B. FAVORISER L'IMPLICATION DES PHARMACIES DANS LA PRÉPARATION DES MÉDICAMENTS EN RUPTURE

L'utilité des préparations hospitalières et officinales pour faire face à une défaillance du marché, rendant partiellement ou entièrement indisponible des médicaments pourtant indispensables à la prise en charge des patientes et des patiens, a fréquemment été évoquée devant la commission d'enquête.

Le directeur général de la santé a souligné en ces termes le rôle essentiel que celles-ci ont joué durant l'épidémie de covid-19 : « Il s'agit [...] d'une force dans la crise d'avoir mis en avant à la fois les préparations hospitalières spéciales et les préparations magistrales par des officines de ville. Ces dernières ont permis de produire de façon considérable les médicaments dont les Français avaient besoin. »343(*)

1. Finaliser la réforme des préparations hospitalières

· Le code de la santé publique définit les préparations hospitalières comme tout médicament, à l'exception des produits de thérapies génique ou cellulaire, préparé selon les indications de la pharmacopée et en conformité avec les bonnes pratiques de préparation par une pharmacie à usage intérieur (PUI) ou un établissement pharmaceutique (EP) d'un établissement de santé344(*). Contrairement aux préparations magistrales345(*), celles-ci sont donc réalisées à l'avance, en petite série.

Les préparations hospitalières sont réservées aux cas où il n'existe pas de spécialité adaptée ou disponible disposant d'une AMM, d'une autorisation d'accès précoce ou d'un cadre de prescription compassionnelle, ou d'une autorisation d'importation346(*).

Enfin, elles doivent être dispensées par une PUI et font l'objet d'une déclaration auprès de l'ANSM347(*), dans le mois qui suit la réalisation de chaque nouvelle préparation348(*).

· Le rôle des préparations hospitalières dans les situations de pénurie a été spectaculairement mis en évidence, durant la crise sanitaire, lorsqu'un partenariat entre l'EP de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), un réseau de six PUI, un EP privé et l'ANSM a permis la mise à disposition de centaines de milliers d'ampoules de cisatracurium349(*) pour répondre aux besoins importants des services d'anesthésie-réanimation induits par la troisième vague de covid-19350(*).

Le directeur général de la santé a insisté, durant son audition, sur cet épisode en précisant que : « Lors de la pandémie, le réseau des pharmaciens hospitaliers, l'Établissement pharmaceutique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Santé publique France et l'ANSM ont été mobilisés par le ministère afin de permettre la production en urgence de préparations de cisatracurium, curare en rupture de stock. Un scale-up a été réalisé avec un sous-traitant privé pour les besoins des patients sur le territoire. La preuve de concept validée, le Cisatracurium 50 mg a été mis sur le marché en moins de trois mois. Quatre lots de 200 000 ampoules de Cisatracurium ont été distribués en juillet 2021 et quatre lots de 200 000 ampoules en 2022. »351(*)

· Pour tirer les conséquences de cette expérience, la LFSS pour 2022 a entendu faciliter le recours aux préparations hospitalières par deux mesures352(*).

D'une part, elle a permis le recours à ces préparations dans les cas où une spécialité, bien qu'autorisée, serait indisponible du fait de l'absence de commercialisation effective.

D'autre part, elle a créé la catégorie des préparations hospitalières spéciales qui, du fait des difficultés techniques de leur fabrication ou de la faible disponibilité des substances actives nécessaires, ont vocation à être réalisées dans des PUI et EP habilités dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. Ces préparations doivent faire l'objet d'une autorisation précisant leurs modalités de réalisation, délivrée à titre exceptionnel et temporaire par le directeur général de l'ANSM ou le ministre de la santé.

Soutenues par l'Assemblée nationale comme par le Sénat, ces dispositions avaient vocation à permettre :

- de répondre aux enjeux de tension, rupture ou crise sanitaire dans un périmètre défini par l'autorisation ;

- à favoriser les partenariats avec des EP sous-traitants, pour augmenter les volumes produits, comme durant la crise des curares ;

- à identifier un modèle de financement incitatif353(*).

Malgré l'intervention du Sénat en ce sens, y compris lors du débat annuel sur l'application des lois, le 31 mai dernier, le décret nécessaire à l'application de ces dispositions n'avait toujours pas été pris à la mi-juin. Interrogé sur ce retard, le ministre de la santé et de la prévention a indiqué que « la concertation au ministère s'achèvera à la fin du mois [de juin]. Ensuite, le décret devra être notifié à la Commission européenne, qui a un délai de trois mois pour nous donner son avis et l'approuver. Normalement, si le planning est tenu, le décret sera donc publié en octobre. »354(*)

Dans la perspective des épidémies saisonnières prévisibles à l'automne et l'hiver prochains, il n'y a plus de temps à perdre pour assurer la pleine effectivité du nouveau statut des préparations hospitalières spéciales, destiné à offrir une arme supplémentaire contre les phénomènes de pénurie.

