C. FACILITER LES CONDITIONS DE PASSATION DES MARCHÉS D'ASSURANCE ET FAVORISER DES RELATIONS CONTRACTUELLES EQUILIBRÉES

Par manque d'information et crainte des procédures contentieuses, les collectivités territoriales utilisent essentiellement la technique de l'appel d'offres pour leurs marchés d'assurance, alors que d'autres procédures sont possibles et plus à même de répondre à la spécificité de leurs besoins. De surcroit, même en recourant aux appels d'offres, les collectivités se privent parfois d'échanges avec les assureurs en raison des risques de distorsion de l'information et de la concurrence.

Il parait donc indispensable de mieux les informer et de les sécuriser dans la passation de ces marchés parfois complexes.

Par ailleurs, les collectivités doivent être en capacité de conclure des contrats équilibrés et les plus avantageux possibles financièrement au regard des risques réels à couvrir. Pour ce faire, il est indispensable de développer leur accompagnement par des intermédiaires et de systématiser la pratique de franchises.

1. Alors que le code de la commande publique permet le recours à la négociation, les collectivités se tournent essentiellement vers la procédure d'appel d'offres, sans pour autant l'utiliser de manière optimale
a) Les marchés publics d'assurance : des marchés de services de droit commun depuis 1992 qui permettent la négociation dans certains cas

Historiquement, les contrats d'assurance des personnes publiques n'étaient pas soumis aux règles de la passation des marchés publics. En effet, un arrêt de 1984 du Conseil d'État précisait que : « le code des assurances soumet les contrats d'assurances en raison de leur nature à un régime propre qui a pour effet de les exclure du champ d'application du code des marchés publics [et] aucun principe général du droit n'oblige les collectivités publiques à recourir au préalable à la concurrence lors de la passation de leurs contrats d'assurances »66(*).

Toutefois, la directive européenne du 18 juin 199267(*) portant coordination des procédures des marchés publics de services, dite « directive services », a intégré les produits d'assurance parmi les services rendant ainsi obligatoire l'application du code des marchés pour les contrats d'assurance.

Conformément à la directive européenne de 201468(*), transposées par le code de la commande publique, les marchés publics d'assurance sont donc soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence de droit commun :

- procédure adaptée entre 40 000 euros et 221 000 euros ;

- nécessité d'une procédure formalisée à compter d'un montant de 221 000 euros pour les collectivités territoriales.

L'obligation de recourir à une procédure formalisée (appels d'offres) au-delà de 221 000 euros ne fait cependant pas obstacle au recours à la négociation dans certains cas.

Ainsi, la directive 2014/24 du 26 février 2014 a étendu les cas de recours à la procédure négociée. Alors que la directive 2004/18 et le code des marchés publics imposaient le recours à l'appel d'offres sauf exceptions, l'article R.2124-3 du code de la commande publique permet désormais aux acheteurs de passer leurs marchés selon la procédure avec négociation dans les cas suivants :

- lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles ;

- lorsque le besoin consiste en une solution innovante. Sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés ;

- lorsque le marché comporte des prestations de conception ;

- lorsque le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s'y rattachent ;

- lorsque le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, une spécification technique commune ou un référentiel technique ;

lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables, au sens des articles L. 2152-2 et L. 2152-3, ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de publier un avis de marché s'il ne fait participer à la procédure que le ou les soumissionnaires qui ont présenté des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l'appel d'offres.

Or, d'après la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers, auditionnée par la mission, les difficultés rencontrées dans le cadre de la passation des marchés publics d'assurance peuvent être de nature à justifier le recours à la négociation dans la mesure où les besoins des collectivités publiques en matière d'assurance ne peuvent être satisfaits « sans adapter des solutions immédiatement disponibles » ou parce qu'ils ne peuvent être attribués sans négociation préalable du fait de leur complexité.

En effet, sauf lorsque l'autorité contractante envisage de passer un marché d'assurance ne visant à couvrir qu'un seul risque simple, la spécificité des marchés d'assurances suppose, pour bien couvrir le profil de risque de l'acheteur et l'ensemble des risques à assurer, une adaptation de l'offre des compagnies d'assurances. Par définition, ces risques ne sont pas standards et l'acheteur doit pouvoir bénéficier des propositions d'offres optimisées par des professionnels du secteur, afin de personnaliser du mieux possible l'offre à son besoin spécifique.

