C. LA PRÉVENTION DES MALTRAITANCES ET VIOLENCES SEXUELLES EN PROTECTION DE L'ENFANCE : UN CHANTIER INACHEVÉ
1. Le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels du secteur social freiné par les moyens humains
a) Un droit clair et renforcé en 2022
L'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles détaille les délits et condamnations prohibant à une personne d'exploiter, de diriger un établissement, service ou lieu de vie et d'accueil régi par le code de l'action sociale des familles, ainsi que d'y « exercer une fonction à quelque titre que ce soit, ou être agréé ».
Les antécédents judiciaires incompatibles avec une fonction exercée dans le secteur social
Aux termes de l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles, l'incapacité d'exercer les fonctions est constatée en cas des infractions pénales suivantes :
- atteintes volontaires à la vie ;
- atteintes volontaires à l'intégrité physique ou psychique de la personne (torture, actes de barbarie, violences, menaces, harcèlement moral, trafic d'armes ou de stupéfiants, etc.) ;
- mise en danger, atteintes aux libertés ou à la dignité de la personne (délaissement, provocation au suicide, réduction en esclavage, enlèvement, séquestration, discrimination, traite des êtres humains, proxénétisme, etc.) ;
- atteintes aux mineurs et à la famille (délaissement de mineurs, abandon de famille, atteintes à l'exercice de l'autorité parentale ou à la filiation, mise en péril de mineurs) ;
- appropriations frauduleuses (vols, extorsion, escroquerie, détournements) ;
- recel, corruption passive et trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, soustraction et détournement de biens, corruption active et trafic d'influence, évasion, faux.
Le contrôle des infractions peut être assuré au moyen de deux fichiers judiciaires : le bulletin n° 2 du casier judiciaire, qui recense les condamnations de la personne, à plusieurs exceptions près54(*), et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), plus complet et intégrant des informations pouvant être effacées du B2.
Le Fijaisv
Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), créé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, recense les condamnations d'une personne mais également l'identité et l'adresse du domicile de l'auteur. L'inscription au Fijaisv peut être complétée d'une obligatoire régulière de déclaration de changement d'adresse.
Les personnes inscrites au fichier sont celles condamnées pour une infraction listée ci-après, définitivement ou non, même si elles sont irresponsables pénalement, ainsi que les personnes mises en examen. L'inscription est automatique si la peine encourue du fait de l'infraction est supérieure ou égale à 5 ans d'emprisonnement, sinon l'inscription est décidée par le juge ou le procureur de la République. L'inscription est automatique pour les auteurs dont la victime est mineure sauf décision contraire de l'autorité judiciaire. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a enrichi les infractions figurant dans le Fijaisv en y intégrant, de droit, les décisions de mise en examen en matière criminelle, sauf décision contraire du juge. De même, la loi a réprimé d'une peine plus sévère la consultation habituelle d'images pédopornographiques ce qui rend obligatoire son inscription au fichier.
Les infractions concernées par une inscription au fichier sont les suivantes :
- viol et agression sexuelle ;
- sur la personne mineure : atteinte sexuelle, traite des êtres humains, proxénétisme, recours à la prostitution, corruption de mineur, incitation à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation ;
- proposition sexuelle à un mineur de 15 ans par un moyen de communication électronique ; enregistrement, acquisition, détention ou offre de contenu pédopornographique ; consultation habituelle ou payante d'un site pédopornographique ;
- fabrication, transport, diffusion ou commerce de messages violents ou pornographiques pouvant être vus ou perçus par un mineur ;
- violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur un mineur de 15 ans ;
- torture ou acte de barbarie ;
- meurtre ou assassinat sur un mineur ou en récidive.
Le B2 peut être délivré aux conseils départementaux et aux ESSMS par l'intermédiaire de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour l'accueil d'enfants confiés par l'autorité judiciaire au titre de l'assistance éducative ou bien par l'intermédiaire du directeur de la direction départementale interministérielle chargée de la cohésion sociale pour des accueils administratifs. De même, les présidents de conseil départemental peuvent être destinataires des informations du Fijaisv par l'intermédiaire des préfets, lesquels sont habilités, aux côtés d'autres administrations de l'État, à avoir directement accès aux informations du fichier grâce à un système d'information sécurisé55(*).
