IV. AMÉLIORER LE PILOTAGE DE LA POLITIQUE DU MÉDICAMENT EN FRANCE ET EN EUROPE

A. SOUTENIR L'HARMONISATION DE LA RÉGLEMENTATION AU NIVEAU EUROPÉEN POUR MIEUX PRÉVENIR LES PÉNURIES

En dépit des avancées significatives réalisées au cours des dernières années, et en particulier en réaction à la pandémie de covid-19, « l'Europe de la Santé » reste embryonnaire. Pourtant, une grande partie des réponses et outils aux pénuries de médicaments relèvera du niveau communautaire.

1. Capitaliser sur les enseignements de la pandémie de covid-19 pour approfondir l'Union européenne de la Santé

La politique de santé n'est pas une compétence exclusive de l'Union européenne : elle relève donc du principe de subsidiarité, c'est-à-dire qu'elle s'exerce en appui de la compétence des États membres, pour les actions pouvant être réalisées plus efficacement au niveau européen.

L'article 168, point 7, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dispose que : « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux » et que « les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». De fait, les États membres restent chacun responsables de l'organisation et de la fourniture des services de soin médicaux, notamment par le biais de leurs systèmes respectifs de protection sociale.

En dépit de sa compétence d'appui, le rôle de l'échelon européen en matière de santé, et notamment de médicaments, s'est progressivement étoffé. Ainsi, l'Agence européenne des médicaments (EMA), créée en 1995, gère la procédure centralisée d'autorisation de mise sur le marché des médicaments à usage humain, qui représente désormais la principale voie d'accès des médicaments aux systèmes de santé européens. Pour le développement des nouveaux médicaments, le droit européen encadre la tenue des essais cliniques et participe à l'analyse scientifique des innovations. Par son action en matière de promotion de la santé, l'Union européenne agit aussi pour certains des grands défis de santé publique, comme la lutte contre l'antibiorésistance, le cancer ou les maladies orphelines. L'Union est aussi un financeur majeur de l'innovation pharmaceutique, plus de 8,2 milliards d'euros y étant consacrés au sein du programme « Horizon Europe », soit dix fois plus que le budget du précédent cadre financier pluriannuel. Toutefois, la réglementation européenne en matière de santé n'avait pas connu d'évolution majeure depuis le début des années 2000.

La crise qu'a représentée la pandémie de covid-19 a permis des avancées majeures et rapides, comme l'ont confirmé les échanges de la commission d'enquête avec les services de la Commission européenne, le Parlement européen et l'EMA. Selon l'ancienne ministre de l'industrie Agnès Pannier-Runacher : « L'Europe a été très ambitieuse en matière de santé, car, s'agissant d'une compétence qui relève des États, elle est allée bien au-delà de ce que prévoient les traités, et il faut reconnaître que son action a été plutôt efficace. »672(*)

Chronologie des avancées de « l'Europe de la Santé » depuis 2019

Septembre 2020 : discours sur l'Etat de l'Union par la présidente de la commission européenne, qui estime notamment que « c'est une évidence : nous devons construire une Union européenne de la santé qui soit plus forte ».

Novembre 2020 : publication de la « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe » de la Commission européenne. Celle-ci vise notamment à assurer l'accès des patients aux médicaments, par des mesures ayant trait à l'innovation, à la commercialisation des médicaments, à la coordination de la politique des prix et à la transparence, à horizon 2021 à 2024.

Septembre 2021 : décision de la Commission européenne instituant l'Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA).

Janvier 2022 : publication du règlement (UE) 2022/123 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux.

Octobre 2022 : publication du règlement (UE) 2022/2372 du Conseil du 24 octobre 2022 relatif à un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise dans l'éventualité d'une urgence de santé publique au niveau de l'Union.

Novembre 2022 : publication du règlement (UE) 2022/2371 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé ; et du règlement (UE) 2022/2370 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022, visant à étendre le mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.

Avril 2023 : présentation du projet de « paquet pharmaceutique » de la Commission européenne, qui comprend un projet de directive et un projet de règlement ayant vocation à remplacer les actes législatifs antérieurs.

