H. LA SAUVEGARDE DE LA DÉMOCRATIE, DES DROITS ET DE L'ENVIRONNEMENT DANS LE COMMERCE INTERNATIONAL

1. Intervention de Mme Mireille Clapot au nom du groupe ADLE

Merci, Monsieur le Président.

Chers collègues,

Monsieur le rapporteur,

Je tiens à saluer votre rapport qui pointe de nombreuses défaillances dans la négociation et l'application des accords de commerce car ils engagent les pays pour longtemps, ne promeuvent pas toujours les droits humains et environnementaux, et vous proposez qu'ils soient revus pour devenir un outil.

La mise en oeuvre des propositions que vous identifiez dans votre projet de résolution mérite d'être étudiée.

Le commerce représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre selon l'OMC et les preuves ne manquent pas pour dénoncer les conséquences parfois désastreuses qu'ont certains accords pour nos démocraties et l'environnement.

En premier lieu, le Traité de la charte de l'énergie, comme cela a été souligné, dont plusieurs pays du Conseil de l'Europe comme la France ou l'Espagne sont sortis, dénonçant les trop fortes garanties qu'il accorde au secteur de l'énergie fossile.

Récemment les conséquences néfastes du projet d'accord entre l'Union européenne et le Mercosur sur la biodiversité et le climat ont conduit des pays de l'Union européenne comme la France ou l'Autriche à s'opposer à sa signature suite à son évaluation par des experts.

Alors, il ne faut pas tomber dans le fatalisme ni le protectionnisme : le commerce international n'est pas inconciliable avec le respect de l'environnement et des droits, pourvu qu'il soit encadré par des règles transparentes, équitables et des normes environnementales et sociales exigeantes.

Au nom du groupe ADLE, je conviens comme vous que les instances de négociations doivent davantage prendre en compte les enjeux démocratiques, sociaux et environnementaux pour veiller à ce que les nouveaux accords contiennent des dispositions détaillées sur la protection des droits fondamentaux et le développement durable, et aussi réviser les traités existants à la lumière des considérations de droits humains et de droits environnementaux.

L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, le CETA, est à ce titre un exemple à suivre. Il intègre des normes environnementales et sociales élevées, ce qui a poussé par exemple le Canada à ratifier des conventions supplémentaires de l'OIT. Son élaboration et sa mise en oeuvre ont su donner une juste place à la contribution de la société civile.

Les accords de commerce et d'investissement peuvent donc être d'incroyables outils économiques et politiques au service de la transition environnementale et de la protection des droits ; mais, pour cela, il faut sortir de la logique du cercle vicieux qu'est le dumping social et environnemental.

Comme l'avait déclaré notre Assemblée en 2017, il nous faut cesser de recourir à des tribunaux d'arbitrage pour poursuivre les États et mettre en cause les lois environnementales ou sociales qui entravent les profits d'investisseurs privés. Au contraire, il nous faut consacrer le retour à un tribunal multilatéral des investissements qui prend mieux en compte l'impératif écologique de l'action publique et faire une juste place aux traités les plus récents, comme l'Accord de Paris.

L'urgence écologique peut certes nous imposer de recourir à des instruments unilatéraux, mais encore faut-il veiller à ce qu'ils soient conçus intelligemment pour pousser les acteurs publics et privés à adopter des comportements plus vertueux.

Et enfin, le devoir de vigilance des multinationales doit être mieux pris en compte, à la fois dans le droit international et national.

Démocratisation et parlementarisation : oui, nous le soutenons.

Merci.

2. Intervention de M. Emmanuel Fernandes

Merci, Madame la Présidente.

Monsieur le rapporteur,

Chers collègues,

Je commencerai par remercier le rapporteur M. Geraint Davies, qui nous présente aujourd'hui un texte visant à mieux prendre en compte, à renforcer la sauvegarde des droits humains, de la démocratie et de l'environnement dans les accords commerciaux.

Si la mondialisation des échanges est une réalité qui correspond à une marche du monde amorcée il y a près d'un siècle et demi et qui s'est accélérée dans les années 1970 avec un développement des politiques de libre-échange, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à constater qu'à bien des égards, il y a quelque chose de profondément antinomique entre le commerce international lui-même et la préservation des droits humains et de l'environnement.

