CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN CITOYEN ET ECOLOGISTE

« Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner [...] à d'autres est une folie » Emmanuel Macron, 12 mars 2020.

Le médicament est un enjeu majeur de santé publique. En France l'un des objectifs de notre système de santé est l'accès pour toutes et tous aux médicaments. La pandémie de Covid-19 est venue souligner les défaillances de l'action publique dans le domaine du médicament et les conséquences des choix de l'industrie pharmaceutique française qui, depuis de nombreuses années, ont profondément affaibli notre indépendance sanitaire et mettent en danger l'accès aux soins de milliers de patientes et patients.

La santé publique est un bien commun antagoniste des brevets, des logiques de marché, de recherche de profits. Il y a donc urgence à reposer le débat sur les modalités de la recherche, ses priorités, ses financements, les règles de fixation des prix, les contrôles, l'évaluation solide des progrès thérapeutiques.

Les pénuries de médicaments concernent désormais toutes les classes thérapeutiques puisque même les produits de base de la pharmacopée familiale sont concernés. Cette situation gravissime est une réalité en officine comme à l'hôpital.

Avant même l'apparition du Covid-19, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait résumé en 2016 les principales causes des pénuries comme suit : difficultés d'acquisition des matières premières, problèmes de fabrication, questions de concurrence, décisions commerciales, impact des nouvelles technologies, médicaments couteux et fragmentation du marché.

Les choix de l'industrie pharmaceutique de délocaliser et sous-traiter la production de principes actifs en Asie, les plans de licenciement dans les filières de recherche pour externaliser la R&D à des start-up, la déconnexion des prix des médicaments par rapport aux coûts réels de production entrainent une augmentation des marges des laboratoires inversement proportionnelle au nombre de médicaments disponibles en officine.

La fixation du prix des médicaments est le fruit d'un rapport de force entre pouvoirs publics et laboratoires pharmaceutiques, dont les intérêts sont le plus souvent divergents.

Cette situation est d'autant plus inacceptable pour les patientes et les patients, que les laboratoires utilisent en réalité les ruptures de stocks pour augmenter leurs tarifs, car leur quasi-monopole permet par exemple de surfacturer les produits lorsque le concurrent est défaillant.

À l'initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste, cette commission d'enquête sur la pénurie des médicaments et des choix de l'industrie pharmaceutique a été constituée au Sénat.

Les auditions qui ont été menées ont été riches d'enseignements. Elles ont permis de nourrir la réflexion pour dégager des recommandations dans le consensus. Ce sont autant de points d'appuis pour l'avenir et une étape pour permettre la restauration d'une capacité publique de production de médicaments.

Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, il est important de saluer la volonté de rétablir la capacité de façonnage de l'Ageps, en particulier en renonçant aux suppressions d'emplois programmées (recommandation n°16), d'assurer un pilotage public de la production d'une liste restreinte de médicaments critiques lors des situations d'urgence, (recommandation n°36), d'établir une stratégie claire et transparente de relocalisation, en France et en Europe, de la production de médicaments critiques (recommandation n° 24), ou encore de conditionner les aides publiques et incitations fiscales à l'industrie pharmaceutique (recommandation n° 25).

Enfin, la création d'un secrétariat général au médicament, placé sous l'autorité de la Première Ministre, chargé notamment de sécuriser l'approvisionnement de la France en médicaments critiques et de favoriser sa souveraineté, permettrait d'assurer un pilotage public avec une gouvernance politique assumée.

L'intérêt général et la garantie d'un droit universel et effectif à la santé, pour toutes et tous, doivent désormais primer sur les droits de propriété d'un petit nombre. Comment y parvenir ?

1. Retrouver une maitrise dans la politique du médicament

1.1. Responsabilités des industriels pharmaceutiques

Les pénuries de médicaments sont les conséquences des choix des laboratoires qui ont adopté un mode de gestion de leur production basée sur l'externalisation en Asie et à flux tendus.

L'exemple de Sanofi est particulièrement édifiant puisque dans un contexte où le discours du gouvernement est à la relocalisation de la production des principes actifs du médicament sur notre sol, l'entreprise a décidé le 14 avril dernier de supprimer 135 emplois sur les sites d'Aramon et de Sisteron et de fermer un atelier de production de principes actifs.

Depuis les années 1980, la France est passée de 470 entreprises de production du médicament à seulement 247 aujourd'hui et en 10 ans, l'industrie pharmaceutique a supprimé 10 000 emplois tandis que le nombre de ruptures de stocks ou de risques de rupture a été multiplié par plus de dix entre 2008 et 2017. Le nombre de signalement atteint 3500 en 2022.

Accompagnés par les cabinets de conseil au quotidien, les industriels pharmaceutiques Français sont obsédés par leurs objectifs de marges brutes quitte à sacrifier leur outil industriel au profit de leurs actionnaires, contre l'intérêt des salarié·es, des patients·es et au détriment de la souveraineté sanitaire de la France.

La commission d'enquête a montré combien les pénuries de médicaments s'inscrivent dans une logique marchande de profits, d'offre et de demande et sont des moyens de pression pour obtenir des aides financières supplémentaires ou des prix plus élevés.