Source : Commission d'enquête

En novembre 2020, en pleine pandémie, la Commission européenne a présenté une nouvelle « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe », se fixant notamment pour objectif d'améliorer l'accès des patients aux médicaments. Elle s'est traduite par l'adoption d'un « paquet » de trois règlements à la fin de l'année 2022, visant à renforcer la réponse de l'UE en cas de crise sanitaire grave. L'action du le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) a notamment été renforcée, pour collecter davantage de données épidémiologiques auprès des pays européens.

Surtout, l'Union européenne a aussi, pour la première fois, eu recours à des procédures d'achats groupés via des marchés conjoints, en particulier concernant l'approvisionnement en vaccins contre la covid-19. Si cette procédure a soulevé des critiques et interrogations quant à son manque de transparence et aux conditions trop favorables consenties aux industriels, il est clair qu'elle a marqué un changement radical dans la perception du rôle susceptible d'être joué par l'échelon européen. Tirant les conséquences de ce rôle nouveau, la Commission européenne a créé, en son sein, une nouvelle Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, HERA, chargée de réagir aux urgences sanitaires transfrontalières par des contre-mesures médicales - compétence réellement nouvelle de l'échelon communautaire.

L'Agence européenne du médicament (EMA) a joué un rôle prépondérant pour apporter des réponses aux pénuries liées à la pandémie. Sans que son mandat ni ses ressources ne l'y préparent, l'EMA a mis sur pied de nouveaux outils ad hoc pour coordonner l'action des États membres, en particulier un groupe de pilotage exécutif de haut niveau, et un réseau de points de contact dans chaque État membre visant à acquérir davantage d'informations auprès des industriels, des distributeurs et des autorités sanitaires. À l'issue de cette période de crise, la législation européenne a évolué pour consacrer ces nouvelles missions de l'EMA, par un règlement dédié.

Ces avancées ont marqué un changement de philosophie au niveau européen, à l'aune de la crise : elles traduisent une approche plus proactive des enjeux de santé publique, s'appuyant sur un pilotage de haut niveau, une méthodologie et des outils précis et donnant lieu à des résultats concrets. Une forme de « partage des tâches » entre les différents services et agences, anciens et nouveaux, émerge. Comme l'a exprimé l'un des interlocuteurs entendus par la commission d'enquête à Bruxelles, « l'Europe est au début d'un processus : elle vient de réaliser qu'elle a un pouvoir de négociation ».

2. Saisir l'occasion du paquet pharmaceutique pour renforcer la réglementation européenne

Toutefois, lors de son déplacement à Bruxelles, la commission d'enquête a pu constater que les évolutions intervenues depuis 2020 se concentrent majoritairement sur le « temps de crise », c'est-à-dire sur les urgences sanitaires majeures. Les pénuries « courantes » sont toujours l'angle mort de l'action de l'Union européenne. À titre d'exemple, l'EMA a attiré l'attention de la commission d'enquête sur le fait qu'il n'existe pas aujourd'hui dans le droit européen - malgré son renforcement en 2022 - d'obligation des industriels à transmettre des informations relatives à leur production ou aux tensions constatées, celle-ci n'existant qu'en temps de crise. Par ailleurs, certaines mesures pertinentes mises en oeuvre dans le cadre de la pandémie n'ont pas été reconduites après la pandémie (extension de dates de péremption, exceptions en matière de conditionnement et d'étiquetage...), et l'opportunité de les ancrer dans la réglementation sanitaire n'a pas été évaluée. . La représentation française auprès de l'UE a ainsi indiqué à la commission d'enquête que la Stratégie pharmaceutique de l'UE, en date de 2020, n'avait pas été suivie de traductions concrètes depuis, en dehors des outils « de temps de crise » déjà évoqués plus haut. Il convient donc de confirmer l'approfondissement de l'Europe de la Santé sur le long-terme, en adaptant la législation et la réglementation européenne y compris en dehors des situations d'urgence sanitaire.

C'est le sens du « paquet législatif » présenté par la Commission européenne en avril dernier, poursuivant ainsi la rénovation du droit européen applicable au secteur pharmaceutique et composé d'un projet de directive et d'un projet de règlement. S'il est adopté, ce paquet représenterait la première évolution majeure du droit pharmaceutique européen depuis plusieurs décennies.

