CONCLUSION GÉNÉRALE

Le métier des collaborateurs de cabinet, véritables « travailleurs de l'ombre », est relativement méconnu. Pourtant, quel que soit l'engagement politique des élus qui les emploient, ils exercent, aujourd'hui, des fonctions décisives dans la bonne marche des collectivités territoriales et des établissements publics intercommunaux. En effet, ils facilitent l'exercice du mandat de l'autorité territoriale, avec une triple mission : participer à la définition de la stratégie de la collectivité, l'aider à conduire et mettre en oeuvre les politiques publiques locales et promouvoir l'action de la collectivité.

 Ces objectifs peuvent parfaitement être remplis dans le respect des fonctions, elles-aussi essentielles, du Directeur général des services.

Gageons que le présent rapport fera oeuvre utile en faisant mieux connaitre la « grandeur et les servitudes » de cette fonction, alors que les règles applicables sont aujourd'hui disséminées dans des textes épars et certaines décisions du Conseil d'État.

Au-delà, la mission vise à clarifier et sécuriser le rôle essentiel des collaborateurs de cabinet, avec un objectif constant : garantir l'efficacité de l'action publique locale.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 25 juin 2024, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous allons à présent entendre nos collègues Cédric Vial et Jérôme Durain sur leur rapport consacré aux collaborateurs de cabinet en collectivités territoriales.

Cette mission flash s'inscrit dans la continuité de nos précédents travaux ; je pense en particulier au rapport sur les secrétaires de mairie. Elle s'inscrit aussi dans le droit-fil de nos propositions sur le statut de l'élu local. En effet, le collaborateur de cabinet facilite l'exercice du mandat des élus locaux, en particulier du chef de l'exécutif, avec lequel il entretient des relations de grande confiance.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Je commencerai par faire mon coming out, car je n'ai pas toujours été sénateur : j'ai été collaborateur de cabinet dans le département de l'Isère, à la mairie de Grenoble ; j'ai aussi occupé des fonctions de directeur de cabinet au sein d'une agglomération dans le Nord-Isère ; j'ai été employé à la région Rhône-Alpes ; j'ai également travaillé au sein d'un cabinet ministériel. C'est dire si j'ai occupé à peu près toutes les strates de ces fonctions de collaborateur ! Cela m'a conduit à être membre actif, puis associé, de l'association Dextera, qui regroupe les collaborateurs de cabinet de la droite et du centre et que nous avons auditionnée.

Avec Jérôme Durain, nous avons proposé de lancer une mission flash sur le métier de collaborateur de cabinet en collectivités territoriales. Notre objectif était non pas de traiter de questions statutaires, mais d'articuler nos travaux autour de deux grands axes.

Le premier axe concerne les enjeux et contours de ce métier. En effet, alors que ces collaborateurs exercent des missions essentielles, ils sont relativement méconnus et leurs missions ne sont définies précisément par aucun texte.

Nous avons débuté nos auditions avec de nombreuses questions à l'esprit. Comment définir le champ d'action d'un collaborateur de cabinet ? Comment qualifier les liens qu'il entretient avec l'autorité territoriale ? Quelle est la portée de son autorité fonctionnelle sur certains services de la collectivité ? Quel est l'intérêt pour la collectivité d'une telle autorité ? Quelle est l'articulation avec les fonctions de directeur général des services ? Enfin, existe-t-il des critères clairs permettant de distinguer les emplois de cabinet des emplois administratifs ? Cette distinction est essentielle, car elle est susceptible d'entraîner des conséquences pénales et financières.

Le second axe de cette mission concerne les effectifs autorisés, pour lesquels les règles sont au contraire précises. Ainsi, en application du décret du 16 décembre 1987, le nombre de collaborateurs est plafonné en fonction de la taille de la collectivité. Mais ce plafond est-il adapté ? Soulève-t-il des difficultés théoriques ou pratiques ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Nous avons examiné les textes et la jurisprudence relatifs au métier de collaborateur de cabinet en collectivités territoriales. Celui-ci joue effectivement un rôle méconnu, mais essentiel, auprès des exécutifs locaux. Il assiste, accompagne, conseille, relaie et représente l'autorité territoriale. Par ailleurs, il participe à l'élaboration de la stratégie de la collectivité ; il veille à la déclinaison et à la mise en oeuvre de cette stratégie, et il concourt à la promotion de la collectivité et de son action. Véritable bras droit des élus, il doit faire preuve d'une très grande polyvalence tant ses tâches peuvent être variées.