Recommandation n° 14 : Prendre sans délai le décret relatif aux préparations hospitalières spéciales attendu depuis 2022.

2. Favoriser le recours aux préparations officinales

· Le code de la santé publique définit la préparation officinale comme tout médicament préparé en pharmacie, inscrit à la pharmacopée ou au formulaire national et destiné à être dispensé directement aux patientes et aux patients approvisionnés par cette pharmacie355(*).

L'exécution de préparations magistrales ou officinales fait partie des missions des pharmacies d'officine356(*) : celles-ci doivent, à cet effet, comporter un local ou une zone réservée à l'exécution et au contrôle des préparations357(*).

Toutefois, la directrice générale ou le directeur général de l'ANSM peut suspendre ou interdire l'exécution des préparations lorsque l'officine ne respecte pas les bonnes pratiques de préparation ou réalise les préparations dans des conditions dangereuses pour la santé publique358(*).

Certaines pratiques et certaines préparations doivent, par ailleurs, être préalablement autorisées.

Le régime d'autorisation des préparations officinales

L'officine peut confier l'exécution d'une préparation, par un contrat écrit, à une autre officine qui est soumise, pour l'exercice de cette activité de sous-traitance, à une autorisation préalable délivrée par le directeur général de l'ARS. Ces préparations doivent être réalisées en conformité avec les bonnes pratiques dont les principes sont définis par décision de l'ANSM359(*).

Certaines préparations sont, par ailleurs, soumises à un régime particulier :

- les préparations de médicaments radiopharmaceutiques sont interdites360(*) ;

- les préparations « pouvant présenter un risque pour la santé » fixées par arrêté du ministre chargé de la santé sont soumises à une autorisation préalable du directeur général de l'ARS361(*).

Un arrêté de 2014 classe dans cette dernière catégorie les préparations stériles, les préparations à partir de produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, ainsi que la plupart des préparations destinées aux enfants de moins de douze ans362(*).

L'autorisation du directeur général de l'ARS ne peut intervenir que sur demande accompagnée d'un dossier, après enquête d'un inspecteur de l'ARS. La décision d'autorisation indique les formes pharmaceutiques et les catégories de préparations pour lesquelles l'autorisation est délivrée. Le défaut de réponse dans le délai de quatre mois vaut autorisation tacite363(*).

L'autorisation peut être retirée ou suspendue par le directeur général de l'ARS lorsqu'il a été établi, après enquête d'un inspecteur, que l'officine ne respecte plus les bonnes pratiques de préparation, ne respecte pas le champ de l'autorisation ou réalise des préparations dans des conditions dangereuses pour la santé publique364(*).

Source : Commission d'enquête

· Comme les préparations hospitalières, les préparations des pharmacies d'officine sont susceptibles de maintenir la disponibilité de médicaments essentiels en rupture.

Durant l'hiver 2022-2023, elles ont ainsi permis la production et la dispensation d'amoxicilline, antibiotique majoritairement prescrit chez les enfants qui connaissait d'importantes tensions d'approvisionnement depuis le 10 octobre 2022, notamment dans ses formes pédiatriques.

La préparation d'amoxicilline par les pharmacies d'officine durant l'hiver 2022-2023

La directrice générale de l'ANSM a souligné, lors de son audition, le rôle joué par les pharmacies d'officine, indiquant qu'une quarantaine d'entre elles avaient été autorisées à préparer de l'amoxicilline pédiatrique par les ARS : « Heureusement que nous n'avons pas eu de problème avec le principe actif, la situation, déjà complexe, aurait été bien pire ; nous avons pu faire des préparations magistrales, une quarantaine de pharmacies sont autorisées à le faire -, pour répondre à la demandes de dosages spécifiques par exemple pour les enfants : je salue le travail des pharmaciens, qui nous ont aidés à faire face aux difficultés. »

L'ANSM a favorisé cette implication en :

- publiant, le 23 décembre 2022, les monographies des préparations magistrales d'amoxicilline 125 mg et 250 mg ;

- autorisant, à partir du 29 décembre 2023, les pharmaciens à délivrer une préparation magistrale d'amoxicilline lorsque le médicament prescrit n'était pas disponible365(*) ;

- publiant, à la même date, des fiches d'utilisation à remettre aux parents ou aux patients, indiquant notamment le statut du médicament, les modalités d'administration et de conservation366(*).

La commission d'enquête s'est déplacée, le 9 février 2023, à la pharmacie Delpech de Paris. Elle a pu constater le professionnalisme et l'engagement de l'officine. En collaboration avec l'ANSM et durant la pénurie, celle-ci a permis la fabrication de plusieurs milliers de gélules chaque jour367(*).

