de condition opérationnelle (MCO). C'est également dans ce contexte de déflation que la Marine nationale a fait le choix de développer des unités à équipage optimisé, notamment pour les porte-hélicoptères amphibies (PHA), puis réduits, notamment pour les frégates multimissions (FREMM).
La programmation militaire actuelle a fixé une trajectoire de redressement des effectifs de la Marine nationale. Après mise à jour par les A2PM, la trajectoire actualisée à la fin de l'année 2022 prévoyait un total de 1 088 créations de postes au sein de la Marine nationale sur la période 2019-2025 .
Mais les deux dernières années de la programmation (2024 et 2025) concentrent à elles seules 50 % des créations de postes prévues en sept ans . Les rapporteurs relèvent donc que l'effectivité du redressement des effectifs pendant la programmation actuelle est subordonnée au respect des objectifs ambitieux fixés pour les deux prochaines années.
Enfin la politique de ressources humaines de la Marine nationale se caractérise par le lien direct qui existe entre le format en ressources humaines de la Marine et les investissements consentis pour doter notre flotte militaire de nouveaux bâtiments.
Les ressources humaines de la Marine nationale se caractérisent par leur lien direct avec la trajectoire capacitaire de notre flotte militaire
Il est donc essentiel que la prochaine programmation militaire tire, sur le plan des ressources humaines, toutes les conséquences des choix capacitaires qui seront arrêtés. En particulier, les programmes du porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) et du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération (SNLE-3G) ne pourront être abouti qu'à la condition de constituer les viviers et de générer les compétences nécessaires pour doter les nouvelles capacités de la Marine d'un équipage adapté et dûment formé.
Les rapporteurs seront attentifs à ce que le format en ressources humaines de la Marine nationale soit en cohérence avec sa trajectoire capacitaire, et avec les nouvelles priorités inscrites dans la Revue nationale stratégique de novembre 2022 qui a consacré l'objectif pour la France de disposer, en autonomie, « de capacités permettant de surveiller et de comprendre les actions dans les grands fonds marins » 17 ( * ) .
* 15 v. Ord. n°2021-860 du 30 juin 2021 portant changement d'appellation de l'armée de l'air
* 16 v. arrêté du 3 septembre 2019 portant création et organisation du commandement de l'espace
* 17 Cf. Revue nationale stratégique, novembre 2022, § 198