Ces incapacités n'étaient toutefois pas pleinement contrôlées ainsi que l'avait mis en lumière, en 2019, le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs56(*). Le B2 n'était pas systématiquement demandé par les départements ou les gestionnaires d'ESSMS. De même, les collectivités territoriales ne faisaient pas fréquemment usage auprès des préfectures de leur possibilité de demander à obtenir les informations du Fijaisv.
L'article 20 de la loi du 7 février 2022 rend obligatoire la consultation du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes pour le recrutement de toute personne, professionnel comme bénévole, travaillant au contact de mineurs dans le secteur social. Il précise que le contrôle des antécédents judiciaires doit s'effectuer « avant l'exercice des fonctions de la personne et à intervalles réguliers lors de leur exercice ». La loi n'a pas modifié les infractions prohibant l'exercice de fonctions dans le secteur social mais a toutefois supprimé le quantum de peine de deux mois d'emprisonnement ferme pour prononcer l'incapacité.
L'article 21 complète le contrôle du bulletin n° 2 des assistants maternels et familiaux et des majeurs habitant au domicile du professionnel par le contrôle du Fijaisv. L'article étend également ces contrôles aux mineurs de plus de treize ans vivant au domicile de l'assistant maternel ou familial. Ces deux dispositions avaient été recommandées par la mission commune d'information du Sénat57(*).
b) Un contrôle des antécédents judiciaires qui n'a pas encore changé de dimension faute de moyens humains
Les nouvelles dispositions issues de la loi du 7 février 2022 sont en vigueur depuis le 1er novembre 2022.
Édouard Durand, co-président de la Civiise, déplore que les contrôles des antécédents judiciaires ne soient pas encore effectifs en raison d'un système trop complexe et trop lent. Il n'est matériellement pas possible lors d'un recrutement de recevoir les informations à temps, à plus forte raison lorsque le recrutement se fait en urgence (professionnels intérimaires, contrat à durée déterminée - CDD).
Selon la DGCS, tous les départements n'ont pas contractualisé avec les représentants de l'État pour la mise en place d'un circuit d'obtention des informations du Fijaisv. Dans les territoires où le partenariat est bien organisé, l'ampleur du criblage à organiser rend l'application de la loi encore parcellaire. La loi du 7 février 2022 prévoit en effet le contrôle de l'honorabilité de deux millions de personnes selon la DGCS. À moyens techniques constants, la mise en oeuvre de la loi se heurte donc aux ressources humaines importantes qu'elle requiert.
Criblage des personnes en contact avec des mineurs en Eure-et-Loir
Lors de son déplacement, le rapporteur a pu constater qu'une convention avait bien été signée en Eure-et-Loir en 2022 et que deux ETP sont ainsi consacrés à la consultation du fichier au sein des services préfectoraux. Cet effectif ne permet pas encore de contrôler l'ensemble des professionnels exerçant déjà auprès des mineurs protégés et le département doit donc prioriser ses demandes.
S'agissant des professionnels en contact de mineurs confiés à la PJJ, une note du garde des sceaux en date du 21 juillet 2022 actualise le cadre applicable à l'interrogation du Fijaisv58(*). Ce dernier doit être consulté au moment du recrutement puis à intervalle bisannuel. Le contrôle des professionnels de la PJJ est plus efficace dans la mesure où son personnel, spécifiquement désigné à cette fin, est directement habilité à contrôler le Fijaisv. Le secteur de la PJJ n'a donc pas vocation à intégrer le système d'information de contrôle de l'honorabilité que le Gouvernement entend créer.
c) Un chantier dont la réalisation dépend des moyens techniques mis en oeuvre
Dans le secteur du sport, l'arrêté du 31 mars 2021 a prévu le système d'information automatisé du contrôle d'honorabilité (SI honorabilité) qui permet de généraliser la consultation du Fijaisv pour les éducateurs sportifs et les exploitants d'établissements d'activités physiques et sportives (EAPS) bénévoles disposant d'une licence sportive.
