EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 juin 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur les prêts garantis par l'État : mieux comprendre les risques pour le budget de l'État.
M. Claude Raynal, président. - En ce début d'après-midi, nous entendons Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », qui va nous présenter les conclusions de son contrôle budgétaire sur le risque associé aux prêts garantis par l'État (PGE).
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Ce contrôle budgétaire s'inscrit dans la continuité des travaux de notre rapporteur général, en particulier son rapport sur la sortie des PGE de mai 2021. L'idée de mener un travail sur le sujet est née lors de l'examen du dernier projet de loi de finances : les estimations de pertes brutes liées aux PGE pour 2023, s'élevant à 1,9 milliard d'euros, ne paraissaient pas être en accord avec les prévisions économiques très optimistes du Gouvernement. Un autre point avait attiré mon attention : l'annulation, dans le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022, de 2 milliards d'euros sur les 3,5 milliards initialement prévus sur le programme 114 « Appels en garantie » de la mission « Engagements financiers de l'État ».
Le dispositif des PGE est fondé sur un système ingénieux car indolore, au moins temporairement, pour les finances publiques : l'État est sollicité uniquement au moment de l'appel en garantie.
Alors que nous arrivons à mi-parcours - les PGE ont été créés en 2020, ils doivent, du moins pour ceux qui n'ont pas fait l'objet de restructuration, être remboursés au plus tard en 2026 - je tiens tout d'abord à accorder un satisfecit face à la réactivité et la capacité d'adaptation des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre des PGE. Annoncés par le Président de la République dès son allocution du 16 mars 2020, ils ont en effet été mis en place en l'espace d'une dizaine de jours. Il faut à cet égard saluer le rôle de la direction générale du Trésor, à la manoeuvre dans la conception du dispositif voté par le Parlement à l'article 6 de la loi de finances rectificative du 23 mars 2020 et mis en application par un arrêté du même jour - on aimerait qu'une telle rapidité d'application des lois soit la norme. La Commission européenne avait mis en place un cadre temporaire le 19 mars 2020, permettant de déployer le dispositif des PGE.
Les PGE avaient été conçus pour une crise d'un trimestre. Pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie et de ses conséquences économiques, il a fallu adapter le dispositif. Initialement censés durer jusqu'au 31 décembre 2020, les PGE ont ainsi été prolongés jusqu'au 30 juin 2022 pour les PGE « classiques », et au 31 décembre 2023 pour les PGE « Résilience ». Ces derniers n'ont rencontré qu'un succès mitigé, suggérant une faible utilité du dispositif.
Les initiatives prises pour contenir le risque de non-remboursement des PGE et mieux détecter les entreprises en difficulté doivent aussi être saluées. Elles se situent dans la droite ligne des recommandations préconisées par notre rapporteur général il y a deux ans. J'y reviendrai.
Globalement, les PGE ont permis une préservation des intérêts de l'État et des entreprises aux différentes étapes du prêt. La phase d'octroi a essentiellement reposé sur les banques. Avec une quotité garantie par l'État comprise, selon la taille de l'entreprise, entre 70 et 90 % du montant du prêt et un délai de carence de deux mois à compter de son octroi, celles-ci ont supporté une partie du risque de crédit, ce qui les a dissuadées de prêter à des entreprises non viables. Lorsque les banques refusaient, il était possible de se tourner vers le médiateur du crédit mais, au moins, les prêts ont été accordés dans de bonnes conditions. Les entreprises « zombies » n'ont pas concentré plus de 4 % du total des PGE octroyés.
Lors de la phase d'octroi, Bpifrance - dont les relations avec les banques sont régies, sur le sujet des PGE, par un acte d'adhésion - a été chargée de vérifier le respect des conditions d'éligibilité des entreprises et de plafonnement du montant des prêts en fonction du chiffre d'affaires. Cela a bien fonctionné, avec la mise en place d'une plateforme, et un gabarit de fichier normalisé, dans le cadre d'un système informatique rénové.
