N° 630

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mai 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la situation de la filière cinématographique en France,

Par Mmes Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, Sonia de LA PROVÔTÉ
et M. Jérémy BACCHI,

Sénatrices et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mmes Nathalie Delattre, Véronique Del Fabro, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

AVANT-PROPOS

Notre pays entretient avec le cinéma une relation ancienne et passionnée. Elle donne au 7ème art en France une dimension symbolique et identitaire qui dépasse de très loin son seul poids économique.

Le cinéma a été chronologiquement la première industrie culturelle, c'est-à-dire la première à avoir nécessité pour son expression la mobilisation de moyens, de compétences et de talents nombreux.

Le cinéma rassemble ainsi trois dimensions étroitement entremêlées :

Ø tout d'abord, il est un art à part entière, avec ses codes, ses vecteurs d'expression, par-dessus tout, ses artistes, qui contribuent, par leur vision, à enrichir notre perception du monde, par le biais de la fiction ou du documentaire. La France en particulier a largement contribué à faire émerger la figure du réalisateur, issue de la Nouvelle Vague, comme pièce centrale de l'oeuvre cinématographique ;

Ø ensuite, le cinéma est un secteur économique à part entière. En 2019, dernière année avant la pandémie, les Français ont dépensé plus de 1,44 milliard d'euros en billets. Le cinéma fait vivre une industrie technique de très haut niveau, un réseau dense de salles et des entreprises de production et de distribution, sans parler de dizaine de milliers d'acteurs et figurants. Son écosystème est désormais entrelacé avec celui, devenu dominant, de la production audiovisuelle ;

Ø enfin, le grand écran est le premier des loisirs populaires, plébiscité depuis plus d'un siècle par les spectateurs. Les grands films ont marqué les générations successives et sont entrés dans l'inconscient collectif. La « sortie au cinéma » est un incontournable en famille ou entre amis.

Art, industrie, populaire : sur chacun de ces aspects, le cinéma occupe en France une place éminente. Les pouvoirs publics et la presse lui accordent ainsi une attention soutenue et pleinement justifiée par son importance aux yeux des Français.

La France apparait ainsi à bien des égards comme un îlot de cinéphilie dans un monde où la place du 7ème art est aujourd'hui interrogée et menacée.

Si le cinéma a su se réinventer pour résister à l'irruption de la télévision, d'internet et des plateformes, il est en effet aujourd'hui placé dans une position défensive. La crise pandémique a constitué un traumatisme par son ampleur, mais surtout par des conséquences dont on peine encore à mesurer le caractère transitoire ou définitif. Elle a également révélé, ou accéléré, des évolutions dans les habitudes de consommation des oeuvres qui avaient jusqu'à présent plutôt épargné la France, mais frappé de plein fouet d'autres pays.

Menacé donc, le cinéma jouit cependant en France d'une position enviable, qui se manifeste depuis la fin de la Seconde guerre mondiale par un vaste système de régulation et de soutien sans équivalent dans le domaine des industries culturelles et constamment adapté aux évolutions technologiques. Cela permet à notre pays de poursuivre avec succès deux objectifs : d'une part, créer un terreau favorable à la création, à l'innovation, à l'expression artistique, d'autre part, demeurer un grand art populaire.

Le soutien au cinéma, et par extension à l'audiovisuel, constituent un exemple de politique publique réussie, car menée avec constance depuis les années 50.

Le succès de cette politique et la considération dont il bénéficie obligent cependant le cinéma français à un constant réexamen de ses priorités et de ses instruments.

Constituée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, la mission consacrée au cinéma, composée de trois rapporteurs, a mené une quarantaine d'auditions qui lui ont permis de rassembler un vaste panorama des visions, espoirs et craintes de toutes les parties prenantes du secteur. La mission s'est également déplacée au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), notamment pour assister à la réunion d'une commission d'avance sur recettes et à Martigues, pour visiter les locaux de Provence Studios. Le présent rapport est le fruit de ce travail d'écoute et d'analyse.

Le Sénat a périodiquement souhaité faire le point sur le cinéma. Ainsi, il y a juste 20 ans en 2003, les commissions des affaires culturelles et des finances, avec respectivement les rapports de Michel Thiollière et Jack Ralite L'évolution du secteur de l'exploitation cinématographique1(*), et de Yann Gaillard et Paul Loridant consacré aux Aides publiques au cinéma en France2(*), établissaient un diagnostic complet de la situation. Hasard du calendrier, les deux mêmes commissions présentent ce même mois de mai et « 20 ans plus tard » deux rapports, celui de Roger Karoutchi pour la commission des finances étant consacré aux aides publiques au cinéma. Par ailleurs, l'ancien vice-président du Conseil d'État, Bruno Lasserre, a rendu public un rapport3(*) Cinéma et régulation, à la demande des ministres de l'économie et de la culture, dont la mission a pris connaissance avec beaucoup d'intérêt et s'est inspirée pour une partie de ses recommandations.

Ce foisonnement de travaux complémentaires souligne de nouveau à la fois l'importance, mais également les interrogations qui entourent en permanence le cinéma.

Lors de ses auditions, la mission a ainsi été particulièrement frappée par deux éléments :

- d'une part, le très fort attachement à une organisation d'ensemble du cinéma jugée comme étant à l'origine du maintien d'une production nationale forte et de spectateurs nombreux. De ce point de vue, l'Italie a été régulièrement mentionnée comme un contre-exemple ;

- d'autre part, et corrélativement, une forme de « conservatisme » qui traduit la crainte, tout aussi forte, d'une évolution du système que peu d'interlocuteurs prévoient comme plus favorable. Le maintien et l'amélioration incrémentale semblent être les maitres-mots, à quelques exceptions près, qui appellent à des changements de très grande ampleur, mais dans des sens alors radicalement opposés (suppression pure et simple de la chronologie des médias, soutien public massivement plus important, etc...).

Dans ce contexte, il n'apparait à la mission ni possible ni souhaitable de chercher à bouleverser un écosystème fragile, encore convalescent de la pandémie et qui, sur le fond, constitue un motif très légitime de fierté nationale.

Pour autant, les 14 recommandations issues de ses travaux entendent permettre au cinéma de conforter la place éminente qui est la sienne, en poursuivant sa belle histoire avec la France.

I. LE FABULEUX DESTIN DU CINÉMA FRANÇAIS

A. UNE TERRE DE CINÉMA

La France est une terre de cinéma.

Le 28 décembre 1895, les frères Lumière organisent dans le Grand Café à Paris la première projection publique au monde d'un film. Ce dernier est en noir et blanc, dure 50 secondes et présente simplement « La sortie des ouvriers de l'usine Lumière ».

Le magicien et directeur de théâtre qui devait plus tard se faire un nom dans le cinéma, Georges Méliès, raconte ainsi son expérience4(*) : « À ce spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression. À la fin de la représentation, c'était du délire, et chacun se demandait comment on avait pu obtenir pareil résultat. » Il semble que les frères Louis et Auguste Lumière aient douté de l'intérêt de leur invention, qu'ils auraient plus envisagée comme une forme de curiosité.

Il n'en reste pas moins que le cinéma a depuis cette date conservé un lien particulier avec sa terre natale.

1. Un succès populaire jamais démenti en France
a) De l'essor à l`âge d'or

Dès les années 30 avec l'avènement du parlant, le cinéma connait un essor fulgurant en France comme dans les pays développés. Beaucoup moins onéreux et plus facilement mis à la portée des publics éloignés des grands centres urbains que l'opéra ou le théâtre, le cinéma est alors le seul canal de diffusion de l'image, dans le domaine de la fiction comme de l'information, avec les célèbres « actualités cinématographiques ». Il devient le grand loisir populaire par excellence, alimenté par des productions nationales et rapidement américaines qui conquièrent le marché après la Seconde guerre mondiale (voir infra les accords « Blum-Byrnes » du 28 mai 1946).

Fréquentation cinématographique en France entre 1945 et 2022

(en millions de spectateurs)

En 1947, 432 millions de billets sont ainsi vendus, soit plus de dix séances par Français.

À partir des années 50, le cinéma subit cependant la concurrence très vive de la télévision, et la fréquentation enregistre une rapide diminution jusqu'au début des années 90. Depuis lors, la fréquentation a eu tendance à augmenter, hormis durant la période pandémique, pour atteindre 213 millions de spectateurs en 2019, le meilleur total depuis 1966.

La chute de fréquentation des cinémas est un mouvement observé partout dans le monde. Elle traduit la fin du monopole du cinéma sur l'image en mouvement et la démocratisation de l'accès aux films comme à l'information. Très rapidement, les oeuvres cinématographiques seront ainsi diffusées sur les écrans de télévision - avec les célèbres « bandes noires » qui ont longtemps signalé sur les écrans le format spécifique de l'écran de cinéma.

b) La place singulière de la France

Si la France s'inscrit dans la décrue observée dans les autres pays, elle s'en singularise cependant par la permanence d'un public très attaché au cinéma.

Entrées comparées France, Royaume-Uni, Allemagne et Italie, 1955-2019

(en millions de spectateurs)

La chute de fréquentation est particulièrement frappante chez nos partenaires européens, qui nous dépassaient tous très largement en 1955. La France ne devance la Grande-Bretagne que dans les années 70, puis l'Italie et l'Allemagne dans les années 80. Elle n'a par la suite plus été dépassée, confortant sa première place en Europe.

Cette analyse peut être affinée et étendue en considérant la fréquentation moyenne par habitant. La baisse est particulièrement brutale en Italie, pendant longtemps considérée comme la première terre de cinéphilie en Europe, à la fois pour son succès populaire, mais également pour la qualité de sa production nationale.

Ainsi, après une chute de « seulement » 36 % des entrées entre 1955 et 1967, l'Italie subit de plein fouet à partir du milieu des années 70 la déréglementation de l'audiovisuel au profit du secteur privé, qui voit éclore six réseaux nationaux et plusieurs centaines de stations locales. La fréquentation des cinémas n'a depuis cessé de baisser, jusqu'à moins de deux entrées par personne et par an en 2019. Les études expliquent ce phénomène par le changement de la législation qui a en retour provoqué une grave crise de toute une industrie autrefois prestigieuse.

Dans ce schéma, la France se rapproche de l'autre grand pays de cinéma que sont les États-Unis, avec des niveaux proches de fréquentation par habitant et par an. Ainsi, en 2019, dernière année avant la pandémie, un Français va en moyenne au cinéma un peu plus de trois fois par an, un Américain près de quatre fois, un italien et un allemand nettement moins de deux fois.

Fréquentation moyenne par habitant depuis 1955 en France, Italie, Grande-Bretagne, Allemagne et États-Unis

(Entrées par habitant)

Cette tendance s'est d'ailleurs poursuivie en 2021, année encore marquée par la pandémie, mais durant laquelle les salles ont bénéficié de réouvertures au moins partielles.

Baisse de fréquentation par habitant entre 2019 et 2021

Concrètement, et par habitant, les Français sont ainsi autant allés au cinéma en 2021 que les Allemands en 2019.

2. Un parc de salles en constante progression

Le cinéma suppose l'existence d'un parc de salles accessibles et régulièrement modernisées pour répondre aux attentes du public.

De ce point de vue, la France confirme largement son intérêt pour le cinéma.

Ainsi, par rapport aux autres pays, le nombre d'écrans a progressé de manière significative en 10 ans. L'augmentation est de 12 % en France, contre 5 % en Allemagne, l'Italie connaissant une baisse de 2 %.

Nombre d'écrans en France, Italie et Allemagne entre 2010 et 2020

Le cinéma français résiste beaucoup mieux sur le long terme que les cinémas des autres pays européens en termes de fréquentation, soutenu par un puissant réseau de salles.

B. UNE PRODUCTION NATIONALE ABONDANTE

Le succès du cinéma en France est aussi, et peut-être avant tout, celui du cinéma français. Il semble en effet exister, dans la plupart des pays, une corrélation entre la production nationale et l'intérêt du public pour le 7ème art, manifesté par les entrées.

1. Le goût du cinéma français

De manière générale, le cinéma français préserve sur le long terme une part constante face au cinéma américain, de l'ordre de 40 % contre 47 %.

Part de marché comparée du cinéma français, américain et reste du monde depuis 2012

Cette situation relativement proche de l'équilibre est un cas unique en Europe, voire dans le monde, si on exclut les marchés très spécifiques de l'Inde et de la Chine.

Part de marché du film national en Allemagne, Italie et France

(en %)

La France apparait par rapport aux autres pays comme celui dans lequel les films nationaux ont la part de marché la plus importante. La seule exception concerne l'Italie en 2020, où la comédie « Tolo Tolo », sortie le 1er janvier, a rassemblé près de sept millions de spectateurs, soit un très grand succès à l'échelle du cinéma européen.

Logiquement, on observe une corrélation inverse avec la part de marché, partout dominante cependant, du film américain.

Part de marché du film américain (en %)

Si les films américains sont extrêmement populaires en France, ils le sont donc moins que dans les autres pays européens. Dès lors, le marché français pour les films français parait relativement préservé.

Il faut cependant relever une différence de nature entre ces deux types de cinéma. Ainsi, entre 2013 et 2022, le nombre de films français présents parmi les dix plus gros succès annuels ne dépasse 50 % que pour la seule année 2018. Le haut du box-office reste de fait très largement dominé par les films américains.

2. Une production qui se situe à un haut niveau

La production française de films demeure très supérieure en nombre à celle des autres pays comparables, même si les dernières années ont eu tendance à voir se réduire cet écart - il reste encore à établir le bilan sur le moyen terme de la pandémie de Covid.

Entre 2005 et 2019, le nombre de films produits en France est ainsi systématiquement au-dessus de ses voisins. Les tendances récentes montrent cependant un rattrapage accéléré de ces pays qui doit interroger notre politique de soutien.

Nombre de films produits en France, Allemagne et Italie entre 2005 et 2019

Cette vitalité et diversité de la production française représentent manifestement une des racines du succès en termes d'entrées du cinéma français.

C. UNE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE

Enfin, le cinéma français remporte dans le reste du monde un réel succès critique, dont témoigne sa place privilégiée dans le palmarès des trois plus grands festivals de cinéma : la Palme d'or du Festival de Cannes, attribuée pour la première fois en 1939, Le Lion d'or de la Mostra de Venise, attribué depuis 1949, et l'Ours d'or du Festival de Berlin, attribué depuis 1951.

Prix par nationalité dans les trois principaux festivals de cinéma

 

Palme d'or

Lion d'or

Ours d'or

Total

France

10

13

9

32

Italie

5

11

8

24

États-Unis

13

9

14

36

Au-delà des prix, le cinéma français a exercé une grande influence sur le reste du monde, en particulier avec la génération dite de la « Nouvelle Vague » qui à la fin des années 50 révolutionne le cinéma, alors jugé trop classique et académique. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jacques Rivette et Agnès Varda sont aujourd'hui des figures reconnues dans le monde entier, et ont su conquérir succès critique et spectateurs.

Pays de naissance du cinéma, la France est donc aujourd'hui un acteur singulier du cinéma mondial, de par l'appétence du public, mais aussi la diversité et la qualité de ses productions nationales, reconnues aussi bien par son public qu'au niveau critique.

D. LE CINÉMA À L'ÉPREUVE DE LA PANDÉMIE

1. Une crise existentielle

Alors que le cinéma en France vivait une période presque euphorique, avec des fréquentations en salle proches des records, la crise pandémique s'est brutalement imposée comme un sujet majeur, posant une question existentielle à tout un secteur.

Ainsi, comme s'en faisait l'écho le rapporteur pour avis de la commission de la culture, également co-rapporteur de la présente mission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 20235(*), le cinéma a traversé en fin d'année 2022 une forte zone de pessimisme et d'incertitude, relayée par une presse aux accents alarmistes : « Chute de la fréquentation des salles : à qui la faute ?6(*) », « Panique à bord du cinéma français »7(*), « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise »8(*).

Ce cri de détresse a révélé une perte de confiance latente et profonde, dont le présent rapport se fait d'ailleurs l'écho. Il convient cependant de distinguer ce qui relève de la conjoncture, avec un retour en salle difficile suite à la crise pandémique, d'un bouleversement plus structurel de l'offre9(*) et des modes de consommation des oeuvres culturelles.

Le cinéma et l'audiovisuel ont bénéficié d'un soutien massif de l'État pour leur permettre d'affronter la crise, en plus des dispositifs de droit commun : 86,2 millions d'euros en 2020, 182,2 millions d'euros en 2021 et 44,2 millions en 2022, soit un total sur ces trois années de 313 millions d'euros. Ces fonds ont permis d'éviter des conséquences probablement fatales pour le secteur de l'exploitation comme de la production. Pour autant donc, l'interprétation de la reprise s'avère complexe.

2. Une reprise en pente douce

Les salles sont restées fermées 162 jours en 2020 et 138 jours en 2021. La reprise s'est faite en mode « dégradée ». La grande crainte était alors celle d'une perte d'habitude définitive des spectateurs.

Les discours très pessimistes du mois d'octobre se focalisaient sur les entrées alors prévues de l'année 2022, estimées à 155 millions. Les chiffres définitifs sont finalement légèrement inférieurs, avec 152 millions d'entrées.

Cette fréquentation peut être interprétée de plusieurs manières. Côté pile, elle s'établit en hausse de près de 60 % par rapport à 2021, alors même que 2022 a été elle aussi marquée par des restrictions jusqu'au mois de mars. Côté face, la fréquentation est toujours en retrait de près de 27 % par rapport à la période 2017-2019, même si sur la même période, l'Italie enregistrait une baisse des entrées de 52,7 %, l'Espagne de 40,7 %, l'Allemagne 31,6 % et les États-Unis de 33,8 %.

Le constat peut donc paraitre mitigé. Il doit cependant être nuancé.

D'une part, si une fréquentation de 152 millions de spectateurs peut décevoir, il convient de rappeler que la moyenne des années 80 était très inférieure, avec 135 millions de spectateurs. En réalité, si l'année 2022 est une déception c'est parce que le monde du cinéma attendait un retour à la normale plus rapide, qui ne s'est pas produit.

Évolution des entrées

(en millions de spectateurs)

Moyenne par décennie

(en millions de spectateurs)

 
 

Dès lors, si l'on ne peut se satisfaire du niveau de fréquentation de 2022, il demeure prometteur pour la suite, en ne marquant pas une rupture historique.

D'autre part, des facteurs propres à l'offre même dans les salles peuvent expliquer le niveau contrasté de la reprise.

En plus des restrictions sanitaires, l'année 2022 a en effet été marquée par deux grandes tendances :

- première tendance, la faiblesse en volume de l'offre de films américains. Alors que la moyenne sur la période 2017-2019 est de 129 films par an, les années 2020, 2021 et 2022 ont été particulièrement sinistrées, avec respectivement 55, 78 et 69 sorties en France. Cela traduit l'arrêt presque total de la production américaine pendant la crise, notamment en Californie, mais également les hésitations des studios sur leur rapport à la salle de cinéma. Or le succès du cinéma américain est intimement lié à celui du cinéma français, non seulement par le financement, mais aussi par l'attention qu'il permet de porter sur les salles. Les spectateurs peuvent aller voir un « blockbuster », mais en profiter pour découvrir un autre film ;

- seconde tendance, l'offre de films français, si elle a été abondante, a manqué de « têtes d'affiche ». En témoigne ainsi l'absence, pour la première fois depuis 1989, d'un film français dans le « Top 10 » des fréquentations, intégralement dominé par les productions américaines.

Aucun film français dans les dix premières entrées en France en 2022

1. Avatar : La Voie de l'eau, 6 870 704 entrées

2. Top Gun : Maverick, 6 676 052 entrées

3. Les Minions 2 : Il était une fois Gru, 3 874 478 entrées

4. Jurassic World : Le Monde d'après, 3 480 898 entrées

5. Black Panther : Wakanda Forever, 3 419 661 entrées

6. Doctor Strange in the Multiverse of Madness, 3 390 574 entrées

7. The Batman, 3 032 965 entrées

8. Thor : Love and Thunder, 2 872 052 entrées

9. Les Animaux fantastiques 3, 2 752 361 entrées

10. Uncharted, 2 514 261 entrées

Cette relative faiblesse de l'offre française se retrouve dans la répartition des entrées. Ainsi, en 2022, 30 films ont réalisé plus d'un million d'entrées et 16 plus de deux millions d'entrées. Ce niveau est très inférieur à celui observé avant la crise, avec 51 films à plus d'un million d'entrées, en moyenne, chaque année et 22 à plus de deux millions.

3. Une année 2023 pleine de dangers

Il est bien entendu impossible de prédire à date les résultats de l'année 2023. L'ensemble des personnes entendues dans le cadre de la mission se sont cependant montrées extrêmement confiantes, en particulier au regard des sorties prévues, avec de grosses productions comme Les Trois Mousquetaires10(*) de Martin Bourboulon. L'une des personnes a ainsi estimé que 53 films prévus pour 2023 avaient le potentiel de dépasser le million d'entrées.

Astérix et Obélix : l'Empire du Milieu, de Guillaume Canet, est le premier film français à franchir la barre des quatre millions de spectateurs depuis Qu'est-ce qu'on a tous fait au Bon Dieu ? en février 2019, et devrait logiquement être présent dans la liste des plus gros succès de l'année.

Si rien ne permet donc de conforter un discours alarmiste, le cinéma en salle apparait pourtant encore comme un patient en convalescence, avec des chiffres de fréquentation qui peinent à retrouver durablement le niveau, certes très élevé, d'avant la crise.

Entrées en salles comparées sur les deux premiers mois de l'année

(en millions de spectateurs)

Les données saisonnières doivent cependant être interprétées avec prudence, quelques succès ou déceptions au box-office, dans un marché très concentré, pouvant changer radicalement une année. Ainsi, le mois d'avril 2023, avec 19 millions d'entrées, est supérieur à la moyenne 2017-2019 de 2,7 %.

*

* *

Le succès du cinéma français ne doit cependant rien au hasard. Il se fonde au contraire sur une réelle et ancienne volonté politique, portée et incarnée sur le long terme par un ensemble institutionnel et professionnel unique au monde.

II. LES CINQ PILIERS DU CINÉMA FRANÇAIS

Le cinéma est pour reprendre la célèbre formulation d'André Malraux, « un art, et par ailleurs une industrie ».

La justification du soutien public réside donc dans le constat qu'en son absence, l'art ne pourrait précisément pas survivre aux contraintes industrielles du secteur. Le cinéma français repose ainsi sur la combinaison de cinq « piliers », tous indispensables.

A. PREMIER PILIER : LE CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE, BRAS ARMÉ DU SOUTIEN PUBLIC

1. Une « institution »

Le cinéma français dispose avec le Centre National du cinéma et de l'image animée (CNC) d'un appui financier et institutionnel sans équivalent dans l'ensemble des industries culturelles, et qui a inspiré la création du Centre National du livre (CNL) et du Centre National de la Musique (CNM). La définition du champ de ses missions ouvre aujourd'hui la partie législative du code du cinéma et de l'image animée, ce qui souligne bien son positionnement central dans le secteur et plus largement la place spécifique et enviée du cinéma en France.

Le CNC dispose aujourd'hui d'un statut particulier, à la fois administration centrale de l'État, mais également établissement public placé sous la tutelle des ministres de la culture et du budget.

Le CNC a été créé par un vote à l'unanimité de l'Assemblée nationale constituante du 25 octobre 1946, soit cinq mois après la signature des accords dits « Blum-Byrnes » du 28 mai 1946. En échange d'une annulation partielle de la dette française, ces accords ont mis un terme aux quotas très restrictifs sur les films américains existant depuis 1936.

Dès le 24 septembre 1948 était créée la taxe spéciale additionnelle (TSA), ancêtre de la taxe sur le prix des entrées aux séances organisées par les exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques en vigueur depuis 2007 - et d'ailleurs toujours désignée par l'acronyme de TSA. Le principe, extrêmement novateur à l'époque, consiste à appliquer une taxe sur le prix de l'ensemble des billets vendus dans les cinémas, au profit d'un fonds qui ne bénéficie qu'aux films français. De la sorte est instauré un mécanisme vertueux qui revient à faire financer par les grands succès du box-office, souvent américains, les productions nationales. Aujourd'hui encore, la taxe représente 20 % des ressources du CNC.

Dès son origine, le Centre se voit doté de larges attributions, notamment le soutien aux productions nationales cinématographiques par le biais de subventions ou la coordination d'ensemble de l'industrie. Son champ d'action a depuis lors évolué avec les technologies, avec un fonds de soutien à la production audiovisuelle deux fois plus important que celui dédié au cinéma.

Plus ancien de treize ans qu'un ministère de la culture créé en 1959, le CNC dispose d'une véritable autonomie, qui le place parfois dans la position ambiguë d'un relais des politiques publiques et d'un véritable « lobbyiste » d'un monde du cinéma qui le perçoit comme son allié naturel, voire « sa maison ».

2. Un budget largement autonome

Le CNC dispose de capacités d'action sans commune mesure avec les autres administrations ou établissements publics. Son budget repose en effet sur quatre taxes qui lui sont directement affectées, sans recours - hors période pandémique - aux crédits budgétaires, ce qui le met à l'abri de la régulation budgétaire.

Chacune de ces taxes frappe un secteur particulier. Elles ont par ailleurs évolué pour tenir compte des bouleversements technologiques.

1) La taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA), fondation historique du Centre depuis 1948, est recouvrée et contrôlée directement par le CNC. Elle est assise sur les recettes de la billetterie des salles de cinéma. Son taux est de 10,72 % en métropole et de 5 % pour les départements ultramarins.

2) La taxe sur les services de télévision (TST) est recouvrée et contrôlée directement par le CNC depuis 2010. Elle est divisée en deux fractions : une fraction pour les éditeurs, une autre pour les distributeurs :

a) première fraction : la taxe éditeurs (TST-E) est assise sur les recettes de publicité et de parrainage y compris sur les services de télévision de rattrapage, sur les recettes issues des appels surtaxés et SMS et sur le produit des ressources publiques des chaînes. Son taux est de 5,15 % et l'assiette imposable fait l'objet d'un abattement de 10 millions d'euros réparti entre éditeurs et régies ;

b) seconde fraction : la taxe distributeurs (TST-D). Elle est assise, d'une part, sur les abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision et, d'autre part, sur les abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération de services souscrits dans le cadre d'offres d'accès à internet, dès lors que cet accès permet de recevoir des services de télévision. Pour les distributeurs de services de télévision, la taxe est calculée en appliquant des taux allant de 0,5 % à 3,5 % à la fraction de chaque part du montant des encaissements annuels hors TVA qui excède 10 millions d'euros. Le taux marginal est majoré de 3,3 % pour les éditeurs de service de télévision qui s'auto-distribuent et s'élève donc à 6,8 %.

3) La taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV), créée en 1993, frappait initialement les supports physiques de vidéo, à l'époque les vidéocassettes. Son assiette a évolué avec les modes de consommation : la vidéo à la demande en 2004, les plateformes de streaming payantes établies à l'étranger en 2013 (« taxe Netflix »), les plateformes gratuites en 2016 (« taxe YouTube »).

La taxe est due par les opérateurs établis hors de France, mais visant le marché français, et son assiette intègre par ailleurs les recettes publicitaires tirées de la diffusion de vidéos en ligne. Son taux est de 5,15 %, et 15 % pour les opérations portant sur des contenus à caractère pornographique ou d'incitation à la violence. Elle est recouvrée et contrôlée par la DGFIP, qui prélève 2,5 % de son produit au titre de ses frais de gestion.

Produit des taxes affectées au CNC

 

Prévisions 2023

Prévisions 2024

 % des recettes
en 2024

Taxe sur les entrées (TSA)

137,7

150,4

21 %

TST

465,6

450,7

64 %

dont TST-E

264

262,9

38 %

dont TST-D

201,6

187,8

26 %

TSV

107,5

109,9

15 %

Total

710,8

711

100 %

Les taxes affectées au CNC ont suivi de près l'évolution des technologies pour associer au financement de la création cinématographique et audiovisuelle l'ensemble des acteurs économiques réputés en tirer profit, même si le lien peut paraitre moins évident que pour la TSA.

Sur le moyen terme, les recettes issues des taxes affectées paraissent extrêmement stables, ce qui s'explique en réalité par une politique d'adaptation active de la fiscalité affectée aux besoins du secteur. En témoigne l'évolution de la taxe sur la vidéo en ligne, dont les recettes compensent la baisse de la taxe sur les éditeurs.

Évolution des quatre taxes affectées depuis 2012

Source : CNC, retraitement mission d'information

Les ressources tirées des taxes permettent au Centre de mener une politique de soutien très active à la création cinématographique par le biais du fonds de soutien (voir infra).

3. Un crédit d'impôt dédié

En plus du soutien direct du CNC, le cinéma français bénéficie du crédit d'impôt cinéma (CIC), créé par la loi de finances pour 2004.

Il permet à une société de production, sous certaines conditions, de déduire de son imposition certaines dépenses de production cinématographique. Depuis le 1er janvier 2016, le taux est fixé à 20 ou 30 % selon les oeuvres, dans la limite d'un plafond de 30 millions d'euros par film.

Évolution du crédit d'impôt cinéma (CIC)

(en millions d'euros de dépenses fiscales)

Si l'année 2022 est d'un niveau exceptionnel en raison du rattrapage de la période pandémique, le montant du crédit d'impôt cinéma a tendance à demeurer relativement stable, voire à s'inscrire en baisse depuis 2017. Cela contraste avec « l'explosion » du crédit d'impôt audiovisuel, qui se situait à un niveau légèrement inférieur en 2013, mais a été multiplié par quatre depuis lors. Ce mouvement traduit l'appétence des diffuseurs pour la production de séries ces dernières années, portée par les plateformes de streaming.

En 2021, 216 films ont bénéficié de ce crédit d'impôt.

Évolution comparée des trois crédits d'impôt depuis 2015

Il convient également de mentionner le crédit d'impôt international (C2I), créé par la loi de finances pour 2009 et qui concerne les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles dont la production est initiée par une société étrangère et dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France. Depuis le 1er janvier 2016, son taux est de 30 % et son plafond de 30 millions d'euros par oeuvre. Depuis le 1er janvier 2020, ce taux est porté à 40 % pour les oeuvres à forts effets visuels et dont les dépenses de travaux de traitement numérique effectuées en France s'élèvent au moins à 2 millions d'euros. L'objectif principal de ce dernier crédit d'impôt est d'inciter à une relocalisation des tournages en France, ce secteur étant considéré comme stratégique et porteur d'emplois dans les régions. Il présente lui aussi une progression des dépenses importante, passant de 77 millions d'euros en 2021 à 201 millions d'euros en 2023.

4. Les SOFICA

En plus de l'aide fiscale directe que constitue le crédit d'impôt pour les producteurs, un mécanisme de défiscalisation existe afin d'orienter l'épargne des particuliers vers le cinéma : les SOFICA.

Les SOFICA (SOciétés pour le Financement de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle) ont été créées par la loi du 11 juillet 1985 ainsi que le décret du 2 mai 1995, sous forme de sociétés anonymes constituées par appel public à l'épargne. Elles sont nominativement agréées par le ministre en charge des comptes publics, et disposent d'un visa émis par l'Autorité des marchés financiers (AMF). En 2022, 12 SOFICA ont la possibilité de solliciter l'épargne des particuliers, un nombre stable d'une année sur l'autre.

Ces sociétés d'investissement collectent uniquement des fonds consacrés au financement d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques sous l'égide du CNC. La loi de finances pour 2020 les a prorogés jusqu'au 31 décembre 2023.

La réduction d'impôt pour les contribuables qui investissent dans les SOFICA va de 30 % à 48 % de l'investissement, qui doit en contrepartie rester bloqué pendant une durée minimale de cinq ans. La dépense fiscale est évaluée à 35 millions d'euros en 2023.

Les SOFICA ont collecté en 2020 environ 60 millions d'euros et 73 millions en 2022, qu'elles doivent investir à hauteur de 90 % dans la production cinématographique et audiovisuelle. Elles ont ainsi consacré en 2020 37,3 millions d'euros au cinéma. Entre 2012 et 2021, l'apport des SOFICA au financement des premiers films s'établit à environ quatre millions d'euros par an. Elles sont ainsi présentes dans les plans de financement des films du cinéma français, pour un total compris entre 3 % et 4 % du financement global.

Les SOFICA financent de manière privilégiée les films dits « du milieu », soit environ 70 % des films dont le budget est compris entre deux et huit millions.

Les investissements réalisés par les SOFICA sont en réalité étroitement contrôlés et dirigés par le CNC, qui établit une charte précise11(*) destinée à guider leurs choix. Elles jouent par ailleurs un rôle dans la sélection des films qui pourront être produits, avec un certain succès, puisque 80 % des films nominés aux César ont bénéficié d'un financement des SOFICA.

5. Le soutien direct du Centre

Le CNC propose depuis l'origine des soutiens à l'exploitation, à la production et à la distribution, pour un montant total de 302 millions d'euros en 2023.

Répartition des soutiens du CNC aux différents métiers du cinéma en 2023

(en millions d'euros)

Ces soutiens sont restés extrêmement stables ces huit dernières années, hors dotations exceptionnelles liées à la pandémie.

a) Le soutien à l'exploitation

Le soutien à l'exploitation représente en 2023 un montant total de 90,7 millions d'euros en 2023.

Ce soutien vise à conforter les établissements dans leur politique d'extension et de modernisation. Les cinémas acquièrent ainsi au fur et à mesure un soutien automatique, d'un montant total de 66,5 millions d'euros, qui peut être activé pour financer des travaux d'équipement ou de modernisation, voire créer des salles. En 2023, un peu plus de 2 000 salles devraient en bénéficier pour un montant moyen de 32 790 euros.

Le soutien permet également de soutenir de manière sélective les salles qui offrent une programmation diversifiée, via des bonifications pour le classement en « Art et Essai ». Sur cette seule politique, 1 122 salles touchent un montant moyen de 14 260 euros pour un total de 16 millions d'euros. 37 salles à la programmation dite « difficile » bénéficient chacune de 41 622 euros.

Le classement Art et Essai des salles

Le classement Art et Essai des établissements cinématographiques par le CNC distingue les cinémas réalisant la diffusion d'une proportion jugée importante de films recommandés Art et Essai (films d'auteur, films relevant de cinématographies peu diffusées, intérêt artistique, etc.) par un collège de professionnels. Le niveau de diffusion exigé s'accroît avec la densité démographique.

En 2021, 1 282 cinémas sont classés Art et Essai (63,2 % des établissements cinématographiques actifs), soit 2 831 écrans (45,7 % des écrans) et plus de 484 000 fauteuils (42,2 % du nombre total de fauteuils). Ces établissements réalisent 34,9 millions d'entrées, soit 36,6 % de la fréquentation totale (24,9 millions d'entrées et 38,1 % de la fréquentation en 2020).