1.2. Responsabilités des gouvernements successifs

Les gouvernements successifs ont tenté de réguler le marché du médicament sans succès, et les laboratoires continuent de mener une guerre commerciale en surfacturant les médicaments en cas de défaillance du concurrent.

Le ministre de la santé actuel, François Braun, préfère pointer du doigt la consommation de médicaments des Françaises et des Français et des médecins prescripteurs plutôt que d'imposer de réelles conditions et des sanctions aux industriels.

Pour le groupe CRCE, il est urgent de retrouver une maitrise publique du médicament qui assure la transparence des prix, l'absence de pénurie et la démocratie sanitaire.

Les prix pharaoniques de certains médicaments sont, en partie, les conséquences d'un système opaque de négociation entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les représentants des entreprises du médicament. Loin de réguler les tarifs ou de garantir la disponibilité des médicaments, les décisions politiques de ces dernières années ont aggravé la situation actuelle.

Seule la puissance publique peut garantir aux patientes et aux patients la fourniture des traitements considérés comme pas assez rentables par certains industriels privés.

Ainsi, lorsque les pouvoirs publics ont appris, dans les années 2008-2009, l'arrêt de la production de Mexilétine par le laboratoire, l'Agence Générale des Equipements et Produits de Santé (Ageps) a repris le produit pour le fournir aux patient·es pour lesquel·les il n'existait pas de traitement alternatif.

Depuis les capacités de production et les effectifs de l'AGEPS ont été sabrées et ont désarmé l'hôpital public de sa capacité de production de certaines molécules.

2. Un pôle public du médicament en France et en Europe

2.1. Conditionner et sanctionner les entreprises qui délocalisent la production hors UE

Face aux pénuries de médicaments qui mettent en danger la santé de nos concitoyennes et concitoyens, il importe d'imposer des règles strictes aux industriels du médicament.

Des règles de production minimale en France, de stock stratégique, de transparence des prix des médicaments mais également de contreparties au versement d'aides publiques.

Le crédit d'impôt recherche (CIR) ne doit plus financer les plans de licenciement des industriels ou le rachat de start -up. Il doit être versé aux laboratoires en contrepartie du maintien de la production sur notre territoire, et en cas de délocalisation, l'Etat doit exiger le remboursement des aides versées.

Il n'appartient pas aux pouvoirs publics de financer les stratégies d'externalisation de la recherche des grands laboratoires.

L'industrie pharmaceutique souffre d'un mal qui est l'absence de prise en compte de la notion de « public ». Par conséquent, il est indispensable de modifier son modèle économique fondé sur la propriété exclusive des inventions pharmaceutiques qui permet de récupérer une rente d'innovation à partir d'une situation de monopole juridique et industriel.

Les industries doivent être respectueuses de l'environnement et de la préservation des ressources naturelles afin de satisfaire les besoins des populations. Les entreprises pharmaceutiques qui délocalisent leur production, délocalisent également leur pollution avec des règles bien moins contraignantes, c'est la raison pour laquelle nous estimons que la relocalisation de l'industrie pharmaceutique est aussi un impératif écologique.

2.2. Mettre en place un pôle public du médicament

Différentes initiatives parlementaires en France et en Europe ont préconisé la création d'un établissement pharmaceutique capable de produire les médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique pour pallier aux pénuries.

Les pénuries de médicaments et de vaccins démontrent l'urgence d'une politique alternative de santé avec la création d'un pôle public du médicament qui permette une appropriation sociale du médicament.

Nous avons besoin de créer un nouveau lieu où démocratiquement s'élaborerait la formulation des besoins de santé où se prendraient les orientations et les décisions en toute transparence associant en son sein aussi bien les représentant·es de l'Etat et de la Sécurité sociale, que ceux des professionnels du secteur et de leurs syndicats, de la recherche, du développement, de la production et de la distribution, des usagers, des élu·es nationaux et des collectivités territoriales sous forme de plusieurs collèges.

C'est le sens de notre proposition de création d'un Conseil National du Médicament qui constitue le second pilier sur lequel reposerait le rétablissement de la souveraineté sanitaire dans notre pays. La mise en oeuvre réelle de la démocratie sanitaire est indispensable pour rétablir le lien de confiance entre les citoyennes, les citoyens et les autorités sanitaires ainsi qu'avec les professionnels de santé.

Conclusion :

Cette commission d'enquête a permis de démontrer la nécessité d'une intervention publique face aux pénuries de médicaments et aux choix des industriels du médicament. Ce rapport ainsi que les multiples auditions menées sont un tremplin pour mettre en oeuvre des propositions en rupture avec les choix passés et actuels.

Une politique alternative de santé est possible et réaliste en s'appuyant immédiatement sur les outils et l'expérience de l'Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS), ce que nous défendons depuis 2012, et, dans un second temps en créant un établissement public national produisant les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur en rupture de stock.

Face à l'urgence sanitaire le recours à la licence d'office et la réquisition des industriels sont des outils également à disposition du gouvernement.

Notre proposition de production publique de médicament en France s'accompagne également d'une volonté de la dotation au niveau Européen d'une structure publique ou privée non lucrative capable de produire les MITM.

Plus que jamais le médicament est un élément stratégique dans toute politique de santé et il est urgent de le faire sortir de la seule loi du marché.

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