N° 763

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la coopération
et l'intégration régionales des outre-mer
volet 1 :
bassin océan Indien,

Par MM. Christian CAMBON, Stéphane DEMILLY
et Georges PATIENT,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Micheline Jacques, président ; Mmes Audrey Bélim, Jocelyne Guidez, M. Victorin Lurel, Mme Viviane Malet, M. Akli Mellouli, Mmes Annick Petrus, Marie-Laure Phinéra-Horth, M. Teva Rohfritsch, Mme Lana Tetuanui, MM. Pierre-Jean Verzelen, Robert Wienie Xowie, vice-présidents ; M. Frédéric Buval, Mmes Vivette Lopez, Solanges Nadille, M. Georges Naturel, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Viviane Artigalas, MM. Philippe Bas, Christian Cambon, Mme Agnès Canayer, M. Guillaume Chevrollier, Mmes Catherine Conconne, Evelyne Corbière Naminzo, MM. Mathieu Darnaud, Stéphane Demilly, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Stéphane Fouassin, Éric Jeansannetas, Mikaele Kulimoetoke, Antoine Lefèvre, Jean-François Longeot, Thani Mohamed Soilihi, Saïd Omar Oili, Georges Patient, Jean-Gérard Paumier, Mmes Évelyne Perrot, Sophie Primas, MM. Rachid Temal, Dominique Théophile.

L'ESSENTIEL

Le constat est ancien et documenté : les outre-mer sont devenus « étrangers à leur géographie » pour reprendre la formule de Serge Letchimy. En cause : des relations historiques et des liens économiques avec la « métropole » hérités de la période coloniale et encore très prégnants.

Pour rééquilibrer cet état de fait aux effets pervers régulièrement pointés, une politique de coopération régionale, animée par les territoires et l'État et menée avec le soutien de l'Union européenne, s'est développée depuis plus de trente ans. Cette politique s'appuie sur l'idée d'un intérêt mutuel :

Ø pour les territoires, elle est censée favoriser leur développement endogène et réduire les effets induits de l'éloignement géographique ;

Ø pour la France et l'Union européenne, des outre-mer bien insérés peuvent participer à l'accroissement de leur influence et de leur rayonnement.

2019

Lancement de la stratégie « Trois Océans » de l'AFD

2035 ?

Organisation des Jeux des îles par Mayotte

2016

Loi « Letchimy »

2020

Adhésion de la France à l'IORA

La coopération régionale dans l'océan Indien en quelques dates

Abordant dans ce premier volet la situation des outre-mer français du bassin Indien - Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) -, la délégation sénatoriale aux outre-mer observe qu'au lieu d'être un catalyseur de leur intégration, la coopération régionale apparaît actuellement plutôt comme un substitut. Les flux d'échanges, notamment commerciaux, peinent à se développer et à produire les effets attendus sur les économies concernées. Comment dès lors briser ce « plafond de verre » ?

L'ensemble des acteurs auditionnés ou rencontrés sur place par la délégation considère que l'intégration régionale n'est plus une option mais une absolue nécessité. Des opportunités considérables s'ouvrent et doivent être saisies. Cet objectif figure d'ailleurs parmi les priorités du dernier Comité interministériel des outre-mer (CIOM 2023). Mais quels en sont les perspectives concrètes et les obstacles à lever ?

A. LES OUTRE-MER DE L'OCÉAN INDIEN, UN RÉANCRAGE DIFFICILE MAIS INDISPENSABLE

Le bassin océan Indien offre de nombreuses opportunités régionales. Mayotte est situé au coeur du Canal du Mozambique. La Réunion dispose d'une population nombreuse et qualifiée et d'infrastructures modernes. Les Terres australes et antarctiques (TAAF), inhabitées, constituent un réservoir de biodiversité et de ressources marines exceptionnels. Les financements disponibles pour la coopération régionale augmentent régulièrement. Les îles du sud-ouest de l'océan Indien forment un espace francophone unique avec des liens scientifiques, culturels, diasporiques et linguistiques forts.

Des territoires au coeur de routes commerciales stratégiques : 30 % des flux mondiaux d'hydrocarbure

Le bassin ultramarin le plus peuplé : 1,2 million de Français

1/4 de la ZEE française (2,8 millions de km2), en incluant les TAAF 

La Commission de l'océan Indien (COI), une organisation régionale qui monte en puissance

Des financements en hausse.

Fonds Interreg : 73 M€ pour 2021-2027

Stratégie « Trois océans » de l'AFD

Principaux marchés fournisseurs du bassin océan Indien entre 2017 et 2022 (source IEDOM)

Les rapporteurs au port de Mayotte

Pourtant, l'insertion régionale économique ne décolle pas. Mayotte et La Réunion demeurent coincées dans un « couloir économique » les reliant à l'Hexagone et l'Europe. La connectivité aérienne est mauvaise.

L'océan Indien est aussi le seul bassin où la souveraineté française sur plusieurs territoires est contestée :

· Mayotte par les Comores, avec pour conséquence un isolement régional paralysant et humiliant (non-participation à la COI, coopération compliquée avec tous les États partenaires) ;

· l'île Tromelin par Maurice ;

· les Îles Éparses par Madagascar.

L'obstacle normatif : Mayotte et La Réunion sont deux régions ultrapériphériques de l'Union européenne (RUP). Une force, mais aussi un inconvénient : ces territoires sont des enclaves de droit européen et les accords commerciaux européens sont souvent conclus au détriment des intérêts des RUP.

Des écarts de richesse parmi les plus élevés dans le monde.

PIB/habitant : Mayotte/Madagascar un facteur 20 ; La Réunion/Maurice du simple au double. S'insérer oui, mais pour échanger quoi et avec quels leviers ?

B. DONNER LA PRIORITÉ À L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ET DIPLOMATIQUE RÉGIONALE

Le rapport formule 20 propositions articulées autour de 4 axes principaux pour réorienter en profondeur les relations des outre-mer vers leur environnement proche.

1. Faire des territoires les chefs de file de leur insertion économique

L'insertion économique doit être la priorité pour créer de la richesse et baisser le coût de la vie en s'approvisionnant localement. En 2023, le CIOM a posé des jalons avec des stratégies commerciales par bassin. Mais l'État doit accepter de laisser la main aux territoires en leur qualité de chef de file du développement économique.

Le Schéma régional de développement économique, d'internationalisation et d'innovation (SRDEII), élaboré par l'autorité régionale, doit être le document stratégique de référence à décliner par les acteurs du développement économique.

Affirmer le rôle de chef de file du département de Mayotte et de la région Réunion en matière de coopération et d'insertion économique, et faire du SRDEII le document maître d'une stratégie économique à l'échelle du bassin.

Renforcer la connectivité maritime de Mayotte :

- en modernisant les infrastructures portuaires de Mayotte et engageant prioritairement la construction d'un poste frontalier communautaire (PCF) ;

- en expérimentant, en cas de carence de l'offre privée de transport maritime de marchandises, des lignes régionales de cabotage sous DSP, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

Stimuler la mobilité régionale :

- en réexaminant la politique des visas avec chaque pays de la région ;

- en diversifiant les pays de provenance des touristes ;

- en soutenant un programme « Erasmus » régional.

2. Construire une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu)

L'Union européenne est dans une situation comparable à celle de la France. Elle n'a pas tiré toutes les conséquences de la présence de territoires de l'Union au coeur de l'océan Indien.

Par analogie avec la politique européenne de voisinage (PEV) qui se décline à travers le partenariat oriental et l'Union pour la Méditerranée, une PEV ultrapériphérique (PEVu) est à bâtir. La question des normes doit aussi être prise à bras le corps avec l'engagement de proposer un « paquet RUP » pour débloquer les verrous actuels.

Défendre, à l'occasion du renouvellement du Parlement européen et de la mise en place de la nouvelle Commission européenne, la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins les plus proches des RUP.

Faire inscrire dans le prochain programme de travail de la Commission européenne l'adoption d'un « paquet RUP » pour lever les obstacles législatifs à leur insertion régionale et lutter contre la vie chère, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie.

3. Assumer une diplomatie française des outre-mer

Malgré de vrais progrès, la diplomatie française n'a pas encore achevé sa révolution copernicienne pour décentrer la conception et la conduite de son action extérieure autour et avec nos outre-mer.

C'est en particulier le cas pour La Réunion et Mayotte qui fondent la légitimité de la politique étrangère de la France dans le sud-ouest de l'océan Indien et qui ne sauraient être de simples points d'appui.

Organiser régulièrement des « Assises de la diplomatie des outre-mer », en présence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, conjointement aux Assises de la diplomatie parlementaire.

Créer une « Direction de la coopération régionale outre-mer » regroupant les trois ambassadeurs délégués et renforcer significativement leurs équipes.

Faire de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI) l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale.

Approuver d'ici un an avec Mayotte et La Réunion des programmes-cadres de coopération régionale, conformément à la loi « Letchimy », et donner mandat aux autorités de La Réunion pour représenter la France auprès de la COI.

4. Asseoir la souveraineté française à Mayotte

La zone sud-ouest de l'océan Indien n'est plus à la périphérie des enjeux du monde. Le jeu des puissances s'y déploie, des menaces et des risques s'y accumulent (narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, immigration illégale...). La présence de la France reste contestée, en particulier à Mayotte, et cette fragilité est instrumentalisée. La France doit réaffirmer sa place et sa légitimité historique dans cet espace géostratégique.

Affirmer l'objectif de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France et déployer une stratégie pérenne :

- en associant systématiquement les responsables mahorais ;

- en faisant de l'insertion économique régionale de Mayotte son principal levier ;

- en s'appuyant sur le projet de « rideau de fer » autour de Mayotte pour éteindre le chantage migratoire en provenance des Comores.

Conforter le rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité de la France dans la région :

- en faisant du projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien une priorité ;

- en concluant avec les États de la région des accords de coopération judiciaire et policière et des accords de réadmission ;

- en créant un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

I. ASSUMER UNE DIPLOMATIE FRANÇAISE DES OUTRE-MER

1. Organiser des « Assises de la diplomatie des outre-mer », en présence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, conjointement aux Assises de la diplomatie parlementaire.

2. Créer une « Direction de la coopération régionale outre-mer » regroupant les trois ambassadeurs délégués et renforcer significativement leurs équipes.

3. Faire de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI) l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale.

4. Approuver d'ici un an avec Mayotte et La Réunion des programmes-cadres de coopération régionale, conformément à la loi « Letchimy », et donner mandat aux autorités de La Réunion pour représenter la France auprès de la COI.

5. Arrêter pour chaque ambassade de France dans la région océan Indien une feuille de route pluriannuelle pour densifier les liens avec Mayotte et La Réunion, en accord avec la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI).

6. Pivoter les stratégies des opérateurs de l'État présents dans l'océan Indien, notamment les établissements d'enseignement et le réseau culturel français, vers le développement de coopérations avec La Réunion et Mayotte.

II. CONSTRUIRE UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE ULTRAPÉRIPHÉRIQUE (PEVU)

7. Défendre, à l'occasion du renouvellement du Parlement européen et de la mise en place de la nouvelle Commission européenne, la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins les plus proches des RUP.

8. Faire inscrire dans le prochain programme de travail de la Commission européenne l'adoption d'un « paquet RUP » pour lever les obstacles législatifs à leur insertion régionale et lutter contre la vie chère, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie.

9. Faciliter radicalement les cofinancements NDICI et Feder pour mieux orienter les crédits européens vers les projets de coopération régionale, dans le cadre d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu).

10. Pour que les RUP cessent de subir les accords commerciaux de l'Union européenne avec des pays tiers :

- rendre obligatoires les études d'impact des projets d'accords commerciaux sur les RUP, en les y associant dès l'ouverture des négociations ;

- organiser au moins deux fois par an une réunion de suivi entre les autorités des RUP, des représentants des filières économiques, l'État et la Commission européenne à haut-niveau.

11. À partir du bilan du programme opérationnel 2021-2027, poursuivre la simplification de la gestion des fonds Interreg et rétablir la possibilité pour les TAAF de bénéficier de ces financements.

12. Associer systématiquement la DGOM à la négociation des accords de coopération et des accords commerciaux européens

III. FAIRE DES TERRITOIRES LES CHEFS DE FILE DE LEUR INSERTION ÉCONOMIQUE

13. Affirmer le rôle de chef de file du département de Mayotte et de la région Réunion en matière de coopération et d'insertion économique, et faire du SRDEII le document maître d'une stratégie économique à l'échelle du bassin.

14. Rapprocher le réseau de la coopération régionale des collectivités de celui de l'État en nommant des représentants de La Réunion et Mayotte :

- dans l'équipe entourant l'ambassadeur délégué ;

- au sein des ambassades de France dans les principaux États partenaires de la région.

15. Renforcer la connectivité maritime de Mayotte :

- en modernisant les infrastructures portuaires de Mayotte et en engageant prioritairement la construction d'un poste frontalier communautaire (PCF) ;

- en expérimentant, en cas de carence de l'offre privée de transport maritime de marchandises, des lignes régionales de cabotage sous DSP, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

16. Stimuler la mobilité régionale :

- en réexaminant la politique des visas avec chaque pays de la région ;

- en diversifiant les pays de provenance des touristes ;

- en soutenant un programme « Erasmus » régional.

17. Mieux mobiliser les outils financiers de l'AFD :

- en créant un mécanisme financier adapté aux projets de coopération régionale outre-mer qui mixerait des crédits des programmes budgétaires 123 (outre-mer) et 209 (aide au développement) ;

- en inscrivant dans les priorités stratégiques de sa filiale Proparco le soutien aux initiatives privées à dimension régionale pouvant bénéficier aux outre-mer.

IV. ASSEOIR LA SOUVERAINETÉ FRANÇAISE À MAYOTTE

18. Conforter le rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité de la France dans la région :

- en faisant du projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien une priorité ;

- en concluant avec tous les États de la région des accords de coopération judiciaire et policière et des accords de réadmission ;

- en créant un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien.

19. Affirmer l'objectif de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France et déployer une stratégie pérenne :

- en associant systématiquement les responsables mahorais ;

- en faisant de l'insertion économique régionale de Mayotte son principal levier ;

- en s'appuyant sur le projet de « rideau de fer » autour de Mayotte pour éteindre le chantage migratoire en provenance des Comores.

20. Maintenir et renforcer le soutien à la francophonie dans l'espace francophone singulier du sud-ouest de l'océan Indien.

AVANT PROPOS

Le constat est ancien et documenté : les outre-mer français sont faiblement insérés dans leur environnement régional. Pour reprendre la formule de Serge Letchimy, président du conseil exécutif de Martinique et initiateur de la loi éponyme du 5 mars 20161(*), les outre-mer sont « étrangers à leur géographie ». En cause : des relations historiques et des liens économiques avec la « métropole » encore hérités de la période coloniale. L'utilisation de ce terme, plutôt que celui d'Hexagone, est à dessein car c'est bien la relation de dépendance par rapport à un centre qui est ici critiquée.

Cet état de fait, objectivé par des données claires, est de plus en plus considéré comme un frein au développement économique et une des causes de la cherté de la vie. Il peut aussi étouffer le rayonnement culturel, universitaire ou scientifique des territoires ultramarins dans leurs bassins de vie.

Pour sortir ces territoires du « couloir économique » - mais pas que - qui les relie à l'Hexagone, une politique de coopération régionale a été développée depuis plus de trente ans.

La coopération régionale présente un intérêt réciproque :

- du point de vue des territoires, elle est censée favoriser leur insertion régionale et leur développement endogène dans le respect de leur identité ;

- du point de vue de la France, des outre-mer bien insérés participent à l'accroissement de son influence et de son rayonnement. Il en va de même pour l'Union européenne, à travers les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

La conception de territoires ultramarins perçus comme les simples relais ou porte-avions de la puissance française est dépassée. Il faut inverser la logique. Les intérêts propres des territoires au sein de leur géographie doivent prévaloir et leur rayonnement bénéficiera naturellement en retour au renforcement de l'influence française.

La coopération doit aussi être un facteur de stabilisation et de sécurité. De plus en plus, les outre-mer sont exposés à des risques environnementaux, mais aussi à des risques géostratégiques. Dans le jeu des relations internationales, ces territoires peuvent être la cible de tentatives de déstabilisation et de jeux d'influences. Les enjeux de police et de sécurité sont aussi croissants face à des réseaux criminels puissants.

Pourtant, le sentiment général reste celui d'une politique de coopération régionale qui peine à produire des résultats concrets et à enclencher des dynamiques propres. Un foisonnement d'initiatives, d'acteurs, de financements, de priorités ne suffit pas à faire une politique efficace. Sous de multiples vocables - coopération régionale/coopération décentralisée/ action internationale ou extérieure des collectivités -, de nombreux acteurs s'engagent sans toujours se coordonner ou se concerter.

Là où la coopération régionale devrait être un catalyseur de l'insertion régionale des outre-mer, elle apparaît plutôt comme un substitut.

Ce tableau sévère ne saurait pour autant conduire les territoires, l'État, l'Union européenne et les acteurs socio-économiques à relâcher leurs efforts, ni à les disqualifier. Des progrès réels ont été accomplis ces dernières années. En revanche, il invite à interroger la manière dont sont conduites ces politiques et les mécanismes bloquants à l'oeuvre.

L'objet de ce rapport n'est pas d'ériger l'intégration régionale en panacée. Au demeurant, l'objectif d'insertion régionale paraît plus réaliste et conforme aux intérêts des territoires eux-mêmes. L'idée d'intégration renvoie notamment à l'intégration européenne, qui ne peut être un modèle pertinent pour imaginer les relations des outre-mer avec leur environnement régional. L'intégration économique régionale des outre-mer présenterait des risques, notamment face à la concurrence de pays ayant des coûts très bas et des normes moins exigeantes. Enfin, la question se pose de savoir si l'atout de l'appartenance à l'Union européenne, en particulier pour les régions ultrapériphériques (RUP), en est toujours un, hormis l'accès à des financements européens importants.

Pour dresser un état des lieux, évaluer les politiques conduites et faire des recommandations, la délégation a décidé de privilégier une étude par bassin océanique. Certes, des enjeux transversaux existent. Mais les spécificités de chaque bassin - voire de chaque territoire au sein d'un bassin - requièrent une approche moins générale. La coopération régionale ne peut produire des résultats que si elle s'appuie sur les atouts et les caractéristiques de chaque territoire.

À cette fin, la délégation a désigné Christian Cambon, ancien président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en qualité de rapporteur coordonnateur, ainsi que trois binômes de rapporteurs, soit un binôme par bassin :

- pour le bassin Indien : Georges Patient, sénateur de la Guyane et Stéphane Demilly, sénateur de la Somme ;

- pour le bassin Atlantique : Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise ;

- pour le bassin Pacifique : Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion et Rachid Temal, sénateur du Val-d'Oise.

La délégation a décidé de démarrer le premier volet de son étude par le bassin de l'océan Indien. Quatorze auditions en réunion plénière, une audition en format rapporteurs et des déplacements à Marseille, Mayotte, La Réunion et Maurice ont nourri les travaux.

Par rapport aux autres bassins, l'océan Indien présente des singularités :

- plusieurs contestations de la souveraineté française : les Comores sur Mayotte, mais aussi Maurice sur l'île Tromelin et Madagascar sur les îles Éparses ;

- des territoires situés sur des routes maritimes stratégiques pour le commerce mondial ;

- près d'1,3 million de ressortissants français, ce qui en fait le bassin ultramarin le plus peuplé, et un quart de la ZEE française ;

- deux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution qui sont aussi deux régions ultrapériphériques de l'Union européenne : La Réunion et Mayotte ;

- La Réunion et Mayotte sont deux collectivités très différentes par l'histoire, le développement économique, le positionnement géostratégique ;

- une collectivité inhabitée régie par l'article 74 de la Constitution et qui est aussi un PTOM (les Terres australes et antarctiques françaises) ;

- des écarts de richesse et d'indice de développement humain parmi les plus élevés dans le monde ;

- un espace régional largement francophone et structuré par une organisation régionale ancienne, la Commission de l'océan Indien (COI).

Ces quelques singularités, non exhaustives, justifient une étude par bassin, qui n'est pas exclusive de toute conclusion transversale.

Le choix a été fait de concentrer l'analyse sur les enjeux les plus importants pour ce bassin, compte tenu de ses singularités :

- la dimension économique de l'insertion régionale et les opportunités de lutte contre la vie chère ;

- la dimension européenne, et incidemment celle des normes ;

- les enjeux de souveraineté et de sécurité, dans le contexte Indopacifique et de contestations territoriales.

Les prochains volets sur les bassins Atlantique et Pacifique pourront se concentrer sur d'autres enjeux, notamment culturels, environnementaux ou scientifiques.

Les rapporteurs formulent vingt propositions articulées autour de quatre objectifs pour que La Réunion et Mayotte cessent d'être « étrangers à leur géographie » et s'y réenracinent.

I. L'INTÉGRATION RÉGIONALE DE MAYOTTE ET DE LA RÉUNION : UNE RÉALITÉ TOUJOURS FRAGILE MALGRÉ LES EFFORTS DE COOPÉRATION

A. LEVIER D'INSERTION LONGTEMPS NÉGLIGÉ, LA COOPÉRATION RÉGIONALE DANS LE BASSIN OCÉAN INDIEN CONNAÎT UN NOUVEL ÉLAN

1. D'un discours convenu à une véritable prise de conscience

Si la coopération régionale a progressé lentement, sans connaître de saut qualitatif ou quantitatif majeur jusqu'au début des années 2010, elle semble connaître un nouvel élan depuis une dizaine d'années.

a) De lents progrès en 30 ans

Depuis les années 80 et les premiers textes reconnaissant aux DROM une compétence pour développer des actions extérieures en complément de la politique étrangère de l'État, la coopération régionale comme levier d'une indispensable intégration régionale est un discours constant, presque mécanique, qui peine à se traduire en résultats probants.

Dans le bassin océan Indien, et plus particulièrement sa partie sud-ouest où se situent Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), ce constat est encore plus vrai. Hormis la Commission de l'océan Indien (COI), peu d'organisations régionales internationales structurent une architecture de la coopération dans cette région du monde.

Par ailleurs, si la France est membre de la COI, qu'elle a rejointe dès 1986 au titre de La Réunion, elle ne l'est pas au titre de Mayotte.

Ajoutons enfin, qu'à la différence des outre-mer français des Antilles ou du Pacifique, ceux du bassin océan Indien ne sont membres d'aucune organisation régionale en leur nom propre ou en qualité de membre associé ou d'observateur. La Réunion ne s'impose pas politiquement comme un acteur régional avec la même force que la Guadeloupe, la Martinique, la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie. Mayotte encore moins.

Cette attitude de La Réunion et Mayotte, moins marquée par une volonté d'affirmation de leur identité propre que les autres outre-mer français, reflète un positionnement institutionnel général, très attaché à la départementalisation et réticent à l'égard des revendications autonomistes ou différentialistes.

La France est aussi devenue en 2020 membre de l'Indian Ocean Rim Association (IORA) au titre de La Réunion, 19 ans après être devenue un partenaire de dialogue. Mais cette organisation est plus un espace de discussion qu'une organisation avec une feuille de route opérationnelle.

Ni la France, ni La Réunion, ni Mayotte ne sont en revanche membres ou observateurs de l'autre organisation régionale importante, la Communauté de développement de l'Afrique Australe (CDAA ou SADC pour Southern African Development Community).

Le bassin océan Indien se singularise également par la persistance de contestations de la souveraineté française sur plusieurs de ses territoires ultramarins : Mayotte par les Comores, Tromelin par Maurice et les îles Éparses par Madagascar. Ces contestations ont peu ou pas évolué depuis 30 ans, malgré les efforts de la coopération. Elles en sont un frein.

Il faut aussi relever une relative faiblesse de la coopération décentralisée de droit commun, de la part des collectivités ultramarines françaises. Mayotte et La Réunion n'échappent pas à cette réalité. Les outre-mer ne se distinguent pas particulièrement par rapport à leurs homologues hexagonales, alors que leur positionnement géographique devrait les y conduire.

Selon Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT)2(*), ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAF), « même si la priorité ultramarine est réaffirmée à chaque réunion plénière de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), c'est avec ces collectivités que nous avons le plus de difficultés à soutenir des projets de coopération décentralisée. Nous n'avons pas d'action spécifique qu'il faudrait peut-être développer comme le fait l'Agence Française de Développement (AFD). Nous avons conscience de l'enjeu mais je dois reconnaître que nous n'en avons sans doute pas fait suffisamment. Il y a une forte appétence pour la coopération décentralisée des élus ultramarins mais peu de résultats concrets ».

On notera toutefois que La Réunion est de loin l'outre-mer le plus actif avec 1283(*) actions de coopération décentralisée recensée depuis 1977 et environ 2 à 5 projets nouveaux chaque année depuis 10 ans. Ses actions sont très diverses et se concentrent sur les membres de la COI, y compris les Comores. L'Afrique de l'Est et australe est aussi une région privilégiée.

Mayotte en revanche est très peu active. La commune de Mamoudzou avait engagé quelques projets avec les Comores, mais ils ont été annulés du fait du contentieux territorial. Des jumelages et accords-cadres avec plusieurs communes de Madagascar ont été signés. Mais les suites opérationnelles sont modestes.

Enfin, malgré la tenue régulière des conférences de coopération régionale océan Indien sous l'égide de l'État, les élus réunionnais, mais aussi mahorais, revendiquent plus de responsabilités dans ces matières, reprochant régulièrement à l'État, malgré ses engagements, de ne pas les associer réellement à la définition des priorités stratégiques de la France dans la région. Les consultations par l'État ou participations à ses côtés à des rencontres internationales sont encore trop perçues comme des initiatives de façade. Ce fut le cas pour la définition de la stratégie Indopacifique de la France. Ce le fut aussi à la suite de la feuille de route France-Comores issue du Haut Conseil paritaire bilatéral du 12 septembre 2017, annoncée sans que les élus de Mayotte en aient été informés.

Si l'on compare le bassin Indien aux bassins Atlantique et Pacifique, les progrès de la coopération régionale ont été plus timides et lents dans le premier.

Par ailleurs, l'action extérieure des collectivités est un travail de Pénélope, avançant ou reculant au gré des gouvernements ou des priorités politiques. La constance manque parfois pour construire des stratégies de long terme, malgré des déclarations politiques parfois emphatiques.

La multiplicité des acteurs de la coopération (État, collectivités, opérateurs divers, chambres consulaires ...) n'est pas compensée par des instances de coordination solides.

b) Face à des chocs exogènes de plus en plus forts, la nécessité impose une coopération renforcée

Depuis plusieurs années, de nouveaux enjeux et risques émergent, dans un monde plus instable, qui rendent urgente une action extérieure régionale démultipliée.

À l'occasion du déplacement à La Réunion, le général Jean-Marc Giraud, commandant supérieur des Forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), a souligné que cette zone « n'était plus à la périphérie des enjeux du monde ». Quatre raisons à cela :

- des contestations territoriales de plus en plus instrumentalisées, notamment par la Russie ;

- une compétition militaire entre les grandes puissances ;

- des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge : plus de 30 % des flux d'hydrocarbures transitent par la région ;

- l'accumulation des menaces et risques (narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, catastrophes naturelles, immigration illégale...).

Ce tableau en clair-obscur complète celui d'Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien au MEAE, qui dépeint une région « profondément marquée par une forte instabilité [...] mais qui dispose également de nombreuses opportunités ». À côté de partenaires comme le Kenya et la Tanzanie, marqués par une politique d'ouverture et un dynamisme économique et avec lesquels la France développe une politique active de coopération, d'autres territoires endurent des guerres civiles, voire des insurrections djihadistes comme au Mozambique. À cette instabilité politique, s'ajoutent des crises sanitaires régulières, la dernière étant l'épidémie de choléra dans plusieurs pays de la région qui a fini par atteindre les côtes mahoraises.

La crise migratoire à Mayotte a atteint des niveaux sans précédent. Au flux traditionnel en provenance des Comores, s'est ajoutée l'arrivée depuis un an environ de nombreux demandeurs d'asile en provenance de l'Afrique continentale et transitant par la Tanzanie, puis les Comores. Mayotte est devenue une porte d'entrée vers l'Union européenne pour ces réseaux, le passage par le Maroc, la Libye ou la Tunisie étant de plus en plus difficile.

L'instabilité et les déséquilibres de la région peuvent aussi être exacerbés par des ingérences. Emmanuelle Blatmann confirme que « les Russes utilisent des méthodes inacceptables - désinformation, diffamation, etc. - aux Comores, à Madagascar et ailleurs. Le Quai d'Orsay a récemment mis en place une structure visant à lutter contre la désinformation et à envisager la riposte à ces attaques méprisables. Nous défendrons la souveraineté française dans nos territoires ultramarins ».

La zone sud-ouest de l'océan Indien est située à la confluence des stratégies Indopacifique et Afrique de la France et « tangente » pour reprendre les termes du général François-Xavier Mabin, le Golfe persique et le Moyen-Orient.

Tous les grands compétiteurs stratégiques sont présents. L'Inde considère cette région comme sa mare nostrum. À titre d'illustration, l'Inde va installer une base militaire sur l'archipel Agaléga appartenant à Maurice et la marine mauricienne est sous le commandement d'un officier supérieur indien. La Chine a aussi renforcé sa présence, notamment dans le cadre de son projet de route de la soie. La Russie a réactivé ses anciennes relations dans la région héritées de la période soviétique. Des accords de défense ont été signés avec plusieurs États africains, dont Madagascar en 2022. Quant aux États-Unis, leur principal point d'ancrage est la base de Diego Garcia, louée par le Royaume-Uni.

Dans ce contexte, les outre-mer français de l'océan Indien sont à la fois, d'une part, une raison d'être de cette stratégie Indopacifique pour y défendre leurs intérêts propres et, d'autre part, des points d'appui et de légitimité indispensable de notre politique étrangère et de défense.

Cette notion de point d'appui est d'ailleurs clef du point de vue militaire et a été défendue dans le cadre de la loi de programmation militaire 2024-2030 du 1er août 2023.

Pour le général François-Xavier Mabin, « La Réunion et Mayotte font figure de bases militaires sûres, car elles sont situées sur le territoire national : ces points d'appui ne sont soumis ni aux potentielles versatilités politiques ni à des menaces directes que pourraient connaître nos forces prépositionnées à Djibouti ou aux Émirats arabes unis (EAU). Ils se trouvent également sur une route maritime majeure qui accueille une part du trafic maritime international plus importante que par le passé en raison des menaces existant en mer Rouge. Cela renforce la position géostratégique de Mayotte et de La Réunion, qui constituent de facto une pièce majeure de notre stratégie Indopacifique. Relativement excentrés, ces deux points d'appui nous fournissent une forme de profondeur stratégique essentielle vis-à-vis de nos compétiteurs majeurs et nous placent à bonne distance des éventuels conflits entre puissances : en cas de conflit ouvert dans le Pacifique, la zone sud de l'océan Indien pourrait assez naturellement procurer des facilités importantes en termes de soutien pour projeter des forces françaises ou alliées. La notion de points d'appui prendrait alors tout son sens pour accueillir, soutenir et régénérer ces forces. Enfin, ces points d'appui nous permettent d'intervenir dans la zone et dans sa périphérie afin de défendre nos intérêts stratégiques et notre souveraineté, de garantir la sécurité de nos ressortissants et d'intervenir au profit de nos partenaires dans la zone ».

Dans ce climat, la coopération régionale est un instrument politique essentiel avec un double objectif : favoriser le développement et le rayonnement des territoires ultramarins français et stabiliser une région en proie à des tensions croissantes.

c) L'affirmation de Mayotte

Outre le contexte régional, un autre élément majeur qui fait bouger les lignes de la coopération dans la région est l'affirmation nouvelle de Mayotte.

La départementalisation de Mayotte depuis le 31 mars 2011 a enclenché un processus de professionnalisation et de structuration de sa politique de coopération régionale. La loi « Letchimy » du 5 décembre 2016 a aligné le cadre législatif de l'action extérieure de Mayotte sur celui des autres DROM. En octobre 2018, l'assemblée départementale a adopté un Cadre stratégique de coopération décentralisée et d'action internationale.

Corollaire de la départementalisation, l'admission de Mayotte au statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne (RUP) le 1er juillet 2014 fait que l'île est désormais partie du territoire de l'Union européenne. Ce changement de statut a également des conséquences importantes pour la coopération régionale. Un programme Interreg dédié a été créé : le programme 2014-2020 Mayotte-Comores-Madagascar suivi du programme 2021-2027 Canal du Mozambique. Du point de vue douanier, Mayotte est devenue une porte d'entrée vers l'UE, au même titre que La Réunion, et l'ensemble de la législation européenne s'y applique.

Enfin, dans ce contexte d'affirmation nationale et européenne, la non reconnaissance de la souveraineté française à Mayotte par les partenaires de la région, en particulier les Comores, et par ricochet de la COI, est de moins en moins tolérée, à la fois par les élus et la population mahoraise.

Ce point de tension, perçu à juste titre par les Mahorais comme une humiliation, pousse les autorités à déployer une nouvelle dynamique de coopération régionale.

Le déplacement à Mayotte et l'audition du président du conseil départemental Ben Issa Ousseni ont montré cette volonté de diversifier les actions de coopération et de rompre avec le face-à-face en forme d'impasse avec les Comores, pour ouvrir l'horizon et tenter d'enjamber la question de la reconnaissance, dans l'attente de sa résolution.

2. Une architecture de la coopération qui se structure progressivement et des initiatives de tous bords
a) Les initiatives de l'État et les annonces du CIOM

Depuis les années 2010, l'État s'efforce d'organiser son action pour permettre le déploiement d'une diplomatie prenant mieux en compte les intérêts propres des outre-mer et laissant une place plus importante aux acteurs du territoire pour conduire leurs initiatives extérieures. Plus important encore, l'État s'efforce de changer son regard et de ne plus percevoir systématiquement les collectivités ultramarines comme des trublions ou au mieux des entités négligeables.

Les premiers instruments de la coopération régionale outre-mer

La prise en compte de l'enjeu particulier de la coopération régionale outre-mer, distincte de la coopération décentralisée ou transfrontalière des collectivités hexagonales, a émergé à la fin des années 1990.

La loi n° 2000-1207 d'orientation pour l'outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000 a constitué un tournant.

Elle a introduit dans le code général des collectivités territoriales une série de dispositions accordant aux départements et régions d'outre-mer des attributions nouvelles.

A été notamment admise la faculté pour ces collectivités de solliciter de l'État l'autorisation de négocier et signer des accords internationaux, au nom de l'État et sous son entier contrôle. Le Conseil constitutionnel a validé le dispositif en rappelant qu'à toutes les étapes de la procédure, l'État demeure libre de retirer les pouvoirs confiés, les collectivités agissant toujours au nom de l'État4(*).

La LOOM a aussi prévu la création de cinq fonds de coopération régionale (FCR) pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte et La Réunion (article L.4433-4-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT)). Les crédits disponibles demeurent néanmoins très modestes (voir infra).

La LOOM a également permis aux DROM de devenir membre associé ou observateur des organisations internationales régionales (article L.4433-4-5 du CGCT).

Enfin, la LOOM a institué la conférence de coopération régionale, qui est une « instance de concertation des politiques de coopération régionale ». Prévue initialement pour la seule zone Antilles-Guyane, une conférence analogue a été créée pour l'océan Indien par la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte. Cette conférence se réunit tous les ans (article L.4433-4-7 du CGCT). Dès 2002, deux ambassadeurs délégués à la coopération régionale - un pour la zone Antilles-Guyane, l'autre pour la zone océan Indien ont été nommés. Ils sont notamment chargés d'organiser cette conférence et, de manière beaucoup plus large, de faciliter la coordination des actions de l'État et des collectivités territoriales et de développer les actions internationales de ces dernières, en cohérence avec les orientations de l'action diplomatique de l'État. Ils sont placés sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) et du ministère chargé des Outre-mer. Leurs locaux sont situés au ministère des Outre-mer à Paris.

La publication en 2017 du Livre blanc « Diplomatie et territoires : pour une action extérieure démultipliée » marquait ce changement de perspectives. Quelques mois plus tôt, l'adoption de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional dite loi « Letchimy » (voir infra), avait déjà largement initié ce mouvement d'ouverture en faveur de l'action extérieure des DROM.

En 2016, sont créés également les postes de conseiller diplomatique auprès des préfets de région (CDPR). Ces conseillers diplomatiques ont vocation à assurer le lien entre les territoires et le réseau à l'étranger, ainsi qu'à traiter l'ensemble des enjeux intéressant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer : du développement international des territoires, notamment économique, à la coopération décentralisée ou transfrontalière, en passant par la circulation des personnes et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Le ministère chargé des Outre-mer a obtenu un renforcement progressif de ce réseau.

Sur 16 postes de CDPR en janvier 2024, quatre sont outre-mer dont deux à La Réunion et Mayotte. Le bassin océan Indien est entièrement couvert à la différence du bassin Atlantique. Par ailleurs, les CDPR à La Réunion et Mayotte sont aussi adjoints de l'Ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien, Jean-Claude Brunet. Enfin, en sa qualité de chef de la mission diplomatique, le CDPR à La Réunion assure également les fonctions d'Officier permanent de liaison (OPL) français auprès de la Commission de l'océan Indien (COI).

Dans le bassin océan Indien, l'architecture de la coopération régionale s'articule donc, côté État, autour de l'ambassadeur délégué à la coopération régionale et des deux CDPR à La Réunion et Mayotte. Les CDPR demeurent naturellement sous l'autorité des préfets. Le préfet des TAAF est également en liaison régulière avec l'ambassadeur et le conseiller diplomatique auprès du préfet de La Réunion. Les ambassadeurs de la zone sont associés au dispositif.

Afin d'animer ce réseau État en liaison avec tous les autres partenaires (collectivités, opérateurs de l'État...), une plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI) a été créée en février 2019 pour faciliter le partage d'information et les retours d'expérience. Cette instance demeure assez informelle. Sa création repose sur une déclaration d'intention. Cela demeure avant tout un échelon technique de dialogue.

Malgré ces initiatives et déclarations, la préparation du Comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 18 juillet 2023 a fait remonter de nombreuses critiques et propositions des territoires, afin que ces derniers soient mieux associés à la définition de la politique extérieure de la France. L'appel de Fort-de-France du 17 mai 2022, qui fut à l'origine de ce nouveau CIOM, pointait notamment l'urgence à « instaurer une nouvelle politique économique fondée sur nos atouts notamment géostratégiques » et, plus largement, à définir « un nouveau cadre permettant la mise en oeuvre de politiques publiques conformes aux réalités (des territoires) ».

Lors de son audition, Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien au MEAE, a rappelé en ouverture de son propos « les travaux de l'État sur l'insertion régionale des outre-mer, récemment illustrés par la tenue du comité interministériel des outre-mer (CIOM), qui a pris des engagements sur l'association des outre-mer à la conduite de notre politique étrangère dans leurs bassins régionaux respectifs ».

Concrètement, plusieurs mesures du CIOM tendent à répondre à cette demande de co-construction :

la mesure 9 : Définir une stratégie, sous six mois, pour développer les échanges commerciaux des territoires de l'océan Atlantique et de l'océan Indien. L'enjeu est d'identifier les freins aux échanges et de mettre en place une stratégie opérationnelle pour fluidifier et diversifier les échanges commerciaux des territoires ultramarins ;

la mesure 54 : Associer les territoires ultramarins à la politique étrangère de la France.

Ces deux mesures, sur lesquelles le Gouvernement a insisté lors de la présentation du CIOM, s'apparentent plutôt à des objectifs, les modalités de leur mise en oeuvre restant à préciser.

Des concertations ou consultations ont été engagées dans les territoires. Concernant le bassin océan Indien, la conférence de coopération océan Indien à Mayotte du 16 au 18 avril 2024 aurait dû donner lieu à l'adoption de ces deux documents stratégiques. La conférence a toutefois été reportée à novembre 2024 en raison de la situation à Mayotte.

b) Des collectivités en pointe dans l'affichage de leurs ambitions régionales

Le conseil départemental de Mayotte ainsi que le département et la région de La Réunion démultiplient leurs annonces et initiatives dans le domaine de la coopération régionale.

L'élément décisif est certainement les programmes Interreg financés par l'Union européenne, gérés par le département de Mayotte et la région Réunion, dont les enveloppes budgétaires ont fortement cru au cours des 20 dernières années (voir infra). Interreg permet à chaque territoire de développer de nombreuses actions de coopération avec les pays de la région et d'entretenir des relations techniques et politiques à haut niveau.

Mayotte souhaite ainsi profiter de cet instrument pour développer sa coopération notamment avec la Tanzanie, les Seychelles, en plus de Madagascar et les Comores (voir infra).

La Réunion a développé ces dernières années le cercle géographique de ses coopérations régionales (conseil régional et conseil départemental). En plus des relations approfondies avec Maurice et Madagascar, notamment, des coopérations se développent avec l'Organisation Internationale de la Francophonie et avec les partenaires africains (Afrique du Sud, Mozambique, Kenya, récemment la Namibie), mais aussi l'Inde, le Sri Lanka, l'Australie, dans des domaines variés : culturels, universitaires, économiques.

Les exécutifs locaux multiplient également les contacts à haut niveau avec les États de la zone. Par exemple, en septembre 2023, le président du département de La Réunion, Cyrille Melchior, s'est rendu en Namibie à l'invitation du président de la République Hage Geingob. En juin 2023, la présidente de la région Réunion, Huguette Bello, rencontrait le président de la République de Madagascar, ainsi que plusieurs membres du Gouvernement. Lors du 38ème Conseil des ministres de la COI, elle faisait partie de la délégation française conduite par Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État auprès du MEAE, chargée du Développement et des Partenariats internationaux de la République française. Pour Mayotte, les rencontres à haut niveau sont plus compliquées en raison de la contestation de la souveraineté française. Mais des rencontres à un niveau technique sont organisées, en particulier avec Madagascar ou la Tanzanie.

De manière plus générale, des représentants de La Réunion (région et département) sont présents dans les délégations ministérielles ou infra-ministérielles pour les réunions de la COI et désormais aussi de l'IORA.

Cette activité régionale est enrichie par les projets de coopération décentralisée portés par les communes. À titre d'exemple, la ville de Saint-Denis a co-signé une lettre d'intention avec la ville de Walvis Bay en Namibie en septembre 2023, pour amorcer des projets dans le domaine éducatif. Ce partenariat fait écho au déplacement précité du président Cyrille Melchior.

Le développement de ces projets de coopération régionale et la gestion des crédits Interreg ont conduit à étoffer et professionnaliser les services administratifs en charge de ce domaine, en particulier à la région et au département de La Réunion et dans une moindre mesure au département de Mayotte.

L'implication de Mayotte et de La Réunion au sein des activités de la COI a également progressé.

Malgré la contestation de la souveraineté française par les Comores, Mayotte participe à certains programmes des deux organisations régionales (en particulier, pour la COI, dans la sécurité et sûreté maritime, ou dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire) à la suite d'un accord de principe obtenu en 2019. Toutefois, le différend territorial empêche pour le moment d'obtenir une participation systématique de Mayotte.

Mayotte, au même titre que La Réunion, participe aux Jeux des îles et à la Commission jeunesse et sports de l'océan Indien (CJSOI), qui organise les Jeux des Jeunes et également des rencontres de jeunes de toutes les îles, y compris avec des événements prévus à Mayotte. Toutefois, les Comores empêchent pour le moment l'utilisation des symboles de la République pour les cérémonies de remises de médailles aux sportifs mahorais.

La Réunion participe avec ses propres capacités à de nombreux projets de la COI : gestion des pêches, santé, sécurité alimentaire, résilience côtière, météorologie, sécurité portuaire, sécurité et sûreté maritimes, etc. Au sein de l'IORA, La Réunion pilote des programmes nouveaux : création d'un centre de ressources virtuel des 23 pays sur le tourisme, direction d'un groupe de coordination sur la biodiversité et l'observation des cétacés. Avec la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) et la sécurité civile, La Réunion sera également impliquée dans les projets de la présidence franco-malgache du groupe de travail IORA sur la gestion des risques naturels. La création d'un PIROI Center à La Réunion, centre de formation et d'excellence à vocation régionale, apportera un potentiel accru de coopération régionale.

Enfin, il faut noter que les collectivités déploient leur réseau de coopération à l'étranger. La région Réunion dispose de trois antennes à Madagascar (depuis 2004), à Maurice et aux Comores. Mayotte, après de premiers essais en 2020 à Madagascar, devrait déployer dans plusieurs pays de la région des agents au sein des ambassades de France. Les collectivités ont aussi recours au volontariat de solidarité internationale (VSI). Aussi bien le département que la région Réunion ont conclu des conventions avec l'antenne de France Volontaires sur financement européen. Elle propose aux jeunes réunionnais diplômés des missions de VSI de 12 mois minimum, dans les pays de la région Afrique australe et océan Indien. En 2022, 21 postes étaient à pourvoir, certains réalisant leurs missions auprès du point focal Interreg.

Le très prometteur accord de partenariat entre le département de Mayotte, le MEAE et le ministère chargé des Outre-mer signé le 11 mars 2024

Le 11 mars dernier, à l'occasion des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, le conseil départemental de Mayotte a signé pour les trois prochaines années une convention inédite de partenariat avec le MEAE et le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. La signature a eu lieu en présence du président du conseil départemental et de deux ministres, dont Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Pour Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, « cette convention recouvre un triple objectif : le renforcement de la place et de l'influence de Mayotte dans l'océan Indien, la reconnaissance internationale de Mayotte en tant que département français et région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, et enfin la formation de nos agents dans le but de les faire monter en compétences dans les missions diplomatiques ».

La convention formalise la coopération entre le MEAE, le ministère de l'Intérieur et des Outre-Mer et le conseil départemental de Mayotte en matière d'appui à l'action extérieure de la collectivité. Elle crée un cadre général et permanent « de partenariat et de dialogue, pour développer les coopérations et le rayonnement de Mayotte dans le sud-ouest de l'océan Indien ».

Elle prévoit notamment l'instauration d'un Comité pour l'insertion régionale de Mayotte (CIRM). Le CIRM, paritaire, sera co-présidé par l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien et par un représentant du conseil départemental de Mayotte. Son secrétariat est assuré par le conseiller diplomatique auprès du préfet, adjoint de l'ambassadeur délégué à la coopération, et le directeur de la coopération régionale du département.

Le CIRM sera chargé :

- de proposer des orientations pluriannuelles en matière de coopération ;

- de définir une feuille de route annuelle qui décline ces orientations ;

- d'identifier les formations nécessaires à certains agents territoriaux ;

- d'assurer le suivi des initiatives de coopération engagées dans le cadre de la convention.

Le communiqué de presse du ministère inscrit clairement cette convention « dans le cadre de la mobilisation du Gouvernement pour améliorer l'insertion et le rayonnement de Mayotte dans son environnement régional et pour défendre, sur la scène internationale, son appartenance à la République Française », ainsi qu'à la suite du CIOM du 18 juillet 2023.

Le suivi de la mise en oeuvre de cette convention inédite de partenariat entre le MEAE et un outre-mer devra permettre de déterminer si c'est un outil opérant pour, d'une part, renforcer les compétences et la légitimité des acteurs territoriaux dans leurs relations avec les interlocuteurs étrangers et, d'autre part, co-construire une action extérieure partagée État-Collectivité.

c) La stratégie « Trois océans » de l'AFD : une voie prometteuse

Dans le paysage de la coopération régionale, l'AFD est l'acteur dont la vision est sans doute la plus large, en particulier depuis la mise en place en 2019 de la stratégie « Trois océans »5(*). C'est aussi, avec l'Union européenne, le principal financeur de la coopération.

L'AFD est à la fois présent dans les outre-mer et dans les petits États insulaires en développement (PEID) voisins. Ce maillage territorial, qui est commun aux trois bassins Indien, Atlantique et Pacifique, est propre à l'AFD du fait de son histoire.

La stratégie « Trois Océans » regroupe les activités dans les outre-mer et dans les pays insulaires voisins, afin de casser les logiques en silo. L'insertion régionale des outre-mer est devenue un objectif transversal qui figure au coeur de la stratégie, à côté de celui du rattrapage du niveau de développement par rapport à l'Hexagone. Les outre-mer sont appréhendés dans leur propre trajectoire de développement ancrée dans une réalité géographique.

Charles Trottmann, directeur du département « Trois océans » de l'AFD, ajoute que cette approche met en évidence les enjeux communs aux territoires d'une même région (sécurité sanitaire, migrations, adaptation au changement climatique, commerce, mobilités...) et se traduit par « une maille d'action beaucoup plus forte à l'échelle des bassins ; cet échelon se révèle le plus adapté à la mise en oeuvre des projets qui relient les différents territoires ».

Le fait d'être présent dans les trois bassins et des deux côtés - de part et d'autre des frontières - permet également de partager des solutions entre territoires insulaires partout dans le monde. L'AFD participe à mettre en relation ces territoires insulaires, français et étrangers, et au partage des bonnes pratiques, dans un sens comme dans l'autre.

Enfin, cette approche doit prévenir des politiques incohérentes ou perçues comme telles, au détriment des outre-mer, comme cela a pu être reproché à l'AFD. Un cas topique a été le financement par l'AFD de projets d'infrastructures potentiellement concurrentes de celles de La Réunion, comme le port de Port-Louis à Maurice face au Grand port maritime de La Réunion.

Depuis, trois stratégies régionales - océan Atlantique, océan Indien et océan Pacifique - pour la période 2019-2023 ont été approuvées par le conseil d'administration du 23 octobre 2019. Le cadrage stratégique devrait encore être simplifié à la suite du rapport de la Cour des comptes du 29 septembre 20236(*).

S'agissant du bassin océan Indien, depuis l'implantation en 2018 de la direction régionale océan Indien (DROI) de l'AFD à La Réunion, laquelle coiffe toutes les agences de la zone, la qualité de la coordination avec les autorités locales de Mayotte et de La Réunion a connu un vrai saut qualitatif.

Avec La Réunion, ces bonnes relations se sont traduites en février dernier par le renouvellement de l'accord-cadre entre la région et l'AFD, qui prévoit notamment la réunion régulière d'un comité de pilotage. L'AFD a aussi adopté sa stratégie 2022-2026 pour Mayotte dont un des quatre objectifs est le développement de la coopération régionale.

Par ailleurs, la palette des services rendus par l'AFD s'est élargie depuis qu'Expertise France est devenue une nouvelle filiale du groupe AFD7(*). En effet, Expertise France met également en oeuvre des projets régionaux qui bénéficient en partie aux collectivités ultramarines françaises (sur financements européens principalement). En 2023, Expertise France dispose de six directions pays installées dans les principales géographies d'intervention, afin de renforcer le pilotage des projets, au plus près des réalités et des partenaires du terrain. L'une de ces six directions est aux Comores, traduction de la priorité accordée à ce pays en raison des enjeux particuliers pour Mayotte. Cette intégration d'Expertise France dans le groupe AFD doit permettre de rapprocher les financements (AFD) de l'expertise.

d) Les autres opérateurs de l'État

Sans procéder à un recensement exhaustif, la quasi-totalité des opérateurs de l'État présents dans les outre-mer, et dans le bassin océan Indien en particulier, développe des actions de coopération régionale.

C'est le cas dans le domaine de la recherche et de la coopération scientifique. L'antériorité est ancienne pour certains établissements, en particulier le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD). La dimension régionale et internationale de leurs travaux est au coeur de leur mission.

L'IRD et le Cirad dans l'océan Indien

L'IRD est un établissement public français à caractère scientifique et technologique, sous la double tutelle des ministères de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, et de l'Europe et des affaires étrangères. Créé en 1944, l'IRD est spécialisé dans la recherche scientifique appliquée aux défis mondiaux du développement durable, en collaboration étroite avec les pays du Sud.

En partenariat avec des institutions de la zone sud de l'océan indien, l'IRD développe des projets de recherche conjoints sur des sujets tels que le changement climatique, la biodiversité marine et terrestre, et la santé publique. Sa représentation dans l'océan Indien est composée de 60 agents basés à La Réunion dont 90 % dédiés à la recherche et cinq doctorants. Ces derniers couvrent également le territoire des îles Éparses et de Mayotte.

L'institut a publié en juillet 2023 sa stratégie outre-mer dans laquelle il se positionne comme acteur de l'agenda diplomatique de la France notamment en facilitant le transfert de technologies et de connaissances innovantes. Dans la région Afrique de l'Est, Australe et océan Indien, l'IRD est implanté dans 14 pays étrangers soit au travers d'une collaboration avec une équipe locale, soit par un laboratoire mixte international comme à Madagascar et en Afrique du Sud.

Le Cirad est un établissement public français de recherche agronomique et de coopération internationale. Fondé en 1984, le Cirad est spécialisé dans les sciences de l'agriculture et les systèmes alimentaires durables, travaillant principalement avec les régions tropicales et méditerranéennes. Dans le bassin océan Indien, le Cirad oeuvre depuis 60 ans à La Réunion, sa première base ultramarine, où il dispose d'infrastructures de pointe. Ses actions de recherche et développement ont contribué à l'essor des filières agricoles et alimentaires d'aujourd'hui. Elles accompagnent désormais leur transition écologique et leur adaptation au changement climatique. Les projets de recherche du Cirad dans l'océan Indien sont soutenus par les fonds structurels (Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et Fonds européen de développement régional (Feder)) de l'Union européenne, l'État, la Région et le département de La Réunion.

Depuis plus de 25 ans, le Cirad participe au rayonnement de La Réunion en océan Indien par un partenariat singulier, notamment avec les pays membres de la Commission de l'océan Indien (COI). Tous ces partenaires travaillent de concert en réseaux, qui se sont structurés au fil du temps, des connaissances et de nombreux projets partagés, autour de cinq thématiques stratégiques que sont l'adaptation des systèmes d'élevage au changement climatique (réseau ARChE_Net); l'épidémiosurveillance, la biosécurité et le biocontrôle et la gestion de crises en santés végétale et animale avec une approche « une seule santé » (réseaux PRPV & One Health) ; la conservation et la valorisation de la biodiversité cultivée dans l'océan Indien (réseau Germination) ; les systèmes alimentaires sains et durables (réseau Qualireg).

En 2014, les cinq pays membres de la COI se sont dotés d'un outil faitier, unique et singulier au service de la coopération scientifique régionale, la plateforme régionale en recherche agronomique pour le développement dans l'océan Indien (la PRéRAD-OI), animée depuis par le Cirad et qui fédère ces réseaux thématiques.

L'IRD et le Cirad participent de concert pour le compte de la France au Réseau régional One Health de l'océan Indien qui vise à améliorer le contrôle des maladies infectieuses animales et humaines en partenariat avec les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles.

Dans le domaine économique, Business France est l'opérateur du Gouvernement chargé de l'internationalisation de l'économie. Il bénéficie pour cette mission d'une subvention nationale pour charges de service public afin :

- d'accompagner les petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux soit de manière individuelle, soit de manière collective en organisant notamment la présence de stands français sur les salons professionnels majeurs du monde entier (les « pavillons France ») ;

- d'identifier et d'accompagner les décideurs internationaux dans leur choix d'implantation en France et de promouvoir les mesures gouvernementales en faveur de la compétitivité du territoire national ;

- de gérer pour le compte de l'État le Volontariat international en entreprise (VIE).

Outre-mer, Business France est présent. De la même manière que sur le reste du territoire national, il intervient au travers des dispositifs Team France Export et Team France Invest, qui ont été créés à la suite d'une réforme mise en place il y a cinq ans. Ils consistent en une fédération de compétences dans chaque région. Business France travaille main dans la main avec les opérateurs publics de terrain que sont, d'une part, les Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans leurs directions internationales en région, y compris dans les collectivités du Pacifique depuis février dernier et, d'autre part, Bpifrance sur le volet des financements, le tout sous couvert des collectivités régionales et de l'État dans chacune des régions. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations parlementaires de Business France, a rappelé que « Team France Export et Team France Invest n'étaient pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés peuvent travailler ensemble et cesser de se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses ».

Une convention lie depuis 15 ans la DGOM et Business France pour compenser les freins à l'internationalisation des entreprises ultramarines en prenant en charge une partie des frais facturés à l'entreprise utilisatrice et en organisant des actions spécifiques pour les entreprises ultramarines. Business France s'appuie sur un équivalent temps plein (ETP) à La Réunion8(*) et des correspondants locaux dans les CCI de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Son implantation est donc limitée, mais elle met son réseau mondial à disposition de ses partenaires locaux, au premier rang desquels les chambres consulaires. À Mayotte, l'organisation est un peu différente. En effet, la CCI n'est pas positionnée sur l'internationalisation des entreprises. Cette mission est exercée par l'Agence de développement et d'innovation de Mayotte (ADIM)9(*), au sein duquel le correspondant de Business France est placé.

Cette convention avec la DGOM permet de prendre en charge une part importante des prestations fournies aux entreprises intéressées. Dans la continuité du plan « Osez l'export » annoncé le 31 août 2023, la convention prévoit :

- la prise en charge de 50 % à 75 % du coût des solutions de préparation et de projection individuelles et collectives proposées par Business France et ses partenaires de la Team France Export (Régions, Bpifrance, CCI France) ;

- la prise en charge du coût du dispositif VIE jusqu'à 50 %.

À l'export, au premier semestre 2023, 53 entreprises des DROM ont été préparées à l'international et 63 d'entre elles ont effectué une mission de prospection.

S'agissant du VIE (voir l'encadré infra), pour Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations parlementaires de Business France, « que ce soit un jeune des outre-mer qui parte à l'étranger ou une entreprise des outre-mer qui emploie un jeune à l'étranger, nous obtenons un résultat immédiat qui est celui de l'internationalisation des outre-mer. Il existe aussi des effets de plus long terme à prendre en considération. En effet, lorsque le nombre de VIE issus des outre-mer augmente, et que les jeunes reviennent ensuite sur leur territoire d'origine enrichis d'une forte expérience internationale, ils deviennent aussi des ambassadeurs de leur territoire à l'étranger ».

Le Volontariat international en entreprise (VIE)

Le Volontariat international en entreprise (VIE) est un dispositif permettant aux entreprises françaises installées à l'étranger et aux entreprises étrangères liées à une entreprise française par un accord de partenariat de disposer de ressources humaines qualifiées pour mener des missions variées.

Le VIE est un service civique mis en place par l'État français pour encourager l'activité des jeunes et des entreprises à l'étranger. Les contrats sont ouverts aux jeunes de nationalité française ou ressortissants de l'Union européenne âgés de 18 à 28 ans, et qui jouissent de leurs droits civiques.

Le contrat de VIE dure entre 6 et 24 mois. Pendant cette période, le lien contractuel s'effectue avec Business France et non l'entreprise, ce qui simplifie les démarches pour cette dernière.

Les entreprises ayant recours aux VIE bénéficient de nombreux avantages financiers et fiscaux, tels que des crédits d'impôt ou encore une exonération de la taxe d'apprentissage. De plus, Business France prend en charge la quasi-totalité de la gestion administrative et de l'organisation logistique de la mission VIE, ce qui permet de réduire le coût budgétaire pour l'entreprise. Cette prise en charge comprend l'établissement du contrat, le visa, les assurances, la paie et les frais de voyage.

Fin 2023, Business France a enregistré le 100 000ème VIE depuis le début du programme en 2000. En 2024, 11 500 VIE étaient en cours.

Pour favoriser le développement à l'export des PME de leur territoire, des régions françaises apportent également un soutien financier aux entreprises qui souhaitent recourir au dispositif V.I.E, en prenant en charge une part du coût du dispositif.

Les PME/ETI lauréates « France 2030 » ayant intégré le programme France 2030 Export ainsi que les French Tech 2030 peuvent bénéficier d'une prise en charge du coût d'un VIE à hauteur de 1 500 €/mois sur 16 mois dans la limite de 24 000 €.

Fin 2023, Business France a renouvelé une convention avec le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer afin d'encourager les initiatives des entreprises ultramarines dans leurs activités à l'export et d'inciter les investisseurs étrangers à venir s'implanter dans les outre-mer. En 2024, 148 entreprises ultramarines avaient utilisé le VIE depuis 2002, avec 373 missions proposées. Depuis 2002, 1 400 jeunes ultramarins ont réalisé une mission VIE dans le monde.

À la fin du premier semestre 2024, 228 jeunes ultramarins étaient en poste, et 1 075 candidats des outre-mer étaient inscrits sur la plateforme de recrutement en 2024.

On soulignera aussi que les acteurs publics dans le secteur de l'environnement (parc national, réserve naturelle marine, Office français de la biodiversité (OFB), Agence de la transition écologique (Ademe), Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Météo France...) sont très actifs dans la coopération régionale et font figure de référence dans l'océan Indien par leur niveau d'expertise.

3. Un cadre normatif en progrès
a) De nombreux outils au service des collectivités pour développer leur propre politique de coopération régionale

Plusieurs réformes successives ont enrichi la palette des outils et facultés à la disposition des départements et régions d'outre-mer pour déployer des actions extérieures dans leur environnement régional. La compétence reconnue aux DROM excède largement celle admise pour les collectivités hexagonales dont l'action se limite pour l'essentiel à la coopération décentralisée.