Toutefois, les fonctions précises des emplois de cabinet ne sont, à l'heure actuelle, définies par aucun texte. En effet, le législateur et le pouvoir réglementaire ont fait le choix de mentionner uniquement les liens de subordination unissant le collaborateur de cabinet à l'autorité territoriale. Quant à la jurisprudence, elle a fourni quelques critères généraux d'identification d'un emploi de cabinet.

En revanche, les règles sont précises en matière d'effectifs autorisés au sein des cabinets des exécutifs territoriaux. Ainsi, en application du décret précité, le nombre des collaborateurs est plafonné en fonction de la taille de la collectivité, étant précisé que toutes les collectivités peuvent créer au moins un emploi de cabinet, quelle que soit leur importance.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Ni le législateur ni le pouvoir réglementaire n'ont fixé de liste de travaux qui seraient par nature ceux d'un collaborateur de cabinet. La définition des tâches relève actuellement de l'acte de nomination de ces personnels, car le contenu des missions dépend de la taille de la collectivité, des priorités politiques des élus et des circonstances locales.

Toutefois, il est essentiel de rassembler les caractéristiques principales du métier de collaborateur de cabinet telles qu'elles ressortent des textes et de la jurisprudence. Ce travail pédagogique n'avait jamais été réalisé. Or nombre d'acteurs locaux ont une appréciation erronée des fonctions du cabinet ; c'est le moins que l'on puisse dire si l'on en juge par certaines auditions, notamment celle de l'association des présidents et vice-présidents de chambres régionales et territoriales des comptes (CRC)...

Nous avons identifié dix caractéristiques importantes concernant le métier de collaborateur de cabinet. Nous invitons le gouvernement et tous les acteurs concernés à les diffuser largement.

Le collaborateur est recruté selon un choix discrétionnaire de l'autorité territoriale. Ses fonctions s'achèvent en même temps que le mandat de son autorité politique territoriale. Il exerce un emploi non permanent, en dehors de la hiérarchie administrative de la collectivité. Sa rémunération et ses missions sont donc définies librement. Il n'est pas soumis au principe de neutralité politique. Il est placé dans une relation de confiance personnelle et de loyauté à l'égard de l'autorité politique territoriale, ce qui peut conduire à une rupture de contrat.

L'une des avancées importantes de cette mission est de définir précisément le rôle d'un collaborateur de cabinet : il assiste, il accompagne, il conseille, il relaie et il représente l'autorité politique territoriale. Il participe à la définition de la stratégie de la collectivité. Il aide à mettre en oeuvre les politiques publiques locales. Il concourt à la promotion de la collectivité et de son action. Il reçoit ses instructions de l'autorité politique, est évalué par elle et n'a de comptes à rendre qu'à celle-ci.

Nous avons ensuite examiné les conséquences d'une requalification d'emploi administratif en emploi de cabinet, et réciproquement. Les CRC vérifient les modalités de recrutement et le plafond des effectifs, et constatent régulièrement que certains emplois devraient être requalifiés en postes de collaborateur de cabinet. Un signalement est possible auprès du procureur de la République, comme ce fut le cas le 26 juillet 2017 pour détournement de fonds publics dans le Val-de-Marne ; une enquête a ensuite été ouverte par le parquet national financier (PNF).

Lors des auditions, nous avons souhaité savoir s'il existait des statistiques sur l'évolution, depuis une dizaine d'années, du nombre de contrôles des CRC portant sur le respect du plafond des effectifs de collaborateurs de cabinet. Ni la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ni l'association des présidents et vice-présidents de CRC n'ont été en mesure de fournir de tels éléments chiffrés.

Toutefois, de nombreux acteurs locaux ressentent une attention croissante de quelques CRC sur ces questions. Certains évoquent même un changement de doctrine, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, région qui semble concentrer la plupart des grandes difficultés rencontrées.

Toujours est-il que les relevés d'observations provisoires des CRC semblent conduire très souvent à des changements d'organisation au sein des collectivités contrôlées. La mission politique exercée par les collaborateurs dans les collectivités territoriales est parfois vécue comme illégitime. Pourtant, cet appui politique à l'élu est précieux.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Le code pénal ne prévoit pas d'infraction spécifique sanctionnant le non-respect du nombre maximum d'emplois de cabinet. Le 29 mars 2023, le tribunal correctionnel de Paris a condamné un élu et un directeur de cabinet pour détournement de fonds publics. Cette condamnation faisait suite à un signalement de la CRC d'Île-de-France, que Cédric Vial vient d'évoquer. Sur ce fondement pénal, le tribunal a condamné l'ancien président du conseil départemental du Val-de-Marne ainsi que son directeur de cabinet à une peine d'amende respectivement de 10 000 et 8 000 euros. Le tribunal a estimé qu'ils avaient « détourné, à des fins politiques, 29 emplois administratifs » du département, ce qui leur avait permis « d'employer davantage d'emplois de cabinet que ce que la loi permet ». Les juges ont estimé que cette situation avait « faussé partiellement le fonctionnement du système démocratique local, en donnant des moyens supplémentaires, non prévus par la loi, à cet élu pour l'exercice de son mandat ».