De même, la procédure avec négociation peut être envisagée lorsque l'acheteur est confronté à une complexité complémentaire dans le montage contractuel, en particulier dans le cadre des groupements de commande où la complexité résulte des conditions d'adhésion des membres du groupement et de la répartition financière entre eux69(*).

Enfin, les cas de recours à la procédure du dialogue compétitif sont les mêmes que ceux de la procédure avec négociation (art. R. 2124-5 du CCP). Il est donc possible d'y recourir, pour les mêmes motifs que ceux présentés à ci-dessus.

Toutefois, ces deux procédures n'ont pas le même objectif. En effet, alors que la procédure avec négociation est la procédure par laquelle « l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques », le dialogue compétitif est la procédure par laquelle « l'acheteur dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou développer les solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base desquelles ces candidats sont invités à remettre une offre ». La procédure avec négociation consiste donc à améliorer une offre, alors que le dialogue compétitif consiste à définir une solution technique à partir d'un besoin défini de manière moins précise, au moyen d'un simple programme fonctionnel détaillé, ou de manière incomplète.

b) Malgré la possibilité de recourir à la procédure négociée, les collectivités utilisent quasi exclusivement la procédure d'appel d'offres, qu'elles jugent moins risquée juridiquement

D'après les éléments transmis par la DAJ de Bercy (données du recensement des marchés publics), il ressort que, pour les marchés publics d'assurances, les acheteurs utilisent la procédure négociée dans près de 20 % des cas. Ce chiffre révèle, d'une part, que le recours à cette procédure est donc possible mais, d'autre part, qu'il reste limité.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la préférence des acheteurs publics pour la procédure d'appel d'offres (75 % des marchés d'assurances). Premièrement, certains contrats d'assurance passés par les collectivités territoriales ne présentent pas de spécificités particulières au regard de leurs risques à assurer qui nécessiteraient une adaptation des solutions sur « étagère » des compagnies d'assurance et qui justifieraient donc le recours à la procédure négociée.

Surtout, il semble que les collectivités territoriales soient réticentes à utiliser cette procédure au regard du risque juridique qui s'y attache. Jusqu'en 2016 (année de transposition des directives européennes), il n'était pas possible de recourir à la négociation pour les marchés d'assurances, sauf infructuosité d'une première procédure (ancien article 35 du code des marchés publics). Les acheteurs ont donc pris l'habitude de passer leurs marchés selon la procédure d'appel d'offres et n'osent pas utiliser les souplesses offertes par les directives pour ne pas s'exposer à un contentieux.

De surcroit, il est probable qu'une part significative des acheteurs ignore que de nombreux marchés publics d'assurance pourraient remplir les conditions du 1° et du 4° de l'article R. 2124-3 du code de la commande publique.

Concernant la procédure de dialogue compétitif, sa faible utilisation s'explique par le fait que cette dernière est moins souple puisqu'elle n'autorise pas véritablement le recours à la négociation. Elle permet seulement, une fois les phases de dialogue terminées, une négociation marginale avec le soumissionnaire reconnu comme ayant présenté l'offre économiquement la plus avantageuse afin de lui faire clarifier, préciser ou optimiser certains aspects de son offre.

Le recours au dialogue compétitif ne se justifie donc que lorsque l'acheteur aura une réelle difficulté à définir précisément son besoin ou à élaborer une solution et un cahier des charges, en présence de solutions complexes.

À titre d'exemple, la métropole de Nancy envisage de lancer une procédure de dialogue compétitif. Elle a cependant fait part à la mission de ses craintes liées à l'absence de sécurisation de l'utilisation de cette procédure, en raison du manque de jurisprudence sur le sujet.

c) Des procédures d'appels d'offres à utiliser de manière optimale en développant les échanges avec les assureurs

Dans le cas, le plus fréquent, du recours à l'appel d'offres, le code de la commande publique n'interdit pas tout échange entre les acheteurs et les opérateurs économiques dès lors que les modalités retenues pour ce dialogue permettent de garantir l'égalité de traitement entre les candidats et l'impartialité de la procédure. En effet, le droit de la commande publique n'exige pas que l'acheteur impose ab initio l'ensemble des caractéristiques précises des prestations à assurer, les soumissionnaires n'ayant plus qu'à renseigner les prix qu'ils proposent.

