B. L'OBSERVATION DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES ANTICIPÉES EN SERBIE
1. L'intervention de Mme Mireille Clapot
Merci, Monsieur le Président.
Félicitations d'ailleurs à vous, Monsieur le Président Rousopoulos, et hommages à M. Tiny Kox qui a fait rayonner notre institution.
Je tiens avant tout à saluer le travail de notre Bureau et de notre Commission permanente. J'ai eu la chance d'y participer en me rendant à Vaduz le 28 novembre et de prendre part à ce travail essentiel pour la préparation et le suivi de nos missions parlementaires. À cette occasion, j'ai présenté le rapport de la mission d'observation électorale que j'ai menée en Pologne en octobre : je me félicite de son approbation et suis ravie de voir que le processus électoral compétitif qui a eu lieu a pu être mené à son terme avec l'élection du nouveau Premier ministre Donald Tusk puis la nomination de son gouvernement. Il est heureux de voir que l'alternance décidée par les Polonais ait pu se faire dans le respect des règles et des institutions alors que le pouvoir en place avait abusé des ressources publiques et bénéficié de la partialité des médias publics. Je profite d'ailleurs de ce moment pour souhaiter la bienvenue à nos nouveaux collègues polonais - et d'ailleurs à tous nos nouveaux collègues.
Un mot des élections qui ont eu lieu en Serbie dans un contexte tendu : la mission d'observation de l'APCE menée conjointement avec celles du Parlement européen et de l'OSCE a constaté certes une organisation efficace mais émis des doutes. Le jour des élections, les observateurs ont constaté des intimidations et des pressions exercées contre les électeurs. Cela jette un voile sur la transparence de l'élection de ce pays, alors que cette transparence est essentielle pour la démocratie et pour l'Europe.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre exposé sur l'importance de ces cas d'irrégularité et le rôle qu'ils auraient pu jouer sur la régularité du scrutin final. Par ailleurs, vous avez dénoncé l'implication décisive du Président, les avantages systémiques du parti au pouvoir, ainsi que les mauvais traitements de militants défenseurs des droits humains et des journalistes. Je note également votre inquiétude quant au risque de manipulation de l'information, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie et qui peut avoir des résonances en Serbie.
Permettez-moi un mot personnel : j'ai constaté en Turquie, où j'étais observatrice, puis en Pologne, où j'étais cheffe de mission, que les missions pré-électorales permettent d'effectuer des observations plus pointues et que le rapport qui est issu de cette première phase donne le temps aux commissions électorales et à l'administration de rectifier le tir. Alors, sans doute faut-il réformer pour prendre en compte nos obligations, en particulier financières, mais se rendre deux fois sur place, une fois avant l'élection et une fois le jour de l'élection, me semble incontournable.
Merci de votre attention.
2. L'intervention de M. François Bonneau
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Notre Assemblée a été invitée à observer les élections législatives qui se sont déroulées le 17 décembre dernier en Serbie. Ces élections font suite à deux fusillades particulièrement meurtrières qui ont marqué l'opinion publique et à une escalade des tensions avec le Kosovo. Les résultats de ces élections ont été contestés par une partie de l'opposition et ont donné lieu à des manifestations. Le gouvernement en place, niant toute fraude, a accusé l'Occident d'avoir encouragé ces mouvements de protestation.
La mission d'observation mise en place par notre Assemblée relève que ces élections législatives anticipées ont bien offert aux électeurs le choix entre plusieurs options politiques et que les libertés d'expression et de réunion ont, dans l'ensemble, été respectées.
Malheureusement, elles ont été entachées d'actes de violence isolés, d'irrégularités de procédure et de nombreuses allégations d'organisation et de transport d'électeurs afin de soutenir le parti au pouvoir lors des élections locales, convoquées le même jour. Des cas de transport organisé d'électeurs, de vote supervisé et de manipulation éventuelle de l'identité d'électeurs ont été identifiés dans 71 bureaux de vote, en particulier à Belgrade, où ce transport organisé d'électeurs aurait pesé de manière décisive sur les résultats électoraux très serrés à l'Assemblée de la ville de Belgrade.
En outre, le secret du vote n'a apparemment pas toujours été respecté. Des tentatives d'intimidation semblent avoir eu lieu. Ainsi que le relève notre collègue Stefan Schennach dans son rapport, les pressions exercées sur les électeurs ainsi que l'implication décisive du Président, combinées aux avantages systémiques du parti au pouvoir, ont nui au processus électoral dans son ensemble et créé des conditions injustes. Il pointe ainsi le biais de certains médias, les pressions exercées sur les employés du secteur public ainsi que l'abus des ressources publiques au profit du parti au pouvoir.
Les irrégularités et manquements observés sont donc très significatifs, d'autant qu'ils semblent bien ancrés dans les pratiques politiques du pays. Cette situation m'apparaît être un point très négatif pour l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne.
J'observe d'ailleurs que le Parlement européen, qui avait également envoyé une délégation pour observer ces élections, a appelé à la tenue d'une enquête internationale.
Il m'apparaît essentiel que le Conseil de l'Europe continue à soutenir la démocratie en Serbie et qu'il apporte son expertise technique aux autorités serbes.
3. L'intervention de Mme Liliana Tanguy
Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur,
J'ai eu l'honneur de participer à la mission d'observation des élections en Serbie. Je me suis rendue à Belgrade, à Panèevo et à Aleksandrovac. Je tiens à dire en guise de propos liminaire que je n'ai pas été personnellement témoin de fraudes électorales.
Pour ceux qui, parmi mes collègues, ont relevé des irrégularités, il convient de noter que la commission électorale de la République (CER) est rapidement intervenue dès les premières contestations de l'opposition afin de procéder à un nouveau scrutin dans les trentaines de bureaux de vote où une suspicion de fraude avait été constatée. Le rapport d'ailleurs mentionne les progrès importants réalisés par le CER pour améliorer la transparence et la communication de ses travaux.
Quoi qu'il en soit, un certain nombre d'irrégularités de procédure ont été observés, entachant malheureusement le bon déroulement du scrutin.
L'omniprésence du nom et de l'image du Président de la République pour soutenir la coalition autour du parti progressiste serbe, a engendré un déséquilibre de visibilité des forces politiques en présence, alors que les électeurs disposaient au départ d'un large libre choix entre plusieurs options politiques.
J'ai néanmoins constaté des anomalies d'enregistrement sur les listes électorales. J'ai en effet rencontré des électeurs qui n'avaient pas été correctement inscrits sur la liste électorale et, par voie de conséquence, n'ont pas pu voter le jour du scrutin. Probablement qu'un recensement général de la population pourrait fiabiliser les listes électorales sur le modèle d'un répertoire électoral unique, tel que celui mis en place en France en 2019.
Enfin, il est important de souligner le fait que les autorités du pays ont pris acte de la Déclaration sur les constations et conclusion de la mission internationale d'observation électorale et se sont engagés à améliorer les conditions électorales en Serbie. C'est pourquoi, l'Assemblée doit se tenir à leurs côtés pour continuer à les accompagner dans la poursuite des réformes. Cela peut se faire dans le cadre d'une procédure de suivi en collaboration avec la Commission de Venise.
La Serbie est un partenaire important dans la région, qu'il convient de soutenir pour l'encourager à accélérer les réformes, renforcer l'État de droit et poursuivre leur chemin sur la voie européenne.
Dans tous les cas, je pense que nous devons trouver une solution raisonnée pour aider ce gouvernement à répondre aux standards européens en s'appuyant sur les bonnes pratiques observées dans d'autres démocraties européennes.