Pour obtenir son classement, le cinéma doit proposer des oeuvres cinématographiques dites « Art et d'Essai », soit qui répondent à une ou des caractéristiques attestant de leur caractère artistique ou particulièrement représentatif.

La liste des oeuvres recommandées est établie par le CNC qui confie la procédure de recommandation à l'Association française des cinémas d'Art et d'Essai (AFCAE) dans le cadre d'une convention. Elle se fonde sur l'article D. 210-3 du code du cinéma et de l'image animée, qui définit les critères de la manière suivante :

 OEuvre cinématographique ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique ;

2° OEuvre cinématographique présentant d'incontestables qualités, mais n'ayant pas obtenu l'audience qu'elle méritait ;

3° OEuvre cinématographique reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est peu diffusée en France ;

4° OEuvre cinématographique de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment oeuvre cinématographique considérée comme « classique de l'écran » ;

5° OEuvre cinématographique de courte durée tendant à renouveler par sa qualité et son choix le spectacle cinématographique.

Trois labels complémentaires peuvent être attribués : « Recherche et découverte », « Jeune public » et « Patrimoine et répertoire ».

b) Le soutien à la production

Contrairement à des craintes exprimées publiquement ces dernières années, le montant des aides à la production est resté stable. En particulier, on n'observe aucune déformation en faveur de l'audiovisuel.

Évolution depuis 2017 des soutiens directs au cinéma et à l'audiovisuel

(en millions d'euros)

Cette permanence doit être mise au crédit d'une volonté forte des pouvoirs publics de préserver le secteur du cinéma. En effet, l'explosion concomitante du crédit d'impôt audiovisuel montre l'accélération des investissements dans ce secteur, qui aurait pu conduire suivant une logique purement comptable à un affaiblissement du soutien au cinéma. Tel n'a pas été le cas.

Le soutien à la production est historiquement le « coeur de métier » du CNC, mentionné dès l'article 2 de la loi du 25 octobre 1946 « dans l'intérêt général ». Il se manifeste par une subvention accordée au producteur, suivant un système complexe de soutien automatique et sélectif qui intervient à différentes étapes de la vie d'un film.

L'agrément de production

Les soutiens du CNC sont réservés aux films qui ont reçu un agrément du CNC, délivré par le président du CNC sur la base d'un examen au cas par cas12(*).

Le film doit être destiné à une projection en salle - il existe des aides spécifiques pour la production strictement audiovisuelle.

Il doit être produit par une entreprise remplissant les conditions fixées par l'article 211-3 du Règlement général des aides (RGA) du CNC. Les aides sont réservées aux sociétés établies en France (1°) et qui doivent « Avoir des présidents, directeurs ou gérants, ainsi que la majorité de leurs administrateurs ressortissants français ou assimilés ». Enfin, la société ne doit pas « être contrôlée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales ressortissantes d'États autres que d'États européens » (4°).

Le respect de ce dernier point est parfois l'objet de débats dans le cas de sociétés de production qui ont à leur capital des entreprises extra européennes, et notamment américaines. Le CNC juge alors en fonction d'un « faisceau d'indices », qui permet de s'assurer que le contrôle effectif est bien exercé au niveau européen.

L'agrément des films constitue un « sésame » qui permet aux oeuvres d'accéder non seulement aux aides du CNC, mais également d'être éligibles au crédit d'impôt « cinéma » et au financement des SOFICA.

Ø Le soutien automatique à la production

Chaque producteur ou coproducteur d'une oeuvre cinématographique agréée bénéficie d'un compte de soutien automatique géré par le CNC alimenté par les quatre modes d'exploitation : salles, télévision, vidéo et étranger.

Le soutien généré est réparti entre les éventuels coproducteurs d'un film selon les stipulations contractuelles en tenant compte de la totalité du soutien généré, une part de 150 000 euros étant réservée aux producteurs délégués, et de 50 % au-delà.

La philosophie du soutien automatique est d'être proportionnellement moins importante avec le succès du film en salle. Les barèmes sont en effet très dégressifs, mais les échelons inférieurs restent atteints par les seuls plus grands succès.

Un calcul du compte de soutien généreux pour la plupart des films

Le soutien financier est calculé, pour les films titulaires de l'agrément de production, par application d'un taux au produit de la taxe spéciale sur le prix des places de cinéma. Le montant est fixé sur la base du produit de la TSA, avec les taux suivants : 111,87 % jusqu'à 1,5 million entrées, 85,02 % de 1,5 à 5 millions d'entrées et 8,95 % au-delà de 5 00 millions d'entrées.

Le système demeure cependant généreux. Ainsi, sur les 391 films français sortis en 2019, seuls neuf d'entre eux ont cumulé plus de 1,5 million de spectateurs et ont donc basculé dans la deuxième tranche du barème, un seul dépassant les cinq millions d'entrées.

Sous réserve de l'obtention d'un agrément d'investissement obtenu avant le début des prises de vues, ce soutien peut être investi dans la préparation ou la production d'oeuvres nouvelles : en 2021, 18 % du soutien automatique a été investi en préparation et 82 % en production. 331 entreprises de production cinématographique ont mobilisé 82,6 millions d'euros de soutien automatique, majorations liées aux dépenses effectuées en France et à l'emploi du français comme langue de réalisation.

42 % du soutien est mobilisé par dix sociétés, dont Gaumont, Pathé Films, TF1 Films Production, Orange Studio, France 2 Cinéma et UGC. Les autres principaux bénéficiaires du soutien automatique constituent un noyau central de près de 30 sociétés qui totalisent 25,3 % du soutien mobilisé en 2021. 296 sociétés se partagent les 32,8 % du solde du soutien investi en 2021.

Ø Les aides sélectives à la création

Le CNC intervient au moyen de trois dispositifs pour favoriser l'émergence et le développement de projets de longs métrages.

ü Le soutien au scénario

L'objectif principal de ce dispositif est, outre de soutenir les auteurs au cours de la phase d'écriture pour leur permettre de faire émerger un projet en toute indépendance et favoriser ainsi leur liberté de création, de les inciter à s'adjoindre un coscénariste ou un consultant afin d'apporter un regard différent sur leur scénario pour l'étayer et le rendre plus solide.

L'aide apportée est une subvention qui s'élève au maximum à 30 000 € par projet à l'écriture, et 21 000 € par projet à la réécriture.

En 2021, 46 projets ont été soutenus dont 25 aides à l'écriture et 21 aides à la réécriture pour un total de 1,2 million d'euros.

Le degré de sélectivité de cette aide est élevé, oscillant entre 7,4 % et 11 %.

L'aide sélective au scénario

ü L'aide à la conception

Cette aide a été créée en 2011 afin de permettre aux auteurs ayant participé à l'écriture d'un long métrage produit dans des conditions difficiles et sorti en salles l'année précédente, de bénéficier d'un soutien pour travailler sur un nouveau projet.

En 2021, 47 auteurs ont bénéficié d'une aide à la conception de longs métrages de 15 000 € chacun. Dans le cadre du soutien exceptionnel aux auteurs pendant la crise sanitaire, le montant de la subvention a été majoré de 10 000 € à 15 000 € en 2021 et 2022.

Au total, 1,9 million d'euros ont été consacrés aux aides à l'écriture, à la réécriture et à la conception de longs métrages en 2021.

ü L'aide au développement

L'aide au développement, très majoritairement remboursable, est destinée aux producteurs, notamment pour financer des frais d'écriture et d'achats de droits.

En 2021, 3,1 millions d'euros ont été versés au bénéfice de 121 projets présentés par 104 entreprises.

Ø Les aides sélectives à la production

ü Avance sur recettes

Créée en 1960 et politique emblématique du CNC, l'avance sur recettes a pour objectif de favoriser le renouvellement de la création en encourageant notamment la réalisation des premiers films, et de soutenir un cinéma indépendant, audacieux au regard des normes du marché, qui ne pourrait sans aide publique trouver son équilibre financier.

L'attribution des avances est décidée par le président du CNC après avis d'une commission de membres reconnus au sein de la profession cinématographique, et de personnalités extérieures à celle-ci.

Une réforme de l'avance sur recettes a été amorcée lors du second semestre 2021 pour une phase expérimentale de 6 sessions.

La réforme du dispositif a été pérennisée lors du conseil d'administration du CNC du troisième trimestre 2022. Le dispositif est désormais divisé en quatre commissions (dont une après réalisation).

ü Les aides avant réalisation

la commission « ASR1 » (projets de premiers films) est compétente pour examiner les demandes d'avances avant réalisation présentées pour les premiers films des réalisateurs. Des lecteurs sont aussi mobilisés, uniquement lors des comités de lecture ;

la commission « ASR2 » (projets de deuxièmes et troisièmes films) examine les demandes d'avances avant réalisation présentées pour les oeuvres de réalisateurs ayant déjà réalisé un ou deux film(s) de « long métrage ». Sa création a été actée en 2021 par le CNC et motivée par la difficulté que peuvent avoir ces films à obtenir l'avance, alors même qu'il s'agit de projets souvent difficiles à financer sur le marché.

La mission a pu assister à une réunion de la commission ASR2 au mois d'avril 2023. Elle a ainsi pu mieux appréhender l'investissement dans l'amélioration des projets, qui constitue en réalité une forme de « conseils » pour des oeuvres encore en gestation.

la commission « ASR3 » (projets de quatrièmes films et plus) examine les demandes d'avances avant réalisation présentées pour les oeuvres de réalisateurs ayant déjà réalisé au moins trois films de « long métrage ».

En 10 ans, l'avance avant réalisation a soutenu le financement d'environ 55 films de long métrage par an sur près de 600 projets présentés, dont une vingtaine de premiers films. Les avances les plus élevées octroyées ces dernières années se situent autour de 750 000 euros.

En 2021, l'avance avant réalisation a été attribuée au total à 58 longs métrages, dont 21 premiers films et 15 deuxièmes ou troisièmes films.

ü Les aides après réalisation

Enfin, la commission « APR » (après réalisation) examine les demandes après projection des films terminés. Les avances après réalisation ne peuvent être demandées que par des sociétés de production détentrices d'un mandat de distribution en salles, et pour des films produits avec un déficit de financement. 23 films ont été soutenus en 2021 dont 15 fictions et 8 documentaires.

Le montant des avances est décidé après avis d'un comité de chiffrage et fait l'objet d'une convention entre le producteur et le CNC. Depuis mai 2007, l'avance sur recettes est exclusivement remboursée sur le soutien généré par les résultats du film.

Les avances avant ou après réalisation sont accordées à des oeuvres réalisées intégralement ou principalement en version originale en langue française ou dans une langue régionale en usage en France.

Pour certains projets particuliers, une langue de tournage autre que le français peut être acceptée, notamment dans l'animation ou le documentaire.

En 2021, les conventions signées au titre de l'avance sur recettes (avant et après réalisation) représentent un montant total de 35,5 millions d'euros, qui se répartissent entre 70 conventions avant réalisation pour 32,7 millions d'euros et 27 conventions après réalisation pour 2,8 millions d'euros.

c) Le soutien à la distribution

Ø Le soutien automatique à la distribution

Les films de long métrage français ou de coproduction franco-étrangère peuvent, après délivrance de l'agrément de production, devenir générateurs de soutien financier au profit de l'entreprise qui les distribue.

Le soutien auquel peuvent prétendre les entreprises de distribution est calculé par application de différents taux sur sept tranches de recettes correspondant au produit de la taxe spéciale (TSA). Les sommes inscrites au compte du distributeur sont proportionnelles à la recette du film en salles et destinées à être réinvesties dans la production et/ou la distribution d'une nouvelle oeuvre agréée. Ce soutien est décroissant à partir de 50 000 entrées, et s'annule au-delà d'un million d'entrées.

En 2021, 48 sociétés de distribution ont mobilisé 29,6 millions d'euros de soutien automatique pour financer des minima garantis ou prendre en charge une partie des frais d'édition de 179 films.

Ø Les aides sélectives à la distribution

L'objet des aides sélectives à la distribution est de faciliter la distribution en salles d'oeuvres présentant des qualités artistiques, mais dont la diffusion présente de particulières difficultés.

Ces aides sont regroupées depuis 2006 sous l'égide d'une même commission disposant d'un président unique et constituée de trois collèges ayant des missions distinctes et des membres en propre. Chaque collège attribue des aides pour :

- les films inédits (10,06 millions d'euros pour 243 films et 22 structures aidées) ;

- la distribution de films de répertoire et de rétrospectives. Le montant des aides attribuées en 2021 s'est élevé à 855 000 euros et a porté sur 47 films, 11 rétrospectives et 7 aides à la structure ;

- les demandes d'aide à la distribution de films en direction du jeune public. En 2021, 16 films ont été soutenus pour un montant total de 244 000 €.

Le CNC a mis en place, en 2017, un plan d'aide à la distribution. Le volet sélectif des aides à la distribution a ainsi bénéficié de 3 millions d'euros supplémentaires qui sont principalement destinés à l'aide aux programmes des sociétés de distribution. Les sociétés visées sont celles qui oeuvrent avec dynamisme pour la diversité des films en salles, dont le montant moyen par film a ainsi été sensiblement réévalué.

En parallèle, dans le cadre d'un accord interprofessionnel signé en mai 2016, les distributeurs qui diffusent des films recommandés Art et Essai, dits « porteurs » (c'est-à-dire sur plus de 175 points de diffusion en première semaine), se sont engagés à mieux les diffuser dans les agglomérations de moins de 50 000 habitants et dans les zones rurales. Le non-respect de ces engagements de diffusion peut remettre en cause le montant des aides aux programmes.

Synthèse des aides directes du CNC

Placé au coeur du cinéma français depuis 1946, le CNC a donc développé une politique de soutien pour l'ensemble des acteurs de la filière.

B. DEUXIÈME PILIER : DES FINANCEMENTS ORIENTÉS

Le cinéma français bénéficie d'un engagement public direct important, sous forme du fonds de soutien du CNC alimenté par les taxes affectées et de dispositifs fiscaux spécifiques.

Il repose également, voire même à titre principal, sur un système complexe d'obligations d'investissements des diffuseurs, chaînes et dorénavant plateformes. Ces obligations sont différenciées en fonction du type de service et leur ventilation entre les différentes modalités d'investissement est également fixée de manière très précise.

1. Des obligations en montant pour les diffuseurs

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication fixe le cadre que doivent respecter les chaînes titulaires d'une fréquence hertzienne. Parmi ces dispositions figurent aux articles 27 et 28 des obligations d'investissement dans la production cinématographique et audiovisuelle française et européenne.

Le montant de ces obligations a connu des évolutions depuis 1986. Il est actuellement régi par le décret du 30 décembre 2021, qui établit le montant minimum des obligations, exprimé en fonction du chiffre d'affaires de l'année antérieure.

Ce montant dépend du type de services. Il est logiquement plus élevé pour les services dits « de cinéma » comme Canal Plus ou OCS, que pour les services généralistes comme TF1 ou M6. Les obligations du service public sont pour leur part fixées dans le cahier des charges de France Télévisions.

Les services de cinéma

Défini à l'article 6-2 du décret du 17 janvier 1990, un service de cinéma est « un service de télévision dont l'objet principal est la programmation d'oeuvres cinématographiques et d'émissions consacrées au cinéma et à son histoire. »

On distingue ainsi :

- les services de premières diffusions, qui diffusent annuellement au moins une oeuvre cinématographique en première exclusivité télévisuelle (hors paiement à la séance) ou plus de dix oeuvres cinématographiques en seconde exclusivité, dans un délai inférieur à 36 mois après leur sortie en salles ;

- les services de premières exclusivités, catégorie de services de premières diffusions qui diffusent annuellement en première exclusivité télévisuelle au moins 75 oeuvres cinématographiques dans un délai inférieur à 36 mois après leur sortie en salles (dont au moins 10 d'expression originale française pour lesquelles les droits ont été pré-achetés, c'est-à-dire acquis avant la fin des prises de vues ;

- les services de patrimoine cinématographique, qui diffusent exclusivement des oeuvres cinématographiques au moins 30 ans après leur sortie en salles en France.

La France dispose de quatre services de cinéma : un service TNT payant, Canal Plus et trois services « Cab/Sat » : Ciné+, OCS et AB Cinéma. On peut noter que le projet de rapprochement entre Canal Plus et OCS ne laissera subsister que deux opérateurs dans cette catégorie, Canal Plus et AB Cinéma.

En 2021, les chaînes de télévision ont ainsi contribué à hauteur de 387 millions d'euros à la production cinématographique. La répartition confirme la place dominante du groupe Canal Plus, qui représente un peu moins de 60 % de l'ensemble des investissements des chaînes, contrepartie tant de sa place unique depuis son lancement de chaîne hertzienne payante que de sa position avantageuse dans la chronologie des médias (voir infra).

Répartition des investissements des chaînes en 2021

(en millions d'euros)

L'obligation d'investissement dans la production cinématographique n'a jamais été contestée devant la mission d'information. Elle participe pleinement de la spécificité française et ne fait que formaliser et fixer des investissements que les diffuseurs devraient en tout état de cause réaliser pour alimenter leurs grilles de programme.

Films financés par les diffuseurs (moyenne 2010-2021)

Diffuseur

Nombre de films financés (moyenne 2010-2021)

Montants investis (moyenne 2010-2021)

TF1

14

36,22

France 2

34

35,12

France 3

29

23,18

Canal Plus

126

148,7

Arte

23

8,36 M€

M6

9

18,93

TNT

27

6,32 M€

2. L'arrivée des plateformes

Les obligations ont été étendues aux nouveaux acteurs que sont les services de média audiovisuel à la demande suite à l'adoption de la directive « services de médias audiovisuels » (directive « SMA ») le 14 novembre 2018.

Pour la première fois, particulièrement grâce aux efforts fournis par la France dans les négociations, l'article 13 de la directive retient le principe du pays ciblé pour les contributions au financement de la création, exigées des fournisseurs de services de médias audiovisuels.

Après avoir été initialement envisagée par la transposition dans le cadre du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique déposé au Parlement le 5 décembre 2019, elle a finalement été opérée par l'ordonnance du 21 décembre 2020. Dans le prolongement de cette ordonnance, le décret dit « SMAD » du 22 juin 2021 a réformé les obligations de contribution à la production applicables aux services de médias audiovisuels à la demande pour tenir compte de l'assujettissement des plateformes étrangères aux règles de contribution.

Le niveau retenu pour l'ensemble des obligations est compris entre 20 % et 25 %  ce qui est extrêmement ambitieux et sans aucune comparaison avec les autres pays européens qui peinent à finaliser des accords. Il est permis de penser que l'importance quantitative du marché français pour le cinéma et la cohérence des politiques publiques qui y sont menées en la matière a rendu plus facile la conclusion de ces accords (voir infra).

La transposition de la directive a donc permis de structurer les investissements des grandes plateformes numériques en faveur de la création française.

3. Des obligations sous contraintes

Les engagements des diffuseurs dans la production française et européenne ne se résument pas à des montants.

Ils doivent obéir à trois contraintes principales qui en déterminent largement la nature.

a) La distinction audiovisuel/cinéma

Les investissements sont répartis entre audiovisuel et cinéma. Pour les chaînes hertziennes et France Télévisions, l'obligation d'investissement est exprimée pour chacune de ces catégories en fraction du chiffre d'affaires (15 % pour l'audiovisuel et 3,2 % pour le cinéma pour les chaînes généralistes).

Pour les services de médias audiovisuels à la demande, le dispositif est légèrement différent. Ils doivent, depuis 2021, consacrer entre 20 et 25 % de leur chiffre d'affaires à la production d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles européennes ou d'expression originale française. Les plateformes doivent répartir leurs investissements de manière à ce que ni l'audiovisuel ni le cinéma ne représentent plus de 80 % de l'obligation. Concrètement, et compte tenu de l'appétence pour les séries, l'investissement dans le cinéma se trouve de facto de 20 % de l'obligation, soit entre 4 % et 5 % de leur chiffre d'affaires. Ce « couloir » apparait donc comme très protecteur pour le cinéma, un domaine dans lequel les plateformes peuvent hésiter à investir au vu des règles de la chronologie des médias (voir infra).

b) La production indépendante

Pour des raisons historiques, la France a choisi au moment de la libéralisation des antennes dans les années 80 de limiter le pouvoir des diffuseurs, c'est-à-dire des chaînes, pour éviter une concentration verticale de l'industrie qui irait de l'écran à la production. La solution retenue, appliquée pleinement à partir des années 90 avec les « décrets Tasca », a consisté à contraindre les chaînes à investir l'essentiel de leurs obligations dans la production dite « indépendante ». La notion d'indépendance est précisée juridiquement à l'article 10 du décret du 30 décembre 2021.

Cela revient concrètement à priver les chaînes des droits sur les oeuvres qu'elles ont financées, l'investissement n'ayant pour contrepartie qu'un droit de diffusion sur les antennes dans les termes spécifiés par le contrat13(*).

Cette politique, qui n'a connu que des réformes limitées, est régulièrement critiquée par les chaînes, qui ne peuvent légalement se constituer un catalogue d'oeuvres, sauf à produire via une filiale pour un concurrent. Le débat est cependant plus vif dans le domaine audiovisuel, car il concerne la diffusion de séries et l'association des chaînes à leur succès, que dans celui du cinéma.

Cette contrainte a cependant eu pour effet de contribuer largement à la création d'un écosystème de production française très important, qui n'aurait vraisemblablement pas existé sans cette protection spécifique. Il constitue aujourd'hui le soubassement de la création française en matière de cinéma comme d'audiovisuel. Le risque d'un changement de modèle a cependant été évoqué avec la préférence des plateformes internationales pour un schéma de production intégrée impliquant la concentration de tous les actifs et la rémunération des auteurs au forfait, sur le modèle de la production dite exécutive. En fléchant 75 % de l'obligation de préfinancement en cinéma et les 2/3 de l'obligation de contribution audiovisuelle vers la production indépendante, le décret SMAD a cependant permis d'écarter pour l'instant le risque de déstructuration de l'industrie française et de transformation en simple prestataire d'exécution.

c) Le préachat

La production indépendante aurait cependant des difficultés à se développer si les mécanismes de financement ne facilitaient pas la prise de risques et d'initiatives. Dans ce cadre, les diffuseurs ont non seulement l'obligation d'investir dans la production indépendante, mais également et très majoritairement sous forme de préachat, c'est-à-dire avant le lancement de la production de l'oeuvre. Ce modèle du préfinancement vise à impliquer en amont les diffuseurs et partager ainsi avec eux tant les risques que les bénéfices potentiels du développement et de la production des oeuvres. Il permet, par la sécurité qu'il implique pour les créateurs, de renforcer la diversité de la création.

Le producteur peut ainsi bénéficier des fonds très en amont voire, dans le meilleur des cas, avoir son film intégralement financé avant le début du tournage.

Récapitulatif des obligations des diffuseurs

 

Part du chiffre d'affaires

Part de préfinancement

Part de la production indépendante

Services autres que cinéma (TF1, M6..)

3,2 %

90 %

75 %

France Télévisions

3,5 %

90 %

82,5 %

Services de cinéma (Canal Plus, OCS..)

Entre 12 % et 16 %

80 %

75 %

Services de médias audiovisuels (Netflix, Amazon..)

Entre 4 % et 5 %

Entre 60 % et 80 %

75 %

d) Une baisse récente

Les obligations d'investissement des diffuseurs constituent le coeur du financement de l'audiovisuel et du cinéma en France. Dans ce dernier secteur, les chaînes représentent ainsi le tiers de la totalité des financements.

Cependant, les dernières années ont connu une baisse tendancielle de ces investissements, conséquence tout à la fois de l'attractivité des séries, mais également de la stagnation, voire de la baisse des chiffres d'affaires.

Dès lors, l'inscription dans le système des plateformes est apparue pour le monde du cinéma comme un objectif essentiel, qui a mis plusieurs années à se matérialiser. En effet, une fois la directive « SMA » adoptée en 2018, deux années de négociation, entrecoupées par la pandémie, ont été nécessaires avec les différents acteurs, afin de les insérer de manière harmonieuse.

Évolution des obligations de financement des diffuseurs depuis 2010

(en millions d'euros)

Note : prévision pour 2022 et 2023, sur la base d'une stabilité du chiffre d'affaires des chaînes

L'année 2022 est la première où les plateformes ont eu à remplir l'intégralité de leurs obligations, estimées à ce stade à environ 50 millions d'euros. On peut relever que l'arrivée de ces nouveaux acteurs permet juste au financement du cinéma de retrouver un niveau proche du début des années 2010.

C. TROISIÈME PILIER : LA CHRONOLOGIE DES MÉDIAS, UNE HORLOGE BIEN RODÉE

Unique au monde par son ampleur, sa sophistication, et les débats passionnés qu'elle suscite, la chronologie des médias constitue le troisième pilier du cinéma français.

Les auditions menées par la mission ont montré, si besoin en était, l'attachement de certains acteurs, le scepticisme d'autres, parfois la volonté clairement exprimée d'y mettre un terme.

Sur le fond, la chronologie des médias constitue un ensemble de règles contraignantes qui dicte l'ordre et la durée d'exploitation des oeuvres cinématographiques, en commençant par la salle et en finissant au bout de trois ans par la vidéo gratuite à la demande.

La chronologie a été progressivement introduite en droit français à partir des années 70, comme réponse à l'arrivée de la télévision dans les foyers14(*). La France a donc choisi dès cette période de traiter cette question, alors que l'Italie, pour sa part, laissait le champ libre au secteur audiovisuel, avec les résultats que l'on connait.

La loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle a constitué sa première traduction législative. Depuis 2009, elle est négociée directement entre les professionnels et étendue par arrêté du ministre de la culture. Cette négociation souligne l'interdépendance des différentes parties prenantes entre elles, comme la nécessité d'un accord, sous peine de voir les pouvoirs publics « s'emparer du dossier » avec des résultats toujours incertains, cette menace implicite était au demeurant une puissante incitation à se mettre d'accord.

Le rythme d'évolution de la chronologie s'est beaucoup accéléré ces dernières années, en réponse aux bouleversements technologiques de la diffusion. Une première chronologie négociée a duré neuf ans, entre 2009 et 2018, une deuxième quatre ans jusqu'en 2022.

Celle actuellement en vigueur a été signée le 24 janvier 2022, étendue le 4 février et est prévue pour durer trois ans. Les pouvoirs publics ont fait le choix à cette occasion de mêler deux dossiers en apparence distincts : la chronologie des médias et la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018.

À partir du moment où un film est projeté en salles en France - condition sine qua non pour bénéficier des aides du CNC, d'une part, améliorer sa valeur de catalogue, d'autre part -, il s'insère dans la chronologie des médias. Sauf dérogations, les prochaines années de son exploitation sont alors déterminées et connues de tous.

Ce schéma s'applique à l'ensemble des films, et pas uniquement aux oeuvres ayant bénéficié d'une aide du CNC ou d'un crédit d'impôt.

La chronologie poursuit deux objectifs :

Ø d'une part, protéger la salle de cinéma, en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre. La France a ainsi pu préserver par ce biais le parc de salles le plus important d'Europe. À titre d'exemple, les États-Unis ne protègent les films que 45 jours ;

Ø d'autre part, assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. Ainsi, la position de chaque diffuseur est garantie, et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film, notamment par le biais d'un accord avec les producteurs. Par exemple, le premier financeur du cinéma français avec 200 millions d'euros par an, Canal Plus, peut diffuser les films 6 mois après la sortie en salle.

Schéma de la chronologie signée le 24 janvier 2022

Fenêtre d'exploitation

 

Sortie salle

J

Vidéo physique (fixée par la loi)

J + 4 mois (dérogation possible à 3 mois si le film réalise moins
de 100 000 entrées à la fin de la 4ème semaine d'exploitation)

Exploitation continue : la fenêtre ne se referme pas

Vidéo à la demande à l'acte (aligné sur la vidéo physique)

TV payante

1re fenêtre

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + délai fixé par accord professionnel, compris entre 6 et 9 mois
(Canal Plus, Ciné+, OCS ont conclu un accord à 6 mois)

Fermeture de la fenêtre à 15 ou 17 mois lorsque l'oeuvre
est préfinancée ou acquise par un diffuseur ultérieur

Absence d'accord

J + 9 mois

Fermeture de la fenêtre à 15 ou 17 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée ou acquise par un diffuseur ultérieur

TV payante

2e fenêtre

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 15 mois

Fermeture de la fenêtre à 22 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée
ou acquise par une chaîne en clair ou une TV payante autre que de cinéma

Absence d'accord

J + 17 mois

Fermeture de la fenêtre à 22 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée
ou acquise par une chaîne en clair ou une TV payante autre que de cinéma

Plateformes payantes par abonnement

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 15 mois (Netflix) OU en cas d'accord dit « premium » (hypothèse non encore utilisée) délai fixé par accord, compris entre 6 et 15 mois

- si l'oeuvre est préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite :
fermeture de la fenêtre à 22 mois, sauf accord de coexploitation

- si l'oeuvre n'est pas préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite : fermeture à 22 mois, sauf : film au budget inférieur à 5M€, accord de coexploitation avec une chaîne gratuite, film in house de moins de 25M€.

Absence d'accord

J + 17 mois (Disney +, Amazon Prime Video)

- si l'oeuvre est préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite :
fermeture de la fenêtre à 22 mois, sauf accord de coexploitation

- si l'oeuvre n'est pas préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite : fermeture à 22 mois, sauf : film au budget inférieur à 5 M€, accord de coexploitation avec une chaîne gratuite, film in house de moins de 25 M€.

TV gratuites

Si la chaîne consacre 3,2 % de son CA à la production cinéma

J + 22 mois (TF1, M6, FTV, Arte)

Si la chaîne consacre moins de 3,2 % de son CA à la production cinéma

J + 30 mois

Vidéo à la demande gratuite

J + 36 mois (YouTube, Molotov)

Alors qu'elle était relativement bien acceptée, au pire « tolérée » par les acteurs étrangers, plusieurs événements ont conduit à de fortes tensions autour de la chronologie.

Tout d'abord, le piratage des oeuvres à partir des années 2000 aurait été renforcé en France par la rigidité de la chronologie, qui avait alors pour effet de rendre les films indisponibles entre deux fenêtres d'exploitation.

L'importance du piratage dans les autres pays relativise cependant l'impact de notre système, mais l'attention a alors été portée sur la faculté des spectateurs à voir disparaitre, parfois sur une longue durée, puis réapparaitre des oeuvres. Des sociétés comme Disney avaient d'ailleurs pris pour habitude de retirer leurs oeuvres du marché, pour organiser périodiquement des « nouvelles sorties » en cassette ou DVD, en suscitant à chaque fois un événement. Or, à l'heure de la diffusion massive des produits culturels en ligne, un tel système est apparu dépassé dans les années 2010, et a conduit à des réflexions sur l'exploitation continue des oeuvres. La chronologie de 2022 en tient compte, en posant ce principe d'exploitation continue, qui ne souffre plus que d'une exception entre le retrait du film de la salle et les trois ou quatre mois avant la vente en DVD ou en ligne.

Ensuite, le développement spectaculaire des plateformes comme Netflix a renforcé l'appétence déjà ancienne des spectateurs pour les séries, qui sont rapidement devenues le genre dominant.

Même si la fréquentation des salles, au moins en France, n'en a pas souffert, ces nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché de la production principalement intéressés par leurs propres productions audiovisuelles. Cela aurait pu rompre la solidarité qui a toujours existé en France entre audiovisuel et cinéma, en détournant les investissements du cinéma et en réduisant le chiffre d'affaires, donc les obligations d'investissement, des chaînes nationales. Dans ce contexte, la transposition de la directive « SMA » par l'ordonnance du 21 décembre 2020 et le décret du 22 juin 2021 a permis d'imposer aux plateformes américaines telles que Netflix ou Disney + des obligations de financement d'oeuvres françaises et européennes, notamment déclinées en matière d'oeuvres cinématographiques. Cependant, il aurait été difficilement envisageable de contraindre les plateformes à des obligations d'investissement dans des films de cinéma sans les insérer dans le système de la chronologie, qui ne les reconnaissait alors pas. Les négociations ont donc été menées de front sur le niveau et la nature des investissements comme sur l'inclusion de ces nouveaux acteurs dans le calendrier.

Enfin, la période pandémique a rendu possible une expérimentation littéralement « grandeur nature » sur la diffusion simultanée, ou légèrement décalée, des films sur les plateformes de streaming. Une forte inquiétude s'est alors fait jour sur le futur de la salle, avec une crainte sur la volonté des spectateurs d'y revenir ou pas(voir infra).

Comme l'indiquait le rapporteur pour avis de la commission de la culture, également co-rapporteur de la présente mission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202315(*), « chacun défend ses intérêts ».

Dans l'ordre de la chronologie :

ü les producteurs sont attachés à ce que la chronologie des médias permette aux diffuseurs de bénéficier d'un délai plus favorable s'ils contractent avec les organisations professionnelles. Les producteurs ont ainsi obtenu en 2018 le principe de l'exploitation continue de l'oeuvre, qui est disponible dès sa sortie au moins sur un média ;

Ø les exploitants de salles de cinéma défendent le maintien de leur fenêtre actuelle, dans sa durée et son exclusivité. Ils sont réticents aux expérimentations qui permettraient une exploitation simultanée d'un film à la fois en salles et sur un autre support ;

Ø la filière de la vidéo et de la vente à l'acte revendique l'avancement de sa fenêtre à quatre mois dans certains cas, voire la possibilité d'un service « premium » immédiatement après la salle ;

Ø les chaînes de cinéma payantes entendent conserver leur position favorable dans la chronologie, justifiée selon elles par l'ampleur de leurs investissements dans le cinéma ;

Ø les services de streaming ont vu leur position absolue comme relative s'améliorer, conséquence de leurs nouveaux engagements de financement. Dans le cas où ils n'ont pas conclu d'accord avec les professionnels du cinéma, ils bénéficient en effet d'une fenêtre à 17 mois, contre 36 mois auparavant. Le système de la chronologie, propre à notre pays, constitue cependant pour ces services une forte contrainte, qui leur interdit d'accéder aux revenus de la salle tout en mettant rapidement à disposition de leurs clients des contenus exclusifs. Pour autant, et comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, ils ont la possibilité d'élever leurs investissements au niveau de Canal Plus pour bénéficier d'un accès plus précoce aux oeuvres, ce qu'aucun ne semble prêt à faire pour le moment ;

Ø les chaînes de télévision gratuites cherchent à renforcer « l'étanchéité » de leur fenêtre et demandent à ce que la chronologie des médias prévoie expressément qu'en cas d'accord de coexploitation conclu entre une de ces chaînes et un Service de médias audiovisuels à la demande (SMAD), celui-ci ne pourra diffuser l'oeuvre entre l'ouverture de la fenêtre de la chaîne en clair et l'expiration d'un certain délai suivant la première diffusion de l'oeuvre sur la chaîne. Afin de rendre l'offre de cinéma plus attractive, elles ont obtenu depuis le 7 août 2020, la suppression des jours et horaires dits « interdits » (mercredi et vendredi soir, samedi toute la journée et dimanche avant 20h30) ce qui permet désormais une plus large diffusion de leurs films.