Dans le secteur social, la bonne application de la loi de 2022 dépendra également du système d'information, déjà annoncé lors de l'examen du texte, que le Gouvernement entend développer. Cet outil doit permettre un contrôle systématique du B2 et du Fijaisv, « presque en temps réel ». Le Gouvernement a ainsi indiqué à la commission qu'un déploiement progressif de la plateforme devrait avoir lieu courant 2023, commençant par une expérimentation dans quatre départements.
Entendu en audition en décembre 2022, Charlotte Caubel prévenait que « ce dernier outil requiert toutefois un regard humain, ce qui complique le processus. [...] Cet instrument sera d'abord ciblé sur le travail social, mais absorbera à terme le champ de responsabilité des ministères de l'éducation nationale et des sports. Cette disposition de la loi relative à la protection des enfants est excellente, mais elle concerne plusieurs millions de personnes, ce qui fait peser une pression importante sur les équipes chargées de la mettre en oeuvre. » Plus récemment, en mai 2023, la secrétaire d'État précisait : « Nous sommes en train de finaliser une équipe centralisée pour le territoire national, pour fluidifier ce criblage grâce à un certificat de probité demandé électroniquement. Si le certificat n'est pas délivré automatiquement, une action humaine est nécessaire : l'équipe centralisée pourra traiter à la chaîne les cas de remontée du Fijais ou du casier judiciaire. »
Comme en témoigne la prise en compte de ce sujet dans les priorités définies par le comité interministériel à l'enfance, le Gouvernement semble s'atteler à rendre applicables les dispositions sur le criblage des professionnels, ce dont le rapporteur ne peut que se réjouir. Il semble cependant que le recours au nouveau SI honorabilité pour tous les personnels de la protection de l'enfance ne pourra intervenir avant plusieurs mois.
2. La base nationale des agréments d'assistants familiaux et maternels
L'article 30 prévoit la création d'une base nationale, gérée par France enfance protégée, recensant les informations concernant les agréments des assistants familiaux et les suspensions et retraits des assistants maternels. Le décret devant définir les conditions de recensement et les informations contenues dans cette base est désormais en cours de discussion avec la Cnil (voir supra).
Le portage politique de l'application de ces dispositions semble avoir fait défaut, au moins dans les premiers mois suivants la promulgation de la loi, en raison du délai écoulé pour l'installation du GIP. En janvier 2023, le secrétariat d'État chargé de l'enfance se bornait à indiquer à la commission que ce « sujet sera très certainement intégré aux travaux du GIP Enfance protégée », lequel a été constitué le 1er janvier 2023.
Dans sa réponse au questionnaire du rapporteur, Florence Dabin, présidente de France enfance protégée, a indiqué que ce projet devrait démarrer fin 2023 sous réserve de « la structuration d'une équipe renforcée, chargée des systèmes d'information concernés - en premier lieu les départements - [et d'une] étude permettant d'affiner les attentes et les besoins autour de cette base de données ». Par ailleurs, « les départements ont engagé et pour certains finalisé la dématérialisation des agréments, assistants maternels et assistants familiaux et pourront travailler à l'interopérabilité des systèmes d'information ». Le déploiement et l'utilisation de cette base nationale ne semblent donc pas être encore envisageables à court terme.
* 54 Ne figurent pas dans le B2 les décisions à l'encontre des mineurs, des condamnations prononcées pour contraventions, de celles assorties d'une dispense de peine, des condamnations avec sursis lorsque le délai d'épreuve a pris fin sans exécution de la totalité de la peine.
* 55 Article 706-53-7 du code de procédure pénale.
* 56 Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité, rapport d'information de Mmes Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, fait au nom de la MCI Répression infractions sexuelles sur mineurs, n° 529, déposé le 28 mai 2019.
* 57 Proposition n° 22.
* 58 Note DPJJ n° JUSF2221181N du 22 juillet 2022.