B. L'ATTRIBUTION DES SUBVENTIONS : COMPLEXITÉ, TARDIVETÉ ET MANQUE DE VISIBILITÉ
1. Une procédure d'attribution marquée par la complexité
a) La demande de subvention : des modalités simplifiées
L'annexe 4 à la circulaire du 29 septembre 2015 décrit « Les modalités d'instruction des demandes de subvention. » Il apparaît qu'en ce qui concerne les modalités de demande des subventions, la procédure est relativement simple.
Il existe un formulaire unique de demande de subvention : le formulaire Cerfa n° 1215612(*). Celui-ci doit être utilisé par toute association sollicitant une subvention auprès de l'État, de ses services déconcentrés et de ses établissements publics à défaut d'utiliser le téléservice. Son usage est également recommandé pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Conformément à la circulaire du 29 septembre 2015, une notice Cerfa n° 51781 précise les pièces indispensables à joindre par l'association pour une première demande ou pour une demande de renouvellement.
Chaque service gestionnaire conserve un dossier « permanent » pour chaque association, retraçant dans la durée l'ensemble des relations que l'association a entretenues et entretient dans le cadre de ce partenariat. Cela évite de demander plusieurs fois les mêmes informations ou documents probants dont la validité est permanente (sauf modifications que l'association est tenue de notifier à l'administration).
Les documents versés au dossier permanent dispensent l'association de reproduire les renseignements et les documents inchangés figurant dans son dossier permanent lors d'une nouvelle demande de subvention
b) L'instruction des demandes de subvention : une étape complexe, source de retards importants
La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une grande complexité. L'administration est en effet tenue par de nombreuses normes, nationales et européennes, législatives et réglementaires, de procéder à de nombreuses vérifications. En miroir, les associations sont soumises à d'importantes exigences, et doivent fournir un nombre croissant de documents justificatifs.
Tout d'abord, comme les rapporteurs spéciaux l'avaient déjà fait remarquer dans un précédent rapport13(*), les obligations déclaratives ont été complexifiées par les nouvelles exigences posées par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui implique notamment que soit fourni, avec la demande de subvention, le contrat d'engagement républicain mentionné à l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000.
La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics introduite par l'ordonnance du 23 mars 2022 réformant de la responsabilité des ordonnateurs fait peser sur les gestionnaires publics un risque de sanction en cas d'octroi de subvention injustifiée, à partir du 1er janvier 2023. Cette ordonnance impose donc de pouvoir justifier chaque décision sur la base de projets préalablement identifiés, sans reconduire automatiquement une subvention passée, ce qui implique pour les associations des formalités plus importantes pour obtenir le renouvellement de leurs subventions.
Enfin, la réglementation européenne en matière d'aides d'État impose également des vérifications minutieuses de la part de l'administration ; il s'agit bien souvent de s'assurer que l'activité subventionnée n'est pas une « activité économique » au sens du droit de l'Union européenne. Cette qualification d'activité non-économique peut être aisée dans certaines cas - la gratuité ou la tarification sociale d'un service en sont des éléments déterminants - elle peut, en cas d'erreur, placer la France en contrariété avec le droit européen.
Au niveau déconcentré, les rapporteurs spéciaux ont été informés des pratiques de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Corse, qui procède à une vérification spécifique pour toute demande de subvention présentée par une association « nouvelle » (nouvellement créée ou n'étant pas enregistrée dans les bases de données des services financiers de la DREETS). La liste des dirigeants de la structure et les statuts sont communiqués au coordonnateur sécurité de la préfecture qui procède à un examen de probité de la structure.
Les rapporteurs spéciaux ne nient pas l'importance de ces vérifications, qui permettent d'assurer le respect des exigences européennes, d'éviter les fraudes et de préserver les deniers publics en s'assurant de la pertinence des projets et de la probité des acteurs associatifs subventionnés. Cependant, l'administration indique que « la décision d'attribution est suspendue le temps que les contrôles des obligations légales, réglementaires et la production des pièces soient réalisés14(*) », ce qui implique parfois des retards importants dans l'attribution des subventions, dommageables pour les associations.
