DEUXIÈME PARTIE
LUTTER EN URGENCE CONTRE LES PÉNURIES

I. MIEUX ANTICIPER ET PRÉVENIR LES RISQUES DE PÉNURIES

A. MIEUX TENIR COMPTE DE LA SAISONNALITÉ DE LA CONSOMMATION ET MIEUX DÉTECTER DES RISQUES ÉPIDÉMIQUES IMMINENTS

1. L'hiver 2022-2023 : un exemple probant d'absence d'anticipation
a) La situation épidémique de l'hiver 2022-2023 et les tensions d'approvisionnement constatées

· Afin de lutter efficacement contre les phénomènes de pénurie, il apparaît indispensable de se donner les moyens d'anticiper et de repérer, le plus rapidement possible, les situations épidémiques exceptionnelles comme les besoins en médicaments qui peuvent en découler. À cet égard, l'hiver 2022-2023, marqué par une triple épidémie de covid-19, de grippe et de virus syncytial constitue un contre-exemple évident, fréquemment évoqué devant la commission d'enquête.

Intervenue plus tôt et à plus grande échelle que d'ordinaire, dans un contexte de relative « dette immunitaire » liée aux confinements de la pandémie de covid-19, la triple épidémie a accru la demande pour certains traitements et, sans anticipation suffisante, a favorisé l'apparition de pénuries sur certaines spécialités courantes, telles que le paracétamol ou l'amoxicilline.

La triple épidémie de l'hiver 2022-2023

L'hiver 2022-2023 a été marqué par la circulation intense et concomitante de la grippe saisonnière, du virus SARS-CoV-2 et de la bronchiolite.

L'épidémie grippale s'est avérée, d'après Santé publique France, « exceptionnellement précoce et longue » : elle a démarré dès la fin du mois de novembre 2022 (à partir de la semaine 45) pour atteindre son pic fin décembre (semaines 51 et 52) et s'achever début avril (en semaine 17)175(*).

Nombre de consultations pour syndrome grippal pour 100 000 habitants en métropole (saisons 2017-2018 à 2022-2023)

Lecture : lors de la semaine du 19 au 25 décembre 2022 (semaine n° 51 de l'hiver 2022-2023), le nombre de consultations pour 100 000 habitants est repassé sous la barre des 250.

Source : Réseau Sentinelles, Santé publique France

Une importante épidémie de bronchiolite a par ailleurs marqué la fin de l'année, atteignant des niveaux exceptionnellement élevés en décembre176(*).

Proportion des passages aux urgences et actes médicaux SOS Médecins pour bronchiolite parmi ceux codés pour des enfants de moins de 2 ans

Source : Données Oscour et SOS Médecins France métropolitaine, Santé publique France

Enfin, la neuvième vague de covid-19 a touché la France au mois de décembre 2022, avant de décroître rapidement en début d'année 2023177(*).

Taux de dépistage et taux d'incidence de la covid-19, pour 100 000 habitants

Source : Santé publique France

· Cette situation épidémique a favorisé l'apparition de tensions d'approvisionnement importantes sur certains antipyrétiques ou antiinfectieux d'usage courant, en particulier le paracétamol et l'amoxicilline. Pour ces deux molécules, des tensions d'approvisionnement ont été constatées par l'ANSM, respectivement dès juillet et dès le 10 octobre 2022.

Auditionnée par la commission d'enquête, la directrice générale de l'ANSM a ainsi directement lié les ruptures observées à l'augmentation de la consommation de ces médicaments consécutive à la situation épidémique : « Ces tensions sont d'abord liées aux trois épidémies présentes simultanément : la grippe hivernale, la covid-19 et la bronchiolite, laquelle est précoce cette année. La demande de paracétamol est donc en très forte augmentation, les usines tournent en continu, mais cela ne suffit pas, en particulier pour la solution buvable pédiatrique. Sur cette solution, nous sommes passés de 1,9 million de flacons dispensés en décembre 2021, à 3 millions en décembre 2022, c'est dire l'importance de la hausse. »

· Ayant touché des médicaments d'usage courant, particulièrement dans leurs formes pédiatriques, les pénuries de l'hiver 2022-2023 ont marqué patients et professionnels de santé.