Je veux ici aussi saluer le travail de cette structure, qui n'a pourtant pas encore été compensée pour l'ensemble des dépenses qu'elle a engagées. En effet, une telle compensation avait été exclue lors de la création du dispositif pour des raisons d'appels d'offre, et le défraiement prévu depuis a été conditionné à la signature, encore en attente, de la convention de gestion du PGE entre Bpifrance et le Trésor. L'État a « oublié » de payer ; il convient de compenser rapidement et au juste niveau Bpifrance pour les dépenses engagées au titre du suivi et de la gestion des PGE pour le compte de l'État. C'est l'objet de la recommandation n° 2.
Ces prêts sont ensuite amortis. Pour laisser une certaine marge de manoeuvre aux entreprises, un différé d'amortissement d'un an avait été initialement prévu, et complété en janvier 2021 par la possibilité de bénéficier d'un différé d'un an supplémentaire, toujours dans la limite d'une durée de prêt de six ans. De nombreuses entreprises ont demandé ces prêts sans les utiliser. Beaucoup ont pioché dans leur trésorerie, en sachant qu'elles avaient par ailleurs le PGE. Cela leur permet de se préserver une soupape, avec un prêt dont le taux d'intérêt est plus faible que les taux actuels.
Par ailleurs, des facilités ont ultérieurement été aménagées pour les entreprises en difficulté, rendant possible la prolongation du prêt au-delà de six ans avec l'accord de la Commission européenne : le juge peut décider le report ou l'échelonnement de deux ans des sommes dues (le prêt dure donc huit ans), une restructuration amiable sous l'égide du juge et des procédures judiciaires peuvent aussi conduire à la prolongation du PGE sans limitation de durée (dans les faits, les plans se limitent à dix ans), et le recours à la médiation du crédit pour les PGE inférieurs à 50 000 euros peut donner lieu à un étalement du prêt jusqu'à quatre années supplémentaires.
Ces dispositions ne sont pas sans rappeler la recommandation n° 7 du rapport « Husson » sur les PGE : « maintenir, avec l'autorisation de la Commission européenne, la garantie de l'État en cas de restructuration d'endettement s'étendant au-delà de la limite de six ans prévue pour les PGE, afin d'inciter davantage à l'étalement des dettes d'une entreprise en difficulté ».
Au 31 janvier 2023, 143,8 milliards d'euros de PGE avaient été octroyés ; 50,7 milliards d'euros avaient été remboursés, et le capital restant dû s'élevait à 93,1 milliards d'euros.
Enfin, en cas d'événement de crédit, la banque peut effectuer un appel en garantie. Celui-ci est en général séquencé en un versement provisionnel - où l'État n'accorde qu'une partie du montant de l'indemnisation - et un versement final, intervenant une fois toutes les diligences de recouvrement possibles, amiables ou judiciaires, utilisées. Ces demandes d'indemnisation donnent encore lieu à un contrôle documentaire par Bpifrance. À cette occasion, si le montant indemnisable constaté lors d'une indemnisation finale est supérieur au montant du versement provisionnel net effectué, la différence entre les deux montants est payée au prêteur. Dans le cas contraire, il reverse le trop-perçu à Bpifrance, qui le reverse à l'État. C'est un système un peu compliqué, et dont la traçabilité n'est encore pas totalement assurée. Ainsi, le budget de l'État n'est que progressivement mobilisé dans le cadre de ce processus.
Au 31 janvier 2023, 1,83 milliard d'euros avait été appelé en garantie au titre des PGE, mais ce montant ne représente qu'une perte brute, qui ne suffit pas à apprécier l'impact budgétaire des PGE. La perte nette pour l'État se compose en effet de la perte brute liée à l'appel en garantie, diminuée du trop-perçu, mais surtout de la commission versée à l'État - et comprise dans le taux du prêt - en échange de sa garantie. Jusqu'à aujourd'hui, cette commission était légèrement supérieure à la perte brute : ainsi, jusqu'en 2022, l'État était bénéficiaire net, mais il devrait être perdant à partir de 2023.