Principales réformes relatives à l'action extérieure des collectivités territoriales hexagonales ou ultramarines :

- décret du 24 janvier 1956 relatif aux jumelages et circulaire « Bourgès-Maunoury » du 9 mai 1957 ;

- circulaire « Mauroy » du 26 mai 1983 instituant le Délégué pour l'action extérieure des collectivités locales (DAECL), devenu la DAECT, et qui a rattaché cette fonction interministérielle au ministère des affaires étrangères ;

- loi d'orientation du 6 février 1992 sur l'administration territoriale de la République, qui a consacrée l'appellation « coopération décentralisée » et qui a créé l'ossature du droit actuellement applicable, désormais codifié aux articles L.1115-1 à L.1115-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ;

- loi du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales interdisant aux collectivités territoriales de conclure un accord ou une convention avec un État étranger mais autorisant la création d'un groupement local de coopération transfrontalière (GLCT) avec des collectivités étrangères ;

- loi « Oudin-Santini » du 9 février 2005 qui autorise le financement d'actions de coopération décentralisée dans le domaine de l'eau et de l'assainissement par prélèvement jusqu'à 1 % de la redevance perçue par les communes, syndicats et agences de l'eau, étendu au domaine de l'énergie par la loi du 7 décembre 2006 ;

- loi « Thiollière » du 2 février 2007, rendant possible les interventions humanitaires d'urgence et établissant de fait une présomption d'intérêt public local dans le cas des conventions de coopération décentralisée, les collectivités territoriales n'étant plus limités au seul domaine de leur compétence en droit interne ;

- loi du 16 avril 2008 transposant un règlement européen introduisant la possibilité pour les collectivités territoriales de mettre en place un groupement européen de coopération territoriale (GECT) avec des collectivités étrangères ou même avec un État membre de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe, sous réserve de l'autorisation de l'État ;

- loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », qui fixe désormais clairement les cas dérogatoires dans lesquelles les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions internationales avec des États étrangers, à savoir lorsque la loi l'autorise ou lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre un GLCT, un GECT, ou un groupement eurorégional de coopération (GEC). Dans ces cas-là, la signature de l'accord est préalablement autorisée par le représentant de l'État dans la région.

Source : Rapport de l'Assemblée nationale n° 3581 (XIVème législature) du 16 mars 2016 par Serge Letchimy, député, sur la proposition de loi relative à l'action extérieure des collectivités territoriales
et à la coopération de l'outre-mer dans son environnement régional

Les DROM ont des compétences et moyens d'action importants dans le champ de l'action extérieure :

- dans les domaines de compétence de l'État, celui-ci peut donner pouvoir au président de la région pour négocier et signer des accords, simplement l'associer aux négociations ou le charger de représenter l'État au sein des organisations internationales régionales (article L.4433-4-2 du CGCT) ;

- dans les domaines de compétence de la région, à la demande de celle-ci, l'État peut aussi autoriser la collectivité à négocier un projet d'accord avec les États étrangers, lequel projet est soumis pour acceptation au conseil régional. L'État peut ensuite donner pouvoir de signer au président du conseil régional (article L.4433-4-3 du CGCT) ;

- la région La Réunion et le département de Mayotte peuvent, avec l'accord de l'État, être membres associés des organisations internationales régionales (article L.4433-4-5 du CGCT) ;

- elles peuvent aussi, dans les conditions fixées par une convention avec l'État, désigner des agents publics chargés de les représenter au sein des missions diplomatiques de la France (article L.4433-4-5-3 du CGCT). Le décret n° 2017-1060 du 10 mai 2017 a traduit les dispositions relatives à la mise à disposition d'agents de la Guadeloupe, Martinique, Mayotte et La Réunion auprès d'une ambassade de France ;

- dans les cas où un accord international négocié par l'État concerne à la fois des compétences de l'État et de la région, le président de la région participe de droit à la négociation de l'accord, au sein de la délégation française (article L.4433-4-4 du CGCT) ;

- le président du conseil régional peut demander à l'État de prendre l'initiative de négociations avec l'Union européenne en vue d'obtenir des mesures spécifiques utiles au développement de son territoire (article L.4433-4-4 3ème alinéa du CGCT).

Enfin, dans les domaines de compétences des régions, « le président du conseil régional peut, pour la durée de l'exercice de ses fonctions, élaborer un programme-cadre de coopération régionale précisant la nature, l'objet et la portée des engagements internationaux qu'il se propose de négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux » (article L.4433-4-3-2 du CGCT).

Le président du conseil régional soumet ce programme-cadre à la délibération du conseil régional, qui peut alors demander, dans la même délibération, aux autorités de la République d'autoriser son président à négocier les accords prévus dans ce programme-cadre. Lorsque cette autorisation est expressément accordée, le président du conseil régional peut engager les négociations prévues dans le programme-cadre.

À l'issue de la négociation, le projet d'accord est soumis à la délibération du conseil régional pour acceptation. Les autorités de la République peuvent ensuite donner pouvoir au président du conseil régional aux fins de signature de l'accord.

Ce cadre d'action considérablement élargi à la faveur de plusieurs lois10(*) s'inscrit dans les limites imposées par l'article 52 de la Constitution : « Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification ». La conduite des relations internationales de la France demeure de la compétence exclusive de l'État qui conserve le dernier mot dans l'hypothèse où une initiative d'une collectivité ultramarine - en l'espèce La Réunion ou Mayotte - contreviendrait aux intérêts et objectifs de la diplomatie française. À l'épreuve de la pratique, cette hypothèse ne s'est que très rarement réalisée.

La mise en oeuvre de l'ensemble de ces dispositions est précisément décrite par la circulaire du 3 mai 2017 « Ayrault-Bareigts » relative aux compétences exercées par les collectivités territoriales d'outre-mer en matière internationale à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional. S'agissant de l'action extérieure des collectivités territoriales de droit commun, le texte de référence est la circulaire INTB1809792C du 24 mai 2018.

b) Le dossier des normes, frein à l'insertion régionale, enfin sur le haut de la pile

La Réunion et Mayotte, départements français et RUP de l'Union européenne, forment deux enclaves juridiques régies par un corpus normatif conçu d'abord pour des territoires européens aux économies développées et à haute exigence environnementale ou sanitaire.

Ces enclaves sont entourées d'États à l'indice de développement humain (IDH) très faible11(*), régis par des traditions juridiques différentes et bénéficiant du statut d'ACP12(*).

Cette situation entrave la simple possibilité, au-delà même de la question de l'opportunité, de développer des échanges avec les pays de la région, en particulier les échanges économiques.

Depuis longtemps connu et évoqué, ce problème majeur semble connaître enfin quelques évolutions concrètes.

Comme le relève Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des Outre-mer (FEDOM), « les crises ont contraint à déroger », à propos de la dérogation accordée pour importer de l'eau depuis Maurice au plus fort de la crise de l'eau à Mayotte en 2023. Les deux initiatives ci-après indiquent que l'acceptation de dérogations pérennes pour les RUP progresse, hors situation d'urgence.

Dans sa communication du 3 mai 2022 intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », la Commission européenne s'est engagée à mieux mobiliser les possibilités d'adaptation des normes aux régions ultrapériphériques prévues à l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Cet objectif a été réaffirmé par le Conseil dans ses conclusions du 30 novembre 2023 sur l'avenir de la politique de cohésion. Le Conseil invite la Commission à procéder à une analyse systématique de l'impact dans les RUP de toute proposition de norme européenne. Cette référence aux études d'impact pour les RUP, applicable à l'ensemble de la réglementation européenne, obtenue à la demande des autorités françaises, a été souligné par Karine Delamarche, directrice générale adjointe de la direction générale des outre-mer (DGOM), lors de son audition.

Le respect effectif de cet engagement devra être suivi attentivement. Il conviendra d'obtenir de la prochaine Commission européenne qu'elle l'inscrive à son programme de travail.

L'adaptation des normes pour les matériaux de construction est une autre revendication ancienne sur le point d'aboutir.

Les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer plaident depuis de nombreuses années pour une différenciation normative, notamment pour faire baisser les coûts prohibitifs de la construction dans les outre-mer.

En effet, un des facteurs renchérissant le coût de la construction est l'obligation d'utiliser des matériaux marqués CE ou NF en provenance souvent de régions très éloignées qui augmentent les coûts de transport. Or, dans le voisinage, des matériaux traditionnels ou des productions n'ayant pas nécessairement la certification CE pour des raisons de coût ou de mode de production propre aux contraintes du climat tropical existent, mais ne peuvent être importés.

Les recommandations 5 à 7 du rapport d'information sur les normes en matière de construction et d'équipements publics dans les outre-mer13(*) et les recommandations 27 et 28 du rapport d'information sur le logement outre-mer14(*) proposent :

- d'établir sur une gamme de matériaux de base pour une série de pays fournisseurs de l'environnement régional (Maurice, la Tanzanie ou l'Afrique du sud par exemple pour l'océan Indien) des tableaux d'équivalence entre matériaux européens et régionaux en matière de performance technique et d'emploi ;

- d'expérimenter dans les outre-mer une dérogation à l'emploi de matériaux marqués CE, dès lors que ces matériaux ne présentent pas de risque sanitaire ;

- sur la base des tableaux d'équivalence et des expérimentations précitées, dresser à moyen terme une liste positive de pays et de produits pour lesquels est reconnue une équivalence avec les normes françaises et européennes afin d'en faciliter l'emploi.

Cette idée d'une dérogation au marquage CE dans les outre-mer au profit d'un marquage RUP, ou plus exactement d'une équivalence admise dans les seules RUP compte tenu de l'étroitesse de ces marchés, de leur isolement et du risque faible d'une réexportation illégale vers l'Union européenne, a connu d'importantes avancées au cours des deux dernières années.

En effet, la réglementation européenne relative à la commercialisation des matériaux de construction est en cours de révision depuis le dépôt en 2022 par la Commission européenne de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction, modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et abrogeant le règlement (UE) 305/201115(*).

Le 18 juillet 2023, la mesure 10 du CIOM reprenait cette idée de faciliter les importations régionales de matériaux de construction grâce à un marquage « RUP » en substitution du marquage « CE ».

À la suite des négociations, cette proposition a été approuvée en première lecture par le Parlement européen le 10 avril 2023. L'article 2 de la proposition prévoit en particulier que :

« 3. Les États membres peuvent exempter de l'application du présent règlement les produits couverts par le présent règlement qui sont mis sur le marché dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne au sens de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les États membres notifient à la Commission européenne et aux autres États membres les lois nationales, règlements et dispositions administratives prévoyant de telles dérogations. Ils veillent à ce que les produits exemptés ne portent pas le marquage CE conformément à l'article 17. Les produits mis sur le marché sur la base d'une telle exemption ne sont pas réputés être mis sur le marché dans l'UE au sens du présent règlement ».

La proposition de règlement n'a pas encore été publiée au Journal officiel de l'Union européenne. Le texte retenu laisse aux États membres intéressés (la France, l'Espagne et le Portugal) la liberté d'organiser ces équivalences en fonction de l'environnement propre à chaque RUP.

Un décret d'application devrait être publié à la suite de l'adoption définitive du règlement européen. Les matériaux susceptibles d'être utilisés dans chaque RUP devront être recensés, afin que les équivalences soient établies et certifiées. La mise en oeuvre de cette dérogation européenne devra être une des priorités du prochain Gouvernement.

4. Des financements croissants, notamment européens
a) Des financements européens Interreg prépondérants

La coopération régionale dans le bassin océan Indien, comme dans le bassin Atlantique, est très largement financée par l'Union européenne. Le programme Interreg en est le principal support financier.

La région Réunion et le conseil départemental de Mayotte ont chacune la responsabilité de gérer un programme Interreg :

- le programme Interreg VI océan Indien, géré par la région Réunion16(*) ;

- le programme Interreg VI Canal du Mozambique, géré par le conseil départemental de Mayotte17(*).

On notera que Mayotte est pleine autorité de gestion pour ce fonds Interreg, à la différence des autres fonds Feder qui sont gérés par le GIP Europe à Mayotte avec une présidence tournante entre le préfet et le président du conseil départemental. Lors de la précédente programmation 2014-2020, les crédits Interreg V Mayotte-Comores-Madagascar - qui est le prédécesseur du programme Interreg VI Canal du Mozambique - étaient eux aussi gérés par le GIP Europe à Mayotte.

Le fait que le département soit l'autorité de gestion pour le programme Interreg VI Canal du Mozambique, démontre l'engagement de Mayotte à prendre ses responsabilités pour s'affirmer sur la scène régionale, sans rester dans l'ombre de l'État.

S'agissant du programme Interreg VI Canal du Mozambique géré par le conseil départemental de Mayotte, son périmètre géographique concerne les territoires de Mayotte (autorité de gestion), de La Réunion, des Comores, de Madagascar, du Mozambique, de Tanzanie et des Seychelles18(*).

Le programme Interreg VI océan Indien a un périmètre beaucoup plus large : La Réunion, Mayotte, Madagascar, TAAF, Maurice, Maldives, Australie, Comores, Mozambique, Inde, Kenya, Seychelles et Tanzanie. Contrairement à Interreg V, il n'est plus divisé en deux enveloppes19(*), lesquelles compliquaient la gestion et le choix des projets.

Montants des programmes Interreg V et VI

2014-2020

Programme Interreg V

Océan Indien

Mayotte-Comores- Madagascar

Autorité de gestion

Région La Réunion

Préfecture de Mayotte

Montant Feder initial

63,2 M€

12 M€

2021-2027

Programme Interreg VI

Océan Indien

Canal du Mozambique

Autorité de gestion

Région La Réunion

Conseil départemental de Mayotte

Montant Feder

62,3 M€

10,2 M€

On observe donc une stabilité des fonds d'une période à l'autre, voire une baisse en valeur réelle. Elle survient néanmoins après une très forte hausse par rapport à la période 2007-2013 (+ 80 % pour le programme Interreg IV océan Indien). Le programme Canal du Mozambique ou son équivalent n'existait pas avant 2014.

Pour la période 2021-2027, le programme Interreg VI Océan Indien doté d'une enveloppe de 62,2 millions d'euros est répartie autour de 4 priorités stratégiques20(*) :

- recherche collaborative et coopération économique (28,9 M€) ;

- résilience et développement durable (14,3 M€) ;

- inclusion, culture, développement économique et social (16,9 M€) ;

- amélioration de la gouvernance de la coopération (2,1 M€).

Grâce à l'engagement et l'expertise développée par la région Réunion depuis 20 ans, le taux de consommation des crédits est satisfaisant : 100 % pour 2000-2006, 98 % pour 2007-2013 et 90 % sur la programmation 2014-2020 malgré la crise du Covid.

Le programme opérationnel (PO) Interreg Canal du Mozambique 2021-2027 a été adopté en mars 2023. Le premier appel à projet a été lancé au quatrième trimestre 2023. L'instruction des dossiers est en cours, les projets devraient être sélectionnés d'ici la fin du premier semestre 2024. Ce lancement plus dynamique augure une meilleure consommation des crédits. En raison des difficultés diplomatiques et du champ géographique plus limité du programme Interreg V Mayotte-Comores-Madagascar, ce dernier souffre d'un taux d'exécution moyen.

Exécution du programme Interreg V Mayotte-Comores-Madagascar

En bleu ciel : le montant total du programme (dont contribution totale de l'UE de11,65 millions d'euros, complétée par la contribution nationale de 2,05 millions d'euros et le solde par les collectivités) ;
en bleu foncé : les crédits engagés ; en jaune : les crédits décaissés

Au 30 septembre 2023, la Commission européenne enregistre un taux d'engagement de 75 % et un taux de décaissement de 35 %.

Les programmes Interreg sont le levier le plus puissant à la disposition des deux collectivités pour développer une politique extérieure régionale.

Pour Mayotte, le nouveau programme Canal du Mozambique devrait lui permettre de dépasser la simple coopération transfrontalière avec les Comores et Madagascar et de se projeter au-delà.

La Réunion est à un stade plus avancé. Aussi bien le conseil régional que le conseil départemental ont développé ces dernières années le cercle géographique de leurs coopérations régionales.

L'impact prépondérant d'Interreg peut d'ailleurs expliquer la relative faiblesse de la coopération décentralisée ordinaire, comme elle se pratique dans l'Hexagone. Les fonds de la DAECT, de la Facilité de financement des collectivités territoriales (Ficol) ou du Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (Fexte) sont peu sollicités par les outre-mer, alors que la dimension régionale de leurs enjeux devrait les sur-mobiliser en théorie. Mayotte et La Réunion se tournent préférentiellement vers les programmes de coopération territoriale Interreg qui permettent de co-financer les projets à hauteur de 85 %, les collectivités mobilisant leurs financements dédiés à la coopération pour apporter les 15 % de contrepartie.

L'effort financier de l'Union européenne en faveur de la coopération régionale dans le bassin océan Indien, au travers des programmes Interreg, est donc très important et se maintient à des niveaux élevés. Il doit néanmoins être relativisé. À titre de comparaison, sur la période 2018-2022, la COI a bénéficié d'une enveloppe de 87 millions d'euros de l'Union européenne pour financer des projets.

b) Les crédits modestes de l'État

Les soutiens directs de l'État - hors AFD et autres opérateurs sous tutelle de l'État - à la coopération régionale dans le bassin océan Indien sont modestes.

Le principal outil, prévu par la loi, est le Fonds de coopération régionale (FCR). La LOOM a en effet créé cinq fonds de coopération régionale pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte et La Réunion (article L.4433-4-6 du CGCT)21(*). Ces fonds, abondés par l'État dans le cadre du programme « Conditions de vie en outre-mer » au sein de la mission Outre-mer du projet de loi de finances annuel, doivent encourager l'insertion de ces collectivités dans leur environnement géographique dans tous les secteurs d'activités, dès lors que les projets de coopération régionale comportent une implication pour les économies ou facilitent les échanges économiques et humains. Un comité paritaire, composé de représentants de l'État et des collectivités régionales et départementales, arrête la liste des opérations éligibles au FCR et le taux de subvention applicables à chacune d'elles. Le secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) en assure le secrétariat.

Les crédits disponibles demeurent néanmoins très modestes (0,97 million d'euros en loi de finances pour 2024 pour les cinq territoires, soit 0,1 % des crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » de la mission Outre-mer) et servent parfois d'appoint pour compléter le financement d'autres projets ou manifestations. Pour le bassin océan Indien, le FCR a représenté un peu de moins de deux millions d'euros au total sur cinq ans pour La Réunion et Mayotte. S'y ajoute le Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique, dit « Fonds Pacifique », créé en 1985.

On citera aussi le budget d'intervention de la DAECT au MEAE. En 2023, son budget était de 13 millions d'euros pour soutenir l'ensemble de la coopération décentralisée des collectivités territoriales françaises. Cet instrument n'est donc pas propre à la coopération régionale outre-mer.

Enfin, l'État verse chaque année aux organisations régionales une quote-part pour le budget de fonctionnement. Pour la COI, la quote-part de la France, au titre de La Réunion seulement, est d'environ 680 000 euros par an, soit 40 % du budget total de fonctionnement de la COI.

Pour l'IORA, la contribution française est modique : 24 000 euros annuels pour un budget de fonctionnement total de 500 000 dollars environ.

c) Des financements AFD importants mais cloisonnés et qui plafonnent

La stratégie « Trois océans » se traduit notamment par le maintien à un haut niveau des engagements financiers de l'AFD au bénéfice des outre-mer - tous financements inclus - et une attention particulière pour les projets comportant une dimension régionale.

Ainsi, l'AFD s'est dotée dans le cadre de son Contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2020-2022 d'un indicateur de suivi (sans cible) du nombre de projets de coopération régionale ayant des activités dans au moins un territoire ultramarin et un État étranger. Sur l'année 2022, trois nouveaux projets de coopération régionale ont ainsi été engagés sur ce périmètre, dont le projet Horizon 2030 porté par la COI.

À la suite du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) et du CIOM en juillet 2023, cet indicateur de suivi sera repris dans le nouveau COM 2024-2026, en élargissant le périmètre à Expertise France, nouvelle filiale du groupe AFD, qui met aussi en oeuvre des projets régionaux impliquant les outre-mer.

Par ailleurs, l'AFD est le premier partenaire de l'Union européenne pour la mise en oeuvre de projets dans les trois océans, du fait de sa présence dans les trois bassins. Elle intervient notamment en cofinancement des projets Feder Interreg dans les DROM ou en délégation de crédits de l'Union européenne.

Les graphiques ci-dessous montrent toutefois qu'après une phase dynamique de hausse des financements entre 2018 et 2020 - aussi bien pour les outre-mer que pour les projets à dimension régionale -, le volume d'activité s'est stabilisé sur un plateau proche du niveau de 2018. Le pic de 2020 s'explique par des prêts consentis en urgence à plusieurs outre-mer ou États de la région pendant la crise du Covid, notamment un prêt de 300 millions d'euros à Maurice.

S'agissant du bassin océan Indien, il faut rappeler que les Comores et Madagascar figuraient sur la liste des 19 pays prioritaires de l'aide française au développement22(*), c'est-à-dire ceux concentrant plus de la moitié de l'effort en subvention de l'État et plus des deux-tiers des subventions mises en oeuvre par l'AFD hors fonds dédiés à la préparation des projets.

Évolution de l'activité du département des Trois Océans (OCN) dans
les outre-mer et dans les États étrangers (EE) depuis la création
du département en 2018

Source : AFD

S'agissant de la part des projets régionaux, elle demeure faible, malgré sa progression jusqu'en 2020. Avec 4 %, la part des projets à dimension régionale reste donc très modeste23(*). Au cours de son audition, Charles Trottmann, directeur du département « Trois Océans », a toutefois souligné que « ce cadre stratégique se traduit opérationnellement par une très forte montée en charge du nombre et du volume de projets menés à l'échelle régionale, impliquant au moins deux territoires d'un même bassin océanique. Alors que ces projets régionaux étaient presque inexistants auparavant, leur volume annuel se situe en moyenne autour de 50 ou 60 millions d'euros dans les trois bassins ».

Répartition de l'activité Trois Océans sur la période 2018-2023

Source : AFD

Évolution et répartition des financements en direction de projets à dimension régionale 2018-2023

Source : AFD

Depuis 2019, les volumes financiers engagés sur la coopération régionale pour les trois bassins oscillent entre 38 et 83 millions d'euros, hormis 2020 qui connut une activité exceptionnelle. Ces montants en nette hausse par rapport à 2018 demeurent néanmoins modestes à l'échelle des trois bassins océaniques. Cette part est encore plus modeste au bénéfice des outre-mer français, si l'on considère qu'ils ne sont pas impliqués dans tous les projets à dimension régionale (projets en rouge sur le graphique ci-dessus).

Fin 2023, le montant des financements en exécution par l'AFD pour accompagner des projets régionaux en multi-pays ou des projets nationaux à composante régionale avoisine 230 millions d'euros en exécution, dont 220 en multi-pays (en incluant 129 millions d'euros au bénéfice de la Commission de l'océan Indien). Environ six millions d'euros sont consacrés à des projets nationaux portés par des acteurs ultramarins via les dispositifs Fexte et Ficol (voir infra).

Cette lente érosion des crédits de l'AFD consacrés aux outre-mer se traduit aussi dans les effectifs du département « Trois Océans » qui sont passés de 217 à 201 entre 2018 et 2022, soit une baisse de 8 %. La direction régionale océan Indien a toutefois maintenu ses effectifs24(*).

D'autres sources de financement sont mobilisables par l'AFD au profit de projets à dimension régionale. En effet, l'AFD est accréditée par le Fonds vert pour le climat (FVC)25(*) depuis 2015. Elle est donc éligible pour mobiliser des subventions, des prêts ou des garanties financés sur ce fonds. À titre d'exemple, le projet Hydromet bénéficie de 49,7 millions d'euros du FVC sur un montant total de 60,7 millions d'euros (le solde a été financé par l'AFD et l'Union européenne). Charles Trottmann précise que « l'AFD a mobilisé le Fonds vert pour le climat, uniquement dans l'océan Indien à ce stade, dans le cadre de deux projets conséquents, pour lesquels nous avons levé environ 80 millions d'euros : le premier concerne l'hydrométéorologie (projet Hydromet), le second des solutions fondées sur la nature pour préserver la biodiversité ». L'AFD mobilise également d'autres crédits délégués alloués par des financeurs internationaux, notamment l'Union européenne via l'instrument unique de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale de l'Union européenne (NDICI - ex-FED) pour des projets de coopération régionale.

Le bassin océan Indien est celui qui bénéficie le plus de financements de l'AFD en faveur de la coopération régionale, mais ces derniers alimentent principalement les organisations internationales régionales. L'AFD totalise 184,7 millions d'euros de financements dont 129 au bénéfice de la COI pour des programmes en cours. Pour l'IORA, l'AFD a financé à hauteur de 900 000 euros le premier programme d'appui au secrétariat de l'IORA et à certains programmes menés par la France (2020-2023). Pour 2024-2027, il est prévu de tripler le montant d'engagement. Au total, le bureau régional de l'AFD à Maurice en appui à la COI et à l'IORA gère environ 132 millions d'euros d'engagements financiers.

Le Ficol et le Fexte : deux autres fonds mobilisables pour la coopération régionale

Créé en 2014, la Facilité de financement des collectivités locales (Ficol) est un fonds créé par l'AFD et dédiée au soutien des actions décentralisées des collectivités locales (ultramarines ou non). Formalisée en 2016, elle permet à l'AFD de financer directement les initiatives de collectivités françaises avec leurs partenaires étrangers jusqu'à 70 % des besoins. Ce dispositif est devenu l'un des piliers du cadre d'intervention adopté par l'AFD en 2018 en matière d'appui à l'action extérieure des collectivités territoriales.

De 2017-2022, 63 projets ont été financés pour un total de 48 millions d'euros. 52 collectivités françaises ont été soutenues dont La Réunion. Au total, 8 projets sur 63 ont été portés par des collectivités ultramarines, 34 pays partenaires, Madagascar et les Comores figurant parmi les cinq principaux. Les engagements annuels ont augmenté fortement passant de 3,8 millions d'euros en 2017 à 10,6 en 2022. Les aides peuvent aller jusqu'à deux millions d'euros par projet.

Charles Trottmann a indiqué qu'un premier bilan du recours au Ficol dans les bassins ultramarins serait réalisé dans le courant de l'année.

Le Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (Fexte) finance des programmes de coopération technique et des études de préparation de projet dans les pays en développement. Créé en 2013, ce fonds avait engagé 14,7 millions d'euros en 2017. En loi de finances pour 2024, 30 millions d'euros étaient inscrits en autorisation d'engagement et 24 en crédits de paiement.

Le Fexte est destiné à répondre aux demandes et besoins d'expertise et d'expériences françaises des pays bénéficiaires de l'aide publique au développement dans lesquels l'AFD est autorisée à intervenir. Il peut être utilisé pour financer plusieurs types d'opérations :

- études de préparation de projets : programmation, pré-faisabilité, faisabilité, avant-projet sommaire ou détaillé ;

- coopération technique : assistance technique résidente, expertise court terme ou itérative, actions de formation de haut niveau, partenariats stratégiques entre institutions paires.

Pour Charles Trottmann, « les résultats sont très positifs dans nos bassins. À titre d'exemple, nous avons sollicité l'Agence d'urbanisme de La Réunion pour appuyer des plans de développement à Madagascar et aux Comores. Ces fonds confiés par le ministère des Finances constituent un instrument de projection d'une expertise française localisée dans les bassins, jugée plus pertinente par les États de la zone, car elle est plus proche d'eux ». On peut aussi citer le projet de coopération Fexte « espèces exotiques envahissantes » entre l'Afrique du sud et La Réunion en mars 2022, initié par le parc national de La Réunion et South-African National PARKS (qui gère les 19 parcs nationaux sud-africains).

Enfin, il existe aussi le dispositif Initiatives OSC (organisation de la société civile). Il fonctionne chaque année sous forme d'appel à projets permettant aux organisations de la société civile française d'intervenir dans les États étrangers au titre de la solidarité internationale. Historiquement, le dispositif était assez peu mobilisé outre-mer, mais une communication ciblée depuis deux ans a permis de toucher le tissu ultramarin. Une dizaine d'OSC ultramarines ont ainsi pu bénéficier de financements pour des programmes majoritairement mis en oeuvre à proximité dans leur bassin.

5. Des organisations régionales et des projets de coopération de plus en plus opérationnels et à fort impact
a) La COI, une organisation porteuse de projets concrets

Créée en 1984, la Commission de l'océan Indien (COI) est l'organisation régionale phare de la région du sud-ouest de l'océan Indien. Elle est la seule organisation régionale africaine dont la France est membre et constitue à ce titre un vecteur essentiel de renforcement de la légitimité de la présence française dans l'océan Indien. Autre spécificité majeure : l'ensemble de ses membres sont des pays francophones. La COI organise un espace de solidarité francophone homogène au coeur de l'océan Indien. Enfin, la participation active à la COI est un axe important de la mise en oeuvre de la stratégie Indopacifique. Elle a été un levier dans les démarches d'adhésion à l'IORA (effective depuis décembre 2020).

La France en est devenue membre en 1986, en même temps que les Comores, mais seulement au titre de La Réunion. En effet, une condition sine qua non de l'adhésion de la France à la COI, posée par les autorités comoriennes, était de mentionner que la France est membre « au titre de La Réunion », ce qui a eu pour effet d'exclure Mayotte de la plupart des travaux de la COI. Depuis, l'Union des Comores continue à opposer un refus inflexible.

Malgré les différents territoriaux entre la France et trois États membres de la COI (Comores sur Mayotte, Madagascar sur les îles Éparses et Maurice sur Tromelin), cette organisation a pris une ampleur nouvelle depuis plusieurs années et est devenue le vecteur privilégié de la coopération régionale, à la fois par la France et l'Union européenne.

Cette priorité donnée à la COI se traduit dans les soutiens financiers.

Le budget de fonctionnement tout d'abord. De 1,43 millions d'euros en 2022, il a augmenté de 25 % en 2023 pour renforcer son secrétariat et faire face à ses attributions et son portefeuille croissants. La France est un membre très actif et contribue à hauteur de 40 % au budget de fonctionnement de l'organisation.

Le budget d'intervention est lui financé majoritairement par l'Union européenne et l'AFD. Sur la période 2018-2022, les contributions des quatre premiers partenaires de la COI se répartissent comme suit :

- Union européenne : 87 millions d'euros ;

- Fonds Vert pour le Climat : 53,3 millions d'euros ;

- Agence française de développement : 43,6 millions d'euros ;

- la Banque mondiale : 11 millions d'euros.

Sur la même période, environ 194 millions de projets ont été financés et, selon les projections du secrétariat général, la COI gèrera pour environ 500 millions d'euros de projets d'ici à 2027. L'AFD participe au financement des projets à hauteur de 21 % et l'UE de 44 %. L'UE et la France financent donc à elles deux près de deux tiers des projets de la COI.

Cette démultiplication de l'activité de la COI s'explique par le portage de plusieurs projets majeurs, dont certains très opérationnels.

La coopération est développée sur les sujets de sécurité et de sûreté maritimes, de lutte contre les trafics, de sécurité civile, à l'aide de centres régionaux de fusion d'informations (Madagascar, Inde, Singapour), d'un centre de coordination régionale opérationnelle (Seychelles) et de plusieurs projets d'initiatives françaises à l'étude portées par des structures présentes et en développement à La Réunion : Institut régional sécurité maritime (avec le maillage de coopérations du CROSS26(*) Réunion), Centre régional en projet de la Gendarmerie d'Outre-Mer, Capacités de projection de la PIROI (Croix-Rouge) et de la sécurité civile. Récemment, un forum régional des fonctions garde-côtes a été créé pour lutter notamment contre les trafics de drogue.

Le 38ème Conseil des ministres de la COI s'est tenu en mai dernier à un moment-clé pour cette organisation régionale dont les programmes commencent à apporter des résultats concrets (santé, sécurité maritime, pêches, environnement) et qui doit réussir cette année, par la modernisation du secrétariat, un processus d'accréditation au Fonds vert et à l'Union européenne.

Quelques points d'attention sont à mentionner néanmoins.

La France a adhéré à la COI pour permettre à La Réunion de participer à la coopération régionale et de mieux s'intégrer dans sa zone. Toutefois, l'État demeure le principal pilote et La Réunion, malgré la participation à haut niveau des exécutifs territoriaux, a du mal à s'identifier indépendamment de la France. La gestion des fonds Interreg par la région demeure le seul vrai levier d'influence. Par ailleurs, comme l'a indiqué Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la COI depuis le 16 juillet 2020 et de nationalité française, lors du déplacement à Maurice, La Réunion n'est pas directement bénéficiaire de nombreux programmes de la COI en raison de son niveau de richesse.

Une autre faiblesse de la COI est son déficit de communication, lié en partie à la multitude de projets portés. Ce déficit de communication participe d'une forme d'invisibilisation des actions françaises et européennes dans la région auprès des populations. L'Union européenne et la France financent les deux tiers des interventions de la COI. Mais cet effort massif est dilué dans la dimension multilatérale de la COI qui est elle-même mal identifiée.

Au-delà de la COI, la France, et donc La Réunion et Mayotte, tangentent une autre organisation internationale régionale, la SADC (Southern African Development Community), ex-Indian Ocean RIM. La SADC regroupe 16 États de l'Afrique australe et de l'océan Indien : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe et Comores. Son siège se situe au Botswana. Ni La Réunion, ni la France n'en sont membres, contrairement à tous les autres membres de la COI. Or, les entreprises réunionnaises souhaiteraient se développer dans cette région peu francophone. Des déplacements récents du président du conseil départemental de La Réunion en Namibie témoigne de cette envie. Une réflexion devrait être engagée en faveur d'un rapprochement de la France de la SADC au titre de La Réunion et de Mayotte, au moins au titre d'observateur ou de membre associé.

b) L'IORA, un cadre plus prospectif et ouvert sur le grand large de l'Indopacifique

L'Association des États riverains de l'océan Indien (IORA), créée en 1997 à Maurice, vise à promouvoir le développement de la région du pourtour de l'océan Indien et à renforcer les échanges économiques entre ses membres. Elle regroupe aujourd'hui 23 États riverains de l'océan Indien27(*), de l'Australie à l'Afrique du Sud en passant par le Moyen-Orient, l'Inde et l'Asie du Sud. Comme pour la COI, la France est membre à part entière au titre de La Réunion seule, depuis 2020, après avoir été membre de l'IORA depuis 2001 en qualité de « partenaire du dialogue ».

L'IORA n'est pas une organisation de même nature que la COI et ne gère pas directement des projets opérationnels. Elle anime principalement des groupes de travail sur différentes thématiques pour partager et rapprocher les points de vue des États.

L'IORA a initié un renforcement institutionnel en 2011 sous la présidence indienne (2011-2012) et a défini six domaines prioritaires : (i) sureté et sécurité maritime, (ii) gestion de la pêche, (iii) la facilitation du commerce et de l'investissement, (iv) la gestion des catastrophes, (v) les échanges touristiques et culturels, et (vi) la coopération universitaire, scientifique et technologique. La présidence qui a suivi, celle de l'Australie (2013-2014), a introduit comme « thématiques transversales » de l'IORA l'économie bleue et l'autonomisation économique des femmes. Le Conseil des ministres de novembre 2022 a adopté la question du changement climatique comme une thématique transversale de l'IORA, ce qui amène à neuf le nombre de domaines prioritaires de l'IORA.

Un défi pour l'IORA est de mieux structurer son secrétariat. L'AFD a renouvelé son financement dans ce but pour 2024-2027 (trois millions d'euros) ce qui place la France en troisième place des financeurs, avec l'Inde, l'Australie et devant l'Afrique du Sud. La France a d'ailleurs renforcé sa présence au sein du secrétariat, avec une ETI à ce jour et prochainement la mise à disposition d'un directeur ou d'une directrice comme l'Inde et l'Australie.

Les objectifs de la France sont doubles :

- renforcer la stratégie Indopacifique française et s'affirmer comme un acteur à part entière de cet espace28(*) ;

- développer les synergies et rapprochements entre l'IORA et la COI.

La sécurité maritime, la lutte contre la pêche illégale ou la coopération universitaire font partie des sujets communs les plus importants. En 2024, la France présidera le groupe de travail sur la gestion des catastrophes naturelles, qui est un des domaines d'action fort de la COI, notamment avec le projet PIROI.

En l'état, l'IORA est d'abord un cercle d'influence, mais n'est pas un cadre utile pour une coopération régionale opérationnelle.

c) Une diversité d'autres organisations à vocation régionale dans les domaines économiques ou sportifs

Le sud-ouest de l'océan Indien compte d'autres organisations à vocation régionale qui animent la coopération dans des domaines divers.

Dans le domaine économique, l'association Cap Business Océan Indien, anciennement Union des chambres de commerce et d'industrie de l'océan Indien jusqu'en 2020, fédère les acteurs économiques des pays membres de la COI. Point remarquable : la CCI de Mayotte en est aussi membre.

Créé en 2005, son siège social est à Maurice et son réseau comprend 20 000 entreprises. La vocation première de cette association est de promouvoir les échanges économiques entre les îles et identifier des enjeux communs. Elle s'est dotée d'une feuille de route pour 2021-2026 avec cinq secteurs prioritaires et quatre axes transversaux. Ces orientations stratégiques ont été arrêtées à la suite de quatre millions d'euros alloués sur les cinq prochaines années à Cap Business par l'AFD, afin de lancer un dialogue public-privé et des projets de développement économique. L'AFD soutient également d'autres projets ayant pour finalité l'accélération de la transition économique et écologique régionale. À titre d'exemple, en début d'année, s'est tenue une journée de l'écoconstruction organisée au bénéfice des entreprises réunionnaises et de la zone, couplée à une mission de prospection des entreprises de la zone auprès des entreprises réunionnaises.

Cap Business Océan Indien organise aussi le Forum économique des îles de l'océan Indien, avec le soutien de l'AFD, dont la dernière édition s'est tenue en 2022 à Maurice. La 14ème édition se tiendra à Mayotte en novembre 2024. Cet événement sera un marqueur fort pour l'insertion de Mayotte dans les cercles de la coopération régionale économique.

L'IORA organise également un forum des affaires, auquel des entreprises réunionnaises participent.

Dans un tout autre domaine, le sport, mais hautement symbolique et fédérateur, deux organisations sont incontournables : la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien (CJSOI) et le Conseil international des Jeux des îles.

La CJSOI est une organisation internationale créée en 1988 et qui organise les jeux éponymes. Ces jeux rassemblent tous les deux ans des jeunes de Djibouti, des Comores, de Madagascar, de Maurice, de Mayotte, des Seychelles et de La Réunion. Près de 700 jeunes sportifs y participent. La prochaine édition se tiendra en 2025 aux Seychelles. En 2022, lors de l'édition à Maurice, 125 jeunes réunionnais et 50 mahorais y avaient participé.

Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué, a souligné « qu'en matière de jeunesse et sports, Mayotte a été reconnue comme partenaire, avec La Réunion, par la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien (CJSOI) dont la ministérielle s'est tenue à La Réunion récemment. Mayotte et La Réunion y sont actives au travers des préfectures qui préparent un programme d'échanges de jeunes en provenance des îles concernées, en y associant aussi Djibouti. Au cours de l'année 2024, des activités de rencontres de jeunes se tiendront à Mayotte et quelques mois plus tard, à La Réunion ».

Les Jeux de la jeunesse de l'océan Indien sont aussi des événements majeurs pour faire vivre la francophonie dans la zone. Toutefois, un point noir subsiste : les jeunes sportifs français venant de Mayotte, pourtant autorisés à participer aux épreuves, sont toujours privés d'hymne national et de drapeau tricolore. Cette aberration est vécue par ces jeunes comme une humiliation.

Le Conseil international des Jeux des îles est un mouvement sportif qui organise les Jeux des îles. Cet événement organisé tous les quatre ans environ réunit cette fois des sportifs professionnels. Né d'une initiative du comité régional olympique et sportif (CROS) de La Réunion au début des années 70, cette compétition sportive a été adoptée par le Comité international olympique en 1976. Les participants sont les mêmes qu'à la CJSOI. Lors des 11ème Jeux des îles à Madagascar en 2023, 460 athlètes réunionnais et 218 mahorais avaient participé.

Le cas de Mayotte demeure toujours un sujet compliqué et fait l'objet de compromis variables selon les éditions depuis 2003 (première participation des athlètes mahorais) : participation au sein de la délégation réunionnaise, création d'une équipe France Océan Indien, choix des hymnes... Les prochaines éditions des Jeux seront encore délicates. L'édition 2027 se tiendra aux Comores, l'édition 2031 aux Maldives, mais surtout l'édition 2035 se déroulera à Mayotte. Cette décision est un grand succès pour Mayotte. Il paraît dès lors impossible que les athlètes français de Mayotte ne soient pas célébrés au son de la Marseillaise et aux couleurs du drapeau français. Une clarification en amont sera impérative pour éviter un incident lors des jeux, comme cela a pu arriver par le passé avec le départ de la délégation comorienne en 2015 au motif que la délégation mahoraise avait défilé lors de la cérémonie d'ouverture avec le drapeau français et une banderole « France Océan Indien ».

Pour le président du conseil départemental Ben Issa Ousseni, la réussite de la participation de Mayotte aux prochaines éditions et à son organisation en 2035 est un enjeu politique majeur.

On notera, sur cette question des hymnes et des drapeaux, l'écart qui peut exister avec les outre-mer des Antilles qui souhaitent avant tout participer au nom de leurs îles. Frédéric Buval, sénateur de la Martinique, a rappelé ainsi que « la Martinique est inscrite dans toutes les instances officielles de la Caraïbe. Dans les Jeux caraïbéens, le drapeau martiniquais flotte et l'hymne martiniquais est joué. Nous ne renions évidemment pas le drapeau français, bien au contraire, puisqu'il flotte sur toutes les mairies de l'île. En revanche quand nous nous déplaçons dans le domaine des sports et de la culture, ce sont le drapeau et l'hymne martiniquais qui sont à l'honneur ».

Enfin, parmi les organisations régionales, l'Association des villes et collectivités de l'océan Indien (AVCOI) se conçoit comme un espace de partage d'expérience, de mutualisation, d'information. Elle est principalement financée par l'Association internationale des maires francophones. Son activité pourrait connaître un regain depuis la nomination d'un nouveau secrétaire général en 2023.

6. Des relations bilatérales fortes

Si Mayotte peine à consolider des relations bilatérales fortes, contrainte par la politique des petits pas et les blocages comoriens, la France et La Réunion ont en revanche tissé des liens forts avec plusieurs États de la région.

C'est en particulier le cas de la relation entre Maurice et la France.

Lors de son déplacement à Maurice, la délégation a échangé longuement avec Alan Ganoo, ministre des affaires étrangères par intérim, et Ravi Meettook, secrétaire aux affaires intérieures, conseiller du Premier ministre pour les affaires intérieures et de sécurité. Cette rencontre a mis en évidence l'importante de la relation bilatérale et la nécessité de consolider le duo La Réunion-Maurice. Ce duo doit s'affirmer comme un pôle de stabilité dans un environnement régional fragile.

Selon les données de l'ambassade de France à Maurice, la France est un acteur économique majeur à Maurice : 2ème client (263 M€ d'importations en 2022) et 5ème fournisseur (433 M€ d'exportations en 2022). Le commerce France-Maurice a progressé de 28 % en 2022. La France est également le 1er investisseur étranger dans le domaine productif (près de 200 entreprises pour un stock d'IDE estimé à 1,3 milliards d'euros fin 2021) et son 1er pourvoyeur de touristes (240 000 Français sur près d'un million de touristes en 2022). En revanche, les relations économiques entre La Réunion et Maurice sont marginales. En juillet 2023, une convention de partenariat a été conclue entre Business France, l'AFD et l'Economic Development Board (EDB)29(*). L'objectif est notamment de faciliter les investissements entre les deux pays. Toutefois, cet accord ne pointe pas particulièrement les investissements en lien avec La Réunion ou Mayotte.

La France est également le principal partenaire bilatéral de Maurice en termes d'aide publique au développement. Depuis la réouverture de son agence à Port-Louis en 2006, l'AFD a réalisé 1,2 milliard d'euros d'engagements à Maurice. Le 1er décembre 2023, Olivier Becht, ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger, s'est d'ailleurs rendu à Maurice pour la signature d'une convention de prêt de 200 millions d'euros de l'AFD pour optimiser la gestion de la ressource en eau.

La France et Maurice entretiennent aussi une coopération dynamique en matière de défense et de sécurité, menée notamment par l'intermédiaire des Forces armées de la zone Sud de l'océan Indien (Fazsoi) et qui passe en particulier par des actions de formation et des exercices conjoints.

Par ailleurs, compte tenu de l'émergence de certaines menaces, en particulier le trafic de drogues et la délinquance financière, un groupe de contact sur la sécurité entre La Réunion et Maurice se réunit régulièrement sous la co-présidence du préfet de La Réunion pour évoquer les questions d'intérêt partagé (sécurité intérieure, sécurité maritime, etc.). Après avoir été longtemps un pays de transit pour le trafic de drogue, Maurice est devenu également un lieu important de consommation. Le taux de consommation de drogue est l'un des plus élevés de la région. Les stupéfiants arrivent souvent par des « speed boats » en provenance de La Réunion.

Un accord d'entraide judiciaire et une convention d'extradition étaient en attente de ratification depuis 2022. La loi autorisant leur ratification a été publiée le 6 février 2024.

Enfin, en janvier 2011, la France et Maurice ont signé un accord-cadre sur la coopération régionale entre La Réunion et Maurice. Cet accord avait été porté par la région La Réunion au nom de la France, en application de la LOOM qui permet à la région de solliciter l'autorisation de l'État pour négocier et signer des accords internationaux. Toutefois, en pratique, la commission mixte prévue par cet accord-cadre ne s'est réunie pour la première fois à Saint-Denis de La Réunion que le 4 novembre 2022, en présence de Huguette Bello, présidente de la région Réunion, et Cyrille Melchior, président du conseil départemental de La Réunion. Une déclaration politique identifiant des champs d'action prioritaires pour les cinq prochaines années a été adoptée à cette occasion. La prochaine réunion de la commission mixte est prévue au second semestre 2024 à Port-Louis. Les prochaines années diront si cet accord-cadre est porteur de projets opérationnels.

Un autre exemple de relations bilatérales très fortes est celui de la France avec l'Union des Comores.

Malgré ou à cause de la situation mahoraise, les liens entre Paris et Moroni sont étroits. Il en va de même des relations avec La Réunion. Plusieurs collectivités réunionnaises ont développé des projets de coopération décentralisée avec les Comores.

Outre le partenariat signé en 2019 et qui prévoit 150 millions d'euros d'aides gérées par l'AFD en contrepartie de facilités pour la réadmission des Comoriens en situation illégale à Mayotte (voir infra), les relations bilatérales sont exceptionnellement denses rapportées à la taille du pays (entre 900 000 et un million d'habitants et 2 235 km2).

L'ambassade de France aux Comores en est la meilleure illustration avec 64 temps plein (ETP), et plus de 200 ETP en comptabilisant les trois alliances françaises, le Campus France, l'AFD ou Expertise France. Ces moyens sont exorbitants et sont justifiés par l'importance stratégique de la relation avec les Comores pour la stabilité de Mayotte.

L'aide au développement bilatéral classique est aussi importante avec 240 millions d'euros en engagement pour l'AFD. Par ailleurs, les transferts financiers de la diaspora franco-comorienne en France30(*) vers les Comores avoisinent les 300 millions d'euros par an. Ces transferts privés vont à 85 % vers les Grandes Comores dont est originaire la plus grande partie de la diaspora dans l'Hexagone. Ces montants sont à rapprocher du budget de l'État comorien qui avoisine les 100 millions d'euros par an. L'aide au développement représente 1,5 fois le budget de l'État. C'est considérable.

La France est le deuxième client des Comores en 2022 (21,9 % des exportations comoriennes) derrière l'Inde (27,1 %) et devant la Tanzanie (16 %).

Ces liens économiques et financiers se doublent de liens politiques forts, en dépit de l'irrédentisme affirmé sur Mayotte. De nombreux responsables politiques comoriens ont la double nationalité. Par ailleurs, des rencontres au plus haut niveau ont lieu régulièrement : en 2022, le président Azali Assoumani assistait au défilé militaire du 14 juillet et en 2023, une rencontre avec le président de la République se tenait à l'occasion d'une visite à Paris. Par ailleurs, le régime comorien est un allié de la France en Afrique et c'est notamment avec le soutien de la France que le président Azali Assoumani a présidé l'Union africaine l'année dernière.

La relation bilatérale est donc forte, mais ambivalente et complexe, et soumise à un jeu d'équilibre permanent.

Enfin, un dernier exemple de relation bilatérale prometteuse est celle entre la Tanzanie et Mayotte. Ce potentiel s'appuie sur des relations entre la Tanzanie et la France qui se développent favorablement depuis plusieurs années.

Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien au MEAE, a souligné que « la politique d'ouverture de la présidente Samia Suluhu Hassan, qui a exprimé sa volonté de densifier la relation bilatérale avec la France, a permis de sortir le pays de l'isolement dans lequel son prédécesseur l'avait plongé. Nous en faisons désormais l'une de nos priorités, puisque la Tanzanie a été retenue comme l'un des pays accélérateurs des nouveaux partenariats entre la France et les pays africains voulus par le président de la République ». Elle ajoute que la Tanzanie est le pays de la zone Afrique orientale pour lequel les coopérations avec les outre-mer pourraient être le plus utilement et le plus facilement développées.

La qualité de la relation bilatérale s'est encore renforcée à la suite de la visite officielle en mai 2024 à Paris de Samia Suluhu Hassan, présidente de la République unie de Tanzanie. Le partenariat franco-tanzanien a été renforcé au plan bilatéral et au plan multilatéral.

Au plan multilatéral, l'Agence internationale de l'énergie a accueilli le 14 mai 2024, à Paris, le sommet sur la cuisson propre coprésidé par la Tanzanie et la Norvège.

Au plan bilatéral, a été signée une déclaration conjointe pour amplifier le partenariat franco-tanzanien dans cinq domaines : la transition énergétique et la lutte contre les dérèglements climatiques, les infrastructures de transport, le développement de l'agriculture, les investissements dans l'économie bleue, et le soutien à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Ce climat très positif ouvre des perspectives intéressantes pour Mayotte qui a fait du développement de ses relations et coopérations dans la région une priorité. Plusieurs facteurs jouent naturellement en faveur de nouvelles coopérations entre Mayotte et la Tanzanie.

Mayotte et la Tanzanie, en particulier Zanzibar, partagent de nombreuses similitudes culturelles, linguistiques et traditionnelles. Cette proximité culturelle et géographique constitue une base solide pour le renforcement de leurs liens économiques et commerciaux. À cet égard, l'ambassade de France en Tanzanie a mis en place des coopérations culturelles dans les domaines de la musique, de la danse, notamment le hip-hop, et du théâtre - par exemple, au travers d'une résidence à l'Alliance française de Dar Es Salaam.

Par ailleurs, Mayotte est une porte d'entrée vers l'Union européenne à quelques encablures de la Tanzanie.

L'irrédentisme des Comores est le frein principal à l'épanouissement officiel de cette relation, la Tanzanie ne souhaitant pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de l'Union africaine.

Toutefois, les domaines d'intérêts communs sont nombreux et le développement des échanges et projets économiques sont possibles, à la condition de ne pas en faire un étendard.

L'ambassade de France en Tanzanie travaille en vue de favoriser les activités économiques de Mayotte en Tanzanie. Selon Axel-David Guillon, premier conseiller, nombre de commerçants mahorais viennent s'approvisionner en Tanzanie. Il indique avoir « reçu de nombreuses délégations d'entrepreneurs agricoles souhaitant y produire pour exporter vers Mayotte ; un premier accord a d'ailleurs été signé entre une société mahoraise et une ferme tanzanienne ». L'ambassadeur de Tanzanie en France a confirmé cette inclination favorable : « La Tanzanie possède d'importantes ressources agricoles ; c'est l'un des pays africains autonomes dans le domaine alimentaire, notamment sur les céréales, les légumineuses, les haricots, les pois chiches et nous sommes exportateurs nets d'animaux vivants et de viande. Nous exportons vers les pays voisins, notamment les Comores. Nous pouvons faciliter la mise à disposition de terrains, via des groupes d'investisseurs, pour de la culture ou de l'élevage au bénéfice de Mayotte, voire de La Réunion. Cela ne devrait pas poser problème ».

Le domaine agricole paraît en effet être le plus prometteur dans les prochaines années à condition de structurer et coordonner les acteurs mahorais. La signature d'accords de partenariats agricoles entre la Chambre d'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (Capam) et les Chambres de commerce, d'industrie et d'agriculture (CCIA) de la Tanzanie est une étape importante. Suite à ces accords, une délégation tanzanienne, composée de personnalités du monde économique, politique et gouvernemental, s'est rendue à Mayotte du 15 au 18 juin 2023 pour renforcer les liens économiques.

Un contrat a aussi été signé entre l'association d'agriculteurs mahorais ABCentral et des propriétaires tanzaniens pour mettre à disposition d'ABCentral 30 hectares de terres fertiles, afin d'y développer des productions agricoles à destination de Mayotte.

Ce premier contrat pourrait ouvrir la voie à des accords plus ambitieux portant sur des centaines ou milliers d'hectares. Toutefois, pour y parvenir et trouver les fonds nécessaires pour mettre en culture et exploiter ces terres, il convient de construire un cadre de travail clair pour permettre à tous les acteurs - agriculteurs, CCI, Capam, Conseil départemental, AFD - de se fédérer autour d'un projet d'intérêt public. En l'état, cette initiative prometteuse reste en devenir, en raison notamment de désaccords entre acteurs mahorais.

À terme, outre l'approvisionnement de Mayotte en produits frais, il pourrait être imaginé une activité de transformation agroalimentaire, à partir des produits agricoles tanzaniens, à destination du marché européen dont Mayotte serait la porte d'entrée.

À court-moyen terme, les efforts devraient porter sur la connectivité. À ce jour, il n'existe pas de liaisons maritimes directes entre Mayotte et la Tanzanie, ce qui complique l'acheminement des marchandises. Une escale par Mombasa au Kenya est nécessaire. CMA-CGM travaillerait à une liaison directe. Au plan aérien, un accord entre la France et la Tanzanie sur les droits de trafic a été signé à Mayotte même en juin 2022. Cet accord autorise une liaison régionale entre la Tanzanie et Mayotte avec jusqu'à sept fréquences hebdomadaires. Pour le service tout-cargo, chaque pavillon pourrait exploiter une fréquence hebdomadaire entre la Tanzanie et Mayotte. Cet accord ouvre donc grand le champ des possibles et prend explicitement en compte les liaisons directes vers Mayotte. La difficulté est désormais de trouver un opérateur aérien pour exploiter la ligne dans des conditions économiques viables.

Enfin, l'autre priorité à court terme est d'inclure la Tanzanie dans le programme Interreg VI Canal du Mozambique. Un travail de conviction est encore nécessaire du côté mahorais. Lors de son audition, Son Excellence Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France, a indiqué ne pas avoir connaissance de ce programme et des possibilités de financement offertes pour des projets de coopération. Il conviendra de rassurer les autorités tanzaniennes sur la pleine participation des Comores, de Madagascar et du Mozambique à ce programme, ces États ayant déjà donné leur accord. Seules la Tanzanie et les Seychelles manquaient encore.

Enfin, sur le volet de la coopération judiciaire et policière, les choses avancent également, alors que la Tanzanie est un point de passage et de transit pour l'immigration continentale africaine vers Mayotte. Deux projets d'accords bilatéraux sont en cours de négociation. Les autorités tanzaniennes sont très allantes sur ces sujets. En particulier, un projet d'accord de facilitation de transit à partir de l'aéroport de Dar Es Salaam est en discussion. À Mayotte, de nombreux clandestins doivent être reconduits, volontairement ou de force, vers leur pays d'origine - Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo (RDC). Or, il n'y a pas de vol direct entre Mayotte et ces pays ; la plateforme de transit serait donc la Tanzanie, qui a des lignes commerciales avec ces trois pays.

Sur ces questions, l'ambassade de France en Tanzanie devrait voir ses moyens renforcés avec l'affectation, à partir de septembre 2024, d'un conseiller chargé de la sécurité et de l'immigration qui formera à la détection de la fraude documentaire et qui sera le point de contact avec les autorités tanzaniennes de toutes nos actions de lutte contre l'immigration clandestine.

B. UNE INTÉGRATION RÉGIONALE OBSTINÉMENT FRAGILE MALGRÉ LA DYNAMIQUE NOUVELLE DE LA COOPÉRATION

Le tableau général de l'état de la coopération régionale dans le bassin océan Indien montre des dynamiques intéressantes, avec des moyens accrus, une volonté politique réaffirmée et une concertation améliorée. Toutefois, des résultats significatifs se font encore attendre et la coopération peine à transformer le quotidien des populations et des acteurs socio-économiques. La coopération régionale redynamisée ne parvient pas encore à enclencher un processus d'intégration.

1. Une intégration économique imperturbablement marginale
a) Des économies qui résistent à l'ouverture sur leur environnement régional

Le constat est ancien depuis 40 ans que la coopération régionale est à l'agenda politique. Il en est même une des principales raisons d'être : les outre-mer français, et en particulier ceux du bassin océan Indien, n'ont pas ou très peu de relations économiques avec leur environnement régional.

Les derniers chiffres ne montrent pas d'inversion des tendances lourdes.

L'IEDOM a engagé une étude complète visant à mieux exploiter les données de commerce extérieur. L'objectif selon Ivan Odonnat, président de l'IEDOM, est de mesurer « le potentiel de commerce ». Il s'agit d'évaluer de façon quantitative, mesurée, la capacité des territoires ultramarins à s'insérer dans le commerce international. Ce travail de fond devrait aboutir dans le courant de cette année. Ses conclusions provisoires sont que « le commerce extérieur n'est pas un facteur de croissance en outre-mer. Ce titre pourrait paraître provocateur mais le graphique communiqué, assez classique, est éloquent. Ainsi nous avons étudié pendant une période de dix ans le produit intérieur brut (PIB) de certains territoires d'outre-mer. Nous identifions ainsi les facteurs de la demande et comment la croissance, sur dix ans, est alimentée en distinguant différents blocs (investissement, consommation, commerce extérieur). [...] Le constat assez général tient au fait que la dynamique de croissance est tirée par la consommation. De ce fait, cette dynamique de croissance est alimentée par les importations : on consomme ce qu'on importe car les produits de consommation courante ne sont pas présents localement. Au regard de ce flux d'importations, les capacités d'exportations sont assez limitées précisément parce que la production locale est insuffisante. Le revers de la médaille est celui d'une contribution négative du commerce extérieur à la dynamique de croissance des territoires d'outre-mer ».

S'agissant de La Réunion, le principal fournisseur reste la France hexagonale, avec 55 % du total des importations en 2022. Les importations de biens en provenance des autres pays de l'Union européenne représentent 13 % du total importé. Hors Union européenne, Singapour et la Malaisie en 2022 fournissent essentiellement des produits pétroliers raffinés (carburants). Les importations en provenance de Chine (principalement des biens d'équipements) représentent quant à elles 6 % du total, en hausse de 17 % par rapport à 2021.

Pire, la part des échanges avec les pays membres des principales organisations internationales régionales est très faible : entre 0,7 % et 2,8 % chacune, si on fait exception de l'IORA, qui intègre les importations de carburant singapourien et malaisien. On rappellera que tous les membres de la COI sont aussi membres de la SADC et de l'IORA. Le premier cercle géographique, celui de la COI ne pèse que 0,7 % des importations. Les exportations sont moins anecdotiques avec 7,1 %.

Sur la période 2017-2022, ces grandes masses ne sont pas très différentes. Le graphique ci-dessous compare Mayotte et La Réunion, dont la structure des importations est similaire. La principale différence s'explique par l'approvisionnement en carburant, La Réunion se fournissant en Asie du sud-est et Mayotte au Moyen-Orient.

À cet égard, le passage au biocarburant décidé par EDF-SEI à La Réunion et EDM à Mayotte pour le fonctionnement des centrales électriques devrait encore réduire la part des importations d'origine non européenne. Selon la représentante de TotalEnergies à Mayotte, l'approvisionnement en biocarburant aux normes européennes devra se faire depuis l'Union européenne.

Principaux marchés fournisseurs du bassin océan Indien entre 2017 et 2022

Source : IEDOM

S'agissant de Mayotte, les importations en provenance des pays de l'océan Indien s'élèvent à 43,2 millions (- 5,7 % par rapport à 2021) et représentent seulement 4,1 % du total des importations de l'île.

La France hexagonale maintient sa position dominante de principal fournisseur de l'île et concentre 51,1 % des achats mahorais (- 4,3 points par rapport à 2021) avec 540 millions d'euros d'importations. Les importations en provenance des pays du Proche et Moyen Orient ont doublé (+ 101,63 %), une conséquence de la croissance des prix des produits pétroliers, plaçant ainsi cette région en deuxième position des groupes de pays fournisseurs de l'île (quatrième place en 2020 et 2021).

Les exportations montrent un profil moins centré sur l'Hexagone. Mais les volumes sont infiniment moindres que les importations, les productions locales étant limitées et en grande partie absorbées par le marché local.

Principaux destinataires des exportations en provenance des territoires ultramarins en 2022 (euros, valeur)

Si on ne considère que le trafic de conteneurs (EVP) à La Réunion, le déséquilibre est encore plus net.