Auditionnée par la commission d'enquête, la présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins en a témoigné en ces termes : « La dernière pénurie en date, l'hiver dernier, a eu pour effet d'augmenter les difficultés d'accès aux soins de l'ensemble des patients qui, subissant déjà de plein fouet la pénurie d'offres de soins, se sont vu refuser la délivrance, voire la prescription de certains médicaments au motif d'une rupture de stock prévue durant plusieurs mois. Dans le même temps, l'exercice de l'ensemble des professionnels de santé - dont les médecins - a été rendu très compliqué en raison de la pénurie simultanée d'antibiotiques majeurs, de cortisone per os et inhalée et de paracétamol, alors qu'ils devaient faire face à trois épidémies : bronchiolite, grippe et covid. » 178(*)

b) L'insuffisante anticipation des risques de pénurie par les industriels

Si les pénuries de l'hiver 2022-2023 ont fait l'objet de nombreuses mesures de l'ANSM et du Gouvernement destinées à en maîtriser les effets, plusieurs acteurs entendus par la commission d'enquête ont souligné qu'elles avaient été favorisées par un manque d'anticipation des industriels et des pouvoirs publics eux-mêmes.

· Ceux-ci mettent en avant, en particulier, que le risque de regain des épidémies hivernales, bien que difficile à connaître par avance, n'était pas entièrement imprévisible. Le co-fondateur de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), Jérôme Martin, a ainsi souligné, devant la commission d'enquête, que « Sous l'angle de la santé publique, à la levée [des mesures de confinement et de protection contre la covid-19], une plus grande circulation des agents infectieux et une augmentation de la demande d'antibiotiques auraient dû être anticipées. » 179(*)

De la même manière, si la consommation de paracétamol et d'amoxicilline s'est avérée élevée durant l'automne et l'hiver 2023, elle n'est pas apparue entièrement déconnectée des niveaux observés lors des années ayant précédé la crise sanitaire.

La consommation d'amoxicilline et de paracétamol durant l'hiver 2022-2023

La précocité et l'intensité des épidémies saisonnières ont favorisé une consommation inhabituellement élevée d'amoxicilline durant l'automne 2022. Celle-ci a toutefois, par la suite, regagné des niveaux proches voire inférieurs à ceux observés durant l'hiver 2019-2020.

Ventes hebdomadaires en officine d'amoxicilline (boîtes ou flacons)

Source : ANSM, d'après des données Openhealth

Une tendance similaire est mise en avant par l'ANSM concernant le paracétamol : la consommation de cette molécule atteint un pic inhabituel au mois de décembre, mais regagne par la suite des niveaux inférieurs à ceux observés lors des hivers 2018-2019 et 2019-2020.

Ventes hebdomadaires en officine de paracétamol pédiatrique (boîtes ou flacons)

Source : ANSM, d'après des données Openhealth

· D'après plusieurs personnes entendues, le regain épidémique de l'hiver 2022-2023, dans un contexte de levée des mesures de lutte contre la covid-19 n'aurait pas été suffisamment anticipé par les industriels. Leurs prévisions, habituellement fondées sur les volumes constatés dans les années immédiatement précédentes, se seraient avérées erronées en sortie de crise sanitaire. Celles-ci se seraient, en effet, fondées en l'espèce sur des hivers 2020-2021 et 2021-2022 durant lesquels la consommation de certains médicaments s'est avérée anormalement faible.