Le grand marché monde, la concurrence globale que ses défenseurs souhaitent totalement libre et non faussée sont des concepts qui, par nature, induisent la recherche permanente de baisse des coûts de production, dont en premier lieu les salaires, et ont fait naître des usines du monde - principalement dans l'hémisphère Sud - où les droits des travailleurs sont très dégradés, voire inexistants.

Le commerce international exacerbé provoque également, intrinsèquement, des dégâts irréversibles sur l'environnement par les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation massive d'intrants qui polluent les sols et l'eau, la surexploitation des ressources naturelles. Le Brésil, par exemple, a exporté l'année dernière 1,44 millions de tonnes équivalents en carcasses de boeufs vers la Chine ; ces boeufs sont nourris avec du soja OGM, lui-même planté sur des terres qui ont été gagnées en brûlant la forêt amazonienne, poumon de la planète.

Comment penser alors qu'un traité commercial sino-brésilien puisse être un moyen en soi de renforcer la protection de l'environnement, alors même que son objet induit des impacts écologiques tellement dévastateurs pour notre planète ?

Chers collègues, nous sommes un nombre grandissant à avoir intégré le fait qu'il nous faut revenir à des modes de production et d'échange beaucoup plus localisés, en favorisant les circuits courts, en réduisant drastiquement les transports de marchandises, en réduisant fortement les gaspillages, en interdisant l'obsolescence programmée et puis en revenant à des techniques agricoles respectueuses des sols et de l'environnement. Pour autant, et aujourd'hui, le rapport que nous étudions est bienvenu dans la mesure où, dans l'état actuel du commerce mondial, il propose des manières de mieux contrôler ces échanges en réaffirmant le rôle que les parlements nationaux doivent avoir dans la négociation, le contrôle et l'application des traités.

Il propose de promouvoir le devoir de vigilance des entreprises, ce qui est en effet une nécessité. Il propose également une alternative aux tribunaux d'arbitrage privés qui ne sont effectivement pas de nature à défendre l'intérêt général dans la résolution des différends entre les États et les investisseurs privés. Enfin, l'objectif affiché de réviser les accords commerciaux de l'ancienne génération pour y intégrer des dispositions relatives au développement durable et à la protection des droits fondamentaux va également dans un sens positif.

Je vous remercie.

3. Intervention de M. Didier Marie

Chers collègues,

Je voudrais à mon tour remercier notre collègue M. Geraint Davies pour son rapport dont je partage largement les constats et les orientations.

En tant que rapporteur du Sénat français à la fois sur les enjeux relatifs à la politique commerciale de l'Union européenne et, d'autre part, au devoir de vigilance des entreprises, j'ai pu contribuer à ce que le Sénat se mobilise en faveur d'une meilleure prise en compte des enjeux liés au développement durable, tant dans son volet environnemental que dans son volet social.

Le rapport considère que les accords de commerce et d'investissement sont des outils puissants au service du progrès. C'est souhaitable, possible, mais ce n'est pas garanti. Encore faut-il que les valeurs démocratiques et humaines que nous défendons se voient intégrées dans les obligations associées à ces accords et, d'autre part, soient respectées.

On peut saluer à cet égard les progrès récents décidés par l'Union européenne. C'est vrai sur le plan du cadrage politique, à travers notamment la révision du plan d'action en 15 points sur la mise en oeuvre des chapitres relatifs au commerce et au développement durable, qui prennent mieux en compte les objectifs des ODD. Je soutiens pour ma part une approche graduelle et réversible dans la mise en oeuvre de ces chapitres, en particulier sous forme de réductions tarifaires graduelles permettant d'encourager, à partir de critères clairs, objectifs et partagés, le respect des engagements sociaux et environnementaux.

C'est aussi vrai sur le plan pratique. L'Accord de Paris sur le climat a bien été intégré comme clause essentielle dans les derniers accords annoncés avec la Nouvelle-Zélande et le Chili. La prise en compte de la déforestation en Amazonie a conduit à bloquer le processus d'adoption de l'accord global avec le Mercosur.