Or, les collectivités se privent parfois de ces possibilités d'échanges ex-ante par crainte de se voir opposer une rupture d'égalité.

Ainsi, dans le cadre d'un appel d'offres, l'acheteur peut tout à fait :

procéder à un « sourcing » lui permettant d'identifier les solutions et compagnies d'assurance susceptibles de répondre au mieux à son besoin avant une consultation ou dans un cadre plus largement prospectif afin de limiter le risque d'inadéquation de l'offre et de la demande et donc de coûts trop élevés ou d'infructuosité. Il s'agit donc d'une démarche proactive de recherche et d'évaluation des opérateurs économiques d'un secteur, ainsi que leur mise en relation avec des acheteurs. Au contact des entreprises, l'acheteur sera en mesure de vérifier que ses exigences en termes de qualité, coûts, délais, performance environnementale ou sociale sont proportionnées par rapport aux capacités et aux contraintes du secteur ;

- prévoir que les candidats potentiels pourront procéder à une visite des bâtiments afin de bien appréhender le patrimoine immobilier et mobilier à assurer. Dans ce cas, le délai de remise des offres doit être suffisant pour permettre à tous les opérateurs économiques de prendre connaissance de toutes les informations nécessaires pour l'élaboration de leur offre (art. R. 2151-3). En effet, les visites de sites peuvent être organisées dans le cadre de toutes les procédures, y compris en procédure d'appel d'offres. Elles ont généralement lieu avant le dépôt des offres puisqu'elles ont pour objet de permettre aux soumissionnaires potentiels de disposer d'informations utiles à la constitution de leur offre. En tout état de cause, les visites devront être organisées dans des conditions permettant de garantir l'égalité de traitement entre les candidats, notamment s'agissant des informations communiquées à cette occasion qui ne figureraient pas le dossier de consultation des entreprises. Elles ne doivent pas non plus être l'occasion de négociation avec les opérateurs économiques ;

formuler les spécifications techniques et conditions d'exécution des prestations objets de leur besoin en des termes suffisamment ouverts, afin de permettre aux soumissionnaires concurrents de se distinguer sur d'autres critères de celui du prix ;

répondre aux demandes de renseignements complémentaires sur les documents de la consultation formulées par les opérateurs économiques afin qu'ils aient une bonne et complète compréhension des besoins de l'acheteur ;

- demander aux candidats, y compris dans les procédures sans négociation, de préciser ou de compléter la teneur de leur offre et, après l'attribution, de procéder à une mise au point des composantes du marché, à condition que cela n'ait pas pour effet de modifier les caractéristiques essentielles de l'offre ni le classement des offres.

L'allotissement du marché peut également être de nature à éviter les appels d'offres infructueux dans la mesure où il permet de partager le risque entre plusieurs assureurs.

Le cas de la commune de Rueil-Malmaison

La ville de Rueil-Malmaison a relancé son marché d'assurance en 2022 et a enregistré une augmentation de 40 % de ses primes par rapport au marché précédant. En revanche, et contrairement à d'autres villes, elle a bénéficié d'un nombre conséquent d'offres. Cette concurrence peut s'expliquer par le choix de la ville d'organiser son marché en 7 lots qui, chacun, ont bénéficié d'entre une et quatre offres. Seul un lot n'a recueilli aucune offre et a dû faire l'objet d'une négociation de gré à gré.

Les 7 lots étaient les suivants :

- dommages aux biens inférieurs à 30 millions d'euros ;

- dommages aux biens supérieurs à 30 millions d'euros ;

- flotte automobile ;

- couverture statutaire des agents ;

- protection juridique des agents ;

- objets précieux ;

- responsabilités et risques annexes.

La commune de Rueil-Malmaison a également renoncé à assurer le risque cyber sur les conseils de son AMO et faute de marché suffisamment mature.

Source : mission d'information à partir des auditions et contributions des élus locaux

Ainsi, un travail de pédagogie et d'accompagnement des acheteurs est nécessaire afin de les rassurer pour utiliser de manière optimale les procédures d'appels d'offres mais également pour favoriser le recours à la procédure avec négociation pour la passation de leurs marchés d'assurance.