Selon la directrice générale de l'ANSM, lors de son audition par la commission d'enquête : « Pour l'amoxicilline, les industriels ont intégré la forte baisse des années 2020 et 2021 liée aux confinements, en diminuant la production ; aujourd'hui la demande est repartie très fort à la hausse et il faut compter avec les délais de remise en marche des lignes de production. »180(*)

Le président de la filiale française d'IQVIA, société américaine leader dans l'exploitation des données de santé, a exposé un diagnostic similaire : « Vis-à-vis de l'amoxicilline, les données de consommations, anglaises notamment, ont mis en évidence des consommations aberrantes durant l'hiver dernier, par rapport aux années précédentes. Or les industriels prévoient en fonction des consommations attendues. Une surconsommation dans un pays important en Europe, en lien avec une phase épidémique, voire un cumul d'épidémies, peut donc entrainer une pénurie. »181(*)

Face à une demande non anticipée, certaines entreprises ont veillé à adapter leur production, dans une mesure toutefois insuffisante pour maîtriser entièrement les phénomènes de pénurie. « Concernant la solution pédiatrique, la production a augmenté de 49 % en 2022 par rapport à 2021, pour atteindre un niveau inédit de plus de 24 millions de boîtes » souligne la présidente de Sanofi France, interrogée sur les pénuries de Doliprane. Pour autant, le modèle économique de production en flux tendu oblige les industriels à réagir dans l'urgence, une fois qu'ils se retrouvent dos au mur et doivent faire face à leurs responsabilités éthiques dans le contexte d'une situation sanitaire déjà dégradée. Certes, l'engagement des collaborateurs du groupe pharmaceutique dans l'augmentation de la production a été sans faille. Mais c'est bien le modèle économique de l'industrie pharmaceutique dans son ensemble qui fragilise la réponse à l'évolution de la situation sanitaire.

c) La réaction des pouvoirs publics : des mesures de gestion des pénuries mais une anticipation et une communication lacunaires

· Si les pouvoirs publics ne paraissent pas avoir davantage anticipé la situation, ils ont néanmoins pris des mesures en urgence pour tenter de maîtriser l'effet des tensions d'approvisionnement constatées sur le paracétamol et l'amoxicilline.

Les principales mesures prises sur le paracétamol et l'amoxicilline

1. Sur l'amoxicilline

Les tensions d'approvisionnement sont datées, par l'ANSM, du 10 octobre 2022.

Le 18 novembre 2022, l'Agence publie une fiche d'information emportant interdiction, pour les grossistes-répartiteurs, d'exporter le médicament à l'étranger.

Le 8 décembre 2022, l'ANSM met à jour ses recommandations pour diffuser les propositions des sociétés savantes182(*). Celles-ci mettent en avant le risque d'un « effet domino » sur les formes pédiatriques d'autres antibiotiques par report de la consommation. Elles indiquent que « du fait des stocks limités de la quasi-totalité des formes pédiatriques des autres antibiotiques, le report sur ces molécules peut représenter un risque majeur pour des patients souffrant de pathologie chronique grave ». En conséquence, elles recommandent :

- de limiter strictement les prescriptions aux indications des recommandations officielles ;

- dans la majorité des situations, de prescrire aux enfants les formes adultes, en adaptant approximativement les doses à leur poids et à leur âge.

Le 29 décembre 2022, l'ANSM publie une recommandation autorisant les pharmaciens, à titre exceptionnel et temporaire, à délivrer en remplacement du médicament indisponible une préparation magistrale.

Le 6 février 2023, à la suite d'une demande de l'ANSM, le laboratoire Biogaran annonce mettre à disposition des pharmaciens d'officine une spécialité initialement destinée au marché allemand. Le laboratoire informe les pharmaciens des différences significatives entre les deux spécialités (voie d'administration, conditions de conservation, etc.) et indique joindre aux boîtes commandées une enveloppe contenant la traduction de la notice en français et une lettre d'information, à remettre au patient lors de la dispensation.

À la date de publication de ce rapport, la spécialité amoxicilline - acide clavulanique apparaît toujours en tension d'approvisionnement et aucune date de remise à disposition n'est annoncée par l'ANSM.

2. Sur le paracétamol

Le paracétamol présente deux différences notables avec l'amoxicilline :

- il n'est pas considéré comme un MITM183(*), et ne fait donc pas l'objet d'obligations renforcées de déclaration, d'anticipation et de stockage ;

- il est un médicament dit « à prescription médicale facultative », pouvant être dispensé sans ordonnance184(*).