Source : Port Réunion

Un autre indicateur, qui concerne cette fois une activité de services - le tourisme -, est la provenance des visiteurs. Si la part des touristes européens est importante dans l'ensemble de la région, c'est à La Réunion qu'elle est la plus écrasante (plus de 90 %)31(*). Une nuance : les flux de passagers, notamment dans le cadre du tourisme entre Maurice et La Réunion et des échanges familiaux avec Madagascar, sont assez importants. Une part des touristes combinent les deux destinations - La Réunion et Maurice - dont l'offre est complémentaire. Un tourisme régional existe aussi, de nombreux Réunionnais partant durant quelques jours à Maurice pour un tourisme balnéaire.

Océan Indien

Source : UNWTO Origine des touristes

Dernier indicateur, bien que les chiffres disponibles soient incomplets, les investissements privés directs étrangers à Mayotte et à La Réunion sont rares. Un frémissement en provenance de Maurice est enregistré depuis quelques années, notamment avec l'implantation progressive d'entreprises mauriciennes telles que IBL, Edena, LEAL, Run Market.

Selon l'IEDOM, dans l'Hexagone, la part des investissements directs étrangers dans les capitaux propres des entreprises non financières (hors investissements immobiliers) à fin 2018 s'établissait à 8 % dans l'Hexagone, contre 4,2 %à La Réunion et 4,8 % à Mayotte. Pour Ivan Odonnat, « si certains pourraient s'en féliciter en considérant cette situation comme une protection, je l'envisage plutôt comme le signe d'un manque d'attractivité de nos territoires ultramarins ».

Part des investissements directs étrangers dans les capitaux propres des entreprises non financières (hors investissements immobiliers) à fin 2018 (en %)

La fermeture relative des économies de La Réunion et Mayotte contraste avec le modèle mauricien très ouvert aux investissements étrangers et pourtant riche d'entreprises mauriciennes puissantes, pesant plusieurs milliards d'euros de chiffres d'affaires, et très dynamiques à l'extérieur.

Ce bilan économique met en évidence l'existence d'un « couloir économique » reliant La Réunion ou Mayotte à l'Union européenne, dont il est difficile de sortir.

b) Des mobilités aériennes contrariées, quand elles ne sont pas impossibles

L'autre constat récurrent est celui de l'enclavement relatif de Mayotte et La Réunion. Hormis quelques liaisons, les connexions aéroportuaires avec les pays de la région demeurent limitées et chères.

Tous les acteurs économiques rencontrés citent la faiblesse des liaisons aériennes régionales parmi les principaux freins à l'insertion régionale de Mayotte et La Réunion. La connectivité aérienne régionale est le point noir.

Des débats interrogent néanmoins le sens de la causalité : est-ce l'insuffisance du transport régional qui limite les échanges ou la faiblesse des échanges qui rend impossible un modèle économique viable pour des transporteurs régionaux ?

Club Export, qui réunit des chefs d'entreprises réunionnais, pointe des opportunités de marché perdues faute de liaisons directes avec les Seychelles. Certaines productions, comme les ananas Victoria, pourraient intéresser le tourisme de luxe des Seychelles. Mais en l'état, les marchandises doivent transiter par Paris ou au mieux Dubaï avant de repartir pour les Seychelles.

Les progrès sont lents et des retours en arrière sont encore à noter. Ainsi, la ligne d'Air Austral entre Saint-Denis de La Réunion et Chennai en Inde a été supprimé. Mis à part Paris, les hubs les plus faciles d'accès pour ensuite se rendre dans la plupart des destinations régionales sont Maurice pour La Réunion (avec plusieurs liaisons quotidiennes entre l'aéroport Roland Garros et Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport à Maurice) et Nairobi pour Mayotte, lorsque Kenya Airways dessert l'aéroport de Dzaoudzi.

Le 7 juin 2024, la compagnie Emirates a annoncé une liaison quatre fois par semaine entre Dubaï, Antananarivo et Mahé qui va connecter directement Madagascar et les Seychelles au plus important hub mondial en termes de passagers. Depuis plusieurs années déjà, Maurice est relié à Dubaï par un vol quotidien d'Emirates en Airbus A380. La Réunion et Mayotte sont à l'écart de ces connexions aériennes en plein développement, coincées dans un « couloir aérien » avec l'Hexagone.

Le contre-exemple de Maurice est fréquemment cité. Une vingtaine de compagnies aériennes y travaillent et desservent plus de 35 destinations. En 2019, près de quatre millions de passagers ont été enregistrés à l'aéroport. De nouvelles lignes vers la Chine sont en cours d'élaboration. À côté, La Réunion qui a pourtant enregistré 2,69 millions de passagers en 2023 et 2,48 en 2019, n'accueille que sept compagnies qui desservent essentiellement l'Hexagone et Mayotte. Quatre compagnies opèrent à Mayotte, dont trois françaises.

Parmi les facteurs avancés, on soulignera notamment :

- les infrastructures aéroportuaires ne sont pas toujours à la hauteur. La piste de Mayotte, trop courte et qui tend à s'enfoncer dans le lagon en raison de l'activité volcanique sous-marine, ne permet pas à tous les types de gros porteurs de décoller ou d'atterrir à pleine charge32(*). Le parking avion est trop petit également pour accueillir des gros porteurs simultanément. Un projet de délocalisation est sur la table depuis des années. Les dernières annonces gouvernementales confirmeraient l'option de la construction d'un nouvel aéroport à Bouyouni en Grande-Terre. Dans toutes les hypothèses, Mayotte devra faire avec les infrastructures actuelles pendant la prochaine décennie, dans le meilleur des cas ;

- les horaires d'ouverture de l'aéroport de Mayotte sont très contraints, en raison notamment de l'organisation du contrôle aérien sur des créneaux limités qui interdisent l'ouverture de la piste en soirée ;

- le flux touristique est trop faible pour atteindre une masse critique suffisante pour rentabiliser les lignes et faire émerger un hub, à la différence de Maurice qui a pourtant une population équivalente à celle de La Réunion ;

- l'objectif de continuité territoriale33(*) avec l'Hexagone et entre Mayotte et La Réunion capte l'essentiel des financements publics - nécessaires - et l'attention des acteurs, au détriment d'une vision plus régionale ;

- une politique de visas trop stricte décidée par Paris pour La Réunion et Mayotte, qui bloque un tourisme régional et des relations d'affaires fluides. La crainte d'une immigration illégale rigidifie l'ensemble des flux. Lors de son audition, Son Excellence Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France, a souligné que « pour toute personne possédant un passeport français, et pas seulement pour les résidents de l'Hexagone, c'est très facile de voyager vers la Tanzanie. Pour les Tanzaniens, c'est plus compliqué. [...] Les Tanzaniens vont à l'étranger, mais ils rentrent chez eux ensuite, si bien que la diaspora tanzanienne est probablement la plus faible d'Afrique. Nous aimerions que la procédure d'obtention d'un visa pour les Tanzaniens soit facilitée, afin d'améliorer les échanges économiques entre nos deux pays. Le désir de retourner en Tanzanie est accentué par les opportunités économiques locales : le secteur touristique est en pleine croissance. D'ailleurs, la France est le seul pays européen avec lequel nous avons des vols directs, opérés par Air France, ce qui a fortement contribué à notre essor touristique » ;

- des compagnies locales fragiles. Air Austral, principale compagnie régionale basée à La Réunion, a fait l'objet d'un plan de reprise qui n'a pas encore produit les effets espérés. 185 millions d'euros de dettes ont été effacés dont 105 millions de dettes bancaires et prêts garantis par l'État. Les lignes les moins rentables ont été fermées, notamment vers Madagascar et les Seychelles. L'avenir de la compagnie demeure incertain.

c) Le transport maritime régional à la recherche d'un modèle économique viable

La situation du transport maritime de marchandises dans la région apparaît plus ouverte que le transport aérien, même si les acteurs économiques restent critiques. Elle est une clef décisive pour diversifier les sources d'approvisionnement, encourager des circuits courts, faire baisser les coûts et développer économiquement la région.

Un premier atout est que Mayotte et La Réunion se situent sur des routes maritimes majeures.

Source : Port Réunion

Du côté des infrastructures portuaires, le Grand port maritime de La Réunion offre des infrastructures modernisées et un environnement général de travail sûr. De nombreux équipages de navire escalent à La Réunion pour bénéficier de la sécurité de l'île, dans une région où la sécurité n'est pas toujours garantie. Le Grand Port est une bulle de sécurité (physique, juridique, financière...) encore insuffisamment mise en avant. Port Réunion a la meilleure évaluation au risque de toute la région océan Indien. Le développement de l'arrière-port et l'aménagement de nouveaux quais demeurent les principales préoccupations, ainsi que les tarifs du port. Des investissements seraient aussi utiles pour moderniser et agrandir le poste d'inspection frontalier (PIF)34(*).

Le port a multiplié les coopérations techniques avec les autres ports de la région, notamment dans le cadre de l'association des ports des îles de l'océan Indien (APIOI)35(*). Sur des fonds Interreg V et de l'AFD, plusieurs projets ont été mis en place. Avec les Seychelles36(*) et le Mozambique37(*), les relations sont très opérationnelles et fluides, au travers notamment d'un programme de formation dans les domaines de la manutention portuaire, des travaux sous-marins, du transit maritime, de la maintenance ou de la réparation navale. Un des objectifs est que les entreprises réunionnaises qui souhaitent se développer au Mozambique puissent s'appuyer sur une main d'oeuvre locale formées aux standards européens. Pour Interreg VI, un plan d'action a été proposé, à la fois pour consolider les actions déjà engagées et pour élargir la construction de cet écosystème aux standards européens à l'ensemble de la région. L'association de gestion portuaire de l'Afrique de l'Est et du Sud (PMAESA) est un des partenaires institutionnels de ce nouveau projet. Pour les autorités de La Réunion, l'objectif est de créer un écosystème complémentaire entre les ports du sud-ouest de l'océan Indien pour proposer un service compétitif face aux ports situés plus au nord dans le bassin.

À Mayotte, la situation est différente avec des infrastructures portuaires jugées très insuffisantes. Des quais manquent, la gestion par le délégataire est critiquée avec des horaires d'ouverture du port handicapants et des tarifs prohibitifs compte tenu du service rendu. Des bateaux sont contraints de rester au mouillage plusieurs jours, ce qui dégrade la rentabilité économique des escales, sur un marché mahorais beaucoup plus petit que celui de La Réunion. De nombreuses entreprises et opérateurs sur le port se plaignent de conditions de travail extrêmement difficiles.

S'agissant des liaisons maritimes, les principaux transporteurs maritimes mondiaux sont présents sur la zone, en particulier CMA-CGM, et dans une moindre mesure MSC et Maersk. Des transporteurs régionaux sont aussi actifs et se positionnent sur les transports hors container (roulier, vrac...).

L'indice mondial de connectivité des transports maritimes réguliers au quatrième trimestre 2022 montre d'ailleurs que le Grand port maritime (GPM) de La Réunion est bien positionné dans son bassin légèrement après Maurice.

Indice de connectivité des transports maritimes réguliers
au quatrième trimestre 2022

La carte ci-dessous montre l'ensemble des lignes maritimes régulières conteneurisées desservant La Réunion.

Délais de dessertes des lignes maritimes conteneurisées de Port Réunion

La crise du Covid, puis la crise des Houthis en mer Rouge depuis fin 2023, ont toutefois montré la fragilité des dessertes maritimes. L'allongement des délais de route par le cap de Bonne Espérance a désorganisé les chaînes d'approvisionnement. La Réunion n'apparaît pas toujours prioritaire dans ces phases de réajustement, compte tenu de son volume d'activité par rapport aux grands ports de la région.

Mayotte est dans une situation moins favorable, mais qui s'améliore. Une ligne maritime transocéanique hebdomadaire relie le port de Longoni au port de Jebel-Ali et à La Réunion. Un service filaire régional dessert également toutes les îles de la région au départ de La Réunion. Au total, des liaisons directes entre Mayotte et Madagascar, le Mozambique et le port de Mombasa au Kenya existent. Pour la Tanzanie, un transbordement par Mombasa est nécessaire. Mayotte est aussi un hub de transbordement pour les Comores, représentant 10 000 EVP par an.

La connectivité maritime apparaît donc assez satisfaisante sur le papier. En pratique, les aléas dus aux faiblesses des infrastructures à Mayotte et dans une moindre mesure à La Réunion perturbent les plans. De nombreux importateurs se plaignent aussi de containers qui restent à quai faute d'être traités en priorité. Les délais de desserte affichés sont théoriques. Une rotation manquée double ou triple les délais. Ces reproches valent aussi dans le sens La Réunion-Mayotte.

S'agissant plus spécifiquement de la création d'une compagnie maritime régionale qui ferait du cabotage entre les îles, il s'agit d'un projet ancien, régulièrement évoqué par la région Réunion ou les acteurs économiques réunionnais et mahorais. Des études ont été conduites dans le cadre de la COI également, sur financement AFD il y a une quinzaine d'années. Les réflexions ont été relancées à l'occasion du CIOM et de la crise du Covid qui a montré la vulnérabilité de l'approvisionnement de l'île. La question du traitement des déchets dangereux, non-exportables sauf vers l'Union européenne et dans des conditions de sécurité très complexes à satisfaire, a également relancé l'idée d'un vecteur maritime régional multi-usage38(*).

Sur le volet opérationnel, le GPM de La Réunion confirme qu'il n'y aurait aucune difficulté à accueillir un bateau de cette compagnie (un opérateur était pressenti et devait prendre contact avec Port Réunion, ce qui ne semble pas avoir été le cas). À Mayotte, les difficultés actuelles pour accueillir plusieurs bateaux vaudraient dans les mêmes conditions pour cette nouvelle compagnie.

Sur le volet stratégique, des clarifications sont aussi nécessaires sur les objectifs affichés : cabotage régional, transport de containers, vracs, desserte ponctuelle de l'Europe pour des exports de déchets...

Par ailleurs, une offre régionale existe déjà et l'émergence d'un acteur supplémentaire ne sera pas aisée.

Comme décrit plus haut, des liaisons régionales existent de la part des grands transporteurs, à commencer par CMA-CGM. Le responsable de la compagnie à Mayotte indiquait que sur la ligne directe entre Mombasa et Longoni, depuis le début 2024, seuls sept EVP avaient été transportés. Le potentiel existant est donc complètement sous-utilisé. La région ne souffre pas d'un manque de bateaux ou de liaisons, mais en grande partie d'une saturation des ports avec des flux déséquilibrés : beaucoup d'imports, très peu d'exports.

Par ailleurs, un opérateur mauricien a créé depuis début 2023 un service ne desservant pas La Réunion mais récupérant des flux de marchandises remontant vers les hubs du nord de l'océan Indien. Cela réduit d'autant le potentiel de développement de l'éventuelle compagnie maritime régionale pour capter ces flux régionaux.

En outre, les flux avec les pays riverains d'Afrique australe restent faibles et irréguliers. Ce qui explique en partie que les principaux armateurs ne renforcent pas davantage certains services avec un ou plusieurs feeders (navires de petit tonnage permettant de répartir les marchandises entre grands ports et ceux de taille plus modeste).

Enfin, venir concurrencer directement les trois armements mondiaux semble également illusoire car il leur serait facile de diminuer temporairement leurs tarifs le temps d'assécher les fonds propres de la compagnie.

2. L'isolement persistant de Mayotte
a) Un contentieux intangible : la non reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France

La contestation historique par les Comores de la souveraineté française sur Mayotte n'a pratiquement pas évolué depuis 50 ans. Sur le principe, l'Union des Comores maintient fermement sa position dans toutes les instances internationales : ONU, Union africaine, COI, IORA, SADC... La départementalisation, les bonnes relations bilatérales avec la France - hormis la question de Mayotte - ou la Rupéisation de l'île n'ont pas fondamentalement modifié les positions du Gouvernement des Comores.

L'appartenance de Mayotte aux Comores figure depuis l'origine dans le préambule de la Constitution comorienne, y compris dans sa version révisée en 2018 : « Le peuple comorien affirme solennellement sa volonté de [...] faire du retour de l'île de Mayotte dans son ensemble naturel, une priorité nationale ». L'article 6 de la Constitution précise : « Le territoire de l'Union des Comores se compose des îles et îlots de Mwali (Mohéli), Maoré (Mayotte), Ndzuani (Anjouan) et Ngazidja (Grande Comore) ». Cet irrédentisme est rappelé à intervalles réguliers par les autorités comoriennes, et au premier chef son président Azali Assoumani.

Constante également l'aversion des États de la région à se positionner en défaveur des Comores ou à se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre les Comores et la France. Cette prudence a été clairement exprimée par Son Excellence Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France, pour lequel des coopérations dans tous les domaines sont possibles, sous réserve que la Tanzanie ne se voie pas reprocher de prendre parti à propos de la question de Mayotte. Il a rappelé la position de principe ancienne de l'Union africaine qui ne reconnaît pas la souveraineté française à Mayotte et sur laquelle la Tanzanie s'aligne.

Cette intangibilité tend de plus en plus l'attitude de nombreux Mahorais à l'endroit de l'Union des Comores, perçue et désignée comme « un État hostile » menant une « guerre hybride » contre Mayotte et la France.

b) L'accord de partenariat France-Comores de 2019 : un bilan dénoncé par les élus mahorais

Cette tension doublée d'une incompréhension se cristallise notamment sur l'accord France-Comores conclu le 29 juillet 2019 et intitulé « Document cadre pour un partenariat renouvelé entre la République française et l'Union des Comores ». En application de ce document, un plan de développement France-Comores (PDFC), ainsi que l'avenant à l'accord d'établissement entre l'agence française d'expertise technique internationale (Expertise France), ont été signés le 23 mars 2021. Le PDFC a été mis en place pour soutenir, à hauteur de 150 millions d'euros sur la période 2019-2022, des projets visant en priorité la formation et l'insertion socio-professionnelle des jeunes, une meilleure accessibilité à l'éducation et aux soins de santé et l'amélioration de leur qualité, ainsi que le développement des activités génératrices d'emplois en zones rurales notamment via le développement de filières agricoles d'exportation.

Pour l'AFD et Charles Trottmann, directeur du département des « Trois Océans », « le plan de développement France Comores a permis de débloquer une situation de crise. En 2018-2019, les Comores refusaient en effet de reprendre leurs ressortissants sous obligation de quitter le territoire français. Dans ce cadre, l'AFD a apporté 150 millions d'euros d'engagements financiers pour aider au développement des Comores, en contrepartie d'un double effort. Le premier concernait les réadmissions. À cet égard, les Comores sont irréprochables puisqu'elles reprennent 25 000 ressortissants par an sans laissez-passer consulaire. Le second portait sur la prévention des départs. Beaucoup reste sans doute à faire en la matière, mais cela ne relève pas de l'AFD. Celle-ci cherche à agir sur les causes profondes des migrations en concentrant les fonds sur trois grands secteurs : l'éducation, la santé et l'insertion dans l'emploi, en particulier dans les secteurs agricoles ».

La totalité des fonds étaient engagés fin 2021, augmentés de 20 millions d'euros en accroissement de crédit. En revanche, la mise en oeuvre se réalise progressivement, sans doute jusqu'en 2028 ou 2029, à la mesure des capacités d'exécution des partenaires comoriens. À ce jour, 25,4 millions d'euros ont été décaissés, soit moins de 20 %. Charles Trottmann précise que « le dispositif est très étroitement contrôlé. Outre l'agence de l'AFD présente sur place et constituée d'une quinzaine de personnes, environ cinquante collaborateurs français d'Expertise France accompagnent sur place la mise en oeuvre des programmes. Chaque euro peut ainsi être tracé ».

Leur utilisation est très concrète : rénovation de cinq hôpitaux, dont les maternités d'Anjouan, construction ou rénovation de cinquante écoles, accompagnement de plus de 8 000 personnes en formation professionnelle et insertion... Pour rappel, l'écart structurel de niveau de vie est actuellement d'un à huit entre Anjouan - l'île comorienne la plus proche - et Mayotte.

Toutefois, du côté mahorais, ce partenariat est perçu comme un marché de dupes. Certes, les Comores acceptent de reprendre leurs ressortissants éloignés de Mayotte sans difficultés ni formalités39(*) (à l'exception d'une brève interruption au début de l'opération Wuambushu au printemps 2023), mais aucune action réelle ne serait entreprise pour limiter les départs de kwassa-kwassa d'Anjouan vers Mayotte. Pire, nombreux sont ceux qui suspectent le Gouvernement comorien d'encourager, voire d'organiser cette immigration illégale, y compris le flux récent de demandeurs d'asile en provenance d'Afrique continentale. De plus, les Comores n'ont pas évolué officiellement sur l'appartenance de Mayotte à la France.

c) Une non reconnaissance aux dommages collatéraux multiples

La non reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France est un point de fixation ou de blocage, qui se transforme en point de faiblesse et de pression.

Mayotte a de fortes aspirations à l'international ; elle a en effet élaboré une stratégie de coopération régionale et multiplie les initiatives pour exercer ses compétences en la matière. Toutefois, les initiatives directes de Mayotte sont toutes entravées par l'opposition comorienne.

Le refus de l'adhésion de la France au titre de Mayotte à la COI ou à l'IORA en est la conséquence la plus visible. Par ailleurs, la Cour suprême comorienne a censuré il y a un an un projet de coopération décentralisée portée par la ville de Mamoudzou, hypothéquant ainsi d'autres projets de ce type.

Des obstructions moins médiatiques existent aussi. Axel-David Guillon, premier conseiller à l'ambassade de France en Tanzanie, a rapporté que « les autorités comoriennes ont tenté de faire pression sur les Tanzaniens pour entraver les projets de coopération avec Mayotte, mais ceux-ci n'ont jamais donné suite à ces tentatives. Lors de la mise à jour de l'accord bilatéral de services aériens (ASA) entre la France et la Tanzanie, les Tanzaniens ont souhaité qu'Air Tanzania puisse desservir Mayotte, mais ils n'ont pas mis en place de lignes directe entre Dar Es Salaam et Mayotte, pour plusieurs raisons. L'ambassade comorienne leur a rappelé que la Tanzanie, en tant que membre de l'Union africaine, ne devait pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte - mais les Tanzaniens considèrent que cette position ne reflète pas la réalité des relations entre la France et les Comores. Ensuite, la Tanzanie ne dispose pas d'un nombre suffisant d'avions pour desservir Mayotte. Pour notre part, nous insistons après de la compagnie aérienne publique et des compagnies privées tanzaniennes pour leur expliquer qu'il existe un énorme potentiel de fret commercial aérien entre ces deux territoires ».

L'irrédentisme comorien plane sur Mayotte et dissuade par anticipation des initiatives. Les acteurs régionaux sont prudents et demandent à être réassurés avant d'approfondir des projets avec Mayotte. Les Seychelles et la Tanzanie sont par exemple dans l'attente de la confirmation de la participation des Comores au programme Interreg VI Canal du Mozambique géré par Mayotte, avant d'accepter de s'y associer à leur tour.

Ce contentieux territorial peut aussi devenir un point d'entrée pour des opérations d'ingérence et de déstabilisation, quand bien même elles resteraient purement déclaratoires. Le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a déclaré le 3 février 2023 que « La France conserve toujours le contrôle et la souveraineté sur l'île comorienne de Mayotte, malgré de nombreuses résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies demandant à Paris de la restituer aux Comores ». L'ambassadeur russe à Madagascar, Andrey Andreev, a aussi déclaré que « la Russie a toujours soutenu l'Union des Comores dans sa volonté de restituer l'île de Mayotte (sic) sous sa souveraineté » et qu'elle était « prête à l'interaction la plus étroite avec Moroni pour un règlement politique rapide de la situation autour de Mayotte ».

Enfin, le dernier dommage collatéral de ce blocage est l'exaspération montante, voire le rejet de toute relation avec les Comores, au sein d'une part croissante de la société mahoraise.

Pour le président du conseil départemental Ben Issa Ousseni, « les Mahorais sont exaspérés qu'on veuille leur imposer un destin comorien. La moitié des villages de Mayotte sont malgachophones. On y parle le shibushi, ce qui n'est le cas dans aucun village des Comores. L'autre langue principale de Mayotte, le shimaoré, est apparenté au swahili, tel qu'il est parlé au Mozambique, en Tanzanie ou au Kenya. Il faut cesser d'orienter Mayotte vers un destin comorien dont les Mahorais ne veulent pas, ainsi qu'ils l'ont exprimé à plusieurs reprises ».

C'est ce bilan jugé très insuffisant qui a conduit les élus mahorais, en janvier 2023, avec l'appui du président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale, à empêcher l'adoption du projet de loi de ratification de l'Accord de Victoria révisé (AVR), qui révise le texte fondamental de la COI. Le projet de loi, qui avait été approuvé au Sénat en première lecture, a été retiré avant le débat. La France est à présent le seul État de la COI à ne pas l'avoir encore ratifié.

L'Accord de Victoria révisé (AVR)

Lors du 34ème Conseil des Ministres de la COI, qui s'est tenu le 6 mars 2020 à Mahé (Seychelles), les États membres ont validé une importante réforme institutionnelle de l'organisation, contenue dans l'accord dit de Victoria révisé.

Les principales dispositions de l'AVR sont :

- l'extension des domaines de coopération de la COI ;

- l'inscription de l'insularité, de l'appartenance à l'espace africain et au sud-ouest de l'océan Indien comme critère d'adhésion à la COI ;

- le maintien et rappel de l'unanimité comme mode de décision de l'organisation ;

- l'institutionnalisation d'un Sommet des Chefs d'État et de gouvernement tous les cinq ans (le prochain pourrait se tenir à Madagascar) ;

- le passage à deux réunions du Conseil des ministres par an ;

- la réaffirmation du caractère unificateur de la langue française comme langue de travail et d'échange au sein de la COI ;

- la définition de critères pour l'accès au statut d'observateur.

L'Accord de Victoria révisé a été ratifié par les Comores (juin 2020), les Seychelles novembre 2021) et Maurice (mai 2023), et le projet de loi de ratification a été adopté à Madagascar (décembre 2022). Pour la France, le projet de loi de ratification a été approuvé par le Conseil des ministres du 26 janvier 2022 puis transmis au Parlement. Il a été approuvé par le Sénat le 19 juillet 2022 mais, suite aux débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a finalement choisi de retirer le texte de l'ordre du jour de l'Assemblée en janvier 2023.

Un nouveau règlement intérieur a également été adopté en décembre 2022 et comporte plusieurs points :

- la clarification des pouvoirs du secrétaire général et des compétences du secrétariat général ;

- le rôle et la place du comité des officiers permanents de liaison (OPL, hauts fonctionnaires), en tant qu'organe décisionnel de la COI, par rapport au secrétariat général et au Conseil des ministres ;

- l'assouplissement de la règle de l'unanimité selon le domaine et la nature des décisions à prendre ;

- l'usage de l'anglais qui est réservé aux échanges avec les États tiers non francophones ;

- l'entrée en vigueur des résolutions et décisions prises par le Sommet des chefs d'États et par le Conseil des ministres en cas d'absence de participation d'un État membre empêchant la signature et validation en séance.

Source : MEAE

d) La 38e conférence ministérielle de la COI : le début d'une fermeté nouvelle de la France ?

Quelques signaux récents laissent penser que le Gouvernement français s'orienterait vers une diplomatie plus offensive et une affirmation mieux marquée de la souveraineté française à Mayotte auprès de l'ensemble des partenaires régionaux.

Dans un courrier en date du 24 octobre 2023, les élus de Mayotte - sénateurs, députés, président du conseil départemental et association des maires de Mayotte - avaient sollicité officiellement le MEAE pour les accompagner lors d'un déplacement à l'organisation des Nations Unies (ONU) en vue de défendre devant la communauté internationale le choix historique du maintien de la souveraineté française sur Mayotte. Dans son courrier en réponse daté du 30 novembre 2023, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, avait assuré son soutien aux élus nationaux et territoriaux de Mayotte et indiqué avoir demandé à la Représentation permanente de la France auprès de l'ONU à New York de leur apporter tout l'appui nécessaire à l'organisation de ce déplacement.

Devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 15 mai 2024, Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, s'est voulu déterminé en rappelant que « ces trente dernières années, il n'y a pas eu une seule résolution à l'Assemblée générale des Nations unies remettant en cause la souveraineté française à Mayotte et aucune demande en ce sens n'a été formulée. La communauté internationale accepte donc largement cette souveraineté. La France a aussi soutenu la candidature de Mayotte pour l'accueil des Jeux des îles de l'océan Indien ».

Au même moment, lors de la 38ème conférence ministérielle de la COI à Maurice, Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État française chargée du développement et des partenariats internationaux, a plaidé pour l'intégration de Mayotte dans cette instance, alors que ce sujet n'était plus directement évoqué depuis plusieurs années. Cette déclaration a été suivie d'une fin de non-recevoir du Gouvernement comorien, mais elle a remis ce contentieux ancien à l'agenda politique de la COI. Une piste de compromis à travailler consisterait à changer les textes fondateurs de la COI et annexer des déclarations précisant l'absence de conséquences de ces amendements sur la question de souveraineté.

Ces initiatives convergentes résonnent avec la convention de partenariat évoquée supra entre le MEAE, le ministère de l'Intérieur chargé des Outre-mer (MIOM) et le conseil départemental de Mayotte, qui pose le cadre d'un portage politique à haut niveau des ambitions de Mayotte en matière de coopération régionale.

e) D'autres contestations territoriales périphériques moins actuelles, mais qui sont autant de points de faiblesse pour l'avenir

Outre Mayotte, deux autres contentieux de souveraineté existent. Ils ne gênent pas à ce jour la coopération régionale dans le sud-ouest de l'océan Indien. Toutefois, à plus long terme, ils pourraient être ravivés et devenir un obstacle à la coopération, ainsi qu'aux relations bilatérales.

Le premier différend de souveraineté oppose la France à Maurice à propos de l'île Tromelin, dont le Gouvernement mauricien revendique la souveraineté depuis 1976. Tromelin est une île inhabitée faisant partie des TAAF. En juin 2010, un accord bilatéral relatif à la cogestion économique, scientifique et environnementale de Tromelin et à ses espaces environnants a été signé entre la France et Maurice. En France, le processus de ratification est toutefois bloqué à l'Assemblée nationale depuis 2017.

Ce contentieux est endormi depuis plusieurs années, Maurice concentrant ses efforts sur une autre revendication territoriale l'opposant au Royaume-Uni. En effet, la relation entre Maurice et le Royaume-Uni est marquée par le différend de souveraineté sur les Chagos, détachées du territoire mauricien par les Britanniques en 1965, trois ans avant l'indépendance de Maurice. Cet archipel compte 55 îles, dont la plus grande, Diego Garcia, abrite une base de l'armée américaine. Des négociations ont été officialisées le 3 novembre 2022, l'objectif affiché par les parties étant rapidement d'aboutir à un accord. Si un accord était trouvé avec le Royaume-Uni, il est probable que les autorités mauriciennes remettraient à l'agenda la question de Tromelin.

Le dernier contentieux territorial oppose la France à Madagascar à propos des îles Éparses situées dans le Canal du Mozambique. Elles font elles-aussi partie des TAAF. Une commission mixte bilatérale a été chargée de trouver une solution. Elle s'est réunie une fois. La seconde réunion n'a pas eu lieu en raison des élections à Madagascar et le sujet est depuis mis en retrait. Il pourrait ressurgir néanmoins. L'Assemblée générale des Nations Unies demande l'ouverture de discussion à ce sujet, sans demander expressément le transfert de la souveraineté à Madagascar. Les premières prospections sur la présence possible de gaz dans les eaux des îles Éparses n'ont pas été conclusives, ce qui peut atténuer l'intensité des revendications. Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice supérieure des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), a plaidé pour une diplomatie scientifique et environnementale active. De nombreux projets de recherche sont déjà en place. L'AFD travaille sur un consortium associant les États de la région, de la Tanzanie à l'Afrique du sud. Cette diplomatie est le meilleur rempart pour mettre au second plan la question de la souveraineté.

Néanmoins, il ne peut être exclu qu'à la faveur de la découverte de ressources naturelles importantes ou d'un contexte intérieur nouveau à Madagascar, ce contentieux vienne perturber les relations régionales dans le futur.

3. Une coopération franco-française déséquilibrée : des enjeux différents pour Mayotte et La Réunion au risque de réduire les synergies
a) Un bassin, deux sous-bassins

L'approche de la coopération régionale par bassin permet de déployer des actions de plus grande ampleur et d'accroître le champ des opportunités. Toutefois, elle ne doit pas occulter l'existence de sous-bassins marqués.

Vu de Paris, Mayotte et La Réunion sont deux territoires proches. Vu de ces territoires, il y a 2 heures 30 de vol et une île continent - Madagascar -entre les deux.

Outre la distance, Mayotte et La Réunion évoluent dans deux contextes géopolitiques différents. Mayotte se trouve au milieu et à l'entrée du Canal du Mozambique qui s'affirme chaque jour comme « un espace de compétition crisogène »40(*). La Réunion a une position beaucoup plus indo-océanique, en périphérie de l'Afrique australe.

Cette dissociation des enjeux est accentuée par les situations démographiques, économiques, sociales ou culturelles très différentes de ces territoires, qui peuvent être à la source d'intérêts divergents sur la nature des projets de coopération régionale à porter.

b) L'antériorité de La Réunion

Autre déséquilibre : l'avance prise par La Réunion. DROM historique le plus peuplé et développé, La Réunion jouit d'un véritable rayonnement dans son bassin régional. La France est membre de la COI au titre de La Réunion depuis 1986, Mayotte ne l'est pas. La région Réunion gère les fonds Interreg depuis plus de 20 ans, le département de Mayotte depuis Interreg VI seulement. Les présidents du département et de la région participent régulièrement à des rencontres bilatérales.

Au plan économique, le tissu économique de l'île est aussi très impliqué dans des rencontres et forums régionaux. Port Réunion et l'aéroport Roland Garros ont des infrastructures sans commune mesure avec le port et l'aéroport de Mayotte.

Au plan universitaire, sanitaire et scientifique, le déséquilibre est le même. Les grands établissements ont tous leur antenne régionale à La Réunion qu'il s'agisse du Cirad, l'IRD, Météo France, l'Institut de physique du globe, le CHU ou l'université de La Réunion.

c) Une certaine indifférence ?

Ces différences de situation objectives font que la dynamique de coopération régionale, réelle depuis quelques années, n'est pas entraînée par le couple Mayotte-La Réunion.

À ce titre, la contestation de la souveraineté française à Mayotte pèse lourd, La Réunion pouvant craindre que le durcissement des relations entre la France et certains États de la région pour ce motif ne déteigne sur ses relations propres. Par ailleurs, la crise migratoire mahoraise soulève de fortes inquiétudes à La Réunion par crainte d'un effet rebond.

Du côté mahorais, la perception d'une relation déséquilibrée, voire d'une forme de tutelle économique de La Réunion sur Mayotte exprimée par plusieurs acteurs économiques, existe.

Ces facteurs objectifs et subjectifs ne facilitent donc pas les synergies ou des initiatives communes fortes portées par ce duo.

Pour autant, les relations de travail existent. En particulier, les deux programmes Interreg sont articulés et de nombreux projets financés par Interreg océan Indien associent les deux territoires. Un comité de concertation se réunit tous les deux mois pour orienter au mieux les porteurs de projet et identifier des projets d'intérêt commun, par exemple dans la région de Majunga à Madagascar. En matière de coopération décentralisée, le département de La Réunion, qui a des partenariats avec les trois îles des Comores, pourrait jouer un rôle de facilitateur pour associer Mayotte à certains des projets conduits.

4. Des facteurs défavorablement constants
a) Des différentiels de développement et de gouvernance importants

Une étude de l'IEDOM en 2014 avait identifié les principaux obstacles à une meilleure insertion économique régionale de Mayotte et La Réunion :

- éloignement par rapport aux partenaires potentiels en termes de PIB (hormis l'Afrique du Sud) qui ne permet pas d'entretenir une dynamique de croissance des exportations via les débouchés potentiels ;

- coûts du travail beaucoup plus élevés à La Réunion et à Mayotte et des exigences normatives qui renchérissent les coûts de production ;

- forte présence de la Chine dans la région qui « cannibalise » et réoriente le commerce intra-zone ;

- productions locales étroites, concentrées sur quelques filières (sucre, pêche et rhum pour La Réunion ; vanille et ylang ylang pour Mayotte) qui sont au surplus en concurrence directe avec les productions régionales ;

- faibles investissements productifs avec des ressources naturelles limitées et mises sous pression sous l'influence de la croissance démographique ;

- absence d'infrastructures et de connectivité adéquates, efficaces et efficientes pour soutenir l'investissement et la coopération économique ;

- non-participation des DOM aux accords commerciaux régionaux tels que la SADC ou la COMESA41(*) ;

- climat des affaires peu facilitateur et absence d'un esprit de régionalisme (contrairement à ce qui se passe dans le Pacifique).

Cette analyse demeure sensiblement vraie dix ans plus tard.

Les différentiels de développement demeurent en particulier très marqués, à la seule exception de Maurice qui rattrape son retard de développement grâce à une politique d'ouverture économique et financière affirmée.

Principales données économiques et démographiques des membres de
la COI et de Mayotte

b) Les vertus surestimées des circuits courts ?

La dernière étude de l'Insee (2023) a montré que les prix à la consommation étaient plus élevés dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) qu'en France hexagonale : de 9 % à La Réunion à 16 % en Guadeloupe, en 2022. Pour tous les DROM, les écarts de prix ont augmenté par rapport à 2015. Les écarts s'expliquent avant tout par la cherté des biens et en particulier des produits alimentaires, pour lesquels les prix payés par les ménages sont de 30 % à 42 % plus élevés.

Or, c'est sur les biens qu'un approvisionnement dans l'environnement régional pourrait contribuer à faire baisser les prix. Selon Ivan Odonnat, président de l'IEDOM, « la dépendance aux importations et le manque d'intégration régionale pénalisent les niveaux de prix. [...] Sur la base du rapport de 2019 de l'Autorité de la concurrence, qui nécessiterait sans doute d'être réactualisé, la structure des coûts moyens de la grande distribution (dans cinq départements et régions d'outre-mer) est étudiée. Un certain nombre de facteurs reflète la nécessité d'importer les produits de l'extérieur, ce qui génère des coûts liés à l'intervention des grossistes, des coûts de fret et des coûts liés à la fiscalité. Une marge de réduction des coûts pourrait être recherchée si les produits étaient importés dans un bassin plus proche que l'Hexagone. De mon point de vue, l'impact du manque d'intégration régionale sur les prix est indéniable ».

Un rééquilibrage des importations depuis l'espace régional de l'océan Indien pourrait réduire théoriquement le prix d'achat pour le consommateur en profitant de plusieurs facteurs :

- des coûts de production beaucoup plus faibles dans les pays de la région ;

- des coûts de fret inférieurs ;

- des délais de livraison raccourcis et une diversification des approvisionnements autorisant une réduction du surstockage actuel pour éviter les ruptures ;

- des intermédiaires moins nombreux dans la chaîne de production et de vente.

L'ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France souscrit à cette analyse prometteuse, l'agriculture tanzanienne étant de plus en plus exportatrice et en recherche de marchés. Il a cité l'exemple des avocats « vendus ici 2 euros pièce ; pour 2 euros, vous pouvez avoir 4 kg d'avocats en Tanzanie ».

La DGOM est toutefois plus prudente dans son analyse. Une grande partie des frais d'approche ainsi que le niveau d'octroi de mer ne sont pas liés à la distance parcourue par les produits et demeurent quelle que soit leur provenance. Parfois même, le coût du fret est supérieur dans la zone au fret en provenance de l'UE, pour des raisons de massification des flux.

Sur ce dernier aspect, la situation du transport maritime de marchandises à La Réunion et à Mayotte laisse plutôt penser que les coûts du fret régional sont inférieurs à ceux depuis ou vers l'Europe. Les compagnies maritimes restent floues sur leurs tarifs exacts. Mais, à titre indicatif, CMA-CGM indique par exemple que les taux SPOT (client classique) Mombasa/Longoni sont 46 % inférieurs aux taux Le Havre/Longoni pour un EVP ordinaire à fin mai 202442(*). Dans les Antilles et en Guyane, le différentiel est moins net, voire inversé.

Selon le dernier rapport de l'Autorité de la concurrence (2019), les coûts de transport maritime représentent une part limitée du coût d'achat des produits importés (moins de 5 % en moyenne en 2019 en ne considérant que la partie « fret » ; sans doute 8 % aujourd'hui après la crise du covid et la crise des Houthis). Au total, la DGOM relève que si les frais d'approche représentent 16 % du coût total moyen d'un distributeur, les coûts de transport maritime (fret, carburant, manutention, etc.) représentent en moyenne moins de 10 % du coût d'achat des produits importés. Ce coût moyen peut toutefois être très variable d'un produit à l'autre. De même, le recours à des grossistes importateurs renchérit de plusieurs points de pourcentage le coût total d'un distributeur. Une importation de produits de la zone géographique par voie maritime ne supprimerait donc pas l'ensemble des coûts d'approche.

À cet égard, on rappellera que la mondialisation de l'économie depuis 40 ans s'est bâtie sur le calcul économique d'une massification des flux et de coûts de transport réduits, permettant de s'abstraire de la proximité géographique. La régionalisation des échanges pour faire baisser les prix est un raisonnement économique qui ne va donc pas de soi et qui doit s'analyser au cas par cas, selon les filières.

Il convient également de prendre en compte les normes sanitaires et de sécurité de l'UE, qui protègent le consommateur. Benoît Pascal, directeur régional des douanes à Mayotte, alerte notamment sur certains fruits et légumes en provenance des Comores, en dehors des circuits officiels, qui présentent des taux de produits phytosanitaires toxiques pour la santé bien au-delà des normes admises.

Enfin, les importations ne doivent pas entrer en concurrence directe avec les productions agricoles et les biens transformés à La Réunion ou Mayotte. La Réunion déploie notamment une stratégie ambitieuse de souveraineté alimentaire et de diversification des productions, à destination du marché local.

La diversification de l'approvisionnement (sourcing) peut être un levier de baisse du coût de la vie outre-mer, en particulier sur les produits alimentaires, mais à la condition d'identifier les filières et les pays d'origine les plus pertinents (différentiel de prix important et transport compétitif) et de coordonner cette stratégie de sourcing avec celle de développement de la production locale. Par ailleurs, un travail important est aussi à faire auprès des principaux importateurs et distributeurs qui ont des habitudes et des liens d'affaires anciens, notamment avec leurs groupes ou centrales dans l'Hexagone.

c) Les effets contradictoires de l'appartenance à l'Union européenne

L'appartenance à l'Union européenne a de nombreux avantages : fonds structurels et programme Interreg dédié, ouverture sur le marché européen, sécurité juridique, sanitaire et environnementale des normes européennes...

Toutefois, ces avantages sont contrebalancés par plusieurs défauts ou inconvénients qui inhibent et compliquent une insertion régionale des outre-mer.

Comme le lien Hexagone-outre-mer, le lien Union européenne-outre-mer isole La Réunion et Mayotte dans leur environnement régional.

Le premier reproche quasi-unanime porte sur les Accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique). La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, et des RUP en particulier, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont souvent oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue. Les accords les plus asymétriques sont dénommés « négativistes » et signifient que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que la réciproque est vraie. De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Les taux de douanes que doit payer La Réunion sont notamment extrêmement et délibérément prohibitifs afin de favoriser le développement des États voisins. En sens inverse, les importations vers La Réunion ou Mayotte sont exonérés de droits de douane. Les accords prévoient souvent des clauses de sauvegarde, mais qui demeurent compliquées à activer et provisoires. Des clauses miroirs sont parfois demandées, notamment en matière de normes environnementales ou sanitaires. Mais le principe de simple équivalence offre une garantie partielle.

Les outre-mer sont absents du processus décisionnel européen. Les négociations ACP-UE n'intègrent pas un groupe de travail RUP. La Conférence des présidents des RUP plaide depuis de nombreuses années en ce sens, en particulier depuis les premiers APE en 2000. Une résolution du Parlement européen en 2021 demandait à la Commission européenne de « s'assurer que les RUP bénéficient pleinement des accords internationaux (accords de partenariat économique (APE), accords de libre-échange (ALE), etc.) conclus entre l'Union et les pays tiers en créant une task force « Conséquences de la politique commerciale sur les RUP » qui associerait de manière effective les RUP, y compris les représentants des filières des RUP »43(*).

Pourtant, malgré cette résolution, dans sa communication du 3 mai 202244(*), la Commission européenne tend plutôt à renvoyer aux États membres le soin d'associer les RUP lors de l'élaboration de leur position sur les accords commerciaux. Elle formule aussi quelques engagements généraux pour mieux informer les parties prenantes sur l'avancée des négociations commerciales. Dans ce document, la Commission européenne affirme également qu'elle « fera la promotion d'« Accès aux marchés », le nouveau service d'assistance de l'Union sur le commerce dans les régions ultrapériphériques, afin de les aider à tirer profit des accords commerciaux et à exporter vers des marchés tiers ». Toutefois, ce service d'assistance ne semble pas avoir connu de suites concrètes ciblées sur les outre-mer45(*).

L'exemple de la signature de l'APE avec la zone Afrique australe est fréquemment cité par les acteurs économiques réunionnais, qui n'ont pas été associés aux négociations. Cet accord de partenariat économique intérimaire entre l'Union européenne et l'Afrique orientale et australe (APE intérimaire UE-AfOA) a été signé par Maurice, les Seychelles, le Zimbabwe et Madagascar en août 2009 et a été appliqué à titre provisoire en mai 2012. En janvier 2013, le Parlement européen a approuvé l'accord. Les Comores ont signé l'accord en juillet 2017 et ont commencé à l'appliquer en février 2019.

Les cinq pays qui appliquent déjà l'accord se sont déclarés prêts à aller au-delà du commerce de marchandises vers un accord plus global. Le 2 octobre 2019, des négociations ont été lancées en vue d'étendre le champ d'application de l'APE aux commerces des services, aux investissements, au développement durable et à la concurrence. En outre, les parties sont convenues d'un ensemble de mesures visant à moderniser les règles d'origine de cet APE.

L'UE accorde un accès à 100 % en franchise de droits et sans contingent à toutes les importations en provenance des pays de l'AfOA. L'accès au marché de l'UE est permanent, complet et gratuit pour tous les produits. Les pays AfOA suppriment progressivement les droits en partie, conformément à leurs calendriers respectifs annexés à l'APE intérimaire. Les produits sensibles peuvent être totalement exclus de la libéralisation. Par exemple, pour Madagascar, ces exclusions portent sur la viande, le lait et le fromage, la pêche, les légumes, les céréales, les huiles et graisses, les préparations alimentaires, le sucre, le cacao...

Malheureusement, les collectivités ne sont toujours pas associées aux négociations. La Commission européenne consent depuis l'accord UE-Canada à ouvrir un dialogue avec la société civile. À ce titre, le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de La Réunion a participé à certaines séquences en distanciel en 2022-2023.

Ces instances de dialogue sont ouvertes à tous les représentants de la société civile et se déroulent exclusivement en anglais. Les représentants des RUP sont considérés comme n'importe quelle autre instance de la société civile et leurs questions font rarement l'objet d'une réponse en séance. Pire, les négociations d'adaptation de l'accord APE AfOA ont fait récemment l'objet de discussions in situ à Madagascar en septembre 2022. Aucun représentant de la région Réunion n'y a été convié. Il en a été de même pour une rencontre similaire qui s'est tenue aux Comores en mars 2024.

Plus récemment encore, les autorités locales réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.

Ce taux a été porté à 0,3 mg par kilo, alors qu'en septembre 2023, une décision de l'Union européenne fixait ce seuil à 0,02 mg par kilo. La Réunion, et dans une moindre mesure Mayotte, sont producteurs de vanille. Nos territoires visent un marché plus qualitatif et ne seront donc pas impactés par cet accord. Néanmoins, l'absence de consultation ou d'association aux négociations avec Madagascar est révélatrice de l'absence de réflexe outre-mer de la part de l'Union européenne.

L'accord UE-Vietnam et le sucre spécial réunionnais : un rare exemple de prise en compte des intérêts des RUP

En 2015, un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam prévoyait d'autoriser des exportations de sucres spéciaux vers l'Union européenne jusqu'à 20 000 tonnes par an sans droit de douane. Un tel accord aurait menacé toute la filière sucrière de La Réunion dont une grande partie de la valeur-ajoutée repose sur les sucres spéciaux.

À la suite de la mobilisation des acteurs économiques et politiques réunionnais, ainsi que du Sénat, les négociations ont été réouvertes. La délégation sénatoriale aux outre-mer avait notamment adopté le rapport d'information n° 247 (2015-2016) du 10 décembre 2015 de Gisèle Jourda et Michel Magras, rapporteurs, intitulé « Sucre des régions ultrapériphériques en danger ». Ce rapport s'était traduit par l'adoption de la résolution européenne n° 68 (2015-2016) du 26 janvier 2016 relative aux effets des accords commerciaux conclus par l'Union européenne sur les économies sucrières et la filière de la canne des régions ultrapériphériques. Cette résolution, justifiée par l'accord avec le Vietnam, relevait que les accords commerciaux en vigueur, en particulier avec les pays les moins avancés d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP/PMA), mais aussi plus récemment avec la Colombie et le Pérou, se traduisaient déjà par l'entrée sur le marché européen des sucres spéciaux de concurrents agressifs comme le Bélize, Maurice, le Malawi, le Swaziland et la Zambie.

L'accord final a limité les exportations à 400 tonnes par an, avec une taxe de 419 euros par tonne au-delà de cette limite pour protéger l'industrie sucrière réunionnaise.

Cet exemple assez unique a une issue favorable in extremis. Il ne suffit pas à effacer la réalité de négociations commerciales européennes qui négligent les effets de bord sur les économies ultramarines, marginales et fragiles.

Un autre exemple est celui évoqué par Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom : le renouvellement des flottes de pêche. Il illustre les difficiles articulations entre les différents pans de la politique nationale ou européenne. Ce dossier est ouvert depuis sept ans et ne connaît aucune avancée significative, malgré l'urgence des besoins des pêcheurs. La Commission européenne refuse des aides publiques aux pêcheurs réunionnais au motif de la préservation de la ressource, alors qu'elle finance le renouvellement des flottes des pays tiers et qu'elle autorise également une vingtaine de thoniers senneurs à arpenter l'océan Indien sous pavillon européen. Ceux-ci pêcheraient « chacun 6 000 tonnes de poissons par an, alors que la totalité de la pêche réunionnaise atteint seulement les 4 000 tonnes. Les pêcheurs se retrouvent donc au coeur de la contradiction entre la politique interne et externe de l'UE, entre la politique d'aide au développement et la politique commerciale ». Vu des territoires, c'est incompréhensible46(*).

Les quelques progrès obtenus à l'arraché sur ce dossier au cours des derniers mois ne suffisent pas à effacer le sentiment d'une politique externe de l'Union européenne qui se construit dans l'ignorance, voire dans l'opposition, aux intérêts premiers des RUP.

Ce manque de coordination entre politique interne et externe se reflète aussi dans le pilotage des crédits de l'action extérieure de l'UE - l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI)47(*) qui a succédé au Fonds européen de développement (FED) - et le Feder dont Interreg fait partie. Ces fonds ne sont pas exempts du reproche d'une gestion en silo. L'aide au développement est insuffisamment coordonnée avec le Feder dans des zones où les territoires bénéficiaires sont limitrophes ou voisins.

Ce manque de prise en considération des RUP, qui sont pourtant des points d'appui uniques pour l'Union européenne, se retrouve aussi dans le projet Global Gateway lancé par l'Union européenne en 2021. Les RUP de l'océan Indien, qui sont pourtant au coeur d'une région stratégique, ne font pas l'objet d'une prise en compte particulière. À la suite du CIOM de juillet 2023 et sa mesure 9 en faveur de stratégies commerciales par bassin, l'ambassadeur délégué à la coopération a engagé des consultations pour définir une feuille de route Indopacifique spécifique associant La Réunion et Mayotte, comprenant un volet d'appui de l'État pour des projets d'infrastructures soutenus par l'Union européenne dans le cadre de son Global Gateway. On voit que les efforts pour « raccrocher les wagons » et coordonner les stratégies de l'Union européenne et de la France dans la région du sud-ouest de l'océan Indien, au bénéfice des RUP, sont tardifs.

Le projet Global Gateway

La Commission européenne et le haut représentant de l'UE ont lancé en 2021 la « Global Gateway », une nouvelle stratégie européenne visant à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l'énergie et des transports et à renforcer les systèmes de santé, d'éducation et de recherche dans le monde entier.

Global Gateway a pour objet de mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros d'investissements public et privé entre 2021 et 2027, dont 150 milliards d'euros pour l'Afrique, « pour soutenir une reprise mondiale durable, en tenant compte des besoins tant des pays partenaires que des intérêts propres de l'UE ».

Le projet Global Gateway est financé par une combinaison de sources de financement provenant de l'Union européenne et de ses États membres, ainsi que par des partenariats avec des institutions financières, le secteur privé et d'autres partenaires internationaux : NDICI dont le Fonds européen pour le développement durable Plus (FEDD+), Banque européenne d'investissement (BEI), Interreg, InvestEU, mécanisme pour l'interconnexion en Europe, cofinancement des États membres, Banque mondiale...

Un autre exemple d'incohérence, pour ne pas dire d'injustice, concerne l'application de la réglementation européenne sur la production agro-alimentaire bio. Un même produit importé à La Réunion et à Maurice pour y être transformé pourra être commercialisé ensuite avec le label Bio pour celui provenant de Maurice, mais pas celui de La Réunion.

On retrouve ce type de situation aux Antilles. Les producteurs de bananes doivent respecter un cahier des charges strict pour labéliser la production bio, alors qu'il n'est pas appliqué aux bananes bio importées sur le territoire européen en provenance de pays tiers, régis par le mécanisme d'équivalence. En effet, si un producteur agricole bio respecte le cahier des charges en vigueur dans son propre pays, son étiquetage sera valable au sein de l'UE. Ce procédé entraîne donc une importante distorsion de la concurrence.

Ces exemples posent le problème des normes européennes qui ne sont adaptées aux RUP. Le cas des matériaux de construction et l'autorisation d'un marquage RUP ont été développés ci-dessus. Mais d'autres secteurs nécessiteraient aussi des adaptations pour faciliter un approvisionnement régional des RUP, sans renoncer à la sécurité sanitaire et environnementale. L'agro-alimentaire est celui où les marges de progrès sont les plus importantes.

d) Une prudence des acteurs économiques

Les acteurs économiques adoptent une position ambivalente vis-à-vis de l'insertion régionale économique.

Les Chambres de commerce et d'industrie ont de nombreuses relations ou accords de partenariat avec leurs homologues dans la région. À La Réunion, l'association Club Export Réunion48(*) regroupe aussi la plupart des entreprises exportatrices. Cap Business Océan Indien est aussi très actif et organise le Forum économique régulièrement (voir supra).

Lors de son audition, Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), traduit cette prudence : « pour répondre très directement à votre question, ce sujet de la coopération régionale est régulièrement abordé par nos adhérents, mais ne figure pas au centre de leurs préoccupations. Je pense que c'est déjà un élément en soi : le sujet n'est pas absent du « scope » mais est rarement perçu comme central, dût-on le regretter ».

Il ajoute : « le thème de la coopération régionale est assez présent dans le discours et l'action politiques. L'articulation de l'échelon politique avec la vie économique, qui n'est jamais simple en outre-mer, est encore plus compliquée s'agissant de la coopération régionale. Lorsqu'on observe la chronique médiatique, on constate une relation politique assez régulière entre les élus des territoires et leurs environnements régionaux. Les conséquences économiques de ces échanges sont néanmoins plus discrètes. Par conséquent, la coopération régionale est clairement un sujet politique, qui devrait sans doute davantage être un sujet économique ». Malgré des progrès ces dernières années, il est encore souvent reproché aux responsables politiques de ne pas suffisamment associer les acteurs économiques et chefs d'entreprises aux déplacements officiels dans la zone.

Cette prudence s'explique aussi par des déboires économiques anciens qui ont laissé de mauvais souvenirs. Plusieurs des partenaires régionaux n'offrent pas un cadre d'investissement ou d'échanges sûr. Aux Comores, le climat des affaires est très mauvais. Si de nombreux projets financés par l'AFD ne sont pas réalisés par des entreprises françaises, après appel d'offres, c'est autant en raison de la compétitivité des offres étrangères, chinoises notamment, que de la frilosité des entreprises ultramarines face aux risques. L'instabilité des pays et l'insécurité juridique refreinent les projets. Autre exemple, auprès des agriculteurs réunionnais, le souvenir de la Sakay49(*) est encore vivant et a été évoqué par les représentants de la Chambre d'agriculture. La priorité actuelle est à la réalisation du plan de souveraineté alimentaire à La Réunion. La coopération agricole passe d'abord par la recherche, au travers du Cirad, ou la formation avec un programme d'échanges des lycées agricoles. Mais il s'agit de projets financés par les fonds Interreg. Les acteurs économiques agricoles ne sont pas les porteurs de ces projets de coopération.

Mais de manière plus générale, les opportunités économiques régionales ne sont pas évidentes pour de nombreux acteurs. Pour Hervé Mariton, « il existe un grand écart entre ce que les marchés régionaux peuvent fournir à nos territoires et à l'inverse, ce que nos territoires peuvent fournir aux marchés régionaux. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas de possibilités, mais elles sont difficiles à accomplir du fait des coûts salariaux côté français. De plus, dans certains cas, nous ne sommes pas tant en complémentarité qu'en concurrence ». Ivan Odonnat, président de l'IEDOM, rejoint ce constat en relevant que « si vous voulez exporter, il faut avoir de quoi exporter. La caractéristique des productions locales des territoires est d'être très concentrées sur quelques secteurs. Il est donc nécessaire de se doter d'une structure d'exportation plus solide et compétitive ».

Les opportunités se concentreraient sur l'approvisionnement dans le bassin régional, plutôt que dans la conquête de nouveaux marchés à l'export.

Cette prudence peut aussi cacher une certaine frilosité. La comparaison avec Maurice est marquante. La Réunion et Maurice ont des populations et des territoires relativement similaires. Pourtant, la structure économique est radicalement différente et a permis à Maurice de rejoindre la catégorie des pays à revenus intermédiaires élevés.

e) Le défaut d'incarnation et de portage politique de la coopération régionale

La loi a fait une large place aux collectivités ultramarines au sein de la coopération régionale. La région et le département de La Réunion sont associés aux délégations françaises dans les réunions de la COI, de l'IORA ou à l'occasion de visites ministérielles dans la région, le cas de Mayotte est à part. Les collectivités peuvent prendre de nombreuses initiatives et gèrent les fonds importants du programme Interreg.

Toutefois, malgré ces avancées, le sentiment d'une non reconnaissance des acteurs locaux sur la scène régionale demeure prégnant. Pour Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion et ancienne ministre des outre-mer, le problème est « systémique ». L'organisation de l'État ne permet toujours pas d'inclure réellement les acteurs politiques locaux dans une politique régionale. Le fait d'être Français devient un handicap, les responsables locaux n'étant pas reconnus comme de vrais acteurs, mais seulement les dépositaires de bouts de mandat. L'« épaisseur diplomatique » des responsables locaux, dans un espace régional aussi vaste, ne permet pas de peser.

Ce sentiment est partagé par Cyrille Melchior pour qui l'État garde l'essentiel des prérogatives et ne parvient, malgré des efforts récents, à créer les conditions d'un agenda commun, partagé avec le territoire.

La perception des partenaires extérieurs, qui sont des États souverains, est que les outre-mer sont des interlocuteurs subalternes.

Cette faiblesse est encore accentuée par le caractère bicéphale de la gouvernance réunionnaise avec le département et la région. Les deux collectivités ont des prérogatives quasi-identiques en matière d'action extérieure, la principale différence étant que les fonds Interreg sont gérés par la région. Pour les gouvernements de la zone, il n'est pas aisé de comprendre les partages de compétences entre les différents niveaux de collectivités.

Cette multiplicité d'acteurs pourrait être compensée par une vision et une stratégie communes et ressenties comme telles par les États voisins. Mais ce n'est pas le cas faute d'une « véritable instance de coordination ». Pour Ismaël Locate, directeur général adjoint au département de La Réunion, l'adhésion de la France à la COI en 1986 au titre de La Réunion est restée au milieu du gué, le territoire de La Réunion demeurant assez largement spectateur de la coopération régionale.

Enfin, la coopération régionale, bien qu'étant dans le champ de compétence générale des collectivités locales, ne constitue pas toujours une priorité d'action. Elle l'est d'autant moins que la perception des enjeux de la coopération est loin d'être clairement perçue par les opinions publiques du territoire.

f) Des bénéfices peu perceptibles pour les populations ultramarines ?

Une dernière barrière à une coopération et une intégration régionales dynamiques est la relative indifférence des populations.

La plus-value de la coopération régionale dans la vie quotidienne des populations n'est pas clairement perçue. Ces actions peuvent même paraître accessoires ou secondaires, ce qui n'incite pas à la mettre en haut de l'agenda politique.

À La Réunion, l'aide humanitaire apportée à Madagascar est l'un des domaines qui suscite le plus grand intérêt, en raison des liens forts qui unissent les deux îles sur le plan humain et historique. Les autres relations avec Maurice, l'Inde ou Madagascar concernent essentiellement des visites d'agrément ou familiales.