Ce jugement a suscité un certain émoi parmi les élus et les collaborateurs de cabinet, même s'il était isolé et rendu par une juridiction de première instance et qu'en outre, la situation du Val-de-Marne était atypique. Cette réaction résulte de deux facteurs principaux. D'abord, il semble que cette condamnation n'ait pas de précédent pour des faits similaires. Ensuite, de nombreuses personnes, lors des auditions, ont jugé « infamante » la qualification retenue par la juridiction pénale de « détournement de fonds publics », car attentatoire à l'honneur et à la réputation des personnes condamnées. En effet, cette qualification pourrait laisser penser que ces dernières se sont vu reprocher par les juges un enrichissement personnel ou des emplois fictifs, ce qui n'est pas le cas.

Ce jugement a en outre suscité des inquiétudes sur la question de l'autorité fonctionnelle du cabinet sur les services, sujet dont nous avons longuement débattu lors des auditions. Interrogé sur la portée de la condamnation pénale, le ministère en charge des collectivités a indiqué que la décision précitée « ne semble pas devoir être lue comme excluant en principe l'exercice d'une autorité fonctionnelle [du cabinet] sur certains services de la collectivité ». La réponse ministérielle cite spécifiquement la communication et le protocole, parce que ces services correspondent à « la double nature, administrative et politique, des missions d'une autorité territoriale ».

J'en viens aux cinq recommandations de la mission. Je vais présenter les deux premières, Cédric Vial les trois suivantes.

Notre première recommandation est de consacrer dans la loi les missions essentielles du collaborateur de cabinet. La mission recommande de clarifier dans la loi les missions générales dévolues au collaborateur de cabinet et son lien étroit avec le chef de l'exécutif. Le législateur pourrait ainsi préciser que le collaborateur de cabinet assiste, accompagne, conseille, relaie et représente l'autorité territoriale. Par ailleurs, il participe à l'élaboration de la stratégie de la collectivité, veille à la déclinaison et à la mise en oeuvre de cette stratégie et concourt à la promotion de la collectivité et de son action.

La deuxième recommandation est de consacrer dans la loi la possibilité d'une autorité fonctionnelle du directeur de cabinet sur certains services. L'autorité fonctionnelle se justifie par la nécessité de garantir une plus grande réactivité et davantage d'efficacité et de fluidité dans la chaîne de décision. Cette pratique ancienne et légitime n'est toutefois pas explicitement prévue par les textes. C'est pourquoi la mission recommande de reconnaître dans la loi que les directeurs de cabinet peuvent exercer une autorité fonctionnelle directe sur certains services, dans le respect de l'autorité hiérarchique du directeur général des services (DGS) sur les agents. Il ne paraît pas opportun d'exclure a priori tel ou tel service de l'exercice de cette autorité fonctionnelle, dans la mesure où elle résulte des choix politiques et des circonstances locales. On peut imaginer qu'un grand projet important pour la collectivité, mobilisant de gros moyens, puisse justifier ce type d'autorité fonctionnelle sur les services de voirie ou d'urbanisme, par exemple.

La mission recommande aussi de renvoyer à l'autorité politique territoriale le soin de définir le périmètre et l'objectif de l'autorité fonctionnelle, propre à l'organisation interne de chaque collectivité. Cette consécration législative permettrait de conférer une base légale solide à cette pratique, sans porter atteinte à la libre administration.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Cette deuxième recommandation est sans doute la plus importante.

La troisième recommandation est de repenser l'accompagnement, technique ou politique, des membres de l'exécutif des plus grandes collectivités - régions, départements et communes d'une certaine taille -, ainsi que ceux des grandes intercommunalités. Dans la mesure où ceux-ci jouent un rôle politique important, il paraît légitime qu'ils soient accompagnés dans l'exercice de leurs fonctions. La question se pose notamment pour les vice-présidents de région, compte tenu de la taille des grandes régions, de l'envergure des délégations que certains vice-présidents reçoivent du président, des montants financiers en cause et de leur niveau de responsabilité. En pratique, certains vice-présidents de région sont épaulés par des collaborateurs issus des services ou de groupes d'élus.