Des difficultés d'approvisionnement sont signalées par l'ANSM dès juillet 2022. L'Agence estime alors, « d'après les données disponibles à ce stade, [que] la situation devrait revenir à la normale à l'issue de la période estivale » 185(*).

Dès juillet 2022186(*), l'ANSM :

- met en place un contingentement quantitatif en limitant les ventes aux grossistes-répartiteurs et les ventes directes aux officines, afin de répartir équitablement les approvisionnements et préserver les stocks disponibles ;

- recommande aux pharmaciens de privilégier la dispensation sur ordonnance, limiter la vente en ligne et réguler, si possible, la dispensation à deux boîtes sans ordonnance par patient.

Le 19 octobre 2022, l'ANSM recommande en outre aux professionnels de santé de limiter les prescriptions de paracétamol aux patients en ayant un besoin immédiat et de privilégier une posologie allégée187(*).

Un arrêté du 3 janvier 2023188(*) suspend, enfin, jusqu'au 31 janvier, la vente par internet des spécialités composées exclusivement de paracétamol.

Source : Commission d'enquête

· Pour ces deux molécules, l'ANSM met par ailleurs en avant l'organisation, avec l'ensemble des parties prenantes, de points de situation réguliers.

Toutefois, le co-fondateur de l'OTMeds a souligné les limites de cette méthode de concertation en indiquant que les associations de patientes et de patients n'avaient été que peu associées à la prise de décision : « Nous avons eu une première réunion avec l'ANSM et les associations de personnes concernées par l'usage des antibiotiques consacrée aux tensions relatives à l'amoxicilline le 18 novembre 2022. Or la conférence de presse d'annonce des mesures prises était programmée le lendemain. Les associations de patients n'ont donc pas été incluses. »189(*)

D'après lui, la réactivité de l'Agence est également à relativiser : « De notre côté, nous étions alertés depuis des semaines, à travers une veille médiatique, sur les pénuries et tensions survenant dans un certain nombre de pays tels que les États-Unis et l'Irlande. »190(*)

· Surtout, la commission d'enquête a reçu plusieurs témoignages des lacunes de la communication réalisée par les pouvoirs publics sur les pénuries constatées.

Le président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine a ainsi souligné : « Cet hiver, quand il y a eu des ruptures, le discours était opaque, on ne comprenait pas ce qu'il se passait. La transparence permet de comprendre la rupture et de l'éviter à l'avenir. On nous disait chaque fois que les molécules étaient produites et envoyées, mais on ne savait pas où elles étaient ; on savait seulement qu'elles n'étaient pas à l'officine ni chez nos patients. C'était anxiogène... »191(*). La présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins a livré un témoignage similaire, insistant sur le manque d'information des médecins prescripteurs192(*).

La communication gouvernementale est apparue confuse et déconnectée de la réalité sanitaire. En privilégiant les effets d'annonce à un langage de vérité, le Gouvernement a non seulement établi un mauvais diagnostic mais a leurré les Françaises et les Français sur sa capacité réelle à faire face à la situation d'urgence sanitaire.

Les annonces contradictoires du ministre de la santé et de la prévention

Le 23 octobre 2022, invité de BFM Politique, le ministre de la santé et de la prévention indique qu'il y aura assez de paracétamol pour l'hiver193(*).

Le 20 novembre 2022, dans l'émission le Grand Jury de RTL, il indique qu'un retour à la normale, pour l'amoxicilline, est possible « dans les semaines ou les mois qui viennent »194(*).

Le 5 janvier 2023, sur France 2, il révèle « une augmentation de 13 % de la consommation de paracétamol, avec tous ces phénomènes grippaux, qui n'a pas été anticipée par les industriels ». Il indique que les industriels promettent, sur le paracétamol, « [un retour à la normale] très vite ». Sur l'amoxicilline, il annonce qu'il faut attendre « deux mois pour être vraiment tranquilles et avoir nos stocks qui sont reconstitués »195(*).