À La Réunion, la présence de populations originaires de plusieurs États de la région (Madagascar, Inde, Chine et Maurice principalement) n'est donc pas décisive.

Pour Club Export Réunion, l'impact des communautés d'origine étrangère sur les dynamiques de coopération régionale est varié et complexe. À Maurice, la présence significative de Réunionnais et la proximité géographique pourraient favoriser une certaine réciprocité dans les relations, mais la dynamique demeure modeste. Bien que de nombreux Mauriciens résident à La Réunion, leur influence sur les dynamiques de coopération régionale semble relativement faible. De même, malgré une importante communauté réunionnaise d'origine indienne, l'impact de cette diaspora sur la coopération avec l'Inde reste limité.

À Mayotte, l'ampleur des défis et des besoins, financiers notamment, encourage encore moins l'affectation de moyens importants à des projets de coopération régionale qui n'apparaîtraient pas directement utiles et opérationnels. Il convient toutefois de noter que la forte proximité culturelle et linguistique des Mahorais avec Madagascar et la Tanzanie, doublée de la volonté de sortir du face-à-face stérile avec les Comores, nourrit une aspiration nouvelle des acteurs économiques et de la population pour des relations actives avec l'environnement régional.

La coopération régionale s'est renforcée ces dernières années dans le bassin océan Indien, sans générer un effet d'entraînement significatif sur l'intégration de La Réunion et Mayotte dans leur environnement régional. Plusieurs inflexions paraissent nécessaires, afin que la politique de coopération régionale échappe au reproche souvent injuste de « tourner à vide ».

II. FAIRE DE LA COOPÉRATION REGIONALE LE CATALYSEUR, ET NON LE SUBSTITUT, DE L'INSERTION DE MAYOTTE ET DE LA RÉUNION DANS LE BASSIN OCÉAN INDIEN

Les constats sur les limites de la coopération régionale et la faiblesse persistante de l'insertion régionale doivent conduire à repenser cette politique à partir des besoins des territoires et autour de ces derniers.

A. ASSUMER UNE « DIPLOMATIE OUTRE-MER »

1. Une diplomatie pour et avec les outre-mer
a) Une diplomatie à repenser autour des outre-mer

Dans son rapport sur la stratégie française pour l'Indopacifique de janvier 202350(*), la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pointe le décalage entre les ambitions et la réalité, compte tenu « de l'immensité de l'Indopacifique, l'éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français d'Indopacifique et leur relatif isolement ».

Selon ses rapporteurs, cet appel au réalisme doit entraîner :

- une révolution copernicienne de la part de l'Europe et de la France, situées en périphérie du nouveau centre du monde, pour apprendre « à dé-centraliser leur conception de l'Indopacifique » ;

- pour la France, la distinction de quatre zones dans cet espace, dont l'une centrée sur l'océan Indien occidental où se trouve Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Dans cette première zone - englobant les côtes africaines, les TAFF, La Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde -, « la France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer dans ces secteurs selon les auditions menées pour ce rapport. Il n'est pas exclu que cela serve également le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au Proche-Orient. La France a là une place particulière à tenir, où sa légitimité est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), et ses deux forces de présence, les forces françaises basées des Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) » ;

- l'acclimatation de la stratégie française « en renforçant sa cogestion avec les territoires ultramarins français ».

Sur ce dernier point, le rapport précise « qu'un dialogue doit intervenir en amont de toute annonce politique concernant la stratégie Indopacifique et l'intégration des DROM-COM à son application. Les positions des autorités des territoires français de l'Indopacifique doivent ainsi pouvoir être entendues, et le pouvoir exécutif français doit pouvoir être associé au bon niveau aux instances Indopacifiques spécifiques. Le principe de création de délégation commune dans les négociations devrait être retenu ».

Il a en effet souvent été reproché à l'État, à propos de la stratégie Indopacifique présentée en juillet 2021 par le président de la République, une absence de concertation avec les autorités ultramarines de la région.

Cet exemple renvoie au reproche de territoires ultramarins qui ne seraient perçus que comme des porte-avions ou des points d'appui pour la politique étrangère de la France.

La révolution copernicienne doit reconfigurer notre diplomatie dans la région de l'océan Indien occidental à partir de deux principes :

- Mayotte, La Réunion et les TAAF sont la justification première de cette diplomatie aussi bien en interne qu'aux yeux de nos partenaires régionaux ;

- les intérêts propres de ces territoires, sauf intérêt supérieur de la Nation, doivent guider notre action extérieure dans la zone.

L'action extérieure de la France, et de tous ses acteurs, sera d'autant plus forte qu'elle est perçue comme légitime par les partenaires régionaux et qu'elle s'enracine dans des territoires ultramarins rayonnants dans leur environnement.

Au sein de l'État, cela implique donc de revoir le cadre conceptuel de l'action extérieure autour des outre-mer et d'adapter l'organisation des services en conséquence.

Comme cela a été vu supra, plusieurs mesures ont déjà été prises : conseillers auprès des préfets, création de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI), réforme de l'AFD... Le CIOM de juillet 2023 a esquissé un cadre conceptuel de notre action extérieure recentré autour des outre-mer, et plus particulièrement ceux de l'océan Indien.

Les relations France-Inde : un exemple de relations bilatérales s'efforçant de mieux prendre en compte la dimension réunionnaise de celles-ci

Extraits de la Vision stratégique commune de la coopération franco-indienne dans la région de l'océan Indien (10 mars 2018) :

[...]

8. Ils ont décidé que les deux pays renforceraient leur coordination dans les enceintes internationales et régionales existantes pour mettre en oeuvre cet objectif. L'Inde se félicite de la perspective d'une participation rehaussée de la France à l'Association des États riverains de l'océan Indien (IORA). La France félicite l'Inde pour son rôle moteur au sein de l'IORA et du Symposium des marines de l'océan Indien (IONS). La France soutient également l'entrée de l'Inde à la Commission de l'océan Indien (COI) en tant qu'Observateur et encourage son implication croissante dans les projets de l'Union européenne pour l'océan Indien. Les deux pays rappellent qu'il est nécessaire que la communauté internationale prenne pleinement conscience des conséquences des menaces contre la sécurité maritime et adopte des solutions efficaces comme l'adaptation des mesures de lutte contre la piraterie dans la Corne de l'Afrique.

9. Les deux dirigeants ont rappelé les relations étroites, fruit d'une longue histoire commune, qui unissent l'Inde au département français de La Réunion. Ils désirent les développer dans les domaines de l'économie, du tourisme, de la recherche, de l'innovation, de l'éducation, de la culture, de la défense et de la sécurité. [...]

Il faut aller plus loin et confirmer les annonces du CIOM qui tardent à se concrétiser. Le report de la conférence régionale à Mayotte en novembre 2024, puis la dissolution de l'Assemblée nationale, ont fait perdre de vue les objectifs initiaux.

Tout d'abord, aussi basique que cela paraisse, la DGOM est rarement tenue informée des accords régionaux sectoriels en cours de négociation pilotés par les autres ministères.

Dès lors, la circulaire rappelant les enjeux du « réflexe outre-mer » selon les termes du CIOM, en cours d'élaboration, pourra utilement rappeler et marteler aux autres ministères l'importance de prendre en compte la dimension ultramarine dans les négociations internationales qu'ils conduisent et d'associer systématiquement la DGOM. La circulaire pourra aussi rappeler utilement que la loi prévoit que les régions d'outre-mer doivent être consultées sur tout projet d'accord international concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d'environnement entre la République française et les États de leur zone.

Proposition : Associer systématiquement la DGOM à la négociation des accords de coopération et des accords commerciaux européens.

Au sein du MEAE, la prise en considération de l'enjeu particulier des outre-mer paraît diluée au sein des directions géographiques ou des directions thématiques. La singularité ultramarine française, unique dans le monde, se reflète peu dans l'organisation du ministère. Seuls les ambassadeurs à la coopération régionale, un par bassin, portent cet enjeu immense, sans être épaulés par des équipes derrière eux. Une lecture optimiste de cet état de fait laisserait penser que l'enjeu ultramarin est naturellement intégré par les directions géographiques et thématiques du MEAE. Si cette lecture n'est pas entièrement fausse, elle est loin de refléter la réalité.

Les trois ambassadeurs, et en particulier celui pour l'océan Indien, sont désormais bien identifiés dans l'architecture institutionnelle de la coopération régionale et de la diplomatie outre-mer. Leur double tutelle les positionne au bon niveau. Néanmoins, ils souffrent d'un manque de moyens - pas d'équipe derrière eux - et peuvent sembler « en apesanteur » entre les deux directions générales du MEAE et du MIOM.

Pour franchir un nouveau cap, deux réformes sont nécessaires :

- créer une grande direction de la coopération régionale des outre-mer qui demeurerait sous une double tutelle. Cette direction regrouperait les trois ambassadeurs ;

renforcer leurs moyens. À ce jour, dans le bassin océan Indien, hormis les deux conseillers diplomatiques auprès des préfets qui sont les adjoints de l'ambassadeur délégué, ce dernier est dépourvu d'équipes.

Pour animer et tenir les fils de la coopération régionale entre une multitude d'acteurs, l'ambassadeur délégué doit être doté d'une équipe en capacité de jouer son rôle interministériel en lien avec tous les acteurs des territoires. Ces missions ne peuvent être pleinement assumées, si l'ambassadeur est seul, d'autant plus qu'il est amené à se déplacer régulièrement sur zone.

Sans définir le format exact (deux à trois adjoints), il est donc impératif de renforcer ses moyens à Paris et de conforter les postes de conseiller diplomatique auprès des préfets de Mayotte et de La Réunion. Ainsi dimensionnée, cette direction s'imposerait comme une plateforme diplomatique et interministérielle opérationnelle en lien étroit avec les territoires.

Proposition : Créer une direction de la coopération régionale outre-mer, sous double tutelle du MEAE et du MIOM, regroupant les trois ambassadeurs délégués et renforcer significativement leurs équipes.

Cette « culture outre-mer » au coeur de la diplomatie française ne doit pas se borner à l'administration centrale. Le réseau diplomatique de la France est très dense, notamment dans le bassin océan Indien. Pour aller plus loin, des instructions devraient être données à chaque poste diplomatique de la région en vue d'élaborer des feuilles de route pluriannuelles déclinant les actions à conduire pour intensifier les liens avec nos outre-mer. Ces feuilles de route seraient validées par la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI).

Proposition : Arrêter pour chaque ambassade de France dans la région océan Indien une feuille de route pluriannuelle pour densifier les liens avec Mayotte et La Réunion, en accord avec la plateforme de coopération de la France dans l'océan Indien (PCFOI).

Enfin, afin d'infuser et diffuser une culture de la diplomatie des outre-mer, il importe, au-delà des orientations stratégiques arrêtées par le président de la République et le MEAE, que la recherche, les cercles d'études et les formations accordent à la question ultramarine la place qui lui revient. La nouvelle Académie diplomatique et consulaire (ADC), qui a succédé depuis le 20 janvier 2024 à l'École pratique des métiers de la diplomatie51(*), devra proposer des formations initiales et continues aux spécificités de la diplomatie et de la coopération régionale dans les espaces régionaux des outre-mer français.

Cette approche décentrée doit être aussi promue par la France auprès de l'Union européenne. La Conférence des présidents des RUP peut être une enceinte utile, même si la situation des RUP espagnoles et portugaises les maintient dans l'espace géostratégique européen. Depuis le Brexit, la France est le seul État membre à porter des intérêts régionaux en dehors de l'espace européen.

Les outre-mer français, et singulièrement Mayotte et La Réunion, ne sont pas encore assez perçus par l'UE comme les deux pôles européens au coeur d'un espace stratégique non européen. Les politiques extérieures de l'Union (NDICI, Global Gateway) ne prennent en compte cette réalité qu'à la marge. Le manque de synergie entre la NDICI et les programmes Interreg a été pointé dans les documents stratégiques préparatoires à la nouvelle programmation 2021-2027.

Des progrès ont néanmoins été observés. L'Union européenne apporte une aide financière déterminante à la COI depuis plusieurs années et contribue ainsi de manière décisive à une nouvelle dynamique de coopération dans la région, en complément des programmes Interreg océan Indien et Canal du Mozambique. Les objectifs prioritaires des programmes Interreg et du partenariat avec la COI, sans être identiques, se recoupent assez largement : soutien aux PME, protection de l'environnement, prévention des risques et adaptation au changement climatique, santé.

Par ailleurs, l'Union européenne développe son initiative « Team Europe », y compris dans le bassin océan Indien52(*). « Team Europe » fait référence à une initiative visant à coordonner les efforts et les ressources des institutions de l'UE, des États membres et des institutions financières européennes pour répondre de manière unifiée et efficace aux crises internationales et aux défis mondiaux. Des projets conjoints « Team Europe » ont par exemple été construits aux Comores, à Madagascar - réunissant la France, l'Allemagne et l'Union européenne - ou au Mozambique en matière d'éducation - réunissant l'UE, la BEI et 11 États membres. L'objectif est évidemment d'éviter la dispersion et l'incohérence des actions conduites par l'Union européenne et les États membres sur un même territoire.

Pour autant, une vision d'ensemble manque encore. L'Union européenne a développé une politique dite de voisinage (PEV) pour encadrer les relations entre l'Union européenne et 16 pays qui partagent une proximité géographique. Au moyen d'une aide financière et d'une coopération politique et technique avec ces pays, elle vise à établir un espace de prospérité et de bon voisinage. Cette PEV se limite aujourd'hui aux bordures Est - le partenariat oriental - et Sud - Union pour la Méditerranée - de l'UE.

Par analogie, les RUP faisant partie du territoire de l'Union, une PEV ultrapériphérique pourrait être imaginée. Dans le bassin océan Indien, les Comores, Madagascar ou Maurice pourraient être intéressés par une nouvelle relation privilégiée avec l'Union européenne en lien étroit avec La Réunion et Mayotte, les portes d'entrée de l'UE. Wilfrid Bertile, conseiller régional de la Réunion en charge de la coopération régionale, a d'ailleurs rappelé que « le 26 mai 2004, la Commission européenne (avait) publié une communication intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP ». Lors de son audition, Wilfrid Bertile a regretté que cet objectif n'ait pas connu un meilleur sort sous sa forme initiale.

Proposition : Défendre, à l'occasion du renouvellement du Parlement européen et de la mise en place de la nouvelle Commission européenne, la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins les plus proches des RUP.

b) Une diplomatie co-construite avec Mayotte et La Réunion

Changer d'approche et surtout y associer les territoires est un double défi.

Le CIOM de juillet 2023 a pris plusieurs engagements dans le sens d'une meilleure association des outre-mer à la définition de l'action extérieure de la France dans leur environnement régional :

- mesure 9 : définir une stratégie pour développer les échanges commerciaux des territoires de l'océan Atlantique et de l'océan Indien ;

- mesure 54 : associer les territoires ultramarins à la politique étrangère de la France, sur la base d'une stratégie concertée.

Les termes de la mesure 54 sont ambitieux, la concertation et l'association allant bien au-delà de la simple consultation formelle.

Le ministère en charge des outre-mer indique dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre du CIOM que cette mesure 54 doit se traduire par une feuille de route et un guide pratique pour l'exercice des compétences internationales par les collectivités. La feuille de route serait formalisée par son adoption lors des prochaines conférences de coopération régionale.

Autre signe fort : l'accord de partenariat entre Mayotte, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer signé en mars 2024 (voir supra). Pour Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, « sur le plan symbolique, cette convention fournit un cadre de travail. Autrefois, les accords, les programmes, les conventions se faisaient dans le dos de Mayotte. Je rappelle la polémique qui a éclaté lorsque les Mahorais ont découvert qu'une feuille de route, évoquant notamment ses relations avec les Comores, allait être signée à leur insu. La signature de la convention du 11 mars 2024 tranche avec ces manières de procéder, en définissant ouvertement un cadre de travail certes insuffisant, mais précis ».

La mise en oeuvre de cet accord devra être attentivement suivie.

Depuis 2019, la PCFOI s'est aussi imposée comme le lieu d'échanges entre les acteurs de la coopération.

L'ensemble de ces enceintes ou accords tend donc à dessiner une architecture institutionnelle souple et non contraignante de nature à poser les bases d'une co-construction d'une diplomatie régionale.

Pour que ce processus porte ses fruits et se pérennise, à défaut d'imposer dans les textes une obligation de se coordonner, laquelle pourrait être contre-productive, il paraît impératif de renforcer les moyens alloués aux acteurs de la coopération régionale pour la coordination de leurs actions. Impérative aussi l'obligation d'imaginer cette co-construction dans le strict respect des limites imposées par l'article 52 de la Constitution et telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel.

Le premier maillon essentiel, on l'a vu, est l'ambassadeur délégué à la coopération. Ses moyens doivent être renforcés dans le cadre d'une nouvelle direction de la coopération régionale outre-mer, à la fois pour imposer la priorité outre-mer dans la diplomatie française (voir supra) et pour être en capacité de coordonner les acteurs hors État.

Le deuxième maillon est constitué des collectivités de Mayotte et de La Réunion. Chacune dispose d'un service chargé de la coopération régionale animé par des personnels expérimentés. Mais ces services sont inégalement implantés dans la zone. La région Réunion dispose déjà de trois antennes à Madagascar, Maurice et aux Comores53(*). À cela, il faut ajouter le réseau des VSI sur financement Interreg, dont certains sont affectés auprès des administrations étrangères. Des discussions sont en cours pour détacher un agent de la région directement auprès de l'ambassade de France à Maurice.

Du côté de Mayotte, à la suite de la conclusion de l'accord de partenariat avec le MEAE en mars dernier, le choix a été fait de privilégier des affectations en ambassade. L'objectif est que les premiers représentants du département de Mayotte dans les pays voisins soient installés dans le courant de l'année à Madagascar, au Mozambique et à Maurice. Une première convention a été signée entre le département de Mayotte et l'ambassade de Madagascar. D'autres pays pourraient suivre.

En complément du maillage coordonnateur de l'État, il paraît indispensable que les collectivités ultramarines maintiennent et renforcent leurs propres réseaux dans les États voisins, voire en installant des représentants au sein des ambassades de France dans ces États. Par ailleurs, il pourrait être envisagé que les collectivités détachent chacune un agent auprès de l'ambassadeur délégué à Paris. L'intégration fonctionnelle des deux réseaux État et Collectivités faciliterait la co-construction de l'action extérieure.

Proposition : Rapprocher le réseau de la coopération régionale des collectivités en nommant des représentants de La Réunion et Mayotte :

- dans l'équipe entourant l'ambassadeur délégué ;

- au sein des ambassades de France dans les principaux États partenaires de la région.

Cette intégration administrative des réseaux État-Collectivités permettrait d'élever le niveau de pilotage de la PCFOI - qui est aujourd'hui une instance d'échange et de coopération technique - à un niveau plus politique et stratégique. La PCFOI deviendrait une véritable instance de co-construction permettant une politique publique harmonisée et cohérente avec une vision stratégique partagée. Une co-présidence tournante (Etat-La Réunion-Mayotte) devrait être mise en place.

Proposition : Faire de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI) l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale.

Cette confiance entre partenaires faciliterait en retour la mise en oeuvre des outils légaux d'ores et déjà à la disposition des collectivités de Mayotte et de La Réunion, en particulier les programmes-cadres (voir infra) ou les mandats donnés aux exécutifs locaux pour représenter la France dans les organisations régionales. Le président de la région Réunion pourrait représenter la France à l'occasion d'une prochaine conférence ministérielle.

c) Fédérer les relais français dans la zone autour de Mayotte et La Réunion

La majorité des États voisins de Mayotte et de La Réunion sont des partenaires importants de la France. Le réseau diplomatique, culturel ou économique français y est dense. Madagascar, Maurice, les Comores sont en pointe.

Ce réseau gagnerait à être mieux mobilisé pour imaginer et prioriser des projets en lien avec les outre-mer français de l'aire géographique.

Auditionné, Hervé Mariton, président de la FEDOM, a témoigné de ce réflexe encore trop ponctuel : « Lors d'une rencontre avec notre ambassadeur en Inde et son collaborateur, peu de temps après l'interruption de la liaison aérienne entre Saint-Denis de La Réunion et Chennai, j'ai trouvé cet interlocuteur intéressé par les enjeux touchant La Réunion. Mais j'ai pu constater que ce volontarisme n'était pas communément partagé dans tous les pays de la zone régionale. Il m'apparaît par conséquent que le Gouvernement pourrait donner pour instruction à des représentations diplomatiques de garder un oeil sur les relations ayant un impact commercial pour les outre-mer ».

Ce réflexe ou cette « culture outre-mer », dans sa déclinaison mahoraise ou réunionnaise, devrait figurer en haut de l'agenda des acteurs publics ou privés français dans la région océan Indien.

L'affectation dans les ambassades de représentants de Mayotte ou de La Réunion contribuera sans aucun doute à rappeler en permanence cette dimension essentielle de l'action extérieure de la France dans la région. Pour aller plus loin, des instructions devraient être données à chaque poste diplomatique en vue d'élaborer des feuilles de route pluriannuelles déclinant les actions à conduire pour intensifier les liens avec nos outre-mer (voir supra).

Cette pleine implication du réseau français doit être étendue à tous les opérateurs de l'État, qui bénéficieraient de moyens renforcés pour densifier l'influence et le rayonnement français dans cette zone géographique voisine des outre-mer français. Ainsi, les établissements d'enseignement et le réseau culturel français dans ces États devraient faire l'objet d'une attention particulière.

S'agissant des établissements d'enseignement français à l'étranger, on notera que deux instituts régionaux de formation (IRF) sont présents sur la zone (l'un en Afrique du Sud, l'autre à Madagascar). En 2019, un plan de développement de l'enseignement français à l'étranger a été engagé avec un objectif de doublement des effectifs à l'horizon 2030.

Toutefois, l'agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) qui accompagne le développement du réseau, n'a pas identifié l'enjeu outre-mer dans sa stratégie. Ainsi, le contrat d'objectifs et de moyens 2021-2023 ne contient pas une seule référence aux outre-mer. Les synergies possibles avec les établissements dans nos outre-mer ou l'intérêt de porter une attention particulière au rayonnement de l'enseignement français dans des pays limitrophes de territoires français sont ignorés.

Du côté de l'Institut français, qui gère en particulier les Alliances françaises, le constat est similaire. Le contrat d'objectifs et de performance 2020-2022 ne contient aucune référence aux outre-mer, alors que la stratégie européenne de la France est mise en avant par exemple.

Cette lacune ne signifie pas que la dimension ultramarine est absente. Par exemple, le fonds de mobilité Indianocéanique est un programme en cours du ministère de la culture opéré par l'Institut français. Ce programme soutient la mobilité des artistes et des professionnels de la culture de l'océan Indien, à l'intérieur de la zone Indianocéanique et en provenance ou en direction de l'Afrique du Sud, du Kenya, du Mozambique, de la Tanzanie et de l'Inde. Les projets de mobilité doivent obligatoirement avoir un lien avec La Réunion ou Mayotte.

Il n'en reste pas moins que les enjeux de l'intégration régionale des outre-mer mériteraient d'être nettement mieux identifiés au sein du réseau culturel des États proches.

Ces deux exemples - l'AEFE et l'Institut français - montrent que le réseau des acteurs français ne prend pas assez en considération les outre-mer qui devraient être au coeur des principales orientations. Tous les opérateurs de l'État à l'étranger n'ont pas encore pivoté leurs stratégies vers les outre-mer proches.

Ce pivotage stratégique, esquissé, doit être rapidement conduit. L'objectif est de construire un réseau français régional en étoile autour des outre-mer du bassin océan Indien.

Proposition : Pivoter les stratégies des opérateurs de l'État présents dans l'océan Indien, notamment les établissements d'enseignement et le réseau culturel français, vers le développement de coopérations avec La Réunion et Mayotte.

2. Un cadre légal à ... appliquer et utiliser
a) Le potentiel encore sous-exploité, voire ignoré, de la loi « Letchimy »

Le cadre légal de la coopération régionale a été forgé par des lois successives, dont la loi « Letchimy » du 5 décembre 2016. Il crée quelques obligations pour l'État et offre des outils importants aux collectivités ultramarines, dont les départements de Mayotte et de La Réunion ainsi que la région Réunion.

Le constat est d'abord celui d'une application a minima de la loi.

Du côté de l'État, des obligations existent : consulter les territoires sur les propositions d'actes de l'Union européenne qui les concernent (article L.4433-3-2 du CGCT) ou sur les projets d'accords entre la France et les États de l'océan Indien concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d'environnement54(*) (2ème alinéa de l'article L.4433-4 du CGCT).

Ces obligations sont globalement respectées, mais demeurent très formelles. Une interprétation large de la notion d'actes de l'Union européenne mériterait d'être retenue, par exemple pour les actes de l'Union européenne relatives à la pêche dans l'océan Indien dont certains n'ont pas fait l'objet d'une consultation. Sur les projets d'accords avec les États voisins, l'esprit du texte commanderait, sauf raison particulière, d'informer et associer les territoires très en amont de la négociation. Les consultations tardives, en particulier pour des textes européens qui sont le fruit de très longues et complexes discussions, sont des « coups d'épée dans l'eau ». Leur effet est contreproductif et alimente le sentiment de collectivités artificiellement associées et assignées à un strapontin.

Lors de son audition par notre délégation le 13 octobre 2022 dans le cadre de l'étude sur l'évolution institutionnelle des outre-mer, Huguette Bello avait déjà exprimé ce sentiment : « dans le domaine de la coopération régionale et de l'action internationale, l'État ou l'Union européenne concluent des accords de coopération avec des pays de notre environnement, des accords sans que nous y soyons associés [...]. Une autre illustration, dans les conditions actuelles, l'impossibilité pour la région de porter une grande politique maritime. La Réunion est le navire amiral de la France dans l'océan Indien. Pourtant, l'État exerce une compétence exclusive sur les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et dans le domaine de la pêche, l'ensemble des compétences reviennent à l'Union européenne, sans que la région ne soit associée ».

Du côté des territoires, le CGCT les dote de nombreux outils pour peser sur l'action extérieure de l'État et pour conduire leur propre politique en bonne intelligence (voir supra I.A.3.a).

Or, si les actions de coopération sont multiples et croissantes, force est de constater que ces développements se font assez largement sans recourir aux dispositifs précités qui permettraient pourtant d'asseoir plus solidement une diplomatie territoriale.

Les outre-mer de l'océan Indien n'ont ainsi pas fait usage de la faculté d'adhérer à une organisation régionale en leur nom propre.

Enfin, elles ont rarement pris l'initiative de solliciter auprès de l'État l'autorisation de négocier et signer des accords internationaux au nom de la France.

Pour La Réunion, le conseil régional a conclu des accords-cadres anciens avec Madagascar en 2008, Maurice en 2011 et les Seychelles. Depuis la loi « Letchimy », peu d'initiatives ont été prises. On notera un projet de délibération sollicitant l'autorisation de négocier un accord avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui doit être adopté par l'assemblée régionale en juin 2024.

À Mayotte, le contentieux de souveraineté bloque la plupart des initiatives régionales d'envergure. Seule une coopération décentralisée de faible intensité est possible, vers Madagascar notamment.

Dernier outil puissant non utilisé : le programme-cadre. L'adoption d'un programme-cadre, qui permet dans un domaine de compétences plus ou moins étendu d'avoir mandat pour négocier un ensemble d'accords, offre pourtant une latitude d'actions significative, dans la durée. Un programme-cadre affiche et décline aussi une véritable stratégie de coopération régionale globale. Pourtant, à l'exception de la Martinique depuis 2023 - soit sept ans après l'adoption de la loi « Letchimy », aucun autre territoire n'a eu recours à cet instrument.

b) Se saisir pleinement du cadre légal offert aux collectivités

Malgré ces lacunes ou ces abstentions de faire, les travaux de la délégation n'ont pas fait ressortir la nécessité de modifier le cadre légal en vigueur relatif à la coopération régionale. Par ailleurs, l'article 52 de la Constitution et son interprétation par le Conseil constitutionnel bornent strictement les obligations susceptibles de peser sur l'État à l'égard des collectivités. Les marges d'évolution législative sont minces. Le changement des pratiques et des méthodes de travail paraît être une piste plus prometteuse dans le prolongement du CIOM.

Ainsi, s'agissant des consultations sur les projets d'accord ou d'actes de l'Union européenne, l'esprit du texte invite à associer les territoires en amont. Au demeurant, le CGCT dispose déjà que les collectivités ultramarines « participent, au sein de la délégation française, à leur demande, aux négociations avec l'Union européenne les intéressant ». Cette participation est de droit, à la différence de l'association aux négociations sur des accords internationaux, pour lesquelles l'État garde la faculté de refuser.

À cet égard, les conclusions du Conseil européen du 30 novembre 2023 sur l'avenir de la politique de cohésion, demandant à la Commission européenne de procéder à une analyse systématique de l'impact dans les RUP de toute proposition de norme européenne, sont très opportunes. Une étude d'impact intervient au début de la phase d'élaboration d'un texte et doit permettre de peser sur les orientations du texte dès sa conception. Ces études d'impact devraient prévoir une consultation systématique des RUP. Il en va naturellement de même pour les projets d'accords régionaux négociés par l'État.

Surtout, le renforcement du réseau de la coopération régionale au niveau du bassin océan Indien et l'imbrication des réseaux des collectivités et de l'État (voir supra II.A.1) doit favoriser le partage d'informations et l'association naturelle à toute nouvelle initiative.

Mais l'outil le plus prometteur reste le programme-cadre (article L.4433-4-3-2 du CGCT), qui fut la principale novation de la loi « Letchimy ».

L'adoption d'un programme-cadre par la région Réunion, le département de La Réunion et le conseil départemental de Mayotte devrait être une priorité. En terme politique, le programme-cadre permet d'afficher une stratégie de long terme, concertée avec l'État. Il renforce à la fois la légitimité interne - vis-à-vis de l'État et de la société civile - et externe - vis-à-vis des États voisins. En terme opérationnel, il évite aux collectivités d'avoir à solliciter, au coup par coup, des autorisations de l'État parfois longues à obtenir.

La première étape consisterait pour les collectivités à élaborer ou mettre à jour leur stratégie de coopération régionale. Cette démarche coïnciderait avec les mesures 9 et 54 du CIOM. Mayotte dispose d'un document stratégique depuis 2017 qui mériterait d'être actualisé. La région et le département Réunion ont exprimé des priorités, mais ne les ont pas formalisées dans un document dédié.

Une fois cette stratégie arrêtée, un programme-cadre serait sollicité dans un ou des domaines déterminés pour négocier et signer, au nom de l'État, les accords internationaux nécessaires. Ce document consacre aussi une répartition des rôles et des priorités entre l'État et les collectivités, le programme-cadre pouvant s'apparenter à un mandat donné par l'État pour déployer une activité diplomatique en son nom dans des domaines prédéfinis.

En sus de ce programme-cadre, la faculté offerte à l'État par les articles L.3441-3 et L.4433-4-2 du CGCT de charger le président du Conseil départemental ou le président du Conseil régional de le représenter au sein d'organismes régionaux, avec les instructions et pouvoirs nécessaires, devrait être le mode normal de fonctionnement dans le bassin océan Indien.

La COI se prêterait bien à cet exercice. La France n'en est membre à ce jour qu'au titre de La Réunion. Par ailleurs, la coopération régionale s'appuie sur des équipes compétentes. L'engagement de la France est aussi majeur au sein de cette organisation et La Réunion gère les fonds Interreg. La seule difficulté porterait sur la répartition des rôles entre le département et la région, voire le choix à faire entre les deux collectivités. La parole territoriale sera d'autant plus facilement comprise et forte qu'elle sera unique et co-construite, ce qui oblige en contrepartie à une coordination étroite des acteurs (État, département, région). Ce mandat permanent, susceptible d'être retiré à tout instant conformément au texte constitutionnel, mettrait la collectivité compétente en position de responsabilité et l'astreindrait plus qu'aujourd'hui à définir une stratégie globale de coopération régionale. De l'autre côté, ce mandat obligerait l'État à coconstruire sa diplomatie régionale, la collectivité mandatée ne pouvant se borner à un rôle de perroquet.

Proposition : Approuver d'ici un an avec Mayotte et La Réunion des programmes-cadres de coopération régionale, conformément à la loi « Letchimy », et donner mandat aux autorités de La Réunion pour représenter la France auprès de la COI.

Afin d'ancrer cette nouvelle diplomatie des outre-mer dans les esprits (voir supra) et de porter politiquement le recours étendu aux facultés offertes par la loi « Letchimy », l'organisation des Assises de la diplomatie des outre-mer, en présence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, serait un signe fort. Tous les deux ans par exemple. Elle s'inspirerait des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée qui se sont tenues en mars 2024 au Quai d'Orsay. Cette manifestation régulière ne se substituerait aux conférences de coopération régionale dans chaque bassin.

Proposition : Organiser des Assises de la diplomatie des outre-mer, en présence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, conjointement aux Assises de la diplomatie parlementaire.

c) Professionnaliser les équipes des collectivités

Un des freins à une coopération régionale plus fluide et professionnelle est la formation des agents territoriaux aux usages et au fonctionnement de la diplomatie. Outre l'aspect technique, c'est un enjeu de reconnaissance par les parties tierces.

Maurice est un État souverain et traite habituellement d'État à État. Les responsables réunionnais ressentent ce décalage, les autorités mauriciennes faisant bien la différence entre l'État français et les collectivités territoriales.

Si ce décalage ne peut être entièrement gommé, il peut être estompé à la fois par les mesures précédemment exposées - en particulier le mandat donné par l'État à La Réunion pour le représenter dans les organisations régionales - et par la professionnalisation des agents territoriaux.

La convention de partenariat signée en mars 2024 entre Mayotte et le MEAE consacre un volet important au sujet de la formation, avec un objectif de montée en compétences du département de Mayotte avec l'appui direct du MEAE. La formation est essentielle dans la perspective de l'affectation d'agents de Mayotte au sein des représentations diplomatiques françaises. La formation des élus est aussi importante.

La nouvelle Académie diplomatique et consulaire (ADC), qui a succédé depuis le 20 janvier 2024 à l'École pratique des métiers de la diplomatie, doit accueillir les fonctionnaires territoriaux pour les former.

D'autres solutions de formation existent aussi. On citera le projet DCOL porté par Cités Unies France (CUF)55(*) avec le soutien de l'AFD et la Caisse des Dépôts et Consignations.

Enfin, cette professionnalisation doit mieux s'appuyer sur les réseaux régionaux multi-acteurs (RRMA). Les RRMA existent dans toutes les régions françaises sous différentes formes (GIP, associations...) et réunissent des représentants des collectivités territoriales et des partenaires essentiels comme les instituts de recherche, les associations de solidarité internationale, les lycées agricoles, les chambres des métiers... Ils sont néanmoins peu présents dans les outre-mer, à l'exception de la Guadeloupe.

Toutefois, en mai 2024, un accord-cadre de partenariat entre la région Réunion et la Conférence Inter-régionale des Réseaux Régionaux Multi-Acteurs (CIRRMA)56(*) a été conclu. La région Réunion attend de ce partenariat un transfert de savoirs et de compétences, le partage de bonnes pratiques et une montée en compétences de ces agents. L'accord prévoit que cette démarche doit s'étendre aux agents d'autres collectivités, ainsi qu'à des associations réunionnaises impliquées dans des actions de coopération régionale, afin de renforcer la dynamique territoriale qui tend à s'essouffler.

Le dispositif DCOL

Cités Unies France et ses partenaires (l'AFD et la Caisse des Dépôts et Consignations) mettent à disposition des collectivités territoriales françaises un dispositif d'appui à l'ingénierie en matière d'action internationale.

Cet appui se traduit par la mise à disposition d'une expertise externe, via un consultant, que le dispositif prend en partie en charge à hauteur de :

- 80 % si la collectivité est adhérente à CUF ;

- 20 % dans le cas contraire.

Ce dispositif en est à sa 10ème édition. 43 collectivités en ont déjà bénéficié.

Trois types d'appuis sont proposés :

- Appui à l'élaboration d'une stratégie à l'international ;

- Appui au montage de projet à l'international ;

- Appui à la prise en compte des enjeux climatiques dans l'action internationale.

Des guides sont aussi mis à la disposition des collectivités.

3. Mobiliser plus efficacement les financements
a) Simplifier encore l'accès aux financements européens

Des progrès importants ont déjà été réalisés qui se traduisent notamment par un taux de consommation des crédits Interreg de près de 100 %, du moins pour le programme océan Indien, le plus ancien, géré par la région Réunion depuis plus de 20 ans. Ce résultat est d'autant plus remarquable que les crédits sont passés de 5 millions d'euros pour le PO 2000-2006 à 63,1 millions d'euros pour le PO 2014-2020.

Le taux de consommation n'est toutefois pas un indicateur suffisant pour juger de la facilité d'accès aux financements. Des porteurs de projets innovants ou prometteurs peuvent en effet être découragés du fait de la complexité rémanente pour obtenir les financements puis les gérer. La complexité peut être réelle ou supposée, dans les deux cas elle dissuade des candidats et donc fait perdre des chances de financer les meilleures idées.

Des simplifications bienvenues ont été admises pour la PO 2014-2020, lesquelles ont été amplifiées pour la PO 2021-2027 en cours. Il s'agit des options de coûts simplifiés (OCS).

Au titre des subventions européennes Interreg accordées aux bénéficiaires, la méthode du remboursement des coûts éligibles engagés par le bénéficiaire est normalement utilisée (méthode basée sur les coûts réels et qui implique que l'on doit nécessairement relier chaque euro dépensé à des pièces justificatives comptables et administratives pour retenir la dépense, aussi bien à l'instruction que lors de la demande de paiement). C'est une charge administrative lourde, aussi bien pour les services instructeurs que pour le bénéficiaire. Elle suppose aussi d'attendre la réalisation effective du projet. La lourdeur de ce système est encore plus vraie pour les petits porteurs de projet. Plus de la moitié des projets Interreg sélectionnés par la région Réunion ont un coût total inférieur à 200 000 euros.

Toutefois, il existe une autre méthode : l'option de coûts simplifiés (OCS). Cette méthode était déjà permise lors des PO 2007-2013 et 2014-2020. Sur les recommandations de la Cour des comptes européenne, elle a été encore étendue pour la période 2021-202757(*).

Lorsque les OCS sont utilisées, les coûts éligibles sont calculés selon une méthode prédéfinie basée sur des réalisations, des résultats ou certains autres coûts. Relier chaque euro de dépense cofinancée à des pièces justificatives individuelles n'est plus requis : c'est l'élément clé des coûts simplifiés.

Les avantages à tirer des OCS sont :

- la réduction de la charge administrative, puisqu'il n'est plus nécessaire de relier chaque euro de dépense cofinancée à des pièces justificatives individuelles ;

- la plus grande accessibilité des fonds aux petits bénéficiaires du fait de la simplification du processus de gestion ;

- la concentration des ressources humaines vers la réalisation des objectifs stratégiques, moins de ressources étant requises pour la collecte et la vérification des documents ;

- un usage plus efficace et plus juste des fonds. La Commission et la Cour des comptes européennes ont pu constater sur les périodes précédentes que les OCS permettaient de réduire le risque d'erreurs.

Dans le cadre du programme 2021-2027, le règlement induit l'obligation d'utiliser les coûts simplifiés pour les projets dont le coût total est inférieur à 200 000 euros contre 100 000 lors de la précédente programmation. Ces projets représentent plus de la moitié des projets Interreg, voire les deux tiers.

Le sixième alinéa de l'article 25 du règlement (UE) n°2021/1059 « Interreg »58(*) va encore un peu plus loin en rendant obligatoire le recours aux OCS dans le cadre des petits projets, « lorsque la contribution publique ne dépasse pas 100 000 euros ».

Toutefois, les OCS recouvrent des modalités variables (taux forfaitaires, montants forfaitaires, coûts unitaires) qui sont source de complexité pour les autorités de gestion. Les OCS non réglementaires, nécessitant la mise en place d'une méthodologie ad hoc par l'autorité de gestion, sont d'ailleurs restés peu nombreuses en France, à la différence d'autres États membres. La complexité des OCS n'a pas été entièrement appréhendée par les autorités de gestion françaises. La région Réunion a ainsi préféré utiliser l'une des méthodes « clé en main » proposée par les règlements - et déjà utilisée sur 2014-2020 - pour financer les coûts d'administration (aussi appelés coûts indirects) du projet. Les bénéficiaires reçoivent une enveloppe calculée sur la base de 15 % de leurs frais de personnel directs éligibles.

Cette « complexité dans la simplification »59(*) suppose une très forte mobilisation de l'autorité de gestion, ce que Wilfrid Bertile, conseiller régional de La Réunion, confirme : « nous avons ainsi créé une cellule qui accompagne les porteurs de projets. Par ailleurs, les procédures en matière de facturation sont simplifiées par la programmation 2021-2027. 3,5 % des crédits Interreg sont destinés à rémunérer du personnel qui accompagne les gens ».

Les choses s'améliorent aussi grâce à la possibilité de faire des avances sur subvention.

Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de la programmation 2021-2027 - le premier appel à manifestation d'intérêt vient juste de s'achever -, mais une nouvelle étape de simplification des OCS sera sans doute nécessaire. L'éligibilité des TAAF au programme Interreg devra également être réexaminée (voir encadré ci-dessous).

La non éligibilité des TAAF au programme Interreg

Le programme Interreg a été conçu au bénéfice des régions ultrapériphériques. Cependant, en raison de la proximité de certains pays et territoires d'outre-mer (PTOM), de nombreux projets Interreg ont été attribués à des organisations des PTOM, la réglementation européenne laissant cette possibilité.

Toutefois, pour le PO 2021-2027, les règles en matière d'éligibilité des dépenses ont changé. L'article 37 alinéa 5 du règlement (UE) 2021/1059 précité dispose que « les PTOM ne sont pas éligibles au soutien du Feder au titre des programmes Interreg, mais peuvent participer à ces programmes dans les conditions prévues par le présent règlement ».

Les TAAF étant un PTOM, cela implique que des projets qui étaient portés par elles sur financement Interreg ne peuvent plus l'être. Lors du déplacement des rapporteurs à La Réunion, Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice des TAAF, a alerté sur les risques d'une remise en cause du plan régional de surveillance des pêches (PRSP). L'initiative de surveillance des pêches dans le sud-ouest de l'océan Indien est un projet porté par les TAAF, en partenariat avec les pays de la COI, le Mozambique, l'Inde et l'Australie. En 2022, une prolongation d'un an sur fonds Interreg V (2014-2020) avait été obtenue.

Ce ne sera plus possible. Les TAAF pourront être des partenaires impliqués dans le projet, mais ne seront plus « bénéficiaires » d'Interreg (ni portage, ni financement). Une solution consisterait à faire porter le projet par la préfecture de La Réunion.

Proposition : À partir du bilan du PO 2021-2027, poursuivre la simplification de la gestion des fonds Interreg et rétablir la possibilité pour les TAAF de bénéficier de ces financements.

b) Des crédits de l'État encore à optimiser

La loi de finances pour 2024 a acté le regroupement de plusieurs crédits dédiés à la coopération bilatérale et à la main du MEAE sous l'appellation « Fonds Équipe France ».

La coopération bilatérale directement à la main du Quai d'Orsay :
les nouveaux « Fonds Équipe France »

Le MEAE dispose d'outils de coopération bilatérale financés par le programme budgétaire 209, parmi lesquels :

- le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI - 100 millions d'euros en 2024) qui est une enveloppe permettant aux ambassades de mener des projets à impact sur le terrain. Les projets ont généralement une durée de 2 ans, pour un montant compris entre 100 000 et 1 million d'euros ;

- le FSPI « rapide » (FSPI-R) : mécanisme accéléré et simplifié d'appel à projets, pour une durée n'excédant pas un an, et un montant allant de 10 000 à 100 000 euros ;

- le nouveau Fonds Équipe France (FEF - 60 millions d'euros en 2024), qui a pour objectif de couvrir les besoins des partenaires africains par des projets pour lesquels la France a un avantage compétitif reconnu ;

- le Fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel (FAEC - 20 millions d'euros en 2024) qui est une enveloppe permettant de financer des projets d'appui à l'entrepreneuriat spécifiquement sur le continent africain.

Depuis le 1er janvier 2024, afin d'assurer une meilleure lisibilité des outils, ces dispositifs sont regroupés sous l'appellation « Fonds Équipe France ».

Source : Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Avis budgétaire sur la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2024.

Les ambassades de la région, à la suite de l'adoption de leur feuille de route pour la coopération régionale avec Mayotte et La Réunion (voir supra proposition n° ...), devraient réserver une part importante des crédits de l'ex-FSPI au profit de projets à dimension régionale en lien avec nos outre-mer. Le maintien de ces crédits et leur fléchage vers la coopération régionale sont un levier facilement et rapidement actionnable.

S'agissant du fonds de coopération régionale (FCR), la modestie des montants gérés - 2 millions d'euros sur 5 ans pour Mayotte et La Réunion réunis - interroge sur sa réelle utilité, même si ces fonds permettent ponctuellement de boucler ou compléter des opérations avec une souplesse de gestion. La gestion de ces fonds État est paritaire avec les collectivités dans le cadre d'un comité dont le secrétariat est assuré par le SGAR. Les territoires n'ont pas exprimé le souhait d'une remise en cause du FCR. Néanmoins, à défaut de rehausser les enveloppes budgétaires dans la période budgétaire actuelle, une réflexion pourrait être engagée en faveur d'un mode de gestion plus intégré, directement à la main de l'ambassadeur délégué à la coopération et dans le périmètre de la PCFOI.

c) La cohérence des financements européens : vers une stratégie « Trois Océans » pour l'UE ?

L'Union européenne dispose de trois outils financiers :

- le Feder classique pour le développement des territoires européens, y compris ultramarins ;

- le Feder Interreg pour la coopération régionale transnationale ou transfrontalière (les programmes Interreg VI océan Indien et Canal du Mozambique en sont la dernière version) ;

- le FED devenu NDICI pour l'action extérieure.

Toutefois, l'Union européenne ne s'est pas dotée de l'équivalent de la stratégie « Trois océans » de l'AFD pour veiller à la cohérence des politiques européennes au bénéfice des RUP françaises, portugaises ou espagnoles.

Pour Stéphane Bijoux, ancien député européen, « la coordination des actions des différents fonds qui interviennent dans la coopération des outre-mer (Interreg, FED devenu NDICI, programmes BEST ou Archipel) doit être approfondie, d'autant qu'ils poursuivent des objectifs communs. Le cheminement des porteurs de projets doit également être simplifié. Leur complexité éteint en effet l'initiative locale et éloigne les solutions ».

Pour y parvenir, l'Union européenne doit se doter d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu) détaillée ci-dessus. Cette proposition rejoint d'ailleurs les conclusions de la dernière Conférence des Présidents de RUP, en date du 8 novembre 2023, qui a demandé à la Commission européenne « une véritable politique de grand voisinage, avec des instruments ad hoc et des ressources dédiées », comme l'a rappelé Wilfrid Bertile lors de son audition.

Un premier progrès serait de mieux coordonner et mixer les fonds NDICI et les programmes Interreg. Des travaux sont en cours, précisément dans la perspective de renforcer l'intégration régionale des acteurs ultramarins. L'AFD y concourt, forte de son expérience en termes de mixage de fonds européens et français (NDICI et programme budgétaire 209).

Des comités FED-Feder se réunissent déjà, notamment dans l'océan Indien. Ainsi, un comité FED-Feder a été organisé fin 2023 pour présenter les derniers projets soutenus, et les communications réalisées conjointement avec les Délégations de l'Union Européenne de la zone. Ce comité a été l'occasion de faire un bilan des difficultés rencontrées au cours de la période 2014-2020.

La région Réunion a présenté la configuration envisagée pour l'organisation de la coordination du dispositif NDICI et Interreg pour la période 2021-2027. Les délégations de l'Union européenne de Maurice et des Comores ont également fait un point sur les travaux relatifs aux programmes indicatifs pluriannuels (PIM), avec lesquels la région Réunion a identifié des synergies possibles avec le programme Interreg.

Le programme Interreg VI approuvé par la Commission européenne a intégré des dispositifs de coordination (point 4.3) avec un comité de coordination NDICI/Feder, héritier du comité FED/Feder.

Par symétrie, les programmes indicatifs pluriannuels (PIP), définissant les domaines de coopération prioritaires entre l'UE et les pays partenaires pour la période 2021-2027, dans le cadre du NDICI ont été adoptés en décembre 2021. Pour les pays de l'océan Indien, l'articulation avec le PO Interreg VI océan Indien est identifiée comme un point à renforcer (point 1.2.1.C).

Pour aller plus loin, une solution en cours d'expertise par l'AFD consisterait à déléguer des fonds Feder à une autorité de gestion de fonds NDICI dans les secteurs où le potentiel de mobilisation conjointe Feder Interreg et NDICI serait le plus important.

Une telle gestion mixte serait mise en place en application de l'article 53 du règlement (UE) 2021/1059 (gestion partagée pour le Feder et gestion indirecte pour le NDICI). L'autorité de gestion (la région Réunion ou le département de Mayotte) pourrait envisager une subvention globale à l'AFD sur fonds Interreg pour des thématiques ciblées telles que la santé et la sécurité alimentaire. L'AFD gérerait ces fonds en les mixant à des fonds NDICI. Une étude juridique et organisationnelle est en cours.

Proposition : Faciliter radicalement les cofinancements NDICI et Feder pour mieux orienter les crédits européens vers les projets de coopération régionale, dans le cadre d'une Politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu).

d) Accentuer la priorité outre-mer de l'AFD

La stratégie « Trois océans » a remis de la cohérence dans les actions de l'AFD dans les bassins régionaux des outre-mer. Pour autant, les crédits dédiés à des projets de coopération régionale demeurent modestes (4% environ). L'un des freins est la rigidité des instruments financiers.

L'AFD dresse un constat assez proche de celui portant sur les financements européens : une large palette d'instruments, mais qui demeurent construits en silo. L'Union européenne dispose néanmoins d'Interreg. L'assemblage des différents fonds demeure malaisé. Il manque un outil dédié permettant de construire des projets intégrés de coopération régionale. L'AFD a engagé des discussions avec les ministères concernés : MIOM, MEAE et Bercy.

La principale limite pour une intégration plus systématique des outre-mer dans les projets régionaux réside dans la conception même des instruments, puisque l'AFD doit faire appel à des programmes budgétaires différents pour ses interventions dans les outre-mer et dans les territoires étrangers : le programme 12360(*) de la mission budgétaire « Outre-mer » pour les premiers, le programme 20961(*) de la mission budgétaire « Aide publique au développement » pour les seconds.

Lorsqu'elle met en place des programmes régionaux dans les bassins océaniques en mobilisant des ressources du programme 209, l'AFD cherche des solutions afin de pouvoir intégrer les départements et territoires ultramarins français dans ces projets, mais cela n'est pas aisé et reste limité62(*).

Un réexamen des mécanismes existants, voire la création d'un instrument financier national dédié à la coopération régionale insulaire qui émargerait à la fois sur des ressources des programmes 209 et 123, doit être rapidement entamé.

Par ailleurs, si le Contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2020-2022 de l'AFD est déjà doté d'un indicateur de suivi (sans cible) du nombre de projets de coopération régionale ayant des activités dans au moins un territoire ultramarin et un État étranger, et que le prochain contrat pour 2024-2026 reprend cet indicateur en l'élargissant à Expertise France, un second indicateur mériterait d'être introduit. Outre le nombre de projets, qui est un indicateur exposé au risque du saupoudrage, un second indicateur pourrait être la part des financements AFD vers des projets régionaux.

Une plus forte mobilisation des crédits du programme 209 sur des projets régionaux pourrait aussi être évaluée à l'aune de la capacité à « faire valoir les priorités stratégiques françaises dans l'aide publique acheminée par les canaux européens » qui est l'intitulé de l'objectif 3 de ce programme budgétaire.

Cet objectif vise à refléter la capacité d'entraînement de la France sur la politique européenne de développement, les contributions françaises au Fonds européen de développement (FED) représentant environ 11 % des crédits de paiement du programme 209. Cinq indicateurs évaluent cet objectif : part des versements du FED dans les pays prioritaires de la France, part des versements du FED sur l'adaptation et l'atténuation face au changement climatique, part des versements du FED pour l'éducation... Un sixième indicateur pourrait donc être la part des versements du FED (demain, des instruments de la NDICI) au profit de projets à dimension régionale impliquant des territoires ultramarins français.

Enfin, un autre levier financier possible dans la sphère de l'AFD est l'intervention de sa filiale Proparco63(*) qui dispose désormais d'un mandat pour prendre des participations en capital dans les territoires ultramarins. Toutefois, ce mandat n'a pratiquement pas été utilisé, à l'exception d'un projet d'aménagement concerté à La Réunion. Pourtant Proparco est présente dans le bassin de l'océan Indien occidental avec des opérations dans la plupart des pays de la région. Sa nouvelle stratégie 2023-2027 ne fait aucune mention des outre-mer. Le soutien à des initiatives privées à dimension régionale, bénéficiant à nos outre-mer, devrait figurer dans les prochaines priorités stratégiques. Plusieurs projets économiques régionaux sont prometteurs : traitement des déchets, transport maritime régional, agriculture en circuit court régional, développement de la biomasse...

Proposition : Mieux mobiliser les outils financiers de l'AFD :

- en créant un mécanisme financier adapté aux projets de coopération régionale outre-mer qui mixerait des crédits des programmes budgétaires 123 (outre-mer) et 209 (Aide au développement) ;

- en inscrivant dans les priorités stratégiques de sa filiale Proparco le soutien aux initiatives privées à dimension régionale pouvant bénéficier aux outre-mer.

Le renforcement des financements directs de l'AFD au profit de la coopération régionale est important pour ne pas diluer l'effort et la visibilité de l'action de la France dans ces domaines.

En effet, la coopération régionale dans la zone sud-ouest de l'océan Indien, espace francophone rare, se fait de plus en plus dans un cadre multilatéral (COI, IORA, Union européenne). Si cette dimension nouvelle est indispensable, un équilibre doit être maintenu pour valoriser l'action de la France à son juste niveau, en particulier dans un contexte de compétitions entre les puissances mondiales.

B. CLARIFIER LES RESPONSABILITES ET PRIORISER LES OBJECTIFS

1. Clarifier les responsabilités pour une meilleure coordination
a) Des actions tous azimuts ou le risque du saupoudrage et d'un pilotage insuffisant

La coopération régionale doit naviguer entre l'écueil de la centralisation, qui bride les initiatives, et celui de la dispersion. Un double reproche fréquent est celui de la complexité des dispositifs accrue par la multiplicité des acteurs et celui du saupoudrage, faute d'un pilotage insuffisant.

Ce risque est particulièrement vrai pour La Réunion qui a à sa disposition des moyens importants, en particulier Interreg. Par ailleurs, la gouvernance est éclatée entre l'État, la région, le département, voire des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) importants. Mayotte n'est pas encore dans cette dynamique foisonnante, son principal défi étant de s'extraire de son isolement régional.

À titre d'illustration, Interreg V (2014-2020) a programmé 264 opérations au 31 décembre 2022, représentant un coût total éligible de 81,8 M€. Neuf pays sont impliqués : Madagascar, Maurice, Seychelles, Comores, Mozambique, Australie, Inde, Tanzanie et Kenya. Cette coopération se réalise majoritairement à travers des projets multilatéraux : Madagascar a participé à 144 projets, Maurice à 134, les Seychelles à 112, les Comores et le Mozambique à 56, la Tanzanie à 35, le Kenya à 25, l'Australie à 22 et l'Inde à 19.

Une première réponse à ce risque est une meilleure coordination grâce à des réseaux travaillant étroitement ensemble : ceux de l'État et des collectivités dans une « Équipe France » (voir II.A. ci-dessus) avec un pilotage sous l'égide de l'ambassadeur délégué et dans le cadre de la plateforme de coordination de la France dans l'océan Indien (PCFOI).

Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué, a rappelé que la PCFOI a été le lieu de nombreux échanges entre partenaires pour préparer un document d'orientations stratégiques qui doit être adopté lors de la prochaine conférence de coopération régionale en novembre prochain.

Une deuxième réponse doit précisément consister à dessiner une vraie stratégie partagée et une vision pour l'espace régional du sud-ouest de l'océan Indien. Le travail de la PCFOI esquisse un premier pas encourageant, même si son élaboration demeure imprégnée de la vision de l'État. Ce document devra être ensuite décliné par chaque collectivité pour assurer la cohérence de l'ensemble. Les collectivités de Mayotte et de La Réunion ne sont pas encore parvenues à arrêter des priorités claires et des stratégies pour les décliner. Ce reproche est aussi fait à la Commission de l'océan Indien (COI) qui a multiplié les projets ces dernières années, sans qu'une communauté de destin n'émerge réellement. Wilfrid Bertile, conseiller régional de La Réunion en charge de la coopération régionale, a plaidé symboliquement pour un changement de nom de la COI qui deviendrait la Communauté de l'océan Indien. Mais cette proposition a suscité des craintes.

Enfin, la troisième réponse à ce risque est d'identifier des chefs de file par domaine. La coordination a ses limites si des chefs de file, placés en situation de responsabilité, ne sont pas désignés. L'État ne doit pas être le conducteur sur l'ensemble des thématiques, si l'ambition d'une diplomatie outre-mer (voir supra) veut se réaliser.

b) Aux collectivités, le pilotage de l'insertion économique

Le domaine de l'économie, central pour une insertion réelle des outre-mer dans leur environnement, traduit ces difficultés de gouvernance.

Certes, le CIOM du 18 juillet 2023 a marqué un progrès avec la mesure 9 prévoyant l'élaboration de stratégies par bassin pour développer les échanges commerciaux.

Un travail de concertation et de consultation des acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités régionales et départementales de La Réunion et de Mayotte, a été engagé. La présentation des stratégies devait avoir lieu lors de la conférence de coopération régionale de l'océan Indien prévue initialement en avril 2024 à Mayotte et reportée à novembre prochain.

Toutefois, bien qu'heureuse, cette initiative demeure partiellement satisfaisante.

Conformément à la loi du 7 août 2015 portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les régions ont perdu la clause de compétence générale et se sont vues confier la définition des orientations en matière de développement économique. Les termes de l'article L.4251-12 du code général des collectivités territoriales sont clairs : « La région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ».

À ce titre, elle élabore un « schéma régional de développement économique, d'internationalisation et d'innovation » (SRDEII). L'article L.4251-13 du même code précise que « ce schéma définit les orientations en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'internationalisation et d'aides à l'investissement immobilier et à l'innovation des entreprises, ainsi que les orientations relatives à l'attractivité du territoire régional. [...] Le schéma peut contenir un volet transfrontalier élaboré en concertation avec les collectivités territoriales des États limitrophes ».

Aussi bien la région Réunion que le conseil départemental de Mayotte, au titre de ses compétences régionales, ont adopté leur SRDEII. Chacun comporte des chapitres sur l'attractivité du territoire, le développement des infrastructures de transport, la conquête de marchés à l'export. Des « fiches action » détaillent les mesures retenues et les financements publics possibles (européens, nationaux ou locaux).

Le SRDEII de la région Réunion a été révisé et actualisé en 2022. Sa gouvernance a été renforcée avec la création d'un comité de pilotage ou des comités de filière pour les filières stratégiques et émergentes. Le SRDEII révisé prévoit également l'organisation chaque année d'une conférence économique régionale.

En conséquence, pour l'élaboration de stratégies commerciales par bassin, comme le prévoit la mesure 9 du CIOM, la région Réunion et le conseil départemental de Mayotte auraient dû s'imposer comme chef de file ou pilote naturel, l'État n'intervenant que pour veiller à la cohérence d'ensemble et éviter des contradictions entre les deux territoires.

De manière plus générale, dans le domaine de la coopération économique, les trois collectivités régionales et départementales de Mayotte et La Réunion doivent s'imposer comme les chefs de files, les opérateurs de l'État venant en accompagnement des stratégies territoriales. Il faut inverser l'ordre de conception des stratégies économiques : les collectivités conduisent et l'État s'associe en soutien.

Par ailleurs, certains retours laissent penser que le travail de co-construction d'une stratégie commerciale par bassin s'est parfois apparenté à une consultation. Club Export, la principale association réunionnaise réunissant les chefs d'entreprises exportateurs de l'île, confirme avoir eu des échanges avec Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur. Cependant, à ce jour, Club Export indique n'avoir « aucune visibilité sur les décisions prises par le Gouvernement », plus d'un an après le CIOM.

Ce changement de méthode serait conforme, d'une part, aux textes et, d'autre part, à la volonté de placer les territoires en position de s'affirmer dans leur environnement régional. La mise en oeuvre de la mesure 9 du CIOM devrait incomber à titre principal aux collectivités de Mayotte et de La Réunion. À partir du SRDEII, des feuilles de route déclineraient la mise en oeuvre du schéma pour chaque opérateur de l'État et des collectivités concernés (AFD, Business France, groupe CDC, EPL...), en identifiant le rôle et les moyens mobilisables.

Proposition : Affirmer le rôle de chef de file du département de Mayotte et de la région Réunion en matière de coopération et d'insertion économique, et faire du Schéma régional de développement économique, d'internationalisation et de développement (SRDEII) le document maître d'une stratégie économique à l'échelle du bassin.