L'élaboration du « paquet pharmaceutique » a été difficile, la Commission ayant repoussé de multiples fois la présentation du projet, en raison de négociations serrées entre les États membres et avec les acteurs du secteur. Au vu du retard de sa présentation, et des délais incompressibles de la procédure législative européenne, il n'est, à ce jour, pas certain que le paquet puisse terminer son parcours législatif avant la fin de l'actuelle mandature du Parlement européen, en juin 2024.

Certains « réflexes nationaux » se font à nouveau jour une fois la crise sanitaire passée : l'approfondissement de l'action coordonnée au niveau européen ne sera pas aisé. Comme l'a relevé la Haute Autorité de santé : « Les règles sont très nombreuses et différentes, chaque système a son histoire. » La fixation des prix, en particulier, est une compétence centrale pour chaque Etat membre, au vu de ses impacts budgétaires et de son effet de levier pour l'attractivité des marchés nationaux. Plusieurs pays sont par exemple réticents, une fois la crise du covid-19 passée, à ouvrir plus largement le recours aux achats conjoints, ce qu'a confirmé Santé en danger : « La coopération européenne est difficile, notamment au niveau des prix ou de l'étiquetage. [...] Nous déplorons un manque de coordination et d'efficacité. »

De fait, le projet de paquet pharmaceutique ne semble pas aller aussi loin qu'attendu en matière de prévention des pénuries. Plusieurs des avancées proposées sont toujours réservées aux situations d'urgence de santé publique ou aux « évènements majeurs », ce qui limitera leur utilité pour traiter les pénuries de plus faible ampleur. Les sujets de régulation des prix, de production directe de médicaments ou de stocks par exemple, sont peu présents dans la proposition formulée par la Commission européenne.

Le « paquet pharmaceutique » présenté par la Commission européenne

Ce paquet comporte une proposition de règlement et une proposition de directive, qui comportent de nombreuses mesures visant à instaurer :

- une durée standard réglementaire de protection des données pouvant être portée à huit ans, afin de stimuler l'innovation pharmaceutique ; mais en contrepartie, un renforcement des incitations à développer des médicaments stratégiques et à en faire bénéficier toute l'Union. Ainsi, la durée pourra être augmentée de deux ans en cas de distribution du médicament dans l'ensemble des pays visés par l'AMM, ou lorsque le médicament répond à un besoin médical actuellement non rempli ; d'un an en cas d'ajout d'une nouvelle indication thérapeutique à un médicament existant ; ou de six mois en cas de conduite d'essais cliniques comparatifs ;

- une simplification des procédures pour les médicaments génériques et biosimilaires, afin de faciliter leur entrée rapide sur le marché ;

- des facilités procédurales visant à augmenter le nombre de produits à usage pédiatrique et stimuler la recherche dans ces domaines ;

- un système de « coupons transférables d'exclusivité des données » visant à inciter au développement de nouveaux antibiotiques, en vue de lutter contre la microbiorésistance. Ces « coupons » accordés aux laboratoires actifs en la matière leur permettront de gagner un an d'exclusivité des données, qui pourra être utilisé pour l'un de leurs produits ou échangé ;

- la création d'une autorisation temporaire de mise sur le marché d'urgence, qui permettra d'autoriser l'accès à un produit en cas de crise sanitaire ;

- un calendrier d'inspections commun sera établi, afin d'assurer que les États se conforment aux standards établis par l'Union européenne (par exemple en matière de bonnes pratiques de fabrication) ;

- un renforcement de la structure, des procédures, des moyens et de la gouvernance de l'EMA afin d'améliorer le soutien réglementaire et scientifique aux développeurs de médicaments prometteurs. En particulier, l'organisation interne de l'EMA (notamment ses divers comités) sera rationalisée afin d'éviter l'empilement des procédures et de prioriser plus efficacement les moyens. Les procédures seront aussi davantage dématérialisées. Enfin une “boîte à outils réglementaire" permettra d'adapter les règles applicables pour certains médicaments innovants ;

- un renforcement de la transparence quant aux fonds publics reçus par les titulaires d'AMM pour la recherche et le développement de leurs produits, certaines informations devant être rendues publiques ;