Toutefois, aucun texte ne semble permettre expressément de doter les vice-présidents ou adjoints des plus grandes collectivités de collaborateurs de cabinet dédiés, alors que le décret de 1987 prévoit, lui, que le président du conseil régional peut mettre à la disposition du président du conseil économique, social et environnemental régional un ou plusieurs collaborateurs de son cabinet.

La mission recommande donc de clarifier la situation afin de repenser l'accompagnement, technique ou politique, des membres de l'exécutif des plus grandes collectivités. Comme certaines collectivités territoriales ne sont pas arrivées au terme de leurs propres concertations sur le sujet, nous ne formulons pas de propositions plus précises en la matière. La mairie de Paris fait exception, puisqu'elle fixe elle-même le nombre des collaborateurs du maire, et les maires de Lyon et de Marseille ont droit chacun respectivement à 12 et 15 collaborateurs de cabinet. À Paris, le plafond d'emplois pour les collaborateurs de cabinet est fixé à 425 (145 pour la mairie centrale et 280 pour l'ensemble des 20 mairies d'arrondissement). Ces collaborateurs peuvent exercer une autorité sur de nombreux services support.

La quatrième recommandation est de remédier à l'impossibilité actuelle de pourvoir au remplacement d'un collaborateur durablement absent. Les plafonds du décret de 1987 ne permettent pas l'ouverture d'un poste supplémentaire pour réaliser la mission en lieu et place de l'agent absent pour cause de congé - maternité, parental, maladie, etc. Si le plafond est atteint, la collectivité n'a pas la possibilité de recruter un collaborateur de cabinet supplémentaire pendant la durée d'indisponibilité de l'agent concerné. La délégation recommande d'assouplir sur ce point le plafond des collaborateurs de cabinet. Pour remédier à cette difficulté, l'intervention du législateur est nécessaire. À titre d'exemple, dans le cadre d'un contrôle de la CRC d'Auvergne-Rhône-Alpes en date du 18 décembre 2023, la communauté de communes de St-Genis-Pouilly (Ain), qui avait recruté une collaboratrice de cabinet afin de remplacer un départ en congé maternité, s'est vu reprocher un dépassement du plafond réglementaire. Et, en Bretagne, nous avons été avisés du fait qu'accoucher de triplés donne droit, en cumulant le congé maternité et le congé parental, à un congé de six ans au total, soit la durée entière d'un mandat...

La cinquième recommandation est de sécuriser l'organisation et la gestion des cabinets mutualisés. Dans sa rédaction actuelle, le décret de 1987 ne prévoit pas le cas d'un cabinet mutualisé entre une commune et un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Cette mutualisation peut pourtant, dans certaines circonstances et selon les volontés politiques locales, présenter un intérêt certain et contribuer à l'efficacité de l'action publique locale. La mission invite donc le pouvoir réglementaire à assouplir le décret de 1987, en permettant notamment un cumul des deux plafonds d'emplois, étant précisé qu'il appartiendrait naturellement à la commune et à son EPCI de définir, par convention, les règles de fonctionnement ainsi que la répartition des postes de cabinet entre ladite commune et cet EPCI.

Pour conclure, nous espérons que le présent rapport fera mieux connaître « la grandeur et les servitudes » du métier de collaborateur de cabinet, alors que les règles applicables sont aujourd'hui disséminées dans des textes épars et certaines décisions du Conseil d'État. Nous avons souhaité, par nos recommandations, clarifier et sécuriser le rôle, essentiel, des collaborateurs de cabinet, avec un objectif constant, cher à la délégation et à sa présidente : garantir l'efficacité de l'action publique locale.

Mme Ghislaine Senée. - Tout a été dit ! C'est un vrai sujet. Élue dans la région Île-de-France, j'ai vu combien il était difficile, pour les vice-présidents, d'exercer leurs missions sans collaborateurs de cabinet, quelle que soit la couleur de la majorité dirigeant la région. Il faut absolument redéfinir de manière très claire ce qu'est un collaborateur de cabinet et apporter des précisions sur les liens fonctionnels.

M. Grégory Blanc. - Oui, ce travail est salutaire, et la presse s'en fait déjà l'écho. Les collaborateurs de cabinet seront très attentifs à vos conclusions. La question qui fait débat aujourd'hui, c'est la collaboration politique de ces personnels, mais pas seulement dans les collectivités territoriales. C'est aussi un sujet pour les parlementaires, malgré quelques avancées récentes. Pour les collaborateurs de groupe et les collaborateurs d'élus dans les collectivités territoriales, des questions demeurent. J'y ai été confronté et cela a donné lieu à des échanges parfois homériques - tout dépend aussi de la personnalité du chef de l'exécutif, qui peut avoir une pratique assez souple vis-à-vis de ses propres collaborateurs de cabinet, et plus rigide avec ceux de son opposition.