La chronologie des médias constitue un cadre contraignant, parfois difficilement compris ou accepté par ceux qui privilégient la liberté contractuelle en vigueur dans les autres pays. Force est cependant de constater qu'elle est aujourd'hui un pan essentiel de notre modèle d'exposition et de financement du cinéma, et que sa remise en cause profonde aurait de lourdes conséquences pour le secteur dans son ensemble.

D. QUATRIÈME PILIER : FACILITER L'ACCÈS DES SPECTATEURS À LA DIVERSITÉ

La vitalité du secteur cinématographique français est directement liée au système de régulation mis en place par la puissance publique en faveur de la diversité des films et de leur diffusion sur l'ensemble du territoire.

1. Les engagements de programmation

Les engagements de programmation visent à assurer le maintien de la diversité de l'offre cinématographique et à garantir la plus large diffusion possible des oeuvres cinématographiques conformément à l'intérêt général.

a) Un cadre relativement strict

Ce dispositif, issu de l'article 90 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et mis en oeuvre par un décret du 10 janvier 1983, avait à son origine pour objectif d'éviter que les groupements et ententes de programmation imposent une exclusivité aux distributeurs.

Progressivement, les engagements de programmation, codifiés aujourd'hui aux articles L. 212-19 à L. 212-26 et R. 212-17 à R. 212-43 du code du cinéma et de l'image animée, sont devenus un véritable outil de politique culturelle destinés à favoriser la diversité de l'offre et la diffusion des oeuvres sur l'ensemble du territoire.

Conformément à l'article R. 212-30 du code du cinéma et de l'image animée, sont tenus de souscrire des engagements de programmation :

- les groupements et ententes de programmation, dont l'agrément est conditionné à l'homologation par le président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) de tels engagements ;

- les exploitants assurant directement et uniquement la programmation de leurs établissements dont l'activité est susceptible de faire obstacle au libre jeu de la concurrence et à la plus large diffusion des oeuvres en raison de leur importance sur le marché national ou du nombre de salles qu'ils exploitent. Sont concernés les établissements comportant au moins six salles et les établissements qui réalisent ensemble, annuellement, au moins 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain et qui concentrent, dans leur zone d'attraction, au moins 25 % des entrées (ce seuil étant ramené à 8 % pour les établissements situés dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne).

Les engagements de programmation sont soumis pour avis au médiateur du cinéma et homologués par le président du CNC pour une durée de trois ans.

L'accord du 13 mai 2016 sur les engagements de programmation et les engagements de diffusion signé par les professionnels du secteur cinématographique est venu préciser la portée de ce dispositif et lui assigner les objectifs suivants, désormais codifiés à l'article R. 212-31 du code du cinéma et de l'image animée :

ü favoriser l'exposition et la promotion des oeuvres cinématographiques européennes et des cinématographies peu diffusées, notamment en leur réservant un pourcentage de séances et en prévoyant la diffusion, dans chaque établissement, de films sortis sur moins de 80 copies. Les exploitants doivent également maintenir à l'écran des films européens programmés pendant deux semaines et garantir un nombre minimal de séances hebdomadaires ;

ü garantir le pluralisme dans le secteur de la distribution cinématographique, notamment en favorisant le maintien d'un tissu diversifié d'entreprises de distribution et la diffusion d'oeuvres d'Art et d'Essai ;

ü garantir la diversité des oeuvres cinématographiques proposées au spectateur et le pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique, notamment par la limitation de la diffusion simultanée d'une oeuvre au sein d'un même établissement ;

ü favoriser, de façon significative, la promotion gratuite de toutes les oeuvres cinématographiques programmées, notamment par la diffusion de leurs bandes-annonces, au sein des espaces promotionnels des établissements de spectacles cinématographiques.

Ces objectifs ont été renforcés par les lignes directrices arrêtées le 11 avril 2022 par le président du CNC, qui prévoient notamment :

ü une limitation de la multidiffusion par cinéma, c'est-à-dire de la diffusion d'un même film sur plusieurs écrans en parallèle. En fonction du nombre de salles, entre la moitié et les deux tiers des écrans doivent être disponibles pour des films qui ne sont pas multidiffusés ;

ü l'interdiction de la multidiffusion et de la déprogrammation d'un film en cours d'exploitation sans l'accord préalable des distributeurs concernés ;

ü la part minimale, par établissement, de séances annuelles consacrées aux films européens ou relevant de cinématographies peu diffusées et une exposition minimale de ces films à l'affiche de deux semaines, avec la fixation d'un plancher de séances sur deux à quatre semaines ;

ü un engagement sur un nombre minimum de films européens dits « fragiles » sortant dans moins de 80 établissements sur l'ensemble du territoire ;

ü un engagement par établissement sur le respect du pluralisme dans la distribution.

b) Un bilan finalement contrasté

D'après le bilan du CNC, les engagements de programmation homologués pour la période 2016-2018 ont été globalement respectés.

- Les engagements des opérateurs en matière de programmation des films européens et des cinématographies peu diffusées sont respectés dans 99 % des cas en 2018 et 100 % des cas en 2017.

Les établissements étudiés consacrent en moyenne 56,5 % de leurs séances aux films européens et des cinématographies peu diffusées en 2017 et 2018.

- En 2018, 86 % des établissements étudiés respectent leur engagement de programmation d'un minimum de films européens et peu diffusés sortis sur moins de 80 copies en sortie nationale, contre 85 % en 2017.

Ce fort taux de respect est à mettre en parallèle avec l'engagement moyen, qui est de trois films par an, et la programmation réelle des établissements, qui diffusent en moyenne huit films de cette catégorie par an en 2018 et 2017 ;

- Le non-respect des planchers de séances a diminué avec 1 364 cas de non-respect observés en 2018, contre 1 656 cas en 2017. De manière générale, 6,5 % de l'ensemble de la programmation des films européens et de cinématographies peu diffusées en sortie nationale a fait l'objet d'une exposition sur un plancher de séances inférieur aux engagements, contre 8,1 % en 2017 ;

En ce qui concerne la période triennale suivante, la complexité des négociations avec les principaux opérateurs n'a pas permis au CNC d'agréer les projets soumis par ceux-ci avant le début de la crise sanitaire. Par ailleurs, pendant la crise sanitaire, il était très compliqué de donner des contraintes aux salles qui avaient d'abord besoin de faire revenir tous les publics.

Toutefois, le fait que de nombreux groupements et exploitants n'aient pas toujours déposé d'engagements dans la période actuelle de sortie de crise interroge quant au caractère contraignant du dispositif.

c) Des pouvoirs insuffisants du CNC

La détermination des engagements de programmation est issue d'une proposition formulée par les exploitants au CNC.

Le contrôle du respect des engagements de programmation est effectué par les services du CNC et le médiateur du cinéma, saisi annuellement de la question du respect de ces engagements. Le CNC dispose cependant d'un pouvoir de négociation limité si les engagements qui lui sont adressés sont fixés à un niveau trop faible ou ne paraissent pas satisfaisants.

Le président du CNC peut fixer, après mise en demeure, le contenu des engagements de programmation pour les exploitants-propriétaires (c'est-à-dire les multiplexes indépendants ou certains réseaux). La méconnaissance des dispositions et textes encadrant le dispositif des engagements de programmation peut également faire l'objet de l'une des sanctions administratives prévues à l'article L. 422-1 du code du cinéma et de l'image animée - y compris des sanctions financières ou une réduction des aides automatiques ou sélectives qui ont été attribuées. Pour les ententes et groupements, les engagements de programmation constituent seulement une condition de l'octroi de l'agrément pour les groupements et ententes de programmation (à l'instar des groupes UGC ou Pathé Gaumont). Le non-respect des engagements serait donc quant à lui de nature à motiver l'abrogation de leur agrément. Dans la pratique, cette sanction demeure presque inenvisageable et donc faiblement incitative.

2. La protection des films Art et Essai
a) Les engagements de diffusion

Pour inciter les salles à varier leurs programmations, l'accord du 13 mai 2016 impose aux distributeurs, depuis le 1er janvier 2017, des engagements visant à favoriser un meilleur accès du public dans les unités urbaines de moins de 50 000 habitants et dans les zones rurales aux films Art et Essai dits « porteurs ». Il n'existe cependant pas aujourd'hui d'engagements imposés aux distributeurs par voie législative ou réglementaire.

Ainsi, l'accord prévoit que la part des plans de sortie des films recommandés Art et Essai, c'est-à-dire sortis sur plus de 175 points de diffusion, consacrée aux établissements situés dans les agglomérations de moins de 50 000 habitants et les zones rurales, doit être supérieure à :

- 17 % du plan de sortie pour les films recommandés Art et Essai présents dans 175 à 250 établissements lors de leur sortie nationale ;

- 25 % du plan de sortie pour les films recommandés Art et Essai présents dans plus de 250 établissements lors de leur sortie nationale.

Lorsque ces taux ne sont pas atteints, est réputé rempli l'engagement du distributeur s'il peut justifier de la proposition qu'il a faite aux exploitants situés dans ces agglomérations.

Le respect de ces engagements constitue l'un des critères d'appréciation pris en compte par le CNC pour l'attribution des aides sélectives à la distribution et fait l'objet d'une recommandation conjointe du médiateur du cinéma et du comité de concertation pour la diffusion numérique en salles adoptée le 31 août 2016.

Selon le bilan du CNC, le non-respect des engagements de diffusion a concerné 17 cas parmi les 42 films étudiés sur l'année 2017 et 20 cas parmi les 43 films distribués en 2018. Ainsi, alors que l'on observait une tendance à la baisse des sorties d'Art et d'Essai dans les petites villes et zones rurales au début des années 2010, l'accord du 13 mai 2016 a pu contribuer à rehausser la part des établissements des zones rurales et petites villes dans les plans de sortie même sans être totalement respecté. Cependant, le caractère non contraignant du dispositif limite grandement son efficacité.

b) Des films mieux diffusés sur le territoire, mais moins bien exposés

D'après l'étude du CNC relative à la programmation et les résultats des films Art et Essai en 2021 parue en janvier dernier, les cinémas des unités urbaines de 50 000 habitants et plus restent malgré tout largement majoritaires à 59,3 % dans le plan de sortie des films Art et Essai. Cela est d'autant plus visible pour les films sortis sur moins de 250 établissements que pour ceux placés au-dessus de ce seuil.

L'étude rappelle que le public des films Art et Essai est un public plus habitué du cinéma (77,6 % en 2021, contre 66,6 % tous films confondus) et que le public habitué est un public plus urbain (63,3 % réside dans une unité urbaine de 50 000 habitants ou plus y compris Paris, contre 58 % pour l'ensemble des spectateurs).

Il ressort également des chiffres du CNC que les films Art et Essai sont largement moins exposés que les films non recommandés. En 2021, ils représentent 28,7 % des séances de films en première exclusivité. Par ailleurs, en moyenne par établissement, un film Art et Essai fait l'objet de 17,8 séances en première semaine d'exploitation, contre 21,3 séances pour un film non recommandé (20,1 séances tous films confondus).

L'étude souligne que si les films Art et Essai avaient montré une plus grande résilience en 2020 du fait d'une offre de films en première exclusivité peu porteuse et d'une fréquentation recentrée sur les spectateurs les plus assidus, la hausse de la fréquentation constatée en 2021 est beaucoup plus limitée pour ces films (+ 10,4 % par rapport à 2020) que pour les films non recommandés (+ 92,4 %, notamment grâce au retour des films américains).

c) Un dispositif devenu trop large ?

En 2021, la part des établissements Art et Essai dans le plan de sortie des films recommandés s'élève à 66,9 %, démontrant l'importance de ce dispositif pour encourager davantage de diversité dans l'écosystème cinématographique français.

Si la politique de l'Art et Essai, qui subventionne les salles à raison du pourcentage de séances de films d'Art et d'Essai qu'elles projettent, semble donc porter ses fruits, des interrogations subsistent aujourd'hui quant à sa sélectivité, en raison du classement Art et Essai d'un grand nombre de cinémas et la recommandation de films très nombreux ou peu risqués pour les exploitants.

En effet, en 2021, 63,2 % des établissements français sont des salles d'Art et Essai, soit près de 1 300 établissements en France, dont 695 se situent dans une zone rurale ou une ville de moins de 20 000 habitants, catégorie pour laquelle le seuil minimal de séances d'Art et d'Essai demandé pour être classé est le plus faible, à hauteur environ de 15 % (contre 70 % pour les établissements situés dans les plus grandes agglomérations).

Ainsi, les cinémas des grandes villes classés Art et Essai (catégories A et B) programment très majoritairement des films d'Art et Essai (de 80 à 90 % de leurs entrées entre 2015 et 2019), tandis que les établissements d'Art et Essai des petites villes (catégories D et E) sont plus généralistes, et programment en moyenne moins de films d'Art et Essai que la moyenne nationale de l'exploitation (de 20 à 30 % pour les mêmes années).

Source : SCARE, La Synthèse Art & Essai 2019, Bilan de l'année 2019 dans les cinémas Art & Essai

Ce constat interroge donc quant à la pertinence des seuils de classement, et à leur véritable objectif : si le dispositif encourage grandement la programmation de films Art et Essai dans les grandes villes, il semblerait que cet objectif de diversité soit moins incitatif dans les salles des petites villes et zones rurales, même s'il permet indéniablement d'inciter davantage les établissements de ces territoires à proposer des films Art et Essai.

Par ailleurs, parmi les films recommandés Art et Essai, certains s'avèrent parfois être de véritables succès dans l'histoire du cinéma français, comme les films Joker en 2019 (5,58 millions d'entrées - 6ème film ayant réalisé le plus d'entrées dans l'année), Once Upon a time... in Hollywood la même année (2,63 millions d'entrées - 14ème film ayant réalisé le plus d'entrées), ou plus récemment Dune en 2021 (3,16 millions d'entrées - 3ème film ayant réalisé le plus d'entrées dans l'année).

Pour une salle classée Arts et Essai, l'incitation fiscale à diffuser un film comme Joker, sorti à 630 copies - soit plus de six fois la moyenne du nombre de copies d'un film Art et Essai -, est donc la même qu'un autre film recommandé Art et Essai qui ne sortirait qu'à moins d'une centaine de copies sur le territoire. Dès lors, certaines salles situées dans une zone rurale ou une petite ville pourraient obtenir le classement Art et Essai du fait d'une très petite quantité de films recommandés à succès, portant ainsi atteinte à l'objectif de diversité à l'origine du dispositif.

E. CINQUIÈME PILIER : UN ÉCOSYSTÈME DE NIVEAU MONDIAL

Tirant profit d'un système de financement unique et du solide accompagnement financier et institutionnel du CNC, l'industrie du cinéma se distingue également par son large éventail de formations, dispensées par des écoles de renommée mondiale, et corrélativement par un écosystème technique et artistique de niveau mondial. La floraison de lieux de formation à l'image depuis le milieu du XXème siècle a contribué à asseoir l'influence du cinéma français à l'international et la diversité des formations proposées n'a depuis cessé de croître pour répondre aux nouveaux défis du secteur.

1. Une pluralité de formations reconnues

Traditionnellement considérée comme le berceau du cinéma, la France s'est dotée très tôt d'un ensemble d'écoles tournées vers la formation à l'image, pour apporter à ses talents de solides connaissances techniques et répondre au mieux aux attentes des professionnels.

L'école Louis-Lumière - anciennement « École technique de photographie et de cinéma » (ETPC) devenue l'« École nationale de photographie et cinématographie » (ENPC) -, créée en 1926, est la deuxième école de cinéma au monde, après la VGIK russe fondée sept ans auparavant. L'établissement public était alors destiné à former des techniciens du cinéma pour pallier le manque d'enseignement spécifique à la formation d'une main d'oeuvre qualifiée. Pour compléter ces enseignements, une autre école de l'enseignement supérieur public est fondée en 1943, avec pour objectif de dispenser un apprentissage plus théorique et artistique, tourné davantage vers les métiers de création : il s'agit de l'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), dont la Fémis prendra la suite en 1986.

Longtemps en position de duopole, l'école Louis-Lumière et la Fémis bénéficient aujourd'hui encore d'une renommée mondiale. Les classements américains publiés par - Variety ou The Hollywood Reporter placent systématiquement ces dernières années la Fémis dans le Top 15 des meilleures écoles de cinéma au monde.

L'entrée à la Fémis se fait sur concours, à destination des étudiants de niveau Bac+ 2, Bac+ 3 ou Master 2 selon les cursus. L'École, très sélective, diplôme une cinquantaine de personnes par an. En formation initiale, la durée des études varie de 1 à 4 ans selon les cursus. L'établissement propose également chaque année des stages de formation continue à destination de 200 professionnels dans les domaines de l'écriture de scénario, le développement de documentaires, la production et l'exploitation cinématographiques. La Fémis ne dispose pas de corps enseignant permanent, mais fait appel à plus de 500 intervenants professionnels chaque année pour encadrer les enseignements des différents cursus et stages. L'École Louis-Lumière, qui diplôme aussi une cinquantaine d'étudiants chaque année, mise également sur une forte imbrication professionnelle dans sa pédagogie : elle compte environ 25 professeurs permanents, pour 100 intervenants.

Les grandes écoles de cinéma françaises permettent ainsi à leurs étudiants, depuis leur création, de bénéficier d'une formation de qualité, d'acquérir une solide expérience en travaillant sur des projets concrets avec les autres métiers de la profession, et de tisser un réseau dense et reconnu.

À l'université, des départements d'enseignement du cinéma ont émergé dans les années 1970, donnant naissance à des cursus en « études cinématographiques » souvent inclus dans des UFR de Lettres ou d'Arts. Progressivement, dans les années 1980, l'enseignement du cinéma apparaît également dans les établissements du secondaire : à la rentrée 1986, une épreuve de « cinéma et audiovisuel » est inscrite au baccalauréat, donnant ainsi davantage de visibilité aux cursus consacrés au cinéma dans l'enseignement supérieur.

D'autres filières scolaires de formation ont émergé au cours des dernières décennies qu'il s'agisse d'écoles (la classe préparatoire Ciné-Sup à Nantes, le Conservatoire libre du cinéma français, le Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle, l'École supérieure de la réalisation audiovisuelle, l'école supérieure de l'image, etc.) ou de formations artistiques classiques (Beaux-Arts, Écoles de photographie, voire Conservatoires etc.) dispensant également une formation en cinéma, et dotant ainsi la France d'un large écosystème de formations dans le domaine du cinéma.

2. Un enseignement ouvert et varié pour faire face aux besoins du secteur

Face à l'inflation des demandes de contenu, notamment via les plateformes, les écoles de cinéma françaises sont en plein renouveau pour accueillir des profils différents, moins homogènes, et diversifier les écritures cinématographiques. L'industrie du cinéma ne cesse en effet d'innover pour conserver ses talents et continuer à imposer son savoir-faire sur la scène internationale.

Consciente de ces nouveaux enjeux, la Fémis a développé le programme La Résidence, destiné à des jeunes de milieu modeste avec ou sans diplôme, mais ayant déjà développé une pratique amateur, d'une durée de deux ans, avec la création d'un court métrage en deuxième année.

Des initiatives comme la CinéFabrique, association implantée à Lyon depuis 2015 et bientôt à Marseille, ou Kourtrajmé depuis 2018 à Montfermeil et à Marseille, ont permis de multiplier les voies d'accès aux métiers du cinéma.

La CinéFabrique est la seule école française de cinéma à proposer une pédagogie basée sur la pratique avec la réalisation d'une centaine de films chaque année, et qui propose une troisième année en alternance. Kourtrajmé, quant à elle, est une école gérée par une structure associative qui propose des formations gratuites ; les candidats sont sélectionnés sur leur motivation et sur une vidéo qu'ils ont réalisée, consacrée à un thème libre. Ces écoles accueillent des jeunes sans condition de diplôme, les forment et les aident à s'insérer dans le milieu professionnel, pour donner des clés à tous ceux qui souhaitent se former à l'image.

Panorama des formations publiques et privées

Plusieurs initiatives ont également été mises en place afin d'optimiser le travail de repérage des nouveaux talents, d'accompagner des jeunes cinéastes au talent prometteur pour qui l'accès au milieu professionnel est difficile faute de formation et d'expérience significatives, et de contribuer ainsi au renouvellement de la création. Le soutien du CNC aux associations qui accomplissent ce travail s'élève à 1,2 million d'euros en 2021.

En partenariat avec les Régions, le CNC a ainsi développé sur tout le territoire l'opération Talents en Court. Ce dispositif vise à répondre aux besoins d'information, de conseil, d'accompagnement et de connexion professionnelle des jeunes éloignés des secteurs cinématographique et audiovisuel pour des raisons sociales et géographiques.

Par ailleurs, le CNC soutient un certain nombre de résidences (Groupe Ouest, SoFilm, Frames, La Ruche, Le GREC...) et finance des bourses de résidence dans le cadre de ses propres dispositifs et en partenariat avec les collectivités territoriales dans le cadre des conventions de coopération pour le cinéma et l'image animée.

3. Un savoir-faire technique recherché

Bénéficiant d'un large éventail de formations techniques de qualité, le cinéma français est également caractérisé par ses industries techniques, dont les compétences et la diversité sont aussi mondialement reconnues.

Les industries techniques assurent des prestations indispensables dans le processus de création, de production et de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Elles fournissent notamment la matière support des oeuvres originales, les équipements pour les tournages et les studios de tournage. Elles assurent également la post-production, les effets spéciaux et la fabrication des copies, physiques ou numériques. Enfin, elles fournissent le matériel permettant la projection dans les salles, la diffusion à la télévision ou sur internet et les outils nécessaires à la conservation des oeuvres.

Le chiffre d'affaires de la filière des industries techniques est évalué à 906 millions d'euros en 2020, en baisse de 14,4 % par rapport à 2019.

Cependant, 2021 est en France l'année de tous les records pour la production : plus de 15 500 jours de tournage (soit 25 % de plus qu'en 2019, avant la crise), 2,8 milliards d'euros de dépenses engagées sur le territoire français (soit une augmentation de près de 35 % des dépenses de production par rapport à 2019), dont 400 millions d'euros pour les tournages internationaux soit + 62 %.

Les productions d'initiative étrangère, réalisées en France pour partie ou en totalité, se sont en effet considérablement développées ces dix dernières années.

Alors que jusqu'en 2009, date d'entrée en vigueur du Crédit d'impôt international, la France accueillait chaque année une centaine de jours de tournages étrangers, ce chiffre a connu une croissance exponentielle avec une très forte accélération observée ces dernières années jusqu'à atteindre 1 900 jours de tournage en 2021.

Sur cette même année, le nombre de projets internationaux ayant des dépenses éligibles au Crédit d'impôt international s'établit au nouveau record de 92 productions, pour un montant global de 398 millions d'euros, en hausse de + 62 % par rapport à 2019 avant la crise.

La production en France en 2021

2,8 milliards d'euros de dépenses de production engagées sur le territoire français dont 400 millions d'euros pour les tournages internationaux

92 productions, pour un montant global de 398 millions d'euros de dépenses, éligibles au Crédit d'impôt international

Plus de 15 500 jours de tournage, dont 1 900 jours pour les tournages étrangers

Ces productions, générant des retombées économiques directes et indirectes très significatives, s'appuient ainsi sur les compétences reconnues des producteurs exécutifs et des équipes techniques françaises et permettent également de développer l'activité des studios et de monter des équipes capables de travailler sur des productions particulièrement ambitieuses.

Dans le même temps, les projets d'animation ont progressé fortement, achevant d'imposer l'animation française comme une filière d'excellence, tant d'un point de vue technique que créatif, et un atout majeur en matière d'attractivité. À Paris, le studio Illumination MacGuff, qui emploie plus de 900 personnes, a créé et produit des oeuvres phares telles que « Moi, moche et méchant » et « Tous en Scène » pour Universal.

L'animation représente près de la moitié des promesses de dépenses engagées par ces productions d'initiative étrangère, à hauteur de 185 millions d'euros pour les seuls projets agréés en 2021.

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* *

Puissamment soutenu par les pouvoirs publics et un modèle de régulation robuste, le cinéma français n'est pourtant pas exempt d'interrogations quant à son avenir et ses finalités.

La mission d'information a été maintes fois frappée par la virulence de certaines oppositions, d'ailleurs largement portées sur la place publique, entre tenants d'une approche « par le public » et d'une approche « par l'art ». Or la richesse de notre cinéma est précisément de parvenir à faire coexister dans une même salle une famille pas toujours unie, mais qui se reconnait dans des valeurs communes.

La mission a donc souhaité mieux appréhender les débats et les doutes qui agitent le cinéma français, à travers la question de la production, qui soulève le sujet de l'équilibre économique du cinéma, et de l'avenir du 7ème art à l'heure des plateformes.

III. « LA FOLIE DES GRANDEURS » OU « LA GRANDE ILLUSION » : LA SURPRODUCTION EN QUESTION

A. LA SURPRODUCTION EN QUESTION

1. Un débat qui traverse le secteur
a) Une interrogation qui traduit la forte régulation du secteur

Les questions connexes de l'existence, des causes et des remèdes à ce qui est parfois perçu comme une surproduction de films dans le cinéma français ont irrigué les entretiens menés par la mission. Ainsi, le débat autour du nombre de films produits chaque année en France concentre aujourd'hui l'essentiel des débats du cinéma, avec des positions très tranchées de part et d'autre.

Cet état de fait est la traduction du caractère très administré et soutenu du cinéma dans notre pays. Poser la question de la surproduction ne fait que souligner le niveau élevé de contraintes que fait peser sur certains acteurs la complexité d'un système constamment renforcé depuis 1946, qui se manifeste tant par le niveau des soutiens directs et indirects que par les obligations liées à la chronologie des médias ou aux investissements des diffuseurs.

Ainsi, sur le seul champ des soutiens publics directs (fonds de soutien CNC, aides régionales, crédit d'impôt et SOFICA) et sur la base d'une moyenne d'entrées entre 2012 et 2019 de 77 millions de spectateurs pour les films français, le montant moyen d'intervention publique par billet vendu pour un film français s'élève à un peu plus de 3,8 €. Cette somme ne tient pas compte des retours très réels pour l'économie locale, par le biais des tournages et des recettes en salles. Elle ne prend pas non plus en considération les visionnages ultérieurs du film sur l'ensemble des canaux de diffusion.

Ces montants rendent cependant légitimes les interrogations sur le système, même si le cinéma français apparait selon bien des aspects comme une politique publique couronnée de succès, poursuivie depuis près de 80 ans, ce dont témoigne la résilience remarquable de la fréquentation comme de la création. La situation de l'Italie entre les années 1970 et 2010 montre a contrario l'impact sur cette industrie d'un désintérêt des pouvoirs publics.

b) Les objectifs multiples du soutien au cinéma français

Cependant, comme toute politique publique, elle induit des comportements des acteurs économiques qui doivent s'analyser au regard des objectifs de politique publique identifiés par les autorités politiques.

De ce point de vue, le cinéma poursuit trois objectifs en partie contradictoires, et qui ne sont pour autant jamais clairement formulés ou débattus :

ü d'un côté, une vocation assumée de stimuler la « recherche et développement », soit un cinéma ambitieux, fortement marqué par la personnalité et la vision du réalisateur et représentant à l'international de notre exception culturelle. Cette vocation s'entend à la fois comme une « école », qui permet aux jeunes cinéastes d'expérimenter et de découvrir leur métier, avant éventuellement de rechercher ou de rencontrer le succès commercial, mais également comme un « geste artistique » nécessaire à la progression de l'art cinématographique et qui autorise toutes les audaces formelles qui pourront à leur tour infuser dans le cinéma plus grand public. Ce modèle se rapproche sur le fond de la recherche fondamentale dans les laboratoires, qui ne vise pas d'application immédiate - mais constitue pourtant le soubassement de toute la science appliquée ;

ü de l'autre, la volonté de conserver au cinéma son caractère de loisir populaire, accessible au grand public, ce qui passe par des films accessibles et qu'il est possible de partager en famille ou entre amis. Le succès dans les salles, même s'il n`est pas toujours précédé d'un accueil favorable de la critique, constitue une forme de légitimation de l'expérience de la salle. Or la liste des 100 plus grands succès du box-office français de tous les temps comporte 43 productions françaises (57 américaines), parmi lesquels 25, soit plus de la moitié, relèvent de la comédie. Ce genre apparait donc comme très dominant dans le cinéma « populaire » français. Selon les données rassemblées par Alain Le Diberder16(*), entendu par la mission, la comédie représente ainsi le quart des productions françaises, avec en moyenne un film par semaine. Il est également le genre le plus dépendant du financement des chaînes de télévision et en général le plus difficile à exporter hors du cercle francophone ;

ü enfin, un objectif que l'on pourrait directement relier à une problématique d'aménagement du territoire et d'élément-clé de la cohésion nationale. Les salles de cinéma font partie intégrante du cadre de vie de nos concitoyens. Plus encore, la sortie simultanée sur la plus grande partie du territoire contribue puissamment à l'entretien d'un lien social et d'une communauté aujourd'hui fragilisée. Les grands succès populaires, d'abord diffusés en salle, multi diffusés à la télévision, participent d'un fonds culturel commun qui rassemble les Français par-delà leur lieu de résidence ou leur catégorie socio-professionnelle, d'une manière encore inégalée à ce jour. Le cinéma en salle a donc dans notre pays une importance sociale et symbolique qu'il ne faut pas sous-estimer.

Le débat sur la réalité de la surproduction, d'une part, sur ses causes et ses conséquences, d'autre part, ne peut s'envisager qu'à l'aune de ces objectifs, qui doivent le plus possible être explicitement formulés et débattus par les autorités politiques.

2. Peut-on parler de crise de surproduction ?
a) Un volume qui condamne à l'échec en raison de la concentration des entrées

En moyenne entre 2012 et 2019, les salles françaises ont accueilli en première exclusivité un peu plus de 13 films par semaine. En 2019, année la plus fournie, 14,3 films sont sortis chaque semaine.

Parmi ceux-ci, plus de la moitié sont constitués de films français. En 2019, plus de 7,5 films français sont ainsi sortis chaque semaine.

En moyenne donc, sur une « bonne année » autour de 200 millions d'entrées, environ 300 000 spectateurs visionnent un film au cinéma. Cependant, la fréquentation n'est en aucun cas égalitaire, mais au contraire fortement concentrée. En 2019, sur les 746 films en première exclusivité, 696 soit 93 % se partagent un peu plus de 40 % des entrées, alors que les dix premiers en concentrent plus du quart.

La concentration des entrées depuis 2012

Ce phénomène de concentration, propre aux industries culturelles, contribue à créer un monde du cinéma à deux vitesses : les succès qui restent longtemps en salle et bénéficient d'une exposition médiatique forte, et les films à la diffusion courte et restreinte. Ainsi, en 2019, 94 films, soit 12 %, dépassent le million d'entrées et 464 films, soit 62 % des sorties, réalisent moins de 50 000 entrées.

Répartition des entrées par film en 2019

Cette tendance n'est pas nouvelle. Entre 1996 et 2019, la part des films rassemblant moins de 100 000 spectateurs oscille entre 51 % et 62 %, en moyenne de 56 %, avec un renforcement tendanciel depuis 2014.

b) Une fréquentation qui ne suit pas la production

Le nombre de films diffusés en première exclusivité en France, toutes nationalités confondues, n'a cessé de croitre. Entre 2012 et 2019, il progresse de 21 %, soit le même ordre que le nombre de séances. Dans le même temps, les entrées moyennes par séance ont plutôt connu une contraction avec une baisse de 12 %.

Nombre de sorties en première exclusivité et entrées moyennes par séance depuis 2012

Lecture : nombre de sorties (en colonne, échelle de gauche) et entrées moyennes par séance (courbe, échelle de droite)

Ainsi, sur la période récente, plus de films ont été diffusés sur plus d'écrans, avec une baisse de la fréquentation moyenne assez sensible.

La tendance pour les films français est similaire.

Entre 2012 et 2019, le nombre de films français produits progresse de 15 %, alors que leurs entrées diminuent de 10,5 %.

Nombre de films français en première exclusivité et entrées totales des films français

Lecture : nombre de sorties de films français (en colonne, échelle de gauche) et entrées totales (courbe, échelle de droite en millions)

Cet indicateur doit cependant être interprété avec précaution, car il s'avère très variable d'une année sur l'autre, et peut dépendre entièrement du succès de quelques films. Ainsi, l'excellent score des films français en 2014 (90,3 millions d'entrées) s'explique par les exceptionnelles quatre premières places obtenues par quatre films français17(*), qui ont cumulé à eux seuls le tiers des entrées des productions nationales.

De facto, les dernières années ont surtout été marquées par un succès croissant des films américains.

Le cinéma américain a toujours été populaire en France, comme il l'est dans le monde entier. Sa part de marché comme le nombre d'entrées moyennes par film n'ont cependant cessé de progresser depuis 2012. En 2012, un film français est vu en moyenne par 273 000 spectateurs, un film américain par 580 000, soit un rapport un peu supérieur à 2. En 2019, les films français ont perdu près de 100 000 spectateurs et les films américains en ont gagné près de 300 000, le rapport s'établissant à 4,6.

Entrées moyennes comparées des films français et américains

Compte tenu de la relative parité des parts de marché des cinémas français et américains, et des fréquentations entre le cinéma, il apparait donc que le public français a tendance à concentrer les meilleures entrées sur les films américains, et à se montrer éclectique dans ses choix sur les productions nationales.

La hausse de la production ne s'est cependant tendanciellement pas traduite dans le cas des films français par une hausse corrélative de leur fréquentation, qui a plutôt tendance à s'affaisser ces dernières années.

c) Quels films sont victimes de cette situation ?

La progression du nombre d'oeuvres produites peut légitimement être considérée comme un succès pour le système français, en traduisant notre capacité à financer un grand nombre de films, et donc à remplir l'objectif de soutien à la créativité. Elle peut cependant interroger au regard du nombre de spectateurs en capacité de profiter des oeuvres.

La typologie des films produits ces dernières années permet de mieux mesurer les causes de la hausse de production, selon deux grilles d'analyse complémentaire : le montant du devis et l'origine des financements.

(1) Les films par devis

La tendance à la hausse de la production de films est en réalité plus ancienne. Entre 1994 et 2019, le nombre de films produits a ainsi été multiplié par 2,6 soit une hausse de 163 %.