Les conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail sont également désormais intégrées et l'Union européenne a démontré sa capacité à obtenir des engagements en termes de ratification et de mise en oeuvre de ces conventions. Je pense notamment aux accords conclus avec le Vietnam et la Corée du Sud. Nous devons par ailleurs utiliser tous les outils à notre disposition pour s'assurer du respect des engagements pris, et je souhaite que l'Union européenne et d'autres envisagent des clauses de revoyure en cas de non-respect de ceux-ci.

L'un des enjeux clairement évoqués par notre collègue, c'est la réévaluation des engagements pris dans le cadre des accords commerciaux d'ancienne génération. C'est un chantier considérable qui doit cependant être mené pour faire progresser les droits environnementaux, sociaux et humains.

Je voudrais enfin évoquer deux points pour appuyer les propositions du rapport :

- d'une part, la nécessité d'une réforme du mécanisme de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce. On ne peut pas rester durablement avec un organe d'appel paralysé, et nous devons faire pression sur les États-Unis pour qu'ils nomment leur juge ;

- d'autre part, je partage pleinement l'objectif de mieux associer les parlements nationaux aux négociations sur tout traité de commerce et d'investissement. On mesure aujourd'hui la sensibilité de nos concitoyens, notamment s'agissant de l'équité des conditions de production, la réciprocité des engagements. Tenir les parlements nationaux éloignés du processus de négociation et de ratification des accords, c'est prendre un risque démocratique.

Je soutiendrai, ceci dit, les propositions du rapporteur qui vont dans le bon sens.

4. Intervention de M. Jacques Le Nay

Discours non-prononcé mais intégré au compte rendu officiel

Je voudrais commencer par indiquer mon attachement à un système multilatéral fondé sur des règles, permettant des conditions de concurrence équitable et offrant un mécanisme de règlement des différends efficace.

Dès lors, je regrette que certains États, notamment les États-Unis, aient bloqué ce mécanisme de règlement des différends de l'OMC et qu'aucune porte de sortie n'apparaisse évidente à très court terme.

Je souhaite que, dans le prolongement du succès inattendu de la douzième conférence ministérielle qui s'est tenue en juillet 2022, on progresse réellement sur la voie de la modernisation de l'OMC.

Je me félicite par ailleurs que cette réunion ministérielle ait abouti au lancement d'une coalition des ministres du commerce pour le climat. Ceci va dans le sens, souhaité par l'Union européenne et mis en avant par notre rapporteur, d'une meilleure prise en compte de la durabilité dans les accords commerciaux internationaux.

Comme notre rapporteur, je considère que les accords commerciaux et d'investissement sont des outils puissants qui peuvent être mis au service de la sauvegarde de l'environnement et de la protection des droits fondamentaux. Ils peuvent permettre de diffuser, au-delà de l'Europe, les valeurs de démocratie et d'humanisme que promeut notre Organisation. Encore faut-il s'en donner les moyens !

Il m'apparaît à cet égard important que les accords commerciaux et d'investissement puissent intégrer la mise en oeuvre de l'Accord de Paris sur le climat comme une clause essentielle.

L'Union européenne, qui est sortie d'une certaine naïveté dans son approche des accords commerciaux et qui prête désormais une réelle attention aux conditions de leur exécution, a su récemment négocier des accords de nouvelle génération mettant en avant des clauses sociales et environnementales importantes. C'est un exemple à suivre et je soutiens l'appel lancé par notre rapporteur en direction des États membres, et pour ceux membres de l'Union européenne, à l'Union. La politique commerciale commune est en effet une compétence exclusive de l'Union, seul le volet relatif à l'investissement étant une compétence partagée avec les États membres.

Je souscris donc d'autant plus à l'idée de notre rapporteur consistant à mieux associer les parlements nationaux au processus de négociation des accords de libre-échange, afin d'éviter des crispations démocratiques en toute fin de processus. C'est une revendication constante du Sénat français et nous nous employons à entretenir un dialogue exigeant sur ces enjeux, tant avec notre gouvernement qu'avec les services de la Commission européenne.

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