- de nouvelles exigences en matière de surveillance des pénuries de médicaments par les autorités nationales et par l'EMA, et un renforcement du rôle de coordinateur de l'EMA. Les entreprises devront notifier plus rapidement les tensions d'approvisionnement et les décisions de retraits du marché, et établir des plans de prévention des pénuries. Une liste européenne de médicaments critiques sera établie et des recommandations spécifiques seront faites à leur égard. Le rôle de la Commission pourrait être renforcé, en lui permettant de prendre des mesures juridiquement contraignantes pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement de ces médicaments critiques.

Source : Commission d'enquête

Ce paquet représente pourtant une opportunité importante de poursuivre l'harmonisation des règles européennes applicables au secteur du médicament, et de mettre en oeuvre dans l'ensemble des États membres des mesures fortes de lutte contre les pénuries. Comme l'a également souligné France Assos Santé, « la France doit aussi être à l'offensive dans la révision de la stratégie pharmaceutique de l'Union européenne » afin de promouvoir un haut niveau d'exigence et d'anticipation au niveau européen. En effet, la France dispose, en matière de lutte contre les pénuries, « d'un cadre juridique particulièrement robuste et protecteur »673(*) qu'il convient de promouvoir au niveau européen.

La France doit donc saisir cette opportunité de faire de notre pays un leader de la lutte contre les pénuries au niveau européen, en défendant dans le cadre de la discussion autour du projet pharmaceutique le renforcement des obligations applicables aux titulaires d'AMM et aux producteurs implantés au sein de l'Union. En pratique, il s'agit aujourd'hui de renforcer les volets suivants.

a) Les garanties d'approvisionnement et les stocks

Les garanties d'approvisionnement du marché européen, et notamment l'outil des stocks, gagneraient à être mieux mobilisé au niveau communautaire.

La constitution de stocks ou l'imposition d'obligations aux industriels du médicament peuvent conduire à des effets d'éviction du marché national ou à des « surstocks », si elles ne sont pas harmonisées. Il faut donc aller vers des obligations prévues au niveau européen, et non à l'initiative de chaque pays, mais en ayant conscience de ce que « le décret dit stock a été arraché de haute lutte auprès de l'Europe, et aujourd'hui que ce dispositif sera repris à l'échelle de l'Union européenne à la hauteur des critères français de manière à avoir un poids lus fort vis-à-vis des laboratoires [...]. [...] l'unanimité était loin d'être atteinte sur ce sujet »674(*).

En outre, si l'article 81 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain prévoit une obligation d'approvisionnement approprié et continu du marché, cette obligation n'est pas assortie de sanctions en cas de manquement. Cela pourrait être envisagé dans le cadre du paquet pharmaceutique à venir. La résolution du Parlement européen sur la pénurie de médicaments a particulièrement insisté sur cet enjeu675(*).

b) L'élaboration de plans de gestion des pénuries

L'élaboration de plans de gestion des pénuries (PGP) pourrait devenir une obligation européenne, sur le modèle des obligations existant en France. Entendu par la commission d'enquête, Pierre Chirac, rédacteur de Prescrire, a ainsi déclaré : « Les autorités françaises ont prévu que les firmes sont tenues d'informer à l'avance des pénuries ou des tensions, de mettre en place des plans de gestion des pénuries et de constituer des stocks de plus en plus importants. Des sanctions sont prévues à cet effet. Ce serait une très bonne chose de pouvoir aller vers cette obligation au niveau européen. Il faut peser en ce sens dans le cadre de la stratégie pharmaceutique qui va être publiée fin mars. »

L'Agence européenne du médicament a également fortement insisté sur ce point lors des échanges avec la commission d'enquête : ces plans de gestion des pénuries, qui cibleraient les produits identifiés comme stratégiques au niveau européen (sur la base de la liste en cours d'élaboration), pourraient ainsi être contrôlés par l'EMA.

c) La transparence et la communication des données

Il est important de renforcer la transparence et les obligations de communication des données (reporting), qu'elles concernent la mise sur le marché des médicaments (par exemple les notifications précoces des tensions d'approvisionnement), la production et la distribution ou encore l'utilisation des fonds publics par les laboratoires.