Devis des films français produits depuis 1994

Cette hausse s'interprète cependant différemment en fonction du devis des oeuvres. Ainsi, entre ces deux dates, et sans ajustement de l'inflation, on observe les données suivantes.

Progression du nombre de films par budget

Budget

Progression 1994-2019

Moins d'1 million d'euros

+ 957 %

De 1 à 4 millions

+ 61 %

De 4 à 10 millions

+ 154 %

Plus de 10 millions

+ 188 %

Tous films

+ 163 %

La hausse de la production s'explique pour l'essentiel par les films de moins d'un million d'euros de budget. Ils représentaient 7,6 % des films produits en 1994, et 31 % en 2019. Il convient de remarquer qu'ils appartiennent dans plus de deux cas sur trois à la catégorie des documentaires, qui a connu une très forte progression sur la période. Les fictions de moins d'un million d'euros sont beaucoup plus rares (25 en 2019).

À l'opposé, les catégories qui progressent comparativement le moins sont celles entre 1 et 10 millions d'euros. Dans le détail, la tranche qui a le moins bénéficié de la hausse généralisée est celle entre 4 et 5 millions d'euros, puis entre 2 et 4 millions, ce qui semble corroborer le discours plusieurs fois tenu devant la mission sur les difficultés des films dits « du milieu » qui constituent le coeur du cinéma français populaire. On peut rapprocher cette problématique de celle des films dits « d'auteur », qui sont à la base de notre exception culturelle. S'il n'existe pas de définition précise de ces oeuvres, on peut y rassembler les films marqués par la « patte » du réalisateur, par exemple Cédric Klapisch ou François Ozon. L'exemple des États-Unis, où cette catégorie est singulièrement fragilisée par un modèle économique très différent, illustre les risques qui pèsent sur ces oeuvres pourtant essentielles. Si l'année 2022 semble marquer une pause, elle n'en confirme cependant pas moins les tendances observées sur le long terme.

(2) Les films selon les financements

Le système français privilégie le mécanisme du préfinancement, qui permet au producteur d'assurer le budget pour une large part avant le tournage (voir infra). Dans ce schéma, les chaînes de télévision sont la principale source de financement. Le fait pour un producteur d'avoir pu assurer à son tour de table la présence d'un ou plusieurs diffuseurs facilite donc grandement la production, mais également la diffusion et la connaissance de l'oeuvre, qui a l'assurance d'être présente sur les écrans de télévision.

Or, la part des films produits sans apport d'un diffuseur n'a cessé de croitre ces dernières années. Elle était de 17 % en 1994 et s'est établie à 43 % en 2019.

Part des films produits sans apport d'un diffuseur et droite de tendance

Ces films présentent donc naturellement une plus grande fragilité, et bénéficient d'un budget moyen trois fois inférieur à la moyenne des productions françaises, avec 1,45 million d'euros contre 4,5 millions d'euros entre 2010 et 2021.

(3) Les films « Recherche et découverte »

Il n'existe pas d'étude systématique du nombre d'entrées des films rapporté à leur budget.

Un indicateur utile est cependant la catégorie dite « Recherche et découverte ». Ce label, décerné en complément de celui d'Art et Essai par l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE), distingue les films qui, pour reprendre les termes du décret du 22 avril 2002, ont « un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique ». Ils ont fait l'objet d'une étude spécifique du CNC rendue publique le 19 janvier 2023 à l'occasion des Premières rencontres des cinémas « Recherche et découverte »18(*). Ces films représentent une catégorie marquée par les audaces créatives et formelles et sont le réel fer de lance de la recherche en matière cinématographique.

Or les données sont inquiétantes pour cette catégorie, qui recoupe en partie les films non financés par les diffuseurs.

Nombre de films « Recherche et Découverte » et entrées moyennes

La production de ces films est restée stable autour de 93 films par an entre 2012 et 2021, ou 102 si l'on exclut les années très atypiques 2020 et 2021. Cela représente un tiers des films produits en France, ce qui n'est pas marginal, et environ 20 % de l'offre sur les écrans. Ils ont été par ailleurs beaucoup plus impactés par la crise pandémique que le reste de la production.

La fréquentation moyenne par film n'a cessé de baisser depuis 2014. Après avoir atteint un pic de 74 000 spectateurs en 2014, elle s'établit à environ 25 000 entre 2019 et 2021. Qui plus est, cette catégorie n'échappe pas non plus aux phénomènes de concentration des entrées. Ainsi, 94 % de la fréquentation est captée par la moitié des films, ce qui laisse 6 % pour l'autre moitié.

Il est regrettable que cette catégorie, certes exigeante, mais également porteuse des audaces cinématographiques qui feront le cinéma de demain et de regards singuliers, ne soit pas mieux mise en valeur et reconnue.

d) Les conséquences pour les films

Ces dernières années, le cinéma français a donc tendanciellement accru la production en valeur absolue, la hausse s'expliquant pour une très large part par les films à petit budget, qui sont souvent les films qui n'ont pas pu trouver de financement d'un diffuseur, ce qui minimise d'autant leur chance de connaitre le succès en salle et dans le reste de la chronologie, en particulier faute d'investissements dans la promotion.

Cette hausse de la production se traduit directement par la vitesse de rotation des films dans les salles. Ainsi, dès la troisième semaine, le nombre de séances par film et par établissement est déjà divisé par plus de deux, ce qui renforce l'inégalité entre les films dont les distributeurs auront eu les moyens de mener une campagne de promotion active, et ceux qui ont une probabilité élevée de disparaitre rapidement des écrans, quelle que soit leur qualité artistique ou leur importance.

Nombre moyen de séances par film et établissements suivant les semaines

Ainsi, les films agréés, en moyenne mieux financés et qui font l'objet de campagnes de promotion plus abouties, sont diffusés en moyenne dans 221 salles en 2021, alors que les films français non agréés, qui représentent environ un quart de la production, ne sont pour leur part pratiquement pas diffusés avec 19 établissements par film.

3. La faible résonnance du cinéma français à l'international

Si le cinéma français dispose d'une aura incontestable dans le monde, comme peuvent en témoigner ses succès régulièrement enregistrés dans les Festivals internationaux, cette notoriété ne se traduit que faiblement par des entrées en salles. Le cinéma français représente ainsi entre 2 % et 3 % des entrées mondiales, dans un marché mondial qui demeure pour l'essentiel très largement dominé par les films américains, les marchés chinois et indiens étant occupés par leurs propres productions.

Le cinéma français à l'international

Le succès du cinéma français à l'international repose de plus essentiellement sur des productions tournées en anglais et pensées, sur le mode anglo-saxon, pour le marché international. Ainsi, parmi les dix plus importants succès du cinéma français à l'international, six ont été tournés en anglais. Au passage, trois d'entre eux ont été tournés19(*) et les trois autres produits20(*) par Luc Besson, ce qui en fait de très loin le cinéaste français le plus vu à l'étranger et marque la singularité de son approche du cinéma. En 2020, les trois seuls films français à avoir dépassé le million d'entrées à l'international sont des productions minoritaires françaises, dont deux en langue étrangère21(*). Les films français totalisant moins de 10 000 entrées représentent 64,2 % du total en 2012, 71 % en 2019 et 80 % en 2020.

La relative faiblesse des recettes à l'exportation, avec un « socle » de spectateurs autour de 50 millions et une grande polarisation sur un certain type d'oeuvres, a pour conséquence l'obligation pour les films français de devoir trouver leur rentabilité pour l'essentiel sur le marché national.

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Cela pose la question de l'équilibre économique des films et des conditions de leur création.

B. UN SYSTÈME DE FINANCEMENT TROP FAVORABLE À LA PRODUCTION ?

1. Une industrie de prototype

L'écrivain et critique Éric Neuhof, dans un essai paru en 2019 et dont le titre souligne le caractère polémique « (Très) cher cinéma français », a synthétisé l'ensemble des reproches formulés à l'encontre d'un cinéma français jugé « prétentieux » et « paresseux » : « Polars mal ficelés, comédies pas drôles, petites romances à la con, on a droit à tout cela. ». Il s'attaque également à l'une des figures de proue du cinéma, François Ozon : « Si tu n'es pas sage, tu iras voir le dernier Ozon22(*) ».

Or le schéma traditionnel des industries culturelles est fondé sur une logique de prototype - le mot a été souligné par la quasi-totalité des personnes entendues. Le principe est celui d'une économie de l'offre : le spectateur ne saura qu'il a envie de voir une oeuvre qu'une fois cette dernière dans les salles. Comme pour le livre ou la musique, il est a priori impossible de déterminer ce qui va rencontrer les faveurs du public. Comme l'a souligné un producteur devant la mission « Si on savait ce qui va marcher, on ne financerait que ça ! ».

Le succès d'une oeuvre repose sur une combinaison jamais transposable d'exposition initiale dans les salles, de promotion réussie, de critiques dans la presse, de bouche-à-oreille positif, relayé par les réseaux sociaux, d'adhésion avec les préoccupations et attentes du moment dans la société. L'histoire du cinéma est ainsi remplie de succès inattendus et d'échecs non anticipés23(*).

Il existe donc, comme dans toutes les industries culturelles, une forme d'incitation à produire des oeuvres, avec l'espoir qu'elles « rencontreront leur public », selon la formule consacrée. Le succès, qui n'est pas l'option la plus fréquente, doit alors couvrir économiquement le coût des échecs.

Les caractéristiques économiques des industries culturelles selon Richard Caves

Dans son livre devenu un classique « Creative Industries : Contracts Between Art and Commerce » paru en 2020, l'économiste Richard Caves établit la liste des sept caractéristiques qui différencient les industries créatives des autres. Quelques-unes s'appliquent parfaitement au cinéma :

- « nobody knows » - « personne ne sait » : il existe une très forte incertitude autour du succès d'un projet quelconque, qu'il est impossible de prévoir à l'avance ;

- « motley crew » - « l'équipage hétéroclite » : les productions les plus complexes (film, jeu vidéo, etc..) nécessitent de rassembler des compétences diverses, toutes en charge de la qualité finale ;

- « infinite variety » ou « variété infinie » : il est très difficile de comparer objectivement des biens culturels entre eux, ce qui les rend difficilement substituables ;

- « Ars longa » - « l'art est long » : une oeuvre culturelle est susceptible de fournir des flux de revenus longtemps après sa sortie.

L'échec est donc littéralement partie intégrante du modèle des industries culturelles, d'où la complexité du débat sur le « bon nombre » de films, avec l'idée sous-jacente que le système de soutien français au cinéma, trop « nataliste » pour reprendre une expression souvent entendue, aboutirait à la production de « trop » de films qui prendraient insuffisamment en compte les attentes des spectateurs.

2. La chance donnée aux jeunes talents

Parmi les objectifs des mécanismes de soutien, figure au premier rang le renouvellement des talents et de la découverte de nouveaux réalisateurs en mesure de proposer un regard singulier sur le monde. Telles sont la force et la richesse du cinéma français.

Nombre de premiers et deuxièmes films d'initiative française depuis 2013

En moyenne entre 2013 et 2022, la moitié de la production d'initiative française est le fait de nouveaux cinéastes, soit environ 17 % de l'ensemble des sorties. Cette proportion est stable dans le temps, mais avec des devis deux fois inférieurs à la moyenne pour les premiers films, et s'inscrivant dans une tendance baissière pour les deuxièmes films.

Les mécanismes d'avance sur recettes sélectifs concernent moins d'un quart des premiers et deuxièmes films, ce qui souligne le degré d'exigence de cette aide, qui a eu tendance à s'affirmer ces dernières années, mais également l'existence de financements prêts à investir sur les réalisateurs les plus prometteurs.

3. À l'origine du film

La sortie d'un film suppose la collaboration des trois acteurs que sont le producteur, le distributeur et l'exploitant.

a) Le producteur : assurer le financement de l'oeuvre

Comme on a pu le souligner, le producteur bénéficie d'une place privilégiée du fait de la protection spécifique de son indépendance. Cette politique, poursuivie depuis les années 1990 (voir supra), permet à la France de disposer d'un vivier de producteurs et de compétences sans beaucoup d'équivalents au monde.

Cette protection se manifeste notamment par l'obligation faite aux chaînes de réserver la plus grande partie de leurs investissements à la production indépendante, d'une part, par l'accès aux aides sélectives et automatiques du CNC qui sont également réservées à la production indépendante, d'autre part.

Les données présentées dans le schéma suivant ne sont que des moyennes, chaque film produit ayant bénéficié d'un mix différent de financement.

Origines du financement des films

Le producteur est donc à l'initiative du film, dont il assure le plan de financement en rassemblant les aides directes du CNC - aides sélectives et, s'il est titulaire d'un compte au CNC, des régions, en mobilisant les soutiens automatiques -, en proposant le projet aux diffuseurs et en cherchant d'autres sources de financement auprès des distributeurs, des partenaires étrangers, et des SOFICA. L'article 211-36 du Règlement général des aides du CNC sanctuarise une quote-part de la totalité du soutien automatique sur le compte du seul producteur délégué jusqu'à 150 000 euros, et la moitié au-delà. La part du producteur est donc préservée, ce qui lui garantit une fraction significative des premiers revenus générés par l'oeuvre, que les autres parties prenantes ne peuvent revendiquer.

Le fait pour un film de rassembler à la fois les aides directes et les financements de Canal Plus pour sa fenêtre d'exclusivité, ainsi que des chaînes gratuites, constitue une forte assurance que le film pourra être tourné. Des inquiétudes ont parfois été évoquées quant au renforcement de la position de Canal Plus dans le cas de la concrétisation du rapprochement avec OCS, qui créerait un monopole de fait sur la première fenêtre d'exposition télévisuelle.

Trois constats peuvent être posés à ce stade.

Tout d'abord, le soutien public direct représente le quart des financements. Cette fraction est en constante progression ces dernières années. Le rapport de Dominique Boutonnat de 2018 notait déjà qu'elle avait fortement augmenté entre 2011 et 2017 en passant de 13 % à 21 %. Les pouvoirs publics ont donc de manière constante accompagné et soutenu le développement du cinéma ces dix dernières années, en complément des mesures de régulation et de la récente mise en place des obligations d'investissement des plateformes. La part des aides du CNC est d'autant plus élevée que le film est à petit budget. Elle varie ainsi de 21,4 % du coût total pour les films de moins d'un million d'euros à 7,1 % pour ceux de plus de 7 millions d'euros, ce qui tend à confirmer la vocation de ces aides à faire exister un cinéma plus exigeant, que le marché ne financerait vraisemblablement pas. La tendance de ces dernières années est à un lent renforcement des aides sélectives à la production par rapport au soutien automatique. Ainsi, elles représentaient 35,5 % du fonds de soutien en 2017, et 38,4 % en prévision pour 2023. Cela traduit une volonté de privilégier la diversité des oeuvres, voire contribue à une forme d'éparpillement.

Ensuite, le modèle de préfinancement français, très différent du système anglo-saxon, permet au producteur d'user de plusieurs canaux de financement organisés, en faisant peser sur lui des contraintes et un risque volontairement limités. Ainsi, le film est en général presque totalement préfinancé, avec un investissement du producteur en moyenne de 15 %. Cette participation lui garantit les droits sur toute la durée de vie de l'oeuvre, lui permettant de constituer dans le meilleur des cas un catalogue qui générera des revenus pendant des années (voir infra).

Enfin, et compte tenu de ce modèle, le producteur peut se permettre d'investir dans des projets dits « risqués », ce qui constitue le fondement même du modèle français et la base de notre exception culturelle. Surtout dans le cas des films à petits budgets, le risque demeure limité à une fraction de l'investissement initial. Parallèlement, le modèle de préfinancement est parfois accusé de pousser le producteur à être dans une logique de recherche de préfinancement plus que de recherche du succès de l'oeuvre.

b) Le distributeur

Le distributeur de films est le maillon intermédiaire entre une société de production de films et l'exploitant de salles ou tout autre type de diffuseur. Il définit le potentiel des films, en acquiert les droits auprès des producteurs et se charge de les commercialiser : édition des oeuvres, marketing, promotion et diffusion (notamment location des oeuvres aux salles de cinéma).

Il perçoit une quote-part sur chaque entrée en salle, plafonnée à 50 % du prix du billet, après prélèvement des taxes. Elle est négociée chaque semaine entre le distributeur et l'exploitant de salles et baisse dans le temps, au fur et à mesure des semaines d'exploitation du film. Selon les spécifications du contrat passé avec le producteur, il rémunère ce dernier au-delà d'un certain nombre d'entrées.

Le distributeur intervient financièrement à trois étapes :

ü tout d'abord, il doit assumer des coûts de structure relativement importants, ce qui le rend dépendant des contrats qu'il réussira à négocier ;

ü ensuite, il contribue généralement au financement du film en versant au producteur un « minimum garanti », c'est-à-dire non remboursable, même si les recettes du film s'avèrent ensuite inférieures aux prévisions. Les distributeurs investissent donc directement dans le film entre 15 et 20 % du coût, parfois en échange d'une fraction des droits futurs générés par l'oeuvre ;

ü enfin, le distributeur supporte les coûts d'édition et de promotion des films (bande annonce, affiches, campagne de communication, etc..), avec un coût par film qui dépasse les 10 % de la production. Son rôle en matière d'animation et « d'événementialisation » des sorties en salles est essentiel pour promouvoir le cinéma, et est en général très apprécié des spectateurs.

Les entretiens conduits par la mission ont souligné très largement la place centrale, et souvent mal connue, des distributeurs. Leur rôle est d'autant plus crucial que l'exposition du film dépend en grande partie de leur capacité à convaincre les exploitants d'intégrer le film qu'ils défendent à leur programmation, et à l'y maintenir.

La tendance récente est au regroupement au sein d'entités plus larges entre producteurs et distributeurs. Ce mouvement permet de mutualiser les coûts, de mieux planifier les sorties, et de mieux assurer les revenus issus de l'oeuvre.

c) L'exploitant

L'exploitant est responsable de la programmation de sa ou ses salles, en lien avec le distributeur. Il constitue le premier maillon de la chaîne de remontée des recettes.

La recette aux guichets des salles de cinéma est assujettie à deux taxes : la TVA à taux réduit (5,5 %) et la taxe sur le prix des entrées aux séances organisées par les exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques, parfois évoquée sous le nom de « taxe spéciale additionnelle » (TSA) qui alimente le fonds de soutien du CNC. Son taux est de 10,72 %. Déduction faite de ces taxes, la recette (appelée base film) est partagée entre l'exploitant et le distributeur, selon un taux de location24(*) négocié de gré à gré pour chaque film et chaque établissement. La rémunération du distributeur est calculée en multipliant le taux de location par la « base film ». En 2021, le taux moyen de location s'établit à 47,1 % (46,4 % en 2020).

La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) perçoit parallèlement une rémunération au titre de la représentation publique de la musique de film. Conformément à un accord entre la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et la Sacem, l'exploitant rémunère cette dernière selon les pourcentages suivants : 1,515 % de la « base film » lorsque l'exploitant est adhérent à la FNCF et 2,02 % de la « base film » lorsque l'exploitant n'est pas adhérent. Pour la répartition de la recette guichets telle qu'elle est calculée dans ce document, un pourcentage unique est appliqué (1,515 %).

Répartition du prix du billet de cinéma

4. Un film est une oeuvre, mais aussi un actif

Les débats autour du cinéma sont souvent focalisés sur le nombre d'entrées en salles, que ce soit pour en faire un indicateur unique de succès comme de qualité, ou bien à l'inverse pour critiquer une approche qui nierait la vocation artistique du cinéma.

Ces approches contradictoires appellent deux séries de remarques.

D'une part, le succès d'un film ne s'apprécie pas de manière absolue, mais en fonction de son budget et des attentes placées en lui. Ainsi, avec 4,5 millions d'entrées cumulées à la mi-mars 2023 en six semaines, le film Astérix et l'Empire du milieu de Guillaume Canet est considéré comme un demi-échec, alors que La nuit du douze de Dominik Moll avec 535 000 entrées en 22 semaines apparait comme un grand succès. Ainsi, les films à petit budget, qui se sont multipliés ces dernières années, peuvent plus facilement parvenir à un équilibre économique, en tenant compte des aides perçues, que des grosses productions onéreuses, pensées pour rassembler une large audience, et dont l'échec peut s'avérer très lourd de conséquences pour le producteur.

D'autre part, la rentabilité d'un film ne se limite pas à son éventuel succès en salles. De fait, les recettes issues de la salle sont dans l'écrasante majorité des cas une partie minime des revenus.

La revue « Le Film français » a ainsi publié dans son édition du 15 février 2019 une étude sur l'amortissement des films français diffusés en 2018 en salles.

Ce travail extrêmement utile compare le coût du film aux recettes générées dans cette phase d'exploitation. La revue spécialisée considère qu'un film effectue une performance « honorable » à partir du moment où l'amortissement, soit les recettes sur le budget, est supérieur à 25 %.

Sur les 75 films étudiés, seuls deux ont atteint la rentabilité dès la sortie en salles. Ces oeuvres sont d'ailleurs représentatives de deux types de cinéma différents : l'Amour flou, de Romane Bohringer et Philippe Rebbot, avec un budget de 437 000 euros, affiche une rentabilité de 155 % avec 194 356 spectateurs, Les Tuche 3 d'Olivier Baroux, comédie au budget de 13 millions d'euros, a atteint une rentabilité de 151 %. Sur les 75 films présentés, la moitié dépasse la barre des 25 % de rentabilité.

Les autres sources de revenus proviennent des différentes fenêtres de la chronologie des médias, les principaux acteurs ayant contribué dès l'origine via le préachat (voir supra). La seule étude sur les sources de recettes a été réalisée en 2013 par le CNC, dans le cadre des Assises pour la diversité du cinéma français, et porte sur la période 2005-2011.

Sous réserve des nombreuses évolutions qui sont intervenues depuis lors, on peut en retenir les deux points suivants :

Ø les oeuvres cinématographiques s'amortissent sur des durées supérieures à 10 ans, avec 60 % des recettes obtenues après la première année ;

Ø les recettes issues de l'exploitation en salle représentent un peu plus de 11 % du total, le préachat par Canal Plus et les chaînes gratuites environ 60 %. Le solde provient pour l'essentiel de l'exportation et des ventes de vidéo (alors majoritairement sous forme de DVD), respectivement pour 20 % et 6 %25(*).

Le succès ou l'échec économique d'un film de cinéma doit donc se concevoir sur le temps long.

5. Quel impact sur l'économie du cinéma ?
a) Des investissements qui baissent en valeur réelle

Comme on a pu le voir, le cinéma français poursuit deux objectifs : demeurer un art populaire capable de rassembler le pays, et contribuer à l'exception culturelle à travers l'éclosion et le développement de talents, qui sont autant de regards singuliers et nécessaires sur le monde. Les mécanismes complexes mis en place depuis plus de 70 ans contribuent à cette politique.

Cependant, en valeur absolue, l'investissement total dans les films a eu tendance à régresser ces dernières années, avec un point bas en 2014, et des années 2018 et 2019 inférieures à la moyenne des années précédentes.

Investissement total dans les films agrées

(en millions d'euros)

Ce constat est encore renforcé par la prise en compte de l'inflation sur la période. Ainsi, le décrochage est net entre 2016 et 2019. L'année 2021 qui a marqué la forte reprise des tournages après la pandémie est historique en valeur absolue, mais pas corrigée de l'inflation, où elle est en-dessous de 2012. À partir de 2022, la tendance revient à la normale, tant en valeur absolue que corrigée de l'inflation. Il est donc possible de conclure à un mouvement qui pourrait s'avérer inquiétant s'il était poursuivi.

b) Des devis moyens qui suivent la tendance

L'évolution du devis moyen des films actualisé de l'inflation suit logiquement cette tendance, avec une tendance à la baisse depuis plus de 10 ans.

Nombre de films d'initiative française et devis moyen actualisé de l'inflation

Échelle de gauche (colonnes) : nombre de films français. Échelle de droite : devis moyen ajusté de l'inflation en centaines de milliers d'euros

L'année 2022 ne parait pas à même d'éteindre les inquiétudes sur le financement moyen des films, même si elle semble marquer une stabilisation du devis moyen ajusté de l'inflation.

*

* *

On assiste donc à une tendance que l'on peut résumer en trois points :

Ø la France a accru sur une longue période sa production de films, essentiellement au bénéfice des oeuvres à petits budgets, et plutôt au détriment des films dits « du milieu » ;

Ø la fréquentation n'a pas suivi la production. Si le cinéma français représente toujours une part de marché sur son propre territoire sans comparaison avec les autres pays, elle s'explique plus par l'abondance de l'offre que par le succès des films ;

Ø cela se traduit in fine par des devis moyens en baisse, ce qui peut impacter très directement la qualité des productions et fragiliser notre exception culturelle.

IV. LES TEMPS MODERNES : LE CINÉMA ET LA SALLE FACE AUX BOULEVERSEMENTS TECHNOLOGIQUES

Secteur emblématique des industries culturelles, l'industrie cinématographique est aujourd'hui comme hier confrontée à des évolutions technologiques qui interrogent à chaque fois sa résilience et sa faculté à se réinventer. Pourtant, le cinéma en salle semble avoir su résister à la vague de pessimisme qui s'est abattue sur lui, comme l'a montré la partie I du présent rapport.

L'industrie cinématographique est pourtant amenée à s'adapter à la nouvelle donne issue des habitudes de consommation, comme des nouveaux standards de production.

A. TOUT LE MONDE AIME LA SALLE (DE NOUVEAU)

1. Quel public pour le cinéma en 2023 et au-delà ?
a) Une fréquentation durablement affectée ?

En moyenne entre 2015 et 2019, 67,6 % de la population s'est rendue au cinéma au moins une fois dans l'année, soit plus de 40 millions de personnes. Cela correspond à cinq entrées par personne. Le cinéma est de très loin la première sortie culturelle en France, devant le spectacle et le musée (respectivement 43 % et 44 % de la population en 2018).

32,7 millions d'individus âgés de 3 ans et plus sont allés au moins une fois au cinéma en 2021, soit 51,4 % de la population, contre 43,6 millions en 2019 (68,3 % de la population). Le chiffre de l'année 2021 est tout juste inférieur à la partie de la population qui a utilisé un service de streaming par abonnement au moins une fois dans le mois (53,2 %). En 2021, chaque spectateur s'est ainsi rendu, en moyenne, près de trois fois au cinéma en cours d'année.

Dans le détail, les moins de 25 ans sont ceux qui sont proportionnellement le plus revenus au cinéma avec une progression de 28,7 %, par rapport à 2020. 70,4 % de cette tranche est allée au cinéma en 2021, contre 55 % en 2020, ce chiffre restant toutefois inférieur à celui avant crise (80 %). Cependant, les publics les plus jeunes vont nettement moins souvent au cinéma que précédemment : 1,6 fois dans l'année, contre 5,5 fois avant la pandémie.

À l'opposé, moins d'un tiers des plus de 65 ans était revenu au cinéma en 2021, mais avec une fréquence aussi élevée qu'avant. Ils représentent toujours 40 % des entrées. Les inactifs (dont élèves, étudiants et retraités) concentrent près de 60 % des entrées en 2021. De manière générale, la part des plus âgés a tendance à croitre sur le long terme.

Le cinéma est également un loisir en moyenne plus prisé des catégories socioprofessionnelles supérieures, peut-être en raison du coût d'une entrée. 83,6 % des cadres et 81 % des bac+ 2 sont allés au cinéma dans l'année, contre 55 % des ouvriers et 32,2 % des personnes dépourvues de diplômes.

Pourcentage par catégorie socioprofessionnelle de spectateurs de cinéma

S'il est moins socialement marqué que les autres types de sortie, le cinéma demeure en partie un loisir socialement discriminant.

b) Un excellent maillage du territoire

Il n'est cependant pas territorialement discriminant, puisque la partie de la population qui y va une fois par an est proche quel que soit le lieu de résidence, avec cependant une particularité de la métropole parisienne où la fréquentation est de loin la plus élevée.

Les cinémas à l'épreuve de la sobriété énergétique

Une salle consomme une quantité importante d'électricité, pour le fonctionnement du projecteur, la climatisation ou les affiches lumineuses à l'extérieur. Elle emploie par ailleurs des personnels à des horaires atypiques. Or les revenus des salles ont connu une contraction en 2022 par rapport à 2019, et elles doivent dans le même temps rembourser les prêts garantis par l'État (PGE) consentis par le Gouvernement.

L'énergie représentait avant la crise énergétique entre 5 % et 10 % des charges, et serait désormais comprise entre 20 % et 25 % suivant la renégociation du contrat.

Dès lors, une réflexion essentielle est en cours pour mener une politique de sobriété énergétique. La Fédération nationale des cinémas français a publié en septembre une charte de tous les cinémas pour une réduction immédiate de la consommation d'énergie26(*). Parmi les propositions avancées figure le remplacement des projecteurs au xénon par des projecteurs laser, qui consomment deux fois moins d'électricité, mais équipent moins de 10 % du parc total.

La progression du parc d'écrans de cinéma n'est pas linéaire au cours de la période 2012-2021. Le nombre d'ouvertures d'écrans a connu un net essor en 2013, 2015, 2019 et 2021 avec environ 200 ouvertures ces années-là. En moyenne, 156 écrans ont été ouverts chaque année entre 2012 et 2021 et 83 ont fermé. Sur les dix dernières années, le parc s'est ainsi enrichi de 73 écrans chaque année en moyenne.

Si le nombre d'établissements actifs est relativement stable entre 2012 et 2021, les évolutions ne sont pas homogènes selon les types de cinémas. Les établissements de 4 ou 5 écrans (-7,1 %) et les mono-écrans (-6,5 %) subissent un recul plus important que la moyenne. À partir de 6 écrans, le nombre d'établissements progresse significativement sur la période : + 20,7 % pour les cinémas de 6 ou 7 écrans et + 32,6 % pour les multiplexes. La tendance lourde est donc aux salles les plus importantes.

En 2021, 1 671 communes sont équipées d'au moins une salle de cinéma en activité. Les communes équipées regroupent 48,4 % de la population française. Toutes les communes de 100 000 habitants et plus abritent au moins un établissement cinématographique actif en 2020, ainsi que la quasi-totalité des communes de 50 000 à 100 000 habitants. L'équipement cinématographique se réduit avec la taille de la commune.

Plus de la moitié des cinémas sont cependant situés dans des villes de moins de 20 000 habitants.

La numérisation des salles

Le CNC a mené entre 2010 et 2013 un très ambitieux programme de « numérisation » des salles.

Entre sa création en septembre 2010 et après son ouverture successive aux salles dites « peu actives » en juin 2012, puis aux circuits itinérants en octobre 2012, l'aide à la numérisation des salles a contribué, avec le soutien des collectivités territoriales, au financement de l'équipement numérique de plus de 1 280 écrans représentant 950 établissements.

Conçu en complément de la loi du 30 septembre 2010 relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, ce dispositif, destiné au financement de l'installation initiale des équipements de projection numérique, a permis d'équiper la quasi-totalité du parc national.

c) Des cinémas itinérants au coeur des territoires

Les circuits de cinéma itinérant ont émergé il y a une quarantaine d'années.

En 2019, 109 circuits itinérants ont sillonné la France métropolitaine et les Outre-mer pour apporter les films au public dans les communes qui n'ont pas de cinémas, essentiellement dans les zones de revitalisation rurale (ZRR). Les circuits opèrent selon des formes très variées, de projecteurs déplacés de lieux en lieux à des camions27(*) capables de se transformer en salle.

Il n'existe pas de définition juridique des circuits de cinéma itinérant. Pourtant, pour être reconnu comme tel, le CNC exige un minimum de deux points de diffusion. Le circuit est identifié comme une salle de cinéma fixe par l'obtention d'un numéro d'autorisation délivré par le CNC. Le circuit doit ainsi établir un point géographique référent. Le financement est essentiellement assuré par les départements, les communes mettant à disposition les locaux. L'activité y demeure cependant structurellement déficitaire, en raison du faible prix des places et des coûts logistiques.

Les cinémas itinérants fonctionnent généralement avec des relais locaux, associations, comités des fêtes ou collectifs informels. Les programmations sont souvent pensées avec des films de l'actualité grand public, des programmes classés Art et Essai ou encore des longs métrages ayant marqué l'histoire du cinéma.

D'après une étude28(*) menée par le CNC et l'Association nationale des cinémas itinérants (ANCI) en 2020 , le public des cinémas itinérants est un public plutôt fidèle, qui reste très attaché à un point de projection dont il apprécie la proximité et la convivialité, mais demeure majoritairement âgé avec 71,6 % de plus de 50 ans, soit plus du double de la proportion nationale des publics de cinéma, avec une forte proportion de retraités.

Les circuits de cinéma itinérants, trop peu connus, contribuent pour une part essentielle à la diffusion des oeuvres au niveau local et à la satisfaction d'un public qui, pour plusieurs raisons, ne peut ou ne souhaite se déplacer vers les salles « fixes » les plus proches. Son fonctionnement repose sur le travail de bénévoles passionnés, qui doivent être salués pour leur engagement fort en faveur du cinéma, dont ils constituent l'ultime maillon de proximité.

2. Grand écran et petites lucarnes
a) Le film et l'écran

La crise pandémique a provoqué dans le milieu du cinéma une véritable crise existentielle sur l'avenir même du 7ème art. Ce débat est en réalité plus ancien, et a eu lieu dans la plupart des pays de cinéma, mais il était passé plus inaperçu en France en raison des excellents chiffres de fréquentation des cinémas, qui ont enchainé les très bonnes années jusqu'en 2019.

Tout au long du XXème siècle, le cinéma a connu un chemin tortueux, passant du statut d'unique source d'images mobiles disponibles à celui « d'écran parmi les autres ». L'essor de la télévision, et plus encore la multiplication des chaines au tournant des années 80, l'ont très sérieusement fragilisé, au point de presque disparaitre dans certains pays au profit de la production audiovisuelle. Entre la fin de la seconde guerre mondiale et maintenant, le cinéma a ainsi perdu plus de la moitié de son public dans notre pays. Pourtant, comme on a pu le voir, certains pays, au premier rang la France, ont mené une politique publique ambitieuse et volontariste qui a permis de préserver le cinéma.

Le paradoxe est donc que dans un monde où jamais la demande n'a été si forte pour les créations, où l'image est omniprésente, le plus illustre de ses représentants est réduit à une position « défensive ». La question n'est donc pas celle du goût des spectateurs pour l'oeuvre audiovisuelle ou cinématographique, au contraire, mais plutôt celle de son mode d'exposition, via la salle ou directement sur les écrans de télévision ou d'ordinateur. Or l'oeuvre ne peut pas être séparée du média pour lequel elle est conçue. Un film « de cinéma » ne ressemble pas à un film « pour la télévision », quelle que soit la qualité de ce dernier.

b) Le cinéma à la télévision

La télévision a toujours été un vecteur de connaissance et de diffusion des oeuvres cinématographiques. Plus facile d'accès et présente dans l'immense majorité des foyers, la télévision offre un accès aisé aux films, qui a longtemps constitué le grand moment des soirées en famille.