Si le risque budgétaire est maîtrisé, des points de vigilance demeurent sur les petites entreprises et certains secteurs. Les différentes estimations réalisées depuis la mise en oeuvre des PGE ont anticipé des pertes nettes comprises entre 1,4 et 5,3 milliards d'euros. La plus optimiste date de janvier 2022 ; depuis, la dégradation de la situation macroéconomique associée notamment au conflit russo-ukrainien a entraîné une hausse des pertes nettes anticipées, qui ne devraient toutefois pas dépasser 3,6 milliards d'euros sur la durée du dispositif en 2030, ce qui demeure limité.
En effet, malgré la remontée des taux et l'inflation, en particulier sur les prix de l'énergie qui constituent une part significative des coûts de production, les entreprises parviennent à afficher des taux de marge élevés - 33,5 % au deuxième trimestre 2023. Ainsi, le nombre de défaillances d'entreprises, s'il augmente, demeure mesuré : fin avril 2023, il s'élevait à 46 000 sur 12 mois, soit 5 000 de moins que sur l'année 2019, où le niveau était déjà particulièrement bas. Si l'endettement des entreprises françaises demeure élevé, les indicateurs relatifs aux restes à recouvrer par les Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) indiquent aussi une santé financière des entreprises rassurante. Cela dit, il faut noter que l'augmentation des défaillances est peu cohérente avec les prévisions macroéconomiques optimistes du Gouvernement annoncées en PLF 2023.
Toutefois, des points de vigilance existent : le niveau de défaillances des TPE (hors microentreprises) et des PME (ETI exclues), s'il demeure raisonnable, a significativement augmenté par rapport à 2019 alors que ces types d'entreprises concentrent l'essentiel des PGE et du capital restant dû. Les très petites entreprises, surtout celles de moins de dix salariés, sont très mal suivies et se trouvent souvent en difficulté. Parmi les nombreuses entreprises qui ferment aujourd'hui dans le domaine de l'habillement, ce sont souvent les toutes petites entreprises qui sont concernées. La proportion de TPE-PME craignant de ne pouvoir rembourser leur PGE est ainsi passée de 7 à 9 % entre février 2023 et mai 2023 - retrouvant ainsi son niveau d'avril 2022.
Les secteurs de l'hébergement-restauration, de l'industrie manufacturière et dans une moindre mesure le secteur du bâtiment doivent faire l'objet d'une attention particulière du point de vue du risque PGE.
Enfin, dans la mesure où 72 % des encours des PGE ont des échéances finales sur 2026, il est possible de s'attendre à une vague d'appels en garantie cette année-là.
L'accompagnement des entreprises en difficulté a été renforcé dans le cadre de la crise sanitaire. Si nous ne sommes pas tout à fait dans les clous de la recommandation n° 3 du rapport Husson, qui préconisait de transformer le CODEFI en comité partenarial de financement des entreprises en sortie de crise, on s'en rapproche ! Seul bémol : les Urssaf ne sont pas encore vraiment dans la boucle. Elles décident parfois le recouvrement de créances reportées, mais cela se fait sans réelle discussion avec les autres services de l'État sur le territoire, ce qui met en difficulté certaines petites entreprises.
Par ailleurs, un dispositif de repérage des entreprises en difficulté sur la base de leurs données, Signaux Faibles - « start-up d'État » constituée d'une dizaine de data scientists - se déploie progressivement sur le territoire de façon à faciliter le travail d'accompagnement offert aux entreprises en difficulté par les agents publics. Même si l'impact budgétaire en serait sans doute faible, il conviendrait, à terme, d'élargir les missions de Signaux Faibles pour leur permettre de s'intéresser aux petites entreprises.