Le rapport des collaborateurs au statut, l'autorité du DGS ou de la direction des ressources humaines (DRH), la question des horaires, celle de l'organisation, sont autant de questions sur lesquelles nous pouvons nous retrouver, quelles que soient nos sensibilités politiques, comme nous l'avons fait lors des débats sur le statut de l'élu. Nous devons clarifier ce qui relève de la rémunération, des missions : les élus aussi ont besoin d'être accompagnés, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition, et il est important de le faire reconnaître. Dans l'organisation globale des pouvoirs, il est normal qu'il y ait des collaborateurs pour la majorité, pour l'exécutif - c'est tout à fait légitime et nécessaire -, mais il en faut aussi pour les autres groupes politiques, afin qu'ils puissent mener à bien leur mission.

Mme Agnès Canayer. - Bravo pour cet excellent rapport, qui était attendu, car il y a aujourd'hui une véritable crainte dans les cabinets des collectivités territoriales, notamment dans les grandes villes. Le rôle de ces collaborateurs est souvent méconnu ; on les prend pour les hommes de main des élus, parce qu'on ne sait pas forcément ce qu'ils font. Ce n'est pas très valorisant pour ces fonctions, qui sont pourtant essentielles, car elles font le lien avec l'administration. Le cabinet est au coeur du système, ce qui garantit que l'administration reste, elle, indépendante.

Il est important de sécuriser les choses, notamment vis-à-vis de la justice. Les juridictions administratives, et même les magistrats de l'ordre judiciaire, n'ont pas vraiment connaissance de ce qu'est un cabinet, ni même de ce que font les élus. Dans mon département, un magistrat a demandé à une maire quel était son métier, ce qui prouve bien sa méconnaissance de ce rôle ! Il n'en est que plus important de clarifier la situation et d'éviter la porosité entre ces fonctions de cabinet et celles, administratives, des fonctionnaires des collectivités territoriales.

Vous ne proposez pas de changer le nombre des collaborateurs du cabinet, mais plutôt de définir clairement quelles sont leurs fonctions, tout en laissant la main aux collectivités territoriales. Je pense que c'est une bonne solution, et que ce rapport soit la bonne voie.

Mme Muriel Jourda. - Merci pour ce travail intéressant de mise au clair. Membre de la commission des lois, j'ai réfléchi au rôle des délégations et des commissions, qui est toujours très discuté. Dans les recommandations que vous formulez, on trouve des termes familiers, qui nous plaisent à tous, comme « remédier » ou « sécuriser ». Mais vous allez jusqu'à écrire : « consacrer dans la loi ». La délégation est-elle bien dans son rôle ?

Sur le fond, j'avoue que je n'avais pas idée des difficultés que vous rapportez, parce que j'ai toujours considéré les collaborateurs du cabinet comme des hologrammes de l'autorité politique, plus ou moins marqués selon la volonté de celle-ci.

Peut-être y a-t-il une méconnaissance par certaines CRC d'un certain nombre de réalités, mais il me semble que tout le monde sait parfaitement ce qu'est un collaborateur du cabinet : la définition que vous en donnez est assez claire, et ne paraît pas poser beaucoup de difficultés. Je ne suis pas sûre qu'il faille aller beaucoup plus loin dans le rôle à donner au collaborateur du cabinet, qui doit, me semble-t-il, rester cet hologramme. Je n'ai jamais entendu de discussion au sein de l'autorité administrative sur le fait que le collaborateur du cabinet exprime la volonté politique. D'ailleurs, la législation n'aurait strictement rien changé quand nous avons une autorité administrative rétive à l'autorité politique elle-même...

Alors, faut-il aller très loin dans la façon dont on va donner du pouvoir formellement, ou faut-il en rester à cette vision partagée des choses, selon laquelle le collaborateur du cabinet est l'hologramme auquel l'autorité politique donnera une coloration plus ou moins forte, mais auquel la puissance administrative devra de toute façon répondre, quoi qu'il arrive ? Ce caractère informel ne me paraît pas choquant ; il me paraît revêtir une certaine souplesse qui est inhérente à la fonction politique.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - Pierre Mendès France a dit : « Toute politique n'est pas sale, toute action n'est pas vaine ». Or il existe une tendance à associer la fonction de collaborateur à quelque chose d'un peu ambigu, douteux, susceptible d'être regardé à la loupe, de peur qu'il s'y rencontre des choses que la logique purement administrative réprouve. Les CRC deviennent tatillonnes, ce qui vient perturber cet « informel » dont Muriel Jourda dit qu'il ne fonctionne pas si mal. Nous sommes dans de l'imparfait, du clair-obscur, et c'est pour cela justement qu'il faut améliorer le dispositif ; on sent en effet que cela commence à coincer...