Il n'y a cependant plus comme il y a vingt ans une seule télévision, mais une pluralité d'écrans et de vecteurs de diffusion des films. Or ces diffuseurs reposent sur des schémas économiques différents au regard du cinéma :

- le cinéma représente 3,3 % du temps d'antenne des chaînes généralistes, mais 22,8 % des premières parties. 2 400 films sont ainsi diffusés chaque année. Les chaînes privées généralistes diffusent très majoritairement (61,5 %) les gros succès, qui ont fait plus d'un million de films en salle. L'offre pourrait augmenter avec la fin des « jours interdits », qui constitue incontestablement une nouvelle positive. Selon les informations recueillies par la mission d'information, les chaînes ne commencent en général à rembourser leur investissement qu'après la première diffusion, qui est encore déficitaire, peut-être en raison de l'exposition continue de l'oeuvre avant sa diffusion sur une chaîne généraliste qui lui fait perdre largement son côté « exclusif » ;

- le cinéma représente plus de 80 % du chiffre d'affaires de la vidéo à l'acte en ligne et plus de 70 % de la vente physique, en très nette décroissance. Les films dits de patrimoine sont pour leur part beaucoup plus représentés dans les ventes physiques qu'en ligne ;

- le cinéma ne représente qu'environ 20 % de la consommation sur les plateformes par abonnement, très largement dominées par les séries. Ces plateformes disposent cependant d'un catalogue extrêmement vaste avec 9 600 références en tout et près de 2 800 pour Netflix ou Prime.

Le cinéma est donc un actif qui n'est pas mis en valeur de la même manière selon le support. Cela reflète l'évolution de son exploitation. Alors que l'oeuvre paraissait au cinéma, puis pouvait être inaccessible pendant des années en attendant une sortie en vidéo, puis la diffusion sur une grande chaine, le principe est maintenant celui de la disponibilité continue, à quelques exceptions près. Il est donc moins possible pour les chaînes généralistes, qui arrivent « en bout » de chronologie, de créer l'événement autour de la diffusion d'un grand succès dans une case privilégiée, alors que l'oeuvre a déjà été disponible au cinéma, en vidéo à l'acte, en location, sur Canal Plus, sur les plateformes par abonnement, etc...

Or les plateformes représentent la fraction la plus dynamique du marché de l'audiovisuel.

c) L'explosion des plateformes

Les plateformes de streaming proposent une offre presque infinie d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, pour des tarifs mensuels à peine supérieurs au prix d'une place. Dès lors, le choix d'aller au cinéma peut légitimement se poser, alors qu'il suffit de rester chez soi.

Le développement des services de streaming a été rendu possible au début des années 2010 par l'amélioration des réseaux internet, qui ont permis la diffusion en direct avec une bonne qualité.

Cette explosion s'est cependant réalisée au profit d'un modèle bien particulier, celui de l'abonnement, par opposition aux modèles de paiement à l'acte, sous forme de location ou d'achat oeuvre par oeuvre.

Évolution depuis 2010 de la vidéo à la demande

Devenu dominant, le modèle des services de streaming par abonnement a naturellement attiré de nouveaux investisseurs, ce qui a entrainé une concurrence accrue.

En 2022, 53,2 % des Français ont ainsi utilisé au moins une plateforme de streaming, contre 44,2 en décembre 2019. Netflix a ainsi connu un développement exceptionnel en très peu de temps, dépassant le service de Canal Plus en 2015 et le service de VOD d'Orange en 2016, établissant au passage la suprématie du modèle par abonnement. Les trois premières places sont aujourd'hui occupées en France par trois services américains : Netflix, Amazon Prime et Disney +, Canal Séries et Arte résistant encore à ce « raz-de-marée ».

Part des utilisateurs ayant consommé de la VOD payante selon la plateforme

( %)

La part des jeunes diminue cependant assez rapidement, avec une baisse de 13,9 points entre janvier 2020 et septembre 2022, que compense presque exactement la hausse chez les 25-34 ans. Les dernières tendances sont à une déformation de la typologie des utilisateurs en faveur des plus de 35 ans, qui se sont massivement appropriés ces outils. Alors qu'ils représentaient 44,8 % du public au début de l'année 2020, ils sont dorénavant 54,5 % de l'audience pour cette catégorie de services.

d) Le film et l'écran

La mission d'information a entendu Mme Joëlle Farchy, professeure à l'Université Paris I et spécialiste de l'économie et des industries culturelles. Elle a publié en 2022 un ouvrage remarqué « Le Cinéma n'est plus ce qu'il était » qui propose une réflexion stimulante sur la déconnexion croissante entre la salle et le film.

Ainsi, il n'est plus possible d'opposer une production cinématographique qui disposerait du monopole de la qualité, du spectacle et de l'audace créatrice, à des oeuvres audiovisuelles réputées de moindre intérêt. Le développement et les moyens sans cesse croissants mis dans le développement des séries ont montré que les meilleures d'entre elles étaient au niveau d'un film de cinéma, voire pouvaient le surpasser. Par-delà, les talents trouvent aujourd'hui pour s'exprimer un nouveau terrain de jeu avec les réseaux sociaux.

Lors de son audition devant la commission de la culture le 15 mars 202329(*), Jérôme Seydoux, co-président de Pathé, a confirmé cette analyse :

« Le cinéma bon marché, c'est la télévision.

« C'est notre concurrent principal, et si nous cherchons à concurrencer la télévision en matière de prix, nous avons perdu. La télévision est gratuite ou, dans le cas des plateformes, peu chère - 10 à 12 euros par mois pour toute une famille. On ne peut concurrencer la télévision. Les gens vont au cinéma parce que c'est une sortie, parce qu'ils vont passer un bon moment, et ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur offre du confort et de bons films.

« Autrefois, le cinéma était sans concurrent. Aujourd'hui, il a non seulement la concurrence de la télévision et des plateformes, mais aussi celle du téléphone portable, des réseaux sociaux, etc. Les jeunes ne regardent pas la télévision, ils vont éventuellement au cinéma, et ils sont sur les réseaux sociaux avec leur téléphone portable ou leur ordinateur. »

Pour autant, comme l'écrivait Roland Barthes : « Je ne puis jamais, parlant cinéma, m'empêcher de penser salle, plus que film » Il existerait un lien ancien et profond entre le lieu et l'oeuvre, encore récemment exposé par trois films de trois réalisateurs oscarisés sortis début 2023 : The Fabelmans de Steven Spielberg, Babylon de Damien Chazelle et Empire of Light de Sam Mendes. Ils évoquent chacun avec une forme de nostalgie et une vision du cinéma mythifiée, empreinte de romantisme, l'expérience de la salle et de la création des oeuvres.

3. La revanche de la salle
a) Terreur sur la ville

La période pandémique a servi de test « grandeur nature » pour mesurer la force d'attraction de la salle par rapport aux écrans des plateformes.

Le cinéma a en effet été confronté à une grave incertitude sur les débouchés - et donc les revenus - des productions achevées, ou en passe de l'être, mais pas encore sorties en salle au moment de l'annonce du confinement au printemps 2020. La période pandémique a été particulièrement favorable aux services de streaming. Elle a donc mis fortement en tension le lien entre le film et la salle, au point que des studios réputés ont fait le choix de franchir le cap de la diffusion exclusive ou simultanée.

L'annonce par la société Disney à la fin de cette année de la diffusion, moyennant un paiement complémentaire, de son film Mulan a alors pu être perçu comme une manière non pas de contourner la salle au profit des plateformes, mais surtout de diffuser une oeuvre alors qu'aucune date de sortie n'était alors prévisible compte tenu de la situation pandémique aux États-Unis.

À l'été 2021, la même société Disney a choisi dans un contexte pourtant plus favorable de sortir simultanément en salle et sur sa plateforme, toujours moyennant une contribution supplémentaire, son film Black Widow, avec l'actrice Scarlett Johansson.

Quelques semaines plus tard, l'annonce par la société Warner de la sortie simultanée du film de Denis Villeneuve Dune, d'après l'oeuvre de Frank Herbert, en salle et sur la plateforme HBO Max, un choix publiquement critiqué par le réalisateur, a confirmé une tendance qui pouvait s'avérer mortelle, celle d'une concurrence frontale et organisée par les studios entre les salles et les plateformes.

b) L'indispensable salle

Pourtant, cette tendance a semblé s'inverser. En témoigne le remplacement le 20 novembre 2022 de Bob Chapek, PDG de Disney par son prédécesseur Bob Iger, qui a pu être interprété comme la fin, au moins la modulation, d'une politique favorisant le « tout streaming » au détriment de la salle. La situation serait aujourd'hui presque revenue à la normale, au moins pour un temps, avec beaucoup moins d'annonces menaçantes pour l'exploitation cinématographique, et au contraire des sorties prévues dans le monde de nature à susciter l'optimisme.

Comment expliquer ce revirement, à tout le moins, cette suspension d'un mouvement de « ringardisation » de la salle qui paraissait inéluctable à certains ?

La sortie d'un film en salle présente des caractéristiques qui rendent cette sortie utile, voire indispensable.

(1) La valeur de la salle

Tout d'abord, elle représente une valeur économique non négligeable en elle-même.

Recettes de la salle en France depuis 2000

En milliers d'euros

Ainsi, en France, les entrées en salle ont représenté près de 1,5 milliard d'euros en 2019. Dans le monde, cette même année, les recettes totales se sont établies à environ 42,3 milliards de dollars, bien supérieur au chiffre de 2022 de 26 milliards de dollars.

La sortie d'un film en salle, si elle est coûteuse en elle-même, avec des frais d'édition et de promotion qui peuvent aller jusqu'à 15 % du prix du film, constitue une source de revenus extrêmement substantielle pour les producteurs ou les studios. Il est donc difficilement concevable pour eux de se passer de cette ressource. Ainsi, six films, tous américains, ont rapporté plus de deux milliards de dollars de recette au niveau mondial.

Les six films à plus de deux milliards de dollars de recettes

Film

Sortie

Recettes monde

Avatar

2009

2,9 milliards de dollars

Avengers : Endgame

2019

2,8 milliards de dollars

Avatar 2 : la vie de l'eau

2022

2,3 milliards de dollars

Titanic

1997

2,2 milliards de dollars

Star Wars Episode VII

2015

2,1 milliards de dollars

Avengers : Infinity Wars

2018

2 milliards de dollars

On peut constater que quatre de ces productions sont sorties dans les sept dernières années. Par ailleurs, à l'exception de Titanic, toutes ces oeuvres sont des épisodes de franchises (Avatar, Marvel et Star Wars).

(2) La valeur donnée par la salle

Ensuite, le passage par la salle de cinéma, plus encore, le succès, démultiplie la valeur du film pour la suite de son exploitation. Ainsi, les diffuseurs entendus par la mission ont tous relevé que les succès en salle donnaient des succès lors de la diffusion, à quelques exceptions près.

Dès lors, réserver le film à une diffusion directement sur plateforme fait perdre de la valeur à un actif pour les dix années de son exploitation sur tous les formats. Tel semble être la nouvelle position des studios, qui n'ont pas connu le succès en diffusant en simultanée ou en léger décalage les oeuvres en ligne et en salle.

Dans ce contexte se pose cependant la question de la durée d'exclusivité de la salle de cinéma. En France, la chronologie des médias la fixe à trois ou quatre mois, et un délai d'au moins 15 mois pour les plateformes par abonnement. Cette plage temporelle est réputée permettre de maximiser la fenêtre de la salle. La sortie du film sur grand écran constitue un événement et la durée de vie du film en salle est l'opportunité pour le producteur et le distributeur de faire connaitre l'oeuvre partout en France, avec des actions de plus en plus éditorialisées. Pour autant, les autres pays ne partagent pas cette vision. Aux États-Unis, la durée d'exclusivité est traditionnellement limitée à 45 jours. Les plateformes par abonnement, qui ont dû intégrer en France la double contrainte de la chronologie des médias et des obligations d'investissement, doivent donc contribuer à des productions destinées à la salle, et qui ne pourront intégrer leur catalogue que plusieurs mois plus tard. Elles estiment que la valeur donnée à leur catalogue par le passage en salle ne suffit pas à justifier l'impossibilité pour elles d'en disposer librement. Plusieurs personnes entendues par la mission ont cependant noté que les oeuvres jusqu'à présent produites par les plateformes n'étaient pas en mesure de connaitre de grands succès en salle, ce qui pourrait changer à l'avenir.

(3) La salle et la création

Enfin, le cinéma en salle demeure le lieu le plus propice à la création, ce point de vue étant singulièrement partagé par les réalisateurs et les acteurs les plus reconnus. La plupart, dans un mouvement très large, ont ainsi exprimé leur préoccupation de voir leurs oeuvres littéralement « détournées » vers les plateformes, alors qu'elles sont prévues pour la salle. Dans un registre très médiatique, Tom Cruise a ainsi fait état de sa volonté « farouche » de protéger la salle de cinéma, rejoint par de très nombreux réalisateurs.

La salle demeure en effet dans l'imaginaire le lieu naturel où doit se dérouler l'expérience cinématographique, par opposition à la version « dégradée » que serait le petit écran.

La conjugaison de ces éléments semble donc être pour la salle une forme d'assurance, qui se maintient après la crise pandémique.

4. Des salles qui évoluent
a) Pourquoi aller au cinéma ?

Si les raisons d'aller au cinéma sont multiples et propres à chacun, on peut ainsi en isoler trois.

Tout d'abord, le cinéma est une expérience sociale, au même titre que le théâtre ou le concert de musique. Il propose à des personnes qui ne se connaissent pas de partager volontairement dans le même espace-temps la vision d'une oeuvre. Cette dimension sociale est associée à l'idée de « sortie », qui rend le cinéma si populaire auprès des jeunes publics, que ce soit dans le cadre de sorties familiales ou entre amis.

Ensuite, le cinéma offre des conditions de visionnage du film sans commune mesure avec un écran de télévision ou d'ordinateur. Les salles ont ainsi consenti ces dernières années de lourds investissements pour préserver leur avantage par rapport aux systèmes de « cinéma à domicile ». Profiter d'un vrai film de cinéma nécessite cependant toujours un grand écran et un son de qualité. Si tous les films de cinéma sont conçus pour être vécus en salle, certains mettent en avant leur caractère spectaculaire, comme Top Gun, Astérix ou Avatar, qui donnent leur pleine mesure sur un grand écran. Par ailleurs, les salles proposent pour la plupart l'achat de friandises et boissons, qui représentent entre 15 % et 20 % de leurs revenus, et sont partie intégrante d'une « sortie cinéma »30(*).

Enfin, le cinéma est aussi le lieu de découverte des oeuvres par excellence. Le propre d'une séance de cinéma est qu'elle exclut normalement toute autre forme de distraction, comme le smartphone. Dès lors, le spectateur n'a d'autre choix que de quitter la salle ou de se plonger pendant la durée de la séance dans la vision proposée par le film.

« L'expérience de la salle » conserve donc de nombreux atouts, que les salles de cinéma ont été amenées à développer et conforter.

b) Des stratégies diversifiées

Face au développement des plateformes de streaming, et à des premiers chiffres de fréquentation inquiétants, notamment pour les catégories de la population des plus âgés (voir supra), la question s'est posée de la stratégie que devait mettre en place les salles de cinéma pour (re)conquérir le public.

Une étude du CNC, rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes en mai 2022, a ainsi essayé de répondre à la question « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? ». Les cinq réponses les plus souvent apportées ont été les suivantes :

Dans le cadre de cette réflexion, la commission de la culture le 15 mars 2023 a entendu Jérôme Seydoux, coprésident du groupe Pathé, et Ardavan Safaee, président de Pathé Films, qui ont pu faire partager leur analyse de la situation du cinéma après la pandémie.

Les grands réseaux de cinéma en France

Sept entreprises exploitent 2 651 écrans, soit 42,8 % de l'ensemble des écrans actifs. Ils concentrent 57,6 % des entrées en 2021.

Fréquentation des principaux exploitants de salles

(en millions de spectateurs)

L'audition a permis de conforter le sens des propos déjà tenus devant la mission. Ainsi, Jérôme Seydoux a indiqué :

« Nous sortons donc d'une période difficile qui entraîne des modifications. Quelles sont-elles ? Le public a pris l'habitude de regarder des films à travers les plateformes ou la télévision traditionnelle. Le choix est énorme, la qualité excellente et les prix sont bas au regard de ce que l'on paye mensuellement. Nous avons donc à faire face à une évolution de notre environnement. Voir un film avec d'autres gens, voir un spectacle différent de ce qu'on peut voir chez soi va perdurer, mais cela ne perdurera que si nous proposons une offre qui soit bonne. » Il met donc l'accent sur l'attractivité des films en salle.

Dans cette optique, le co-président de Pathé a développé sa vision d'un cinéma tiré par l'offre, synthétisée par le président de Pathé cinéma Ardavan Safaee : « Nous nous sommes donc dits : « Faisons moins de films, mais faisons-les mieux » [...] Il nous faut aussi monter en gamme en matière de films. »

Cela induit de la part de Pathé une stratégie de « premiumisation » de son parc. L'exemple de certaines salles du groupe avec des billets qui peuvent dépasser les 20 euros a été très régulièrement évoqué devant la commission. Interrogé à ce propos par le rapporteur pour avis des crédits du cinéma, également co-rapporteur de la mission, Jérôme Seydoux a indiqué : « Je vais répondre de manière très simple : ce qui fonctionne le mieux chez Pathé aujourd'hui, ce sont les salles premium. Aujourd'hui, quand vous allez au cinéma, vous réservez votre place. Quand un film est très demandé, les places qui partent en premier sont les places les plus chères. »

Dès lors, le groupe Pathé a choisi d'être à l'initiative de films « grand public », à grand spectacle et à budget élevé, qui justifieraient aux yeux des spectateurs le prix élevé des billets dans des salles « premium » par ailleurs reconfigurées pour offrir des conditions de visionnage et de confort excellentes.

Plusieurs personnes entendues n'ont d'ailleurs pas établi de lien direct entre le prix du billet et la fréquentation, y compris en s'appuyant sur des expériences « grandeur nature ». Le cinéma, même dans les salles premium, demeure la sortie culturelle la moins onéreuse par rapport à un concert31(*) ou à une pièce de théâtre. Le choix suit donc plus largement une logique d'opportunité et d'envie, qui renvoie à l'habitude prise d'aller ou non au cinéma.

La stratégie de Pathé, fondée en partie sur la montée en gamme des salles et la diffusion de films « grand spectacle », n'est pas la seule en mesure de satisfaire les spectateurs. Le groupe UGC, à l'origine en 2000 de la carte « illimitée », insiste plus sur la diversité de la programmation, avec comme tête d'affiche le cinéma UGC des Halles, le plus grand cinéma d'Europe avec 27 salles et en 2022 le plus fréquenté du monde avec 2,2 millions de billets vendus par an. Il est également le plus grand cinéma classé « Art et Essai », avec une très grande diversité d'oeuvres proposées aux spectateurs. Enfin, de nombreuses salles mènent avec les distributeurs des politiques « événementielles » actives, en accueillant des artistes ou l'équipe du film.

Il est en tout cas intéressant et encourageant de constater, comme a pu le faire la mission, que les salles de cinéma sont dans une démarche active de modernisation et de réflexion sur leur attractivité, quitte à explorer différentes voies.

B. UNE EXCELLENCE FRANÇAISE CONCURRENCÉE EN MATIÈRE DE PRODUCTION

1. À la conquête des studios, la concurrence entre pays

Si la France dispose d'un important vivier de personnels qualifiés, et peut compter sur d'excellentes écoles et formations dans un contexte de pénurie mondiale de main d'oeuvre, elle semble ne pas être insuffisamment équipée - notamment en termes de structures, mais aussi en termes humains - pour répondre à l'explosion de la demande d'oeuvres à horizon 2030, avec l'irruption massive des plateformes.

Dès lors, l'avantage reconnu à la France en matière de production pourrait dans un très proche avenir disparaitre face à la volonté de nombreux pays de développer, pour certains, de nouveau, une industrie cinématographique.

En termes de structures, la France aurait, faute d'investissements, pris du retard par rapport à ses voisins européens.

Au Royaume-Uni, il existe plusieurs dizaines de studios répartis sur l'ensemble du territoire. Cette offre variée s'accompagne de dispositifs fiscaux avantageux qui permettent d'attirer de nombreux tournages internationaux. Le Royaume-Uni bénéficie aujourd'hui d'un parc de 360 000 mètres carrés de studios, soit plus de 6 fois la capacité hexagonale, permettant aux grands studios de négocier avec les studios hollywoodiens ou les plates-formes - comme Netflix avec les studios de Shepperton - pour sécuriser leurs capacités de tournages.

Les studios Pinewood à Londres sont les plus grands en Europe - quatre fois plus que les studios de Paris à Saint-Denis et ne cessent de se développer, le groupe Pinewood ayant par ailleurs annoncé récemment un vaste plan d'expansion de ses studios afin de faire face à la demande croissante des services de vidéo à la demande.

Au-delà des plateaux disponibles, les studios anglais sont de véritables pôles audiovisuels regroupant une multitude d'entreprises spécialisées, de professionnels qualifiés, de matériel technique haute technologie et font ainsi figures de modèles pour faire face aux multiples exigences liées au tournage de productions internationales.

En Italie, la production sur le territoire italien connaît également une exceptionnelle progression, sous l'effet de mesures d'incitations fiscales comme les crédits d'impôt, et de politiques régionales accrues ; plus de 300 millions d'euros de fonds européens ont également permis la montée en puissance de la filière, avec la construction de cinq nouvelles scènes et l'agrandissement de huit plateaux depuis 2020.

Avec 156 000 mètres carrés de studio, l'Allemagne dispose également d'un parc plus de 2 fois plus grand que la France, parmi lesquels les studios Babelsberg, dotés de technologies « dernier cri ».

Dès lors, l'enjeu en la matière est à la fois économique - le secteur représentant près de 650 000 emplois et 91 milliards d'euros de chiffre d'affaires -, mais touche également à la souveraineté culturelle de la France, face à la concurrence de services gérés essentiellement par des géants américains.

Dans un rapport au CNC et à Film France paru en mai 2019, Serge Siritzky alertait déjà sur le sous-dimensionnement des outils de fabrication de films et de séries françaises et de leur capacité à répondre à l'importante demande à venir.

2. La fabrique de l'image

C'est pour répondre au risque de faire face à un goulot d'étranglement de nos capacités de production que le Gouvernement a annoncé fin 2021 le lancement de France 2030, un grand plan d'investissement et d'innovation qui doit permettre de rattraper le retard industriel français, d'investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique dans de nombreux secteurs stratégiques.

Les industries de l'image en font pleinement partie : le plan prévoit au service de cette ambition un investissement public de 350 millions d'euros vers les studios de tournage, de production numérique (animation, jeu vidéo et post-production) et la formation, qui doivent faire levier sur des investissements privés et sur les autres financements publics pour assurer le maintien du volume de la production domestique, contenir la délocalisation des films et des séries amorcées depuis plusieurs décennies, et, surtout, attirer davantage les productions étrangères sur notre territoire.

C'est ainsi qu'a été conçu, sous l'égide du CNC, l'appel à projets « La Grande fabrique de l'image » qui vise à :

ü impulser une dynamique pour répondre à l'ambition artistique des créateurs français en leur donnant la possibilité de travailler avec les meilleurs outils et les meilleures équipes possibles en France, chez eux, pour tourner les films et histoires qu'ils désirent ;

ü assurer par là même notre indépendance culturelle, dans un contexte de très forte compétition sur la production d'oeuvres et les équipements de tournages. Face aux plateformes qui passent des contrats de plusieurs années avec des talents, des écoles, ou des studios de tournages, France 2030 vise donc à renforcer le modèle français d'indépendance et notre tradition artistique.

Pour y parvenir, il faut doubler la capacité de production en investissant massivement dans le développement des infrastructures, dans l'innovation au service de nouvelles techniques de production, dans la formation des talents techniques et artistiques. Ainsi, concrètement, le plan ambitionne :

ü d'intégrer à la filière un public très large en doublant le nombre annuel de diplômés de la filière, passant de 5 700 à 10 300 par an ;

ü de doubler le nombre d'emplois dans la filière de production en passant de 50 000 à 92 000 ;

ü de faire passer le poids de la filière de 4,2 millions d'euros à 7,6 millions d'euros, ce qui correspondrait en parallèle à un triplement de sa contribution au commerce extérieur ;

ü de réduire fortement l'empreinte carbone de la filière.

Cette phase d'appel à projets est désormais close depuis fin octobre. Près de 175 dossiers ont été déposés. Sur ces 175 dossiers, 72 concernent la formation, 65 des projets de studios numériques et 38 des projets de studios de tournage.

Par ailleurs, ces projets sont présents sur toutes les régions métropolitaines et 3 territoires d'outre-mer même si les trois territoires identifiés comme prioritaires - l'Île-de-France, le Nord et l'arc méditerranéen - en concentrent la majorité.

L'ambition est de retenir une dizaine de studios de tournage, entre 10 et 20 studios de production numérique (animation, post-production, VFX, jeux vidéo) et entre 20 et 30 projets de formations.

Le principal critère sera la manière dont chaque projet contribue à l'objectif de doublement de la capacité d'infrastructure et d'emploi dans la filière de production. Des critères de développement durable, ainsi que d'autres plus techniques, seront aussi pris en compte.

Provence Studios : une réussite à Martigues

Dans le cadre de ses travaux, la mission a effectué un déplacement le 13 avril 2023 à Martigues dans les locaux de la société « Provence Studios ». Cette entreprise illustre les ambitions, mais également les incertitudes, qui entourent cette filière française d'excellence.

Créé en 2010, Provence Studios est l'un des plus grands sites de tournage en Europe, avec plus de 15 plateaux répartis sur 26 000 m² de studios, sur une superficie totale de 22 hectares. La société emploie 1 500 personnes.

Avec le studio « Next Stage », Provence Studios dispose d'un plateau à la technologie d'exception, qui offre un décor virtuel sur un mur LED, identique à celui utilisé par Disney pour la série « The Mandalorian ». Le résultat à l'écran est effectivement exceptionnel.

Provence Studios accueille les tournages aussi bien de films français (Le temps des secrets de Christophe Barratier, Bac Nord de Cédrix Jimenez, Titane de Julia Ducournau, Palme d'Or à Cannes en 2020...) que de séries américaines à gros budget (Serpent Queen de Justine Haythe) ou encore de publicités.

Au-delà de la découverte des lieux et des conditions de travail, la mission a été sensibilisée à deux aspects.

D'une part, l'importance du crédit d'impôt international, qui, dans un contexte où les États luttent pour accueillir des tournages, constitue avec l'excellence des infrastructures et des techniciens, un argument souvent décisif.

D'autre part, les retombées économiques pour la ville et la région qui s'avèrent considérables. Ainsi, plus de deux millions d'euros ont été dépensés dans l'hôtellerie locale, dont 1,4 million dans un camping de Martigues. Le maire de la ville évalue à 28 millions d'euros les retombées annuelles pour sa ville.

V. LE GOÛT DU CINÉMA : LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

Si le cinéma en France est une réussite majeure de politiques publiques menées avec constance depuis près de 80 ans, il est régulièrement attaqué sur son coût, sur le degré de contrainte qu'il fait peser sur les acteurs, mais également sur la compatibilité de ses objectifs entre eux : produire un cinéma populaire ou soutenir la création ?

Le milieu du cinéma est en général pleinement conscient de la place privilégiée qu'il occupe dans l'ensemble des politiques publiques de soutien à la culture, et qui ne manque pas parfois se susciter envie et incompréhension de la part de secteurs qui s'estiment moins bien traités.

Pour autant, la mission a cherché à identifier les pistes d'amélioration, avec comme boussole le maintien d'une dualité dans les objectifs de notre cinéma, qui en fait toute la richesse et la singularité. C'est tout à l'honneur de la France de donner sa chance aux talents émergents, à la créativité et à l'audace cinématographique, ce pari étant parfois largement plébiscité par les spectateurs. Il est dans le même temps nécessaire de conserver au cinéma sa vocation de grand loisir populaire, non seulement par des productions nationales grand public, mais aussi par la valorisation de l'implantation et du rôle de la salle.

La mission a donc souhaité proposer des évolutions pour chaque échelon de la chaîne du cinéma. Le degré élevé de soutien à la production, s'il peut être mieux régulé, doit également être soutenu par des mécanismes de diffusion des oeuvres au même niveau, sous peine de créer des oeuvres qui n'auraient aucune chance d'atteindre un public.

Dans ce contexte, la mission formule 14 recommandations qui forment un cadre cohérent et adapté pour préserver et amplifier la belle histoire du cinéma en France.

A. ADAPTER LES MÉCANISMES DE SOUTIEN POUR ASSURER DES PRODUCTIONS MIEUX FINANCÉES

La question d'une éventuelle « surproduction » n'est légitime que dans la mesure où le système de soutien public au sens large pousserait ou non à une production abondante, à tel point que sa qualité s'en ressente ou que le public ne puisse tout simplement pas l'absorber.

La détermination d'un « bon » nombre de films relève d'autant plus d'une illusion que les oeuvres proposées chaque année dans les salles dépendent d'une pluralité de facteurs, dont seule une minorité relève stricto sensu de la puissance publique. En effet, plus de la moitié des films projetés sont étrangers, et parmi les films français, une bonne partie est produite et diffusée sans agrément, donc, sans soutien public, essentiellement les budgets les plus réduits. Ces diffusions relèvent donc de choix économiques des seuls producteurs, distributeurs et exploitants.

Pour autant, l'analyse menée sur le succès des films français et l'évolution de la production appelle à la plus grande vigilance en montrant les failles possibles du système de soutien.

Ainsi, le constat de la plus grande difficulté des « films du milieu » à se financer, alors qu'ils constituent le « coeur » de notre cinéma, couplée à la diminution des devis, est un signal négatif dont il faut tenir compte. Il semble en effet exister, même si des exceptions peuvent advenir dans un sens ou dans l'autre, une corrélation entre le financement d'un film, en particulier lors de son développement, et son succès public.

Pas plus qu'il n'est pertinent de chercher à déterminer un « bon » nombre de films (en sous-entendant qu'il y en a trop), il n'est pertinent de se fixer comme objectif ou de communiquer sur une augmentation de la production. Tel a parfois pu être le cas dans le passé. Il parait plus adapté à la mission de se concentrer sur le financement de chaque film, soit une hausse des devis, notamment dans la phase de développement. Le CNC a entamé cette démarche, avec la division des commissions d'avance sur recettes en fonction du nombre de films déjà produits32(*). Comme cela a été dit, la mission a pu assister à une réunion et a été très sensible au degré de conseil assumé par les membres du jury, qui apparaissent moins comme des censeurs que des appuis, y compris pour les projets non sélectionnés.

Le CNC dispose de plusieurs leviers supplémentaires pour parvenir à remplir un objectif plus qualitatif. Parmi ceux-ci, deux paraissent pouvoir être mis en oeuvre assez rapidement. Ils visent en fait à mieux récompenser le succès des films, afin de donner au producteur et au distributeur plus de moyens pour investir dans les oeuvres suivantes.

Ø D'une part, en ce qui concerne les producteurs

Il s'agirait de profiler différemment le compte de soutien automatique, qui présente actuellement une évolution peu discriminante, puisqu'il commence à s'abaisser au-delà de 1,5 million d'entrées, ce qui n'a concerné que 9 films français sur 391 en 2019. Afin de le rendre plus incitatif, on pourrait par exemple créer un taux supplémentaire avantageux au-delà de 500 000 entrées, quitte à ne plus abonder le compte au-delà de 5 millions d'entrées, ce seuil étant au demeurant rarement atteint et marquant un succès conséquent qui pourrait dispenser d'un soutien minime supplémentaire.

L'impact de cette réforme devrait cependant être estimé par des simulations que la mission n'est pas en mesure de conduire, c'est pourquoi le choix du seuil et du taux devra être précisément fixé.

Recommandation n° 1 : Pour les films agréés, accorder plus d'attention à l'évolution du devis moyen de chaque film, en utilisant différents leviers, comme une modification de l'article 211-26 du Règlement général des aides du CNC sur le soutien automatique des producteurs pour créer un nouveau palier bonifié avant 1,5 million d'entrées.

Ø D'autre part, pour les distributeurs

Dans le même ordre d'idée, le soutien automatique défini à l'article 222-4 du Règlement général des aides est décroissant à partir de 50 000 entrées, et s'annule au-delà d'un million. Il pourrait être envisagé de le rendre plus incitatif, en prenant comme modèle celui des producteurs : croissant jusqu'à un certain stade, puis décroissant, et en déplafonnant son calcul au-delà d'un million d'entrées.

Là encore, des simulations précises devraient être réalisées pour ne pas aboutir à des effets contre-productifs par rapport à l'objectif recherché, qui est de favoriser le financement et le succès des films.

Recommandation n° 2 : Profiler différemment le soutien automatique des distributeurs par une modification de l'article 222-4 du Règlement général des aides en le rendant croissant dans les premières tranches et en supprimant son plafonnement au-delà d'un million d'entrées.

B. DES FILMS MIEUX DIFFUSÉS POUR UN PUBLIC PLUS LARGE

De manière générale, il apparait comme essentiel de donner de la cohérence au dispositif : il est inutile d'encourager à la production de plus de films que le marché n'a la capacité d'en absorber, d'où un rééquilibrage à terme à mener entre soutien à la production et soutien à la distribution.

Le système français est, comme on a pu le montrer, cohérent dans ses objectifs, avec une politique de régulation à chaque maillon de la chaîne : production, distribution, exploitation.

Il est aujourd'hui indispensable d'assurer la meilleure accessibilité aux oeuvres de la diversité, françaises comme européennes, pour préserver les spécificités historiques de notre cinéma.

Pour ce faire, plusieurs leviers sont mobilisables.

1. Renforcer les dispositifs d'engagement de programmation

La mission partage pleinement la plupart des remarques et des objectifs de la mission confiée à Bruno Lasserre sur le cinéma et la régulation33(*). En particulier, la mission a été à de nombreuses reprises sensibilisée à la question du respect des engagements de programmation. Ces derniers constituent une ossature essentielle de notre système. Ils permettent au passage de préserver la liberté de choix des spectateurs en leur offrant plus de possibilités que les simples « grosses sorties », ou en ne limitant pas l'abondance de l'offre à quelques grandes villes bien équipées.