Cette affirmation d'une diplomatie économique régionale définie et pilotée par les territoires répondrait aux critiques de la présidente de la région Réunion, Huguette Bello, exprimées lors de son audition par notre délégation le 13 octobre 2022 dans le cadre de l'étude sur l'évolution institutionnelle des outre-mer : « La diplomatie est une compétence régalienne de l'État. Toutefois, l'environnement géoéconomique mérite que l'on s'interroge sur cette question. La Réunion est en Afrique d'un point de vue géographique, mais notre histoire est française. Nous avons créé des relations profondes avec nos voisins, notamment Madagascar, ou encore le Mozambique et l'Afrique du Sud. Plutôt que d'importer des produits en provenance du Brésil, privilégions les relations avec les pays de notre zone géographique. Notre zone économique exclusive (ZEE) couvre une surface de 2,2 millions de kilomètres carrés. Toutes les grandes puissances sont présentes dans l'océan Indien. La question d'accorder des compétences diplomatiques aux collectivités comme la nôtre mérite d'être posée. Dans le domaine de la coopération régionale et internationale, des accords sont conclus sans nous. Nos capacités juridiques en la matière ne sont pas à la hauteur de nos ambitions. Nous souhaitons construire une politique de co-développement régionale. »

En qualité de chef de file, les collectivités, en particulier la région, seraient placées en position de pleine responsabilité, ce qui les inciterait à s'approprier des stratégies de développement économique et d'attractivité.

Certains opérateurs de l'État sont d'ailleurs demandeurs de cette prise en main par les collectivités. Johann Remaud, directeur outre-mer de Business France, constate « encore, sur certains territoires, une difficulté pour poser une stratégie réellement définie sur l'attractivité internationale. Par conséquent, nous ne savons pas toujours quels sont les secteurs ouverts. Je note avec intérêt qu'en début d'année, la région Réunion a lancé un appel d'offres pour définir la stratégie d'internationalisation, tant sur le volet attractivité que sur le volet export, afin de définir l'ensemble des filières d'export susceptibles d'être renforcées. C'est un préalable. Il conviendrait donc que ce travail soit mis en place par l'ensemble des régions afin qu'un argumentaire précis existe, et qu'il soit porté par l'ensemble de notre réseau ».

Pour donner corps à cette diplomatie économique régionale portée par les territoires, les outils juridiques existent : les programmes-cadres de coopération régionale, les mandats dans les organisations régionales, la participation aux délégations françaises à Bruxelles... (voir supra).

c) L'État, pourvoyeur de sécurité et de stabilité dans l'espace régional

Dans le contexte régional de l'océan Indien, l'État doit avant tout investir les domaines régaliens. Il est le garant de la souveraineté et de la sécurité des territoires ultramarins français face aux risques ou menaces régionales.

Les risques externes sont importants : trafics de drogues (drogues de synthèse, cocaïne, héroïne), traite, migrations illégales (par les Comores vers Mayotte mais aussi, dans une bien moindre mesure, de Sri Lanka vers La Réunion par exemple), le terrorisme (depuis la côte mozambicaine), la pêche illégale, les catastrophes naturelles...

La coopération régionale judiciaire, policière et militaire a un double intérêt : protéger nos territoires et sécuriser une région essentielle pour le commerce mondial. La France peut en effet jouer, avec l'Union européenne, un rôle stabilisateur.

Face à ces menaces, l'État a intensifié ses initiatives de coopération régionale avec des résultats satisfaisants.

Comme évoqué supra (voir I.A.6.), des conventions bilatérales ont été récemment signées ou sont en cours de négociation avec plusieurs États, dont Maurice et la Tanzanie. Un groupe de contacts sur les sujets de sécurité se réunit régulièrement entre La Réunion et Maurice. Pour autant, une mise à jour complète des conventions en matière de coopération policière, d'échanges d'informations, d'entraides judiciaires et d'extraditions avec tous les pays de la zone paraît indispensable.

Cette démarche systématique doit pouvoir s'appuyer sur le réseau régional d'attachés de sécurité intérieure (ASI) et de magistrats de liaison. Des ASI sont en poste à Madagascar, en Afrique du sud et aux Comores, assurant une couverture satisfaisante de la zone. L'affectation d'un ASI en Tanzanie est à l'étude, du moins à titre temporaire, du fait de la crise migratoire mahoraise et du transit par la Tanzanie de la plupart des demandeurs d'asile. En revanche, aucun magistrat de liaison n'est en poste dans la région64(*). Lors de la 1ère journée de la justice outre-mer organisée le 26 mars 2024, l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien, a relevé que le maillage des magistrats de liaison était moins bon dans cette région du monde. Il est indispensable de combler cette lacune pour étoffer la coopération judiciaire dans la région.

La constitution d'un réseau efficace de coopération judiciaire et policière se conçoit dans le temps long. Lors de la journée « Justice outre-mer » précitée, Stéphanie Djian, cheffe du bureau d'entraide pénale internationale au ministère de la Justice, relevait le paradoxe des outre-mer. Alors que 30 à 40 États étrangers sont voisins de nos outre-mer et qu'une forte criminalité transfrontalière est prégnante, la politique pénale régionale devrait être une évidence. Pourtant, a-t-elle ajouté « vu de notre bureau d'entraide, les requêtes émanant de nos juridictions outre-mer sont minimes ». Les prérequis d'une bonne coopération judiciaire sont d'abord de bonnes bases légales avec des conventions. Pour cela, il faut des partenaires de bonne foi et une stratégie de long terme. À défaut de convention, c'est la voie diplomatique qui prévaut et elle est longue et compliquée en cas d'enquête.

La création d'un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien est donc nécessaire.

En matière militaire, le constat partagé est celui d'une très bonne coopération régionale dans un contexte d'affirmation des grandes puissances.

Pour le général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées, la coopération régionale se décline en deux axes : d'une part, le renforcement de la coopération opérationnelle, qui vise à favoriser la montée en gamme des armées partenaires et, d'autre part, la lutte contre l'insécurité maritime, qui reste une préoccupation dans l'océan Indien.

Sur le premier axe, les Fazsoi conduisent une soixantaine de missions de partenariat militaire opérationnel et plusieurs exercices multinationaux majeurs, au nombre de deux à trois par an en moyenne, essentiellement à partir de La Réunion. Madagascar est le partenariat prioritaire, suivi des Comores, du Mozambique et de la Tanzanie. La France est par exemple partenaire du symposium naval de l'océan Indien (IONS), forum de coopération regroupant vingt-cinq autres États. Enfin, sept attachés de défense sont présents auprès des représentations diplomatiques de la France dans la région. Ce maillage est beaucoup plus dense que celui des ASI et des magistrats de liaison.

Sur le second axe, la sécurité maritime est probablement un des secteurs où les progrès de la coopération régionale au cours des dernières années ont été les plus remarquables. Par leur simple présence sur zone, les Fazsoi assurent la sécurité du trafic maritime. Pour rappel, la zone sud de l'océan Indien englobe un espace maritime immense, dont un cinquième de la surface est placé sous juridiction française. Plus précisément, les Fazsoi sont à la tête d'une zone de responsabilité permanente (ZRP) immense qui représente 24 millions de kilomètres carrés, du Kenya jusqu'à l'Antarctique.

Elles sont aussi partie intégrante du programme Maritime Security (MASE) qui a posé les bases d'une architecture régionale de sécurité maritime. Le programme MASE est financé par l'Union européenne à hauteur de 42 millions d'euros de 2013 à 2021.

Couvrant 15 États, ce programme régional est mis en oeuvre par quatre organisations régionales, à savoir l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui est le coordonnateur général du programme, de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC), du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Commission de l'océan Indien (COI). Sur les 42 millions d'euros, 17 ont été gérés par la COI.

Cette initiative a pour principale mission de veiller au respect du droit international de la mer et de sécuriser l'espace maritime, grâce au partage d'informations et aux opérations coordonnées en mer. Sept États (Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice, Seychelles, France, Kenya) ont signé, en 2018, les accords régionaux à l'origine de deux centres : le centre régional de coordination des opérations (CRCO), basé aux Seychelles, et le centre régional de fusion d'informations maritimes (CRFIM), basé à Madagascar65(*). Ce sont des structures opérationnelles pérennes auxquelles les Fazsoi apportent un soutien et participent66(*).

Les moyens des Fazsoi

Les moyens des Fazsoi sont d'environ 2 000 hommes et femmes, pour la plupart des militaires. Parmi ceux-ci, 75 % sont en mission de longue durée - trois ans en moyenne - et 25 % affectés à des missions de quatre à six mois. Environ 1 600 personnels sont positionnés à La Réunion et près de 400 à Mayotte.

Force interarmées, les Fazsoi comptent un régiment de parachutistes à La Réunion - il recevra bientôt deux hélicoptères Cougar - ainsi qu'un détachement de la Légion étrangère à Mayotte. Pour ce qui est de la marine, la base navale de La Réunion accueille deux frégates de surveillance, un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM), un patrouilleur polaire - L'Astrolabe, chargé du ravitaillement des terres polaires - et un patrouilleur complémentaire, Le Malin. La base navale de Mayotte ne compte pas de navire propre, à l'exception d'un chaland de transport de matériel, mais soutient les vedettes côtières de la gendarmerie maritime et de la police aux frontières. Cette base navale accueille également le poste de commandement de l'action de l'État en mer, qui surveille en permanence les accès maritimes de Mayotte. Pour ce qui est des forces aériennes, La Réunion dispose de la base aérienne « lieutenant Roland Garros », qui accueille notamment deux avions de transport et un certain nombre d'hélicoptères ; aucune base aérienne à proprement parler n'existe à Mayotte, les aéronefs de La Réunion y étant accueillis par un bureau militaire de transit.

Ce dispositif va être renforcé tout au long de la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM).

Les effectifs seront augmentés de 220 postes pour La Réunion et de 90 postes pour Mayotte, avec un objectif de 2 360 postes au total en 2030, soit une augmentation d'environ 13 %.

Deux patrouilleurs outre-mer (POM) équipés de drones seront affectés à La Réunion en 2025 et 2026 pour remplacer des patrouilleurs P400 retirés du service.

L'effort de la LPM se traduira aussi par une consolidation assez significative du point d'appui, notamment au travers d'un renforcement des capacités de la base aérienne et du port de La Réunion et du déploiement d'un détachement d'hélicoptères de l'armée de terre en 2028. Plus de 180 millions d'euros seront investis dans les infrastructures de La Réunion - hors logements - afin d'accroître les capacités d'accueil de ce point d'appui clé pour les forces françaises. De plus, les travaux d'aménagement de la base aérienne permettront d'accueillir ponctuellement des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type Reaper, des avions de surveillance et de reconnaissance de type Falcon 2000 et des avions de transport de type A400, ou des ravitailleurs.

À Mayotte, le renfort de 90 personnels sur la durée de la LPM s'accompagne d'un investissement dans les infrastructures à hauteur de 50 millions d'euros afin de durcir et de moderniser les capacités. Le vieux chaland de transport de matériel sera également remplacé par un engin de débarquement amphibie moderne, tandis que le détachement de Légion étrangère sera renforcé par deux sections spécialisées, dont une section du génie. Le poste de commandement de l'action de l'État en mer sera également renforcé et modernisé.

Source : Ministère des armées

La France doit développer ce rôle de pourvoyeur de sécurité dans la région en s'appuyant sur les organisations régionales.

Outre le programme MASE, d'autres projets sont à l'étude ou en cours :

- « Safe Seas Africa » (SSA) est le nom du nouveau programme de l'Union européenne en faveur de la sécurité maritime en Afrique d'un budget total de 45 millions d'euros (2024-2027). L'une des composantes de ce programme européen bénéficiera directement au renforcement de l'Architecture régionale de sécurité maritime établie par la Commission de l'océan Indien (COI). Le contrat de subvention d'un montant de 15,3 millions d'euros pour cette composante dédiée à l'océan Indien occidental a été signée le 4 juillet 2024 à Maurice. Ce programme consolidera les acquis de MASE ;

- la création de l'Institut sur la sécurité maritime de l'océan Indien (ISMOI). L'ISMOI sera un centre d'excellence et de formation régional à La Réunion sur les questions de sécurité et sûreté maritime. Il bénéficiera du réseau existant créé par le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Réunion. Cet institut appuiera aussi la création d'un centre analogue au Sri Lanka, renforçant la coopération avec ce partenaire ;

- la création d'un Centre régional de formation de la Gendarmerie d'Outre-Mer ;

- fin 2024, le futur PIROI Center (le centre de la plateforme de la Croix-Rouge pour la réponse aux risques naturels)67(*) qui disposera de capacités de projection. Ce centre de 4 000 m2 sera situé à La Réunion et rassemblera un centre de formation, un entrepôt humanitaire et un centre de gestion de crises. Il a été financé par l'État, l'AFD et le programme Interreg ;

- le projet emblématique Hydromet conduit dans le cadre de la COI (budget de 71millions d'euros) vise à renforcer les systèmes météorologiques des territoires de la zone dans une perspective d'adaptation au changement climatique. Il doit notamment permettre de mieux modéliser les prévisions météorologiques et hydrologiques et structurer des systèmes d'alerte rapide. Météo France à La Réunion, par son expertise de niveau mondial, est le partenaire de référence ;

- en 2024, le MEAE a décidé de financer la mise à disposition du secrétariat général de la COI d'un Expert Technique International (le directeur du CROSS Réunion a été désigné) ;

- récemment, un forum régional des fonctions garde-côtes a été créé.

La multiplication des projets dans les domaines de la sécurité maritime, de la sécurité civile ou de la sécurité atteint désormais une masse critique.

Les synergies possibles ont fait émerger l'idée de créer une Académie de sécurité qui fédérerait notamment ces réalisations et projets. Bien que cela ne relève pas des compétences de la région, la région Réunion souhaite mobiliser des financements NDICI et Interreg pour appuyer ces structures. Un partenariat État-Région s'est mis en place pour ce projet. Dans un premier temps, la priorité serait donnée aux questions de sécurité et de sûreté maritimes. La dimension judiciaire pourrait s'y greffer dans un second temps, au service de la coopération judiciaire à construire.

La création d'une Académie de la sécurité de l'océan Indien permettrait de faire faire un saut qualitatif important au rayonnement régional de la France et de La Réunion sur l'ensemble des sujets régaliens, tout en apportant une plus-value majeure pour la stabilité de la zone et en contribuant à la montée en compétences des autres pays.

Ce projet recevrait à ce stade le soutien de la Commission européenne ainsi que du Service européen d'action extérieure (SEAE), avec un double financement NDICI et Interreg.

Le soutien au projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien est une priorité.

Enfin, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est un autre domaine, lié à celui de la sécurité maritime, dans lequel des bons résultats ont été obtenus.

Ils sont dus à la fois à l'action de l'État qui a adapté ses moyens dans nos eaux et à des projets de coopération régionale promus par la France et l'Union européenne au sein de la COI notamment.

Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice des TAAF, se félicite d'une forte baisse des pêches INN dans les eaux australes sous souveraineté française depuis les années 200068(*). Ce constat est partagé par les Fazsoi. Le renforcement de la présence en mer (les navires de pêche autorisés participent au dispositif en plus des navires des TAAF et des Fazsoi), la surveillance satellitaire et la coopération avec les autres marines de la région ont permis ces résultats. Dans le cadre de France 2030, des projets innovants ont été retenus pour concevoir d'autres technologies de détection des navires à partir des radiofréquences.

La pêche illégale demeure plus importante dans les îles Éparses, notamment du fait de pêcheurs comoriens dans les Glorieuses ou de la pêche du concombre de mer à Bassas da India. Beaucoup de navires asiatiques se livrent à la pêche INN.

Ces moyens français se déploient de plus en plus dans un cadre régional. En particulier, la COI a mis en oeuvre deux programmes sur financement européen et de la Banque mondiale :

- les programmes SWIOFISH 1 et 2 pour améliorer la gouvernance des pêches dans le sud-ouest de l'océan Indien (11 millions d'euros au total) ;

- le programme ECOFISH dont les objectifs sont de promouvoir la gestion durable des pêches dans les îles de l'océan Indien (pêche maritime) mais aussi en Afrique orientale et australe (pêche continentale), d'appuyer le plan régional de surveillance des pêches (PRSP) pour lutter contre la pêche INN. Au titre du PRSP, plusieurs missions de surveillance dans la zone australe des TAAF sont financées grâce à ce programme, en particulier les missions du navire Osiris II. Ce programme a bénéficié à la fois de fonds NDICI et Feder/Interreg, dont 11,7 millions d'euros pour la partie gérée par la COI.

Les résultats rejoignent l'appréciation des autorités françaises. Les dernières missions régionales de surveillance des pêches en mer ont montré que la quasi-totalité des bateaux opérant dans la région respectent désormais la réglementation, quand en 2007, lors des premières patrouilles régionales, 25 % des navires inspectés étaient en infraction.

Cette politique régionale, avec de nets résultats, a vocation à s'étendre. Dans le cadre de l'IORA, la France a pris l'initiative avec l'Indonésie d'engager des travaux pour élaborer une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième a eu lieu à La Réunion en mai 2024, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.

Proposition : Conforter le rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité de la France dans la région :

- en faisant du projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien une priorité ;

- en concluant avec tous les États de la région des accords de coopération judiciaire et policière et des accords de réadmission ;

- en créant un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien.

2. Une reconnaissance de Mayotte française qui passe par l'insertion économique
a) Le face-à-face ou le mouvement enveloppant ?

Au cours des déplacements de la mission et lors des nombreuses auditions, la question de la reconnaissance de la souveraineté française à Mayotte a préempté de nombreux débats. Elle ferme l'horizon de ce territoire, notamment toute perspective d'adhésion de la France à la COI au titre de Mayotte.

Face au mur comorien, deux stratégies opposées sont possibles. Soit le bras de fer avec l'Union des Comores, c'est-à-dire un durcissement des relations, voire des pressions. Soit une stratégie des petits pas et des actions indirectes pour acclimater l'ensemble des partenaires régionaux à la participation de Mayotte à des projets régionaux.

Deux facteurs poussent plutôt à privilégier la seconde, bien qu'elle puisse paraître frustrante et parfois inefficace aux yeux de la plupart des acteurs mahorais face à l'ampleur des défis de ce territoire et des opportunités manquées par la position comorienne.

Le premier est l'irrédentisme intrinsèque qui fonde l'Union des Comores. Le second est l'aversion des États de la région à se positionner en faveur de Mayotte ou à se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre les Comores et la France (voir supra I.B.2). Par ailleurs, l'image dégradée de la France en Afrique depuis plusieurs années est en cours de reconstruction. Une diplomatie perçue comme trop offensive pourrait être contreproductive, alors même que des signaux positifs en faveur d'une acceptation de Mayotte dans le concert régional existent.

Bien que lente et encore insuffisante, la politique des petits pas a permis des progrès dont certains ont été rappelés supra :

- programme Interreg VI Canal du Mozambique géré par le conseil départemental de Mayotte et auquel les Comores ont consenti à participer ;

- obtention de l'organisation des Jeux des îles en 2035 et participation aux Jeux des Jeunes ;

- rapprochement avec Madagascar et plus récemment avec la Tanzanie, via des échanges économiques prometteurs et la perspective d'une prochaine liaison aérienne directe ;

- accord de partenariat avec le MEAE en vue notamment d'installer des représentants de Mayotte au sein des représentations diplomatiques de la zone ;

- adhésion des chambres consulaires de Mayotte à Cap Business océan Indien, projets en faveur de la coopération en agroécologie menés par le Lycée agricole de Coconi, organisation du Forum économique de Mayotte, déplacement de délégations de chefs d'entreprise...

Par ailleurs, la France a cherché à mieux associer Mayotte aux travaux de la COI, en dépit du véto des Comores à une adhésion de la France au titre de Mayotte.

Les Comores ont ainsi accepté en décembre 2019, par note verbale, le principe de l'association de services mahorais à certains projets régionaux au cas par cas, notamment sur la surveillance épidémiologique, la prévention des catastrophes naturelles et sur la sécurité alimentaire et animale. Cette position a été acceptée par tous les autres États membres de la COI lors de la retraite ministérielle de Moroni en août 2019 et est régulièrement rappelée depuis. Cela a récemment mené à l'association à bas bruit d'experts de l'ARS de Mayotte à des travaux de la COI sur la surveillance épidémiologique et le risque vectoriel, le 21 juin 2022, premier et seul exemple réussi d'association de Mayotte à des projets de la COI. Mayotte a aussi été inclus dans le périmètre géographique du programme MASE sur la sécurité maritime. Par ailleurs, plusieurs VSI mahorais ont été affectés auprès de la COI.

b) Afficher l'objectif de la pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France

Les résultats obtenus peuvent sembler modestes mais n'en sont pas moins importants. Par ailleurs, la revendication irrédentiste comorienne devant l'ONU demeure essentiellement déclaratoire. Emmanuelle Blatmann, directrice Afrique au MEAE, a rappelé que « depuis 1994, aucune résolution des Nations unies n'a remis en cause la souveraineté française sur Mayotte, et nous avons obtenu des Comoriens qu'ils cessent tout activisme officiel en la matière, à l'ONU comme au sein de l'Union africaine ». Elle suffit néanmoins à entraver Mayotte dans sa géographie.

Sans franchir la ligne rouge - la France doit pouvoir compter sur une coopération continue des Comores dans la lutte contre l'immigration clandestine en provenance d'Anjouan, ou du moins sur son acceptation des reconduites de clandestins -, l'attente forte de nos concitoyens de Mayotte oblige à afficher clairement l'objectif d'une pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France.

Cette affirmation plus directe, qui semble être la nouvelle inclination portée par le MEAE (voir supra I.A.2.d), ne doit pas néanmoins se transformer en bras de fer avec les autorités comoriennes.

Elle doit en revanche se traduire par une stratégie globale, concertée et dynamique avec l'ensemble des partenaires de la région. Cette stratégie doit surtout associer systématiquement les autorités mahoraises qui seront les meilleurs promoteurs de leur appartenance incontestable à la citoyenneté française. L'ambiguïté coloniale, agitée par les Comores, ne sera jamais aussi bien combattue que par les Mahorais eux-mêmes, en particulier vis-à-vis de nos partenaires africains.

Pour le président du conseil départemental Ben Issa Ousseni, « nous avons effectivement à mener un travail de communication sur la reconnaissance de Mayotte à l'échelle internationale, et nous comptons sur le Quai d'Orsay pour nous ouvrir les portes de différentes instances, notamment l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ou l'ONU, afin d'expliquer et défendre le point de vue mahorais. [...] Notre objectif est d'être associé à la diplomatie française pour porter la parole de Mayotte ».

Mayotte doit être associée à toutes les initiatives régionales, y compris sur la relation bilatérale avec les Comores. Il importe que les responsables mahorais aient connaissance des évolutions de cette relation, en amont, pour faire valoir leur point de vue, mais aussi pour mieux l'accepter et la comprendre. La découverte dans la presse du nouveau partenariat avec les Comores en 2019 reste un traumatisme. À cet égard, l'animation du Comité pour l'insertion régionale de Mayotte (CIRM) prévu par l'accord de mars 2024 entre le MEAE et le département de Mayotte sera déterminante pour faire vivre cette concertation au jour le jour.

Les programmes concrets de coopération régionale, une fois menés à terme, sont la meilleure assurance de voir un jour Mayotte pleinement associée à l'Indianocéanie et la souveraineté française sur l'île également reconnue, au moins de facto.

La multiplication des partenariats ponctuels, avec l'appui du MEAE, doit faire de l'appartenance à la France une évidence impossible à remettre en cause.

Cette stratégie d'ensemble doit associer l'ensemble du réseau français dans la région pour normaliser les relations bilatérales entre les États et Mayotte. Ce travail a commencé à être fait avec la Tanzanie. Il doit se poursuivre avec méthode. Le développement de projets économiques, en particulier dans l'agroalimentaire, est le secteur le plus prometteur pour enraciner l'évidence mahoraise dans la région. La récente convention signée le 23 avril 2024 entre le conseil départemental de Mayotte et le gouverneur de la région de Boeny Majunga à Madagascar pour créer une filière de fourrage agricole entre les deux îles en est une illustration. Ce partenariat transfrontalier, qui pourra bénéficier de financement Interreg VI Canal du Mozambique, doit permettre la production à Madagascar de fourrages déshydratés (à base de luzerne) pour les besoins du bétail mahorais.

Dans la perspective des Jeux des îles qui seraient organisés à Mayotte en 2035, il faudra aussi vite lever les incertitudes sur le port des couleurs tricolores et le défilé au son de la Marseillaise pour les athlètes mahorais.

c) Réussir le « rideau de fer »

À côté de cette stratégie d'ouverture de Mayotte sur son environnement régional, il est impératif de réussir le « rideau de fer » annoncé par le ministre de l'Intérieur et des outre-mer en février dernier à l'occasion de l'opération Wuambushu 2 pour limiter au maximum l'immigration irrégulière vers Mayotte au départ de l'île d'Anjouan.

En effet, si les autorités comoriennes acceptent très facilement le retour de leurs ressortissants à Anjouan - aucun laissez-passer consulaire n'est exigé -, leur collaboration pour empêcher les départs depuis Anjouan est faible. Pour certains, les autorités comoriennes encourageraient même ces filières d'immigration ou les faciliteraient. L'arrivée de demandeurs d'asile en provenance d'Afrique continentale, transitant par les Comores depuis la Tanzanie, en serait la dernière preuve.

Il est en revanche certain qu'en perfectionnant considérablement notre capacité à dissuader et intercepter les départs depuis les Comores, l'arme migratoire entre les mains du Gouvernement comorien perdrait de sa force. Notre voix diplomatique pourrait alors s'exprimer plus fermement pour asseoir la souveraineté française à Mayotte.

La priorité, pour desserrer l'étau comorien sur l'action extérieure de Mayotte et son insertion régionale, doit donc être à la maîtrise de l'immigration clandestine vers Mayotte.

En complément, notre aide bilatérale pour le développement des Comores doit se concentrer sur Anjouan, qui bénéficie moins des transferts financiers en provenance de la diaspora comorienne (300 à 400 000 personnes en France hexagonale) principalement originaire de l'île de Grande Comore69(*).

Proposition : Affirmer l'objectif de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France et déployer une stratégie pérenne :

- associant systématiquement les responsables mahorais ;

- faisant de l'insertion économique régionale de Mayotte son principal levier ;

- s'appuyant sur le projet de « rideau de fer » autour de Mayotte pour éteindre le « chantage » migratoire en provenance des Comores.

3. Prioriser des projets « endurants » et catalyseurs

La coopération régionale recouvre une grande diversité d'acteurs et de projets dans tous les domaines. Le risque d'un saupoudrage ou d'un éparpillement des efforts est d'autant plus grand que les moyens financiers à la disposition des politiques de coopération régionale sont désormais importants et en hausse tendancielle.

L'objet de ce rapport n'est pas de se substituer aux collectivités ultramarines françaises pour identifier les filières à protéger ou à ouvrir aux marchés extérieurs, les opportunités de marché ou les partenaires à privilégier.

Toutefois, les travaux de la délégation font ressortir quelques secteurs ou projets très prometteurs qui mériteraient de concentrer les moyens de la coopération régionale. Ces projets doivent être endurants et créateurs de richesses avec un effet d'entraînement important.

Enfin, il faut éviter de confondre aide au développement et coopération régionale. Les projets de coopération régionale doivent être gagnant-gagnant à court ou moyen terme, afin que leurs effets catalyseurs et d'entraînement se perçoivent rapidement. L'aide au développement, si elle contribue naturellement à une stabilité et une cohésion régionale, répond à d'autres enjeux.

a) Systématiser le chantier de l'adaptation des normes européennes : pour un « paquet législatif RUP »

La question des normes européennes comme frein à l'insertion régionale des outre-mer a été soulignée par tous les interlocuteurs. Si elles protègent souvent les consommateurs en matière sanitaire et environnementale, elles isolent les acteurs économiques et entretiennent la relation commerciale et économique prédominante avec l'Union européenne. L'impact sur la vie chère est indéniable, en particulier sur les produits alimentaires ou les matériaux de construction.

Ce chantier immense a commencé à être ouvert avec la création du marquage RUP pour les matériaux de construction qui reste à mettre en oeuvre avec la parution des décrets. À cet égard, des moyens devront être alloués rapidement pour définir les référentiels d'équivalence garantissant la sécurité des consommateurs ultramarins tout en s'exonérant du marquage CE. La demande du Conseil européen faite à la Commission européenne de réaliser des études d'impact RUP sur chaque projet de norme européenne est aussi bienvenu si elle se concrétise (voir supra).

Mais il faut aller plus loin et vite.

Ce qui a été fait pour les matériaux de construction, doit l'être aussi pour toute une série de secteurs : produits agroalimentaires végétaux ou non végétaux, règles d'utilisation des pesticides en milieu tropical, cahier des charges de l'agriculture biologique, autorisation des nouvelles techniques génomiques, énergie et transition climatique, traitement des déchets...

De manière constante, l'article 349 du TFUE demeure sous-appliqué.

Pour rompre avec cet écueil structurel, l'objectif de l'insertion économique des RUP pourrait être un profond moteur qui justifierait la mise en chantier d'un texte européen portant adaptation du droit européen aux RUP en vue de leur meilleure insertion régionale.

Cette approche serait inédite, les adaptations du droit de l'Union européenne aux RUP étant généralement débattues à l'occasion de textes intéressant l'ensemble de l'Union européenne. Les dispositions spécifiques au RUP sont entrevues à la marge, mais ne sont pas au coeur des textes européens. Bien souvent, elles sont encore négligées ou a minima.

Le lancement d'un « paquet RUP » permettrait de couvrir plusieurs champs législatifs en même temps et surtout de valoriser une vue d'ensemble des obstacles à lever pour déclencher une dynamique économique régionale vertueuse.

Le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen ouvre une fenêtre d'opportunité pour initier cette revue générale de la législation européenne à l'aune de l'insertion régionale des économies ultrapériphériques.

Proposition : Faire inscrire dans le prochain programme de travail de la Commission européenne l'adoption d'un « paquet RUP » pour lever les obstacles législatifs à leur insertion régionale et lutter contre la vie chère, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie.

S'agissant des accords commerciaux européens, les études d'impact sur les RUP qui sont désormais réalisées demeurent insatisfaisantes et n'associent pas assez les RUP eux-mêmes à leur réalisation. Par ailleurs, les RUP sont étrangers au processus de négociation.

Pourtant, les outils pour limiter les effets négatifs sur l'économie des RUP existent : traitement différencié (quotas limités), exclusion des codes douaniers relatifs aux produits considérés comme sensibles, protection adéquate des indications géographiques, respect des normes européennes concernant la définition et les conditions de mise sur le marché des produits (appellation, étiquetage notamment) ...

Proposition : Pour que les RUP cessent de subir les accords commerciaux de l'Union européenne avec des pays tiers :

- Rendre obligatoire les études d'impact des projets d'accords commerciaux sur les RUP, en les y associant dès l'ouverture des négociations ;

- Organiser au moins deux fois par an une réunion de suivi entre les autorités des RUP, des représentants des filières économiques, l'État et la Commission européenne à haut-niveau.

Ces critiques à l'encontre de la réglementation européenne n'exonèrent pas d'un examen attentif de la réglementation nationale. À Mayotte en particulier, il est urgent de revoir l'arrêté préfectoral n° 06/DAF du 10 avril 1995 relatif au contrôle sanitaire des végétaux et produits végétaux à l'importation à Mayotte. Cet arrêté est considéré unanimement comme excessivement restrictif et interdit pratiquement toutes les importations en provenance de la zone océan Indien. La conséquence directe est la quasi-absence de produits frais dans les supermarchés, sauf à des prix exorbitants dans le département français le plus pauvre. Demandée depuis plusieurs années, sa mise à jour serait en cours par les services de la préfecture.

b) Créer des pôles économiques connectés

Si aujourd'hui le statut de RUP est un obstacle à l'insertion économique régionale de La Réunion et Mayotte, il peut devenir demain un accélérateur.

Outre l'adaptation des normes européennes (voir ci-dessus), plusieurs mesures seraient de nature à faire des RUP des bases de rebond vers l'Union européenne pour les pays de la région, et inversement.

L'adaptation des normes européennes doit faciliter une stratégie de sourcing ciblé pour baisser les coûts des intrants, sécuriser des chaînes d'approvisionnement (circuits courts et diversification) et réduire les frais de surstockage. Si Business France n'a pas actuellement dans sa feuille de route l'accompagnement des entreprises pour le sourcing, la spécificité ultramarine justifierait qu'en partenariat avec les chambres consulaires, Business France développe cet aspect stratégique pour les économies ultramarines. La Réunion et Mayotte pourraient notamment importer des produits pas ou peu transformés, en particulier des produits agricoles, et les transformer en vue de leur exportation vers le marché européen. Ce sourcing ciblé par filières ou secteurs d'activités doit se concevoir en lien avec le SRDEII de La Réunion et Mayotte, à partir d'une stratégie économique définie par les territoires, conformément au principe du chef de file (voir supra). Pour Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, « l'approche sectorielle semble naturelle. Elle a pour avantage d'aborder les sujets de la manière la plus concrète possible. Elle permet en outre de mobiliser des entreprises d'un secteur déterminé autour de projets concrets, d'embarquer ensemble acteurs publics et privés dans une même direction pour régler un problème bien précis ».

La mesure 2 du CIOM s'inscrit dans ces orientations. Elle prévoit un « Soutien renforcé élargi à toute l'activité industrielle et la possibilité de créer des zones franches portuaires ». Cette mesure s'est notamment traduite dans la loi de finances pour 2024 par l'extension aux PME relevant de l'industrie, de la réparation navale et de l'édition de jeux vidéo du bénéfice de l'abattement majoré d'impôt sur les sociétés et d'impôts locaux au titre du dispositif des zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG). L'objectif affiché à terme est de renforcer les ZFANG et les dispositifs douaniers existants afin de créer des zones franches favorables à la création d'activités manufacturières destinées à l'exportation. Une concertation avec les collectivités sera nécessaire, notamment à propos de l'application de l'octroi de mer.

Atteindre ces objectifs ne peut se faire sans des infrastructures portuaires performantes. Une ZFANG doit s'appuyer sur une activité portuaire soutenue. Or, le port de Longoni à Mayotte et, dans une bien moindre mesure, le Grand port La Réunion, souffrent de lacunes importantes (voir supra I.B.1.c). La modernisation des infrastructures portuaires doit être une priorité.

Cette modernisation doit inclure celle des installations douanières.

À La Réunion, les infrastructures sont satisfaisantes. Seul le poste d'inspection frontalier (PIF)70(*) mériterait un agrandissement selon les autorités du Grand port maritime et une meilleure digitalisation des process.

En revanche, les installations à Mayotte sont dans une situation alarmante. Les infrastructures de contrôle douanier sont très dégradées et ne répondent plus aux normes depuis de nombreuses années, malgré des dérogations de 10 ans déjà accordées.

Le PIF en particulier verra sa dérogation arriver à son terme en 2025. Une seconde épée de Damoclès concerne l'absence d'un poste de contrôle frontalier (PCF) habilité pour faire des contrôles sanitaires renforcés exigés par la réglementation européenne71(*). Cette exigence porte notamment sur des produits en provenance de certains pays pour lesquels des suspicions fortes de non-respect des normes européennes (en particulier sur les taux de pesticides). Cette liste évolue en permanence. Le PCF doit offrir de bonnes conditions de stockage pour faire les prélèvements aux fins d'analyse et conserver les marchandises le temps des résultats (les échantillons sont envoyés au laboratoire dépendant de Bercy qui transmet les résultats sous 5 jours en moyenne).

En l'absence d'habilitation d'un PCF à Mayotte et compte-tenu de l'expiration de la dérogation depuis 2023, deux expédients étaient possibles :

- présenter la marchandise au PCF de La Réunion, avant sa réexpédition vers Mayotte ;

- agréer des installations de stockage temporaire chez l'opérateur ou l'importateur, qui conservent sa marchandise le temps des résultats. La réglementation de l'UE le permet.

C'est la seconde solution qui a été retenue. Outre sa précarité, ce bricolage a un inconvénient majeur : il favorise les gros importateurs qui disposent de solutions de stockage plus importantes, à l'inverse de nombreux petits opérateurs qui ne peuvent proposer cette solution. Le PCF, qui est un service public, n'est donc pas rendu dans des conditions équitables.

Il apparaît donc urgent d'engager les investissements nécessaires, sans lesquels il est inenvisageable de concevoir une stratégie économique crédible vis-à-vis des partenaires régionaux.

Récemment, l'AFD a financé la construction au Grand port maritime de Guyane (Dégrad des Cannes) d'un poste frontalier communautaire moderne intégrant un PIF ainsi qu'un PCF pour un budget de 2,7 millions d'euros. Ce poste, opérationnel depuis début 2024, a permis de transférer les activités de contrôle du PCF du Havre à celui de Dégrad des Cannes. Il contribuera à supprimer le triangle de desserte maritime entre le Brésil, Le Havre et les Antilles/Guyane grâce à des liaisons directes.

Un projet similaire devrait donc être engagé prioritairement au port de Longoni. Malheureusement, la gouvernance y est plus compliquée entre le département et son délégataire et, en l'absence du statut de Grand port maritime, les bonnes décisions ne sont pas encore prises. L'insertion régionale de Mayotte est impossible sans un port performant et aux normes.

La question de la connexion des économies de La Réunion et de Mayotte amène celle de l'opportunité de créer une compagnie régionale maritime pour le transport de marchandises.

Comme vu supra (I.B.1.c), les analyses demeurent partagées et prudentes sur la viabilité du modèle économique. Des études complémentaires et actualisées sont encore nécessaires. Une étude COI/COMESA72(*) à laquelle La Réunion va être appelée à participer devrait d'ailleurs être lancée.

Dans l'océan Indien, CMA-CGM serait intéressée de développer à La Réunion une zone de transbordement plus importante et des capacités de cabotage accrues vers Mayotte et les pays de la zone, ce qui donnerait tout son sens à un projet de hub régional dont il est question depuis plusieurs années.

Dans ce contexte encore fluctuant, une démarche par étapes paraît la meilleure. La création d'une compagnie maritime peut être très consommatrice de capitaux et de fonds. Pour Michel Labourdère, dirigeant de la société SGTM qui effectue du transport de passagers et de marchandises entre Mayotte, les Comores et ponctuellement Madagascar, il existe un marché pour des petites lignes régionales en cabotage. SGTM a essayé d'ouvrir une ligne reliant Madagascar-Mayotte-Comores-Dar Es Salam. Mais les volumes sont restés trop faibles. L'offre de transport créerait probablement à terme une demande, mais une entreprise privée seule ne peut supporter longtemps les coûts d'une ligne régulière. Des affrètements ponctuels sont en revanche rentables. Selon lui, la solution d'une DSP sur quelques lignes à titre d'essai et pour amorcer un trafic plus régulier pourrait être envisagée, avec un coût maîtrisé et limité pour la collectivité en cas d'échec.

Toutefois, comme cela a été détaillé supra, les connexions maritimes de Mayotte et de La Réunion avec leur région sont déjà développées et des lignes régulières sont largement sous-utilisées (par exemple entre Mayotte et Mombasa). Un travail important d'informations des entreprises sur les possibilités existantes de transport maritime devrait être initié avant d'engager des fonds publics importants dans une compagnie régionale. Les acteurs logistiques en particulier ne se sont pas appropriés tous les instruments douaniers et les liaisons maritimes à leur disposition.

Proposition : Renforcer la connectivité maritime de Mayotte :

- en modernisant les infrastructures portuaires de Mayotte et en engageant prioritairement la construction d'un poste frontalier communautaire (PCF) ;

- en expérimentant, en cas de carence de l'offre privée de transport maritime de marchandises, des lignes régionales de cabotage sous DSP, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

c) Faciliter la mobilité régionale

Comme pour le transport maritime, la qualité des infrastructures aéroportuaires est une clef pour le développement du trafic aérien. L'aéroport de Mayotte devra faire l'objet de travaux majeurs, quelle que soit l'option retenue : déménagement ou non de l'aéroport actuel de Dzaoudzi (voir supra I.B.1.b).

D'autres leviers sont mobilisables pour améliorer la mobilité régionale et créer une demande qui rendra viable de nouvelles liaisons.

Le principal est celui des visas. Le risque migratoire a durci les conditions d'obtention des visas vers Mayotte ou La Réunion en provenance de la zone océan Indien. S'il est facile pour un Français de Mayotte de se rendre à Madagascar ou en Tanzanie, l'inverse n'est pas vrai. Cette doctrine restrictive est compréhensible, mais a aussi pour effet de dissuader des mobilités et des opportunités d'affaires. Un réexamen de la politique de visas, pays par pays en fonction du risque avéré, permettrait d'assouplir les conditions de leur délivrance, sans ouvrir les portes à des filières organisées.

Un autre levier, qui suppose une stratégie de long terme, est la diversification des pays de provenance des touristes. L'exemple de Maurice démontre que le tourisme permet de transformer en hub un petit territoire insulaire. À Mayotte, les prérequis pour une activité touristique dynamique ne sont pas remplis. En revanche, La Réunion doit réduire sa dépendance au tourisme hexagonal et aller chercher une autre clientèle qui justifiera l'ouverture de nouvelles lignes.

Le concept marketing « Les Îles Vanille » y participe. Il a été défini en 2010 par les professionnels du tourisme qui avaient conscience que l'essor touristique de La Réunion, de Maurice, de Madagascar, des Seychelles, des Comores et de Mayotte devait passer par la mise en commun de moyens et de savoir-faire spécifiques. Cela permettait non seulement de créer de nouveaux produits (combinés et croisières) complémentaires de ceux existants mais aussi de répondre aux attentes d'une nouvelle clientèle (notamment celle des BRICS73(*)). Depuis 2015, la COI, l'Association « Îles Vanille » et des entités du secteur privé ont adopté une stratégie régionale de coopération touristique, grâce au soutien de l'Union européenne. La stratégie permet notamment l'harmonisation de la formation professionnelle dans les métiers du tourisme et l'identification de produits touristiques régionaux compétitifs pour faire face à la concurrence du marché du tourisme. La délivrance de visas peut aussi être facilitée pour les touristes de certaines nationalités en provenance d'une des Îles Vanille. Par ailleurs, les Chinois, les Indiens et les Sud-Africains sont dispensés de visas en cas de séjour de moins de 15 jours.

Un dernier levier est celui de la mobilité étudiante dans une région où l'offre de formations universitaires a considérablement augmenté. À La Réunion d'une part, mais aussi à Maurice qui déploie une stratégie agressive pour attirer des antennes d'universités de renom - y compris françaises comme la Sorbonne -, en Afrique du Sud ou en Inde.

L'université de La Réunion, labellisée Bienvenue en France et Erasmus +, accueille environ 1 000 étudiants étrangers par an, dont les deux tiers en provenance des pays voisins de l'océan Indien. Ce nombre a quasiment triplé en vingt ans.

En 2021, a été lancé le programme Regional Exchange UNiversity Indian OceaN (REUNION), sorte d'Erasmus pour l'océan Indien, soutenu par la Commission de l'océan Indien (COI), l'Université de La Réunion et l'Union européenne. Le programme REUNION lancé sur les fonds Interreg V n'a pas été actif au cours de l'année universitaire 2023/2024, mais devrait reprendre en 2024 sur fonds Interreg VI.

Il faut aussi souligner le projet de campus franco-indien dans le domaine des sciences de la vie pour la santé qui vise à structurer la coopération bilatérale (France-Inde) dans ce secteur.

Les mobilités étudiantes sont une clef importante, afin de créer des solidarités et des liens régionaux pour les prochaines décennies.

Proposition : Stimuler la mobilité régionale :

- en réexaminant la politique des visas avec chaque pays de la région ;

- en diversifiant les pays de provenance des touristes ;

- en soutenant un programme « Erasmus » régional.

d) Doper l'accompagnement des entreprises

La perception de la coopération régionale par les entreprises est mitigée, voire critique (voir supra I.B.4.d). Pour Club Export, la stratégie d'internationalisation n'est pas lisible. Beaucoup d'acteurs, beaucoup d'initiatives, mais une coordination insuffisante et un manque d'impact. L'action de la COI en faveur du secteur privé n'est pas perçue.

Indépendamment des dispositifs déployés pour accompagner les entreprises dans leur développement international, notamment dans l'océan Indien, l'impératif d'un guichet unique s'impose pour faciliter les initiatives des entreprises et rendre de la lisibilité à la stratégie territoriale.

À ce jour, le guichet unique Team France Export s'impose, d'autant qu'il se place sous le pilotage stratégique des collectivités territoriales. La marque Team France Export, ainsi que celle de Team France Invest, sont de plus en plus identifiés. Il faut consolider cet acquis, même si beaucoup reste à faire.

Pour rappel, la Team France Export et la Team France Invest ne sont pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés - notamment l'ADIM, la CCI, le département, BPIFrance à Mayotte et Nexa (agence régionale de développement), Club Export, CCI, Région, Département, Business France, Maison de l'export74(*) à La Réunion - peuvent travailler ensemble, sans se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses.

Une rationalisation du nombre d'acteurs paraît nécessaire, parallèlement à une meilleure structuration du guichet unique Team France Export. L'AFD devrait renforcer son soutien en direction du secteur privé, notamment à travers sa filiale Proparco.

e) Continuer à investir sur la francophonie

La francophonie est le principal dénominateur commun du sud-ouest de l'océan Indien. Très ancré au sein des membres de la COI, la francophonie est le ciment de cet ensemble régional.

Pourcentage de la population francophone - évolution 2010-2022

Source : Observatoire de la langue française

La tendance demeure relativement positive. Des points d'alerte doivent néanmoins conduire à réinvestir le champ de la francophonie par des politiques actives.

La délégation a pu constater la vitalité du français à Maurice dans la vie quotidienne de la majorité de la population. L'institut français est très bien implanté et identifié par la population, avec des moyens importants et une politique dynamique.

En revanche, à Madagascar, si la tendance générale reste bien orientée, l'usage du français dans certains cercles serait en recul. Le commandant des Fazsoi a notamment fait part qu'au sein de la hiérarchie militaire malgache, de plus en plus de rencontres se déroulaient en anglais.

Aux Comores, le bilan est négatif, le pourcentage de francophones diminuant de six points. Selon Sylvain Riquier, ambassadeur de France aux Comores, ce recul net est la conséquence d'un désinvestissement de la promotion de la langue française jusqu'en 2020, au motif que l'ancrage de la langue française semblait être un acquis. Le niveau des professeurs de français avait notamment dramatiquement chuté (80 % avec un niveau inférieur à B2). Depuis, un nouveau programme de formation des professeurs a été lancé avec l'AFD.

Un réinvestissement du soutien à la francophonie est donc impératif.

On notera aussi l'investissement des collectivités en soutien à la francophonie. Le département de La Réunion est très actif. En juillet 2020, un accord a été signé entre la France et l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) relative à un partenariat cadre entre le département de La Réunion et cette organisation. Cet accord a été signé par Cyrille Melchior, président du département, au nom de la République française.

Proposition : Maintenir et renforcer le soutien à la francophonie dans l'espace francophone singulier du sud-ouest de l'océan Indien.

f) Mettre l'accent sur quelques secteurs prometteurs : agriculture, déchets, énergie, formation, numérique.

Quelques secteurs d'activité présentent des opportunités remarquables pour des projets de coopération régionale ou d'investissement transfrontalier à l'échelle du bassin. Les perspectives de mutualisation ou de complémentarité régionale sont élevées. Les aides publiques, l'accompagnement des entreprises et l'adaptation des normes devraient se concentrer sur ces secteurs porteurs de création de richesses et/ou de lutte contre la vie chère. En concentrant les moyens sur un nombre limité de secteurs porteurs, l'objectif est de créer un effet d'entrainement et de construire des modèles économiques viables à partir d'une masse critique. 5 secteurs ont retenu l'attention

(1) S'approvisionner localement en produits alimentaires

Le président Ben Issa Ousseni a dressé un constat net : « Nous ne sommes pas en capacité de développer sur le territoire de Mayotte ce que vous appelez une agriculture intensive sur de grandes superficies. Notre activité agricole se déroule sur de petites exploitations à taille humaine, et c'est ce que nous nous efforçons de développer. Cependant, force est de constater qu'en matière alimentaire, nous manquons de tout. À Mayotte, le prix d'un kilo de tomates peut atteindre 12 à 15 euros. Le prix d'un kilo d'oignons est monté jusqu'à 15 euros récemment, alors qu'habituellement il se négocie autour de 3 euros ».

Mayotte est particulièrement en pointe pour renforcer sa souveraineté alimentaire, sachant que l'étroitesse de son territoire ne lui permettra pas d'atteindre l'autosuffisance, à la différence de La Réunion qui peut couvrir la majorité de ses besoins sur un nombre important de produits. Les initiatives citées supra montrent que la dynamique est enclenchée : projet d'exploitation de terres en Tanzanie, accord avec Madagascar pour produire et importer du fourrage pour le bétail mahorais...

L'AFD finance un projet consistant à produire certains produits agricoles à Anjouan (que Mayotte ne peut produire en raison des conditions climatiques) qui pourraient être commercialisés à Mayotte à des prix inférieurs à certains produits actuellement importés de l'UE. Les principales difficultés sont la structuration de filières pérennes dans le respect de normes équivalentes aux normes européennes en matière sanitaire et environnementale.

À La Réunion, des projets sont à l'étude. Le conseil régional préconise le développement de circuits courts avec les pays voisins mais n'a pas encore mis en place d'initiatives concrètes à ce sujet qui dépend essentiellement de l'engagement du secteur privé. La Réunion doit surtout bien cibler sa stratégie sur certains produits pour ne pas créer une concurrence intenable avec ses propres productions.

L'enjeu des normes est majeur. La création d'un marquage RUP sur les produits agroalimentaires inspiré du marquage RUP sur les matériaux de construction est nécessaire. La modernisation des installations douanières également (voir supra).

Enfin, pour aller plus loin, une activité de transformation des produits primaires agricoles importés à destination du marché européen ou régional pourrait être développée à La Réunion ou à Mayotte. Nos territoires se positionneraient sur ce segment à plus forte valeur-ajoutée.

Les programmes-cadres permis par loi du 5 décembre 2016 dite « Letchimy » pourraient notamment inclure la négociation et la conclusion d'accords régionaux ou bilatéraux de libre-échange sur une série de produits bien spécifiés dans une logique gagnant-gagnant. De tels accords seraient sans doute soumis à l'habilitation préalable de l'Union européenne75(*). Le « paquet RUP » appelé de nos voeux pourrait le prévoir.

(2) Créer des filières de traitement des déchets à la taille critique

Le récent rapport de la délégation sur la gestion des déchets dans les outre-mer76(*) avait souligné les avantages multiples de la coopération régionale pour apporter des réponses concrètes aux difficultés ou impossibilités de traiter localement certains déchets

- massification des gisements permettant de mettre en oeuvre des solutions industrielles plus efficaces et rentables ;

- moindre dépendance aux exportations transocéaniennes et développement du trafic maritime régional ;

- maintien de la valeur ajoutée dans l'environnement régional ;

- bilan carbone amélioré ;

- dynamique régionale.

Toutefois, malgré l'intérêt évident d'une gestion régionale des déchets, pas ou peu de projets se sont concrétisés dans l'océan Indien. Les obstacles sont au nombre de trois : coût du fret, une gouvernance forcément complexe, une réglementation européenne inadaptée.

Près de deux années se sont écoulées et les constats restent identiques. Pire, la réglementation européenne sur les transferts des déchets s'est encore durcie77(*) et complique l'exportation des déchets non dangereux hors pays OCDE ou hors UE (notamment les déchets plastiques), ce qui est manifestement inadapté à des RUP entourées de pays en développement ou parmi les moins avancés. Les demandes d'adaptation du texte, formalisées par une résolution européenne du Sénat notamment, sont restées lettre morte.

Pourtant, le secteur du traitement des déchets continue à être considéré par les acteurs économiques et de la coopération régionale comme un des plus prometteurs.

Cela implique de remettre en débat la réglementation européenne. Un portage politique fort est indispensable. La proposition d'un « paquet RUP » (voir supra) comporterait inévitablement des dispositions sur les transfèrements des déchets pour faciliter, dans le contexte très particulier des RUP, des transfèrements (importation ou exportation) vers des États non membres de l'OCDE, sous réserve du respect de normes équivalentes à celles de l'Union européenne. Des équivalences seraient à définir, selon une approche analogue à celle du marquage RUP.

La COI a commencé à investir ce thème. Un plan d'action régional sur la gestion et la valorisation des déchets a été adopté. On peut aussi citer le projet Expédition Plastique Océan Indien (EXPLOI)78(*), qui a été signé en juillet 2021 et qui vise à lutter contre la pollution plastique en suscitant un changement des mentalités auprès des entreprises et des populations.

Néanmoins, les résultats opérationnels sont encore maigres.

La mise en place de filières mutualisées doit être explorée pour massifier les flux. Un rapprochement Maurice-La Réunion est sans doute la plus prometteuse. Les frais de transport sont limités, les problématiques insulaires similaires et les économies ont des points de convergence. La maturité technologique des îles est aussi proche. Un plan bilatéral de gestion de certains types de déchets serait envisageable. La Réunion a développé une filière de valorisation du verre. Les gisements de Maurice pourraient abonder cette filière. Inversement, Maurice pourrait capter des gisements de La Réunion sur d'autres catégories de déchets (plastique, pneu...).

Mayotte pourrait se tourner plus naturellement vers Madagascar pour là encore proposer des solutions mutualisées avec des coûts de transport maîtrisés

(3) Mutualiser les achats pour conduire la transition énergétique

La Réunion et Mayotte ont engagé leur transition énergétique. La Réunion s'est notamment fixée pour objectif 100 % d'énergie renouvelable en 2030.

Un des principaux volets de cette transition est la conversion des centrales électriques au charbon et au diesel à la biomasse. Les centrales EDF79(*) et d'EDM80(*) au diesel sont ou vont passer au biocarburant. La centrale électrique d'Albioma à La Réunion a elle aussi abandonné le charbon pour le remplacer par des pellets de bois (biomasse), lorsque la bagasse provenant de la coupe de la canne est épuisée.

Si cette transition permet de réduire les émissions de CO2, elle échoue à développer l'insertion régionale ou à réduire la dépendance extérieure de nos territoires.

En effet, les biocarburants aux normes européennes sont importés d'Europe et doivent faire le tour de l'Afrique par le cap de Bonne Espérance depuis la crise des Houthis. Auparavant, l'approvisionnement en diesel se faisait depuis Singapour pour La Réunion. Mayotte s'approvisionne aux Émirats arabes unis. Demain, elle devra aussi faire venir le biocarburant d'Europe, ce qui va augmenter les coûts.

S'agissant des pellets de bois, Albioma se fournit aux États-Unis, au Canada, mais diversifie son approvisionnement dans la région, notamment depuis l'Afrique du Sud.

Certaines îles voisines ont des objectifs voisins et des contraintes identiques. Faible émetteur de gaz à effet de serre et particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique, Maurice attache de l'importance aux questions d'atténuation et d'adaptation et milite en ce sens au sein de l'Alliance des petits États insulaires en développement (AOSIS). Le Gouvernement mauricien s'est par ailleurs fixé pour objectif de passer à 60 % d'énergies renouvelables dans le mix énergétique d'ici à 2030 (contre 23 % en 2020). Comme à La Réunion, une partie de la transition repose sur la biomasse, en particulier l'importation de pellets de bois pour les centrales électriques.

Un projet de coopération régionale, compte tenu de la proximité des deux îles, pourrait être de mutualiser certains achats, en particulier l'importation de pellets de bois en provenance de la région. Les deux îles pourraient obtenir des prix plus favorables.

Ce rapprochement pourrait ouvrir la voie à d'autres coopérations, notamment dans l'hydrogène ou le traitement des batteries.

(4) Former les talents de demain

Le sud-est de l'océan Indien est un espace francophone qui se prête plus facilement à des coopérations en matière de formation. C'est aussi un espace avec de fortes ambitions en matière universitaire, en particulier Maurice qui a une politique offensive dans ce domaine, et qui se trouve à proximité de puissances universitaires et scientifiques majeurs. L'Inde est la première d'entre elles.

L'Université de La Réunion déploie une activité internationale ambitieuse, s'appuyant sur Erasmus + mais aussi le programme régional EXPLOI (voir supra).

La France pousse au sein de la COI le sujet des mobilités universitaires, et de manière plus large celui de la formation professionnelle.

Des Assises de la formation professionnelle se sont réunies les 10 et 11 février 2022 afin de faire un état des lieux des formations existantes et proposer des pistes pour, d'une part, développer les échanges entres les centres de formations des pays membres et, d'autre part, élaborer un programme régional de mobilité. Les conclusions des Assises ont été présentées au Conseil des ministres du 23 février 2022 (Paris). Les principaux secteurs d'activités identifiés, en concertation étroite avec le secteur privé, sont l'économie bleue (dont les métiers de la mer), le tourisme, l'agriculture et les métiers du bâtiment et des travaux publics.

Dans le domaine du tourisme, l'idée n'est pas nouvelle. Depuis 2015, la COI, l'Association Îles Vanille et des entités du secteur privé ont adopté une stratégie régionale de coopération touristique, grâce au soutien de l'UE. La stratégie permet notamment l'harmonisation de la formation professionnelle aux métiers du tourisme. L'objectif est de tendre à fournir une qualité de services homogène dans l'ensemble des îles Vanille.

Le projet FORMA'TERRA de la COI favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar, les Seychelles.

Dans le domaine de la santé et de la recherche de haut niveau, le projet de Campus franco-indien de la santé figurant dans la feuille de route franco indienne pour l'Indopacifique est désormais lancé, l'université de La Réunion en étant un des principaux partenaires.

Le projet « Innovation par les plantes et l'IA pour l'Inde et la France » (ILIADE) fait suite à l'appel à projets lancé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, remporté par l'Université de La Réunion en 2022.

Au-delà de l'objectif premier du renfort de coopération universitaire et scientifique avec l'Inde dans la thématique stratégique de la santé, il s'agit également d'appuyer une volonté de structuration de la coopération bilatérale France-Inde dans ce secteur.

Parmi les avancées permises par ce campus franco-indien : les étudiants français, indiens et de la zone pourront désormais bénéficier d'un cursus complet et structuré Licence-Master-Doctorat (LMD) et un Master en biotechnologie sera créé.

Le projet ILIADE permettra ainsi d'offrir aux étudiants français, indiens et, plus largement de la zone de l'association des États riverains de l'océan Indien (IORA), la possibilité de suivre un cursus structuré et complet LMD franco-indien dans le domaine des biosciences et santé.

La Réunion peut devenir un pôle majeur universitaire et scientifique de niveau régional, voire mondial, en multipliant les coopérations régionales dans ses domaines d'excellence : la santé, le numérique (La Réunion est entrée dans le cercle des capitales French Tech en 2023), les sciences de la terre (Météo France, Observatoire volcanologique) et du vivant (Cirad, IRD...).

* *

En dépit des obstacles structurels et conjoncturels à une insertion régionale des outre-mer français de l'océan Indien, une dynamique nouvelle semble donc enclenchée, même si elle tarde à produire des résultats significatifs dans le domaine économique.

Les transformations à l'oeuvre dans cette partie du monde, notamment un développement économique extraordinaire, offrent des opportunités de développement à La Réunion et Mayotte à la condition de concevoir des stratégies ciblées et concertées entre tous les acteurs.

La montée des menaces oblige aussi l'État, en s'appuyant sur les forces des outre-mer, à jouer un rôle stabilisateur.

La coopération régionale économique doit s'affirmer comme un des instruments de l'indispensable changement de modèle économique de La Réunion ainsi que de Mayotte, reposant moins sur l'investissement public et la consommation et davantage sur le secteur privé et la production de biens et de services.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, sujet dont il est souvent question, mais sur lequel il existe en réalité peu d'études récentes et approfondies.

Au cours des dernières années, les initiatives de coopération ont fleuri dans cette zone sans qu'une réelle évaluation de leur portée ait été effectuée, notamment au regard de l'insertion de La Réunion et de Mayotte dans ce bassin océanique particulièrement dynamique et stratégique.

Je salue donc le travail de nos trois rapporteurs, qui se sont attelés avec beaucoup d'implication à l'analyse de la situation du bassin Indien où se situent La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Je remercie chaleureusement Christian Cambon, qui a bien voulu être le rapporteur coordonnateur de cette étude qui comportera trois volets pour tenir compte des spécificités géographiques de chaque bassin océanique, et nos collègues Stéphane Demilly et Georges Patient qui en sont les rapporteurs pour l'océan Indien.

Avant de leur céder la parole, permettez-moi de souligner l'importance de l'étude réalisée par nos collègues. Les travaux préparatoires de cette étude lancée le 16 novembre 2023 nous ont conduits à mener 62 auditions et à entendre 144 personnes. Lors de deux déplacements, l'un à La Réunion ainsi qu'à Maurice et l'autre à Mayotte, nos rapporteurs ont rencontré les principaux acteurs impliqués, y compris sur les problématiques des TAAF. Un déplacement à Marseille a par ailleurs été l'occasion d'aborder la question du transport maritime avec des responsables de la CMA-CGM.

Les comptes rendus de toutes les auditions ont été mis en ligne et seront annexés au rapport d'information, ce qui contribuera à éclairer et enrichir ce dossier.