En ce qui concerne les collaborateurs de groupe et l'intégralité de la fonction politique, on constate une sorte de darwinisme. Si le statut des collaborateurs de cabinet est compliqué, on comprend que c'est encore une fonction noble ; mais si l'on regarde du côté des groupes, on est vraiment dans les arrière-bureaux, c'est presque sulfureux, et pourtant un véritable travail y est effectué. Nous devons faire reconnaître l'utilité de cette chaîne d'aide à la décision et de mise en oeuvre politique voulue par les élus.

En ce qui concerne la deuxième recommandation, il me paraît extrêmement important de préciser comment doit s'organiser concrètement l'autorité fonctionnelle, en la visibilisant et en explicitant ce qu'elle est. La loi permettrait de consacrer le principe d'une autorité fonctionnelle du cabinet mais c'est un arrêté, pris localement, qui organiserait l'exercice de l'autorité fonctionnelle. Cela permettrait de clarifier les choses, et d'informer l'organe délibérant.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Les contours de la mission n'ont pas été aussi larges que ce que je souhaitais initialement. Certes, nous ne voulions pas aborder la question du statut, faute de consensus pour le moment. Nous souhaitions être pragmatiques et régler des problèmes qui nous semblaient urgents.

Ce qui fait l'urgence et l'utilité de cette mission n'est pas uniquement lié au jugement relatif au conseil départemental du Val-de-Marne. En effet, même si elle fait peur à tout le monde, cette décision est quelque peu atypique puisqu'elle ne reflète pas un fonctionnement classique.

Ce qui nous inquiète davantage, ce sont les remontées multiples des CRC, que ce soit via des rapports définitifs, des signalements en application de l'article 40 du code de procédure pénale ou des rapports provisoires. Indépendamment des CRC, nous voyons que nombre de collectivités territoriales réorganisent l'ensemble de leurs services par principe de précaution : quand le cabinet avait une autorité fonctionnelle sur la communication et le protocole, par exemple, elles restituent cette autorité au DGS. La tendance est de supprimer l'autorité exercée par le cabinet sur un certain nombre de fonctions internes de la collectivité, au profit de la fonction administrative. En somme, on est en train de faire disparaître la fonction politique de la collectivité territoriale. Or, derrière la fonction politique du collaborateur de cabinet, il y a celle de l'élu. Se répand l'idée que la politique n'a pas à se mêler d'un certain nombre de sujets...

L'important est donc de convenir d'une définition, sans pour autant entrer dans les détails de la mission, ce qui risquerait de créer du flou. Nous énumérons donc les fonctions exercées autour de l'élu - assister, accompagner, conseiller, représenter, relayer -, et nous y ajoutons les missions menées pour le compte de la collectivité elle-même. Enfin certains estiment que le collaborateur de cabinet est uniquement un collaborateur de l'élu mais pas de la collectivité, laquelle dépendrait uniquement des services. Quand on leur pose la question, ils répondent qu'il est un collaborateur « politique ». Mais, dans une collectivité, qu'est-ce qui n'est pas politique ? La gestion d'une commune, d'un cimetière, d'une école ne serait pas politique ?... Nous savons tous, pour notre part, que l'on ne peut pas être collaborateur de l'élu et se désintéresser de la politique que mène la collectivité, au sens large du terme.

Certains pensent que le rôle du collaborateur est uniquement de faire le lien avec le parti politique, ou lié aux campagnes électorales. Or l'interdiction du cumul des mandats réduit le nombre des campagnes ; d'ailleurs, c'est interdit.

Les CRC comme les juges semblent différencier la communication politique de la communication institutionnelle. Mais quelle communication institutionnelle n'est pas politique ? Ils répondent que l'éditorial du maire dans le journal municipal est politique, car c'est l'expression de l'élu, et que le reste relève de la communication institutionnelle, laquelle doit être produite par l'administration ; si le cabinet s'en mêle, il sort de son rôle. Mais si l'on interdit au cabinet d'intervenir sur ce qui paraît institutionnel, cela signifie que l'on interdit au maire d'intervenir sur ce qui doit relever des services... C'est bien le fond du dossier.

Ce qui différencie une collectivité d'une administration, c'est le politique, c'est la démocratie. Une collectivité n'est pas une administration ! Et le politique, ce n'est pas sale... Nous devons réhabiliter ce rôle politique, ce qui implique de le définir. Même dans l'administration, le rôle du cabinet n'est quelquefois pas clair. Il fallait clarifier les choses.