Or aujourd'hui, les engagements de programmation sont fragilisés. Si le CNC a la capacité d'imposer ses choix pour les exploitants-propriétaires, il n'a à sa disposition que des capacités très limitées pour amener à un niveau satisfaisant les groupements et ententes de programmation comme Pathé ou UGC, ou même en cas d'absence de proposition de leur part. En effet sa seule arme réelle est alors le refus d'agrément pour l'ensemble, difficilement concevable.

Il pourrait donc être envisagé d'améliorer la capacité d'action du CNC pour les groupements et ententes, en l'alignant sur les exploitants-propriétaires.

Recommandation n° 3 : Aligner les pouvoirs du CNC dans la fixation des engagements de programmation des groupements et ententes sur celui des exploitants-propriétaires. Le CNC aurait ainsi la capacité de fixer les engagements en cas d'engagements manifestement insuffisants ou d'absence de proposition.

Il est évident que ce pouvoir supplémentaire ne doit se concevoir que comme un levier destiné à pousser au dialogue entre les parties prenantes, et n'être utilisé qu'en dernier recours face à un blocage manifeste. Ainsi, les propositions du CNC doivent demeurer réalistes et ne pas limiter plus que nécessaire la liberté des exploitants.

Ces derniers doivent cependant tenir compte des engagements ainsi souscrits, de la manière la plus claire et non contestable possible. Il est donc nécessaire de compléter le Règlement général des aides d'une clause permettant de moduler l'aide à l'exploitation en fonction du respect des engagements de programmation, ces derniers devant être clairement compris comme des contreparties aux aides.

Recommandation n° 4 : Conditionner les aides à l'exploitation en fonction du respect par les exploitants des engagements de programmation.

2. Symétriquement, renforcer le dispositif d'engagements de diffusion

L'amélioration des engagements de programmation doit être complétée par celle des engagements de diffusion des distributeurs. En effet, si le film n'est pas distribué, il ne peut être diffusé dans les salles. Cela est d'autant plus vrai pour les films d'Art et d'Essai, qui sont moins présents dans les zones rurales et les petites villes, en dépit d'améliorations depuis 2016.

Sans aller jusqu'à un fort degré de contrainte qui donnerait par exemple à l'exploitant une forme de « droit » à diffuser un film - ce qui serait au reste contraire à la liberté commerciale -, il serait pertinent de rendre possible une forme d'encadrement souple, avec pour objectif de favoriser la diffusion des oeuvres d'Art et Essai dans les territoires.

Recommandation n° 5 : Sur un modèle souple et en concertation avec les professionnels, créer une forme d'engagement de diffusion des oeuvres d'Art et Essai.

3. Modifier le critère de classement en Art et Essai

L'objectif de ces politiques publiques reste d'assurer la meilleure diffusion possible des oeuvres françaises.

À cet effet, le classement « Art et Essai » a pour objectif de soutenir les salles de cinéma qui programment une proportion conséquente de films recommandés « Art et Essai » et qui soutiennent ces films par une politique d'animation adaptée. Le classement Art et Essai donne lieu à l'attribution d'une subvention destinée à soutenir l'activité de la salle concernée (voir partie II du présent rapport).

Il apparait cependant, comme cela a été indiqué dans la deuxième partie du présent rapport, que le classement en « Art et Essai » est devenu faiblement discriminant, avec près de 60 % des sorties classées. Par ailleurs, il distingue également des oeuvres aux qualités artistiques indéniables comme Dune de Denis Villeneuve, qui n'avait vraisemblablement pas besoin de cette distinction pour être diffusé.

Dès lors, il pourrait être envisagé de tenir compte du potentiel commercial d'un film dans le classement, avec soit la non attribution du label, soit une pondération moins favorable pour les films avec le potentiel commercial le plus assuré. Parallèlement, une pondération plus favorable pourrait être accordée pour la catégorie « Recherche et découverte », pour donner une meilleure chance aux oeuvres les plus exigeantes.

Recommandation n° 6 : Tenir compte dans le classement « Art et Essai » du potentiel commercial du film, ou en n'accordant pas le label, ou en pondérant différemment sa diffusion. Symétriquement, pondérer positivement les films de la catégorie « Recherche et découverte ».

4. Favoriser le renouvellement des jeunes publics

Le fait de venir au cinéma pour apprécier, seul ou en compagnie, des oeuvres, suppose une éducation précoce. De ce point de vue, les années de fermeture ou d'accès limité avec la pandémie ont certainement pesé sur quelques générations, d'où des chiffres préoccupants sur les jeunes publics.

La mission préconise deux mesures pour permettre aux plus jeunes de découvrir et s'approprier le cinéma, sans qu'il soit limité aux plus grosses productions étrangères.

Ø D'une part, se fixer un objectif ambitieux de 100 % des élèves au cinéma au moins une fois par an.

Le CNC mène déjà plusieurs politiques avec les dispositifs d'éducation à l'image en temps scolaire (Ma Classe au cinéma : Ecole, Collège et Lycéens et apprentis au cinéma qui touche deux millions de jeunes soit 15 % de l'ensemble des élèves) et hors temps scolaire (Passeurs d'images).

Pour renforcer leur impact, le CNC devrait retravailler ces dispositifs en les étendant en nombre de jeunes touchés, en nombre de cinémas accueillants, sur tous les âges (de la maternelle aux études supérieures) et sur tous les temps de la vie des jeunes (périscolaire avec la relance des ciné-clubs dans les lycées, médiateurs).

L'objectif ambitieux de 100 % des élèves touchés chaque année devrait faire l'objet d'une place spécifique dans les conventions de coopération avec les collectivités territoriales 2023-2025, ainsi que d'un partenariat fort avec l'éducation nationale afin que l'éducation aux images soit intégrée aux enseignements obligatoires avec un temps dédié et une formation de tous les enseignants et chefs d'établissement.

Recommandation n° 7 : Se fixer à moyen terme un objectif de 100 % des élèves avec une séance de cinéma par an, sur le temps scolaire ou périscolaire, en partenariat avec les collectivités territoriales, le ministère de l'éducation nationale et les salles.

Ø D'autre part, associer le Pass Culture à la découverte des oeuvres françaises et européennes.

Le gout du cinéma chez les jeunes publics ne doit pas se limiter à quelques grands films étrangers. Au contraire, notre cinéma possède une richesse et une diversité qui méritent que les efforts publics soient plus clairement engagés en leur faveur au moment de la diffusion.

En plus des mesures sur les obligations de programmation et de diffusion, il est proposé d'utiliser le Pass Culture, précisément pour préparer les publics de demain à cette diversité. Actuellement, les dépenses « cinéma » représentent un peu plus de 7 % des dépenses totales du Pass. Il pourrait être envisagé de réserver une partie des places de cinéma acquises par ce biais aux films français et européens.

Recommandation n° 8 : Réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du Pass Culture aux films français et européens.

C. FACILITER LA VIE DES EXPLOITANTS

La mission est très sensible à la difficulté et aux contraintes du métier d'exploitant, qui fait vivre l'ensemble de la chaîne du cinéma.

Deux mesures pourraient être envisagées afin de faciliter la modernisation et la digitalisation du secteur.

1. Première mesure, rendre possibles les opérations promotionnelles sur internet

Le 2° de l'article L. 212-34 du code du cinéma et de l'image animée, introduit à l'origine par la loi du 7 juillet 2016, proscrit les opérations promotionnelles pour les ventes de billets en ligne. Il s'agissait à l'époque d'interdire la diminution artificielle du prix du droit d'entrée, soit en raison d'une vente liée (achat groupé d'un billet avec une boisson ou une confiserie par exemple ), soit par la facturation de frais de réservation ou de vente en ligne, afin de s'assurer de la sincérité de l'assiette applicable à la taxe spéciale additionnelle (TSA) versée au CNC sur le montant des recettes réalisées sur les entrées en salles, comme à la rémunération des titulaires de droits.

Cette limitation ne parait plus justifiée aujourd'hui, et heurte la volonté générale de développer le marketing en ligne. Pour autant, son application ne doit pas se faire au détriment des recettes du CNC ni des ayants droit, aussi, il convient de limiter l'opération promotionnelle de manière à ce que le prix ne descende pas en dessous de celui fixé pour les cartes illimitées.

Recommandation n° 9 : Autoriser les opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne, en limitant toutefois la promotion au tarif de référence fixé pour les cartes illimitées.

2. Seconde mesure, assouplir la procédure d'agrément pour les cartes illimitées

Inventées par UGC en 2000, les cartes d'accès illimitées au cinéma ont suscité alors une grande crainte, tant des exploitants hors du système que des ayants droit.

Le législateur a donc souhaité encadrer le dispositif avec la loi du 15 mai 2001 par deux mesures :

- l'obligation de prévoir un prix de référence équitable pour chaque billet acquis par ce biais, afin de servir de base au calcul de la TSA et de la rémunération des ayants droit ;

- la faculté pour les exploitants qui le souhaitent d'adhérer à la carte.

Aujourd'hui, les cartes illimitées ne sont plus perçues, bien au contraire, comme une menace, ce qui témoigne aussi de la pertinence du cadre législatif. Les possesseurs de carte font partie des « grands » consommateurs, et sont amenés pour rentabiliser leur investissement à aller voir des films de la diversité.

Le rapport précité de Bruno Lasserre recommande d'assouplir l'encadrement des cartes illimitées, sans rien céder sur le fond à un système qui a fait ses preuves. Il est ainsi proposé de supprimer l'agrément systématique par le CNC des cartes, qui s'avère d'autant plus lourd qu'il doit être de nouveau sollicité à chaque modification jugée comme « substantielle ». Cela suppose cependant notamment une évolution des modalités de calcul du prix de référence.

La mission est favorable à ces mesures de simplification administrative, mais souligne qu'il faudra parvenir au plus large consensus possible sur la question des modalités de calcul du prix de référence.

Recommandation n° 10 : Supprimer l'agrément du CNC pour les cartes illimitées en modifiant les articles L. 212-27 et suivants du code du cinéma et de l'image animée, et proposer en concertation avec les exploitants et les ayants droit de nouvelles modalités évolutives de calcul du prix de référence.

D. MIEUX ASSOCIER LE CINÉMA AUX POLITIQUES PUBLIQUES

Le CNC dispose avec ses aides d'un puissant levier pour orienter non pas le contenu des oeuvres mais les conditions de sa production.

Ainsi, la mission formule trois recommandations visant autant d'objectifs de politiques publiques que le CNC pourrait mieux servir en conditionnant ses aides à leur respect.

Ø Tout d'abord, imposer des obligations environnementales pour les tournages.

Le CNC a récemment instauré via son Règlement général des Aides une conditionnalité des aides à la production à la réalisation de bilans carbone, à la charge des producteurs.

À terme, il pourrait être imposé une modulation des aides en fonction des résultats de ces bilans carbone, ou plus largement du respect ou non de certaines exigences environnementales.

Cette prise en compte pourrait cependant nécessiter une évolution de l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée. En effet, le 2° prévoit bien que le Centre doit « contribuer, dans l'intérêt général, au financement et au développement du cinéma et des autres arts et industries de l'image animée et d'en faciliter l'adaptation à l'évolution des marchés et des technologies », mais sans explicitement mentionner les objectifs environnementaux.

Recommandation n° 11 : Moduler les aides du CNC au respect de critères environnementaux durant les tournages, en modifiant l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée.

Ø Ensuite, renforcer la mise en oeuvre des règles de rémunération minimale applicables aux auteurs.

La transposition de la directive « droit d'auteur » par l'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 a permis d'impulser une dynamique de négociation professionnelle entre producteurs et auteurs concernant la rémunération de ces derniers.

Le nouvel article L. 132-25-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit ainsi la possibilité de fixer les modalités de détermination et de versement de la rémunération proportionnelle par mode d'exploitation des auteurs par voie d'accord entre leurs représentants et ceux des producteurs. À défaut d'un tel accord, le Gouvernement peut fixer par voie réglementaire les conditions et les modalités de cette rémunération.

Les accords peuvent également porter sur les pratiques contractuelles ou les usages professionnels entre auteurs et producteurs, en application de l'article L. 132-25-1 du code de la propriété intellectuelle, y compris dans le domaine des rémunérations minimales relatives aux différentes étapes de création.

Il pourrait être envisageable de contraindre les producteurs du champ cinématographique comme audiovisuel à respecter les minimas de rémunération résultant de ces accords professionnels étendus par arrêté, en les privant du bénéfice des aides en cas de manquement.

La mise en place d'une conditionnalité relative à la rémunération des auteurs, comme pour les normes environnementales, suppose une évolution du même article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée.

Recommandation n° 12 : Conditionner le bénéfice des aides du CNC au respect des clauses de rémunération minimale des auteurs, en modifiant l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée.

Ø Enfin, il est nécessaire de mieux protéger notre patrimoine cinématographique et audiovisuel.

Seuls 20 % de la production des films muets existeraient encore, le reste ayant été perdu ou jeté au fil du temps. C'est donc une partie essentielle du patrimoine cinématographique qui a disparu.

On pourrait croire que la combinaison du dépôt légal et du numérique rend les films littéralement « éternels ». Il n'en est cependant rien. D'une part, les formats les plus anciens, pour être utiles, doivent disposer d'un matériel d'époque (par exemple, magnétoscope VHS ou Betamax), d'autre part, les standards de diffusion numérique évoluent sans cesse, ce qui peut rendre complexe l'usage de « vieux » fichiers.

Il est pourtant essentiel de donner au patrimoine cinématographique et audiovisuel les meilleures chances d'être transmis aux générations futures. Le stockage d'un film en version numérique est compris entre 1 500 et 4 500 euros par an, à la charge du détenteur des droits. Il parait cependant difficile d'organiser une prise en charge publique de ces éléments.

La propriété d'un film s'entend à la fois des droits de diffusion, mais également des éléments techniques nécessaires à la fixation de l'oeuvre. Les simples droits de propriété sans ces éléments sont peu utiles, et destinés à se dégrader avec le temps.

Il pourrait cependant être proposé de conditionner les aides du CNC au maintien sur le territoire européen des éléments techniques.

Il semble que le 5° de l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée, qui confie au CNC la mission de « collecter, conserver, restaurer et valoriser le patrimoine cinématographique » soit suffisant pour ce faire.

Recommandation n° 13 : Conditionner les aides du CNC au maintien sur le territoire européen d'au moins un exemplaire des éléments techniques de l'oeuvre cinématographique bénéficiaire de l'aide.

E. RENFORCER LES ACTEURS FRANÇAIS DANS LA CHRONOLOGIE DES MÉDIAS

Dans un marché de la vidéo en ligne très majoritairement dominé par les entreprises américaines qui produisent des séries, le secteur de la vente ou de la location à la demande, même minoritaire, présente deux caractéristiques : d'une part, il est largement dominé par des entreprises françaises (Canal Plus, Orange, SFR, etc..), d'autre part, 80 % des oeuvres consommées sont des films de cinéma.

Ce secteur pourrait donc bénéficier d'un léger avantage dans la chronologie des médias. La mission encourage donc les signataires de la convention à la faire évoluer en créant une forme de fenêtre « super premium », réservée à l'achat, avec un prix fixé relativement haut pour ne pas concurrencer les salles. Cette fenêtre pourrait s'ouvrir, avec l'accord des producteurs, entre deux et trois mois après la sortie en salle si celle-ci ne se poursuit pas.

Recommandation n° 14 : Créer dans la chronologie des médias une fenêtre vidéo « premium » pour les plateformes de vente de vidéo en ligne, entre deux et trois mois après la sortie en salle.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 24 MAI 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de la mission d'information sur la situation de la filière cinématographique en France. Sans plus tarder, je laisse la parole aux acteurs principaux : Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi. C'est un casting de premier plan !

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes particulièrement heureux de vous présenter les conclusions de notre mission d'information consacrée à la filière cinématographique. Le bureau de la commission, vous vous le rappelez, avait souhaité nous confier cette mission à la suite du véritable « vent de panique » qui soufflait à l'automne dernier sur le cinéma français, que certains pensaient alors sur la pente d'un inexorable déclin. Dans ce contexte, nous avons cherché à rassembler les analyses de l'ensemble de la profession, avec plus de quarante auditions, un déplacement sur des plateaux de tournage à Martigues et des échanges nombreux et constructifs avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Les grands enseignements de nos travaux peuvent se résumer en trois points.

Premièrement, le cinéma en France constitue une politique publique réussie et menée avec constance depuis plus de quatre-vingts ans.

Deuxièmement, cette politique publique se traduit par un niveau de soutien financier et réglementaire très élevé, qui explique la « passion française » pour le cinéma, mais aussi s'explique par elle.

Troisièmement, le cinéma apparaît pourtant aujourd'hui en position défensive, pour des raisons tant conjoncturelles que structurelles, et doit faire évoluer son modèle de développement pour préserver au XXIe siècle sa place centrale dans notre pays. Notre pays apparaît en effet à bien des égards comme un îlot de cinéphilie dans un monde où la place du septième art est aujourd'hui interrogée et menacée.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Tout d'abord, il faut évoquer ce que nous avons appelé dans le rapport « le fabuleux destin du cinéma français ».

La France est la terre de naissance du cinéma, avec la première projection le 28 décembre 1895, par les frères Lumière au Grand Café à Paris du premier film La sortie des ouvriers de l'usine Lumière, en noir et blanc, qui dure cinquante secondes. Pour la petite histoire, les légendaires créateurs du cinéma n'y croyaient en fait pas trop et voyaient plutôt leur invention comme une curiosité...

Depuis cette date pourtant, le cinéma occupe une place particulière en France, qui s'illustre au travers de trois prismes : la fréquentation, la production, la reconnaissance internationale.

Premier point : la fréquentation.

Le cinéma a très longtemps été le loisir dominant. Jusqu'aux années 1950, il est en effet dans le monde le seul canal de diffusion de l'image et du son. En 1947, 432 millions de billets sont ainsi vendus, soit plus de dix séances par Français. À partir des années 1950, le cinéma subit cependant la concurrence très vive de la télévision et la fréquentation enregistre une rapide diminution jusqu'au début des années 1990.

Cette tendance est générale dans tous les pays, mais la France se singularise alors par sa résistance remarquable, même si la fréquentation a bien entendu énormément diminué depuis 1988. Notre pays devance le Royaume-Uni dans les années 1970, puis l'Italie et l'Allemagne dans les années 1980. Elle n'a par la suite plus été dépassée, confortant sa première place en Europe.

En réalité, le seul pays à avoir enregistré une résistance comparable est les États-Unis.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Deuxième spécificité française : la production.

Le succès du cinéma en France est aussi, et peut-être avant tout, celui du cinéma français. Il semble en effet exister, dans la plupart des pays, une corrélation entre la production nationale et l'intérêt du public pour le septième art, manifesté par les entrées.

De manière générale, le cinéma français préserve sur le long terme une part constante face au cinéma américain, de l'ordre de 40 %, contre 47 %. Cette part de la production nationale est un cas unique en Europe. Les autres pays européens enregistrent un succès de leur propre cinéma très inférieur au nôtre.

En nombre d'oeuvres produites, la France se situe constamment au-dessus de ses grands voisins, même si ces derniers mènent depuis le milieu des années 2010 une politique de rattrapage accéléré.

La France occupe donc une place enviable dans le domaine du cinéma, à la fois pour sa fréquentation, mais également pour l'intérêt que les productions nationales suscitent auprès des spectateurs.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Troisièmement, la reconnaissance internationale.

Le cinéma français remporte dans le reste du monde un réel succès critique. En témoigne sa place privilégiée dans le palmarès des trois plus grands festivals de cinéma. Par ailleurs, notre cinéma a eu une grande influence sur le reste du monde, je pense en particulier à la Nouvelle Vague.

La sortie de la pandémie a cependant suscité la crainte à la fois d'un inexorable déclin du cinéma dans le monde et d'un affaiblissement de la position française. L'audiovisuel et le cinéma ont bénéficié d'un soutien public très important, de l'ordre de 313 millions d'euros sur trois ans, qui a permis de préserver le secteur. S'il est bien entendu encore trop tôt pour tirer des conclusions, on peut cependant relever les points suivants.

La décennie 2010 a été exceptionnelle en termes d'entrées. Ces chiffres s'expliquent pour l'essentiel par le faible nombre de films américains présentés en salle en 2022, en raison de l'arrêt des tournages outre-Atlantique pendant la pandémie et des tentatives des studios de trouver de nouvelles stratégies de sorties. Pour autant, les chiffres du mois d'avril 2023 marquent une progression spectaculaire, avec 19 millions d'entrées, soit plus que la moyenne 2017-2019. Le succès des films Super Mario et des Trois Mousquetaires y est pour beaucoup.

Pour résumer, le cinéma en France occupe une position très éminente, bien plus favorable que dans les autres pays comparables, y compris à l'issue de la pandémie. Rien ne permet de confirmer le discours très pessimiste entendu à l'automne dernier.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Le succès du cinéma français s'explique par ce que l'on peut appeler ses « cinq piliers ».

Il est difficile aujourd'hui de dire si le cinéma demeure si important en France parce qu'il est si soutenu ou s'il est soutenu parce qu'il est populaire. Le fait est que notre pays dispose d'un système complet de soutien unique au monde, construit et adapté avec constance depuis quatre-vingts ans, ce qui pourrait d'ailleurs servir de modèle à bien des politiques publiques...

La justification du soutien public réside dans le constat que, en son absence, le cinéma ne pourrait pas survivre aux contraintes industrielles du secteur. Le cinéma français repose ainsi sur la combinaison de cinq piliers, tous indispensables : le CNC, des financements orientés en faveur de la production, la chronologie des médias, l'accès des spectateurs à la diversité, un écosystème de niveau mondial.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Premier pilier : le CNC.

Le CNC a été créé par un vote unanime de l'Assemblée nationale constituante du 25 octobre 1946. Depuis cette date, il est le coeur du cinéma français, à la fois financeur, régulateur et « porte-parole ».

Le budget du CNC est intégralement financé par quatre taxes dites affectées, qui représentent plus de 700 millions d'euros par an. Historiquement, la première de ces taxes a été celle sur les billets de cinéma, qui ne représente aujourd'hui qu'un peu plus de 20 % des ressources du CNC.

Le CNC gère également des crédits d'impôt dédiés, notamment celui qui est destiné à soutenir la production d'oeuvres françaises. Il s'élève à environ 110 millions d'euros par an et fait souvent l'objet de critiques, en réalité peu justifiées au moment des débats budgétaires. En 2021, 216 films en ont bénéficié.

Le budget du CNC lui permet d'aider l'ensemble de la filière, notamment la production et l'exploitation. En réalité, la répartition de ces aides offre au CNC la capacité d'orienter subtilement, mais réellement, l'offre de films et les conditions de leur exploitation. Dès lors, toute évolution du paysage du cinéma en France passe nécessairement par lui.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Deuxième pilier : les financements orientés.

Le système français repose également, voire à titre principal, sur un système complexe d'obligations d'investissements des diffuseurs, chaînes et, depuis 2018, des plateformes. Ces obligations ont été étendues aux nouveaux acteurs que sont les plateformes à la suite de l'adoption de la directive Services de médias audiovisuels, dite SMA, le 14 novembre 2018. Elles doivent dorénavant investir entre 20 % et 25 % de leur chiffre d'affaires dans la production française et européenne. L'arrivée des plateformes devrait permettre de retrouver le niveau d'investissement du début des années 2010.

Deux précisions doivent être apportées sur ces investissements, qui ne sont pas limités à de simples montants.

D'une part, les diffuseurs doivent réserver la plus grande partie de leurs investissements en cinéma et audiovisuel à la production dite indépendante. Ce cadre permet à notre pays de disposer aujourd'hui d'un riche écosystème de production, au détriment cependant des diffuseurs.

D'autre part, l'essentiel de leurs investissements doit se faire en pré-achat, c'est-à-dire avant le lancement de la production de l'oeuvre. Ce modèle du préfinancement vise à impliquer en amont les diffuseurs et partager ainsi avec eux tant les risques que les bénéfices potentiels du développement et de la production des oeuvres.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Troisième pilier : la chronologie des médias.

À partir du moment où un film est projeté en salles en France - condition sine qua non pour bénéficier des aides du CNC et améliorer sa valeur -, il s'insère dans la chronologie des médias, un système unique au monde que l'on nous envie. Sauf dérogations, les prochaines années de son exploitation sont alors déterminées et connues de tous.

La chronologie des médias constitue en effet un ensemble de règles contraignantes qui dictent l'ordre et la durée d'exploitation des oeuvres cinématographiques, en commençant par la salle et en finissant au bout de trois ans par la vidéo gratuite à la demande.

La chronologie permet, d'une part, de protéger la salle de cinéma, si importante dans l'existence d'un film, en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre, d'autre part, d'assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. En effet, la position de chaque diffuseur est garantie et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film. Par exemple, le premier financeur du cinéma français avec 200 millions d'euros par an, Canal+, peut diffuser les films six mois après la sortie en salle.

La chronologie est actuellement très critiquée par certaines parties, notamment les plateformes, qui souhaiteraient bien entendu mettre rapidement à disposition de leurs abonnés les oeuvres qu'elles auront financées. Elle est cependant un élément indispensable et incontournable de notre système. Notre commission l'a au demeurant toujours défendue avec vigueur.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Quatrième pilier : l'accès à la diversité pour tous.

La diffusion des oeuvres bénéficie de deux dispositifs complémentaires pour assurer la meilleure diffusion des oeuvres. L'idée générale est de s'assurer que les blockbusters ne « cannibalisent » pas l'intégralité de la programmation des cinémas et que les films plus exigeants soient accessibles partout en France.

D'une part, des engagements de programmation permettent, au travers d'accords contraignants, de favoriser l'exposition et la promotion des oeuvres cinématographiques européennes et des cinématographies peu diffusées, notamment en leur réservant un pourcentage de séances. Les exploitants doivent également maintenir à l'écran des films européens programmés pendant deux semaines et garantir un nombre minimal de séances hebdomadaires.

D'autre part, un cadre spécifique pour la protection des films dits d'art et d'essai et leur diffusion sur l'ensemble du territoire est prévu. Cela passe par des engagements des diffuseurs à rendre ces oeuvres accessibles, notamment dans les territoires.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Cinquième et dernier pilier : notre écosystème.

Notre pays dispose d'un écosystème en matière de production parmi les plus performants au monde.

Il se manifeste notamment au travers de formations reconnues à l'échelon mondial. Nous avons ainsi pu auditionner la directrice générale de la Fémis, ou École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, l'une des écoles de cinéma les plus prestigieuses et sélectives au monde, avec un peu moins de 2 % de reçus parmi des candidats pourtant tous d'excellent niveau.

Notre excellence se manifeste également au travers du tissu économique autour de la production, avec 2,8 milliards d'euros engagés en 2021.

Nous avons pu être témoins de ce développement lors de notre visite des locaux de Provence Studios à Martigues, qui regroupe quinze plateaux répartis sur 26 000 mètres carrés de studios, sur une superficie totale de 22 hectares. La société emploie 1 500 personnes. Elle travaille essentiellement pour des productions étrangères et propose des technologies uniques, comme un écran en demi-cercle capable de simuler n'importe quel arrière-plan avec un réalisme incroyable.

Pour résumer, on peut dire que le cinéma français, très soutenu par les pouvoirs publics et très populaire auprès des spectateurs, n'échappe cependant pas à des interrogations légitimes, d'ailleurs abondamment relayées dans les médias. Nous avons donc souhaité nous pencher sur la question centrale et constamment évoquée de la surproduction.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - La question de la « sur- » ou « sous- » production est centrale dans le cinéma français. Elle peut se formuler de la manière suivante : le cinéma français a-t-il la folie des grandeurs ?

Ce débat est la traduction du caractère très administré et soutenu du cinéma dans notre pays. Ainsi, sur le seul champ des soutiens publics directs, le montant moyen d'intervention publique par billet vendu pour un film français s'élève à un peu plus de 3,8 euros, soit près de 50 % du prix de la salle.

Cette somme ne tient pas compte des retours réels pour l'économie locale, par le biais des tournages et des recettes en salles, ni des multiples visionnages des oeuvres.

Cependant, il est légitime de s'interroger sur l'utilisation de l'argent public.

En réalité, le cinéma en France vise trois objectifs en partie contradictoires : premièrement, une vocation assumée de stimuler la recherche et développement, soit un cinéma ambitieux et marqué par les audaces formelles, avec sa part de risques et d'échecs ; deuxièmement, la volonté de conserver au cinéma son caractère de loisir populaire, le genre de la comédie apparaissant très dominant, avec le quart des plus gros succès au box-office français ; troisièmement, un objectif d'aménagement du territoire et d'élément clé de la cohésion nationale, puisque le cinéma en salle a dans notre pays une importance sociale et symbolique considérable.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Je vais résumer notre analyse en quelques points.

La production de films français s'est accrue en dix ans, sans que le nombre de spectateurs progresse au même rythme. Ainsi, entre 2012 et 2019, la France a produit 15 % de films en plus, mais avec un nombre de spectateurs de ces mêmes films en baisse de 10,5 %. Cette hausse de la production doit se lire en parallèle avec un nombre d'entrées par film qui diminue et demeure très inférieur aux films américains.

Cette hausse de la production, encore plus visible sur le long terme, concerne essentiellement les films à petits budgets. On constate ainsi qu'entre 1994 et 2019 le nombre de films a progressé de 163 %, mais ceux qui sont produits avec un devis de moins d'un million d'euros a quant à lui progressé de 957 % ! Même si rentrent dans cette catégorie des documentaires, cette hausse est vertigineuse et semble se faire au détriment des films dits du milieu.

Logiquement, on constate que le budget moyen par film a tendance à diminuer de manière assez significative quand on tient compte de l'inflation.

Enfin, le cinéma français n'est pas une grande force à l'international, puisqu'il représente entre 2 % et 3 % des entrées mondiales.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Caractéristique intéressante, le cinéma français à l'international repose essentiellement sur des productions tournées en anglais et pensées, sur le mode anglo-saxon, pour le marché international. Ainsi, parmi les dix plus importants succès du cinéma français à l'international, six ont été tournés en anglais. Au passage, trois d'entre eux ont été tournés et les trois autres ont été produits par Luc Besson.

L'écrivain Éric Neuhof, dans un essai paru en 2019 dont le titre souligne le caractère polémique, (Très) Cher Cinéma français, a synthétisé l'ensemble des reproches formulés à l'encontre d'un cinéma français jugé prétentieux, parfois paresseux.

Or, et il est important de le rappeler, le schéma traditionnel des industries culturelles est fondé sur une logique de prototype. Le principe est celui d'une économie de l'offre que nous connaissons bien dans notre commission : le spectateur ne saura qu'il a envie de voir une oeuvre qu'une fois cette dernière dans les salles. Le succès d'une oeuvre repose sur une combinaison un peu magique d'exposition initiale dans les salles, de promotion réussie, de critiques dans la presse, de bouche-à-oreille positif...

Par ailleurs, le succès d'un film ne s'apprécie pas de manière absolue, mais en fonction de son budget et des attentes placées en lui. De plus, la rentabilité d'un film ne se limite pas à son éventuel succès en salles, mais doit s'apprécier sur toute la vie de l'oeuvre, qui est supérieure à dix ans, avec la vente à l'acte, la diffusion à la télévision, etc.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - On peut cependant s'interroger sur la pertinence de notre système de soutien public. Comme nous l'avons montré, le cinéma français repose sur un système de soutien public et de régulation particulièrement complexe. Les financements publics directs représentent le quart des financements d'un film et les financements « orientés » des chaînes près du tiers. Les producteurs peuvent donc plus facilement que dans d'autres pays, via les obligations de préfinancement, produire des oeuvres sans supporter l'intégralité du risque économique.

Ces mécanismes se révèlent extrêmement favorables et permettent au cinéma français de faire émerger de nouveaux talents, ce qui est l'une de ses vocations. Ils peuvent sembler moins adaptés pour promouvoir de grands succès populaires, même si, comme l'a montré l'audition de Jérôme Seydoux, certains producteurs essaient de se concentrer sur quelques blockbusters.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - On constate donc une tendance que l'on peut résumer en trois points.

La France a accru sur une longue période sa production de films, essentiellement au profit des oeuvres à petit budget et plutôt au détriment des films dits « du milieu ». Malheureusement, la fréquentation n'a pas suivi dans les mêmes proportions. Si le cinéma français représente toujours une part de marché importante sur son propre territoire, sans comparaison avec les autres pays, cela s'explique plus par l'abondance de l'offre que par le succès des films. Enfin, cela se traduit par des devis moyens en baisse, ce qui peut avoir des effets très directs sur la qualité des productions et menacer notre exception culturelle.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Nous allons à présent évoquer ce que nous avons appelé « la revanche de la salle », la salle étant un acteur majeur du cinéma et le lieu qui le fait vivre. Durant toute la pandémie, et au-delà, la place de la salle a semblé extrêmement fragilisée.

En effet, la période pandémique a été particulièrement favorable aux services de streaming. Elle a mis fortement en tension le lien entre le film et la salle. Des studios réputés comme Disney ou Warner ont fait le choix de franchir le cap de la diffusion exclusive ou simultanée en salle et en streaming.

Lors de son audition devant la commission le 15 mars dernier, Jérôme Seydoux nous l'avait confirmé : « Le cinéma bon marché, c'est la télévision. Autrefois, le cinéma était sans concurrent. Aujourd'hui, il a non seulement la concurrence de la télévision et des plateformes, mais aussi celle du téléphone portable, des réseaux sociaux, etc. ». Il y a donc aujourd'hui non plus une seule télévision comme il y a vingt ans, mais une pluralité d'écrans et de vecteurs de diffusion des films.

Or ces diffuseurs reposent sur des schémas économiques différents au regard du cinéma. Le cinéma représente 3,3 % du temps d'antenne des chaînes généralistes, mais 22,8 % des premières parties, plus de 80 % du chiffre d'affaires de la vidéo à l'acte en ligne et plus de 70 % de la vente physique. Le cinéma ne représente qu'environ 20 % de la consommation sur les plateformes par abonnement, lesquelles sont très largement dominées par les séries.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Le cinéma est donc un actif qui n'est pas mis en valeur de la même manière selon le support. Pourtant, et même si l'atmosphère était à un moment bien morose, la salle a redressé la tête. Il est en effet rapidement apparu - encore fallait-il littéralement « payer pour voir » - qu'elle atteignait encore trois objectifs.

Tout d'abord, la salle assure en cas de succès des revenus extrêmement importants et rapides. Pour prendre un exemple extrême, l'exploitation en salle d'Avatar a rapporté près de 3 milliards de dollars, soit le bénéfice annuel de Netflix.