Source : Commission d'enquête

Solution de dernier recours face à des pénuries touchant des médicaments dispensés en ville, l'intérêt des préparations officinales a été souligné par plusieurs personnes auditionnées. Le Directeur général de la santé a indiqué qu'« il s'agit d'une spécificité française que de posséder une quarantaine d'officines capables de les fabriquer. Elles se sont révélées extrêmement utiles. »368(*)

Le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie a, de son côté, souligné que celles-ci représentaient un surcoût pour l'Assurance maladie, toutefois nécessaire : « Nous avons financé - il fallait le faire - des préparations magistrales, réalisées par les pharmaciens, à des niveaux de prix nettement plus élevés que celui des médicaments en rupture. Nous ne nous sommes pas demandé s'il fallait le faire ou pas. »369(*)

· La commission d'enquête souscrit à ces constats et souhaite favoriser le recours aux préparations des officines en situation de pénurie. Cependant, le nombre de pharmacies autorisées à réaliser des préparations destinées aux enfants demeure faible, alors que les médicaments pédiatriques concentrent une part importante des difficultés d'approvisionnement. Il serait utile que le Gouvernement recherche les moyens de renforcer cette activité officinale, par exemple en simplifiant les procédures d'autorisation ou en veillant à la disponibilité des monographies.

Par ailleurs, les représentants des pharmaciens, interrogés à ce sujet par la commission d'enquête, ont souligné la nécessité de compléter le régime juridique applicable aux préparations des officines.

Le conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) et l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) ont ainsi indiqué souhaiter l'instauration, par la loi, d'une nouvelle catégorie de préparations officinales spéciales qui, à l'instar des préparations hospitalières spéciales prévues par la LFSS pour 2022, auraient vocation à permettre aux pharmaciens de réaliser des préparations sur autorisation du ministre ou de l'ANSM, dans les situations de tension d'approvisionnement ou de rupture370(*).

Cette évolution bienvenue pourrait être assortie de mesures visant à favoriser l'attractivité de ces préparations au moyen d'une tarification ou d'un modèle de financement incitatifs spécifiques.

Recommandation n° 15 : Favoriser le recours aux préparations des pharmacies d'officine et créer un nouveau statut de préparations officinales spéciales pour les situations de tension d'approvisionnement ou de rupture.


* 343 Audition de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, le 28 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230227/ce_penurie.html#toc3

* 344 Article L. 5121-1 du code de la santé publique.

* 345 Les préparations magistrales sont préparées selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé.

* 346 Article L. 5121-1 du code de la santé publique.

* 347 Article L. 5121-1 du code de la santé publique.

* 348 Arrêté du 29 mars 2011 définissant les conditions de déclaration des préparations hospitalières prévues à l'article L. 5121-1 (2°) du code de la santé publique.

* 349 Ce chiffre est notamment évoqué dans l'étude d'impact jointe par le Gouvernement au PLFSS pour 2020 (p. 280).

* 350 Le rôle des PUI et de l'EP de l'AP-HP dans la mise à disposition de curares en 2021 est plus longuement développée en première partie du présent rapport.

* 351 Audition de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, le 28 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230227/ce_penurie.html#toc3

* 352 Article 61 de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

* 353 Annexe 9 « Fiches d'évaluation préalable des articles du projet de loi » jointe au PLFSS 2022, p. 281.

* 354 Audition de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, le 15 juin 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230612/ce_penurie.html#toc2

* 355 Article L. 5121-1 du code de la santé publique.

* 356 Article L. 5125-1 du code de la santé publique.

* 357 Article R. 5125-9 du code de la santé publique.

* 358 Article L. 5125-1-1-1 du code de la santé publique.

* 359 Articles L. 5125-1 et L. 5121-5 du code de la santé publique.

* 360 Article L. 5125-1-1 du code de la santé publique.

* 361 Article L. 5125-1-1 du code de la santé publique.

* 362 Arrêté du 14 novembre 2014 fixant la liste des préparations pouvant présenter un risque pour la santé mentionnées à l'article L. 5125-1-1 du code de la santé publique.

* 363 Article R. 5125-33-1 du code de la santé publique.

* 364 Article R. 5125-33-1 du code de la santé publique.

* 365 Recommandation du 29 décembre 2023 de la directrice générale de l'ANSM établie en application du V. de l'article L. 5125-23 du code de la santé publique.

* 366 Ces informations sont publiées sur le site internet de l'ANSM.

* 367 Le Monde, « Pénuries d'amoxicilline : les pharmaciens appelés à la rescousse des industriels », 24 janvier 2023.

* 368 Audition de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, le 28 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230227/ce_penurie.html#toc3

* 369 Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général, et de Mme Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), le 14 mars 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230313/ce_penurie.html#toc2

* 370 Réponses du Cnop et de l'UNPO aux questionnaires transmis par la commission d'enquête.

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