IV. ALIMENTS CELLULAIRES : ÊTRE VIGILANT POUR MIEUX ENCADRER ET MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE

La mission d'information sénatoriale sur les aliments cellulaires, bien que réservée sur l'utilité sociale de cette innovation, souhaite accélérer la recherche en France pour lever les incertitudes encore nombreuses à leur sujet, et pour s'assurer la maîtrise de la technologie avant qu'elle n'arrive dans nos assiettes.

Si, en Europe, une hypothétique autorisation de mise sur le marché de tels produits ne sera vraisemblablement pas donnée avant horizon 2025, ce temps nécessaire de l'évaluation ne doit pas être perçu comme un frein pour les entreprises européennes face à la concurrence internationale, mais plutôt comme l'opportunité de réfléchir collectivement à un cadre partagé, en particulier en matière de dénomination et d'étiquetage.

Ce délai ne doit pas être non plus le prétexte pour refouler le sujet et faire comme s'il n'existait pas, l'exemple des OGM ayant montré qu'en fermant la porte par principe à une technologie, on est finalement contraint de rouvrir les fenêtres, de façon cette fois subie.

Il est donc urgent de travailler, dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes.

A. RENFORCER LA PROCÉDURE D'AUTORISATION DES NOUVEAUX ALIMENTS ET LE CADRE APPLICABLE AUX ALIMENTS CELLULAIRES

Si en Europe, une autorisation de mise sur le marché d'aliments cellulaires ne sera vraisemblablement pas donnée avant horizon 2025, ce ne doit pas être un prétexte pour faire comme si le sujet n'existait pas. Il est urgent de travailler, dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes. Préparer l'arrivée éventuelle de ce produit sur le marché ne signifie pas la souhaiter mais agir de façon responsable en parant à toutes les éventualités.

C'est en effet la Commission européenne qui est compétente pour autoriser tout « nouvel aliment », c'est-à-dire non consommé avant 1997, comme les insectes ou l'alimentation cellulaire, après avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Les États membres s'expriment à la majorité qualifiée dans le cadre de la « comitologie », mais ils ne disposent pas individuellement d'un droit de veto. Autrement dit, si l'autorisation est donnée, elle est valable sur l'ensemble du marché intérieur, y compris dans les pays où elle aurait été refusée.

Tant qu'une telle autorisation n'est pas donnée, la mission recommande de s'appuyer sur l'amendement de l'ancien député Julien Aubert, à la loi Climat et résilience, qui exclut les aliments cellulaires de la restauration collective - cantines scolaires et administratives, EHPAD, prisons...

Elle propose pour ce faire d'aller plus loin, en réaffirmant plutôt dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation - restauration collective ou pas - tant que le produit n'est pas autorisé dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

Recommandation n° 1 : affirmer dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que les produits ne sont pas autorisés dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

S'agissant de la procédure prévue par le règlement « nouveaux aliments », la mission souhaite instituer une notification automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux - en clair, au Sénat français, la commission des affaires économiques - pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Il n'est pas normal que les parlements ne soient à aucun moment associés ni même informés dans ce processus qui laisse la Commission et les États membres en tête-à-tête pour prendre des décisions importantes.

Recommandation n° 2 : instituer une procédure d'information automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Autre piste pour consolider la procédure du règlement « nouveaux aliments » : la mission propose une analyse systématique des risques sanitaires des nouveaux aliments par l'ANSES, en plus de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Cet avis ne serait que consultatif et servirait à éclairer le débat public en France, sans prétendre concurrencer ou remettre l'avis de l'EFSA, qui effectue un travail remarquable.

Il se justifie par une certaine aversion au risque en France, en particulier en ce qui concerne l'alimentation. C'est pourquoi la mission juge que ce doublon ne serait pas de trop.

Recommandation n° 3 : prévoir dans le code rural et dans le code de la santé publique que l'ANSES procède systématiquement à une analyse des risques sanitaires des nouveaux aliments en complément de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Enfin, que la consommation d'aliments cellulaires soit autorisée ou non sur le marché, force est de constater qu'une quinzaine d'entreprises développent déjà ce produit.

Il y a là des marges de manoeuvre législatives afin de définir un cadre plus strict pour la production d'aliments cellulaires en France, ce qui permettra plus facilement de pousser pour l'adoption d'un tel cadre au niveau européen.

Forger en France un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires et pousser pour son adoption au niveau européen :

Recommandation n° 4 : en particulier, instituer un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Recommandation n° 5 : étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), afin de limiter la concentration des risques sanitaires.