Ensuite, la salle donne également de la valeur à l'oeuvre. L'exposition en salle permet au film de mieux exister durant toute sa vie, soit plus de dix ans, parfois bien plus, sur les différents supports. À l'opposé, un film diffusé uniquement sur une plateforme n'acquiert jamais une forte notoriété. Aux États-Unis, on l'a bien compris.

Enfin, la salle permet à la création de s'exprimer et aux jeunes talents, derrière et devant la caméra, de tester des nouveautés. Beaucoup d'exemples ont ainsi été donnés de jeunes réalisateurs qui ont connu le succès au bout de deux ou trois films en salle, avant éventuellement de produire pour la télévision.

La salle a donc démontré ses multiples valeurs, même si beaucoup reste à faire.

Ainsi, les réseaux de salle auditionnés par la mission mènent aujourd'hui des stratégies diversifiées. Jérôme Seydoux parie ainsi sur des salles « premium » pour des films à grand spectacle qu'il souhaite produire lui-même, UGC met plus en avant ses efforts de diversification de la programmation. Toujours est-il que les salles ont pleinement pris conscience de l'importance d'adapter leur offre aux demandes d'un public d'autant plus exigeant que, pour le prix d'un billet, il peut s'offrir un mois sur un service de streaming.

Dès lors, il est essentiel de préserver et de renforcer le lien aussi bien physique que symbolique entre la salle et le film. C'est en partie le sens des propositions que nous allons maintenant formuler pour conclure notre présentation.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Le cinéma en France est une réussite majeure des politiques publiques. Comme nous avons pu le mesurer lors de nos auditions, il est pourtant régulièrement attaqué sur son coût et sur le degré de contrainte qu'il fait peser sur les acteurs. Il est de notre devoir en tant que commission de la culture de le défendre et de préserver ainsi ce qui constitue une partie essentielle de notre exception culturelle.

Pour ce faire, le cinéma doit mieux concilier ses deux vocations : produire un cinéma populaire et soutenir la création.

Nous avons donc formulé quatorze propositions réalistes et que nous espérons suffisamment consensuelles pour pouvoir être mises en oeuvre rapidement. Certaines devraient nécessiter des modifications législatives. Aussi souhaitons-nous déposer une proposition de loi, que nous cosignerions tous les trois.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Le premier axe serait d'accorder plus d'attention non pas au nombre de films produits, mais à leur budget. Pour cela, les pouvoirs publics disposent de plusieurs leviers, dont le profilage des aides aux producteurs et aux distributeurs afin de mieux les associer au succès des productions.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Le deuxième axe concerne l'accessibilité des oeuvres.

Renforcer le cinéma, c'est aussi permettre au plus grand nombre de profiter de toute sa richesse et de sa diversité. Aussi, en plus d'un renforcement des obligations de programmation et de diffusion, nous souhaitons une large association des pouvoirs publics et des collectivités, l'objectif étant que 100 % des élèves se rendent au cinéma chaque année, car la cinéphilie de demain se construit aujourd'hui !

Nous souhaiterions également que le pass Culture soit en partie réservé aux films français et européens, pas uniquement à la dernière itération de Marvel.

Ces deux premiers axes ont donc pour objectif de mieux financer les productions et de mieux les diffuser.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Troisième axe : le cinéma doit mieux s'insérer dans les politiques publiques. Nous proposons donc de moduler les aides du CNC en fonction du respect de critères environnementaux sur les lieux de tournage ; du respect des clauses de rémunération minimale des auteurs ; enfin, dans une logique de préservation de notre patrimoine, du maintien sur le territoire européen des éléments sources du film.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Enfin, dernière proposition, il nous paraît important de renforcer le seul acteur français en position de leader sur le marché du streaming, c'est-à-dire ceux qui procèdent à la vente à l'acte. Aussi, nous appelons les acteurs à modifier légèrement la chronologie des médias pour leur permettre de mettre en vente l'oeuvre entre deux et trois mois après la sortie en salle, sous une forme « premium ». Cela permettrait de rendre l'oeuvre accessible plus rapidement, sans nuire à la salle.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Nous sommes fermement convaincus que le cinéma dans notre pays, que nous aimons sur grand écran, est promis à un grand avenir. Il doit pourtant, comme il a su le faire dans le passé, accepter d'évoluer et de vivre dans un temps qui pourrait finalement beaucoup lui profiter.

Pays de naissance du cinéma, la France a une responsabilité particulière en la matière. Il nous appartient, plus particulièrement comme membres de la commission de la culture, de faire en sorte que cela ne soit jamais La Dernière Séance !

Mme Monique de Marco. - Merci pour votre présentation. Notre collègue Roger Karoutchi a réalisé un rapport d'information au nom de la commission des finances sur le financement public du cinéma. Quel est votre avis sur les sept recommandations qu'il a formulées ? Je m'interroge sur l'opportunité pour le Sénat de publier deux rapports sur le même thème ? Une mise en commun n'est-elle pas possible ?

M. Jacques Grosperrin. - Réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du pass Culture aux films français et européens est selon moi une très bonne idée. Cela étant, l'exclusion des blockbusters américains n'est-elle pas une mesure inégalitaire pour les jeunes qui n'ont pas accès aux salles de cinéma pour des raisons économiques ?

Vous recommandez que 100 % des élèves se rendent au cinéma chaque année. Est-il possible de faire en sorte que les films visionnés aient une portée éducative significative ?

Enfin, comment maintenir les cinémas en milieu rural, dans un contexte de développement des multiplex ?

M. Thomas Dossus. - Alors que les témoignages accablants d'actrices et de techniciennes de tout âge et de toutes notoriétés se multiplient sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, ne pourrait-on pas subordonner l'octroi de subventions ou de financement au respect de certains critères et mettre en place des dispositifs afin de préserver ces professionnelles ?

J'avoue être dubitatif sur le fait de réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du pass Culture aux films français et européens. On veut toujours orienter les consommateurs du pass Culture vers une culture que l'on juge plus légitime qu'une autre. Or l'essentiel est que les adolescents se rendent au cinéma et prennent plaisir à voir des films en salle, qu'il s'agisse de films Marvel ou de films français d'art et d'essai. Le plaisir, c'est ce qui fera revenir ce public au cinéma plus tard, y compris pour voir des films plus exigeants.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur travail.

En France, on a repris goût au cinéma en 2022, la fréquentation des salles ayant connu une hausse de 59 %, alors que l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne ont connu une forte baisse. Vous montrez dans votre rapport tout le travail qui a été effectué et le rôle d'accompagnement et de soutien de la filière pendant la pandémie qu'a joué le CNC. Aujourd'hui, grâce aux mesures qui ont été prises, cette filière résiste mieux que chez nos voisins européens.

Mme Sylvie Robert. - À mon tour, je remercie nos collègues pour leur rapport.

Pour ma part, je ne vois pas comment il est possible de réserver une partie des places acquises par le biais du pass Culture aux films français ou européens. Cette mesure ne me paraît pas opérationnelle.

Si vos recommandations concernant le CNC étaient mises en oeuvre, le soutien au cinéma serait structurellement et considérablement modifié. Le fait de conditionner les aides va dans le bon sens, mais avez-vous effectué une étude d'impact sur les conséquences de vos recommandations sur l'ensemble du système de soutien du CNC ?

Mme Annick Billon. - Au vu des récents mouvements sociaux touchant l'industrie du cinéma aux États-Unis, avez-vous identifié des difficultés liées aux rémunérations, à l'organisation de la filière ou aux évolutions technologiques susceptibles d'affecter le cinéma français dans les années à venir ?

M. Michel Laugier. - Je m'interroge sur la définition du cinéma du milieu ! Peut-être le rapporteur peut-il nous éclairer sur ce point ?

M. Pierre Ouzoulias. - Le cinéma est constitutif d'une certaine identité de la culture française. Nous avons tous été marqués par des films dans notre formation culturelle. Le rapport insiste justement sur la nécessité de donner une nouvelle forme d'éducation cinématographique à la jeunesse. Il n'existe malheureusement plus, ou très peu, de ciné-clubs. Or il est primordial d'aider les jeunes à aller vers une forme de culture cinématographique à laquelle ils ne sont pas habitués. Il faudrait réfléchir à la meilleure façon d'y parvenir.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Nous avons vu se confirmer au fil de nos auditions le rapport quasi charnel qui unit la société française à son cinéma, et la volonté de le sauver qui s'est exprimée pleinement au plus fort de la crise du covid-19.

Nos auditions ont montré également que le cinéma français était le fruit d'une politique publique réussie, ce qui n'est pas si fréquent. Cette réussite tient notamment à la convergence de toutes les parties prenantes autour du cinéma, via la chronologie des médias, par exemple, fruit d'une concertation des acteurs privés et des pouvoirs publics.

J'aurai l'occasion par ailleurs de discuter avec Roger Karoutchi de son rapport. Ce dernier s'inscrit toutefois dans une logique financière, quand le nôtre est davantage porté par l'attachement de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication au cinéma comme art et au plaisir de la salle, tout en ayant également une vision économique, sur le cinéma comme industrie. C'est tout un écosystème que nous avons voulu mettre en exergue au lendemain de la crise pandémique.

Le cinéma s'inscrit dans une économie de l'offre et dans une industrie de prototype. Au-delà des contingences économiques, l'idée est de donner sa chance à un film, pour qu'il puisse rencontrer un public qui n'a pas été étudié auparavant. Néanmoins, il n'est pas question de fonctionner à fonds perdu, dans un simple mécanisme de subventionnement. C'est pourquoi nous formulons des préconisations quant aux fléchages en direction des producteurs et des distributeurs. Il est vrai par ailleurs que le système est davantage tourné vers l'optimisation de la production que vers la fréquentation.

Il faut en outre promouvoir la richesse et la diversité, notamment les films du milieu. Lorsque nous recommandons d'encourager les jeunes à aller voir des films français au moyen du pass Culture, nous le faisons dans le but de promouvoir cette diversité. Il ne s'agit pas de les empêcher d'aller voir des blockbusters américains, qui financent d'ailleurs le cinéma français, mais il est de notre rôle de promouvoir ce dernier.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - La bonne santé du cinéma français tient à son accompagnement public, mais on observe également un niveau élevé d'appétence pour la fréquentation des salles qui assure la rentabilité de l'ensemble de l'écosystème, du point de vue économique, mais également du point de vue de l'accès à la culture. Tout cela doit se mesurer par masses budgétaires. Le cinéma est une industrie culturelle, un système économique, qui présente un retour sur investissement non négligeable.

En ce qui concerne le pass Culture, il est possible de privilégier les oeuvres françaises et européennes par le biais de l'éditorialisation. Si l'on ne peut véritablement imposer aux jeunes d'aller voir tel film plutôt que tel autre au cinéma, l'on peut agir sur la façon dont les oeuvres leur sont présentées dans le cadre du pass Culture. Ce dernier a par ailleurs eu l'utilité de conforter la fréquentation des salles, point sur lequel la France s'est distinguée par rapport à de nombreux autres pays.

Les cinémas d'art et d'essai sont présents dans de nombreux territoires, et non seulement dans les grandes villes. Nous avons auditionné également les responsables du cinéma itinérant. L'itinérance est aussi une voie d'accès importante au cinéma dans de nombreux territoires : la séance unique qui est proposée constitue une forme de rendez-vous culturel pour la commune concernée. Or ce cinéma itinérant, où l'on projette tant des films que des documentaires, bénéficie de financements publics nationaux et d'un accompagnement par les collectivités territoriales.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - La baisse de la fréquentation des cinémas enregistrée en 2022 par rapport à 2019 a poussé certains à annoncer la mort du cinéma français. Or l'année 2023, portée par des blockbusters américains et par des films français comme Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan ou, de façon plus inattendue, Sur les chemins noirs, est marquée par un niveau de fréquentation semblable à celui qui précédait la période du covid-19. Le nombre de spectateurs en salle sur l'année devrait ainsi s'élever à 190 ou 200 millions. Il y a donc un enthousiasme retrouvé. En outre, les différences de fréquentation selon la sociologie et les tranches d'âge que l'on avait observées juste après la crise du covid-19 ont disparu. On va désormais au cinéma comme on le faisait avant cette période, ce dont nous pouvons nous réjouir.

Pour répondre à la question de Jacques Grosperrin sur la portée éducative des films visionnés, un travail d'éducation à l'image peut être effectué à partir de n'importe quel film, à condition que le personnel de l'éducation nationale soit formé pour le faire. Un travail est à mener pour lui fournir les outils nécessaires. Si un film plaît aux jeunes, il peut présenter une utilité pédagogique, même s'il ne paraît pas, à première vue, le meilleur support pour l'éducation à l'image. La meilleure éducation est celle qui plaît.

La question des violences sexistes et sexuelles est effectivement peu évoquée dans notre rapport. La plupart des organisations que nous avons rencontrées ont mis en place des cellules d'écoute, à la suite de l'affaire Harvey Weinstein qui a constitué une sorte d'électrochoc sur le sujet. La période qui a suivi ayant été particulière en raison de la crise du covid-19, un point d'étape devra être fixé d'ici deux à trois ans pour évaluer l'efficacité des mesures prises. Nous devons néanmoins rester attentifs à ce sujet.

Pour répondre à Sylvie Robert, il est difficile de réaliser une étude d'impact sur notre recommandation numéro 2. Celle-ci a toutefois été discutée avec le CNC. Le nombre de films français susceptibles d'être touchés par la suppression du plafond, soit les films ayant dépassé le million d'entrées, constitue par ailleurs une minorité.

Mme Sylvie Robert. - S'agit-il d'une mesure d'ordre législatif ou réglementaire ? Le CNC pourrait-il la mettre en oeuvre dès maintenant ?

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Il s'agit d'une mesure d'ordre réglementaire.

Pour répondre à Annick Billon, nous essayons dans nos recommandations de conditionner les aides au respect sur les tournages de certains critères environnementaux et sociaux. La difficulté qui a émergé au cours de nos auditions tient davantage à une pénurie de professionnels en tout genre, liée notamment à l'apparition des plateformes de streaming. Certains producteurs ont ainsi signalé avoir manqué de menuisiers pour produire des décors. Un travail est donc à mener pour former davantage de professionnels. Par le jeu de l'offre et de la demande, cette pénurie de professionnels a en outre une incidence sur les rémunérations, donc sur les coûts assumés par les producteurs.

Des changements sont par ailleurs à prévoir, par exemple pour encourager les exploitants de salles à s'équiper de projecteurs lasers. Ces dispositifs, certes coûteux, ont l'avantage de réduire les dépenses énergétiques. Cela constituerait donc une transition bénéfique tant pour l'environnement que pour l'économie des salles.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Il est nécessaire de développer les studios et la production dans les territoires pour faire face aux studios étrangers, notamment ceux des pays émergents. Il y a là un véritable enjeu d'égalité territoriale. Il faut également développer les nouvelles technologies, créatrices des métiers de demain.

Si le cinéma français a survécu à toutes les crises depuis les années 1950 et l'avènement de la télévision, c'est parce qu'il a toujours su se montrer résilient. C'est un bon exemple à suivre pour toutes les politiques culturelles.

La remarque de Sylvie Robert relative à notre recommandation n° 2 soulève une question importante dans la période post-covid-19 que nous traversons : celle de l'existence éventuelle d'une surproduction. Les aides automatiques conditionnées à la dégressivité par rapport au succès du film pourraient encourager les producteurs à produire davantage de films, parfois au détriment de certaines productions. Notre recommandation va un peu dans ce sens, tout en tenant compte de la particularité de la période.

Mme Sylvie Robert. - Oui, mais ce n'est pas rien. C'est un parti pris intéressant, mais fort.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Mme Monique de Marco. - Je souhaiterais qu'un échange puisse être organisé avec Roger Karoutchi pour échanger sur le sujet.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 14 décembre 2022

M. Alain LE DIBERDER.

Mardi 17 janvier 2023

· Table ronde secteur de la réalisation

. Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) : Mmes Nathalie MARCHAK, vice-présidente, Lucie GIRRE, déléguée générale, et Joyce DARDANNE, déléguée générale adjointe,

. Société des réalisateurs de films (SRF) : Mmes Éléonore WEBER, co-présidente, cinéaste, Axelle ROPERT, secrétaire, cinéaste, et Rosalie BRUN, déléguée générale.

· Table ronde « distributeurs »

. Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF) : M. Victor HADIDA, président, Mme Hélène HERSCHEL, déléguée générale, M. Vladimir KOKH, membre du conseil d'administration de la FNEF, président de la société KMBO,

. Syndicat des distributeurs indépendants (SDI) : Mme Jane ROGER, co-présidente, M. Etienne OLLAGNIER, co-président, M. Emmanuel DORY, délégué général,

. Syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) : M. David GRUMBACH, vice-président, M. Hugues QUATTRONE, délégué général.

Mercredi 18 janvier 2023

Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : M. Olivier HENRARD, directeur général, M. Vincent VILLETTE, directeur financier et juridique, M. Lionel BERTINET, directeur du cinéma.

Vendredi 20 janvier 2023

- Fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam) : M. Didier HUCK, président.

- Université Paris-I Panthéon-Sorbonne : Mme Joëlle FARCHY, professeure des universités.

Mercredi 25 janvier 2023

- Mme Laurence FRANCESCHINI, médiatrice du cinéma.

· Table ronde « producteurs »

. L'Association des Producteurs Indépendants (API) : Mme Hortense de LABRIFFE, déléguée générale,

. Union des producteurs de cinéma (UPC) : Mme Isabelle MADELAINE, présidente,

. Syndicat des producteurs indépendants (SPI) : M. Gilles SACUTO, président, Mme Binta BAH, chargée de mission.

Mardi 31 janvier 2023

- Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) : MM. Pascal ROGARD, directeur général, et Guillaume PRIEUR, directeur des affaires institutionnelles et européennes.

- Orange content service (OCS) : M. Bernard TANI, directeur des relations institutionnelles, M. François DAVID, responsable réglementation et relations Institutionnelles, Mme Anne STROBEL, responsable de la réglementation, Mme Violaine GODET, chargée des affaires parlementaires - direction des affaires publiques.

Vendredi 3 février 2023

- Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) : MM. Christian LANDAIS, délégué général, et Raphaël CERIEZ, délégué général adjoint.

- Association nationale des cinémas itinérants (ANCI) : Mme Anne LIDOVE, présidente, M. Gilles MÉNIS, chargé de mission.

Mercredi 8 février 2023

- Netflix France : Mme Marie Laure DARIDAN, directrice générale.

· Audition commune :

. Association des exportateurs de films (ADEF) : M. Grégoire MELIN, président, Mme Agnès DURVIN, déléguée générale,

. et Unifrance : Mme Daniela ELSTNER, directrice générale, M. Axel SCOFFIER, directeur général adjoint.

- CANAL+ : Mme Laetitia MÉNASÉ, secrétaire générale, M. Vincent GIRERD, directeur des chaînes cinéma, M. Jérémy GABBAY, directeur général adjoint et directeur financier de Studiocanal, Mme Amélie MEYNARD, responsable des affaires publiques.

Vendredi 10 février 2023

- UGC : Mme Brigitte MACCIONI, présidente, M. Mathieu DEBUSSCHÈRE, directeur des affaires publiques.

- Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique : M. Guillaume BLANCHOT, directeur général, Mme Corinne SAMYN, directrice adjointe à la direction de la création.

Mercredi 15 février 2023

- Fédération nationale des cinémas français (FNCF) : MM. Richard PATRY, président, et Marc-Olivier SEBBAG, délégué général.

- Festival de Cannes : M. Thierry FREMAUX, délégué général.

Vendredi 17 février 2023

Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) : Mme Alexie LORCA, vice-présidente, Mme Fabienne LIADZÉ, membre du Bureau, M. Florian SALAZAR-MARTIN, vice-président de la FNCC et maire-adjoint à la culture de Martigues.

Mardi 28 février 2023

- Association du cinéma indépendant pour la diffusion (Acid) : Mme Ina SEGHEZZI, coprésidente, M. Reza SERKANIAN, vice-président, M. Diego GOVERNATORI, administrateur, Mme Pauline GINOT, déléguée générale.

Mercredi 1er mars 2023

- Syndicat des catalogues de films de patrimoine (SCFP) : Mme Sabrina JOUTARD, présidente, Mme Maud MISCHI.

- Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sevad) : M. Mathis HAUTEFORT, président.

- Association de représentation des Sofica (ARS) : M. Serge HAYAT, co-président, M. Alexis DANTEC, co-président, M. Guillaume SORNE, délégué général.

Mardi 7 mars 2023

- Banque Neuflize OBC : Mme Anne FLAMANT, directeur.

- BNP Paribas : MM. Henri DE ROQUEMAUREL, directeur du centre média et image, et Laurent BERTONNAUD, directeur des affaires publiques France.

Mercredi 8 mars 2023

- La Cinémathèque française : M. Frédéric BONNAUD, directeur, Mme Peggy HANNON, directrice générale adjointe.

- Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) : M. Karim MOUTTALIB, directeur général, M. Sébastien SAUNIER, directeur, direction crédits aux entreprises, Mme Géraldine SEGOND, directrice, direction crédits à la production de l'image.

- Amazon France : M. Yohann BÉNARD, directeur de la stratégie, Mme Philippine COLRAT, responsable affaires publiques.

Mardi 14 mars 2023

- France Télévisions : M. Christophe TARDIEU, secrétaire général, M. Manuel ALDUY, directeur du cinéma et des fictions numériques et international.

Mercredi 15 mars 2023

- FEMIS : Mme Nathalie COSTE-CERDAN, directrice générale, Mme Sophie CAZES, directrice adjointe.

- TF1 : Mme Julie BURGUBURU, secrétaire générale, M. Ara APRIKIAN, directeur général adjoint chargé des contenus, Mme Peggy LE GOUVELLO, directrice des relations extérieures.

Mardi 21 mars 2023

- The Walt Disney Company EMEA : MM. Philippe COEN, directeur juridique, et Thomas SPILLER, vice-président affaires publiques.

Mercredi 22 mars 2023

NBC Universal : M. Gidon FREEMAN, senior vice president en charge des affaires gouvernementales et réglementaires, Mme Olga MARTIN SANCHO, directrice en charge des affaires gouvernementales et réglementaires (Espagne, France, Allemagne et Irlande).

Mardi 28 mars 2023

M6 : Mme Marie GRAU-CHEVALLEREAU, directrice des études réglementaires, M. Thierry DESMICHELLE, président-directeur général de la Société nouvelle de distribution (SND) (groupe M6), Mme Pauline MARIN, chargée d'affaires publiques et européennes.

DÉPLACEMENTS

Mardi 11 avril 2023

Au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : MM. Dominique BOUTONNAT, président, Olivier HENRARD, directeur général, Vincent VILLETTE, directeur financier et juridique, Lionel BERTINET, directeur du cinéma, et les membres de la commission Avances sur recettes.

Jeudi 13 avril 2023

Déplacement à Marseille, dans les locaux de la société Provence studios. Entretien avec MM. Olivier MARCHETTI, directeur, et John BERNARD, producteur.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Pour les films agréés, accorder plus d'attention à l'évolution du devis moyen de chaque film, en utilisant différents leviers, comme une modification de l'article 211-26 du Règlement général des aides du CNC sur le soutien automatique des producteurs pour créer un nouveau palier bonifié avant 1,5 million d'entrées.

CNC

Un an

Règlement général des aides

2

Profiler différemment le soutien automatique des distributeurs par une modification de l'article 222-4 du Règlement général des aides en le rendant croissant dans les premières tranches et en supprimant son plafonnement au-delà d'un million d'entrées.

CNC

Un an

Règlement général des aides

3

Aligner les pouvoirs du CNC dans la fixation des engagements de programmation des groupements et ententes sur celui des exploitants-propriétaires. Le CNC aurait ainsi la capacité de fixer les engagements en cas d'engagements manifestement insuffisants ou d'absence de proposition.

Gouvernement

Un an

Décret en Conseil d'État

4

Conditionner les aides à l'exploitation en fonction du respect par les exploitants des engagements de programmation.

CNC

Un an

Règlement général des aides

5

Sur un modèle souple et en concertation avec les professionnels, créer une forme d'engagement de diffusion des oeuvres d'Art et Essai.

CNC

Un an

Loi

6

Tenir compte dans le classement « Art et Essai » du potentiel commercial du film, ou en n'accordant pas le label, ou en pondérant différemment sa diffusion. Symétriquement, pondérer positivement les films de la catégorie « Recherche et découverte ».

CNC

Un an

Règlement général des aides

7

Se fixer à moyen terme un objectif de 100 % des élèves avec une séance de cinéma par an, sur le temps scolaire ou périscolaire, en partenariat avec les collectivités territoriales, le ministère de l'éducation nationale et les salles.

CNC, collectivités territoriales, ministère de l'éducation nationale, ministère de la culture

Deux ans

Convention

8

Réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du Pass Culture aux films français et européens.

CNC

Un an

Règlement

9

Autoriser les opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne, en limitant toutefois la promotion au tarif de référence fixé pour les cartes illimitées.

CNC

Un an

Loi

10

Supprimer l'agrément du CNC pour les cartes illimitées en modifiant les articles L. 212-27 et suivants du code du cinéma et de l'image animée, et proposer en concertation avec les exploitants et les ayants droit de nouvelles modalités évolutives de calcul du prix de référence.

CNC

Un an

Loi

11

Moduler les aides du CNC au respect de critères environnementaux durant les tournages, en modifiant l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée.

CNC

Un an

Loi

12

Conditionner le bénéfice des aides du CNC au respect des clauses de rémunération minimale des auteurs, en modifiant l'article L. 111-2 du code du cinéma et de l'image animée.

CNC

Un an

Loi

13

Conditionner les aides du CNC au maintien sur le territoire européen d'au moins un exemplaire des éléments techniques de l'oeuvre cinématographique bénéficiaire de l'aide.

CNC

Un an

Loi

14

Créer dans la chronologie des médias une fenêtre vidéo « premium » pour les plateformes de vente de vidéo en ligne, entre deux et trois mois après la sortie en salle.

Signataires de la chronologie des médias

Un an

Avenant à la convention

ANNEXE

Audition de MM. Jérôme Seydoux, coprésident du groupe Pathé,
et Ardavan Safaee, président de Pathé Films

MERCREDI 15 MARS 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, en septembre dernier, le bureau de la commission a souhaité confier à nos collègues Jérémy Bacchi, Céline Boulay-Espéronnier et Sonia de La Provôté une mission de contrôle sur la situation de la filière cinématographique en France.

C'est dans le cadre des travaux de cette mission que nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Jérôme Seydoux, coprésident du groupe Pathé et M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films, que je remercie d'avoir accepté notre invitation.

Monsieur Seydoux, vous êtes en effet un homme « qui compte » dans le cinéma français et européen, et vous disposez d'une voix « qui porte » bien au-delà du petit milieu du 7e art, surtout lorsque vous affirmez que « le public ne vient pas en salle parce que les films qui sortent ne sont pas bons » ou que « le cinéma français doit se défaire de ses dogmes ».

Votre engagement dans le secteur du cinéma date de 1990, année au cours de laquelle vous rachetez l'historique société Pathé, fondée en 1896, à Vincennes. Vous en avez été le PDG jusqu'en 2000, puis président du conseil de surveillance entre 2000 et 2002. Depuis cette date, vous exercez les fonctions de coprésident de Pathé.

En 2017, vous avez racheté à votre frère ses parts dans les salles de la société Gaumont. Le groupe réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires de près d'un milliard d'euros et emploie 5 000 salariés.

Pathé Gaumont est de loin le premier exploitant de France, avec le quart des entrées en 2019 et 14,5 % du parc national.

Mais le groupe Pathé est aujourd'hui présent à toutes les étapes de la chaîne du cinéma. Vous intervenez au niveau de la production de films, de leur distribution en salle et en vidéo, et vous menez par ailleurs une action de restauration de films anciens et gérez un catalogue de plus de 800 longs-métrages.

Votre parole est rare, et quand elle s'exprime, elle est entendue et répétée, comme en témoigne l'écho reçu par les déclarations que j'évoquais à l'instant. Nous allons donc l'écouter avec une particulière attention !

Je vous propose de vous donner la parole pour une dizaine de minutes afin que vous puissiez nous faire partager, à la lumière de votre expérience, votre vision du cinéma français et de sa place dans un environnement marqué par l'arrivée des plateformes.

Puis je passerai successivement la parole aux trois rapporteurs de notre mission de contrôle et enfin à l'ensemble des sénatrices et sénateurs qui souhaitent s'exprimer.

Après avoir rappelé que cette audition est captée et diffusée sur le site Internet du Sénat, je vous donne à présent la parole.

M. Jérôme Seydoux, coprésident du groupe Pathé. - Nous sommes très heureux, Ardavan et moi, d'être ici et de vous expliquer ce que nous pensons du cinéma.

Un mot pour dire que le cinéma sort d'une période qui a été très difficile. Les salles de cinéma ont été fermées la plupart du temps en 2020 et en 2021, et l'année 2022 a été une année de convalescence. On sort donc d'une période très difficile durant laquelle Pathé a fait de gros efforts pour s'adapter à une forme de nouvelle donne. La nouvelle donne vient fondamentalement de l'évolution du monde digital.

Aujourd'hui, le monde digital se développe partout et se révèle influent dans le cinéma comme ailleurs. Ce monde digital prend plusieurs formes. Le Covid, qui a constitué une période très favorable aux plateformes et très défavorable aux salles de cinéma et même au tournage des films. Nous sortons donc d'une période difficile qui entraîne des modifications.

Quelles sont-elles ? Le public a pris l'habitude de regarder des films à travers les plateformes ou la télévision traditionnelle. Le choix est énorme, la qualité excellente et les prix sont bas au regard de ce que l'on paye mensuellement. Nous avons donc à faire face à une évolution de notre environnement.

Pathé, face à cette évolution, a pris avant le Covid la décision de monter en gamme, que ce soit du côté des films ou du côté des salles.

Côté des salles, cela signifie plus de confort et de spectacle. Côté films, ceux-ci doivent être indiscutables pour le spectateur. Le spectateur, aujourd'hui, a une offre formidable qui lui est proposée à domicile. Il faut donc lui donner des raisons d'aller en salle : il faut que ce soit un film qu'il ait vraiment envie de voir, dans un endroit où il a vraiment envie d'aller.

Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions, mais, fondamentalement, nous considérons que le métier que nous faisons - faire des films, distribuer des films, exploiter des salles - est un métier qui ne va pas disparaître, parce que c'est la seule offre véritable face aux plateformes. Voir un film avec d'autres gens, voir un spectacle différent de ce qu'on peut voir chez soi va perdurer, mais cela ne perdurera que si nous proposons une offre qui soit bonne.

Vous vous intéressez peut-être plus aux films qu'aux salles, mais Pathé fait 85 % de son chiffre d'affaires dans l'exploitation des salles, les films représentant quant à eux 15 %. Ce sont donc les salles qui font vivre la société. Les films sont indispensables, sans quoi il n'y a pas de spectacle, mais des films sans salle, cela ne marche pas non plus. Or Pathé est une société qui n'est que dans le cinéma, même si nous avons démarré une activité de séries.

Je cède la parole à Ardavan Safaee pour qu'il vous explique la position de Pathé et vous explique ce qu'il pense du film français et de sa capacité à séduire non seulement les Français, mais également les étrangers.

M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films. - Merci de nous recevoir et de nous donner la parole. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui.

Les films, comme le cinéma en général, inspirent beaucoup de fantasmes, et notre métier est souvent méconnu. Je voudrais profiter de cette prise de parole pour vous expliquer comment nous fonctionnons.

Les films ont traversé une crise très grave, comme toute la société en général. Il y a quelques années, pour voir un film, le public devait soit aller dans une salle de cinéma, soit acheter un DVD. Il n'y a pas encore si longtemps, il existait à la télévision des jours interdits. Celle-ci ne pouvait diffuser des films de cinéma de nombreux jours dans la semaine. Il n'y avait ni plateforme ni « télévision de rattrapage ». Aujourd'hui, l'offre de films disponibles à bas coût est démultipliée. Le public peut donc rester chez lui pour voir des films.

Nous avions déjà, avant le Covid, entamé une réflexion pour savoir comment faire en sorte que le public vienne dans les salles de cinéma pour voir les films. La question que nous nous sommes posée a été de savoir combien Pathé devait produire et distribuer, et si nous avions la capacité de soutenir, financer et mettre autant de films en avant. Certaines années, nous avons eu jusqu'à seize ou dix-sept films à distribuer ce qui, parfois, a engendré des difficultés de mise en avant de beaucoup de films, que nous n'avions pas les moyens de bien travailler.

Nous nous sommes donc dits : « Faisons moins de films, mais faisons-les mieux ». Le cinéma français a enregistré un vieillissement de son audience et a subi une concurrence très forte des plateformes sur la partie la plus jeune de nos spectateurs. Comment peut-on aujourd'hui faire en sorte de les faire revenir au cinéma ?

Dans l'économie des films, on parle toujours de la salle, mais il faut prendre en compte de nombreux médias - vidéo à l'acte, qui a perdu près d'un milliard d'euros de marché depuis dix ans, télévision, où l'on peut encore voir des films de plus de cinquante ans, secteur international. Notre réflexion porte aujourd'hui sur la salle et sur l'international.

Les plateformes ont créé des brèches dans le financement des films français. Avant les plateformes, on travaillait en circuit interne avec les chaînes françaises et des partenaires français. L'arrivée des plateformes a cassé ces frontières. Nos films et nos séries peuvent voyager, mais tous les films et toutes les séries des autres pays arrivent aussi chez nous. Si on ne réfléchit pas à la façon dont nos films peuvent à la fois convenir aux spectateurs français et s'exporter, on aura du mal à exister très longtemps.

L'univers des plateformes a apporté beaucoup d'argent au marché. Le milliard qu'on a perdu sur la vidéo à l'acte a été remplacé par les plateformes en termes d'économies pures, mais ces plateformes investissent aujourd'hui très peu dans le cinéma français.

Nous avons mis en place, avant et pendant le Covid, des obligations pour que les plateformes investissent dans le cinéma comme le font les chaînes françaises, mais aujourd'hui, le principal financier du cinéma français reste Canal Plus qui, de par la taille de son investissement, bénéficie d'une fenêtre exclusive avant tout le monde. Les plateformes ont décidé, au moment de la mise en place de ces obligations, d'investir majoritairement dans les séries et non dans le cinéma.

Ceci est lié au Covid et au fait que, lorsqu'on était confiné, nous recevions chaque semaine des dizaines d'articles sur la mort du cinéma. Ce moment a été difficile pour nous, alors que les plateformes montaient en gamme, avec des films de plus en plus ambitieux. Aujourd'hui, des films qui coûtent 100 ou 200 millions de dollars ne sortent plus sur les plateformes.