Là encore, les mesures mises en oeuvre au niveau français doivent être répliquées au niveau européen, pour améliorer la connaissance des enjeux économiques du médicament. En particulier, le paquet pharmaceutique prévoirait de pérenniser, en les rendant obligatoire, les transmissions d'information entre les industriels et l'EMA qui avaient eu cours durant la pandémie de covid-19. Une forte réticence des industriels à cette généralisation étant attendue, il importera de veiller à sa bonne traduction législative pour assurer que l'EMA conserve ces outils importants de veille et de contrôle. Comme évoqué plus haut, les obligations de communication des industriels du médicament n'existent aujourd'hui qu'en période d'urgence sanitaire676(*), alors que la France a prévu des obligations générales d'information de l'ANSM en cas de rupture d'approvisionnement des MITM, comme de tensions d'approvisionnement.677(*)

De plus, la mise à disposition, à destination du grand public, d'une partie des informations relatives aux pénuries doit être envisagée, comme l'EMA y travaille déjà.

d) La levée des obstacles à la circulation des médicaments

Enfin, la bonne circulation des médicaments entre marchés nationaux, essentielle pour remédier aux tensions d'approvisionnement et offrir une plus grande flexibilité, passera par une harmonisation progressive des réglementations relatives à la composition, à la péremption ou à l'étiquetage des produits. Ces leviers ont été évoqués plus haut.

Recommandation n° 31 : À la faveur du paquet pharmaceutique, promouvoir une meilleure harmonisation des réglementations nationales du médicament, et renforcer les obligations d'approvisionnement, de transparence, et de gestion des pénuries au niveau européen.

3. Assurer à l'EMA, nouveau pilote européen en matière d'anticipation et de prévention des pénuries, des moyens adéquats

Lors de ses auditions menées par la commission d'enquête auprès des institutions de l'Union européenne, le sujet des moyens dédiés à la lutte contre les pénuries a fréquemment été soulevé.

En particulier, le rôle de l'EMA a été fortement élargi par le règlement 2022/123, celle-ci étant désormais explicitement chargée du suivi et de la prévention des pénuries de médicaments. Les outils temporaires, ad hoc, mis en oeuvre durant la pandémie ont été pérennisés, voire renforcés.

Les nouveaux outils de l'EMA à la suite du règlement 2022/123

Le règlement 2022/123 a confié à l'EMA de nouvelles missions en matière de prévention et de résorption des pénuries de médicaments. En particulier, l'EMA est, depuis mars 2022, chargée de :

 alerter des pénuries et coordonner la réponse des États membres aux pénuries de médicaments en période de crise, en lien avec le CEPCM et en améliorant la donnée épidémiologique à disposition des décideurs. En particulier, l'EMA est chargée d'opérer un suivi des tensions d'approvisionnement et des pénuries pouvant entraîner une crise de santé publique, grâce au nouveau réseau de points unique de contact auprès de l'industrie et des autorités sanitaires nationales (SPOC).

 établir et gérer, à compter de février 2025, une Plateforme européenne de suivi des pénuries (ESMP) afin de collecter un maximum d'informations auprès des États membres et des industriels en matière de pénuries, d'offre et de demande de produits médicaux, notamment de la part des titulaires d'AMM qui auront désormais des obligations de communication des données ;

 conduire un groupe de pilotage pour coordonner l'action de l'Union européenne en matière de résorption des pénuries et de sécurité des médicaments (MSSG). S'appuyant sur le groupe de pilotage, déjà constitué durant la pénurie, qui a notamment été chargé d'établir une liste de classes thérapeutiques en vue d'identifier les médicaments critiques, et, plus généralement, d'émettre des recommandations aux États membres sur la manière dont il conviendrait de gérer les pénuries.

Source : Commission d'enquête

Cependant, l'EMA n'a pas réellement bénéficié de nouveaux moyens humains, scientifiques ou techniques pour conduire ces missions supplémentaires, d'une importance primordiale. À titre d'exemple, l'Agence est chargée, d'ici 2025, de créer et de gérer une Plateforme européenne de suivi des pénuries (ESMP), visant à recueillir l'ensemble des informations que les titulaires d'AMM seront désormais tenus de lui transmettre, de même que celles transmises par les autorités sanitaires nationales. Ce travail colossal, qui suppose l'interopérabilité des données et des outils, représente une contrainte forte sur les moyens de l'EMA.