M. Christian Cambon, rapporteur coordonnateur. - Je tiens à mon tour à saluer le travail réalisé par les rapporteurs sur ce premier volet consacré aux outre-mer de l'océan Indien. En ma qualité de rapporteur coordonnateur, je rappellerai brièvement les raisons qui ont présidé au choix de ce thème d'étude, en insistant sur les spécificités du bassin Indien par rapport aux bassins Atlantique et Pacifique.

Le constat est ancien, documenté et - hélas ! - constant : nos outre-mer ont assez peu de relations ou d'échanges avec leur environnement régional. En cause, notamment, des relations historiques et des liens économiques avec la métropole hérités de la période coloniale.

Je ne m'étendrai pas sur ce constat qui a été décrit par de précédents rapports et que les données recueillies lors de cette mission confirment. Un seul chiffre : les importations en provenance des pays de la Commission de l'océan Indien (COI), la principale organisation régionale, représentent 0,7 % des importations de La Réunion et 7 % de ses exportations. L'Hexagone et l'Europe sont prédominants, et c'est encore plus marqué pour le trafic de marchandises par conteneur.

Cet état de fait, qui concerne aussi les mobilités - avec trop peu de liaisons régionales -, les investissements ou le tourisme, est devenu aberrant et est désormais perçu comme un frein au développement.

En effet, tous les interlocuteurs considèrent qu'une meilleure intégration ou insertion régionale serait porteuse de solutions pour répondre aux défis des outre-mer que sont la lutte contre la vie chère, le développement économique, la mobilité et la lutte contre les trafics qui menacent de plus en plus la stabilité de nos territoires.

Ces opportunités manquées sont devenues d'autant moins tolérables que le sentiment général est que le modèle de développement de nos outre-mer est à bout de souffle.

Dans ce contexte, la politique de coopération régionale doit se concevoir comme un levier pour amorcer et renforcer des dynamiques d'insertion régionale et supprimer les blocages.

Les rapporteurs ont donc étudié la politique de coopération régionale conduite ces dernières années dans le bassin Indien, afin d'en cerner les forces, mais aussi les limites. Sur la base de ce bilan, vingt propositions sont formulées autour de quatre orientations principales.

Avant de céder la parole aux rapporteurs, j'évoquerai rapidement les particularités des outre-mer du bassin Indien par rapport aux deux autres bassins océaniques.

La première particularité est sans doute que le bassin Indien est le seul où la souveraineté française est contestée dans plusieurs territoires : Mayotte par les Comores, mais aussi Tromelin par Maurice et les îles Éparses par Madagascar. Cette singularité complique le jeu naturel de la coopération régionale, aujourd'hui et pour demain.

Elle oblige à intégrer dans notre politique de coopération une stratégie d'influence et de consolidation de notre souveraineté, d'autant que le bassin Indien est de plus en plus exposé aux menaces de déstabilisation de l'ordre mondial. Le général Jean-Marc Giraud, commandant des Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), estime que la zone du sud-ouest de l'océan Indien « n'est plus à la périphérie des enjeux du monde ». Les jeux d'ingérence des grandes puissances ainsi que la compétition militaire s'y exercent de plus en plus. Nos outre-mer sont aussi situés sur des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge.

On voit donc qu'à côté d'un enjeu de développement économique, les menaces sur la stabilité, la sécurité et la souveraineté ne cessent de monter dans cette région du monde. La politique de coopération régionale doit donc impérativement traiter ces menaces. La France a un rôle essentiel de pourvoyeur de sécurité et de stabilité à jouer.

Cela m'amène à évoquer la stratégie indopacifique de la France. Sous ma présidence, la commission des affaires étrangères du Sénat a publié en janvier 2023 un rapport intitulé La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité. Il est évident que la politique de coopération régionale dans cette région doit être une composante prioritaire de notre stratégie indopacifique. Sans nos outre-mer, en particulier Mayotte, La Réunion et les TAAF, perd de sa légitimité. Je rappelle que nous avons notamment pu adhérer à l'IORA (Indian Ocean Rim Association) grâce à La Réunion.

Dans ce rapport, nous pointions également le décalage entre les ambitions affichées et la réalité. Cet appel au réalisme concluait à distinguer quatre zones dans cet espace indopacifique, dont l'une centrée sur l'océan Indien occidental, où se trouvent précisément nos outre-mer. Sans ces points d'ancrage, notre stratégie se trouve largement « démonétisée ».

Enfin, nous plaidions pour une acclimatation de la stratégie française, « en renforçant sa cogestion avec les territoires ultramarins français ». Nos outre-mer ne doivent pas être perçus comme de simples points d'appui de la stratégie française, mais comme l'une des raisons d'être de cette stratégie. La coopération régionale doit d'abord servir l'insertion régionale et le développement endogène des outre-mer. En retour, leur rayonnement économique, scientifique ou culturel renforcera naturellement l'influence française dans la région. Cette approche décentrée ne peut se construire sans les territoires.

On relèvera aussi que Mayotte et La Réunion sont deux régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne qui regroupent 1,2 million de citoyens européens. Le bassin Indien est celui où la présence européenne est la plus marquée. Cela se traduit par des crédits Interreg substantiels et par des crédits du Fonds européen de développement (FED) et de la COI au profit de plusieurs États de la région.

Autre singularité du bassin Indien, les écarts de richesse y sont parmi les plus élevés au monde. Entre Mayotte et Madagascar, l'écart de PIB par habitant est de un à vingt, alors même que Mayotte est le département français le plus pauvre.

Enfin, la dernière spécificité que je souhaite souligner est l'existence d'une communauté francophone forte dans la région. La COI rassemble cinq pays dont l'identité est marquée par la francophonie. C'est aussi une organisation qui monte en puissance et qui devient une clef d'entrée incontournable pour nos territoires, mais aussi pour la stratégie indopacifique.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Après ce rappel du cadre général de nos travaux et des principaux enjeux, je présenterai un état des lieux de la politique de coopération régionale dans le bassin Indien, ainsi que les limites de cette politique. Je m'attarderai également sur la situation particulière de Mayotte, où notre déplacement fut particulièrement marquant.

Depuis quelques années, la politique de coopération régionale semble connaître un nouvel élan. La crise migratoire à Mayotte, la montée des menaces dans cette région du monde et les contestations de la souveraineté française ont conduit à une prise de conscience par l'État, tandis que les collectivités sont très demandeuses de plus de responsabilités.

Ce changement d'approche de l'État date de la publication, en 2017, du Livre blanc Diplomatie et territoires. Concrètement, cela s'est traduit par la nomination de conseillers diplomatiques auprès des préfets de La Réunion et de Mayotte, ainsi que par la création, en 2019, de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien. Cette structure technique d'échange est animée par l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien. On voit donc qu'une architecture de la coopération régionale commence à mieux s'articuler. C'est une nécessité, compte tenu de la multiplicité des acteurs et de l'obligation de co-construire cette politique.

Plus récemment, le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) de juillet 2023 a nettement mis l'accent sur cette dimension. La mesure 9 de ses conclusions prévoit ainsi de définir des stratégies commerciales par bassin et la mesure 54 d'associer les outre-mer à la politique étrangère de la France.

Cette dernière mesure s'est notamment traduite, en mars dernier, par la signature d'un accord de partenariat très prometteur entre le département de Mayotte et le ministère des affaires étrangères. Cet accord vise clairement à permettre une montée en compétences de Mayotte et une étroite coordination des initiatives extérieures. Il s'inscrit dans une stratégie plus offensive de la France pour obtenir une pleine reconnaissance de cette région française, l'objectif étant de faire des Mahorais les premiers défenseurs de la souveraineté française sur la scène régionale.

Par ailleurs, les opérateurs de l'État intègrent de plus en plus la dimension régionale. C'est tout particulièrement le cas de l'Agence française de développement (AFD), qui a refondé son action outre-mer avec la stratégie « Trois Océans ». Le but est de casser les politiques en silos pour s'assurer que les actions conduites dans les États voisins sont cohérentes avec le développement et les intérêts de nos outre-mer.

Concomitamment, les collectivités sont en pointe dans l'affichage de leurs ambitions régionales. Déjà fortes de la gestion des programmes Interreg, elles multiplient les initiatives. Elles maintiennent, voire développent, leurs implantations régionales, soit au sein d'antennes propres, soit au sein des ambassades de France. Le président du conseil départemental de La Réunion s'est ainsi rendu récemment en Namibie. Mayotte s'affirme aussi de plus en plus sous le double effet de la départementalisation et de son statut de RUP.

Ce nouvel élan de la coopération régionale s'appuie également sur des financements importants au premier rang desquels les financements européens, au travers des deux programmes Interreg Océan Indien et Canal du Mozambique gérés par La Réunion et par Mayotte, pour des montants de 75 millions d'euros sur la période 2014-2020 et 73 millions d'euros sur la période 2021-2027. Il faut y ajouter les crédits de l'Union européenne au titre du FED et désormais du NDICI (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument) qui a remplacé le FED. Principale organisation régionale, la COI est très largement financée par l'Union européenne ; elle a ainsi reçu 87 millions d'euros sur la période 2018-2022.

Les financements de l'État pour des projets de coopération sont en revanche très modestes. Le fonds de coopération régionale sert plutôt à boucler des financements à la marge. Quant à l'AFD, qui est le principal financeur pour l'État en outre-mer et dans les pays voisins - les Comores et Madagascar figurent parmi les principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France -, la part des projets à dimension régionale demeure très modeste, puisqu'elle se situe autour de 4 %.

Une autre évolution significative vient de la COI, qui a pris une nouvelle dimension depuis quelques années. Entre 2018 et 2022, 194 millions d'euros de projets ont été financés. D'ici à 2027, ce montant devrait grimper à 500 millions d'euros.

Elle est la seule organisation régionale africaine dont la France est membre et constitue un vecteur clef du renforcement de la légitimité de la présence française dans l'océan Indien. Le financement prépondérant de la COI par la France et l'Union européenne - à hauteur de 66 % - est un axe majeur de la stratégie indopacifique de la France, par exemple pour obtenir notre adhésion à l'IORA en 2020.

La COI porte depuis quelques années des projets de coopération très concrets et opérationnels, en particulier dans les domaines de la sécurité maritime, de la lutte contre la pêche illégale ou de la sécurité sanitaire. Cette transformation de la COI est très prometteuse.

Un autre marqueur d'une coopération régionale qui se densifie est le renforcement de certaines relations bilatérales, notamment avec Maurice, la Tanzanie ou même les Comores en dépit des tensions et du contentieux territorial lourd à propos de Mayotte.

Enfin, un dernier point positif est celui des normes. Le constat est connu : La Réunion et Mayotte forment deux enclaves juridiques régies par un corpus normatif conçu pour des territoires européens aux économies développées et à haute exigence environnementale et sanitaire. Cette situation entrave la possibilité, avant même de se poser la question de l'opportunité, de développer des échanges avec les pays de la région, en particulier les échanges économiques.

Ce dossier ancien est enfin sérieusement pris en considération, à la fois par le Gouvernement et par l'Union européenne. La révision de la réglementation européenne relative à la commercialisation des matériaux de construction a permis d'obtenir une dérogation au marquage CE dans les RUP aux fins de faciliter les échanges avec l'environnement propre à chaque RUP. Il revient aux États membres concernés de définir les équivalences utiles. La mise en oeuvre de cette dérogation européenne devra être une des priorités du nouveau Gouvernement.

Ce panorama rapide de la coopération régionale doit toutefois être tempéré par les maigres progrès de l'intégration régionale de nos outre-mer.

Comme cela a été relevé, l'intégration économique demeure imperturbablement marginale. S'agissant des mobilités aériennes, les liaisons régionales restent fragiles. Quand quelques progrès sont enregistrés, des retours en arrière sont aussi constatés, comme la suppression des liaisons directes entre La Réunion et l'Inde. Maurice est toutefois le contre-exemple fréquemment cité, puisque vingt compagnies aériennes y travaillent, contre sept à La Réunion et quatre à Mayotte.

La situation est moins défavorable en ce qui concerne le transport maritime de marchandises. La connectivité régionale tend en effet à s'améliorer en dépit de l'irrégularité de certaines lignes. Le port de Mayotte souffre néanmoins de dysfonctionnements importants qui freinent son développement. On notera aussi que certaines liaisons régionales sont sous-utilisées par les opérateurs économiques. L'offre existe, mais la demande ne suit pas ou ne sait pas que l'offre existe. Dans ce contexte, le projet d'une compagnie maritime régionale reste un « serpent de mer ».

Un autre écueil est celui de la prolifération des initiatives et des acteurs. Malgré des progrès et une meilleure coordination entre les collectivités et l'État, le sentiment d'un saupoudrage subsiste. La concentration des moyens sur quelques projets catalyseurs, qui pourraient avoir un effet d'entraînement, est encore trop faible. On notera toutefois qu'à son niveau la COI a développé des projets d'une nouvelle dimension, notamment en matière de sécurité maritime et de lutte contre les trafics, qui commencent à produire des effets intégrateurs importants.

Une seconde critique qui ne disparaît pas est celle de l'insuffisante association des collectivités à la définition de la politique extérieure de la France. Au sein de la COI, par exemple, l'État ne donne pas mandat aux autorités de La Réunion pour la représenter. S'agissant de la mesure 9 du CIOM, qui vise à adopter une stratégie commerciale par bassin, l'État est resté le principal chef d'orchestre, alors que les régions ont la charge du développement économique. Quant à la stratégie indopacifique, les collectivités se plaignent de ne pas avoir été associées.

La perception des partenaires extérieurs, qui sont des États souverains, est que les outre-mer restent des interlocuteurs subalternes. Le portage politique et son incarnation manquent encore.

Cette multiplicité d'acteurs pourrait être compensée par une vision et une stratégie communes et ressenties comme telles par les États voisins. Mais ce n'est pas le cas, faute d'une véritable instance de coordination.

Le bilan est aussi décevant en ce qui concerne les contestations de la souveraineté française sur plusieurs territoires. Si les contentieux de Tromelin et des îles Éparses sont plus ou moins en sommeil, celui de Mayotte reste plus que jamais à vif. La Chine, la Russie ou l'Azerbaïdjan n'hésitent pas à en jouer pour déstabiliser la position française dans la région. À intervalles réguliers, les autorités comoriennes réaffirment leur irrédentisme. La récente demande de la France de remettre à l'ordre du jour de la COI son adhésion au titre de Mayotte a reçu une fin de non-recevoir immédiate. Rare point de satisfaction, Mayotte devrait organiser les Jeux des îles de l'océan Indien en 2035. Si cela était confirmé, la question très symbolique de l'hymne national et du drapeau français pour les athlètes mahorais devrait être clarifiée.

Cette non-reconnaissance entrave les initiatives de Mayotte, tout particulièrement son développement économique et commercial dans la région. Même bien disposés à l'égard de Mayotte, les États de la région ne souhaitent pas se positionner en défaveur des Comores ni se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre la France et les Comores.

Le constat de ce statu quo de plus en plus insupportable pour Mayotte a conduit l'Assemblée nationale à bloquer l'adoption du projet de loi ratifiant l'accord de Victoria révisé de 2020. Cet accord porte une importante réforme institutionnelle de la COI. La France est à présent le seul membre de la COI à ne pas l'avoir ratifié.

L'appartenance à l'Union européenne emporte des effets contradictoires sur l'intégration régionale de Mayotte et La Réunion.

Elle a de nombreux avantages : fonds structurels et programme Interreg dédié, ouverture sur le marché européen, sécurité juridique, sanitaire et environnementale des normes européennes...

Ces avantages sont toutefois contrebalancés par plusieurs inconvénients qui inhibent et compliquent l'insertion régionale de Mayotte et de La Réunion. Comme le lien Hexagone-outre-mer, le lien Union européenne-outre-mer isole La Réunion et Mayotte dans leur environnement régional.

Le premier reproche quasi unanime porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP - Afrique, Caraïbes et Pacifique. La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, en particulier des RUP, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont souvent oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue. Les outre-mer restent absents du processus décisionnel européen. Récemment, par exemple, les autorités réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.

Ce manque de coordination entre politique interne et externe se reflète aussi dans le pilotage des crédits de l'action extérieure de l'Union européenne - le NDICI et le Fonds européen de développement régional (Feder), qui inclut notamment les programmes Interreg. Ces fonds ne sont pas exempts du reproche d'une gestion en silos. L'aide au développement est insuffisamment coordonnée avec le Feder dans des zones où les territoires bénéficiaires sont limitrophes ou voisins.

Un autre exemple d'incohérence, pour ne pas dire d'injustice, concerne l'application de la réglementation européenne sur la production agroalimentaire bio. Un même produit importé à La Réunion et à Maurice pour y être transformé pourra être commercialisé ensuite avec le label bio pour celui provenant de Maurice, mais pas pour celui de La Réunion.

Cet exemple pose le problème crucial des normes européennes, qui ne sont pas adaptées aux RUP. J'ai certes évoqué au début de mon propos les avancées sur les matériaux de construction et l'autorisation d'un marquage RUP, mais d'autres secteurs nécessiteraient aussi des adaptations pour faciliter un approvisionnement régional des RUP, sans renoncer à la sécurité sanitaire et environnementale. L'agroalimentaire est celui où les marges de progrès sont les plus importantes.

Je terminerai en insistant sur la situation de Mayotte.

Notre déplacement a montré l'extrême fragilité de ce territoire en proie à des tensions migratoires, sociales, environnementales, sanitaires et hydriques terribles. Le sentiment d'enfermement d'une partie de la population est encore accentué par l'isolement politique et diplomatique de Mayotte dans sa région. Pourtant, les liens linguistiques, historiques et ethniques avec Madagascar ou la Tanzanie ouvrent des opportunités immenses.

Pour desserrer l'étau comorien sur l'action extérieure de Mayotte et son insertion régionale, la priorité doit aller à la maîtrise de l'immigration clandestine. L'arme migratoire qui est entre les mains du Gouvernement comorien doit être désamorcée par la réussite du « rideau de fer », à défaut de réussir à obtenir des Comoriens qu'ils engagent une lutte plus efficace contre les kwassa-kwassa.

En résumé, le constat est que la coopération régionale s'est renforcée, mais sans emporter un effet d'entraînement significatif sur l'intégration régionale de La Réunion et de Mayotte. Plusieurs inflexions paraissent donc indispensables, afin que la politique de coopération régionale échappe au reproche de « tourner à vide ».

M. Georges Patient, rapporteur. - Sur la base de ce bilan, nous avons retenu vingt propositions pour donner une nouvelle impulsion à la politique de coopération régionale dans le bassin Indien.

Si certaines propositions ne valent que pour le bassin Indien, la majorité nous paraissent pertinentes pour l'ensemble des outre-mer. Il reviendra à nos collègues chargés des deux autres bassins océaniques de confirmer ou nuancer notre appréciation.

Nous avons regroupé ces propositions autour de quatre axes principaux qui guideront mon propos.

Le premier axe est celui de l'insertion économique, qui doit à notre sens être la priorité, d'une part parce que les plus grands défis des outre-mer s'y rattachent - je pense en particulier à la vie chère et à la croissance économique -, et d'autre part parce que l'insertion économique régionale est le domaine le plus en retard. La coopération en matière scientifique, culturelle ou universitaire, bien que perfectible, est en effet plus avancée.

Pour impulser un profond changement, il importe de clarifier les responsabilités en faisant des territoires les chefs de file de leur insertion économique. L'État doit accepter de laisser la main aux collectivités régionales, dont l'une des principales compétences est précisément le développement économique. Les termes de l'article L. 4251-12 du code général des collectivités territoriales sont clairs : « La région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ».

Elle élabore à ce titre un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Ce schéma doit véritablement s'imposer comme le document maître qui définit la stratégie d'insertion économique régionale. Ainsi, la stratégie commerciale par bassin prévue par la mesure 9 du CIOM devrait dans cette hypothèse venir se caler en cohérence avec le SRDEII. Cela suppose d'inverser l'ordre de conception des stratégies économiques : les collectivités conduisent et l'État s'associe en soutien.

En qualité de chef de file, les collectivités, en particulier la région, seraient placées en position de pleine responsabilité, ce qui les inciterait à s'approprier des stratégies de développement économique et d'attractivité.

Certains opérateurs de l'État sont d'ailleurs demandeurs d'une telle prise en main par les collectivités. Business France constate que, dans certains territoires, des difficultés à adopter une stratégie d'attractivité internationale réellement définie persistent.

Sur les sujets de la connectivité et de la mobilité régionale, les réponses uniques n'existent pas, en particulier dans le secteur aérien où la fragilité économique de plusieurs compagnies incite à la prudence. Plusieurs mesures paraissent toutefois indispensables pour débloquer des opportunités.

À Mayotte en particulier, il est urgent de moderniser les infrastructures portuaires et de construire un poste frontalier communautaire. Sans ces prérequis, le développement du commerce régional sera impossible. De manière subsidiaire, après des études de marché ciblées, des lignes régionales de cabotage sous délégation de service public pour un temps limité pourraient être expérimentées, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

En matière aérienne, la priorité doit également aller à la stimulation de la demande pour solvabiliser l'offre de liaisons. Cela passe par une révision de la politique des visas avec chaque pays de la région, l'exigence de visas pouvant être allégée dans certains cas. Par ailleurs, la stratégie touristique devrait s'efforcer de diversifier les pays de provenance des touristes afin de nourrir la demande sur les liaisons régionales.

Un programme Erasmus régional plus substantiel que les programmes actuels mériterait d'être mené, notamment en direction de l'Inde.

Des accords de trafic aérien doivent aussi être conclus sur le modèle de l'accord entre la France et la Tanzanie qui ouvre la possibilité de plusieurs vols hebdomadaires avec Mayotte.

Quelques secteurs d'activité prometteurs sont de nature à avoir un effet d'entraînement. Outre le secteur agricole que nous avons déjà évoqué - Mayotte fonde beaucoup d'espoir dans un approvisionnement régional -, celui du traitement des déchets présente des perspectives intéressantes. L'objectif serait de mutualiser le traitement de certains déchets à l'échelle régionale pour atteindre une masse critique économiquement viable.

Il en va de même en matière d'énergie. Des projets d'achat mutualisé de biomasse entre La Réunion et Maurice pourraient par exemple être économiquement pertinents, et donc viables à moyen terme. Agriculture, déchets et énergie devraient très certainement concentrer les efforts et les moyens pour enclencher des dynamiques économiques régionales.

Le deuxième axe concerne l'Europe, avec deux principales mesures.

La première serait la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins des RUP. Cette PEVu serait conçue par analogie avec la politique européenne de voisinage de l'Union européenne, qui bénéficie à ce jour aux pays limitrophes du flanc est de l'Europe et aux pays du pourtour méditerranéen. La PEVu ferait prendre pleinement conscience à l'Union européenne que les RUP font partie du territoire de l'Union européenne et que les relations avec le voisinage des RUP sont assimilables à celles avec le voisinage des États membres continentaux.

Un autre acte politique majeur serait d'obtenir que le prochain programme de travail de la Commission européenne prévoie l'adoption d'un « paquet législatif RUP ». L'objectif serait de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement.

Ce qui a été fait pour les matériaux de construction doit pouvoir être fait rapidement dans toute une série de secteurs, sans tarder. Je pense par exemple aux règles en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional. Le sujet normatif est prioritaire pour débloquer l'insertion économique des outre-mer et ouvrir le champ des possibles.

Un « paquet RUP » obligerait aussi à une étude transversale et complète des spécificités des RUP. Ce serait également un outil puissant pour donner de la visibilité à ces territoires dans le débat européen. Les facultés d'adaptation offertes par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont encore trop peu utilisées.

Outre ces deux mesures, les cofinancements NDICI et Feder devraient être facilités pour mieux orienter les crédits européens vers des projets de coopération régionale.

Enfin, pour que les RUP cessent de découvrir à la dernière minute les projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoires les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces dernières dès l'ouverture des négociations.

Le troisième axe consiste à bâtir une diplomatie des outre-mer.

Malgré quelques progrès, la diplomatie française n'a pas encore achevé sa révolution copernicienne pour décentrer la conception et la conduite de son action extérieure autour et avec nos outre-mer.

Au sein du ministère des affaires étrangères, la dimension ultramarine mériterait d'être encore mieux identifiée. La création d'une direction de la coopération régionale outre-mer, regroupant les trois ambassadeurs délégués à la coopération, avec des moyens renforcés, y contribuerait directement. Cette direction serait sous la double tutelle des ministères des affaires étrangères et des outre-mer. Chaque ambassadeur serait doté d'une équipe de deux ou trois adjoints, en plus des conseillers diplomatiques auprès des préfets. Des « assises de la diplomatie des outre-mer » pourraient de plus être organisées, selon une périodicité à définir.

L'actuelle plateforme de coopération de la France de l'océan Indien devrait être confortée pour en faire l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale. Une présidence tournante avec les collectivités régionales pourrait même être imaginée, cette plateforme demeurant une structure de travail non décisionnelle.

Du côté des collectivités, des initiatives sont également nécessaires.

À titre préalable, j'indique que nous ne préconisons pas de modifier le cadre législatif issu de la loi du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite loi Letchimy, qui définit les compétences des collectivités ultramarines en matière d'action extérieure. Ce cadre ouvre déjà d'importantes facultés aux collectivités. L'article 52 de la Constitution et son interprétation par le Conseil constitutionnel ne permettent pas non plus de pousser beaucoup plus loin les compétences des départements d'outre-mer. L'enjeu nous paraît plutôt d'aider les collectivités à s'en saisir pleinement. La loi demeure sous-utilisée.

Cela passe notamment par la formation. La nouvelle Académie diplomatique et consulaire devrait accueillir les fonctionnaires territoriaux des outre-mer pour encore mieux les former. Le récent accord entre le ministère des affaires étrangères et Mayotte comporte notamment des engagements en ce sens.

L'outil le plus prometteur est le programme-cadre, qui fut la principale innovation de la loi Letchimy. L'adoption d'un programme-cadre par la Région Réunion, le département de La Réunion et le conseil départemental de Mayotte devrait être une priorité. Au plan politique, le programme-cadre permet d'afficher une stratégie de long terme, concertée avec l'État. Il renforce à la fois la légitimité interne - vis-à-vis de l'État et de la société civile - et externe - vis-à-vis des États voisins. Au plan opérationnel, il évite aux collectivités d'avoir à solliciter, au coup par coup, des autorisations de l'État parfois longues à obtenir pour conclure des conventions avec des États étrangers au nom de l'État. Ce document consacre aussi une répartition des rôles et des priorités entre l'État et les collectivités, le programme-cadre pouvant s'apparenter à un mandat donné par l'État pour déployer une activité diplomatique en son nom dans des domaines prédéfinis.

En sus de ce programme-cadre, la faculté de charger le président du conseil départemental ou le président du conseil régional de le représenter au sein d'organismes régionaux, avec les instructions et pouvoirs nécessaires, devrait être le mode normal de fonctionnement dans le bassin Indien. S'il n'est pas possible de créer une obligation légale de donner mandat - la Constitution s'y oppose -, une obligation politique devrait conduire l'État à accorder cette confiance aux autorités de La Réunion, sauf désaccord majeur.

La COI se prêterait bien à cet exercice. La France n'en est membre à ce jour qu'au titre de La Réunion. Par ailleurs, la coopération régionale s'appuie sur des équipes compétentes. L'engagement de la France est aussi majeur au sein de cette organisation et La Réunion gère les fonds Interreg. La seule difficulté porterait sur la répartition des rôles entre le département et la région, voire sur le choix à faire entre les deux collectivités. La parole territoriale sera d'autant plus facilement comprise et forte qu'elle sera unique et coconstruite. Ce mandat, susceptible d'être retiré à tout instant conformément au texte constitutionnel, mettrait la collectivité compétente en position de responsabilité et l'astreindrait plus qu'aujourd'hui à définir une stratégie globale de coopération régionale. De l'autre côté, ce mandat obligerait l'État à co-construire sa diplomatie régionale, la collectivité mandatée ne pouvant se borner à un rôle de perroquet.

Cette association systématique de La Réunion et de Mayotte aux initiatives françaises devrait également se traduire par la participation des autorités locales aux déplacements ministériels dans les États de la région.

J'en viens au quatrième et dernier axe : asseoir la souveraineté française à Mayotte, ainsi que l'influence de la France dans la région. La contestation de l'appartenance de Mayotte à la France nuit considérablement à la coopération régionale et est utilisée par nos rivaux pour affaiblir notre influence. Cette situation oblige à affirmer clairement comme objectif prioritaire de notre diplomatie la pleine reconnaissance de Mayotte française.

Face au mur comorien, deux stratégies sont possibles : soit le bras de fer avec l'Union des Comores, c'est-à-dire un durcissement des relations, voire des pressions ; soit une stratégie des « petits pas », pour acclimater l'ensemble des partenaires régionaux à la participation de Mayotte à des projets régionaux.

Deux facteurs poussent plutôt à privilégier la seconde, bien qu'elle puisse paraître frustrante et parfois inefficace aux yeux de la plupart des acteurs mahorais face à l'ampleur des défis de ce territoire et des opportunités manquées du fait de la position comorienne. Le premier est l'irrédentisme intrinsèque qui fonde l'Union des Comores. Le second est l'aversion des États de la région à se positionner en défaveur des Comores ou à se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre les Comores et la France. Par ailleurs, l'image dégradée de la France en Afrique depuis plusieurs années est en cours de reconstruction. Une diplomatie perçue comme trop offensive pourrait être contre-productive, alors même que des signaux positifs en faveur d'une acceptation de Mayotte dans le concert régional existent.

Cette stratégie n'est pas incompatible avec l'affirmation claire de l'objectif de la pleine reconnaissance de Mayotte française. Elle doit en revanche se traduire par une stratégie globale associant systématiquement les autorités mahoraises, qui seront les meilleurs promoteurs de leur appartenance incontestable à la citoyenneté française. L'ambiguïté coloniale agitée par les Comores ne sera jamais aussi bien combattue que par les Mahorais eux-mêmes, en particulier vis-à-vis de nos partenaires africains. Le levier principal doit être la promotion de l'insertion économique de Mayotte, notamment en direction de Madagascar et de l'Afrique de l'Est.

Enfin, comme l'a souligné Stéphane Demilly, la réussite du « rideau de fer » annoncé par le ministre de l'intérieur est indispensable pour éteindre le chantage migratoire en provenance des Comores. La baisse de la pression migratoire redonnerait des marges de manoeuvre à une action diplomatique plus offensive.

Enfin, dans le cadre de la stratégie indopacifique, il est essentiel que la France conforte son rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité dans la région. À cet égard, le projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien est une priorité. Il permettrait de faire faire un saut qualitatif important au rayonnement régional de la France et de La Réunion sur l'ensemble des sujets régaliens, tout en apportant une plus-value majeure pour la stabilité de la zone et en contribuant à la montée en compétences des autres pays.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous l'aurez compris, il est primordial que l'État fasse davantage confiance à ses territoires ultramarins et leur accorde une plus grande marge de manoeuvre. Je reste convaincue que l'insertion régionale de nos territoires permettra de régler de nombreux problèmes et qu'elle apportera notamment une solution prometteuse dans la lutte contre la vie chère, alors que nos populations ultramarines souffrent de la cherté des produits de première nécessité.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous attendions ce rapport avec impatience et nous ne sommes pas déçus. Comme d'habitude, il est d'excellente qualité et je remercie vivement les rapporteurs d'avoir abordé toutes les thématiques avec exhaustivité.

Si je partage la quasi-totalité de leurs préconisations, je commenterai les derniers propos de Georges Patient sur la conduite à tenir face aux Comores. Pendant trop longtemps, nous avons appliqué la politique des « petits pas ». Elle a été éprouvée et s'est révélée inefficace : au contraire, la situation empire. Il est temps désormais de passer à l'étape du bras de fer.

La dernière manoeuvre de déstabilisation en date a eu lieu à Bakou quand une délégation d'individus s'y est rendue pour proférer des propos inacceptables. La France est un pays de liberté et la liberté est tellement chère à nos coeurs que je ne sous-entendrais même pas qu'il faille mettre fin à celle de ces personnes. Mais en plus de tenir des propos allant dans le sens de la propagande comorienne, ces dernières ont craché, vomi sur la France.

Au-delà des propositions que nos rapporteurs ont émises, je demande simplement que nous appliquions notre droit interne, notamment l'article 23-7 du Code civil, qui dispose : « Le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'État, avoir perdu la qualité de Français. » À partir du moment où ces individus ont tous la double nationalité, l'hypocrisie doit cesser. Je demande à notre prochain gouvernement de prendre ses responsabilités et, compte tenu des propos orduriers contre la France qui ont été tenus à Bakou, de faire appliquer cet article.

Les personnes visées auront la possibilité, le cas échéant, de s'expliquer et de se défendre devant les autorités compétentes. Nous ne sommes pas aux Comores, où celui qui a attenté à la vie du président a été tué en prison dès le lendemain. Commençons par ces mesures simples d'application. Nous ne demandons ni la suppression du droit du sol réclamée par les Mahorais ni la fin du dispositif de visa de séjour territorialisé, mais la simple application du code civil. Faisons en sorte que, dans ce territoire, les gens ne se disent pas qu'ils peuvent venir faire tout et n'importe quoi.

Mme Micheline Jacques, président. -Il doit être possible de contenir cette immigration massive à la limite des eaux territoriales. Dans la loi de programmation militaire, 17 milliards d'euros sont affectés aux territoires ultramarins. Il pourrait être judicieux d'investir dans plus de technologie, par exemple dans l'intelligence artificielle ou dans des radars. Cela permettrait de faire des économies substantielles dans nos politiques publiques et de les rendre beaucoup plus efficaces.

M. Frédéric Buval. - Cet après-midi, je me suis senti Mahorais, tellement la situation à Mayotte a des points communs avec celle de la Martinique. Les élus disent souvent : « Nous sommes français, nous sommes européens, mais nous sommes aussi martiniquais et caribéens, avec un ancrage dans les Caraïbes. » Ce que j'ai entendu ici, c'est exactement ce que nous défendons là-bas. Nous avons un État centralisateur : tout vient de Paris, ou de Bruxelles. Les textes nous tombent dessus sans être adaptés aux situations locales. Nous faisons partie de l'Europe, mais nous avons l'impression de ne pas être entendus.

Je voudrais féliciter nos rapporteurs Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, ainsi que notre présidente pour ce travail. Nous aborderons prochainement la région caribéenne et nous tenons nous aussi à renforcer l'intégration régionale. Nous voulons montrer que nous faisons partie d'un espace géopolitique et géostratégique.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous débuterons nos travaux sur le bassin Atlantique lors de la prochaine session parlementaire.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je vous remercie, mes chers collègues, pour la qualité de votre rapport. Que Stéphane Demilly ait choisi de débuter son propos par la question de la vie chère n'est pas un hasard. Il s'agit d'un élément central, qui affecte au quotidien la vie des ultramarins. Le lier directement à la coopération régionale, à l'activité économique et à la connectivité de nos territoires avec leur bassin géographique est très important.

Je tiens aussi à souligner le fait que vous avez pris le temps de rencontrer les collectivités territoriales, qui mettent en oeuvre la coopération régionale. Dans votre rapport, vous venez redire à la France tout entière que, dans nos territoires, nous savons imaginer et mettre en oeuvre des politiques publiques favorables à nos concitoyens, dans le respect des réglementations et lois en vigueur. Or, bien souvent, nous sommes confrontés à des injonctions contradictoires qui nous empêchent d'aller aussi loin que nous le voudrions.

Les vingt propositions que vous développez relèvent du bon sens. J'espère qu'elles trouveront un écho favorable et qu'elles se traduiront concrètement sur le terrain. Nos collectivités territoriales, si loin de l'Hexagone, doivent sentir qu'elles sont entendues, mais surtout soutenues dans leur action.

M. Georges Naturel. - Je vous remercie de ce rapport très intéressant. Quel que soit le bassin, les problématiques sont finalement similaires, si l'on excepte les spécificités dépendant de nos relations régionales. À l'issue des trois volets, il faudra valider un corpus général. Nos propositions auront plus de force si nous parvenons à nous coordonner entre bassins. Dans le contexte actuel, cette analyse est essentielle pour savoir, par exemple, comment nous inscrivons nos territoires - Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna - dans le fameux axe indopacifique.

Mme Viviane Malet. - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leur travail. J'adhère absolument aux vingt recommandations. Comme ma collègue de La Réunion et l'ensemble de mes collègues ultramarins, je suis sensible à la question de la vie chère. Le coût des transports est un sujet à traiter en priorité si l'on veut coopérer davantage au sein de l'océan Indien et entre nos départements. En raison des monopoles, un vol Maurice-La Réunion ou Mayotte-La Réunion peut être plus cher qu'un vol Paris-La Réunion.

Un autre défi est la barrière de la langue. Voilà trois ou quatre ans, le conseil départemental de La Réunion proposait des emplois aidés, dont les bénéficiaires étaient affectés dans les alliances françaises, les ambassades ou les facultés de la région. Cela permettait à nos jeunes de revenir bilingues, mais aussi de promouvoir la langue française en Inde, en Afrique du Sud ou dans d'autres territoires. Le département de La Réunion doublait la participation de l'État et logeait ces étudiants pendant deux ou trois ans. Il est dommage que ce système ait disparu. J'espère, madame la présidente, que son rétablissement figurera parmi les propositions que nous formulerons au mois de novembre.

M. Jean-Gérard Paumier. - J'ai encore peu d'expérience au Sénat sur la question des outre-mer et je trouve important que le rapport souligne que le développement et l'ambition des territoires ultramarins sont freinés par la concentration des pouvoirs et la dilution des moyens.

Nous le savons bien, la concentration des pouvoirs n'est pas réservée à ces territoires ultramarins. Si l'on peut comprendre que les dossiers concernent Tours soient gérées depuis Paris, il en va autrement pour Mayotte ou La Réunion. La coopération régionale souffre manifestement d'une grave insuffisance et l'on peut se demander pourquoi, en 2024, nous en sommes encore à nous poser ces questions.

Par ailleurs, j'ai retenu des nombreuses auditions que nous avons menées le nombre invraisemblable d'organismes qui agissent dans tous les sens, chacun avec ses moyens, chacun avec ses critères. Moi qui suis un esprit simple, je pense que les collectivités, qui sont gérées par des élus, sont mieux placées pour savoir ce qui est bon pour leur territoire que des personnes qui sont affectées périodiquement, mais qui passent en définitive peu de temps sur le terrain. Merci aux rapporteurs d'avoir mis le doigt sur ces deux sujets.

M. Christian Cambon, rapporteur coordonnateur. - J'apporterai pour conclure un éclairage « commission des affaires étrangères » - j'ai cherché cette symbiose -, en soulignant à mon tour le risque d'ingérence, bien pointé par ailleurs dans le rapport. Si vous saviez le nombre de signalements particulièrement inquiétants dont j'ai eu connaissance lorsque j'étais à la tête de la délégation parlementaire au renseignement ! L'ensemble des outre-mer est concerné par ce phénomène, y compris la Guyane. Quand on voit la manière dont nos richesses aurifères ou halieutiques y sont pillées, la volonté d'atteinte à notre souveraineté économique est évidente.

Dans l'océan Indien également, des puissances étrangères sont à l'action. Nous connaissons bien le rôle de la Chine, dont la présence s'étend - nous le verrons prochainement - jusqu'en Polynésie. Nous sommes conscients des manipulations qui ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie au moment des référendums : de véritables pourparlers se sont tenus quasiment au grand jour entre les indépendantistes et les Chinois, qui faisaient mille promesses. Aux Comores bien sûr, cette tentation existe de manière beaucoup plus officielle.

Je rejoins Thani Mohamed Soilihi. Je voudrais dire au prochain ministre des affaires étrangères - nous l'avons souvent dit à ses prédécesseurs - qu'il est temps désormais de hausser le ton. Tous ces gens-là, nous les voyons à l'oeuvre. Le président chinois a été reçu avec bien des égards et on ne lui parle jamais de ce genre de choses.

Le rapport le préconise : il faut renforcer les équipes diplomatiques autour des ambassadeurs territoriaux, qui ne disposent que d'un seul adjoint quand la moindre ambassade compte au moins une dizaine de personnes. Il faudrait toute une équipe pour aller voir les pays du voisinage, porter ces messages et, le cas échéant, évoquer des sanctions.

En tant que rapporteur du budget de l'Agence française de développement (AFD) - entre parenthèses, le fait d'avoir rattaché les outre-mer à l'AFD en dit long sur la vision qu'ont certains des outre-mer dans notre pays -, je pense que nous devons avoir un message clair vis-à-vis de ces pays, en particulier des Comores, qui viennent régulièrement, dans un autre cadre, nous demander une aide considérable. Il faut trouver un équilibre dans ces relations.

Je souhaite par ailleurs que nous ayons chaque année un débat au Sénat sur les outre-mer. Comment se fait-il que l'assemblée des territoires ne parvienne pas à évoquer ces sujets aussi régulièrement ? Nous avons certes quelques « fenêtres de tir », au moment du budget par exemple, mais il nous faut institutionnaliser ce débat.

Il faut montrer à la population française tout l'intérêt d'avoir des outre-mer. Combien de fois avons-nous entendu dire sur le terrain : « Pourquoi donc le pays se charge-t-il de toutes ces îles ? Donnons-leur leur indépendance ! Tout cela coûte beaucoup d'argent ! » ? Il faut dénoncer ces propos, que vous connaissez par coeur. Ce type de rapport y contribue, mes chers collègues ultramarins, en montrant tout ce que vous apportez à la France, ne serait-ce que notre présence et notre souveraineté dans le monde. On se gargarise d'un discours sur « la France, puissance de l'Indopacifique ». Mais quelle puissance ? Celle qui s'appuie sur un patrouilleur de quarante ans et sur un hélicoptère Puma de cinquante-six ans dans lequel je n'aurais jamais mis les pieds si j'avais eu connaissance de sa vétusté ? Il faut avoir des ambitions et faisons en sorte, collectivement, de mettre en relation les moyens nécessaires pour les atteindre !

Je le répète : nous devons lutter contre les ingérences. L'expérience de Bakou est insensée : il s'agissait d'une véritable conférence contre la France. Je soulèverai d'ailleurs ce problème dans le cadre de la mission que je conduirai dans quinze jours à Ankara.

Remettons les choses à leur place. La France est un grand pays. Nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et nous avons des responsabilités. Même si les crédits ont été quelque peu resserrés, la France donne beaucoup à ces pays dans le cadre de l'aide au développement. Il faut qu'il y ait une contrepartie, notamment dans les affaires de souveraineté.

Ce rapport est essentiel et j'en remercie Mme la présidente. Le découpage très astucieux de nos travaux nous permettra d'apporter notre regard sur ces parties du monde et de formuler des propositions qui méritent selon moi d'être débattues en séance publique. En effet, nos collègues, eux aussi, ont besoin de savoir. Je regrette le temps où l'on autorisait à chaque sénateur la possibilité d'un déplacement en outre-mer. Beaucoup d'entre eux n'ont jamais été véritablement confrontés à la réalité de ces territoires.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci cher président Christian Cambon, votre regard éclairé nous permet de nous sentir soutenus et compris, ce qui n'est pas toujours le cas. J'espère que nous aurons prochainement un ministre ayant une bonne connaissance de nos territoires. Ils ont besoin d'être entendus.

La délégation sénatoriale aux outre-mer adopte le rapport à l'unanimité des présents et une abstention (M. Robert Wienie Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie)

La réunion est close à 15 h 45.

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

1

Organiser des « Assises de la diplomatie des outre-mer », en présence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et du ministre des outre-mer, conjointement aux Assises de la diplomatie parlementaire

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères/Ministère des outre-mer

Mesures administratives

2025

2

Créer une « Direction de la coopération régionale outre-mer » regroupant les trois ambassadeurs délégués et renforcer significativement leurs équipes

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères/Ministère des outre-mer

Décisions ministérielles

2025

3

Faire de la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI) l'instance de co-construction de la politique de coopération régionale

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères/Ministère des outre-mer/Collectivités

Bonnes pratiques

Circulaires

2025

4

Approuver d'ici un an avec Mayotte et La Réunion des programmes-cadres de coopération régionale, conformément à la loi « Letchimy », et donner mandat aux autorités de La Réunion pour représenter la France auprès de la COI

Gouvernement

Collectivités territoriales

Délibérations des collectivités

Décisions ministérielles

2025

5

Arrêter pour chaque ambassade de France dans la région océan Indien une feuille de route pluriannuelle pour densifier les liens avec Mayotte et La Réunion, en accord avec la plateforme de coopération de la France de l'océan Indien (PCFOI)

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères/Ministère des outre-mer

Bonnes pratiques

Circulaires

2025

6

Pivoter les stratégies des opérateurs de l'État présents dans l'océan Indien, notamment les établissements d'enseignement et le réseau culturel français, vers le développement de coopérations avec La Réunion et Mayotte

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères/Ministère des outre-mer/Ministères de tutelle des établissements

Contrat d'objectif

2025

7

Défendre, à l'occasion du renouvellement du Parlement européen et de la mise en place de la nouvelle Commission européenne, la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), à destination des États voisins les plus proches des RUP

Gouvernement

Union européenne

Programme de travail de la Commission européenne

Négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel

2024-2025

8

Faire inscrire dans le prochain programme de travail de la Commission européenne l'adoption d'un « paquet RUP » pour lever les obstacles législatifs à leur insertion régionale et lutter contre la vie chère, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie

Gouvernement

Union européenne

Programme de travail de la Commission européenne

2024-2025

9

Faciliter radicalement les cofinancements NDICI et Feder pour mieux orienter les crédits européens vers les projets de coopération régionale, dans le cadre d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu)

Gouvernement

Union européenne

Négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel

2025

10

Pour que les RUP cessent de subir les accords commerciaux de l'Union européenne avec des pays tiers :

- rendre obligatoires les études d'impact des projets d'accords commerciaux sur les RUP, en les y associant dès l'ouverture des négociations ;

- organiser au moins deux fois par an une réunion de suivi entre les autorités des RUP, des représentants des filières économiques, l'État et la Commission européenne à haut-niveau

Gouvernement

Union européenne

Décisions européennes

Bonnes pratiques

2025

11

À partir du bilan du programme opérationnel 2021-2027, poursuivre la simplification de la gestion des fonds Interreg et rétablir la possibilité pour les TAAF de bénéficier de ces financements.

Gouvernement

Union européenne

Négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel

Décisions européennes

2025

12

Associer systématiquement la DGOM à la négociation des accords de coopération et des accords commerciaux européens

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères/Ministère des outre-mer

Bonnes pratiques

Circulaires

2025

13

Affirmer le rôle de chef de file du département de Mayotte et de la région Réunion en matière de coopération et d'insertion économique, et faire du SRDEII le document maître d'une stratégie économique à l'échelle du bassin

Gouvernement

Collectivités

Circulaires

Loi le cas échéant

2025

14

Rapprocher le réseau de la coopération régionale des collectivités de celui de l'État en nommant des représentants de La Réunion et Mayotte :

- dans l'équipe entourant l'ambassadeur délégué ;

- au sein des ambassades de France dans les principaux États partenaires de la région

Gouvernement

Collectivités

Décisions ministérielles

Décisions des collectivités territoriales

2025

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

15

Renforcer la connectivité maritime de Mayotte :

- en modernisant les infrastructures portuaires de Mayotte et en engageant prioritairement la construction d'un poste frontalier communautaire (PCF) ;

- en expérimentant, en cas de carence de l'offre privée de transport maritime de marchandises, des lignes régionales de cabotage sous DSP, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est

Gouvernement/AFD

Département de Mayotte

Port de Mayotte

Délibérations du département de Mayotte

À partir de 2025

16

Stimuler la mobilité régionale :

- en réexaminant la politique des visas avec chaque pays de la région ;

- en diversifiant les pays de provenance des touristes ;

- en soutenant un programme « Erasmus » régional

Gouvernement

Collectivités territoriales

Arrêté ministériel

Stratégie des acteurs du tourisme

2024

17

Mieux mobiliser les outils financiers de l'AFD :

- en créant un mécanisme financier adapté aux projets de coopération régionale outre-mer qui mixerait des crédits des programmes budgétaires 123 (outre-mer) et 209 (aide au développement) ;

- en inscrivant dans les priorités stratégiques de sa filiale Proparco le soutien aux initiatives privées à dimension régionale pouvant bénéficier aux outre-mer

Gouvernement

AFD

Contrats d'objectif

Loi de finances

2025

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

18

Conforter le rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité de la France dans la région :

- en faisant du projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien une priorité ;

- en concluant avec tous les États de la région des accords de coopération judiciaire et policière et des accords de réadmission ;

- en créant un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien

Gouvernement

Union européenne

Financements européens

Accords internationaux

Décision ministérielle

À partir de 2025

19

Affirmer l'objectif de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France et déployer une stratégie pérenne :

- en associant systématiquement les responsables mahorais ;

- en faisant de l'insertion économique régionale de Mayotte son principal levier ;

- en s'appuyant sur le projet de « rideau de fer » autour de Mayotte pour éteindre le chantage migratoire en provenance des Comores

Gouvernement

Département de Mayotte

Divers

2025

20

Maintenir et renforcer le soutien à la francophonie dans l'espace francophone singulier du sud-ouest de l'océan Indien

Gouvernement

Collectivités

Loi de finances

Décisions ministérielles

2025

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Réunions plénières de la délégation

Jeudi 14 décembre 2023

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- Jean-Paul GUIHAUMÉ, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, du ministère de l'Europe et des Affaires (DAECT)

Jeudi 18 janvier 2024

Ministère de l'intérieur et des outre-mer - Direction générale des outre-mer (DGOM)

- Karine DELAMARCHE, adjointe au directeur général des outre-mer

- Jean-Claude BRUNET, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien

- Roland DUBERTRAND, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique

Jeudi 1er février 2024

Ministère de l'intérieur et des outre-mer

- Jean-Claude BRUNET, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien

Jeudi 1er février 2024

Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM)

- Ivan ODONNAT, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM)

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

- Jean-Claude BRUNET, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien

Jeudi 15 février 2024

Agence Française de Développement (AFD)

- Charles TROTTMANN, directeur du Département des Trois Océans

Jeudi 7 mars 2024

Conseil régional de La Réunion

- Wilfrid BERTILE, élu délégué au co-développement régional et relations extérieures, à la pêche et au suivi des travaux de révision du Schéma d'Aménagement Régional

Parlement européen

- Stéphane BIJOUX, député européen (Renew Europe)

- Max ORVILLE, député européen (Mouvement démocrate) (visioconférence)

- Maxette PIRBAKAS, députée européenne (Non-inscrits)

Eurodom

- Benoît LOMBRIÈRE, président d'Action Europe et délégué général adjoint d'Eurodom

Mardi 19 mars 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Ben Issa OUSSENI, président

- Soihirat EL HADAD, conseillère départementale

Mardi 2 avril 2024

Business France

- Johann REMAUD, directeur Outre-Mer

Fédération des entreprises d'outremer (FEDOM)

- Hervé MARITON, président

- Françoise DE PALMAS, secrétaire générale

Jeudi 2 mai 2024

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

- Emmanuelle BLATMANN, directrice Afrique et océan Indien

- Alexandre OLMEDO, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien

Ambassadeur de France en Tanzanie

- Alex-David GUILLON, premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie

Jeudi 13 juin 2024

Ambassadeur de la République de Tanzanie en France

- S.E. M. Ali Jabir MWADINI, ambassadeur

Mardi 18 juin 2024

État-major des armées

- Général de division François-Xavier MABIN, chef de la division « emploi des forces-protection »

Auditions rapporteurs de la délégation

Mercredi 15 mai 2024

Association des maires de Mayotte

- Madi MADI SOUF, président, maire de Pamandzi

- Mohamadi MADI OUSSENI, maire de Chiconi

- Bihaki DAOUDA, maire de Chirongui

- Moudjibou SAIDI, maire de Démbéni

- Soumaïla AMBDILWAHEDOU, maire de Mamoudzou

- Laithidine BEN SAID, maire de M'Tsamboro

Association des maires de France (AMF)

- Caroline GIRARD, directrice

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS
DES DÉPLACEMENTS

Déplacement à La Réunion et à Maurice
du 21 au 26 févier 2024

Mercredi 21 février 2024 - La Réunion

Préfecture des Terres Australes et Antarctiques Françaises

- Florence JEANBLANC-RISLER, préfète

Gendarmerie nationale

- Frédéric LABRUNYE, colonel

Jeudi 22 février 2024 - La Réunion

Mairie de Saint-Denis de La Réunion

- Éricka BAREIGTS, maire de Saint-Denis de La Réunion

- Jérôme VELLAYOUDOM, délégué de la direction générale des Services (DGS)

Conseil départemental de La Réunion

- Cyrille MELCHIOR, président

Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi)

- Jean-Marc GIRAUD, général, commandant supérieur des Fazsoi et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte

- Cyrille DE CERVAL, capitaine de vaisseau, adjoint interarmées du commandant supérieur des Fazsoi et commandant de zone maritime

Agence française de développement

- Patricia AUBRAS, directrice régionale pour la zone océan Indien

Conseil départemental

- Wilfrid BERTILE, élu délégué au co-développement régional et relations extérieures, à la pêche et au suivi des travaux de révision du Schéma d'Aménagement Régional

- Isabelle CAUSSANEL-TALON, responsable de la mission Coopération internationale et régionale de La Réunion

Conseil régionale

- Ismaël LOCATE, directeur général adjoint

- Gilles THEODORA, directeur de la direction déléguée à la coopération institutionnelle et aux relations internationales

- Bruno LORION, Élu à la Direction opérationnelle à la coopération régionale

Préfecture de La Réunion

- Jérôme FILIPPINI, Préfet de La Réunion

Vendredi 23 février 2024 - La Réunion

Préfecture de La Réunion

- Laurent AMAR, conseiller diplomatique du Préfet

- Nathalie INFANTE, secrétaire générale pour les Affaires Régionales

Direction Mer Sud océan Indien

- Nicolas LE BIANIC, directeur.

Grand Port Maritime de La Réunion

- Éric LEGRIGEOIS, président du Directoire

- Shenaz BAGOT, présidente du Conseil de surveillance

- Gilles HAM CHOU CHONG, membre du Directoire

Syndicat des importateurs et du commerce de La Réunion (SICR)

- Adorine TOUMOUN, secrétaire générale

CMA-CGM

- Emmanuelle HOAREAU, directrice

Mediterranean Shipping Company (MSC)

- Nicolas MUSSO, directeur,

Mer Union

- Christelle GOINDEN, représentante

Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion

- Patricia PAOLI, vice-Présidente

Chambre d'agriculture de La Réunion

- Olivier FONTAINE, élu

Club Export

- Laurent LEMAITRE, président

- Jeanne LOYHER, Administratrice

Association des maires du département de La Réunion (AMDR)

- Maurice GIRONCEL, vice-Président, maire de Sainte-Suzanne

- Sidoleine PAPAYA, secrétaire adjointe, maire de Salazie

Direction territoriale de la police nationale

- Laurent CHAVANNE, directeur territorial.

Samedi 24 février 2024 - La Réunion

Gendarmerie nationale

- Frédéric LABRUNYE, colonel

Université de La Réunion

- Anne-Françoise ZATTARA-GROS, vice-présidente Europe, International et coopération régionale

Agence régionale de santé (ARS) de La Réunion

- Gérard COTELLON, directeur général

Dimanche 25 février 2024 - Maurice

Ambassade de France à Maurice

- Frédéric BONTEMS, Ambassadeur

Diner de travail à l'Ambassade de France à Maurice

- Frédéric BONTEMS, Ambassadeur

- Marc MERTILLO, premier conseiller

- Leela Devi DOOKUN-LUCHOOMUN, vice-premier ministre, ministre de l'Éducation, de l'Éducation tertiaire de la Science et de la technologie

- Vêlayoudom MARIMOUTOU, secrétaire général

- Muriel Piquet-Viaux, conseillère de Coopération et d'Action Culturelle et Directrice de l'Institut Français de Maurice (IFM)

- Toriden CHELLAPERMAL, chief executive officer (CEO)

- Radhakhrishna SOMANAH, directeur général

- Arvin AUTELSINGH, directeur

Lundi 26 février 2024 - Maurice

Ambassade de France à Maurice

- Christophe VANHECKE, conseiller régional en santé mondiale

- Muriel PIQUET-VIAUX, conseillère de Coopération et d'Action Culturelle et Directrice de l'Institut Français de Maurice (IFM)

Ministère des Affaires Étrangères

- Alan GANOO, ministre des Affaires Étrangères par intérim, ministre des transports terrestres et du Métro léger

- Ravi MEETTOOK, secrétaire aux Affaires intérieures, conseiller du Premier ministre pour les affaires intérieures et de sécurité

Economic Development Board (EDB)

- Sachin MOHABEER, directeur général adjoint

Chambre de commerce et d'Industrie de Maurice (MCCI)

- Drishtysingh RAMDENEE, secrétaire général

Business Mauritus

- Kevin RAMKALOAN, chief executive officer (CEO)

Ambassade de France à Maurice

- Marc MERTILLO, premier conseiller

Ministère de la transition écologique et solidaire - Direction générale de la prévention des risques

- Richard ABADIE, directeur général

Institut Français de Maurice (IFM)

- Muriel PIQUET-VIAUX, directrice et conseillère de Coopération et d'Action Culturelle

Chambre de Commerce et d'Industrie France Maurice (CCIFM)

- John BENATOUIL, président

Indian Ocean Rim Association (IORA)

- Salman AL FARISI, secrétaire général

Commission de l'océan Indien (COI)

- Vêlayoudom MARIMOUTOU, secrétaire général

Jeudi 4 avril 2024

Déplacement « hors les murs » à Marseille

Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA - CGM)

- Franck CHAIX, vice-président, Group security & Intelligence

- Patrice AERDEMAN, commercial senior manager • N&S DOM TOM Trade (Head Office)

- Bertrand BEY, vice-président, chargé des relations institutionnelles

Institut de recherche pour le développement (IRD)

- Valérie VERDIER, présidente-directrice générale

- Gilles PECASSOU, directeur général délégué

- Frédéric MÉNARD, conseiller scientifique outre-mer

Déplacement à Mayotte
du 21 au 24 mai 2024

Mardi 21 mai 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Ben Issa OUSSÉNI, président

Préfecture de Mayotte

- Édouard MAYORAL, conseiller diplomatique du préfet

Direction territoriale de la police NATIONALE (DTPN) de Mayotte

- Fabrice GUINARD CORDROCH, directeur adjoint

Collectif les « Forces vives »

- Safina SOULA, représentante

Mercredi 22 mai 2024

Préfecture de Mayotte

- François-Xavier BIEUVILLE, préfet

- Frédéric SAUTRON, sous-préfet, chef d'État-major chargé de la lutte contre l'immigration clandestine

Gendarmerie de Mayotte

- Général Lucien BARTH, commandant de la gendarmerie

Direction de l'aviation civile à Mayotte

- Christophe BOQUEN, délégué de la direction de l'aviation civile

- David ROUGEAU, directeur général d'Ewa Air

- Moïse ISSOUFALI, directeur général de Mayotte Air Service

Maternité du centre hospitalier (CH) de Mayotte

- Madi ABDOU, chef de pôle gynécologie-obstétrique

Agence régionale de santé (ARS) Mayotte

- Bastien MORVAN, directeur de cabinet

Jeudi 23 mai 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Thoihir YOUSSOUPHA, directeur de la coopération

- Abdou Razak MOHAMED, chef de mission coordination générale et vie institutionnelle

Tribunal judiciaire de Mamoudzou

- Catherine VANNIER, présidente

- Yann LE BRIS, procureur de la République

Chambre d'appel de Mamoudzou - cours d'assises de Mayotte

- Nathalie BRUN-ZAHI, présidente de la chambre d'appel de Mamoudzou et de la cour d'assises de Mayotte

Collectif les « Forces vives initiales »

- Yasmina AOUNY, membre

Vendredi 24 mai 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Soibahadine IBRAHIM RAMADANI, ancien président

- Ali OMAR, vice-président, en charge des transports et de la transition écologique.