2. L'État doit promouvoir une meilleure utilisation des dispositions du code de la commande publique

L'Observatoire économique de l'achat public (OEAP) - devenu l'Observatoire économique de la commande publique (OECP) - a diffusé en juin 2008 un guide pratique pour la passation des marchés publics d'assurance des collectivités locales70(*), élaboré par un groupe de travail composé de représentants des acheteurs locaux, d'associations concernées, des sociétés d'assurance et des administrations compétentes. Ce document répond à un triple objectif :

- constituer un outil d'aide à la détermination et à l'expression des besoins en matière d'assurances ;

- clarifier les pratiques et rappeler les dispositions réglementaires en vigueur ;

- expliquer l'articulation entre les dispositions du code des assurances et celles du code des marchés publics.

Au regard de l'évolution des directives européennes et des difficultés actuelles rencontrées par les collectivités territoriales pour trouver des assureurs, il semble indispensable, d'une part, de mettre à jour ce guide et, d'autre part, de le diffuser le plus largement à l'ensemble des acheteurs publics.

Au regard des éléments évoqués supra relatifs au recours quasi systématique à la procédure d'appel d'offre, la nouvelle version pourra utilement mettre l'accent sur les possibilités offertes par le code de la commande publique pour améliorer l'adéquation entre l'expression des besoins des acheteurs et l'offre existante sur le marché, notamment via un sourçage préalable, en autorisant les visites des bâtiments/biens à assurer par les assureurs potentiels, en recourant davantage à la procédure négociée ou au dialogue compétitif lorsque cela est possible.

Le document pourra également indiquer les précautions à prendre en cas de recours à la procédure négociée ou à celle du dialogue compétitif pour en identifier les avantages et les risques mais aussi et surtout le document mis à jour devra lister des exemples de recours possibles à ces deux procédures dans un contexte le plus sécurisé juridiquement.

Il est ainsi de la responsabilité des services de l'État de sécuriser juridiquement les pratiques des collectivités territoriales pour passer leurs marchés d'assurance.

Recommandation n° 7 : clarifier et sécuriser juridiquement l'application du code de la commande publique aux marchés d'assurance des collectivités territoriales notamment par l'actualisation du guide pratique (direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers).

3. Les assureurs doivent sensibiliser les collectivités au fonctionnement, aux particularités et aux contraintes du marché de l'assurance

Au-delà de la connaissance des règles relatives à la préparation, à la passation et à l'exécution des marchés publics, qui fait déjà l'objet de nombreuses publications et documentations mais également d'une offre de formation abondante, c'est la connaissance de l'état du marché de l'assurance et du cadre juridique spécifique d'exercice de cette acticité économique qui doit être développée.

La connaissance de ces aspects « métier » est une condition de la détermination des besoins des collectivités en matière d'assurance, de la définition d'une stratégie d'assurance et de la pertinence et de l'efficacité de la commande publique en matière d'assurance.

En effet, il parait utile de former les acheteurs publics aux aspects parfois contradictoires des contrats d'assurance et des marchés publics, qui peuvent être source d'incompréhension au stade de la passation et de conflits au cours de l'exécution.

Alors que le contrat d'assurance est, en principe, un contrat d'adhésion auquel l'acheteur souscrit sans pouvoir négocier les stipulations contractuelles, le marché public d'assurance est élaboré par l'acheteur lui-même dans une logique symétrique de contrat d'adhésion pour les soumissionnaires dès lors que le code de la commande publique lui impose de définir son besoin avant de lancer sa procédure et donc les garanties de couverture de ses risques.

Ce défaut de connaissance du contrat d'assurance par les collectivités ressort assez nettement des résultats de la consultation organisée par le Sénat puisque près de 50 % d'entre elles estiment ne pas avoir une connaissance suffisante du fonctionnement de leurs contrats d'assurance.

Par ailleurs, 62 % des collectivités ayant répondu indiquent souhaiter une formation en matière assurantielle (et non pas en matière de passation des marchés).