Les plateformes sont aussi en train de changer. J'ai récemment effectué un voyage à Los Angeles pour essayer de comprendre comment fonctionne le marché américain. Dans un marché qui n'est pas du tout régulé, où n'y a aucune aide et où l'État n'intervient pas, on ne voit que des films à 150 millions dollars ou plus, ou de petits documentaires à moins de 5 millions de dollars. Les plateformes amènent beaucoup d'argent aux films. Ce n'est pas encore notre cas en France. Il y a sans doute quelque chose à changer pour les attirer davantage et les obliger à mettre plus d'argent dans le cinéma, parce qu'on a besoin de l'ensemble des acteurs.

Aujourd'hui, Canal Plus est un acteur important pour financer l'ensemble de ces films - et heureusement qu'il est là. Il faut que, demain, ces plateformes, qui font beaucoup de leur chiffre d'affaires en France, puissent, à la hauteur de leur importance dans l'économie française, investir dans le cinéma français pour monter en gamme, ainsi que nous l'avons fait pour les salles de cinéma.

Il nous faut aussi monter en gamme en matière de films. Les films récents comme Astérix, Les trois mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo répondent à ce besoin. Ce qui fait de la France un cinéma extrêmement envié, c'est la diversité de ses films. Elle nous permet de faire de gros films comme Astérix, mais on a également fait Revoir Paris d'Alice Winocour, le prochain film de Xavier Beauvois, ou les films de Pedro Almodovar. Le cinéma, c'est cette diversité. Elle nous permet de renouveler les talents et la création et de faire des films spectaculaires, grand public, qui permettent aux gens de venir dans les salles de cinéma.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est aux rapporteurs de la mission d'information sur la situation de la filière cinématographique.

M. Jérémy Bacchi. - Monsieur Seydoux, vous évoquiez le modèle d'exploitation des salles et la part réservée aux films dans le business plan des salles. Vous défendez de longue date une sorte de stratégie de premiumisation de vos salles. Ainsi, le prix des billets de certaines salles - je pense notamment aux salles parisiennes -, comme Beaugrenelle ou le nouveau cinéma Parnasse, dépasse les 20 euros.

Bien sûr, il s'agit là de cas très particuliers, qui ne reflètent pas le prix moyen du billet en France, qui est aux alentours de 7 euros, avec des équipements de très haut niveau, disons-le, et un confort inégalé.

Ne craignez-vous pas qu'à un moment donné le cinéma puisse rompre avec son caractère populaire ? Comment arrivez-vous à concilier à la fois la notion de grand public et la premiumisation que j'évoquais à l'instant ? Je note en effet que la France se singularise très fortement par rapport aux autres pays en Europe ou à travers le monde.

M. Jérôme Seydoux. - C'est une question que j'attendais. Quand on dirige une entreprise, deux choses sont importantes. Tout d'abord, il faut que les clients soient satisfaits, et il faut ensuite que l'entreprise fonctionne. Ce sont deux éléments absolument fondamentaux.

Je vais répondre de manière très simple : ce qui fonctionne le mieux chez Pathé aujourd'hui, ce sont les salles premium. Aujourd'hui, quand vous allez au cinéma, vous réservez votre place. Quand un film est très demandé, les places qui partent en premier sont les places les plus chères.

Je ne sais si cela répond à votre question, mais le cinéma bon marché, c'est la télévision. Lorsque j'étais enfant, puis étudiant, il n'y avait que le cinéma pour voir des films. La télévision n'existait pas et les cinémas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, étaient très chers en première exclusivité, le prix descendant au fur et à mesure qu'on s'éloignait de la date de sortie du film.

Le cinéma s'adressait alors forcément à tous les gens qui voulaient des images, mais aujourd'hui, le cinéma pas cher, c'est la télévision. C'est notre concurrent principal, et si nous cherchons à concurrencer la télévision en matière de prix, nous avons perdu. La télévision est gratuite ou, dans le cas des plateformes, peu chère - 10 à 12 euros par mois pour toute une famille. On ne peut concurrencer la télévision. Les gens vont au cinéma parce que c'est une sortie, parce qu'ils vont passer un bon moment, et ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur offre du confort et de bons films.

On peut faire du cinéma low cost, mais je n'y crois pas. Ce que veulent les spectateurs en allant au cinéma, c'est passer un bon moment. Personne d'autre que le spectateur ne décide. Si nos prix sont trop chers, il ne viendra pas. On fera alors autre chose...

C'est notre responsabilité de chef d'entreprise. J'irai même plus loin : aujourd'hui, à la sortie d'une période très difficile, la société de salles de cinéma qui fonctionne le mieux en France, c'est la nôtre !

M. Jérémy Bacchi. - Vous disiez à juste titre que c'est le spectateur qui décide. Ne pensez-vous pas que ce qui se fait dans quelques salles parisiennes est exportable sur l'ensemble du territoire national et aura les mêmes effets que dans certaines salles parisiennes, ou doit-on continuer à avoir deux offres différenciées, avec des salles premium pour un certain public et des salles un peu moins confortables mais fonctionnant plus dans un phénomène de massification ?

M. Jérôme Seydoux. - Il faut considérer les proportions. Aujourd'hui, en France, Pathé doit posséder environ 700 salles, dont 100 salles premium. Il existe aussi des abonnements qui réduisent le prix de places. Dans nos recettes, les gens qui payent le prix fort représentent 20 % des clients. Il faut aussi tenir compte des ventes aux comités d'entreprise.

Ce n'est pas une originalité française. C'est une évolution mondiale. Ce que nous faisons correspond à l'évolution de la plupart des groupes de salles de cinéma mondiaux, et ce qui est le plus demandé, c'est le siège très confortable.

Mme Sonia de La Provôté. - Sur France Inter, le 12 octobre, vous avez déclaré - je cite : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier ». Je souscris tout à fait à cette remarque.

Cependant, hormis le confort de la salle, qu'est-ce qui attire les gens au cinéma ? Est-ce seulement pour passer un bon moment, comme vous l'avez dit, ou la question est-elle beaucoup plus complexe ? On a en effet enregistré une baisse de la fréquentation des cinéphiles qui viennent voir un film qui les interroge, les fait réfléchir ou leur fait vivre une expérience.

Au-delà de la tournure volontairement polémique, vous avez mis le doigt sur un aspect qui est au coeur de nos réflexions. Parmi celles-ci figurent le nombre et la qualité des films. C'est un vrai sujet, que vous avez abordé dans votre propos liminaire.

Pour schématiser, d'un côté, une partie de la profession défend un modèle censé préserver la liberté des créateurs, la diversité, l'exception culturelle, qu'on remet très régulièrement en avant et qui peut largement être un objet de fierté, ce qui revient à produire et à donner à un maximum d'oeuvres la possibilité de trouver un public.

D'un autre côté, certains estiment que le cinéma français est par nature trop nataliste et devrait concentrer ses moyens sur des projets avec de meilleures perspectives.

Que pouvez-vous dire à ce propos et comme envisageriez-vous une régulation du système de financement plus favorable ? Pensez-vous qu'il existe un bon nombre de films à produire chaque année en France, même si cette question est très complexe ? Faut-il avoir des objectifs pour créer l'émergence et aller ensuite vers de plus grosses opérations ?

La concentration n'est pas ce que l'on cherche à défendre dans le cinéma avec quelques réalisateurs, la tentation du blockbuster ou de l'acteur bankable. Comment arrive-t-on à concilier les deux sans tuer le système ou lui faire perdre de sa qualité ?

M. Jérôme Seydoux. - Tout d'abord, la France ne compte pas que Pathé. D'autres opérateurs ont d'autres opinions, défendent éventuellement d'autres stratégies. Je pense que la France a beaucoup de chance sur ce plan.

En premier lieu, elle dispose d'un parc de salles très diversifié. Nous sommes catalogués comme cinéma commercial, mais il existe aussi des cinémas Art et Essai, des cinémas de ville, de villages, qui sont d'ailleurs presque toujours subventionnés. La France est quand même, du point de vue des cinémas, très bien équipée. Je pense qu'on n'est pas loin d'être l'un des pays les mieux équipés au monde. De ce point de vue, la diversité existe et ceux qui considèrent que c'est trop cher chez Pathé peuvent aller ailleurs.

Deuxièmement, vous posez la question du nombre de films. Ce n'est évidemment pas à nous de répondre à cette question. Ardavan a expliqué que, du point de vue de la gestion de l'entreprise, nous allions faire moins de films. Il se trouve que la France produit beaucoup de films mais je pense que, s'il doit y avoir une évolution de la réglementation, c'est au Centre national du cinéma (CNC) qu'il faut s'adresser. C'est lui qui décide. Le nombre de films est lié au système de l'avance sur recettes, des subventions, et ces subventions pourraient être attribuées d'une manière différente. Ce n'est pas à nous de répondre sur ce point.

Il est certain que si l'on fait trop de choses, on ouvre des possibilités à des gens qui ne feraient pas de films mais, ce faisant, on a tendance à saupoudrer et à être moins efficace.

Si on veut être plus efficace, il faut peut-être avoir des règles plus strictes dans la sélection de ceux qui reçoivent des subventions. C'est en partie à vous, au CNC et au public de vous saisir de cette question. Aller au cinéma demande un certain effort. Vous m'avez cité, mais je ne reprendrai pas ce que j'ai dit, car j'ai peut-être été un peu vulgaire ce jour-là. On va au cinéma pour son plaisir, quel que soit le film qu'on va voir.

On peut chercher à voir un film à grand spectacle. La France a une grande réputation dans le film d'auteur, et il y a des gens qui ont envie d'en voir, mais le film d'auteur doit aussi atteindre un certain niveau. C'est le public qui décide si un film marche, et non le CNC. Cela arrive au spectateur de se tromper, mais pas tellement. Quand un film ne marche pas, c'est rarement un film excellent. Cela peut arriver, mais c'est très rare.

La France est un pays qui a défendu depuis toujours la diversité du cinéma, c'est une de ses forces. Même si je peux trouver qu'il y a parfois trop de films, je défendrai néanmoins la diversité. C'est très important, mais c'est le CNC qui attribue les aides. C'est toujours difficile de faire un bon film, mais il est peut-être quelquefois trop facile d'en faire un mauvais.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Le groupe Pathé est à la fois exploitant, producteur et distributeur. Il était très intéressant de vous entendre de ce point de vue.

J'aurai trois questions complémentaires. En premier lieu, vous avez fait référence au rôle de régulateur du CNC, à juste titre d'ailleurs, mais pensez-vous que l'activité de distribution pourrait être renforcée par rapport à la production, afin de donner de meilleures chances aux films ?

Deuxièmement, seriez-vous favorable à un renforcement des obligations de programmation en salle afin d'éviter que les films disparaissent trop vite, ou que certaines oeuvres soient présentes sur trop d'écrans en même temps ?

Troisièmement, vous avez récemment fait part du souhait de Pathé d'entre en bourse afin de financer de nouveaux projets. Pourriez-vous nous dire quels sont les secteurs dans lesquels vous souhaiteriez investir - les salles, la production, etc. ?

M. Jérôme Seydoux. - Investir est une question fondamentale. Dans n'importe quel métier, si vous voulez rester au sommet, vous êtes obligé d'investir tout le temps. On est dominé par le monde digital : nos dépenses augmentent sans cesse. Aujourd'hui, vous pouvez aller au cinéma en réservant votre place depuis votre téléphone. Si on ne passe pas notre temps à perfectionner l'application, nous ne serons plus compétitifs. Nous avons donc l'obligation d'investir sans arrêt, parce que c'est ce qu'attendent nos clients. C'est vrai pour les salles, mais c'est vrai aussi pour tout ce qui ne se voit pas. Nous sommes tous dans un monde digital. Si Pathé a une avance sur ses confrères français, c'est grâce au digital, ce n'est pas tellement une question de prix ou de siège.

Pour la bourse, on verra bien. Tout d'abord, ce n'est pas pour demain. On ne pourrait entrer en bourse avec les résultats qu'on a eus en 2020, 2021 et 2022, période qui a été très difficile. Il nous faut faire une bonne année 2023, et voir en 2024 si le climat est favorable. Oui, c'est un projet, mais il n'y a pas de certitude.

Pour ce qui est de l'obligation de programmation, je n'aime pas ce terme. Je pense que nous vivons de la diversité. La diversité est fondamentale pour la salle de cinéma, mais on ne peut forcer les gens à aller voir des films, et certains films produits en France ne méritent pas la salle.

Une chose mériterait d'être changée : aujourd'hui, un film de cinéma doit, s'il a reçu des aides publiques, sortir en salle. C'est une obligation légale. On devrait la changer, car aujourd'hui, un film n'a pas qu'une vie en salle. Il peut avoir une vie digitale - plateformes, télévision, tout ce qu'on veut. L'obligation de sortie en salle est un non-sens. La salle, c'est la partie prestigieuse de la sortie d'un film, mais il peut sortir sous toutes les formes digitales qui existent. Ce blocage réglementaire devrait donc être modifié.

La diversité, oui, les obligations programmées, non. C'est le spectateur qui décide ce qu'il a envie de voir. Je vais vous raconter une anecdote qui se passait il y a très longtemps. Je visitais à l'époque un des premiers multiplex de Pathé. C'était un samedi, il y avait du monde. Je pensais qu'on ne pouvait pas voir les salles, puisqu'elles étaient occupées. Or il y avait une salle où il n'y avait personne. Le film ne plaisait pas et le directeur m'a dit : « Même gratuitement, les gens ne viendraient pas ! ». On ne peut pas forcer les gens à voir des films qu'ils ne veulent pas voir. La diversité oui, l'obligation de programmer des films que les gens ne veulent pas voir, non !

C'était il y a très longtemps, vous n'étiez pas nés ! Il y a prescription. Mais je me souviens du metteur en scène ! Ce n'était pas un metteur en scène inconnu. Il a, par la suite, fait des films qui ont connu le succès - mais je ne donnerai pas son nom !

M. Ardavan Safaee. - Il est évident que le maillon le plus fragile de la chaîne est la distribution. C'est le secteur qui perçoit le moins d'aides, mais aussi celui qui prend le plus de risques sur le marché. Les frais de promotion et de publicité augmentent, et ces investissements ne peuvent être couverts que par les revenus issus de l'exploitation du film en salle, en vidéo, à la télévision, à l'international. Si le film ne marche pas, l'investissement est perdu. Si le film ne marche pas en salle et en vidéo, il y a peu de chances qu'il marche à la télévision.

Aujourd'hui, il existe des aides sélectives pour les distributeurs indépendants et des aides automatiques. L'aide automatique est essentiellement constituée par le fonds de soutien aux distributeurs, qui est au maximum d'environ 350 000 euros par film. En termes d'échelle, c'est très faible par rapport à la production.

Faire exister un film aujourd'hui est de plus en plus difficile. On va investir énormément avant la sortie pour que les gens se disent : « C'est ce film que je dois aller voir et pas un autre ». Il y a environ quinze films qui sortent chaque semaine. Les Américains ont beaucoup plus de moyens que nous en termes de publicité. On profite aussi des émissions de télévision où on peut faire venir des talents mais, globalement, on n'a pas les mêmes moyens que les autres, et il faut qu'on soit de plus en plus originaux, de plus en plus inventifs, créatifs mais aussi qu'on ait les moyens d'investir pour que ces films existent. Si les gens ne savent pas que le film existe, ils n'iront pas le voir.

Aujourd'hui, les mécanismes les plus efficaces, notamment en termes d'aides, sont les mécanismes automatiques. C'est ce qui est très efficace pour la production, c'est ce qui permet aux producteurs d'avoir des fonds propres pour investir dans le développement de nouveaux films.

En revanche, les distributeurs ne bénéficient pas de cette dimension et n'ont donc pas les moyens d'avoir des fonds propres renforcés pour investir et prendre des risques sur les nouveaux films. Il serait sans doute souhaitable qu'un rééquilibrage de l'aide automatique s'opère de ce point de vue.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est aux commissaires.

M. Julien Bargeton. - Il est compliqué de savoir ce qu'est un bon film. Je me rappelle avoir vu chez un de vos concurrents le film Everything Everywhere All At Once, qui n'a pas eu un énorme succès en France, mais qui a raflé tous les Oscars. Pourtant, quand je suis allé le voir, la salle était à moitié vide, alors que c'est un très bon film. Un film met parfois du temps à démarrer. Celui-ci a raflé des Oscars. Peut-être aura-t-il une deuxième chance, en tout cas je l'espère, car, même s'il dure 2 heures 20, c'est assez prodigieux !

Vous parlez beaucoup des plateformes. Elles rencontrent un certain nombre de difficultés. Netflix est en difficulté depuis quelques mois et cherche des alternatives, notamment avec une offre qui comprend désormais de la publicité, lancée il y a peu. Disney est également en grande difficulté et a annoncé des licenciements massifs dans le monde, en France et ailleurs. Je crois que le PDG de la plateforme a été licencié, sauf erreur de ma part. Warner HBO hésite quant à lui. Ils avaient prévu de lancer leur plateforme et, finalement, ne sont pas sûrs de le faire ni du service qu'ils vont proposer.

On le voit, la concurrence est très forte. Vous dites qu'il y a peut-être trop de films. La question qu'on pourrait se poser, c'est de savoir s'il y a trop de plateformes. Dans la musique, secteur que je connais un peu, il y a une universalité de l'offre sur n'importe quelle plateforme, où l'on trouve toute la musique en ligne, alors que pour voir toutes les séries, tous les films, etc., il faut s'abonner à plusieurs plateformes.

Les investissements ont donc peut-être été trop importants et, visiblement, il y a une difficulté pour rencontrer un nombre de consommateurs suffisant par plateforme pour rentabiliser les investissements de chacun.

Comment voyez-vous l'avenir de ce marché ? Les choses vont-elles évoluer, puisque ce business model semble plus compliqué ? Vous lui attribuez la baisse de fréquentation en salle, mais les plateformes connaissent elles-mêmes la concurrence. Est-ce une bulle, une menace persistante pour l'avenir et doit-on s'attendre à des recompositions, par exemple à une réduction du nombre de plateformes ? A-t-on une stabilisation de la concurrence à ce stade entre plateformes et films en salle ?

Mme Laure Darcos. - Je voudrais revenir sur les crédits d'impôt, que j'ai abondamment soutenus afin qu'ils soient poursuivis. Cela n'a pas été le cas dans le dernier projet de loi de finances.

Pourriez-vous revenir sur ce point ? Ce n'est pas nous qu'il faut convaincre, mais plutôt les commissaires de la commission des finances, qui ne savent pas forcément comment on produit un film et ne connaissent pas tout le travail des distributeurs.

Avez-vous une opinion s'il fallait choisir les plus fédérateurs ? Peut-être ne pourra-t-on tout avoir, comme lors de la crise du Covid, lorsque Bercy a été un peu plus généreux.

M. Pierre-Antoine Levi. - Vous avez parlé d'introduction en bourse en fonction des conditions de marché mais, en janvier dernier, Pathé a signé un accord de partenariat avec une société, Logical Pictures, en vue de lever 100 millions d'euros. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce partenariat ? En quoi est-il novateur pour le cinéma français ?

Par ailleurs, on a assisté récemment, dans les salles de cinéma, à des scènes de violence, au risque de faire fuir une clientèle familiale. Quelles mesures avez-vous prises pour empêcher que cela ne se reproduise ?

Mme Monique de Marco. - Votre objectif est de vous tourner vers l'international, plutôt avec des films grand public si j'ai bien compris. Pour vous, qu'est-ce que l'international ? S'agit-il des États-Unis, de l'Asie, de l'Europe ? Je pense que ce n'est pas le même profil de spectateurs.

Enfin, que pensez-vous de la chronologie des médias ?

Mme Laurence Garnier. - Le pass Culture du Gouvernement a été mis en place il y a quelques années. Il permet aux jeunes à partir de 18 ans d'accéder à 300 euros de biens et de sorties culturelles. C'est une somme assez conséquente, et même si les jeunes sont moins présents au cinéma qu'ils ont pu l'être, il semblerait que cela reste la première activité culturelle de cette classe d'âge.

Le pass Culture est-il efficace pour permettre la fréquentation des salles de cinéma par les jeunes ou viennent-ils autant qu'avant ni plus ni moins, mais en bénéficiant de cet apport financier.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Vous avez commencé votre carrière comme analyste financier, et le monde de la finance n'a pas de secrets pour vous.

Et puis - et c'est une expression qui revient souvent chez vous - vous avez voulu faire rêver les gens et leur permettre de s'abstraire de cette société parfois un peu lourde et pesante. Bien évidemment, en homme avisé, vous avez investi massivement dans le cinéma, mais également dans un sport qui m'est cher, le football, puisque vous étiez au conseil d'administration de l'Olympique lyonnais. Pour ceux qui ont un peu de mémoire, c'est à vous que l'on doit la venue de Sonny Anderson dans le championnat de France, qui reste un grand moment.

Quel parallèle faites-vous entre l'avenir du cinéma français et celui du football français, mais aussi entre les difficultés qu'ils traversent l'un et l'autre. Voyez-vous des points de rapprochement ou des constantes dans l'évolution du rêve et du business ?

M. Olivier Paccaud. - Je terminerai également par un parallèle avec le football, mais je reviens sur ce qu'a dit Jérémy Bacchi, et je voulais vous remercier pour la franchise de vos propos de businessman. Vous assumez la stratégie du premiumisation. Vous dites que c'est ainsi que Pathé fonctionne bien. Mais le cinéma, à la base, c'est un art populaire.

Dans mon département de l'Oise, comme dans beaucoup de départements, il existe ce qu'on appelle le Ciné Rural. C'est une association qui a passé un partenariat avec plus d'une centaine de communes, et qui propose régulièrement des films avec un léger décalage de trois à quatre semaines au prix de 3, 4, 5 euros. C'est vraiment de l'art populaire par excellence.

Quand nous étions plus jeunes, il existait dans les lycées des ciné-clubs, qui permettaient aux gens les plus modestes d'aller facilement au cinéma. N'avez-vous pas réfléchi à conserver des liens avec ces gens que vous ne touchez pas en premier ?

L'Olympique lyonnais est peut-être le meilleur exemple : il a brillé quand il avait beaucoup d'argent et pouvait attirer des stars, mais surtout parce qu'il avait un centre de formation qui formait les meilleurs joueurs du monde. Benzema vient de là !

Il faut peut-être un juste équilibre. Je n'ai évidemment aucune leçon à vous donner, car vous réussissez parfaitement, mais avoir un lien avec les gens éloignés non seulement géographiquement mais aussi financièrement de l'accès à la premiumisation ne constituerait-il pas pour vous une voie de développement ?

M. Jérôme Seydoux. - L'écosystème des plateformes est-il stabilisé ? Malheureusement, les plateformes sont toutes américaines, et ce n'est pas la France qui va avoir une influence sur l'évolution des plateformes. Les plateformes sont là pour durer. Y en a-t-il trop ? Peut-être, mais on n'a pas de moyens de savoir s'il va y en avoir moins ou plus.

Aux États-Unis, il y avait trois grands networks, puis il y en a eu un quatrième. On peut penser qu'il y aura dans le monde, à terme, trois ou quatre plateformes. On en connaît déjà trois : Netflix, Disney, Amazon. En France, les deux premières sont Netflix et Amazon, devant Canal Plus. Or Netflix et Amazon sont très bien implantés chez nous. Ils ne vont donc pas disparaître. Ils sont là pour longtemps. Il faut espérer que Canal saura résister aux plateformes. On ne peut non plus éliminer Apple, etc. Les plateformes ne vont pas disparaître.

Aux États-Unis, pendant le Covid, les majors américaines se sont posé la question de savoir si elles allaient continuer à sortir des films en salle ou les diffuser sur des plateformes. Comme l'a dit Ardavan, ils ont pris la décision que les films importants sortaient d'abord en salle et seraient ensuite diffusés sur les plateformes, à part Netflix, qui garde une stratégie un peu différente. Il pourrait un jour changer d'avis mais aujourd'hui c'est assez clair : les Américains n'ont pas abandonné la salle.

S'agissant des crédits d'impôt, les fonds d'aide du CNC sont très anciens. Je ne pense pas que l'avance sur recettes soit en danger. Ce qui est éventuellement en danger, c'est le crédit d'impôt.

Nous avons produit, au cours des années, Astérix, Les trois mousquetaires. Ce sont des films qui ont été entièrement tournés en France depuis très longtemps. La reine Margot, de Patrice Chéreau, a été tournée au Portugal. Le crédit d'impôt a ramené les tournages des films importants en France, c'est indéniable.

Si demain le crédit d'impôt est supprimé, on ne fera pas ces films ou ils seront réalisés hors de France. Défendre le crédit d'impôt est donc une excellente idée, qui nous ferait très plaisir !

M. Laurent Lafon, président. - Vous prêchez des convaincus, mais les commissaires de la culture peuvent être mis en minorité au sein même du Sénat sur cette question !

M. Ardavan Safaee. - Le contrat avec Logical Pictures est une association de la production et de la distribution de tous nos films qui sont en production depuis 2022. Cela concerne une cinquantaine de films, mais cela dépendra des évolutions de nos productions. C'est un partenariat qui implique un investissement à nos côtés et un pourcentage d'investissement de notre part. Ils sont obligés d'investir dans tous nos films et récupèrent ce pourcentage en fonction de leur participation.

Il s'agit d'un partenariat stratégique qui permet à Pathé de continuer à développer des films ambitieux sur le long terme, notre volonté étant d'avoir régulièrement des films importants à proposer au public. Il faut pour cela qu'on soit soutenu. Cet apport nous permet de bien voir l'avenir et de continuer à faire ces films.

M. Jérôme Seydoux. - Quant à la violence, elle a toujours plus ou moins existé dans les salles. Elle est liée au film, et elle est très rare. Vous ne pouvez avoir une escouade de CRS à la porte pour certains films. Il faut donc faire face, mais c'est franchement très rare.

Quand cela se produit, c'est excessivement désagréable pour tout le monde, et une équipe qui gère une salle de cinéma n'est pas entraînée à faire face à la violence. Ce n'est pas son métier.

M. Ardavan Safaee. - S'agissant de l'international, les pays qui achètent le plus de films français restent européens, mais des films comme Astérix, Les trois mousquetaires, ou les films de Dany Boon, Albert Dupontel et Alice Winocour sont des films qui attirent un public étranger. On travaille sur ces films. Il y a des publics très importants en Amérique latine. En Allemagne, Astérix est une marque quasiment aussi connue qu'en France, tout comme en Italie, en Espagne, dans tous les pays européens ou en Asie. Ces films-là bénéficient d'un attrait international.

Le marché le plus difficile pour nous, ce sont les États-Unis et, d'une manière générale, les territoires de langue anglaise - États-Unis, Angleterre, Australie. Pourquoi ? Aux États-Unis particulièrement, un film qui n'est pas en langue anglaise est un tout petit film. Les jeunes Américains ne veulent pas voir des films qui ne sont pas américains, même des films spectaculaires.

On a donc des difficultés pour l'instant avec les États-Unis, mais on essaye d'y travailler. Notre ambition est de faire un ou deux films en langue anglaise qui puisse s'exporter et marcher aux États-Unis.

Faut-il continuer à se battre pour le respect de la chronologie des médias ? Il faut continuer à la moderniser, en tout cas. On l'a modernisée un tout petit peu avec l'arrivée des plateformes, en les intégrant au système de financement. C'est un début. La chronologie est aujourd'hui vraiment liée au financement du cinéma. C'est le préachat des chaînes qui détermine la chronologie.

Il est évident que l'évolution du mode de consommation du cinéma - même si je n'aime pas ce terme - fait qu'on doit continuer à faire évoluer la chronologie. Le cinéma est toujours en mouvement. La chronologie ne peut être fixée à très long terme. C'est pour cela qu'on la détermine pour trois ans à chaque fois. Il faut que ce mouvement soit accompagné. Notre boussole, c'est le public. Si notre boussole reste le public, on doit continuer à moderniser la chronologie des médias.

M. Laurent Lafon. - C'est-à-dire en donnant un peu plus de place aux plateformes ?

M. Ardavan Safaee. - Les plateformes auront plus de place si elles investissent plus d'argent. C'est toute la difficulté. Moderniser veut dire assouplir les règles pour qu'on s'adapte à chaque film.

Il faut faire attention à ce que les règles ne soient pas trop strictes. Il faut des règles extrêmement claires pour que les financements des films français continuent à être importants, mais il faut une certaine souplesse. Aujourd'hui, les chaînes et les plateformes ont peut-être envie de travailler ensemble pour investir dans les films. Il faut leur permettre d'assouplir aussi la chronologie des médias pour qu'ils puissent le faire, toujours au bénéfice du film.

M. Jérôme Seydoux. - S'agissant du pass Culture, il est très efficace. L'une des raisons pour lesquelles, à la fin du Covid, notre nombre d'abonnés est non seulement remonté aux chiffres de 2019 et l'a même dépassé, repose sur le pass Culture. En ce qui nous concerne, il a été extrêmement efficace pour les abonnements cinéma.

Quant au parallèle entre le monde du football et celui du cinéma, nous ne sommes plus dans l'Olympique lyonnais. Nous avons vendu notre participation à la fin de l'année dernière, mais nous avons été partenaires durant quasiment 25 ans.

Les points communs existent. Les joueurs sont les artistes que l'on retrouve dans les films. Dans les deux cas, on trouve des agents plus ou moins aimables et compétents. Enfin, le football professionnel est avant tout un spectacle. Seule différence : la place de football est plus chère que la place de cinéma.

Je voudrais revenir sur le prix. Il existe des fenêtres où le prix est bon marché : à partir du 19 mars, avec le Printemps du cinéma, le billet est partout à 5 euros. D'autres organisations se concentrent également sur le prix. Même dans la boulangerie, le prix du pain n'est pas le même partout. Le prix de la place de cinéma n'est pas le même partout, et chacun peut suivre des voies différentes.

Autrefois, le cinéma était sans concurrent. Aujourd'hui, il a non seulement la concurrence de la télévision et des plateformes, mais aussi celle du téléphone portable, des réseaux sociaux, etc. Les jeunes ne regardent pas la télévision, ils vont éventuellement au cinéma, et ils sont sur les réseaux sociaux avec leur téléphone portable ou leur ordinateur.

Le monde a changé, et nous devons nous adapter. C'est vrai aujourd'hui, et ce sera encore vrai demain.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour vos réponses et la franchise de vos propos, qui font toujours plaisir à entendre. Lorsque les paroles sont directes, elles sont d'autant plus audibles.


* 1 https://www.senat.fr/rap/r02-308/r02-308.html

* 2 https://www.senat.fr/rap/r02-276/r02-2763.html

* 3 En plus du présent rapport, la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat et Bruno Lasserre à la demande du Gouvernement.

* 4 Selon un article du National Geographic du 26 février 2019 :

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2019/02/comment-les-freres-lumiere-ont-invente-le-cinema

* 5 https://www.senat.fr/rap/a22-120-43/a22-120-43.html

* 6 Le Monde 17 octobre 2022

* 7 Le Monde, 8 octobre 2022

* 8 Libération, 4 octobre 2022

* 9 Voir partie IV du présent rapport.

* 10 Sortie le 5 avril 2023.

* 11 https://www.cnc.fr/documents/36995/1779526/Charte+des+SOFICA+agr%C3%A9%C3%A9es+en+2022+pour+les+investissements+2023.pdf/7492e377-4455-8fa0-6341-eee38b296fd9?t=1662396134964

* 12 https://www.cnc.fr/documents/36995/1571009/Descriptif+complet+de+l%27agr%C3%A9ment.docx/212b6638-73a6-c721-f8e5-6bc641832f09?t=1636018559632

* 13 Dans son avis rendu à la demande de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale le 21 février 2019, l'Autorité de la concurrence détaille et analyse les conséquences économiques de cette obligation d'investissement.

* 14 La commission de la culture a établi un panorama complet dans un rapport de Catherine Morin-Desailly paru en 2017 « Entre stratégies industrielles, soutien à la création et attentes des publics : les enjeux d'une nouvelle chronologie des médias » https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201707/chronologie_des_medias.html

* 15 https://www.senat.fr/rap/a22-120-43/a22-120-43.html

* 16 https://alain.le-diberder.com/le-cinema-a-la-francaise-nest-pas-eternel/

* 17 « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? (12,3 millions d'entrées), La famille Bélier (7,5 millions d'entrées), Supercondriaque (5,3 millions d'entrées) et Lucy (5,2 millions d'entrées, film français tourné en anglais, par ailleurs plus gros succès du cinéma français à l'étranger).

* 18 https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/premieres-rencontres-des-cinemas-recherche-et-decouverte_1874995

* 19 Lucy (2014), Le Cinquième Elément (1997) et Valerian et la Cité des milles planètes (2017).

* 20 Taken (2008), Taken 2 (2012) et Taken 3 (2015).

* 21 Pinocchio en italien, The Father en anglais et Bigfoot Family (animation) en français.

* 22 On peut cependant noter que plus d'un million de spectateurs mi-avril se sont rendus au cinéma pour voir le dernier opus du réalisateur, « Mon crime », sorti le 9 mars 2023.

* 23 Le plus emblématique reste celui du film « Heaven's Gate » de Michael Cimino, pourtant oscarisé pour « Voyage au bout de l'enfer ». Sorti en 1980 aux États-Unis, le film n'a rapporté que 3,5 millions de dollars pour un budget de 44 millions.

* 24 L'article L. 213-11 du code du cinéma et de l'image animée autorise ce taux à évoluer entre un plancher de 25 % et un plafond de 50 %.

* 25 Il est au passage regrettable que le CNC ne mène pas à intervalle régulier un travail d'actualisation de cette étude extrêmement riche.

* 26 https://www.fncf.org/updir/3/Charte_sobriete_energetique.pdf

* 27 https://positivr.fr/camion-salle-cinema-cinemobile-val-de-loire/

* 28 https://www.cnc.fr/documents/36995/1118512/CNC+Etudes+circuit+itine%3Frant.pdf/52d81e2a-7ceb-28ad-faf7-cc0249f2a389?t=1601650716965

* 29 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230313/cult.html

* 30 Avec notamment le « pop corn », star incontestée des salles. Introduit à l'origine en raison de son faible coût aux États-Unis durant les années 30, il représente aujourd'hui 85 % des revenus des salles dans ce pays.

* 31 Le PRODISS estime le prix moyen d'un billet de concert à 35 euros en 2017 : https://www.prodiss.org/fr/actualites/2020/01/les-nouveaux-chiffres-de-la-diffusion-des-spectacles

* 32 Voir partie II du présent rapport.

* 33 https://www.cnc.fr/cinema/etudes-et-rapports/rapport/rapport-de-bruno-lasserre---le-cinema-a-la-recherche-de-nouveaux-equilibres---relancer-des-outils-repenser-la-regulation_1928729

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