Port de Longoni

- Omar SIMBA, directeur

Transporteurs maritimes ou leurs représentants :

CMA-CGM

- Malo DE BOLLIVIER, représentant

MSC

- Arnaud JOBARD, représentant

SGTM

- Michel LABOURDERE, représentant

Wellem - Total

- Karine POISSON, représentant

- Moustapha TAOUFIK, représentant

Geogaz - Vivi Energie

- Christian CORRE, représentant

Hoegh Autoliners

- Youssouf IBRAHIM, représentant

Importateurs ou distributeurs :

Mayotte Tropic

- Chaidafi YSSOUFI, directrice des opérations

- Antoine TAVA, directeur exploitation

Groupe IBS

- Théophane NARAYANIN, représentant

- David NAGARD, représentant

GBH

- Marc BERLIOZ, représentant

Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Mayotte

- Mohamed ALI HAMID, président

- Abdoul Karim BAMANA, directeur général

- Nadine HAFIDOU, secrétaire

Chambre de l'agriculture de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (CAPAM)

- Chebani MOUHAMADI ABDOU, 2e vice-président

- Boinali SAID TOUMBOU, responsable

Porteur de projet agricole avec la Tanzanie

- Mouhmar Kadaffi MOHAMED, représentant

Association Messo

- Nawal YSSOUFA, présidente de l'association

- Hamada SAHIMI, directeur général

- Virginie LYKOWSKI, responsable du pôle hébergement pour les mères mineures à Ouangani

GLOSSAIRE

· ACP : Pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

· ADC : Académie diplomatique et consulaire

· Ademe : Agence de la transition écologique

· ADIM : Agence de développement et d'innovation de Mayotte

· AEFE : Agence de l'enseignement français à l'étranger

· AFD : Agence Française de Développement

· AfOA : Afrique orientale et australe

· AOSIS : Alliance des petits États insulaires en développement

· APE : Accords de partenariat économique

· APIOI : Association des ports des îles de l'océan Indien

· ASA : Accord bilatéral de services aériens

· ASI : Attachés de sécurité intérieure

· AVCOI : Association des villes et collectivité de l'océan Indien

· AVR : Accord de Victoria révisé

· BEI : Banque européenne d'investissement

· BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières

· BSAOM : Bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer

· CAPAM : Chambre d'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte

· CCI : Chambres de commerce et d'industrie

· CCIA : Chambres de commerce, d'industrie et d'agriculture

· CCNUCC : Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

· CDAA : Communauté de développement de l'Afrique Australe

· CDPR : Conseiller diplomatique auprès des préfets de région

· CESER : Conseil économique, social et environnemental régional

· CGCT : Code général des collectivités territoriales

· CHM : Centre hospitalier de Mayotte

· CICID : Comité interministériel de la coopération internationale et du développement

· CIOM : Comité interministériel des outre-mer

· Cirad : Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

· CIRM : Comité pour l'insertion régionale de Mayotte

· CIRRMA : Conférence Inter-régionale des Réseaux Régionaux Multi-Acteurs

· CIV : Citoyen et la jeunesse

· CJSOI : Commission jeunesse et sports de l'océan Indien

· CNCD : Commission nationale de la coopération décentralisée

· COI : Commission de l'océan Indien

· COM : Contrat d'objectifs et de moyens

· COMESA : Marché commun de l'Afrique orientale et australe

· CRCO : Centre régional de coordination des opérations

· CRFIM : Centre régional de fusion d'informations maritimes

· CROS : Comité régional olympique et sportif

· CROSS : Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage

· CUF : Cités Unies France

· DAECL : Délégué pour l'action extérieure des collectivités locales (devenu la DAECT)

· DAECT : Direction pour l'action extérieure des collectivités territoriales

· DCTCIV : Délégation pour les collectivités territoriales et la société civile

· DGM : Direction générale de la mondialisation

· DGOM : Direction générale des outre-mer

· DROI : Direction régionale océan Indien

· EAC : Communauté de l'Afrique de l'est

· EAU : Émirats arabes unis

· EDB : Economic Development Board

· EPCI : Établissements publics de coopération intercommunale

· ETI : Entreprises de taille intermédiaire

· ETP : Équivalent temps plein

· EXPLOI : Expédition Plastique Océan Indien

· FAEC : Fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel

· Fazsoi : Forces armées de la zone sud de l'océan Indien

· FCR : Fonds de coopération régionale

· Feader : Fonds européen agricole pour le développement rural

· FED : Fonds européen de développement

· FEDD+ : Fonds européen pour le développement durable Plus

· Feder : Fonds européen de développement régional

· FEDOM : Fédération des entreprises des Outre-mer

· FEF : Fonds Équipe France

· Fexte : Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences

· FFDj : Forces françaises stationnées à Djibouti

· FFEAU : Forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis

· Ficol : Facilité de financement des collectivités territoriales

· FSPI : Fonds de solidarité pour les projets innovants

· FSPI-R : FSPI « rapide »

· FVC : Fonds vert pour le climat

· GECT : groupement européen de coopération territoriale

· GIP : Groupement d'intérêt public

· GLCT : groupement local de coopération transfrontalière

· GPM : Grand port maritime

· IDH : Indice de développement humain

· IEDOM : Institut d'émission des départements d'outre-mer

· IFRI : Institut français des relations internationales

· IGAD : Autorité intergouvernementale pour le développement

· ILIADE : Innovation par les plantes et l'IA pour l'Inde et la France

· INN : Pêche illicite, non déclarée et non réglementée

· IONS : Symposium des marines de l'océan Indien

· IORA : Indian Ocean Rim Association

· IRD : Institut de recherche pour le développement

· IRF : Instituts régionaux de formation

· ISMOI : Institut sur la sécurité maritime de l'océan Indien

· LMD : Licence-Master-Doctorat

· LOOM : Loi d'orientation pour l'outre-mer

· LPM : Loi de programmation militaire

· MALE : Moyenne altitude longue endurance

· MAPTAM : Loi modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles

· MASE : Maritime Security

· MEAE : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

· MIOM : Ministère de l'Intérieur chargé des Outre-mer

· NDICI : Instrument unique de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale de l'Union européenne (ex-FED)

· NOTRe : Nouvelle organisation territoriale de la République

· OCS : Option de coûts simplifiés

· OFB : Office français de la biodiversité

· OIF : Organisation Internationale de la Francophonie

· OSC : Organisation de la société civile

· OUA : Organisation de l'unité africaine

· PCF : Poste de contrôle frontalier

· PCFOI : Plateforme de coopération de la France de l'océan Indien

· PDFC : Plan de développement France-Comores

· PEC : Point d'entrée communautaire

· PEV : Politique européenne de voisinage

· PEVu : Politique européenne de voisinage ultrapériphérique

· PIED : Petits États insulaires en développement

· PIF : Poste d'inspection frontalier

· PIM : Programmes indicatifs pluriannuels

· PIP : Programmes indicatifs pluriannuels

· PIROI : Plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien

· PMA : pays les moins avancés

· PMAESA : Association de gestion portuaire de l'Afrique de l'Est et du Sud

· PME : Petites et moyennes entreprises

· PO : Programme opérationnel

· POM : Patrouilleurs outre-mer

· PRSP : Plan régional de surveillance des pêches

· PTOM : Pays et territoires d'outre-mer

· RDC : République démocratique du Congo

· REUNION : Regional Exchange UNiversity Indian OceaN

· RRMA : Réseaux régionaux multi-acteurs

· RUP : Région ultrapériphérique

· SADC : Southern African Development Community

· SEAE : Service européen d'action extérieure

· SGAR : Secrétaire général pour les affaires régionales

· SRDEII : Schéma régional de développement économique, d'internationalisation et d'innovation

· SSA : Safe Seas Africa

· TAAF : Terres australes et antarctiques françaises

· TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

· UE-AfOA : Union européenne et Afrique orientale et australe

· VIE : Volontariat international en entreprise

· VSI : Volontariat de solidarité internationale

· ZEE : Zone économique exclusive

· ZFANG : Zones franches d'activité nouvelle génération

· ZRP : Zone de responsabilité permanente

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

· Jeudi 14 décembre 2023 Audition de Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères 197

· Jeudi 18 janvier 2024 Audition d'Olivier Jacob, directeur général des outre-mer 211

· Jeudi 1er février 2024 Audition Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien 227

· Jeudi 1er février 2024 Audition d'Ivan Odonnat, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM) 239

· Jeudi 15 février 2024 Audition de Charles Trottmann, directeur du Département des Trois Océans de Agence Française de Développement (AFD) 253

· Jeudi 7 mars 2024 Auditions sur les aspects européens de la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) 265

· Jeudi 7 mars 2024 Audition de Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom 281

· Mardi 19 mars 2024 Auditions sur la convention de partenariat entre le Département de Mayotte et le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères - Audition de Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte 287

· Mardi 2 avril 2024 Audition de Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France 299

· Mardi 2 avril 2024 Audition d'Hervé Mariton, président, et Françoise de Palmas, secrétaire générale, Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM) 313

· Jeudi 2 mai 2024 Audition d'Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères accompagnée d'Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien 327

· Jeudi 2 mai 2024 Audition d'Alex-David Guillon, Premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie 341

· Jeudi 13 juin 2024 Audition de S.E. M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République de Tanzanie en France 345

· Mardi 18 juin 2024 Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du Général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'État-major des armées sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion 353

Jeudi 14 décembre 2023

Audition de Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, après l'adaptation des modes d'action de l'État outre-mer mardi, nous lançons ce matin nos travaux sur la coopération régionale des outre-mer pour laquelle nous avons nommé un rapporteur coordonnateur, Christian Cambon, ancien président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et trois binômes de rapporteurs, soit un binôme par bassin :

- pour le bassin Pacifique : Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion et Rachid Temal, sénateur du Val-d'Oise ;

- pour le bassin Atlantique : Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise ;

- pour le bassin Indien : Georges Patient, sénateur de Guyane et Stéphane Demilly, sénateur de la Somme.

Pour cette première audition, nous recevons Son Excellence Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, auprès du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Monsieur l'ambassadeur, nous vous remercions pour votre présence qui va nous permettre d'amorcer notre panorama de l'action extérieure des collectivités d'outre-mer.

Concernant le déroulé de cette réunion, je laisse la parole à notre rapporteur coordonnateur, puis aux rapporteurs par bassin.

Puis vous présenterez, Monsieur l'ambassadeur, votre propos liminaire en vous inspirant de la trame qui vous a été adressée.

M. Christian Cambon, rapporteur. - En qualité de rapporteur coordonnateur, je souhaite rappeler rapidement les raisons du choix de ce thème d'étude et esquisser quelques axes de réflexion ou de perspectives. En effet, face à un sujet aussi vaste, il faut prendre garde à ne pas se disperser.

Pourquoi avons-nous retenu ce difficile sujet de l'action extérieure des collectivités territoriales ?

Je ne suis pas un spécialiste des outre-mer, mais l'expérience que j'ai acquise en tant que président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées me donne le sentiment que les territoires ultramarins français sont encore trop faiblement insérés dans leur environnement régional, sans doute à cause des relations historiques avec la « métropole ». J'utilise à dessein ce terme car c'est bien cette relation de dépendance par rapport à un centre qui est critiquée.

Cette situation est considérée comme un frein au développement économique et est une des causes de la cherté de la vie. Elle peut aussi étouffer le rayonnement culturel, universitaire ou scientifique des territoires ultramarins dans leurs bassins de vie.

La coopération régionale présente un intérêt réciproque :

- du point de vue des territoires, elle doit favoriser leur insertion régionale et leur développement endogène dans le respect de leur identité ;

- du point de vue de la France, des outre-mer intégrés participent à l'accroissement de son influence. Il en va de même pour l'Union européenne, à travers les régions ultrapériphériques (RUP) en particulier, mais également les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

La coopération doit aussi être un facteur de stabilisation et de sécurité. De plus en plus, les outre-mer sont exposés à des risques environnementaux, mais aussi à des risques géostratégiques. Dans le jeu des relations internationales, ces territoires peuvent être la cible de tentatives de déstabilisation et de jeux d'influences. Les enjeux de police et de sécurité sont aussi croissants face à des réseaux criminels puissants.

Ce tableau nous invite à faire un état des lieux de la coopération régionale, à interroger les raisons des limites actuelles de cette stratégie et à proposer des pistes de réponse.

À côté d'enjeux transversaux, nous avons décidé d'opter pour une approche par bassin, tout le défi étant de développer la coopération en l'appuyant sur les atouts et les caractéristiques de chaque territoire.

Enfin, deux ou trois objectifs de la coopération régionale doivent être explorés plus avant :

- l'objectif de sécurité et de stabilisation des territoires ;

- l'objectif du développement économique, qui est au coeur de la coopération des outre-mer ;

- enfin celui de la transition écologique et énergétique, qui est étroitement lié au précédent. Nous nous souvenons des conséquences dramatiques d'un ouragan à Saint-Martin qui a déstabilisé une bonne partie de son économie.

Votre audition, Monsieur l'ambassadeur, permettra d'éclairer une partie de ces thèmes. Les collectivités ultramarines sont demandeuses de plus d'actions de coopération régionale. Certaines déploient déjà des actions extérieures, nombreuses. Nous souhaitons avoir votre regard sur l'intensité de ces actions, leur orientation, le soutien que l'État leur apporte, et sur vos services en particulier. Au-delà, nous souhaiterions savoir si ces actions permettent de dessiner une stratégie de coopération régionale, en appui ou en complément de la diplomatie française.

Voici quelques interrogations non exhaustives que les rapporteurs par bassin enrichiront à la suite de votre exposé liminaire.

M. Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. - Je vous remercie de me donner l'occasion de venir à votre rencontre. Pour éviter tout malentendu et toute dispersion, je tiens à apporter quelques précisions sur le rôle de la délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Le poste que j'occupe depuis un peu plus de deux ans sera prochainement supprimé et son activité de soutien aux collectivités territoriales hexagonales et ultramarines sera confiée à un bureau au sein d'une plus grande délégation en charge de l'interface avec les collectivités territoriales mais aussi la société civile et les organisations de solidarité internationale.

La DAECT a été créée comme délégation auprès du Premier ministre. Elle a ensuite été rattachée au Secrétaire général du Quai d'Orsay, puis au Directeur général de la mondialisation.

Par ailleurs, la DAECT n'a jamais été compétente pour le bassin Pacifique. En effet, au moment de sa création il y a plus de 20 ans, les territoires français du Pacifique jouissaient déjà d'un statut particulier dans la conduite de leurs relations avec des États étrangers. Les collectivités des bassins Atlantique et Indien étaient dotées des mêmes compétences que les collectivités métropolitaines, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

L'action extérieure des collectivités territoriales a des dimensions très variées. La plus ancienne et la plus connue est la solidarité internationale, qui a souvent une dimension diasporique. Par ailleurs, des collectivités ont des liens historiques avec certains territoires. Les conseils régionaux sont aussi beaucoup plus préoccupés aujourd'hui par l'attractivité et par l'accompagnement des entreprises.

Le législateur n'a pas délimité les compétences internationales des collectivités territoriales. Rien n'empêche un conseil départemental de mener sur un territoire étranger un projet de coopération décentralisée dans le domaine économique alors que celui-ci ne relève plus de sa compétence sur son propre territoire. De la même manière, un conseil régional peut se lancer dans des projets en lien avec des sujets, comme la petite enfance, qui sont de la compétence des conseils départementaux.

Tous les acteurs qui viennent en soutien de l'action extérieure des collectivités territoriales, la DAECT mais aussi l'Agence Française de Développement (AFD), doivent respecter les choix des élus, même si les thématiques des projets engagés ne figurent pas dans les compétences de leur collectivité sur le plan national.

J'ai bien compris que l'objet de votre étude portait sur la coopération régionale des outre-mer mais je m'en voudrais de ne pas mentionner un sujet qui suscite toujours l'intérêt des élus ultramarins, la coopération décentralisée avec l'Afrique de l'Ouest autour des questions mémorielles. De nombreux projets, en particulier aux Antilles, sont montés, parfois avec beaucoup de difficultés, avec des partenaires d'Afrique de l'Ouest. Il n'y a donc pas qu'une seule dimension à l'action extérieure des collectivités ultramarines consistant à les intégrer dans leur environnement immédiat.

De la même manière, certains partenaires, notamment les collectivités territoriales du Québec, sont très présents aux Antilles. C'est un sujet qui suscite de l'inquiétude car le Québec affiche clairement comme priorité le recrutement de jeunes des territoires français des Antilles pour pallier le manque de main-d'oeuvre bien formée. Il y a un effet d'attraction du Québec sur les Antilles qu'il ne faut pas négliger.

La DAECT regroupe une douzaine d'agents. Certains sont mis à sa disposition par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. À certains moments, des agents étaient détachés des ministères de la Transition écologique ou de l'Agriculture.

En 2023, son budget était de 13 millions d'euros, ce qui correspond à son rôle de soutien aux collectivités territoriales, et nous travaillons en très bonne intelligence avec l'AFD qui prend souvent le relais de la DAECT pour soutenir des projets nécessitant des budgets importants, notamment sur l'eau et l'assainissement.

La DAECT assure le secrétariat général de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). Cette commission, présidée par la Première ministre, se réunit dans différents formats, dont deux sessions plénières par an. La Première ministre peut déléguer la présidence de cette commission à la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Les trois dernières sessions plénières ont été présidées par Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.

Cette commission réunit des élus désignés par les grandes associations faîtières (Régions de France, Départements de France, l'Association des maires de France) et par des associations spécialisées comme l'Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe (AFCCRE), Cités Unies France, France Urbaine, l'Association internationale des Maires francophones (AIMF) ou encore l'Association internationale des Régions Francophones (AIRF), mais aussi des représentants des différents ministères. Le ministère des Outre-mer participe activement aux travaux de cette commission. L'intérêt de soutenir les actions de coopération des collectivités ultramarines est toujours réaffirmé, que ce soit lors des sessions plénières ou dans les groupes de travail.

La DAECT participe à la promotion de la coopération décentralisée et à l'internationalisation des territoires par des séminaires et des actions de sensibilisation en lien avec l'AFD et différents ministères, comme celui de l'Éducation nationale pour l'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.

Notre soutien peut prendre plusieurs formes. Nous lançons chaque année des appels à projets généralistes ou thématiques. Ces appels à projets thématiques nous permettent de refléter les priorités de la diplomatie française, par exemple dans le domaine du sport, de la jeunesse, mais aussi plus récemment sur l'égalité entre les femmes et les hommes, sur le numérique responsable et inclusif, sur la sécurité alimentaire ou le soutien aux finances locales. Les appels à projets généralistes nous permettent de signaler aux collectivités territoriales que nous examinerons tous les projets suffisamment aboutis et qui ne sont pas contraires aux engagements internationaux de la France.

Nous partageons aussi des dispositifs avec de grands partenaires comme le Liban, le Sénégal ou le Maroc. Ces pays peuvent signaler des priorités à la direction des collectivités territoriales du ministère de l'Intérieur.

Enfin, nous avons récemment lancé un appel à manifestation d'intérêt dans la perspective du sommet de la Francophonie fin 2024 à Villers-Cotterêts et à Paris. Nous souhaitons à cette occasion valoriser l'action internationale des collectivités territoriales sur le thème de la francophonie.

D'autres programmes sont en cours d'élaboration, notamment pour le soutien aux dix villes françaises qui font partie du réseau des villes créatives de l'Unesco.

Nous sommes attachés à l'engagement politique des collectivités. La coopération décentralisée n'est pas une coopération technique comme les autres. L'engagement politique doit se matérialiser par la signature d'un élu français et d'un élu partenaire. En effet, la coopération décentralisée doit se caractériser par des échanges entre élus et pas uniquement entre services techniques.

Les projets peuvent durer d'un à trois ans et être renouvelés. Nous aidons les collectivités à les ajuster, notamment dans des pays particulièrement troublés comme le Liban ou les Territoires Palestiniens.

Nous apportons notre soutien sous forme de cofinancement, qui peut aller jusqu'à 80 % du montant du projet, mais nous ne menons pas le projet à la place de la collectivité. Elle est à l'origine du projet, du choix des partenaires et peut être accompagnée par des opérateurs régionaux.

Nous avons aussi la mission de soutenir les collectivités territoriales dans les grandes enceintes internationales. La voix de la France est de plus en plus faible dans les conférences d'associations de collectivités territoriales. Il n'est pas rare que la France et l'Europe soient mises en difficulté par des prises de position lors de ces grandes réunions.

Nous faisons également entendre la voix des collectivités territoriales dans les grands rendez-vous internationaux comme les Conférences des Parties (COP). Nous savons qu'une bonne partie des objectifs de développement durable ne seront atteints que grâce à l'action des collectivités territoriales, à leur territorialisation.

La DAECT s'appuie le réseau des conseillers diplomatiques placés auprès des préfets de région (CDPR) pour les conseiller dans la conduite des relations avec les partenaires étrangers. De nombreux ambassadeurs en poste à Paris ont compris que tout ne se passait pas à Paris et l'importance de se rendre dans les territoires. Ces conseillers sont aussi sollicités quand une collectivité territoriale adopte une motion ou prend position sur une question internationale. Le ministère de l'Intérieur assure le contrôle de légalité mais quand les décisions des collectivités portent sur des sujets internationaux, nous travaillons en bonne intelligence avec eux.

Quatre conseillers diplomatiques sont basés en outre-mer, à La Réunion, à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe. Il n'y a pas de CDPR dans le Pacifique mais des diplomates peuvent conseiller les services déconcentrés de l'État.

Même si la priorité ultramarine est réaffirmée à chaque réunion plénière de la CNCD, c'est avec ces collectivités que nous avons le plus de difficultés à soutenir des projets de coopération décentralisée. Nous n'avons pas d'action spécifique qu'il faudrait peut-être développer comme le fait l'AFD. Nous avons conscience de l'enjeu mais je dois reconnaître que nous n'en avons sans doute pas fait suffisamment. Il y a une forte appétence pour la coopération décentralisée des élus ultramarins mais peu de résultats concrets.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, pour ces informations. Vous avez parlé des appels à projets soutenus par différents ministères. Combien de projets la DAECT a-t-elle soutenus en 2022 ? Quel est le budget alloué à ces projets ? Quels sont les domaines concernés ? Enfin, avez-vous défini des priorités ?

M. Jean-Paul Guihaumé. - Notre budget était cette année de 13 millions d'euros et celui de 2024 sera de 15 millions d'euros.

Pour les bassins Atlantique et Indien, entre 2020 et 2023, nous avons soutenu à hauteur de 1,7 million d'euros des projets d'une valeur d'environ 4 millions d'euros. Les projets durent parfois 36 mois, nous les examinons en début d'année, ils démarrent généralement en septembre et la première année n'est pas une année de fort décaissement.

Ce sont des projets modestes portant sur le sport, avec une dimension inclusive et éducative, la coopération culturelle et linguistique, l'apprentissage linguistique étant indispensable à la formation des jeunes, et sur les cultures agricoles, vivrières ou urbaines.

La DAECT souhaiterait soutenir plus de projets dans le domaine de la préservation de la biodiversité. La biodiversité de la France doit en effet beaucoup aux outre-mer. Nous avons par exemple soutenu des projets portés par la Fédération nationale des parcs naturels régionaux.

Si nous intervenons directement auprès des collectivités territoriales, nous soutenons également des projets à l'international portés par des associations de collectivités territoriales qui conjuguent leurs actions sur des thèmes aussi variés que le patrimoine naturel, le patrimoine historique, etc.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Y a-t-il une coordination officielle entre les communes, les départements et les régions ?

M. Jean-Paul Guihaumé. - Il n'y a pas de coordination. Aucune collectivité territoriale n'a l'obligation de mettre en place un programme de coopération internationale. Seule une centaine de collectivités ont mis en place de tels programmes et dix ont une action significative. Il n'y a aucune collectivité ultramarine parmi ces dix principaux acteurs de l'action extérieure des collectivités territoriales.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Je suis rapporteur, sous l'autorité du président Christian Cambon, pour le bassin Pacifique. Votre budget est-il dédié au financement de vos actions ou comprend-il une part de fonctionnement ? Pouvez-vous préciser le rôle des conseilleurs diplomatiques auprès des préfets de région et la manière dont ils peuvent aider les collectivités à développer leurs relations extérieures ? Pourquoi la DAECT n'est-elle pas présente dans le Pacifique ?

Parmi vos missions figure l'élaboration des textes juridiques sur les coopérations transfrontalières. Pouvez-vous nous donner des exemples de coopération en outre-mer au cours des 4 ou 5 dernières années et évoquer la coopération entre Saint-Martin et la partie néerlandaise de l'île ?

Enfin, j'étais co-rapporteur du texte de loi sur l'aide publique au développement et je ne comprends toujours pas comment l'AFD peut intervenir sur les territoires français. L'AFD est un outil de la solidarité internationale et on ne peut pas mettre sur le même plan les territoires français. Je rappelle que la loi donne la liste de 19 pays prioritaires, notamment au Sahel, de l'aide publique au développement. Si l'AFD est une banque, on peut imaginer d'autres acteurs comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour financer des projets en outre-mer.

Mme Vivette Lopez. - Vous avez dit que compte tenu de son budget modeste, la DAECT ne soutenait que des projets modestes. Vous avez également indiqué que peu de projets aboutissaient. Quelles en sont les raisons ? La DAECT intervient-elle sur des projets liés aux Jeux olympiques ? Enfin sur l'environnement, soutenez-vous des projets dans le domaine maritime comme les aires marines  protégées ?

M. Jean-Paul Guihaumé. - Le mandat de l'AFD n'entre pas dans le champ de compétence de la DAECT. Je prends note de vos remarques que j'ai déjà entendues de la part d'élus ultramarins mais je ne peux pas vous apporter de réponse.

Vous avez indiqué qu'il existait une liste de pays prioritaires pour l'aide publique au développement. Depuis le Conseil présidentiel du développement qui s'est réuni le 5 mai, il n'y a plus de liste prioritaire mais une incitation à soutenir les pays les moins avancés tels que les pays du Sahel, le Cambodge, le Népal, etc. Cette décision ne bouleverse pas fondamentalement la géographie de l'aide publique au développement. Lors de la dernière réunion de la CNCD, Chrysoula Zacharopoulou a indiqué que le Gouvernement souhaitait encourager des projets avec d'autres partenaires comme le Nigeria ou le Kenya.

Concernant les Jeux olympiques, aucun projet ne nous a pour l'instant été soumis. Nous avons encouragé les collectivités territoriales à profiter de la présence de fédérations sportives étrangères sur leur territoire pendant les Jeux. Par exemple, Miramas et le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône souhaitent profiter de la présence de la fédération kényane d'athlétisme pour mener un projet. Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a également lancé dans les ambassades une labellisation « Terre de Jeux 2024 » pour encourager les actions dans ce domaine. Enfin, nous avons un partenariat privilégié en matière de sport avec le Sénégal puisque Dakar accueillera en 2026 les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ Dakar 2026).

Sur l'environnement, rien ne nous empêche d'intervenir sur les aires marines protégées mais nous ne le ferons que si une collectivité nous soumet un projet. Ce n'est pas la petite équipe de la DAECT qui va construire un projet, elle n'en a pas toujours les compétences. Je sais que des collectivités travaillent sur le recul du trait de côte avec des partenaires étrangers. Certaines collectivités normandes collaborent, malgré le Brexit, avec des collectivités britanniques.

Notre budget est un budget d'intervention, notre fonctionnement étant fondu dans le budget du ministère. Ce budget doit nous permettre de remplir les objectifs fixés par le président de la République en matière de soutien à l'action extérieure des collectivités territoriales mais il n'est pas facile de le dépenser si nous voulons rester exigeants sur la qualité des projets et sur leur faisabilité. Dans certaines régions qui attiraient de beaux projets, comme la Russie ou les pays du Sahel, les dossiers sont aujourd'hui à l'arrêt pour une durée indéterminée.

Notre budget est donc assez ambitieux, d'autant plus que nous ne finançons pas de grosses infrastructures mais des expertises, des études ou de toutes petites infrastructures qui ont une vertu pédagogique ou sont des prototypes.

C'est un budget dont je ne me plains pas, je me réjouis de son augmentation, il est à la hauteur des modalités d'action actuelles. En revanche, si on nous demandait demain de construire des projets, nous aurions besoin de compétences et de moyens supplémentaires.

Face à cette difficulté d'amorçage des projets, nous allons à la rencontre de collectivités territoriales et nous leur proposons de contractualiser notre soutien sous forme de convention triennale, avec des avenants fixant chaque année le montant de la subvention. Cette démarche nous permet d'avoir une meilleure visibilité sur les projets à venir. En outre-mer, la collectivité territoriale de Martinique a défini une stratégie d'intégration régionale et de rayonnement international. Son président Serge Letchimy et sa vice-présidente Patricia Telle, qui participent aux travaux de la CNCD au titre de Régions de France, ont la vision la plus claire et élaborée, de ce que peut être une stratégie en matière d'action extérieure. Il y a aussi un potentiel du côté de La Réunion mais je n'ai pas commencé à négocier ce type de texte avec le Conseil régional.

Des négociations sont en cours avec les Hauts-de-France ou les villes de Paris et de Nancy.

Sans cette démarche, nous n'arriverions pas à mobiliser suffisamment de collectivités avec nos seuls appels à projets.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, pour votre exposé très intéressant.

En appui et en cohérence avec la diplomatie française, je suis convaincu qu'il y a une place pour une diplomatie parlementaire, comme l'a montré le Président Gérard Larcher en accueillant hier une délégation du Congo, mais aussi une place pour une forme de diplomatie territoriale, au-delà de la coopération décentralisée.

Comme président de département pendant 7 ans, j'ai ressenti une prudence, une frilosité, voire une méfiance du Quai d'Orsay par rapport à ces initiatives. Or, je pense que des signaux faibles méritent d'être entendus.

Une ville de 15 000 habitants en Indre-et-Loire, Saint-Cyr-sur-Loire, coopère depuis 25 ans avec Koussanar au Sénégal, notamment parce que Léopold Sédar Senghor a été professeur de lettres à Tours. Quand le centre social financé par Saint-Cyr-sur-Loire a été inauguré, le maire a dû se battre pour qu'il y ait un drapeau français à côté du drapeau sénégalais. Cela ne manque pas de nous inquiéter dans une région où la France perd son influence.

La suppression de votre poste inquiète les collectivités pour leurs projets de coopération décentralisée. Par ailleurs, alors que ma région ne compte que six départements, je n'ai vu qu'une fois en 7 ans le conseiller diplomatique auprès du préfet de région.

Connaissez-vous le budget que consacrent les collectivités locales à la coopération décentralisée ?

Enfin, je suis gêné par le côté descendant, certains disent même condescendant, des appels à projets. Existe-t-il un atlas des différentes actions des collectivités, de leur contenu et de leur montant ?

M. Jean-Paul Guihaumé. - Le président de la République semble avoir anticipé votre question puisqu'à l'issue de la rencontre de Saint-Denis le 30 août, il a annoncé la tenue prochaine d'Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, sans doute à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février. J'aurais préféré qu'il usât de l'expression « diplomatie des territoires » à laquelle je crois beaucoup. Cette démarche est très importante pour les parlementaires mais aussi pour les élus locaux qui ont besoin de sentir qu'ils sont traités non pas d'égal à égal mais de la même manière que les parlementaires. Ils s'inquiétaient en effet d'être noyés dans la masse de la société civile. Or, être titulaire d'un mandat électoral, exercer des responsabilités conférées par le suffrage universel, n'est pas de la même nature qu'exercer une activité au sein d'une association.

Nous préparons ces Assises sur le volet de la coopération décentralisée. Ce sera un rendez-vous très important, qui devrait se répéter chaque année.

J'entends ce que vous dites sur le caractère descendant voire condescendant des appels à projets. J'y suis particulièrement attentif depuis que j'ai pris mes fonctions à la DAECT. Je suis en effet doublement suspect aux yeux des élus locaux, à la fois comme fonctionnaire d'État et comme parisien.

Nous discutions de nos appels à projets au sein de la CNCD parce qu'il est difficile de s'adresser aux 35 500 communes de France. Ce sont elles qui ont l'initiative et il est très difficile de les convaincre d'engager une action de coopération. Vous savez combien l'action extérieure n'est pas toujours bien perçue, c'est un peu la variable d'ajustement. Beaucoup d'élus m'ont récemment expliqué qu'il était difficile de parler de coopération décentralisée après avoir baissé la température de l'eau de la piscine de 2°C.

Nous partageons cette volonté de co-construire avec les 10 villes membres du réseau des villes créatives de l'Unesco. Nous interrogeons les maires de ces 10 villes pour savoir comment nous pouvons les aider à rayonner à l'international.

Beaucoup de progrès ont été réalisés sur le travail des CDPR grâce à la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l'Intérieur, mais aussi grâce à l'engagement de plusieurs collègues du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Ces postes ne sont pas encore bien connus et des collègues n'ont pas complètement identifié leur rôle. Nous avons élaboré un vade-mecum et nous communiquons en interne. Tant que les CDPR ne seront pas connus par tous les rédacteurs géographiques du Quai d'Orsay, il n'y aura pas de circulation suffisante de l'information entre les services centraux du ministère et le réseau des CDPR. Il y a aujourd'hui une réunion présidée par le directeur des affaires européennes et internationales du ministère de l'Intérieur pour rendre compte de l'état des dossiers justice-affaires intérieures. Il est en effet indispensable que les CDPR disposent d'un niveau d'information suffisant pour conseiller le préfet et les élus qui se tournent vers eux.

Dans de nombreux domaines, par exemple dans les relations avec la Chine qui sont toujours compliquées, mais aussi dans les relations avec les pays du Sahel, les CDPR sont de plus en plus souvent consultés par les élus locaux qui ont compris qu'ils pouvaient compter sur eux.

J'ajoute que si tous les postes de CDPR ne sont pas pourvus et s'il est difficile d'envisager de créer ce type de poste au niveau départemental, je n'ai jamais refusé un déplacement à l'invitation d'un élu local.

M. Stéphane Fouassin. - Le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) a pris des mesures nous permettant de travailler avec des pays de la zone pour les matériaux et leur mise aux normes.

Avez-vous des projets dans le cadre du développement économique ? Disposez-vous d'un fascicule expliquant la manière dont les collectivités peuvent travailler avec la DAECT pour que nous puissions le distribuer dans nos circonscriptions ?

M. Jean-Paul Guihaumé. - D'autres services ou opérateurs de l'État sont plus spécialisés dans le soutien économique que la DAECT mais le champ économique n'est pas exclu de la coopération décentralisée. C'est l'existence d'un lien politique entre les parties qui est pour nous essentielle. Nous travaillons avec le Conseil régional du Grand Est sur une plateforme liée à la transition écologique avec l'ensemble de l'Allemagne, et pas uniquement avec les Länder frontaliers. C'est un projet doté d'une forte dimension économique. Nous intervenons au moment de l'amorçage des projets qui seront ensuite soutenus par d'autres acteurs.

J'ai pris mes fonctions pendant la crise sanitaire, ce n'était donc pas le moment le plus propice pour sillonner la France métropolitaine et ultramarine dans le but de faire connaître notre action. Nous nous appuyons sur les associations de collectivités territoriales et sur les réseaux régionaux multi-acteurs (RRMA). Ils n'ont pas tous la même forme juridique. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, c'est un Groupement d'intérêt public (GIP), en Île-de-France, une structure associative. Les RRMA réunissent des représentants des collectivités territoriales et des partenaires essentiels comme les instituts de recherche, les associations de solidarité internationale, les lycées agricoles, les chambres des métiers, etc. et connaissent nos appels à projets.

La vraie difficulté réside dans la compétence à monter des projets. Même si nos appels à projets sont plus simples que les appels à projets européens, nous devons rendre compte de l'utilisation de fonds publics et nous avons besoin d'un minimum d'informations. Beaucoup de collectivités territoriales ne disposent pas d'agents formés pour monter des projets de cette nature. Par ailleurs, il ne s'agit pas uniquement de convaincre l'élu en charge de la coopération décentralisée mais aussi ceux qui sont en charge des espaces verts, de la gestion de l'eau, de participer à un projet international. Pourquoi travailleraient-ils sur un projet lointain alors qu'ils manquent de temps pour gérer les dossiers dont ils sont responsables à l'échelle locale ?

Nous disposons de fascicules, je participe à toutes les grandes réunions de collectivités territoriales et me rends le plus possible dans les territoires.

Nous travaillons avec l'AFD au renforcement des équipes autour des élus locaux pour qu'elles puissent monter ces projets, notamment en outre-mer.

Enfin, les projets ultramarins sont souvent pénalisés car les comités de sélection considèrent qu'une part excessive des dépenses est affectée aux billets d'avion. Aller d'une île à l'autre aux Antilles coûte souvent plus cher que de se rendre de Paris à Dakar. C'est particulièrement vrai pour les projets structurants liés au sport.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Je suis étonnée que vous n'ayez mentionné aucun projet portant sur la formation et sur l'emploi alors que ce sont des sujets importants dans les territoires ultramarins dont la population est généralement jeune, et que vous avez fait état de l'attractivité du Québec pour les populations antillaises. Vous n'avez pas non plus évoqué les problèmes de sécurité et de délinquance. Ce sont pour moi des thématiques prioritaires sur lesquelles il faudrait susciter une réflexion.

M. Jean-Paul Guihaumé. - Nous avons regroupé plusieurs dimensions dans le thème jeunesse, dont la dimension formation. Je ne sais pas s'il aurait fallu la distinguer mais il est plus simple pour la DAECT de gérer une quinzaine d'appels à projets sous le vocable général « jeunesse » que de réunir plusieurs comités de sélection.

Nous avons des projets liés à la formation, par exemple un projet de mobilité des apprentis boulangers et pâtissiers de La Réunion dans la zone de l'océan Indien, avec le Conseil départemental. Nos jeunes formés dans les métiers de bouche et de services sont prisés et ont besoin de gagner en expérience à l'étranger, notamment pour améliorer leurs compétences linguistiques.

Je partage votre préoccupation, il n'y a pas assez de projets de cette nature. Il faudrait peut-être que nous nous rapprochions des organismes de formation professionnelle, non pas pour les soutenir directement, mais pour qu'ils sollicitent les élus locaux.

Dans le domaine de la sécurité, nous n'avons pas mené d'action particulière pour encourager les collectivités à monter des projets.

M. Mikaele Kulimoetoke. - Les territoires du Pacifique sont très bien placés au sein de la région Indopacifique et l'État s'inquiète de la présence de la Chine dans la région.

Il est très important de faire le lien entre l'État et la région Pacifique car il y a en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des gouvernements indépendantistes. Il faut que l'État se penche sur les difficultés des communautés du Pacifique pour comprendre l'origine de ces réactions. J'ai également suggéré au ministère de l'Intérieur et des Outre-mer d'approfondir une réflexion sur la mise en place d'une région Pacifique pour répondre aux problèmes de l'axe Indopacifique.

Dans le cadre des questions au Gouvernement, je me suis étonné que les îles de Wallis-et-Futuna soient inscrites sur la liste de l'OCDE, comme si nous étions un pays sous-développé étranger.

M. Jean-Paul Guihaumé. - Je suis rentré au Quai d'Orsay dans la section Extrême-Orient Pacifique et j'ai eu la chance de me rendre à Wallis-et-Futuna. J'en ai gardé un excellent souvenir.

Je ne peux pas répondre à vos questions car, comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, la DAECT n'est pas compétente pour le Pacifique.

Je peux simplement rappeler que, parmi les réformes mises en place au Quai d'Orsay à la suite des États généraux de la diplomatie, il y a la constitution d'une académie diplomatique ouverte aux fonctionnaires territoriaux. Il est très important que les collectivités territoriales du Pacifique y envoient leurs agents pour se former et débattre. Ils auront ainsi une meilleure compréhension des enjeux globaux qui touchent les territoires français du Pacifique dans le cadre général de la politique extérieure de la Chine ou de l'Inde.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué la Martinique, qui est très en avance en termes de stratégie régionale de développement. Est-ce que le manque de formation et de connaissance des élus et du personnel administratif explique que les autres territoires soient moins avancés ? Que pensez-vous de la création de postes fléchés sur la coopération régionale ?

Vous avez par ailleurs mentionné le prix des billets d'avion. Je pense qu'il y a une méconnaissance, dans les instances nationales, de la situation des territoires. Parmi les aberrations, pour se rendre de Guadeloupe à Cuba, il faut passer par Paris !

M. Jean-Paul Guihaumé. - Je ne veux pas terminer cette audition sans mentionner le travail de mes collègues ambassadeurs délégués à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien et dans la zone Atlantique. Ils sont à pied d'oeuvre pour renforcer la coopération régionale de nos territoires.

Je ne veux juger une collectivité par rapport à une autre mais je constate, pour la Martinique, qu'il est plus commode de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour l'échelon régional et l'échelon départemental. J'ajoute que le président de la collectivité territoriale est très engagé dans la coopération territoriale, il y a même une loi qui porte son nom en matière d'action extérieure. Nous n'avons pas encore mentionné Mayotte. Ce département est confronté à une difficulté supplémentaire par rapport aux autres collectivités ultramarines. En effet, ses relations avec son voisin immédiat, les Comores, sont difficiles. Des projets qui auraient eu du sens ont parfois avorté en raison des tensions entre les deux entités. Mayotte est soumise à toutes sortes de difficultés pour participer à des événements sportifs régionaux. C'est d'autant plus dommageable que Mayotte aurait encore plus besoin que d'autres collectivités de s'insérer dans son environnement immédiat. J'admire l'engagement des élus de Mayotte qui s'efforcent de développer des relations avec Djibouti ou Madagascar.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez apportées.

Je note que le bassin Pacifique n'entre pas dans le champ de compétence de la DAECT et que les collectivités ultramarines participent peu aux appels à projets. Il me semble important de comprendre pourquoi et d'interroger celles qui ont mis en place des stratégies d'intégration régionale comme la Martinique, ou des projets innovants sur la formation comme La Réunion.

Nous sommes ravis d'avoir pu bénéficier de votre expertise et vous nous avez donné des éléments pour poursuivre nos travaux.

M. Jean-Paul Guihaumé. - Je reste à la disposition des rapporteurs.

Jeudi 18 janvier 2024

Audition d'Olivier Jacob, directeur général des outre-mer

Mme Micheline Jacques, président. - Mesdames, Messieurs, Chers collègues, M. Olivier Jacob ne peut pas participer à cette audition en raison de son déplacement à La Réunion à la suite du cyclone Belal. Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général des outre-mer, le remplace et nous l'en remercions vivement.

Elle est accompagnée de :

- Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques ;

- M. Olivier Benoist, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles ;

- M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien et

- M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique.

Comme vous le savez, notre délégation a décidé de travailler sur deux thèmes d'étude. Le premier concerne l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer. Le second porte sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Madame la directrice, vous pourrez si vous le souhaitez nous éclairer aussi sur l'ampleur de la catastrophe qui touche également l'île Maurice et les moyens mis en oeuvre. J'exprime à nos concitoyens réunionnais toute notre solidarité face aux épreuves qu'ils affrontent.

Concernant le déroulé de cette réunion, nous allons commencer par la mission sur la coopération régionale pour laquelle nous avons désigné un rapporteur coordonnateur, M. Christian Cambon.

En outre, trois binômes de rapporteurs ont été nommés :

- pour le bassin Pacifique, Mme Evelyne Corbière Naminzo et M. Rachid Temal ;

- pour le bassin Atlantique, M. Teva Rohfritsch et Mme Jacqueline Eustache-Brinio ;

- pour le bassin Indien, M. Georges Patient et Stéphane Demilly.

Compte tenu des nombreux sujets à aborder, je vais vous céder la parole sans plus tarder pour votre propos liminaire.

Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général des outre-mer. - Je vous remercie madame la Présidente.

Je réitère d'abord les excuses de M. Olivier Jacob. Il accompagne le ministre de l'Intérieur à La Réunion.

Le cyclone Belal s'éloigne de La Réunion, où la situation est sous contrôle. À ce stade, le bilan humain est faible mais le bilan matériel est important. Des renforts ont été envoyés depuis l'Hexagone et Mayotte, illustrant la mise en oeuvre de la solidarité nationale.

La reconstruction débute avec le soutien des différents ministères. Le fonds de secours outre-mer notamment sera rapidement déployé à destination des collectivités sinistrées ainsi que des entreprises agricoles.

J'en reviens au thème de votre étude sur la coopération régionale. Je vous propose de dresser un panorama général avant de donner la parole aux ambassadeurs pour évoquer la situation bassin par bassin. Ils pourront ainsi croiser leurs regards sur l'océan Atlantique comme sur l'océan Indien.

Sur le fond, je crois que nous partageons les premiers constats que vous avez dressés. Le développement de la coopération régionale est, en l'état, insuffisant. Il est ainsi nécessaire de favoriser son développement pour contribuer au développement économique des territoires.

Nous partageons également le constat que cette coopération peut s'avérer un outil pertinent de lutte contre la cherté de la vie, sans être le seul pour autant.

Les outre-mer sont une chance pour la France, ils lui confèrent une place singulière au sein de l'Europe. En effet, elle est le seul membre de l'Union européenne à avoir à la fois des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). C'est le seul pays à avoir des frontières avec les États sur les trois bassins. Ce positionnement induit des enjeux stratégiques conséquents qui sont autant d'éléments clés de la politique de défense française. Il s'agit également d'éléments clés en matière économique en raison de la zone économique exclusive.

Les enjeux de sécurité sont aussi essentiels. Les territoires des outre-mer doivent pouvoir entretenir des relations fluides et riches avec leur environnement régional.

Compte tenu de la présence de la France sur les trois océans, la coopération régionale constitue l'une des priorités à laquelle s'emploie au quotidien le ministère des Outre-mer avec ses partenaires, dont notamment le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Pour ce qui concerne le degré d'insertion régionale sur lequel vous nous avez interrogés, nous n'avons pas d'étude exhaustive fondée sur une méthodologie unique. Toutefois, les instituts d'émission d'outre-mer réalisent des études régulières sur ce sujet. Lorsque nous observons le niveau de développement économique, nous constatons que l'insertion est perfectible. En effet, les échanges commerciaux sont à la fois faibles et déséquilibrés au profit de l'Hexagone et de l'Union européenne. Les exportations sont essentiellement concentrées sur quelques productions singulières et importantes. Ces économies manquent d'avantages comparatifs vis-à-vis de leurs voisins qui peuvent pourtant présenter un niveau de développement bien inférieur. Les normes qui s'imposent dans les outre-mer peuvent constituer un frein à leur compétitivité. Le protectionnisme économique de certains voisins peut également représenter un obstacle.

C'est pourquoi, afin de faciliter l'insertion régionale, la DGOM favorise la création de valeurs dans les territoires.

La coopération régionale est également une priorité dès lors qu'elle peut contribuer à lutter contre la vie chère, même si les déterminants de ce phénomène sont, je le redis, plus complexes. Substituer les importations européennes par des importations de pays voisins peut s'avérer en réalité très onéreux. La mondialisation des flux a réduit les coûts de fret des importations en provenance de l'Europe, là où les échanges interrégionaux demeurent très coûteux.

Par exemple, nous pourrions penser en théorie qu'avoir davantage d'importations à moindre coût permettrait de répondre à la cherté de la vie, mais une partie des frais d'approche des approvisionnements est quasiment forfaitaire. Ainsi, nous y gagnerons un peu, mais il faut penser que ce coût de fret peut être parfois plus cher dans l'environnement proche que depuis l'Hexagone en raison de la massification des flux. Cette logique peut sembler contre intuitive, mais cela est bel et bien le constat dressé.

En outre, nous avons un enjeu très fort en matière de protection des consommateurs puisque, aujourd'hui, l'ensemble des consommateurs ultramarins bénéficie de la protection et des normes de l'Union européenne. Ainsi, les importations au sein d'un environnement proche sont possibles, mais à équivalence de normes et de protection pour les consommateurs. C'est pourquoi l'action du ministère des outre-mer au sujet de l'importation dans la zone est ciblée sur des produits dont les prix sont significativement plus bas et les normes équivalentes.

J'ajoute à cela un dernier élément à prendre en compte. Compte tenu des niveaux de développement hétérogènes au sein de chacune des zones, il y a un enjeu de protection des productions locales.

Enfin, sur les normes, les autorités françaises veillent à la prise en compte des spécificités des régions ultramarines dans le cadre des négociations européennes.

L'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet d'avoir des adaptations aux spécificités des RUP. Les autorités françaises tentent de le rendre effectif. Cet objectif a été réaffirmé en novembre dernier au sujet de l'avenir de la politique de cohésion. Nous avons obtenu, sur proposition de la délégation française, que l'ensemble de la réglementation européenne comporte à présent une étude d'impact sur l'effet de ces normes sur les RUP.

Un autre exemple d'actualité, emblématique de l'adaptation des normes, est la révision de la réglementation relative aux matériaux de construction. Il s'agit d'une demande inscrite depuis un certain temps et portée par l'ensemble des élus des outre-mer. Nous aurons bientôt la possibilité de déroger à l'obligation de marquage « Union européenne » pour permettre un marquage RUP.

En décembre dernier, la réunion de trilogue a adopté le texte. Il fera à l'avenir l'objet d'une adoption formelle. Si le Parlement vote la disposition avant les élections européennes, nous entamerons les travaux pour préparer les textes réglementaires et rendre effective cette avancée.

Afin d'ancrer le réflexe outre-mer, nous proposerons une instruction au Premier ministre pour rappeler à l'ensemble des ministères de prendre en compte la dimension ultramarine dans les négociations internationales qu'ils conduisent. En effet, la DGOM n'est pas toujours associée à ces négociations.

Je terminerai mon propos par quelques éléments sur l'action menée pour développer une diplomatie commune avec les territoires ultramarins. À la suite de la loi NOTRe, de nouvelles compétences ont été données aux collectivités. Pour accompagner ces compétences, nous avons déployé depuis 2016 des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région. Ce réseau n'est pas entièrement achevé. Quelques conseillers diplomatiques restent à installer.

En outre, une action est en cours de finalisation concernant les actes stratégiques concertés par bassin entre l'État et les collectivités afin de s'entendre sur les priorités de notre action commune à l'international. Une stratégie est également en cours au sujet des échanges commerciaux des territoires situés sur les océans Atlantique et Indien. L'enjeu est d'identifier les freins aux échanges et de mettre en place une stratégie pour les fluidifier et les diversifier.

Enfin, en parallèle dans la zone Pacifique - puisque les collectivités du Pacifique ont des compétences élargies par rapport aux autres collectivités ultramarines - nous finalisons un guide pratique à leur destination. Il porte sur l'action extérieure de la France pour aider ces territoires à s'emparer de ces outils afin que la coopération régionale soit pleinement effective.

Madame la Présidente, je vous propose à présent d'effectuer un éclairage par bassin.

M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique. - Je voudrais souligner quelques points relatifs aux questions d'intégration et d'insertion régionales.

D'un point de vue diplomatique, une revalorisation stratégique des outre-mer est constatée, en lien avec la situation internationale, notamment la compétition entre les États-Unis et la Chine. Cela est particulièrement le cas dans la zone Indopacifique. Des répercussions dans le bassin Atlantique et dans les Caraïbes sont également à noter.

Le rôle et les enjeux liés aux océans ont une importance croissante. À titre d'exemple, les États-Unis ont initié un partenariat avec plusieurs pays de l'Atlantique.

En outre, depuis une vingtaine d'années, les postes d'ambassadeurs chargés de la coopération régionale Antilles-Guyane - désormais appelés Atlantique depuis l'insertion de Saint-Pierre-et-Miquelon - et de la coopération régionale océan Indien ont été créés à l'occasion de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2020 d'orientation pour l'outre-mer. Ainsi, nous disposons d'un certain recul sur ce dispositif. Le poste lié au Pacifique est plus ancien puisqu'il date des années 1980.

Je constate depuis ces vingt dernières années les bons résultats de la politique de l'État en faveur de l'intégration des outre-mer dans les organisations régionales.

En effet, la Martinique et la Guadeloupe sont entrées dans l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) et Saint-Martin intégrera bientôt cette organisation.

La Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin sont notamment entrés dans l'association des États de la Caraïbe.

Aujourd'hui, la dernière étape est la Communauté des Caraïbes (Caricom), qui est l'organisation historique des pays de la Caraïbe. La Guyane et la Martinique sont candidats pour devenir membres associés de la Caricom.

Les collectivités jouent le jeu de la coopération et les élus participent aux actions. Les moyens de la coopération régionale sont aujourd'hui principalement fournis par le programme européen Interreg.

Le programme Amazonie, géré par la collectivité territoriale de Guyane, permet de développer des projets structurants avec les États du nord du Brésil. En outre, le programme Caraïbe, géré par la région Guadeloupe, est associé aux collectivités de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Ce rôle de l'Union européenne est crucial. L'État met également à disposition des préfectures le fonds de coopération régionale. En réalité, ce fonds soutient plutôt aujourd'hui les petits projets. L'action des collectivités compte également.

Dans le cadre de la coopération internationale en lien avec l'État et les collectivités, la montée de l'insécurité et des trafics dans l'ensemble caribéen est une réalité. Je pense que cela est évident au sujet du trafic de drogue et d'armes dans l'ensemble caribéen. Concernant la Guyane, une série de menaces et de défis ont été identifiés tels que la pêche illégale. Le sénateur Georges Patient présent parmi nous connaît parfaitement ces sujets.

La relation de la Guyane avec le Suriname et le Brésil est cruciale dans nombre de domaines, notamment dans celui de la coopération de sécurité. Il s'agit avant tout d'une compétence de l'État qui s'exerce au profit des territoires. Nous parlons d'un sujet qui progresse.

M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien. - Je voudrais en particulier souligner que notre action s'inscrit dans un double objectif : promouvoir l'attractivité des outre-mer dans la zone de l'océan Indien et les intégrer dans la région. Il faut véritablement intégrer ces territoires dans notre politique étrangère et dans nos objectifs stratégiques.

Mme Karine Delamarche a évoqué la stratégie Indopacifique. Dans la zone de l'océan Indien, nous représentons une part importante de l'Indopacifique et donc une part importante de la stratégie française et européenne.

Mon collègue a évoqué les enjeux régaliens. 70 % du commerce entre l'Union européenne et l'Asie passe par le transport maritime à travers l'océan Indien.

Nous avons effectivement des enjeux géostratégiques importants en lien avec l'Indopacifique. Nous bénéficions des atouts que nos outre-mer apportent dans la région. La Réunion est un point d'ancrage de notre politique étrangère et de la sécurité régionale. Elle est également un pilier pour notre stratégie Indopacifique avec le troisième port militaire et la troisième zone économique exclusive dans la zone - la deuxième au niveau mondial.

Intégrer nos outre-mer dans ces objectifs stratégiques constitue une véritable priorité. Travailler au renforcement de leur attractivité l'est également.

Dans l'océan Indien, nous pouvons renforcer la coordination de nos actions nationales à partir du fonds de coopération régionale ainsi que la coordination avec le financement Interreg, notamment à La Réunion, mais également à Mayotte.

Il existe également des possibilités de financement européen vis-à-vis d'actions très importantes dans la zone de l'océan Indien, particulièrement au profit de partenaires de la France ou pour appuyer les organisations régionales. En outre, nous bénéficions de la présence de la France à travers deux organisations régionales que sont la Commission de l'océan Indien (COI)et l'Association des pays riverains de l'océan Indien (IORA), dont nous sommes membres permanents depuis trois ans. Je rappelle l'importance de travailler avec les institutions européennes.

Nous sommes un partenaire important de la Commission de l'océan Indien, notamment avec un financement important de l'Agence française de développement (AFD) qui est le premier contributeur financier de la COI. Toutefois, l'Union européenne est le deuxième contributeur financier et s'avère un soutien très fort de la COI. L'Union européenne est également devenue observatrice de l'IORA. L'Union européenne va financer un certain nombre d'actions dans ce cadre, comme la France à travers l'AFD.

Dans ces deux organisations, les outre-mer jouent un rôle, en particulier La Réunion. Mayotte a un potentiel de développement par la coopération régionale notamment grâce à l'Interreg et à ses nombreux atouts.

Ces deux organisations régionales nous permettent de couvrir géographiquement trois principaux cercles dans l'océan Indien :

- les îles du Sud-Ouest qui sont membres de la commission de l'océan Indien ;

- la côte africaine avec laquelle La Réunion et Mayotte coopèrent de plus en plus ;

- les pays riverains de l'Indopacifique tels que l'Inde ou l'Indonésie qui sont des partenaires stratégiques.

Nous travaillons également à mettre en avant les atouts des collectivités. Je voudrais indiquer que nous travaillons avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en plus de La Réunion et de Mayotte. La Réunion reste le vaisseau amiral de la politique française dans l'océan Indien. Pour autant, les TAAF ont une capacité de coopération scientifique. En effet, des feuilles de route ont été développées récemment avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) pour une coopération scientifique avec les partenaires de la région. J'ai évoqué l'importance de la ZEE. Dans nos échanges, nous avons l'occasion d'évoquer les projets prometteurs à partir des atouts de chacun. La Réunion, par exemple, est véritablement initiatrice de projets structurants dans le cadre de l'IORA avec nos partenaires indiens, indonésiens, australiens, sud-africains sur un certain nombre de sujets. Ainsi, La Réunion met en oeuvre pour la France la politique de stratégie Indopacifique ainsi que des partenariats stratégiques avec un certain nombre d'acteurs régionaux.

Au sein de la commission de l'océan Indien, nous souhaitons porter une véritable communauté de destins avec des projets très structurants en cours et en développement que nous continuerons à soutenir. Je voudrais en mentionner deux.

Le premier programme, à travers le réseau SEGA - One Health, porte sur la santé humaine, animale et l'impact environnemental. Il comporte une structure opérationnelle - de gestion de crise en matière de santé et de surveillance épidémiologique qui a fait ses preuves dans le contexte de la crise du Covid. Son action se poursuit avec le soutien des partenaires, notamment la France et l'Union européenne.

Le deuxième programme appelé MASE porte sur la sûreté maritime. J'ai évoqué ces enjeux géostratégiques. La commission de l'océan Indien, avec notre appui et celui de l'Union européenne, est partenaire dans la mise en oeuvre, dans le contexte d'une politique européenne de promotion de la sécurité et de la sûreté maritimes en Afrique et dans la zone de l'océan Indien, d'un programme qui gère en particulier deux centres mutualisés, un de fusion d'information opérationnelle à Madagascar et un autre de coordination opérationnelle située aux Seychelles.

Mme Micheline Jacques, président. - Je laisse la parole aux deux rapporteurs pour le bassin de l'océan Indien.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - En France hexagonale, une inflation de 4,9 % a été enregistrée cette année. J'ai posé une question écrite au Gouvernement sur le ressenti et le réel. Pour l'inflation, des chiffres officiels sont annoncés par l'Insee. Pour autant, le ressenti des populations diffère. Ces chiffres de l'Insee ne sont pas en phase avec le ressenti des populations. Un taux officiel est communiqué par département. Il serait intéressant de se pencher sur la réaction de la population par rapport à l'inflation.

Mme Karine Delamarche. - En réalité, le niveau d'inflation est moindre dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Pour autant, le niveau de prix actuel reste très élevé. L'inflation commence à être réellement perçue dans l'Hexagone mais, dans les territoires ultramarins, il s'agit déjà d'un phénomène ancien. Cependant, des sujets lourds sont à traiter dans ces territoires comme l'octroi de mer, le coût des importations, l'absence de diversification.

Mme Micheline Jacques, président. - Je passe la parole à Georges Patient, en visioconférence.

M. Georges Patient, rapporteur. - J'aimerais obtenir des précisions quant à la gouvernance de la coopération régionale. Comment le travail est-il réparti entre les ministères ? Dans l'océan Indien, comment pouvons-nous concevoir l'absence de Mayotte à la Commission de l'océan Indien ? En effet, la France et l'Europe sont des financeurs importants. L'AFD y joue un rôle très actif.

M. Roland Dubertrand. - Les ambassadeurs de la coopération régionale de la zone Atlantique et de l'océan Indien ont une lettre de mission cosignée par le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères et le ministre des Outre-mer. Des instances se sont développées dans le respect des compétences de chacun sous l'égide du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Dans leur domaine de compétences, les collectivités ont des possibilités d'interagir à l'international. Désormais, les DROM ont acquis des compétences internationales que les régions métropolitaines n'ont pas, notamment celles de signer des accords de coopération avec les États étrangers si elles le souhaitent. Nous avons donc, d'une part, les compétences traditionnelles de l'État en politique extérieure qui sont bien établies et, d'autre part, les compétences de l'action internationale des collectivités dont des compétences nouvelles pour les DROM. Des compétences nouvelles sont en effet à souligner pour les DROM, en particulier depuis la loi Letchimy de 2016.

Pour travailler ensemble dans le respect des compétences de chacun, les ambassadeurs chargés de la coopération régionale sont aussi chargés d'organiser les conférences de coopération régionale. Concernant la région Antilles-Guyane, une conférence de coopération régionale a lieu chaque année. La dernière s'est tenue en Guadeloupe au mois de mars dernier. La prochaine se déroulera pour la première fois à Saint-Martin en avril prochain. Il s'agit d'une instance prévue par la loi qui est un moment de dialogue entre l'État, les collectivités, les élus et les acteurs publics et privés de la coopération.

Une plateforme de coopération régionale à destination des ambassadeurs est mise en place. Pour Antilles-Guyane, une réunion en visioconférence a lieu tous les deux mois avec les agents de préfecture, les services des collectivités chargés de la coopération régionale et les conseillers culturels et de coopération dans la région Caraïbes et du plateau des Guyane. Il s'agit d'une instance d'information et de concertation.

En outre, la mesure n° 54 du CIOM engage une réflexion pour mieux associer les collectivités d'outre-mer par bassin à la politique extérieure de l'État. C'est pourquoi des stratégies de bassin entre l'État et les collectivités pourraient être proposées pour avoir une vision concertée par zone. Il s'agirait d'une réelle avancée.

M. Jean-Claude Brunet. - À l'échelle de l'océan Indien, la prochaine conférence de coopération régionale se tiendra à Mayotte. Au même moment, se déroulera également le Forum économique des îles de l'océan Indien. Mayotte participe déjà à un certain nombre d'actions régionales, notamment dans le domaine économique à travers Cap Business océan Indien, mais également dans le cadre de la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien et de la Conférence sur les Jeux des îles.