2. L'action associative paralysée par les retards pris pour signer les conventions et pour verser les subventions
a) Des retards importants dans l'attribution des subventions
Les rapporteurs spéciaux avaient choisi de s'intéresser au conventionnement des associations après avoir recueilli de nombreux témoignages concernant les retards pris dans la signature des conventions et dans l'attribution des subventions. Entendus dans le cadre du présent contrôle, les associations d'aide alimentaire et de défense des droits des femmes ont, sans exception, confirmé l'importance de ces retards et leurs conséquences délétères sur leur situation financière. Seules les associations de défense des droits des personnes handicapées, moins dépendantes des subventions de l'État du fait de leurs liens étroits avec la Sécurité sociale, échappent à ce constat.
Paroles d'associations
Les retards pris pour
signer les conventions
« Concernant la FNCIDFF, nous renégocions actuellement notre CPO pour les années 2023-2025. Nous espérons qu'elle sera signée prochainement afin de recevoir la subvention et de nous permettre d'assurer le paiement des salaires. Le montant des fonds associatifs de la FNCIDFF nous permet de disposer de la trésorerie suffisante en attendant le versement de la subvention. En ce qui concerne les CIDFF, certains centres n'ont que trois à quatre mois de trésorerie. Passé ce délai, ils sont à découvert et sont contraints de recourir à des emprunts dont ils découlent des frais bancaires. Ces problématiques de trésorerie contribuent à la fragilisation des CIDFF et peuvent conduire à la cessation de paiement. En 2022, nous avons dû fermer un centre dans l'Aisne. Le temps de pouvoir en ouvrir un nouveau, il faudra compter deux ou trois ans, pour que l'ancien CIDFF soit définitivement liquidé. Durant cette période, les femmes n'ont plus accès à nos services. »
FNCIDFF
« Le décalage entre le début de la négociation et le premier versement nous précarise, et met nos bénévoles en difficulté. »
Secours populaire français
L'administration elle-même a confirmé, à demi-mot, cet État de fait. Lors de son audition, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a indiqué que, selon elle, « l'axe de progression principal mis en oeuvre pour améliorer l'exercice dans le cadre de la nouvelle procédure de programmation des crédits annuels, consiste à valider la programmation plus tôt dans l'année, idéalement en avril ». La validation de la programmation vise à lisser le traitement des dossiers de subvention sur le reste de l'année, pour éviter le phénomène du « pic de fin de gestion, où l'essentiel des dossiers sont traités entre octobre et décembre.15(*) »
b) Les conventions pluriannuelles plus protectrices des associations
A contrario, les conventions pluriannuelles d'objectifs, une fois signées, sont assez sécurisantes. Les associations bénéficient ainsi de visibilité sur leurs financements sur plusieurs années ; en outre, les charges administratives sont moins importantes durant la mise en oeuvre de la convention que lors de sa négociation ou au moment de son renouvellement.
Paroles d'associations
Les retards pris pour
signer les conventions
« Il faut que l'administration recoure plus souvent aux CPO, y compris au niveau local. Pour nous, c'est l'assurance d'un financement pérenne et de moindres charges administratives. »
Mouvement du Nid
« Nous avons été financés par convention annuelle de 2019 à 2021. Pour la période 2022-2024, nous avons enfin une première convention pluriannuelle pour toutes nos activités sur le programme 304. Cela nous donne de la sécurité et de la visibilité. Par exemple, la deuxième année d'une convention pluriannuelle, on a le premier versement assez tôt. Sous convention annuelle, au mieux le premier versement tombe en juin - au pire en septembre... »
ANDES
Les conventions pluriannuelles sont en effet tenues d'organiser le versement de la subvention pour les années suivant l'année de signature de la CPO. Cela implique, outre de définir préalablement le montant de la subvention pour les années suivantes, de prévoir des dates pour les versements de l'acompte et du solde de chaque subvention annuelle. Depuis la circulaire du 29 septembre 2015, l'acompte doit être versé au plus tard en mars et le solde au plus tard en août, ce qui tranche avec les retards importants subis lors de la négociation des conventions.
Les conventions étant généralement établies pour trois ans, la tranquillité associée à la deuxième année, où ni négociation ni renouvellement n'est nécessaire, est particulièrement appréciée par les associations. Ces multiples vertus expliquent la préférence des associations pour les CPO. En ce sens, la circulaire du 29 septembre 2015 a appelé les administrations à privilégier « le recours aux conventions pluriannuelles ».
La signature des conventions pluriannuelles ne correspond cependant pas nécessairement aux besoins de l'administration. En effet, plus le ratio de subvention sous CPO augmente dans les enveloppes budgétaires, plus cela rigidifie la structure de la dépense et réduit la marge de manoeuvre de l'administration pour subventionner des projets ponctuels en phase avec l'évolution des politiques publiques ou le lancement de démarches ou projets novateurs. Plus l'administration signe de CPO, plus la part des dépenses « réellement discrétionnaires » diminue.