De manière coordonnée, il parait donc nécessaire que les collectivités sollicitent des formations auprès des assureurs sur le fonctionnement des contrats d'assurance, tout comme, en parallèle, les assureurs doivent initier des actions de sensibilisation à leurs métiers et leurs contraintes.

Recommandation n° 8 : mettre en place des actions de formation et de sensibilisation au fonctionnement du marché et des contrats d'assurance (collectivités territoriales, en lien avec les assureurs).

4. Accompagnement externe et franchises : deux outils à même de rééquilibrer les relations contractuelles et de tendre vers un prix acceptable pour les collectivités
a) Le recours à un intermédiaire peut permettre d'accéder à des conditions contractuelles plus équilibrées

Lorsque la collectivité ne dispose pas des compétences nécessaires pour conduire elle-même l'ensemble des travaux préparatoires à la passation du marché, elle peut faire appel à un audit ou à un conseil, lesquels ne sont pas nécessairement des intermédiaires d'assurance, afin de l'aider à décrire les risques, définir les besoins, organiser les visites des lieux, établir un plan de présentation des offres pour les rendre comparables, établir les critères de sélection ou encore analyser les offres. Cet appui technique pourra également être recherché auprès des courtiers en assurance.

Des exemples recueillis par la mission d'information attestent d'ailleurs de l'efficacité du recours à des tiers. Ainsi, la maire de Hautecour, ville de 300 habitants en Savoie, a été confrontée à un dégât majeur à la suite de l'effondrement d'une falaise. Face à des discussions déséquilibrées avec son assureur au moment de la passation d'un nouveau contrat, le recours à un conseil a été d'une grande utilité.

À ce jour, le recours à une assistance externe est encore assez peu développé. 38 % des collectivités ayant répondu à la consultation organisée par le Sénat indiquent avoir fait appel à un cabinet de conseil pour passer des marchés d'assurance.

Ce recours à un tiers serait par ailleurs de nature à aider les collectivités à choisir la procédure de passation la plus adéquate au regard de leur besoin d'assurance et, subséquemment, de leur permettre d'utiliser au mieux l'ensemble des dispositions du code de la commande publique.

Recommandation n° 9 : développer le recours à des courtiers, conseils ou intermédiaires d'assurances qui pourront accompagner les collectivités dans la définition de leurs besoins et l'élaboration des pièces du marché (collectivités territoriales).

Recommandation n° 10 : utiliser l'ensemble des procédures permises par le code de la commande publique (collectivités territoriales).

b) Les nombreux bénéfices d'une franchise minimale dans les contrats d'assurance pour tendre vers un prix acceptable pour les collectivités

Une franchise prévue dans un contrat d'assurance est la somme restant à la charge de l'assuré (donc non indemnisée par l'assureur) dans le cas où survient un sinistre.

Les franchises permettent ainsi à l'assureur de ne plus prendre en charges certains petits sinistres qui coûtent parfois plus cher en frais de gestion qu'en indemnisation. Ils lui permettent de se concentrer sur les risques importants, qui justifient le plus l'intervention d'un assureur extérieur.

En parallèle, pour l'assuré, l'introduction de franchises doit lui permettre de parvenir à une diminution de la prime, en contrepartie d'une diminution des garanties.

La généralisation et l'acceptation de cette pratique des franchises par les collectivités, permettraient par ailleurs de recentrer les contrats d'assurance sur les risques majeurs et donc permettent une meilleure indemnisation de ces derniers.

Ce choix d'un contrat avec franchise est, enfin, de nature à responsabiliser les collectivités et à améliorer leurs pratiques pour les risques qu'elles sont en capacité de maitriser comme, par exemple, les dommages mineurs sur leur parc automobile (rétroviseur, carrosserie légère...) ou sur leur bâtiment (bris de glace). La systématisation de franchises peut, à bien des égards, être à l'origine d'un cercle vertueux et d'une incitation plus grande à la mise en oeuvre d'actions de prévention des risques.