Le 3 février 2023, sur Europe 1, le ministre indique : « [Nous allons] revenir dans les deux semaines qui viennent à un mois de stock supplémentaire en amoxicilline. Nous avons récupéré des stocks de paracétamol, donc nous sommes sortis de cette période de crise, là, dans les deux semaines qui viennent. »196(*)

Le 1er mars 2023, sur CNews, le ministre indique souhaiter « rassurer les Français, [sur le paracétamol et l'amoxicilline]. Nous avons augmenté de plus d'un million de doses nos stocks d'amoxicilline. En fait, quand on dit qu'il y en a difficilement, on en trouve difficilement effectivement dans quelques pharmacies mais [...] nous avons restauré nos stocks... »197(*)

Le 3 avril 2023, sur BFMTV, le ministre reconnaît finalement : « Si vous vous souvenez cet hiver j'avais été un peu interpellé par les pharmaciens quand je disais “nous avons récupéré de l'amoxicilline”, les pharmaciens me disaient “mais nous on n'en a pas”, et effectivement on en avait chez le fabricant, on en avait chez les grossistes [...] mais ils n'étaient pas acheminés, donc voyez, c'est bien toute cette chaîne qu'il faut regarder pour tous les médicaments. »198(*)

Source : Commission d'enquête

Sur les pénuries de médicaments comme sur les autres enjeux de réponse aux crises sanitaires, les Françaises et les Français sont en droit d'exiger des informations claires et vérifiées. De ce point de vue, les leçons de l'épidémie de covid-19 doivent être pleinement tirées par le Gouvernement, ce qui ne semble pas être le cas.

2. Mieux préparer les prochaines saisons hivernales et se donner les moyens de mieux anticiper les tensions imminentes
a) Mieux préparer les prochaines saisons hivernales

· Face aux difficultés d'approvisionnement constatées, les ministres de la Santé et de la Prévention et de l'Industrie ont annoncé, le 3 février 2023, la mise en en place « sous trois mois » et en lien avec l'ANSM et la DGS, d'« un plan de préparation des épidémies hivernales (sécurisation des stocks, amélioration de la mise à disposition des données, responsabilisation de l'ensemble des acteurs du soin et des patients, etc.) pour anticiper d'éventuelles tensions et renforcer notre capacité à faire face à des pics saisonniers de consommation de médicaments »199(*).

Considérant l'ampleur des difficultés rencontrées ces derniers mois, le ministère de la santé et de la prévention souhaite faire précéder cette élaboration d'un retour d'expérience sur l'hiver 2022-2023. Interrogée à ce sujet, la DGS a indiqué que les trois principaux objectifs de ce retour d'expérience étaient :

- de dresser le bilan de la situation inédite de triple épidémie connue en 2022-2023 ;

- d'identifier les réponses aux questions posées lors de la saison 2022-2023 et les nouveaux enjeux posés par la concomitance des épidémies, leur précocité (bronchiolite et grippe), la circulation exceptionnelle de la bronchiolite en particulier ;

- d'établir une feuille de route visant à implémenter les évolutions nécessaires des dispositifs d'anticipation épidémique avant la prochaine saison hivernale.

La commission d'enquête juge indispensable que ce retour d'expérience et ce plan hivernal, non publiés à la date d'achèvement de ses travaux :

- recherchent les causes de l'anticipation lacunaire, de la part des industriels, des besoins en médicaments associés à la dernière saison hivernale ;

- identifient des mesures susceptibles d'être mises en oeuvre par le ministère et l'ANSM pour prévenir les difficultés d'approvisionnement lors des prochains hivers, qui pourraient consister en des obligations de stocks renforcées ;

- dressent un bilan de la communication réalisée ces derniers mois et recherchent le moyen de fiabiliser, en période de pénurie, les informations remontées par les industriels qui ont vocation à être communiquées aux professionnels de santé et au public.

· Sur l'anticipation des besoins par les industriels, le ministre a souligné devant la commission d'enquête qu'« il faut évaluer la capacité des industriels à fournir le volume de médicaments nécessaires, fondé sur non pas uniquement la consommation de l'année passée mais sur l'ensemble des années antérieures »200(*). L'hiver 2022-2023, qui a suivi deux années marquées par une faible circulation de la grippe et de la bronchiolite en lien avec les mesures dites « barrières » mises en place, a constitué, à cet égard, un exemple éclairant.