Les CPO : une meilleure visibilité sur les versements
Lorsque l'administration conclut une convention pluriannuelle d'objectifs, elle est tenue, en dehors de la subvention initiale correspondant à la première année d'exécution, d'organiser le versement pour les années suivantes. Ce dispositif de conventions s'accompagne de modalités spécifiques d'avances sur subvention pour les années suivant celle de la conclusion de la convention. En effet, en application de l'article 33 du décret du 7 novembre 2012 précité, des avances peuvent être consenties aux bénéficiaires de subventions. 50 % du montant de la subvention annuelle est automatiquement versé avant le 31 mars de chaque année sauf refus motivé, notamment eu égard à la liquidation judiciaire de l'organisme ou du défaut d'inscription des crédits en loi de finances.
Source : Annexe 4 à la circulaire du 29 septembre 2015 - « Les modalités d'instruction des demandes de subventions »
Cette rigidité pour l'administration, induite par la signature des CPO, explique sans doute la part relativement faible occupée par les CPO parmi les actes attributifs. Dans la mesure où seuls 16,31 % des subventions dépassent la somme minimale de 23 000 euros par an rendant obligatoire la signature d'une convention, on comprend sans peine que de peu de subventions fassent l'objet de conventions pluriannuelles.
Pour l'administration, la durée d'usage de trois ans des CPO constitue la durée optimale, permettant de « réinterroger l'opportunité et la pertinence de la relation contractuelle avec les associations concernées, en relation avec l'évolution des politiques publiques et des priorités politiques, et du déroulement des projets et activités des organismes financés. » Les rapporteurs spéciaux ne partagent pas ce point de vue : dans le cadre d'une CPO de quatre ans, l'action associative peut également être réorientée et réinterrogée annuellement, au cours du dialogue de gestion, tout en assurant un engagement plus pérenne de l'administration. La question du renforcement du dialogue de gestion fait d'ailleurs l'objet de développements infra.
3. Un nouveau calendrier de conventionnement dont la logique devrait être prolongée
Pour remédier à ces retards, identifiés aussi bien par les associations que par l'administration, la DGCS a élaboré en 2022 un nouveau calendrier de programmation des subventions, applicable à partir de 2023. Ainsi, une fiche de procédure a été diffusée en décembre 2022 à l'ensemble des services métiers de la direction pour préciser le processus de conventionnement pour 2023.
Le nouveau calendrier de programmation
des
subventions au niveau central
Décembre N-1 : appels à propositions des bureaux métiers pour faire émerger les avant-projets à financer en année N.
Janvier : période de dépôt des avant-projets par les associations.
Février : instruction des avant-projets par les bureaux métiers.
Mars : retour des tableaux de programmation à SD5A16(*) (avec une éventuelle mise à jour des têtes de réseau).
Avril : validation de la programmation en « comités de programmation », associant le directeur général, la sous-direction métier et SD5.
Mai : transmission de la programmation aux cabinets.
Entre avril et juin : pré-notification, instructions, signature et mise en paiement des subventions.
Celui-ci distingue les conventions pluriannuelles avec les « têtes de réseaux », partenaires durables et indispensables de l'État, et les subventions visant à financer des projets ponctuels.
Pour la programmation des subventions concernant les projets ponctuels de l'année 2023, il a été demandé à chaque service métier, dès la fin d'année 2022 :
- de définir les priorités de financement retenues pour 2023 telles qu'identifiées dans les projets annuels de performance (PAP) soumis au Parlement, dans une fiche précisant les « lignes directrices » pour chaque politique publique (aide alimentaire, enfance et famille, personnes âgées, personnes handicapées, droits des femmes) ;
- de solliciter les associations pour qu'elles présentent des avant-projets (avec les montants et les cofinancements pressentis), avant une date butoir fixée au 15 février 2023.
La DGCS a informé les rapporteurs spéciaux que cette nouvelle programmation avait suscité un « appel d'air très conséquent », les demandes de subventions se chiffrant, pour certaines politiques publiques, en centaines.