Le régime de couverture doit donc évoluer. À cet égard, la contribution transmise à la mission par France urbaine souligne que de nombreux membres de l'association ont désormais de plus en plus recours à un régime mixte. En effet, en relevant les franchises pour maintenir des conditions de prime satisfaisante (et en limiter l'augmentation), le mode de couverture combine aujourd'hui de plus en plus auto-assurance (en-deçà du montant des franchises) et couverture contractuelle au-delà et « l'auto-assurance tend aujourd'hui à s'imposer comme un mode de gestion inévitable pour bon nombre de territoires urbains. Néanmoins, les premières réflexions tenues au sein de l'association ont démontré que le sujet n'était pas aussi binaire qu'il n'y parait. De fait, dans plusieurs cas d'espèce, des solutions mixtes prévalent en fonction du seuil des franchises que les organismes d'assurance fixent avec les personnes publiques. Certaines collectivités ont donc recours à l'auto-assurance jusqu'à un certain plafond ou pour certains lots et, au-delà, gardent (lorsqu'elles le peuvent) une couverture assurantielle dite classique71(*) ».

Certains départements ont également eu recours à l'auto-assurance du fait de la mise en place de franchises. Ainsi, le conseil départemental des Alpes-de-Haute-Provence a relancé un appel d'offres en 2023 avec une prise d'effet du nouveau marché au 1er janvier 2024. La nouvelle prime annuelle enregistrait une hausse de près de 57 % pour une superficie à assurer moins importante. Le conseil départemental a donc fait le choix d'augmenter la franchise générale du contrat et de s'auto-assurer jusqu'à ce seuil afin d'éliminer tout sinistre de fréquence et conserver un niveau de prime correct.

Recommandation n° 11 : systématiser la pratique des franchises dans les contrats d'assurance (assureurs et collectivités territoriales).

5. Une modification du code de la commande publique en dernier recours

Au regard de ce qui précède, il ne parait pas indispensable, à ce stade, de proposer une évolution du droit de la commande publique pour les marchés d'assurance.

Il convient, dans un premier temps, de sensibiliser et de former les collectivités territoriales aux possibilités offertes par le code dans sa rédaction actuelle et à permettre le développement des conditions adéquates à l'utilisation de la procédure la plus adaptée à la situation de chaque collectivité.

De surcroit, le droit national ne peut prévoir une exemption des obligations de publicité et de mise en concurrence pour les marchés d'assurance dont la valeur estimée serait égale ou supérieure au seuil de procédure formalisée. Le code de justice administrative, conformément à la directive européenne 89/665/CEE du 21 décembre 1989, dite « directive recours », prévoit en particulier que l'absence de publication d'un avis d'appel à la concurrence au journal officiel de l'Union européenne, lorsqu'elle est exigée par les directives européennes relatives aux marchés publics et au contrats de concession, est un motif d'ordre public que le juge doit soulever d'office et qui impose l'annulation du contrat.

Par ailleurs, la jurisprudence européenne a rappelé que les contrats non couverts par les directives, notamment en raison de leur montant, n'échappent pas pour autant aux « règles fondamentales du traité en général et au principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier », lequel « implique, notamment, une obligation de transparence » qui « consiste à garantir [...] un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché [...] à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication »72(*).

Dès lors, une exemption totale des marchés d'assurance dont la valeur estimée est inférieure au seuil d'application des directives européennes pourrait aussi être jugée non conforme au droit de l'UE. Elle pourrait également être regardée comme inconstitutionnelle au regard des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, que le Conseil constitutionnel a érigé au rang d'exigences constitutionnelles73(*).

Un traitement particulier des marchés d'assurance nécessiterait donc une modification des directives européennes. Une démarche dans ce sens, en plus d'être longue, présente peu de garantie de réussite et pourrait avoir des effets non souhaités sur le marché des assurances en limitant la concurrence.


* 66 CE, 12 oct. 1984, Chambre syndicale des agents généraux d'assurance des Hautes-Pyrénées, n° 34671.

* 67 Directive n° 92/50/CEE, transposée en droit français par un décret du 27 février 1998.

* 68 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

* 69 Voir par exemple TA Dijon, 19 juillet 2018, BEAH, n° 1801667.

* 70 https://www.economie.gouv.fr/daj/Guide-des-bonnes-pratiques-Guide-pratique-pour-la-

* 71 Réponse écrite de France urbaine en complément de l'audition du 27 février 2024.

* 72 CJUE, 7 décembre 2000, Telaustria, aff. C-324-98.

* 73 Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003.

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