La Banque de France réalise deux fois par an une estimation des pertes liées aux PGE pour le compte de la direction générale du Trésor. Elle pourrait le faire désormais sur base trimestrielle. La transmission de ces estimations au Parlement, ainsi que l'introduction de précisions concernant l'évolution du capital restant dû par cote de crédit dans les documents budgétaires, lui permettrait de mieux appréhender le risque budgétaire associé aux PGE. Il s'agit de mes recommandations n° 1 et n° 3.
La transmission des estimations au Parlement ainsi que l'obtention de précisions sur l'évolution du capital restant dû permettraient de mieux appréhender le risque associé aux PGE, c'est l'objet des première et troisième recommandations.
Les estimations de la Banque de France sont robustes. Toutefois, certaines hypothèses sous-jacentes, ou « scénario de référence », de ce modèle sont définies par la direction générale du Trésor : à partir de juillet 2022, il a ainsi été décidé de calquer le rythme de défaillances attendues sur la période 2022-2028 sur celui observé entre 2009 et 2015. On comprend la nécessité d'arrêter un scenario de référence vraisemblable mais rien n'indique a priori que la tendance des défaillances sur la période 2022-2028 sera en adéquation avec les estimations formulées sur la base des chiffres de la période 2009-2015. Il y a là un problème de modélisation et un problème d'actualisation des données, car le contexte économique a beaucoup changé par rapport à la période 2009-2015.
Au surplus, comme les remboursements sont consacrés aux PGE et aux Urssaf, les modélisations élaborées par la Banque de France pourraient s'avérer insuffisantes, mais il est trop tôt pour l'affirmer.
Enfin, la certification des comptes 2022 menée par la Cour des comptes a permis d'identifier un dernier sujet : dans les comptes de l'État, les engagements hors bilan dus aux PGE sont évalués à 81 milliards d'euros (dont 5 milliards de provision pour risques) alors que la Banque de France, pour réaliser ses dernières estimations, s'était fondée sur un encours garanti restant de 90 milliards d'euros. 9 milliards d'écart, ça fait beaucoup...
Le fichier Bpifrance transmis à l'administration pour déterminer les estimations d'engagement hors bilan renseignerait en effet, en cas d'anomalie sur un montant de capital restant dû, un montant de 0, tandis que la Banque de France redresserait les données pour réaliser ses estimations de pertes dues aux PGE. Il y a un souci d'harmonisation des données. Cela fait tout de même trois ans, donc il est temps de remédier. Certes, la qualité des estimations n'en paraît pas fondamentalement affectée, mais il semble indispensable de raccorder les données utilisées par la Banque de France pour élaborer ces estimations avec celles retenues par l'État pour calculer le montant des engagements hors bilan : c'est ma huitième recommandation.
Au total, les PGE constituent un dispositif, qui été construit dans des délais très restreints, mais qui a plutôt permis d'atteindre les objectifs. Les recommandations du Rapporteur général, dans son rapport de mai 2021 ont été, il faut le souligner, plutôt suivies d'effet.
Les résultats de ce contrôle sont plutôt rassurants. Le risque budgétaire n'est pas démesuré pour l'État : 3,6 milliards d'euros sur un encours d'environ 144 milliards d'euros, on est sur un ratio assez classique finalement.
Le risque pourrait toutefois être encore réduit grâce à un meilleur repérage et un meilleur accompagnement des entreprises en difficulté - notamment les plus petites. Si je récapitule, c'est un bon dispositif mais on peut faire mieux sur l'information du Parlement, pour lui permettre d'appréhender correctement l'évolution du risque, et sur la cohérence des données prises en compte par les différents organismes.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette présentation optimiste, on aurait pu craindre davantage encore que 3,6 milliards d'euros de pertes.