Selon la DGCS, le calendrier prévisionnel a été « globalement respecté » en ce qui concerne la première phase de l'exercice de passation des conventions 2023. Les lignes directrices ont bien été diffusées dès janvier, la phase de dépôt des demandes de subventions par les porteurs de projets s'est bien tenue jusqu'au 15 février. Quant à l'examen et la présélection des demandes, elle s'est déroulée, comme prévu, de février à avril.
La seconde phase des travaux a cependant pris du retard, notamment du fait du déménagement des services de la DGCS de son site de Montparnasse, intervenu en avril :
- les comités de programmation, prévus pour avril, se sont tenus les 9 et 16 mai 2023. La programmation des projets retenus, validée dans le cadre de ces comités, a été transmise au cabinet du ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées ;
- les pré-notifications des subventions ont été réalisées entre fin mai et fin juin, le retard du début de la phase ayant semble-t-il été rattrapé ; dès lors, les associations ont pu débuter les démarches administratives nécessaires à l'obtention de la subvention, notamment le dépôt du formulaire Cerfa ;
- depuis la fin juin et début juillet 2023, les premières conventions sont en cours de passation.
L'objectif de la DGCS, passer les conventions au cours des prochains mois pour éviter le « pic de fin de gestion » dans lequel les conventions sont validées tardivement, entre novembre et décembre, semble donc en voie d'être atteint. Il serait utile d'évaluer, dans un futur proche, la part des conventions dont la passation a pu être avancée grâce à l'application de ce calendrier. Les rapporteurs spéciaux recommandent ainsi a minima de procéder à une évaluation contradictoire, incluant les associations, du nouveau calendrier de programmation des subventions établi pour 2023.
Ils relèvent également que ce calendrier, qui implique que les subventions soient versées à la moitié de l'exercice de référence, expose toujours les associations à des périodes de forte fragilité durant les premiers mois de l'année. Certes, l'administration indique qu'il est « difficile d'envisager de démarrer la procédure beaucoup plus en amont l'année N-1, compte tenu du frein de l'annualité budgétaire », les enveloppes n'étant pas connues dans le détail avant l'adoption de la loi de finances.
Cet argument n'a toutefois pas convaincu les rapporteurs spéciaux. En effet, s'il est vrai que la sélection définitive des dossiers et la pré-notification des subventions doit avoir lieu une fois la loi de finances adoptée et l'enveloppe budgétaire définie, il apparaît possible de conduire la phase amont de la procédure (publication des appels à propositions, dépôt des avant-projets par les associations, et l'examen de la pertinence des projets...) avant l'adoption de la loi de finances, sur la base des montants inscrits en PLF.
La difficulté reste la charge de travail importante que représente la procédure de conventionnement pour les services de la DGCS, a fortiori compte-tenu du « pic de fin de gestion » souvent évoqué. Concrètement, il apparaît très difficile voire contreproductif pour l'administration de commencer la programmation des subventions de l'année N+ 1 alors que la passation des conventions de l'année N n'est pas terminée.
C'est tout l'objet du nouveau calendrier de programmation des subventions. Si sa mise en oeuvre permettait d'avancer l'attribution des subventions et la passation des conventions plus tôt dans l'année, la fin de l'exercice pourrait être mise à profit pour débuter la programmation pour l'année suivante. La DGCS a d'ailleurs reconnu que « si la procédure de conventionnement commençait beaucoup plus en amont, cela permettrait en effet un lissage de la charge de travail avec probablement un nombre moins important de dossiers à traiter en fin de gestion. »
A maxima, les rapporteurs spéciaux proposent donc d'avancer à nouveau le calendrier de programmation afin que les premiers versements puissent avoir lieu plus tôt dans l'année N.
Recommandation n° 2 : Améliorer la visibilité des associations sur leurs financements en provenance de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
- augmenter la durée moyenne des conventions en privilégiant les conventions pluriannuelle et en augmentant le nombre de conventions pluriannuelles signées pour une durée de quatre ans au lieu de trois ;
- procéder à une évaluation contradictoire, incluant les associations, du nouveau calendrier de programmation des subventions établi pour 2023 ;
- en fonction des résultats de l'évaluation, envisager d'avancer encore le calendrier, au cours de l'année N-1, afin que les premiers versements puissent avoir lieu au début de l'année N.
* 12 Téléchargeable dans la rubrique associations du site www.service-public.fr.
* 13 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 115 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.
* 14 Selon la DREETS de Corse. Réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.
* 15 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.
* 16 SD5A désigne le bureau A « Budgets et performances » de la 5ème sous-direction « Affaires financières et modernisation » de la DGCS.