Nous n'avions pas l'ambition, au départ, de changer la loi. Mais nous avons compris que, pour être efficaces, nos propositions devaient être de niveau législatif. Il faudra donc sans doute déposer une proposition de loi ; nous laisserons naturellement le soin à la commission des lois de l'examiner.

J'aime beaucoup l'image de l'hologramme. Certains parlent de collaborateurs de l'ombre, voire « dans l'ombre » - c'est d'ailleurs le titre d'une mini-série sur le sujet qui sortira bientôt sur France Télévisions. En fait, c'est du « en même temps » ! Depuis 1987, le rôle du cabinet n'est pas clair. Le collaborateur de cabinet est censé relayer la volonté de l'élu, parfois même avant que celui-ci ne prenne une décision... Le collaborateur n'existait pas dans l'organigramme parce qu'il n'était que le reflet, l'hologramme, de la volonté de l'autorité territoriale.

Cela reste vrai, mais l'action des collaborateurs va parfois au-delà. Certains sont chargés de la communication de la collectivité, et dirigent à ce titre des agents. D'autres ont autorité sur le service du protocole ou sur les relations internationales. D'autres encore peuvent transmettre des directives sur la sécurité publique ou la voirie.

Lorsqu'il dirige le service de la communication, le directeur de cabinet devrait avoir une autorité fonctionnelle sur le service. Mais les CRC considéraient que, si un service est dirigé par le cabinet, tous ses postes doivent être requalifiés en postes de cabinet, ce qui « fait sauter » le plafond réglementaire. Elles examinent précisément qui donne les ordres ou assigne les missions, et qui participe au recrutement et à l'évaluation ; avec un tel faisceau d'indices, on ne peut qu'aboutir à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale pour dépassement du plafond....

Nous avons voulu opérer une distinction en reproduisant ce qui existe dans la fonction publique d'État, où les services support emploient des fonctionnaires, et non des collaborateurs politiques, mais concourent à l'action politique du cabinet. Dans un cabinet ministériel, cela concerne les chauffeurs, les services d'intendance, les cuisines, les secrétaires et bien sûr le bureau du cabinet qui rédige les réponses à toutes les personnes qui écrivent au ministre.

Certains redoutent, depuis le jugement « Val-de-Marne », que toutes les secrétaires doivent désormais être considérées comme des collaboratrices de cabinet ! Or ce sont des fonctions support, qui doivent pouvoir être exercées par des agents qui sont des fonctionnaires : ceux-ci peuvent ne pas avoir la même sensibilité politique que l'autorité territoriale, mais ils font ce qu'une autorité fonctionnelle leur demande de faire. Il nous semble normal que le directeur de cabinet puisse donner des consignes à sa secrétaire ou à la secrétaire du maire sans que cela transforme ces dernières en collaboratrices de cabinet... Mais il s'agit bien d'autorité fonctionnelle : elle consiste à diriger les missions du service, mais pas les agents, lesquels relèvent de l'autorité hiérarchique du DGS. Cette clarification et cette séparation nous permettent de sécuriser les fonctionnements actuels.

Selon les textes en vigueur, il n'est pas possible de cumuler un emploi de collaborateur de cabinet et un emploi permanent de la collectivité. Un collaborateur ne peut donc pas être directeur de cabinet et directeur de la communication. Pour notre part, nous disons que l'on peut être directeur de cabinet et avoir une autorité fonctionnelle sur le service de la communication - sur le directeur de la communication ou sur le service -, mais que l'on ne peut pas alors être directeur de la communication. En effet, ce directeur est sous l'autorité du DGS, alors que le collaborateur de cabinet est sous l'autorité de l'autorité politique. Il faut donc une séparation entre les emplois permanents et les emplois de cabinet.

Nous précisons donc la définition, pour que ceux qui devront juger la pertinence de telle ou telle situation puissent s'y référer, et afin de sécuriser les fonctionnements actuels. Ce qui fonctionne bien depuis quarante ans doit continuer à fonctionner. Actuellement, un certain nombre de services du protocole et de secrétaires ont été rapatriés auprès des DGS, et les cabinets perdent de l'attractivité.

Mme Muriel Jourda. - Les décisions prises par les collectivités sont mises en musique par l'administration, mais certaines d'entre elles sont purement politiques. Je ne suis pas choquée par le fait de requalifier intégralement un service de communication en cabinet, car la communication est purement politique et n'est suivie d'aucune mise en oeuvre.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Comment serait-il possible de requalifier trente personnes ?