Compte tenu de ce constat, dans l'objectif d'anticiper et de prévenir les difficultés d'approvisionnement, ministère et ANSM doivent impérativement contrôler la crédibilité des anticipations des industriels.

· En matière de communication, il apparaît indispensable de fournir aux professionnels de santé, aux patients comme aux industriels une information complète et fiabilisée non seulement sur l'état des stocks de sécurité constitués par les exploitants, mais également sur ceux dont disposent les grossistes-répartiteurs et les pharmacies.

À cet égard, la directrice générale de l'ANSM a confirmé à la commission d'enquête que des progrès devaient encore être réalisés en matière d'interopérabilité des différents outils de suivi dont dispose l'Agence : « Il y a effectivement plusieurs systèmes d'information, celui de l'ANSM sur les risques de tensions, e-Dispostock pour les pharmacies hospitalières - qui n'est pas mobilisé de manière pérenne -, ces informations ne sont pas intégrées de manière institutionnelle, mes équipes passent du temps à regrouper les informations disponibles auprès des officines, auprès des grossistes-répartiteurs, auprès des industriels, nous faisons des tableurs dynamiques... ». Elle a confirmé, lors de son audition, qu'« une intégration des données faciliterait la gestion au quotidien. »201(*)

Recommandation n° 2 : Dans le cadre du plan hivernal attendu :

- contrôler davantage la crédibilité des anticipations des industriels, en amont de la saison hivernale, sur les produits les plus indispensables ;

- fiabiliser, en situation de pénurie, l'information fournie aux professionnels de santé et au public sur l'état des stocks, à chaque étape du circuit.

b) Se donner les moyens de mieux anticiper les tensions imminentes

Au-delà des données relatives aux stocks, celles dont dispose l'ANSM en matière de ventes de médicaments comme de prévisions épidémiologiques apparaissent primordiales dans la prévention et la gestion des difficultés d'approvisionnement en période hivernale.

· L'Agence doit être en mesure, d'abord, de prévoir et de suivre l'évolution de la consommation des médicaments pour lesquels le risque de tension est connu. À cet égard, le président d'IQVIA France, lors de son audition par la commission d'enquête, a affirmé que, si « les épidémies demeurent très imprévisibles », nous disposons toutefois aujourd'hui « de données permettant de prévoir et d'analyser les évolutions de la consommation de médicaments »202(*). Il a insisté sur l'importance de la transparence dans l'anticipation des pénuries et l'utilité d'un partage des données de ventes à l'échelle européenne.

Les données relatives aux ventes de médicaments en France produites par l'entreprise sont, depuis peu, transmises à l'ANSM.

Les données de ventes mises à disposition de l'ANSM par IQVIA depuis 2023

Lors de son audition par la commission d'enquête, le président d'IQVIA France a confirmé que son entreprise mettait à disposition, depuis « le début de l'année 2023 », les données qu'elle collecte auprès de 14 000 pharmacies d'officine volontaires.

Selon lui, ces données présentent l'avantage d'être plus rapidement actualisées que celles de l'Assurance maladie : les « données exhaustives [de l'Assurance maladie], devant donner lieu à des remboursements financiers, font l'objet d'un certain nombre de contrôles. Leur remontée dans le Système national d'informations inter-régions d'assurance maladie (Sniiram) nécessite donc quatre à cinq jours. Nous traitons pour notre part ces données en temps réel. Au sein de notre panel de 14 000 pharmacies, assurant une bonne représentativité, les données de ventes sont remontées à 95 % à J+1 et à 99 % à J+3. »203(*)

Source : Commission d'enquête

· Plusieurs personnes entendues ont, par ailleurs, signalé des lacunes en matière de prévision et de veille épidémiologiques, qui ne permettraient pas une anticipation suffisante des risques de rupture.