M. Jean-François HUSSON, rapporteur général. - Au regard de l'analyse qui est faite, il semble que nos précautions étaient justifiées et qu'elles ont finalement permis à nos craintes de ne pas se traduire concrètement, c'est tant mieux. Si les choses restent en l'état, les PGE auront permis un retournement efficace de conjoncture. Les taux d'intérêt assez élevés que nous connaissons en ce moment ont plutôt incité les entreprises à s'appuyer sur les conditions d'emprunt relativement avantageuses que l'État leur garantissait, donc elles se sont bien approprié le dispositif et cela a eu un impact économique positif, mais il faut maintenant souhaiter qu'elles ne fassent pas comme l'État, en vivant un peu sous perfusion, et que leur retour aux conditions normales du marché s'opère rapidement.
L'État, au final, a bien protégé ses intérêts. Nous émettions des doutes lorsque le Gouverneur de la Banque de France, au moins à deux reprises, a minimisé le risque d'un défaut massif de remboursement. Force est de constater que ça n'a pas eu lieu. Il faudra maintenant voir l'étendue des dégâts de la crise, à terme, sur le tissu économique et le nombre de défaillances d'entreprises, mais c'est un autre sujet. Sur le seul aspect budgétaire et sur la question des finances publiques, le dispositif a en tout cas bien joué son rôle. En revanche, j'en tire la conclusion que lorsque nous mettons en place des mesures d'accompagnement des entreprises qui supposent l'intervention de plusieurs acteurs institutionnels, on peut faire mieux quant à leur articulation. Les Urssaf restent trop en vase clos alors qu'elles devraient davantage inscrire leur action dans un écosystème institutionnel qui demande une bonne fluidité entre tous les intervenants.
M. Marc Laménie. - Le capital restant dû, à savoir 93 milliards d'euros, ce n'est pas négligeable. Quelles seront les modalités d'accompagnement des entreprises en difficulté, en particulier des petites entreprises, pour rembourser ?
M. Arnaud Bazin. - Le remboursement des prêts se fait-il systématiquement in fine ou y a-t-il des remboursements intermédiaires ? Il a été question d'amortissement à un moment, donc je souhaiterais que notre rapporteur puisse clarifier ce point.
Par ailleurs, si j'ai bien saisi, certaines entreprises ont rempli le contrat d'emprunt mais n'ont pas forcément sollicité le décaissement des sommes. A-t-on une idée du volume que représente ce cas de figure et, le cas échéant, cette somme s'ajoute-t-elle aux 89 milliards, d'autant que des décaissements peuvent encore être sollicités jusqu'à la fin de l'année, voire même des contrats ?
Sur le fond, se pose aujourd'hui la question de l'évaluation du dispositif. On voit certes qu'il y a eu moins de faillites qu'attendu mais comment peut-on apprécier le fait que c'est ce dispositif en particulier qui aurait réellement permis d'éviter le pire en cette période de crise ? Certaines entreprises ont en effet cherché à bénéficier du mécanisme par simple précaution mais ne s'en sont pas servi. Enfin, dans le prolongement du dernier point évoqué par le Rapporteur général, au vu du succès rencontré par le dispositif, existe-t-il une tentation de pérenniser certains aspects du mécanisme, pour les conserver hors période de crise, par exemple lorsque des tensions sectorielles apparaissent ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Comme Arnaud Bazin, je m'interroge sur les leçons que l'on peut tirer pour l'avenir de ce type d'outils, que ce soit en période de crise d'un autre type, ou de manière durable. Faut-il imaginer un dispositif pérennisé et le cas échéant, reformaté ? Est-ce comme cela qu'il faut interpréter les conclusions positives du rapporteur ?
Sans aller jusqu'à parler d'effet d'aubaine, notre rapporteur a souligné qu'il existait des entreprises ayant sans doute arbitré en faveur de ce prêt en se disant que c'était moins compliqué que de négocier avec une banque et surtout que le taux consenti était fort avantageux en période d'inflation, alors qu'elles n'étaient pas particulièrement frappées par la crise. Ces entreprises sont enclines à solliciter la prorogation du dispositif. Est-on en mesure d'évaluer la part des entreprises concernées par cette situation ? Y aurait-il un intérêt pour l'État à être plus strict dans l'accès au PGE en le réservant désormais aux entreprises en ayant réellement besoin, et cela vous semble-t-il techniquement faisable ?