Mme Muriel Jourda. - Le service communication de ma collectivité ne compte pas trente agents, monsieur le rapporteur. En l'occurrence, ces derniers font tous partie du cabinet, y compris les secrétaires.

J'y insiste, il est des fonctions qui sont purement politiques. Or vous attribuez une autorité fonctionnelle sur des agents qui ne devraient pas faire partie de l'administration.

Mme Agnès Canayer. - Ma ville possède un service de communication interne, purement administratif et institutionnel, et un service de communication externe : on peut donc ne pas placer tous ces agents sous l'autorité du cabinet. D'où la nécessité d'adapter les choses en fonction de l'organisation de chaque collectivité.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Comme toujours, il faut de la souplesse et de la différenciation !

M. Cédric Vial, rapporteur. - En application du décret de 1987, le nombre de collaborateurs de cabinet est très faible dans les collectivités : une région de 8 millions d'habitants que je connais bien n'en compte que quinze. Requalifier les agents en collaborateurs ferait exploser les seuils, sauf à supprimer ces derniers, comme c'est le cas à la mairie de Paris. À Paris, justement, les 425 agents que je mentionnais tout à l'heure sont uniquement des collaborateurs politiques ; les membres du service communication sont à part.

Le fait de conférer une autorité fonctionnelle sur le service communication n'est pas obligatoire, c'est un simple choix. Quant aux agents du service, ils sont seulement fonctionnaires et doivent concourir à mettre en oeuvre l'action définie par la collectivité, que cela leur plaise ou non. Il en va de même des secrétaires. Ainsi, ces individus n'ont pas vocation à devenir des collaborateurs.

Une jurisprudence du Conseil d'État appliquée en Polynésie française précise que les secrétaires n'ont pas à être requalifiés en collaborateurs de cabinet. Toutefois, elle ne s'appuie sur rien. Dès lors que le maire ou le directeur de cabinet recrutent et évaluent directement le secrétaire, et que les consignes ne sont pas émises par le DGS, nous considérons que le secrétaire peut être requalifié en collaborateur.

Le code général des collectivités territoriales (CGCT) précise que l'autorité fonctionnelle ne vaut que pour deux types d'agents locaux : d'une part, les directeurs d'école, dont la fonction a été créée il y a trois ans ; d'autre part, les adjoints des directeurs des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), depuis l'adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS ».

L'autorité fonctionnelle existe aussi au sein de la fonction publique d'État et de la fonction publique hospitalière. Par exemple, le directeur d'un service de cardiologie exerce une autorité fonctionnelle sur ses agents, tandis que le directeur de l'hôpital exerce une autorité hiérarchique. Autre précision : au ministère de l'éducation nationale, les réponses aux questions écrites sont rédigées par des collaborateurs qui relèvent du chef de cabinet et exercent de simples fonctions de support aux décisions politiques.

La présente mission d'information a pour objet de définir ce qu'est un collaborateur de cabinet en fonction de son statut et de ses missions, sans remettre en cause le principe de libre administration des collectivités locales.

L'autorité fonctionnelle doit-elle être exclue pour certains services, tels que la police municipale, les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les services d'urbanisme ? Une telle décision relève du maire, lequel en rend compte devant le conseil municipal. Le cabinet ne doit pas se substituer au DGS, mais certains services peuvent lui être rattachés, sans le mettre en danger juridiquement ou politiquement.

En outre, nous souhaitons permettre aux directeurs de cabinet, en plus de leur rôle d'hologramme ou de courroie de transmission entre les services et les collectivités territoriales, de donner des consignes. Voilà pourquoi nous recourons au concept d'autorité fonctionnelle, dans des cas bien déterminés. L'autorité fonctionnelle est largement attendue par tous ceux que nous avons entendus dans le cadre de nos travaux, à l'exception du syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT).

M. Jérôme Durain, rapporteur. - La suggestion de notre collègue Muriel Jourda de requalifier les membres du service communication en collaborateurs se heurte à un problème de plafond.

Je veux insister sur le principe de neutralité politique. Un chauffeur placé sous l'autorité du chef de cabinet exerce une fonction purement administrative. Il n'y a donc aucun intérêt à le requalifier en membre du cabinet, contrairement aux secrétaires, qui ont des fonctions plus ambiguës.

Enfin, est-il nécessaire de légiférer sur ce sujet ? Les associations d'élus locaux nous demandent cette clarification. Il nous reste donc à fixer le cap politique et à préparer un texte, qu'il appartiendra ensuite à la commission des lois de préciser.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose d'adopter ce rapport et d'en autoriser la publication.

Les recommandations sont adoptées.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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