Sur ce point, la directrice générale de l'ANSM, lors de sa seconde audition par la commission d'enquête, a indiqué que le plan de gestion des pénuries hivernales en cours d'élaboration devrait comprendre « un niveau de veille », « avec des indicateurs épidémiologiques - tenant compte, par exemple, de l'augmentation des cas de bronchiolite, de grippe ou de covid-19 -, des indicateurs quantitatifs de suivi en matière d'approvisionnement et des indicateurs de terrain, avec des sentinelles - pharmaciens et médecins - dans les territoires. Il y a aujourd'hui une hétérogénéité dans le territoire, il faudra prévoir une modélisation avec les ARS. »

Elle a précisé que l'ANSM avait « mis en place, en collaboration avec le collège de médecine générale et les deux syndicats de pharmaciens d'officine (la FSPF et l'USPO), cinquante binômes de médecins et de pharmaciens qui se sont choisis, sur l'ensemble des territoires, pour être mobilisés sur différents sujets : le bon usage du médicament, mais aussi les ruptures de stock pour disposer de ces remontées de terrain qui sont indispensables. »

Elle a, enfin, indiqué souhaiter développer « des collaborations importantes avec les ARS, pour renforcer cette veille au niveau territorial ». Les agences régionales de santé (ARS) contribuent en effet, depuis leur création en 2010, à l'effort de veille sanitaire dans les territoires.

Extrait de la fiche du ministère de la santé et de la prévention relative à l'organisation de la veille et de la sécurité sanitaire (VSS)

La création des agences régionales de santé (ARS) en 2010 marque la volonté de renforcer les leviers territoriaux au service de la santé publique, en inscrivant dans un continuum la prévention, les dispositifs de veille et d'alerte et la gestion des situations d'urgence sanitaire au sein d'une direction spécifique. Le projet régional de santé de chaque ARS comprend pour sa part un volet spécifique consacré à la veille, l'alerte et la gestion des situations d'urgence sanitaire.

Dans chaque ARS, une plateforme régionale de veille et d'urgence sanitaire réceptionne et analyse tous les signalements d'événements susceptibles de menacer la santé de la population ou de provoquer une crise médiatique, voire politique. Cette plateforme rassemble les cellules inter-régionales d'épidémiologie (CIRE), chargées de l'investigation et de l'évaluation des signaux en lien avec Santé publique France, et les cellules de veille, d'alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) chargées de coordonner les mesures de gestion mises en oeuvre, en bénéficiant le cas échéant de l'appui technique du centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS).

Par ailleurs, en matière de sécurité sanitaire, les ARS doivent contribuer, dans le respect des attributions du préfet, à la gestion des alertes et des crises sanitaires. Elles doivent également informer sans délai le préfet de tout événement sanitaire présentant un risque pour la population ou susceptible de présenter un risque de trouble à l'ordre public.

À cet égard, il est surprenant que la coopération entre l'ANSM et les ARS demeure faible en matière de détection des risques de pénurie, dans la mesure où celle-ci figurait explicitement dans la feuille de route 2019-2022204(*). C'est dire l'importance d'une veille territorialisée pour renforcer les capacités de l'Agence à prévoir les risques de tensions et de rupture partout sur le sol national.

Recommandation n° 3 : Améliorer les capacités de l'ANSM à capter les signaux faibles de pénurie par le recueil et l'analyse de données de ventes, y compris européennes, et de données épidémiologiques territorialisées. Construire sur cette base des indicateurs susceptibles de motiver la mise en oeuvre de mesures de prévention, avant l'apparition de ruptures.


* 175 Santé publique France, Grippe : bulletin préliminaire de l'épidémie 2022-2023, 11 mai 2023, p. 2.

* 176 Santé publique France, Bronchiolite : bulletin hebdomadaire, 28 décembre 2022, p. 1.

* 177 Santé publique France, communiqué de presse « Point épidémiologique covid-19 du 19 janvier 2023 : l'ensemble des indicateurs de suivi de l'épidémie s'améliore », 20 janvier 2023.