M. Michel Canévet. - Parmi les mesures analogues prises par le Gouvernement pour permettre aux entreprises de franchir cette période difficile, figurait également l'octroi de délais concernant les règlements fiscaux auprès des directions départementales et générale des finances publiques (DDFiP et DGFiP) et les règlements sociaux auprès de l'Urssaf. Un certain nombre de signaux sur ce point montrent que tous les risques ne sont pas écartés pour les entreprises. Notre rapporteur dispose-t-il d'éléments à ce sujet ?
M. Claude Raynal, président. - J'ai vu passer des propositions du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) concernant le non remboursement des PGE dans le cadre de règlement d'entreprises. Cela constitue un mauvais signal : si le CIRI pousse à ne pas rembourser le PGE parce que l'entreprise se porte mal, et que cela permettrait de relancer le secteur, je crains que cela crée des disparités entre les entreprises. Je pense en particulier aux TPE, on a tous en tête l'exemple des boulangers en ce moment, qui ont des difficultés pour rembourser et qui pourraient être tentés de s'appuyer sur les arguments du CIRI pour ne pas rembourser. Je crains un effet boule de neige. Est-ce que le rapporteur dispose d'informations sur l'ampleur et sur la réalité ou non de ce phénomène, et sur les positions officielles sur le sujet?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Pour répondre au rapporteur général, mais aussi à M. Bazin, certaines entreprises déposent leur bilan avant d'être défaillantes, ce qui n'est parfois pas indiqué dans les statistiques générales. Ce sujet a été évoqué avec le médiateur du crédit, Frédéric Visnovsky. Il faut y prendre garde. La croissance n'est pas là et les entreprises cessent leurs activités pour faire autre chose.
M. Laménie, en cas de défaillance, on demande une restructuration du prêt, soit amiable, soit judiciaire, soit en ayant recours à la médiation du crédit. La dette peut être étalée sur une durée allant jusqu'à quatre années supplémentaires. Aujourd'hui, c'est l'hôtellerie-restauration et l'industrie manufacturière qui rencontrent le plus de problèmes. Le capital restant dû y est respectivement de 8 et 11,4 milliards d'euros.
M. Bazin, il y a certes des prêts in fine, mais principalement des prêts à amortissement. L'État ne peut pas revenir sur les contrats, qui sont souscrits entre l'entreprise et une banque. Le mécanisme fonctionne plutôt bien.
S'agissant des décaissements, il n'y a pas de données parce que la banque dit que le prêt a été octroyé, mais pas la somme qui a été décaissée.
Au Royaume-Uni, le prêt est garanti à 100 %, ce qui a pu encourager les établissements de crédit à être moins regardants dans l'octroi des prêts. Il vaut mieux partager les risques, comme ce qui a été fait en France : la banque connaît le client et peut évaluer les risques.
M. Canévet, les DDFiP et l'Urssaf ne se parlent pas, c'est un vrai problème sur lequel les entreprises m'ont alerté.
M. le Président, le CIRI considère que la dette relative au PGE ne doit pas être « juniorisée », c'est-à-dire qu'elle doit bien être honorée. Il faut éviter l'effet de contagion. C'est en tout cas une question que j'ai posée au CIRI, qui dit faire attention au problème.
M. Claude Raynal, président. - Je connais une entreprise dont les PGE ont été divisés par deux.
M. Jérôme Bascher. - Cela suppose normalement que les autres prêts le soient aussi.
M. Claude Raynal, président. - Je m'inquiète en tout cas à ce sujet. Des petites entreprises se demandent pourquoi une entreprise relativement grosse peut bénéficier de ce type de mesure. Il serait bon que le CIRI définisse une position claire.
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.