J. LA MALTRAITANCE DES ENFANTS DANS LES INSTITUTIONS EN EUROPE
1. L'intervention de M. Emmanuel Fernandes, au nom du groupe GUE
Merci, Monsieur le Président.
Ce rapport aborde un sujet extrêmement difficile à lire et même à concevoir et, en cela, il fait écho à nos travaux dans cette même Assemblée, hier, dans le débat d'urgence sur les enfants ukrainiens dans le cadre de la guerre d'agression russe.
Nous remercions le rapporteur M. Pierre-Alain Fridez pour ce travail dense et précis, tellement nécessaire, qui contribue à ouvrir plus grand encore nos yeux sur l'ignoble, sur l'insoutenable dont nos sociétés, dans les États membres en Europe, ont été capables et sont toujours capables.
Oui, en temps de guerre - ce que nous condamnons évidemment avec la plus grande fermeté, et nous appelons ici à un cessez-le-feu immédiat sur toutes les zones de guerre - comme en temps de paix, des enfants sont maltraités, des enfants sont déplacés de force, des enfants sont abusés sexuellement.
L'objectif de ce rapport est clairement affiché par le rapporteur et nous souhaitons également que cet objectif soit atteint : amorcer un travail de prise de conscience collective à travers toute l'Europe et les États membres afin de libérer la parole, de permettre la reconstruction et l'indemnisation des survivants et de mettre en place des outils pour que de telles situations ne se reproduisent plus jamais.
Oui, en Europe, 18 millions d'enfants sont victimes d'abus sexuels ; 44 millions de violences physiques ; et 55 millions de violences psychologiques.
Il faut que ces chiffres infâmes soient entendus hors de ces murs.
Ces maltraitances d'enfants dont le rapport de M. Pierre-Alain Fridez fait l'objet ont été commises par des institutions d'État. Il y a l'exemple de la France où, dans les années 60 jusqu'au début des années 80, plus de 2 000 enfants ont été déplacés depuis le département français de l'île de la Réunion jusque dans l'Hexagone, notamment vers le département de la Creuse.
Le travail d'exploitation d'archives afin de comprendre complètement les mécanismes institutionnels qui ont permis cela reste encore immense et les associations réclament une totale transparence afin de s'approcher d'une nécessaire reconstruction pour les familles concernées.
Le rapport signale aussi des progrès dans la reconnaissance des crimes envers des enfants, commis notamment par les Églises catholique et luthérienne en France et en Allemagne ; mais malgré ces progrès, cela souligne là aussi l'immense travail qu'il reste à faire.
Dans cette liste d'horreurs, le rapport traite également des orphelinats en Roumanie, cela a été dit : une politique absolument insoutenable de sélection d'enfants initiée par Nicolae Ceau?escu qui fit des centaines de milliers de victimes de maltraitance, pour beaucoup jusqu'à la mort. Le travail de transparence et de reconnaissance est là aussi immense.
Mais c'est toute l'Europe, cela a été dit, qui est concernée - et au-delà. Ce rapport appelle à regarder en face le passé récent, toujours vivace, toujours présent, pour contribuer à un meilleur futur pour les enfants.
Différents outils comme le Comité de Lanzarote auquel participe notre Assemblée ou encore les organisations non gouvernementales qui doivent être soutenues constituent des leviers sur lesquels nous appuyer pour que chaque cas de maltraitance fasse l'objet d'un état des lieux complètement documenté, nécessaire à atteindre la reconnaissance des souffrances subies, l'indemnisation, les excuses officielles, la sanction des auteurs d'actes de maltraitance sans délai de prescription.
2. L'intervention de Mme Mireille Clapot
Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Chers collègues,
Mon deuxième prénom après Mireille est Yvonne, du nom de ma marraine qui était enfant de l'Assistance, qui était placée dans une famille dans l'Ain et qui était maltraitée. Je dédie cette intervention à sa mémoire.
Je tiens à saluer votre rapport, Monsieur le rapporteur. Il est temps de consacrer les droits et l'intérêt suprême des enfants dans nos institutions. Pendant longtemps, les enfants ne bénéficiaient pas de droits et de protections spécifiques.
Or, les enfants sont par nature vulnérables face aux prédateurs et institutions qui commettent des actes de maltraitance. Ces maltraitances physiques, sexuelles, psychologiques ou autres ont des conséquences profondes sur la santé, le bien-être mental et la vie de leurs victimes.
Le Conseil de l'Europe a établi des normes internationales à travers la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, et dont notre Assemblée participe au Comité des Parties. Rappelons que cette convention oblige ses États parties à criminaliser toute infraction à caractère sexuel contre des enfants ainsi qu'à prendre des mesures pour les prévenir, protéger les victimes et poursuivre les auteurs.
Mais trop souvent, les cas de maltraitances restent impunis et ne sont pas réparés à la hauteur de la gravité du préjudice subi. Votre résolution et votre recommandation permettront de faire un pas en avant vers la réparation intégrale, reconnaître ces souffrances, sanctionner leurs auteurs, dédommager les victimes mais aussi soutenir les structures d'aide aux victimes et créer des lieux de mémoire.
Enfin, permettez-moi de dire deux mots du cas de la France qui fait l'objet d'une partie spécifique du rapport. D'abord, je salue comme vous les travaux de la commission indépendante sur les abus sexuels de l'Église catholique, mais je veux parler de cet épisode dramatique de l'histoire française où plus de 2 000 enfants réunionnais ont été déplacés de force vers l'hexagone, le département de la Creuse notamment.
Ce déracinement a eu des conséquences terribles pour ces enfants et ne pourra malheureusement jamais être complètement réparé, tant il a bouleversé leur vie.
Je veux toutefois préciser que, contrairement à ce que suggère votre rapport, la France a agi à ce sujet ces dernières années. En 2014, une résolution de l'Assemblée nationale a reconnu la responsabilité morale de l'État, puis une commission d'information et de recherche mise en place par le Gouvernement a rendu un rapport très précis sur le sujet en 2018, pointant le rôle de l'État et la défaillance de l'aide à l'enfance. Cette commission a fait un travail de mémoire essentiel sur ce traumatisme encore vif et le Président Macron a reconnu une faute de l'État en 2018.
Sur la question des archives du BUMIDOM - le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer - citées dans le rapport, elles ne sont pas menacées puisqu'elles ont été déposées aux Archives nationales avec 174 000 dossiers individuels. Enfin, un lieu de mémoire a été inauguré à la Réunion et une plaque a récemment été posée à l'aéroport d'Orly.
Alors, certes, il reste beaucoup à faire pour réparer l'intégralité des torts, notamment d'un point de vue financier. Mais la situation avance et votre excellent travail ainsi que l'action des associations vont contribuer à l'améliorer encore pour protéger les enfants, nos enfants.