Le budget de l'EMA repose aujourd'hui principalement sur les frais tarifés aux industriels dans le cadre des processus d'autorisation de mise sur le marché. Ceux-ci représentent près de 350 millions d'euros par an. L'Union européenne a également accordé quelques lignes budgétaires supplémentaires dans le cadre du mandat élargi de l'Agence. Mais cette dernière a alerté sur le manque de ressources humaines dont elle pâtit actuellement : le plafond d'emplois, en équivalent temps plein, n'a presque pas augmenté depuis le début de la pandémie de covid-19.

Le député européen Marc Botenga a ainsi déclaré : « Je partage votre constat sur l'EMA : en effet, ses moyens sont insuffisants même si ses ambitions sont louables. La majorité des fonds qu'elle perçoit provient aujourd'hui d'acteurs privés. Je pense qu'un équilibre doit être trouvé : nous devons oser remettre les fonds publics dans l'EMA tout en exigeant une transparence. »678(*)

Le mode de financement de l'EMA doit en effet être interrogé à la lumière de l'exigence d'impartialité qui s'impose à elle. On peut s'étonner que la majeure partie du budget de l'Agence soit immédiatement issu du secteur industriel qu'elle contribue à réguler. C'est le sens de la résolution du Sénat, en date du 10 juin 2023, « considérant la volonté de la Commission de renforcer le rôle de l'EMA dans la préparation de l'Union aux crises sanitaires et dans la gestion de celles-ci ; [...] la part de fonds publics dans les recettes de l'EMA devrait être accrue »679(*).

Recommandation n° 32 : Promouvoir un financement public/privé équilibré de l'EMA, moins dépendant des redevances des entreprises, à même de sécuriser ses nouvelles missions en matière de santé publique et de lutte contre les pénuries.


* 672 Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, le 31 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230529/ce_penurie.html#toc5

* 673 Audition de M. Olivier Véran, ancien ministre de la santé, le 2 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc6

* 674 Audition de M. Olivier Véran, ancien ministre de la santé, le 2 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc6

* 675 « rappelle que les articles 81 et 23 bis de la directive 2001/83/CE ont instauré des obligations générales en matière de fourniture de médicaments à respecter par les titulaires d'autorisations de mise sur le marché (AMM) et par les distributeurs, ainsi qu'une obligation de notification en cas d'interruption temporaire ou permanente de l'approvisionnement; déplore toutefois les disparités constatées par la Commission dans la transposition de ces obligations dans les législations nationales; invite la Commission et les États membres à s'assurer que les titulaires d'AMM et les grossistes respectent les exigences de la directive 2001/83/CE afin de garantir un approvisionnement adéquat et continu en médicaments; invite la Commission à clarifier davantage les obligations des titulaires d'AMM conformément à la directive 2001/83/CE et insiste sur la nécessité de s'assurer que ceux-ci signalent les pénuries de médicaments dans les délais prescrits; souligne la nécessité d'appliquer des sanctions dissuasives et proportionnées en cas de non-respect de ces obligations juridiques, conformément au cadre législatif en vigueur » - Proposition de résolution du Parlement européen sur la pénurie de médicaments - comment faire face à un problème émergent (2020/2071(INI)).

* 676 Règlement (UE) n°2022/123.

* 677 Décrets n° 2012-1096 du 28 septembre 2012, n° 2016-993 du 20 juillet 2016 et n° 2021-349 du 30 mars 2021.

* 678 Audition de M. Marc Botenga, député européen, le 3 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc9

* 679 Proposition de résolution n° 575 (2022-2023) de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, déposée au Sénat le 4 mai 2023 ; relative à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux redevances et aux droits dus à l'Agence européenne des médicaments, modifiant le règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n° 297/95 du Conseil et le règlement (UE) n° 658/2014 du Parlement européen et du Conseil - COM(2022) 721 final.

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