* 178 Audition de MM. Jean-Paul Tillement, membre de l'Académie nationale de médecine, Yves Juillet, membre de l'Académie nationale de médecine, Mme Claire Siret, présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins, et M. Patrick Léglise, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier et hospitalo-universitaire, le 11 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/ce_penurie.html#toc2

* 179 Audition de Mme Pauline Londeix et M. Jérôme Martin, co-fondateurs de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, le 5 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230403/ce_penurie.html#toc3

* 180 Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le 15 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230213/ce_penurie_medicaments.html#toc2

* 181 Audition de M. Jean-Marc-Aubert, président de IQVIA France, le 17 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc10

* 182 Groupe de pathologie infectieuse (GPIP), Société française de pédiatrie (SFP), Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), Société française de pathologie infectieuse de langue française (Spilf).

* 183 Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le 15 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230213/ce_penurie_medicaments.html#toc2

* 184 En revanche et depuis une décision du directeur général de l'ANSM du 17 décembre 2019, les médicaments administrés par voie orale et contenant du paracétamol ne figurent plus sur la liste des médicaments de médication officinale. Ils doivent donc être placés « derrière le comptoir ».

* 185 Fiche d'information publiée le 12 juillet 2022 sur le site internet de l'ANSM.

* 186 Ibid.

* 187 Posologie limitée à trois prises par jour toutes les huit heures au lieu de quatre prises par jour toutes les six heures.

* 188 Arrêté du 3 janvier 2023 modifiant l'arrêté du 1er juin 2021 relatif aux mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé maintenues en matière de lutte contre la covid-19 ainsi que la liste des actes et prestations mentionnée à l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

* 189 Audition de Mme Pauline Londeix et M. Jérôme Martin, co-fondateurs de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, le 5 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230403/ce_penurie.html#toc3

* 190 Ibid.

* 191 Audition de M. Bruno Bonnemain, président de l'Académie nationale de pharmacie, Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, M. Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France, et des docteurs Philippe Meunier, président du Syndicat national des pharmaciens, praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) et Élise Remy, membre du conseil d'administration du Syndicat national des pharmaciens des hôpitaux (Synprefh), le 21 mars 2023 :  https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230320/ce_penurie.html#toc2

* 192 Audition de MM. Jean-Paul Tillement, membre de l'Académie nationale de médecine, Yves Juillet, membre de l'Académie nationale de médecine, Mme Claire Siret, présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins, et M. Patrick Léglise, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier et hospitalo-universitaire, le 11 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/ce_penurie.html#toc2

* 193 Émission BFM Politique du 23 octobre 2022 : https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-politique-dimanche-23-octobre-2022_VN-202210230184.html.

* 194 Émission Le Grand Jury RTL du 20 novembre 2022 : https://www.dailymotion.com/video/x8foakv.

* 195 Émission Télématin du 5 janvier 2023 : https://www.vie-publique.fr/discours/287743-francois-braun-05012023-systeme-de-sante-en-difficulte-penurie-medicamen.

* 196 Émission Europe Matin du 3 février 2023 : https://www.vie-publique.fr/discours/288090-francois-braun-03022023-reforme-des-retraites.

* 197 Émission La matinale de Cnews du 1er mars 2023 : https://www.vie-publique.fr/discours/288471-francois-braun-01032023-acces-aux-soins-deserts-medicaux-covid.

* 198 Émission Face à face de BFMTV et RMC du 3 avril 2023 : https://www.vie-publique.fr/discours/288879-francois-braun-03042023-fin-de-vie-vaccination-des-soignants-hopital.

* 199 Communiqué de presse « Comité de pilotage Médicaments » du 3 février 2023.

* 200 Audition de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, le 15 juin 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230612/ce_penurie.html#toc2

* 201 Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le 15 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230213/ce_penurie_medicaments.html#toc2

* 202 Audition de M. Jean-Marc Aubert, président d'IQVIA France, le 17 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc10

* 203 Audition de M. Jean-Marc Aubert, président d'IQVIA France, le 17 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc10

* 204 L'action n° 7 de la feuille de route 2019-2022 « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France » prévoyait ainsi que « la transmission de l'information et la coordination avec les ARS sera développée en faveur d'une gestion optimisée et régionalisée des solutions en cas de rupture de stock ».

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