Le consensus des États membres est nécessaire au sein de la Commission de l'océan Indien (COI). Depuis 2019, nous avons progressé dans un certain nombre de domaines pour lesquels Mayotte, ses intervenants et acteurs, sont parties prenantes. Je pense à des programmes prévus dans le contexte de la COI. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous travaillons étroitement avec l'ensemble de nos partenaires.

En outre, au-delà de la gouvernance régionale qui inclut pleinement Mayotte, nous travaillons également avec l'État, Mayotte et le conseil départemental sur un renforcement de la coopération pour aider Mayotte et les cadres en charge de la coopération régionale. L'objectif est d'améliorer leur connaissance et leur spécialisation sur les sujets de politique régionale et de coopération internationale. C'est pourquoi un certain nombre d'actions préparées ont été mises en oeuvre par Mayotte, en particulier entre les ministères de l'Europe et des Affaires étrangères, des Outre-mer et la DGOM. En effet, Mayotte dispose d'atouts importants avec un potentiel conséquent à développer. Les liaisons aériennes se développent. Les coopérations de Mayotte avec les îles voisines comme Madagascar, mais aussi avec la Tanzanie et le Mozambique s'intensifient.

En matière de soutien pour l'attractivité économique, nous menons avec mon collègue Roland Dubertrand un travail en commun dans le contexte du CIOM, plus précisément sur la mesure n° 9 portant sur les stratégies commerciales.

Nous développons des propositions de diplomatie économique pour soutenir nos outre-mer. Je voudrais signaler que les entreprises et entrepreneurs mahorais sont déjà parties prenantes d'actions menées dans la région. Je souhaite rappeler un événement qui s'est tenu en 2023 à Maputo au Mozambique avec une Team France Export et des entrepreneurs mahorais et réunionnais dans ce pays. Il existe un fort potentiel de développement des coopérations.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je souhaite revenir sur le sujet de la diplomatie des outre-mer. De nombreuses actions ont déjà été engagées ces dix dernières années.

Placer des conseillers diplomatiques auprès des préfets plutôt qu'auprès des exécutifs locaux n'est-il pas un frein pour travailler avec les outre-mer ?

Dans quelle mesure pensez-vous que les actions de coopération des outre-mer risquent de contrevenir à une politique nationale en la matière ?

Il faut pouvoir évoquer sans tabou ces sujets au sein de cette délégation. Nous avons aussi pu entendre, hier, dans le cadre du groupe d'amitié avec les élus du Pacifique, une volonté de la part des agents de l'AFD de mener une stratégie par bassins.

Ainsi, il faut réfléchir à mieux associer les conférences régionales à l'AFD et aux ambassadeurs, notamment pour participer en amont à la définition des stratégies régionales, au-delà des compétences des collectivités.

Je pense par exemple, dans le cadre du Pacifique, aux discussions portant sur la pose d'un câble en coopération avec la Nouvelle-Zélande pour raccorder la Polynésie française d'une nouvelle manière.

Le Gouvernement de la Polynésie française a mené un certain nombre de discussions. Quelques blocages ont été rencontrés notamment parce que les collectivités n'ont pas été suffisamment associées en amont. Aucune discussion stratégique n'a été menée avant d'entamer des discussions opérationnelles.

Identifiez-vous des blocages ?

M. Roland Dubertrand. - Je vais répondre au sujet de la conférence de coopération régionale. À mon sens, cela correspond à l'esprit de la mesure n° 54 du CIOM qui vise notamment à mieux associer l'État et les collectivités dans l'action extérieure.

Concernant la conférence Antilles-Guyane, nous formons un groupe de travail en visioconférence animé par l'ambassadeur, avec les préfectures et les collectivités. Nous parlons de l'organisation matérielle de la conférence, mais aussi du contenu, de ce qu'il se passe dans les sessions. Un premier débat porte sur le type de recommandations que nous voudrions réaliser ensemble.

Ainsi, dans le cas de la Guadeloupe, un tableau de 13 recommandations communes a été créé en mars dernier. Nous nous sommes mis d'accord sur une série de préconisations. Je pense qu'il s'agit d'une méthode de travail adéquate. Les conférences de coopération régionale doivent être réalisées de manière concertée.

La phase actuelle concerne les stratégies de bassin proposées aux collectivités. Dans le cadre de la réflexion sur la mesure n° 54, d'autres étapes suivront. Souhaitons-nous par exemple conclure des conventions sur la manière de travailler ensemble au sein des organisations régionales ? Nous devons regarder ensemble les différents outils. La ligne générale est une meilleure association des collectivités à l'action extérieure régionale.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Concernant le ressenti des populations vis-à-vis de l'inflation, la réponse de Madame Karine Delamarche souligne l'existence d'un véritable problème d'indicateurs, notamment concernant les estimations de l'Insee en outre-mer. Le personnel de l'Insee réalise un travail formidable. Il mériterait cependant d'approfondir son approche. Il suffit de vivre dans les territoires pour constater que les prix sont intenables.

Nous parlons des collectivités les plus pauvres de France.

En outre, nous ne pouvons pas nous contenter des réponses de la COI. En effet, l'Europe finance la COI. Mayotte n'intègre pas la COI, sous la pression des Comores qui mènent une politique postcoloniale. Nous souhaitons que les jeunes réalisent des compétitions avec le drapeau français et chantent la Marseillaise. Mayotte mérite sa place à part entière dans ces instances régionales, sans la comparer à La Réunion qui reste le vaisseau amiral. La situation géographique fait de Mayotte un lieu de passage stratégique. Le fait qu'elle ne puisse pas en tirer profit est scandaleux, notamment en raison de problématiques insurmontables. Nous reconnaissons les efforts faits, mais cela s'avère insuffisant. Je rappelle que Mayotte est un département à part entière.

M. Jean-Claude Brunet. - Un courrier a été adressé en octobre 2023 à Madame Catherine Colonna au sujet d'un déplacement à l'ONU en vue de défendre la souveraineté française à Mayotte devant la communauté internationale. Dans son courrier en réponse, daté du 30 novembre 2023, la ministre a affirmé son soutien aux élus nationaux et territoriaux de Mayotte et a indiqué avoir demandé à la représentation permanente de la France auprès de l'ONU à New York d'apporter tout l'appui nécessaire à l'organisation de ce déplacement.

Mme Micheline Jacques, président. - À titre personnel, j'assure les Mahorais de mon soutien et je ne doute pas de celui de la délégation. Je salue les revendications de Mayotte pour être pleinement reconnue comme un territoire français dans la zone.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - La situation est réellement complexe. Les élus locaux doivent éprouver des difficultés pour appréhender cette problématique. Des points d'amélioration pourraient être trouvés.

Nous devons comprendre ces freins pour la coopération régionale. Je pense que la complexité peut expliquer le retard pris.

Il est étonnant que nous n'ayons pas eu ce matin une réflexion sur le dispositif de formation. Or, il s'agit véritablement de l'une des difficultés de ces territoires. Pour donner de l'espoir et un avenir aux jeunes de ces territoires, ce sujet devrait constituer une priorité.

Mme Karine Delamarche. - Je vous rejoins sur la complexité qui peut être liée à celle d'Interreg.

Pour ce faire, le ministère des Outre-mer déploie des aides à l'ingénierie. Il faut laisser le temps aux acteurs de s'associer sur les questions d'emploi et de formation. Ces sujets dépassent cependant le cadre de la coopération régionale.

Je précise qu'un investissement massif de l'État a été réalisé en faveur de l'emploi et de la formation des jeunes. Il s'agit de l'une des grandes priorités du ministère.

M. Roland Dubertrand. - Dans le contexte Antilles-Guyane, les thèmes de l'emploi et de la formation sont liés à la mobilité des jeunes. Un projet Interreg nommé ELAN a par exemple été mis en oeuvre. Il permet de favoriser, pour la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les flux étudiants, scolaires, apprentis, stagiaires, enseignants avec la région. Cela peut aller du simple échange scolaire d'une semaine à la formation des étudiants à la fois à l'université et dans l'environnement professionnel.

Il s'agissait du programme ELAN 2014-2020. J'espère que le nouveau programme Interreg verra également la présence d'un projet ELAN puisque c'est un des outils pour mettre en oeuvre la coopération de formation dans la région.

M. Jean-Claude Brunet. - Dans l'océan Indien, des actions similaires mais aussi des dispositifs spécifiques ont été menés. Dans ce cadre, l'équivalent du programme ELAN est le programme Réunion qui s'articule désormais avec un nouveau programme de la COI soutenu par l'AFD. Celui-ci entre aujourd'hui dans une phase opérationnelle après une phase d'étude des bassins d'emploi et des capacités de formation professionnelle. Ce programme sera spécifiquement dédié à la mobilité et à la formation professionnelle.

Un effort de ciblage des besoins et de l'employabilité entre l'ensemble des îles du Sud-Ouest de l'océan Indien est mené, notamment sur le fondement d'études réalisées directement avec le tissu économique des différentes îles.

Nous entrons donc dans une phase opérationnelle. En effet, avec le soutien de l'AFD, une équipe permanente travaillera en lien avec les États de la région.

En matière d'enseignement supérieur, La Réunion développe des relations de plus en plus diversifiées, notamment avec des pays comme l'Inde et l'Australie.

Pour défendre l'emploi dans nos outre-mer, la promotion des entreprises de La Réunion et de Mayotte dans leur environnement est essentielle. Dans le contexte de l'IORA, un forum des affaires se tiendra, à présent redynamisé par toutes les parties prenantes. Une partie Tech y sera intégrée. La Réunion deviendra ainsi la première capitale French Tech des outre-mer.

La Tech dans l'océan Indien est en lien avec les pôles de compétitivité comprenant plus largement l'Hexagone et les outre-mer. Ils seront pleinement associés à ces forums d'affaires. Il était très intéressant, à l'occasion des Outre-mer French Tech Days, de rencontrer des entrepreneurs de Nouvelle-Calédonie ou des Antilles, présents à La Réunion et éventuellement intéressés par le forum d'affaires avec l'Inde et l'Australie.

Nous allons constituer une équipe « France outre-mer » avec le conseil régional de La Réunion qui est pleinement partie prenante de cette stratégie économique. Cet événement aura des répercussions en termes d'emploi.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous sommes malheureusement contraints par le temps. Je propose à nos autres collègues de poser leurs questions en étant le plus concis possible.

M. Saïd Omar Oili. - Comment se fait-il que nous ne puissions pas importer à Mayotte des produits de La Réunion, notamment pour lutter contre la cherté de la vie ?

En outre, pouvez-vous préciser ce que signifient la sécurité et la sûreté maritimes. L'immigration est-elle intégrée à cette thématique ?

Deux projets structurants ont été évoqués, mais qu'en est-il du projet gazier du Mozambique avec TotalEnergies ? Mayotte est pourtant partie prenante dans ce grand projet de l'océan Indien.

Mme Lana Tetuanui. - De nombreuses actions restent à mener dans les territoires ultramarins.

Vous avez évoqué la stratégie Indopacifique. Cela fait plusieurs années que j'entends parler de ce sujet. En tant qu'élus, nous n'avons jamais été associés ni moi ni mon collègue sénateur, Teva Rohfritsch, ni moi.

Quelles sont les déclinaisons de cette stratégie Indopacifique ? Qu'est-ce que cela signifie ?

Sous l'égide du maire de Rapa Nui, c'est-à-dire l'île de Pâques, un grand sommet se tiendra sur l'île en avril. L'ensemble des petits États sera invité. Ce sommet portera sur la problématique de la pollution plastique dans l'océan Pacifique.

J'ai été invitée en tant que parlementaire de la Polynésie française. Quelle est la position du représentant de l'État sur cette question ?

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteur. - Concernant le cyclone Belal, je salue la réactivité de l'État pour porter secours aux côtés des différents acteurs, économiques notamment. Aujourd'hui, l'heure est au bilan et à la reconstruction de La Réunion. La question du coût s'impose. Il s'agit d'un territoire concerné par la cherté de la vie. Malgré tout, les fonds apportés ne sont pas inépuisables. Or, l'inflation, la vie chère et les coûts augmentent pour le fret du fait de différents conflits mondiaux et des crises du monde entier qui impactent nos territoires ultramarins.

Nos collectivités doivent payer pour cette reconstruction. La question de la coopération régionale se pose. Qu'est-ce qu'une coopération réellement décentralisée ? La problématique du développement économique de la région est un enjeu.

Nous ne sommes pas à l'abri d'autres crises. Comment pouvons-nous y répondre sur le long terme ?

Parmi les questions qui intéressent La Réunion, la notion de ligne maritime régionale a été évoquée. Comment se fait-il que cela ne soit pas un axe de développement de la France ? Il s'agit d'un vrai sujet.

Concernant la question diplomatique, une région ou un département d'outre-mer ne peut pas rivaliser avec des puissances telles que la Chine ou l'Inde d'un point de vue économique. La France doit aider à la mise en place d'outils de développement. Il nous faut exister en tant que pays dans nos océans.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Nous arrivons presque au terme de la première partie de cette audition. Je vais laisser la parole à Audrey Bélim et à Victorin Lurel.

Mme Audrey Bélim. - Je partage les interrogations de mes collègues. Je souhaiterais revenir sur les relations commerciales dans les bassins régionaux. Quelle est la méthode pour mettre en place les stratégies évoquées ?

La mutualisation des moyens permettrait d'agir sur le réchauffement climatique, le pouvoir d'achat et la cherté de la vie. En matière de santé, comment souhaitons-nous faire rayonner la France et son action sur le CHU de La Réunion ? Nombre de spécialités dans le domaine médical manquent sur ce territoire.

Cette stratégie doit se développer singulièrement grâce aux atouts de l'ensemble des acteurs. Il faudrait le réaliser rapidement.

M. Victorin Lurel. - Nous devons sortir du discours. Malgré une bonne volonté indéniable, les mêmes discours se répètent au sein des conférences régionales. Les seules initiatives concluantes sont celles qui recouvrent un enjeu financier.

Un focus par thématique serait pertinent. Que se passe-t-il concernant la coopération sanitaire ? Quels sont les obstacles identifiés ? Que faisons-nous en matière de coopération policière et judiciaire ? J'entends que nous allons nommer des magistrats de liaison alors que nous avons toujours échoué à nommer des officiers de liaison à la Dominique, au sud de la Guadeloupe ainsi qu'à Sainte-Lucie dans les Antilles.

Depuis que Nicolas Sarkozy a été ministre de l'Intérieur, des conventions de réadmission ont été signées avec la Dominique et avec Sainte-Lucie. Leur mise en oeuvre n'a donné lieu à aucun bilan. Combien de personnes en situation irrégulière en Guadeloupe, en Martinique ont été renvoyées par exemple à Haïti, à Saint-Domingue ?

Nous constatons manifestement un souci de transparence.

Depuis le vote de la loi Letchimy en 2016, combien d'accords ont été signés ? Quel est le bilan ?

Pourquoi les conventions de délimitation des eaux territoriales n'ont-elles pas abouti ? Pourquoi n'y a-t-il pas de conventions de pêche avec l'Europe ? Pourquoi depuis si longtemps, ne sommes-nous pas revenus à la banque caribéenne de développement ? Peu d'actions concrètes sont réalisées. Nous souhaitons proposer des conseillers aux questions consulaires auprès des préfets. Je m'interroge. Les régions se sont vues doter de chargés de mission dans les pays de la Caraïbe. Quand j'étais moi-même au sein de l'exécutif, nous avions notamment des chargés de mission au Québec, à Miami et au Venezuela.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous invite à poser par écrit toutes les interrogations que vous formulez. Le sujet est vaste. C'est pourquoi nous avons fait le choix de rédiger une étude par bassin océanique.

Vous avez parlé des fonds Interreg et des relations avec les pays étrangers. Nous n'avons pas énormément parlé des territoires qui sont sortis du statut de PTOM à cause du Brexit. Dans les Caraïbes, 15 territoires sont concernés. Ils disposent d'un pouvoir de développement limité. Insidieusement, nous voyons des pays, notamment la Chine, mettre en oeuvre des politiques de développement de ces territoires. Il s'agirait d'évaluer comment la France, grâce à son influence dans la zone et à ses outre-mer, pourrait contrer celle croissante de ces puissances.

Jeudi 1er février 2024

Audition Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin, et pour la seconde fois, Son Excellence M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien.

Monsieur l'Ambassadeur, nous vous remercions de vous prêter à ce nouvel échange dont nous avons eu un avant-goût à l'occasion de l'audition de la Direction générale des outre-mer (DGOM), le 18 janvier dernier, afin d'approfondir avec nos rapporteurs ce sujet qui est au coeur de votre mission diplomatique.

Je rappelle que, pour cette étude, notre délégation a nommé un rapporteur coordonnateur Christian Cambon et trois binômes de rapporteurs, soit un binôme par bassin. Pour le bassin Indien, nos rapporteurs sont : Georges Patient et Stéphane Demilly.

La coopération régionale dans les outre-mer est encore trop peu développée alors qu'elle représente un potentiel considérable. Une meilleure intégration régionale pourrait, selon nous, constituer un levier de lutte contre la vie chère, mais aussi de meilleurs outils pour la gestion de certaines crises, comme l'eau à Mayotte.

Elle pourrait être aussi un facteur de stabilisation et de sécurité car de plus en plus, les outre-mer sont exposés à des risques environnementaux, mais aussi géostratégiques.

Les enjeux de police et de sécurité sont aussi croissants face à des réseaux criminels puissants...L'audition du général Lionel Lavergne, la semaine dernière, a été fort éclairante de ce point de vue !

Quel est l'état des lieux de la coopération dans la zone océan Indien ? Quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ? Y a-t-il une coordination suffisante des actions de coopération des différents acteurs français (État, AFD, région, départements, communes, agences diverses de l'État) ? Permet-elle de dégager des axes d'action communs ?

Voici quelques-unes de nos interrogations...

Je laisserai nos rapporteurs vous questionner après votre exposé liminaire qui va vous permettre de revenir sans doute sur certains aspects de votre précédente audition mais aussi d'approfondir d'autres points et exemples précis d'après le questionnaire qui vous a été adressé.

Puis, comme à l'accoutumée, nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.

Vous avez la parole, Monsieur l'Ambassadeur.

M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien. - Merci Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices

C'est un grand honneur et plaisir d'être parmi vous ce matin pour présenter la coopération régionale dans cette belle région de l'océan Indien. Comme vous l'avez rappelé Madame la présidente, je souhaiterais reprendre le fil de notre échange lors de ma dernière audition avec la directrice générale adjointe de la DGOM et mon collègue Roland Dubertrand en charge des Antilles Guyane, pour spécifiquement rappeler le contexte et la dynamique de la coopération régionale.

L'effort doit être soutenu. Nous devons franchir un saut qualitatif. Je voudrais vous faire part du cadre et des conditions de la dynamique en cours qui nous permettront de franchir ce saut qualitatif avec les territoires et les collectités.

Tout d'abord je rappellerai que dans la région de l'océan Indien, nous sommes avec nos outre-mer, La Réunion et Mayotte, partie intégrante de la région, et de la construction de la coopération régionale avec les autres îles et pays littoraux et côtiers de la région, selon plusieurs cercles concentriques : les îles du Sud-Ouest immédiatement voisines de La Réunion et Mayotte rassemblées au sein de la Commission de l'océan Indien (COI), mais aussi les partenaires d'Afrique australe et d'Afrique de l'Est ainsi que les pays de l'association des États riverains de l'Océan indien (IORA) dont la France est membre depuis trois ans. Il faut signaler à cet égard que davantage de nos territoires participent aux activités de l'IORA.

Si la situation est loin d'être satisfaisante en termes de pleine intégration régionale et si les dynamiques doivent être encouragées, ces dernières années marquent un progrès notable de la coordination, avec un renforcement des territoires. Nos deux objectifs visent d'un part à faire participer nos territoires ultramarins à la politique étrangère de la France dans la région et, d'autre part, à ce que les ministères concernés apportent sur place aux acteurs des territoires, avec les élus et les collectivités, un soutien coordonné grâce aux moyens du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, des ambassades et des préfectures. Nous avons en effet pour objectif que l'ensemble de ces coopérations renforcent l'attractivité de nos territoires, notamment en matière d'échanges économiques, de coopération universitaire et de tourisme.

Mon rôle est, à Paris, d'appuyer la coordination interministérielle. En cela, je travaille en lien étroit avec mes collègues du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, la Direction Afrique et océan Indien, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et « l'interministériel ».

Je me rends régulièrement dans la région, en principe tous les deux mois. Lors de ma prise de fonction il y a un an, j'ai tenu à réserver mon premier déplacement à Mayotte.

Nous nous appuyons fortement sur les organisations régionales généralistes telles que la COI et l'IORA, dont la France est membre de plein droit et associe nos territoires de plus en plus à ses politiques et cadres.

Nous avons aussi d'autres enceintes spécialisées en dehors de ces deux grandes organisations, que ce soit dans le domaine de la jeunesse et des sports ou dans le domaine économique. Dans ces domaines, La Réunion et Mayotte sont pleinement intégrés malgré quelques progrès à réaliser dans le domaine de la reconnaissance internationale de la souveraineté française sur Mayotte. Néanmoins, il est important de mentionner les cadres économiques puisqu'un Forum économique des îles de l'océan Indien se tiendra à Mayotte en avril prochain, avec l'ambition d'obtenir une pleine intégration de ces deux territoires.

Je voudrais signaler aussi que la COI représente une priorité pour nous car elle gère directement des programmes pour plus de 200 millions d'euros, avec le soutien principal de l'Agence française de développement (AFD) et de l'Union européenne. La COI s'est fixé pour but de favoriser l'intégration régionale, de créer une communauté de destins entre les îles du Sud-Ouest de l'océan Indien. Il s'agit d'une organisation francophone qui développe des liens avec les États côtiers africains et au-delà. Pour notre part, nous consacrons à cette intégration forte de nombreux moyens financiers et humains en expertise à partir de la région, notamment grâce au maillage incomparable d'acteurs que nous pouvons mobiliser sur place sur ces programmes à La Réunion. Les thématiques extrêmement variées traitées par la COI sont d'un intérêt direct pour la politique étrangère de la France dans la région ainsi que pour l'attractivité de nos territoires, leurs intérêts et besoins spécifiques d'État insulaire dans la région.

Je donnerai juste une énumération de cette diversité de thèmes. Vous avez évoqué, Madame la présidente, les questions de sécurité. En effet, la sécurité et la sûreté maritime figurent parmi les thèmes importants de cette architecture régionale. De même, la surveillance épidémiologique et la santé humaine, animale et environnementale font partie du programme de surveillance épidémiologique et gestion des alertes (SEGA), qui a été particulièrement opérationnel dans le cadre de la crise du Covid-19 et qui pourrait l'être encore à l'occasion d'autres crises sanitaires.

Je citerai également les coopérations en matière de météorologie, la résilience des États côtiers, la sécurité alimentaire, l'entrepreneuriat, le développement des échanges économiques dans l'économie bleue et circulaire, le renforcement de la sécurité portuaire, la gestion des pêches, la coopération face aux risques naturels et la promotion dans le domaine culturel et de l'emploi dans les industries culturelles et créatives.

Pour terminer mon propos liminaire, j'ai évoqué un cadre favorable et une dynamique en cours. Lors de ma précédente audition, nous avions évoqué la mesure 54 du Comité interministériel des outre-mer (CIOM), prévoyant l'organisation de conférences de coopération régionale par bassin. Ces conférences existaient antérieurement mais sont aujourd'hui appuyées politiquement et font l'objet d'un suivi. Surtout, la mesure 54 décide pour la première fois que dans le cadre des conférences de coopération régionale, nous adopterons des stratégies de bassin concertées avec les territoires pour faire participer ces derniers davantage à la politique étrangère de la France dans la région. Il s'agira aussi de leur permettre de défendre directement leur attractivité et la coopération régionale. Ainsi dans ce cadre, se tiendra pour la première fois depuis longtemps à Mayotte en avril prochain, une conférence de coopération régionale pour l'océan Indien. Nous adopterons cette stratégie dans la cadre de la plateforme de coopération France de l'océan Indien, qui permettra d'échanger entre tous les acteurs (États, territoires, collectivités et ministères des Affaires étrangères et des outre-mer) du territoire pour préparer cette stratégie et en assurer le suivi.

Cette structuration nous aidera à renforcer la coordination, mais nous percevons déjà que la coopération, notamment avec l'Union européenne, porte ses fruits. Je me suis rendu plusieurs fois à Bruxelles pour faire le point avec la commission européenne sur la coordination France, Union européenne et AFD, notamment en matière de financement. La dynamique favorable réside dans cette volonté commune de différents acteurs de travailler entre Français et Européens à une meilleure coordination.

Au niveau national, cette coordination renforcée s'exerce aussi via divers instruments dont je pourrai donner le détail.

Enfin, la diversification des thèmes en matière de coopération régionale est réelle tant dans les organisations régionales que de façon bilatérale ces dernières années. Cette diversification des thèmes fait écho à la diversité des zones géographiques que j'ai évoquée.

Je me tiens à votre disposition pour répondre point par point au questionnaire. Je vous remettrai également une réponse écrite.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin Indien. - Monsieur l'ambassadeur, je trouve assez particulière cette coopération régionale dans l'océan Indien car il existe deux attitudes selon qu'on parle de La Réunion ou de Mayotte. Comment vous organisez-vous lorsque vous vous trouvez en présence des Comoriens ? La question du statut de nos différents départements et régions d'outre-mer n'est-elle pas gênante ? Comment sommes-nous perçus nous, ultramarins, par les représentants de ces territoires avec lesquels nous entamons des relations ? Je souhaiterais que vous évoquiez l'attitude de ces représentants étrangers lorsqu'ils sont en présence de nos représentants, tout comme des représentants du ministère des Affaires étrangères ou du ministère des Outre-mer.

En deuxième lieu en matière de relations avec ces territoires, ne devrions-nous pas mieux parler d'« insertion régionale » au lieu d' « intégration régionale » ?

Enfin, quels sont les moyens pour lutter contre la pêche illégale dans nos eaux ? Ce fléau ne concerne pas uniquement l'océan Indien mais tous nos territoires d'outre-mer. Ce pillage des ressources est le fait d'États riverains mais pour lesquels les relations avec notre État souverain sont peu importantes.

M. Jean-Claude Brunet. - Concernant Mayotte et La Réunion, il existe un maillage très dense et un processus de renforcement des relations avec les États voisins, ce qui concerne les deux territoires y compris Mayotte. J'ai évoqué le forum économique des îles de l'océan Indien qui se tiendra à Mayotte avec la participation d'entreprises en provenance de tous les États de la région. Il y a quelques semaines, le conseil départemental de Mayotte a accueilli des représentants de plusieurs pays de la région, y compris des Comores, à l'occasion des Assises de la croissance verte. Il est vrai que dans le cadre d'organisations intergouvernementales telles que la COI et l'IORA, la France a adhéré au titre de La Réunion pour permettre l'insertion régionale de ce territoire. Nous maintenons un dialogue constant et régulier avec tous les États de la COI, y compris les Comores, sur toutes les questions concernant spécifiquement l'insertion dans les programmes de la COI.

Le cadre dynamique que j'ai évoqué, avec les conférences de coopération régionale et les stratégies de bassin, prend toute son importance. En avril prochain à Mayotte lors de la Conférence de coopération régionale de l'océan Indien (CCROI), nous évoquerons l'insertion régionale de Mayotte, la reconnaissance de Mayotte au même titre que La Réunion et l'intérêt commun de tous les partenaires à favoriser cette insertion.

Sur le point de savoir comment Mayotte est perçue, je voudrais souligner qu'il existe des coopérations bilatérales entre Mayotte et Les Comores, de même que des programmes soutenus par l'AFD. Bien évidemment, la gestion de problèmes prioritaires tels que la lutte contre l'immigration clandestine est évoquée lors de ces échanges. D'autres domaines d'échanges sont également développés. Par conséquent il est important de reconnaître que l'utilité d'un renforcement des relations avec Mayotte n'est pas remise en question, ce qui offre encore des bonnes perspectives pour renforcer le maillage et l'insertion.

En deuxième lieu, je préfère également le terme d'insertion régionale pour couvrir l'état des activités dont nous parlons. J'ai employé celui d'« intégration » car la COI à terme, dans sa démarche, définit une identité commune indianocéanique francophone entre les partenaires des îles du sud-ouest de l'océan Indien, ce qui peut se référer à une notion plus extensive que celle d'insertion. Il s'agit de définir notre avenir commun dans un intérêt mutuel, comme l'appellent de leurs voeux un grand nombre d'acteurs de nos territoires.

Si nos élus et acteurs de Mayotte souhaitent cette insertion pleine et entière dans la COI, c'est aussi pour faire partie de ce grand projet de créer une indianocéanie francophone, dynamique et solidaire.

Enfin, concernant la lutte contre la pêche illégale, il s'agit de l'une des grandes priorités de notre action collective, avec l'implication des moyens de l'État à La Réunion mais également dans les Terres australes antarctiques françaises (TAAF). Les préfets et leurs services sont très impliqués, de même que les conseils régionaux dans leur rôle en matière de gestion des pêches. Nous menons une action de surveillance avec la marine nationale pour lutter contre la pêche illégale dans notre zone économique exclusive (ZEE). Nous avons en outre noué des coopérations importantes dans ce cadre cofinancées par l'AFD et l'Union européenne, en lien en partie avec la COI.

Enfin, je citerai une initiative prise par la France avec l'Indonésie dans le cadre de l'IORA. Il y a six mois, nous avons engagé un exercice d'élaboration d'une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième aura lieu à La Réunion en mai prochain, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.

Par ailleurs, nous travaillons avec la Commission européenne dans le cadre des actions d'assistance aux États de la région pour les aider à se mettre aux normes, en diffusant si nécessaire des cartons rouge ou orange de l'Union européenne aux États en matière de respect des normes définies par la politique européenne. La démarche de la France au sein de l'IORA s'inscrit pleinement dans ce cadre, en bonne coordination avec l'Union européenne.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur pour le bassin Atlantique. - Depuis que j'ai intégré ce groupe de travail, j'ai le sentiment que cette coopération régionale, qui est une richesse pour nos territoires ultramarins, est très complexe. En tant qu'élue francilienne, je constate déjà la complexité des coopérations en Ile-de-France. Depuis que j'ai rejoint cette délégation qui me passionne, je me dis qu'il faut avoir de la volonté pour y arriver. Les choses ont été complexifiées avec un tel millefeuille. Dans le contexte de nos règles et de nos lois, il est dommage de ne pas donner davantage de marges de manoeuvre à nos territoires. À force de tout centraliser, on pousse les gens à baisser les bras. C'est une réalité. Peut-être pourrez-vous nous rassurer sur ce point, mais il me semble que les bonnes volontés sont épuisées par les lourdeurs administratives et techniques. Je pense qu'il s'agit là de l'un des sujets majeurs à résoudre car ce sont des freins que nous avons peut-être mis nous-mêmes dans le cadre de la coopération régionale.

Concernant le bassin qui nous intéresse aujourd'hui, vous avez parlé du lien entre Mayotte et Les Comores sur l'immigration illégale. J'ai interrogé le Gouvernement il y a quelques mois sur la réalité de cette lutte à Mayotte, mais n'ai pas reçu de réponse. J'en parle objectivement car je ne suis pas à Mayotte. Nous avons ce besoin d'obtenir des améliorations pour nos territoires ultramarins mais il me semble que nous mettons tant de contraintes sans tenir compte des réalités locales, des élus et des partenaires présents sur place, que finalement nous paupérisons ces territoires. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Claude Brunet. - Madame la sénatrice, les actions que j'indiquais en matière de coordination et la conférence de coopération régionale, de même que la stratégie de bassin, ne sont pas destinées à centraliser. Au contraire, ces actions visent à nous aider à gérer la complexité, à simplifier. Notre objectif est de faciliter une prise de responsabilité plus grande des territoires dans la mise en oeuvre des stratégies concertées et communes. La coordination s'entend de la transparence et de l'échange d'informations. La complexité que vous évoquez s'explique par l'effet de silos qui a pu avoir cours précédemment. À une certaine époque, chacun travaillait de son côté sans connaître les sources de financement disponibles. Désormais, nous avons pour objectif de renforcer l'échange d'informations et d'aider à une plus grande autonomie sans centraliser. Ce mouvement s'accompagne d'un renforcement de la participation de nos territoires dans les organisations que j'évoquais (COI, IORA). De plus, les territoires portent des projets structurants dans ces organisations. Ainsi, La Réunion assure trois grands projets structurants dans le cadre de l'IORA avec des partenaires tels que l'Inde, l'Australie et l'Indonésie. C'est donc le signe d'une plus grande autonomie dont le bénéfice sera constaté par l'ensemble des acteurs. En outre, vous savez que l'AFD a elle-même développé une politique plus coordonnée entre ses activités dans les outre-mer et à l'international avec les pays voisins. C'est dans ce même esprit que nous travaillons au niveau de l'État.

Les relations entre Mayotte et les Comores se développent, de la même façon qu'elles se développent avec tous les pays de la région. Notamment, des relations particulières se nouent avec la Tanzanie puisque le shimaoré parlé à Mayotte est très proche du swahili. Des relations se nouent aussi avec le Kenya et le Mozambique. Des lignes aériennes se créent vers le continent africain. Par conséquent, les relations de Mayotte se diversifient au rythme des intérêts communs. Parmi les crises et les sujets à traiter d'urgence au quotidien, figurent ces questions de gestion de l'immigration irrégulière, mais il s'agit d'un domaine de coopération parmi d'autres avec les Comores.

M. Saïd Omar Oili. - Mayotte est le seul territoire français inscrit dans deux Constitutions : la Constitution française et la Constitution comorienne. Cela pose un problème pour coopérer avec nos amis comoriens. Nous le constatons en particulier à l'occasion des Jeux des îles de l'océan Indien car depuis des années, les Mahorais sont privés du drapeau et de l'hymne national alors que nous sommes Français depuis 1841.

Comment pouvez-vous expliquer cela, et quelles sont les démarches que vous avez entreprises ? Les Jeux des îles de l'océan Indien auront lieu en 2027 aux Comores. Comment les Mahorais pourront-ils y participer et s'affirmer en rappelant qu'ils sont Français ?

En deuxième lieu, comment envisagez-vous, dans ces conditions, la coopération entre Mayotte et Madagascar ?

En troisième lieu, en plus de l'immigration des Comores, l'immigration d'Afrique de l'Est nous pose de nombreux problèmes, en particulier en provenance de Somalie. Ces migrants ne parlent pas français et viennent d'un pays dans lequel il n'existe pas d'État. Comment pensez-vous les faire reconduire chez eux, éventuellement via une ambassade, étant précisé qu'à Mayotte nous n'avons aucun interlocuteur somalien auquel nous adresser ?

M. Jean-Claude Brunet. - La question sur les Jeux des îles de l'océan Indien touchent aux symboles. Il s'agit donc de l'un des sujets les plus complexes sur lequel nous pourrons échanger lors de la conférence de coopération régionale qui se tiendra en avril à Mayotte. Ce sujet fait partie de la discussion sur l'insertion régionale de Mayotte dans l'océan Indien, en particulier dans le cadre de ces Jeux. Néanmoins je tiens à souligner qu'en matière de jeunesse et sports, Mayotte a été reconnue comme partenaire, avec La Réunion, par la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien (CJSOI) dont la ministérielle s'est tenue à La Réunion récemment. Mayotte et La Réunion y sont actives au travers des préfectures qui préparent un programme d'échanges de jeunes en provenance des îles concernées, en y associant aussi Djibouti. Au cours de l'année 2024, des activités de rencontres de jeunes se tiendront à Mayotte et quelques mois plus tard, à La Réunion.

Dans le cadre de ces Jeux, qui sont un mouvement sportif et non gouvernemental, les équipes mahoraises participent. En revanche, il est vrai que ce sujet des symboles est important. Des pas importants ont déjà été franchis dans la reconnaissance de Mayotte, en particulier dans le cadre de la COI.

Les relations entre Mayotte et Madagascar se développent, en particulier grâce à ce lien historique et culturel qui perdure. À ce sujet, j'indique qu'une plus grande transparence et coordination nous permettra d'aider Mayotte à utiliser davantage les moyens de la coopération décentralisée. Le calendrier s'y prêtera particulièrement cette année, qui est celle où se tiendront à Madagascar les Assises régionales de la coopération décentralisée. La Réunion participera à ces Assises, tandis que pour Mayotte il existe des liens entre les communes. Bien entendu, il est possible de faire davantage. Ainsi un appel à projets de l'AFD a été lancé dans le cadre du financement des collectivités décentralisées (FICOL), à l'occasion duquel Mayotte a pour objectif de renforcer ses liens avec Madagascar. D'autres propositions existent pour renforcer ces liens, en collaboration avec notre ambassade à Tananarive.

L'immigration clandestine en provenance des côtes africaines représente une grande priorité. Les moyens du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et les ambassades sont mobilisés pour renvoyer les immigrants clandestins dans leurs pays d'origine. La coordination en la matière se déroule bien, avec un bon répondant des pays d'origine pour accepter les retours. J'évoquais l'équipe « France océan Indien ». Il est absolument essentiel d'utiliser le soutien efficace de nos deux conseillers diplomatiques auprès des préfets de région à Mayotte et à La Réunion, qui sont aussi mes deux adjoints à l'ambassade déléguée à la coopération régionale. Au titre des missions du conseiller diplomatique auprès du préfet de Mayotte, figure l'implication directe dans ce travail de coordination opérationnelle avec nos ambassades et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à Paris, pour faciliter la coopération des pays d'origine et faire en sorte que la gestion migratoire se déroule au mieux.

Mme Audrey Bélim. - Merci Monsieur l'Ambassadeur pour cette présentation et l'ensemble des informations communiquées. Ma question portera sur nos ambitions en matière de santé. La Réunion a été présentée - et je ne fais que reprendre des propos tenus il y a quelques jours lors de précédentes auditions - comme « navire amiral dans l'océan Indien », notamment en matière de santé française. Je salue l'indice de points supplémentaires qui a été annoncé pour le CHU de La Réunion. Il me semble néanmoins que nous pourrions être plus ambitieux, et je lance ici une proposition, dans notre accueil de patients en provenance de l'océan Indien. La qualité de notre offre de soins est reconnue dans tout le bassin. Nous pourrions renforcer l'accueil de patients étrangers à condition qu'ils soient accueillis en plus des patients réunionnais et que le paiement de ces prestations ne bénéficie qu'au CHU et à l'amélioration des soins en son sein.

Notre ambition concerne également la coopération régionale en matière sanitaire. Le réseau SEGA One Health de la COI a montré que la coopération était utile et efficace lors de la crise du Covid, comme cela avait été le cas lors de l'épidémie de dengue par le passé et d'autres maladies infectieuses comme le chikungunya ou le paludisme qui affectent notre région. Il nous faut donc coopérer davantage, échanger nos connaissances et nos bonnes pratiques. Finalement, nous pourrions construire un vrai centre de recherche, d'expertise et de surveillance sanitaire de la COI à La Réunion.

Quelle est donc votre ambition en matière de coopération sanitaire dans l'océan Indien ?

Enfin, l'économie verte et bleue constitue un levier de croissance pour notre bassin régional. Quels sont vos projets de coopération en la matière ?

M. Jean-Claude Brunet. - Nos ambitions pour la santé sont très hautes et clairement affichées. En particulier, elles ont été rappelées en 2023 lors d'une réunion ministérielle de la COI consacrée au programme SEGA One Health. À cette occasion, la pérennisation de ce programme a été décidée avec le soutien d'un fonds financier qui se constitue. Au-delà, cette conférence a permis d'adopter entre les pays de la région une stratégie régionale en matière de santé.

Dans le cadre de la COI, ce programme est l'un des plus opérationnels, ambitieux et concret, avec des réalisations que vous avez rappelées. Nous préciserons encore davantage nos ambitions avec nos partenaires en bénéficiant d'atouts majeurs dans la région, aussi bien le CHU de la Réunion que l'Institut Pasteur de Madagascar.

Le référent national pour ce programme SEGA est l'un des directeurs adjoints de l'ARS de La Réunion, le professeur Xavier Deparis. En lien avec tous les ministères et acteurs concernés puisqu'il s'agit de santé humaine, animale et environnementale, nous avons des coordinations en cours pour déterminer comment optimiser l'insertion de nos structures de la région dans des programmes nouveaux. La dimension que vous avez évoquée pourra être intégrée à la discussion lors de la conférence de coopération régionale. Le programme SEGA constitue l'un des programmes en cours les plus intéressants à poursuivre car les idées sont déjà nombreuses. L'AFD a été l'un de ses financeurs importants (avec l'Union européenne) et a même renforcé sensiblement son soutien et son champ d'action dans la région, avec la priorité donnée à ce programme SEGA. L'AFD a donc développé une stratégie de santé dans le territoire Indopacifique, sur laquelle nous nous baserons très fortement en utilisant tous nos atouts.

Mme Viviane Malet. - Les migrants sri-lankais posent question. Nous voyons arriver à La Réunion des migrants hommes, femmes et enfants dans des embarcations de fortune. Comment mettre la main sur le réseau de passeurs ? Existe-t-il des accords et des relations entre les pays pour signaler ces passeurs ?

M. Jean-Claude Brunet. - Je répondrai en premier lieu à la deuxième question de la sénatrice sur l'économie verte et bleue, qui est importante. Nous pouvons dans ce domaine nous baser sur des programmes de la COI, mais également sur les actions bilatérales menées en soutien avec les pays de la région. En particulier, les contacts se nouent entre les entreprises de La Réunion et de Maurice pour inclure ces dimensions dans la coopération bilatérale. Avec les Seychelles, Madagascar, Les Comores, les contacts sont également pris. La mise en oeuvre d'accords bilatéraux pourrait être explorée. Le sujet que vous évoquez est très large car en matière d'économie verte et bleue, les domaines sont très variés. Le forum économique des îles de l'océan Indien se tiendra à Mayotte, comme je l'ai indiqué. Nous créerons aussi une équipe « France Outre-Mer » océan Indien avec des entreprises de la région qui participeront au forum des affaires de l'IORA qui se tiendra à Colombo (Sri Lanka) en mai prochain.

S'agissant du Sri Lanka, aucune nouvelle arrivée de bateau n'a été constatée pour le moment. L'an dernier, cette crise de l'immigration illégale a été gérée avec la pleine participation des autorités sri-lankaises. La coopération est bonne avec nos partenaires y compris sur les routes possibles. Nous veillerons à la poursuivre. La lutte contre les réseaux de passeurs représente un élément central.

Mme Micheline Jacques, président. - Je laisserai la parole à notre collègue Frédéric Buval et propose aux autres collègues qui ont encore des questions, de vous les adresser par écrit.

M. Frédéric Buval. - Je partage les propos de Jacqueline Eustache-Brinio. Je considère que les spécialistes des questions mahoraises sont les élus mahorais, qui doivent être présents aux places de choix. Dans le cas inverse, je ne vois pas comment l'État pourrait porter des dossiers à la place des élus. Pour preuve, aux Antilles, la Martinique est inscrite dans toutes les instances officielles de la Caraïbe. Dans les Jeux caraïbéens, le drapeau martiniquais flotte et l'hymne martiniquais est joué. Nous ne renions évidemment pas le drapeau français, bien au contraire, puisqu'il flotte sur toutes les mairies de l'île. En revanche quand nous nous déplaçons dans le domaine des sports et de la culture, ce sont le drapeau et l'hymne martiniquais qui sont à l'honneur.

Bien entendu, une coopération est en place mais cela doit être « gagnant-gagnant ». Nous devons donc développer suffisamment nos territoires pour que la production locale propose une concurrence efficace aux pays voisins. Il ne suffit pas de distribuer de l'argent en croyant que le développement suivra. À l'inverse, il est nécessaire de développer ces territoires pour ensuite nouer des collaborations avec eux. Lorsque des bateaux vénézuéliens déversent une fois par semaine des tonnes de poissons pêchés dans l'Atlantique et la Caraïbe, ce sont nos pêcheurs martiniquais qui sont impactés puisque l'Europe les empêche d'acquérir des bateaux pour cause de réduction des quotas. Peu importe que nous soyons ultramarins, la décision européenne de réduction des quotas de bateaux de pêche nous affecte particulièrement. Pourtant, nous sommes engagés dans une coopération avec le Venezuela.

En synthèse de mes propos, je suis favorable à la coopération mais pas au détriment des territoires ultramarins.

Mme Micheline Jacques, président. - Dans le droit fil de cette intervention, j'aurai deux questions. Nous avons beaucoup parlé de l'investissement économique de l'Europe, mais le poids normatif européen n'est-il pas un frein économique trop important ? Comme nous l'avons vu dans la crise de l'eau, le gouvernement a été dans l'impossibilité d'importer de l'eau de l'île Maurice pour Mayotte en raison d'un sujet normatif. Nous constatons aussi que l'île Maurice peut produire des produits dérivés avec le label bio, ensuite revendus à La Réunion, alors que les entreprises réunionnaises, avec la même matière première, n'ont pas l'autorisation d'apposer ce label bio. La situation est similaire pour les programmes de développement de l'AFD et de l'Europe. Les pays riverains reçoivent des aides pour développer leur flotte, alors que les pêcheurs réunionnais éprouvent des difficultés à renouveler leur flotte de pêche.

Ces problèmes sont communs à tous les bassins, mais je souhaiterais votre analyse. Dans le cadre des réunions de coopération que vous avez évoquées, ce volet normatif occupe-t-il une place importante ?

M. Jean-Claude Brunet. - Je tâcherai de répondre aux deux questions en même temps puisqu'elles sont très liées. Tout l'intérêt du cadre de coopération renforcé réside aussi dans la capacité d'évoquer l'articulation entre les moyens nationaux et les moyens européens, mais aussi plus généralement les synergies renforcées entre les programmes européens destinés au développement des RUP et les moyens dévolus à la coopération internationale.

J'ai évoqué l'effet de silo tout à l'heure, qui se poursuit actuellement sur le sujet des pêches. Le saut qualitatif dans la stratégie n'a pas pour objectif une plus forte centralisation mais au contraire, à agir au plus près du terrain et à échanger au mieux l'information pour obtenir des modifications. L'approche nouvelle de l'AFD et la mesure 54 vont dans ce sens. L'Union européenne est également prête puisqu'un dialogue beaucoup plus fort se noue entre l'Interreg, la DG Régio et la DG INTPA. Des synergies se dessinent dans des secteurs stratégiques. Dans les réunions régulières que nous menons avec les élus, les responsables des territoires et l'Union européenne dans le cadre des coopérations régionales, nous étudierons comment surmonter au mieux ces blocages.

Par ailleurs dans le cadre de la mesure 9 du CIOM que nous avions évoquée lors de notre précédente audition avec mon collègue Roland Dubertrand, nous finalisons actuellement notre rapport avec des recommandations issues des territoires. Toutes les parties prenantes ont été consultées, de même que le niveau interministériel. Nos recommandations auront pour objectif de faciliter la prise en compte des intérêts des territoires ultramarins dans notre politique commerciale, avec une approche liée aux normes européennes qui figureront au coeur de nos préoccupations.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons bien noté la volonté de la France de mettre en oeuvre cette dynamique et la nécessité de développer et renforcer nos relations de coopération régionale dans le bassin de l'océan Indien. Nous avons également noté que certains sujets très sensibles demeurent, et qu'il conviendra de les clarifier. Comme l'ont souligné nos collègues, la nécessaire décentralisation devra apporter aux élus davantage de poids et de pouvoir pour résoudre des situations sensibles, voire pour certaines catastrophiques, pour lesquelles des solutions rapides devront être trouvées. Nous espérons que nos travaux permettront d'apporter des éclairages et des recommandations allant dans le sens d'une meilleure prise en compte des territoires français dans la coopération et du rayonnement de la France.

Jeudi 1er février 2024

Audition d'Ivan Odonnat, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous auditionnons M. Ivan Odonnat, président de l'Institut d'Émission des Départements d'Outre-Mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'Émission d'Outre-mer (IEOM). Ces deux organes assurent le rôle de banque centrale dans les outre-mer.

Monsieur le président, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour apporter des réponses aux questions des membres de la délégation aux outre-mer.

Vous avez été nommé en avril 2023, en remplacement de Mme Marie-Anne Poussin-Delmas que nous avions reçue à plusieurs reprises ici au Sénat, notamment sur les conséquences économiques de la crise du Covid.

Entré à la Banque de France en 1988, vous avez exercé diverses fonctions au sein de la direction générale des études, avant de rejoindre la direction générale des opérations puis, en 2007, l'Agence France Trésor.

Ayant réintégré la Banque de France en 2009, vous en étiez le directeur général adjoint, en charge de la stabilité financière et des opérations depuis 2014.

Dans le cadre de notre étude, compte tenu de votre parcours et de votre vaste expérience, nous souhaitions vous interroger notamment sur le degré d'intégration ou d'insertion régionale de nos territoires ultramarins dans chaque bassin océanique, en commençant cette année par le bassin Indien.

Une meilleure intégration régionale pourrait-elle, selon vous, constituer un levier de lutte contre la vie chère ? Mais existe-t-il des acteurs financiers (banques, fonds, assureurs...) proposant des services à une échelle régionale pour la faciliter ?

Plus largement, quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ? Quels facteurs incitent les acteurs économiques à se fournir en Hexagone ou à y exporter préférentiellement ?

Voici parmi d'autres quelques-unes de nos interrogations centrales...

Je laisserai nos rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire sur des aspects plus précis puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.

M. Ivan Odonnat, président de l'IEDOM et directeur général de l'IEOM. - Madame la présidente, Madame, Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir. Le sujet que vous avez présenté est également un sujet de travail pour nous.

Nous avons en chantier un travail d'analyse quantitative visant à mieux exploiter les données de commerce extérieur dont nous disposons sur les outre-mer afin de mesurer ce que nous nommons « le potentiel de commerce ». Il s'agit d'évaluer de façon quantitative, mesurée, la capacité des territoires d'outre-mer à s'insérer dans le commerce international. Ce travail de fond devrait aboutir d'ici juin et donner lieu à une double publication.

Mon propos de ce jour s'inscrit dans cette réflexion, avec à ce stade quelques idées que je souhaite partager mais qui n'ont pas de caractère définitif. Il s'agit plutôt de pistes d'éclairage sur les évolutions constatées et de réponses sur différents volets. Mon propos liminaire est organisé autour des questions que vous m'avez adressées. Je serai ensuite à votre disposition pour l'approfondir et répondre à vos autres questions.

Le commerce extérieur n'est pas un facteur de croissance en outre-mer.

Ce titre pourrait paraître provocateur mais le graphique communiqué, assez classique, est éloquent. Ainsi nous avons étudié pendant une période de dix ans le produit intérieur brut (PIB) de certains territoires d'outre-mer. Nous identifions ainsi les facteurs de la demande et comment la croissance, sur dix ans, est alimentée en distinguant différents blocs (investissement, consommation, commerce extérieur).

Le constat assez général tient au fait que la dynamique de croissance est tirée par la consommation. De ce fait, cette dynamique de croissance est alimentée par les importations : on consomme ce qu'on importe car les produits de consommation courante ne sont pas présents localement. Au regard de ce flux d'importations, les capacités d'exportations sont assez limitées précisément parce que la production locale est insuffisante. Le revers de la médaille est celui d'une contribution négative du commerce extérieur à la dynamique de croissance des territoires d'outre-mer.

Ce constat posé pour l'outre-mer de la faible performance du commerce extérieur est en réalité général, puisque toute l'économie française présente cette difficulté. Pour autant le constat est exacerbé en outre-mer.

Les importations de biens sont peu diversifiées et proviennent principalement de France hexagonale, sauf dans le Pacifique

La part des importations provenant de l'Hexagone est supérieure à 50 % dans la plupart des territoires. Le constat est quelque peu différent dans le bassin Pacifique, avec une répartition plus diversifiée.

.Les exportations sont plus diversifiées que les importations mais restent massivement dirigées vers l'Hexagone, sauf dans le Pacifique. Pour autant s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, les exportations consistent principalement en nickel en direction de l'Asie à hauteur de 84 %.

Pour ce qui concerne l'exemple du rhum, les meilleurs pays exportateurs de rhum en direction des États-Unis sont la République dominicaine, la Jamaïque, Haïti et la Barbade, bien avant la Martinique et la Guadeloupe. Il semble que les tarifs douaniers sur le rhum aux États-Unis en fonction des territoires exportateurs constituent les principales raisons de cette situation, étant observé que les pays précités bénéficient de l'Initiative du Bassin Caribéen (tarifs douaniers gratuits). Pour un litre de rhum provenant de nos territoires, une taxe équivalente à 24 $ se voit appliquée.

J'ai évoqué précédemment les biens mais l'origine des touristes dans les outre-mer illustre également le manque de relations régionales.

Sur la base des données de l'OMC, dans le bassin Atlantique, les touristes visitant la Martinique sont essentiellement en provenance d'Europe, ce qui suscite une interrogation alors que les touristes de Saint-Martin (partie hollandaise) sont majoritairement américains.

Dans le bassin Pacifique, la dominante des touristes est en provenance d'Asie, sauf en Nouvelle-Calédonie.

Dans l'océan Indien, le constat est similaire à celui de la Martinique : les touristes ne viennent pas des zones voisines mais d'Europe.

Ces constats confirment l'insuffisance de l'insertion dans les bassins régionaux en matière de commerce extérieure.

La dépendance aux importations et le manque d'intégration régionale pénalisent les niveaux de prix.

Il convient d'éviter les erreurs d'interprétation. Les constats induisent une augmentation entre 2010 et 2022 de l'écart de prix à la consommation entre l'outre-mer et l'Hexagone. Les résultats de l'Insee, qui ont pu être critiqués, proviennent de paniers de consommation types par territoire, en les comparant aux prix s'ils étaient consommés dans l'Hexagone. Pour la Martinique, l'écart est de 11 % supérieur aux prix de l'Hexagone. À l'inverse, le panier de consommation hexagonal consommé en Martinique est 17 % plus cher que le même panier consommé dans l'Hexagone. La moyenne de ces deux écarts donne un écart de 14% entre la Martinique et l'Hexagone.

Le calcul de l'Insee, si l'on s'en tient strictement aux prix alimentaires, met en évidence un écart de 40 %. Ces écarts sont beaucoup plus prononcés dans le Pacifique, pourtant moins isolé dans son bassin régional que les autres territoires.

Sur la base du rapport de 2019 de l'Autorité de la concurrence, qui nécessiterait sans doute d'être réactualisé, la structure des coûts moyens de la grande distribution (dans cinq départements et régions d'outre-mer) est étudiée. Un certain nombre de facteurs reflète la nécessité d'importer les produits de l'extérieur, ce qui génère des coûts liés à l'intervention des grossistes, des coûts de fret et des coûts liés à la fiscalité. Une marge de réduction des coûts pourrait être recherchée si les produits étaient importés dans un bassin plus proche que l'Hexagone. De mon point de vue, l'impact du manque d'intégration régionale sur les prix est indéniable.

Nous avons tendance à confondre le sujet des prix avec celui des marges, sujet qui n'est pas aisé à mesurer. Nous l'avons effectué de façon ex-post sur des données bilancielles, par exemple pour La Réunion, afin d'aboutir à une analyse explicative des comportements de marge des entreprises. Cette analyse ne met pas en évidence de dérives des taux de marge des entreprises. Ici encore, le sujet peut donner matière à débat car l'analyse sur les sujets des marges repose sur des données comptables connues avec deux ans de décalage.

Après les constats ainsi posés, une méthodologie pour renforcer l'insertion des territoires dans leur bassin régional peut être envisagée pour leur permettre d'exporter de façon plus dynamique que leurs voisins ou à l'inverse, importer à des prix plus raisonnables qu'ils ne le sont actuellement.

Les outre-mer représentent un potentiel de marché pour leurs voisins.

Dans les principaux territoires ultramarins français, le PIB par habitant et par zone géographique est beaucoup plus élevé que dans les pays voisins, ce qui n'est pas une surprise. Ce contexte peut être interprété de diverses façons. En premier lieu, nous pourrions considérer que pour nos voisins, nous sommes des marchés intéressants puisque le pouvoir d'achat y est élevé. La relation va dans les deux sens. Par conséquent dans les modèles de commerce extérieur, il est constaté que les gros pays exportateurs, qui sont aussi parfois de gros importateurs, sont en relation avec les voisins dont les marchés économiques traduisent des niveaux de vie élevés. Ce n'est pas un hasard si l'Union européenne représente une grosse zone de commerce international, de même que les États-Unis et l'Asie du Sud-Est. En d'autres termes pour faire du commerce, il faut vendre aux pays capables d'acheter les produits.

Les accords régionaux conclus en Amérique sont variés et comportent leur propre dynamique. Par conséquent pour mieux s'insérer, les territoires ultramarins français pourraient utilement intégrer ces accords. Il existe donc un enjeu d'adaptation. L'actualité illustre bien mon propos si l'on en croit le débat sur le Mercosur et l'organisation de l'agriculture européenne. Dans les zones sous influence anglo-saxonne et américaine, si l'on veut penser l'insertion régionale, je ne vois pas comment faire autrement que travailler à se rapprocher de ces autres ensembles régionaux.

Si l'on envisage les structures de capital des entreprises non financières en Hexagone et dans l'outre-mer, les investissements étrangers dans les outre-mer sont très faibles. De façon générale, le problème français qui est exacerbé en outre-mer, réside dans l'insuffisance des capitaux propres et le recours massif à l'endettement. Il est donc nécessaire de recycler l'épargne pour qu'elle aille dans les entreprises.

Dans l'Hexagone, les investissements étrangers dans les capitaux propres des entreprises non financières représentent 8 %, alors que ce taux est bien plus faible dans les outre-mer. Certains pourraient s'en féliciter en considérant cette situation comme une protection, mais pour ma part, je l'envisage plutôt comme le signe d'un manque d'attractivité de nos territoires ultramarins.

L'une des pistes à explorer est donc d'attirer davantage de capitaux externes pour développer l'activité des entreprises.

Renforcer la compétitivité peut favoriser les exportations.

Dans l'exemple du rhum, le tarif douanier n'est pas seul en cause. Il existe également un sujet de coûts de production élevés dans les outre-mer (salaires, prix des intrants...). Nous travaillons actuellement à la production de données fiables permettant de mesurer les coûts salariaux unitaires afin d'effectuer un comparatif avec les pays voisins. Sans ce comparatif, il est difficile de poser correctement la question de l'insertion régionale.

En outre-mer, les coûts de production sont plus élevés que ceux des marchés voisins. Toutes choses égales par ailleurs, il s'agit d'un obstacle rendant les produits ultramarins plus onéreux. À cela, s'ajoute quelques dysfonctionnements sur le marché des biens et services et du travail, qu'il conviendrait à mon sens de lever. Les mesures de soutien public visent à corriger ces dysfonctionnements sur le marché des biens, des services et du travail, mais sont peu efficaces et deviennent difficilement soutenables sur le plan financier. J'en donnerai un seul exemple. Aujourd'hui, des dépenses fiscales importantes (de l'ordre de 800 millions d'euros par an) sont engagées au titre du soutien aux investissements outre-mer. Cela fait 40 ans que l'État mène cette stratégie : qu'a-t-elle produit ? De mon point de vue, j'étudie des statistiques d'investissement et des taux d'investissement où je rapporte l'investissement à la valeur ajoutée. Je constate finalement qu'en outre-mer, les statistiques sont en-deçà de la valeur nationale. En définitive, des sommes très conséquentes sont consacrées en outre-mer à un investissement qui ne permet pas, dans mon tissu productif, de créer de la valeur. C'est ce que j'appelle des mesures de soutien peu efficaces.

Comment créer les conditions de la compétitivité si l'empilement des mesures de soutien public ne suffit pas ? Je suis très méfiant, par expérience et conviction, sur la multiplication des mesures car il faut déjà mener au bout les mesures existantes. Il est nécessaire d'accélérer la transformation numérique et de faire aboutir les réflexions engagées sur l'octroi de mer. Je ne suis pas un spécialiste de fiscalité mais je suggère seulement une réflexion sur l'un des axes qui participent de la formation des prix en outre-mer. Il est nécessaire d'aller au bout de cette réflexion.

Un autre axe, qui ne fait pas partie des sujets prioritairement traités, est celui des retards de paiement. Si l'ensemble des partenaires privés et publics parvenaient à se conformer à la réglementation, près de 900 millions d'euros de trésorerie seraient économisés dans l'ensemble des outre-mer. Pour les TPE-PME, les retards de paiement génèrent des retards de trésorerie et finalement, des problèmes de solvabilité. Mon sujet ici, s'il n'est pas très « glamour », consiste à proposer que les entreprises soient suffisamment solides pour se développer et vendre. Mais comment peuvent-elles le faire si elles doivent gérer en permanence des problèmes de trésorerie ? Je connais bien ce cas pour avoir été saisi de la situation d'une entreprise vendant du matériel médical de pointe en outre-mer, et qui fait face à des impayés depuis plusieurs mois. Cette PME ne peut fonctionner ainsi. Or, il est possible de résoudre ce problème en aidant les collectivités à mieux s'organiser financièrement et comptablement. Bien souvent, le sujet tient simplement à des problèmes d'organisation de la dépense et de gestion des factures au sein des collectivités.

Si les entreprises ne sont pas solides financièrement, je regrette de vous dire que l'ensemble de votre débat va patiner.

Autre point, ouvrir les systèmes bancaires des outre-mer sur les bassins régionaux.

Je donne ici un éclairage sur la façon dont le système bancaire est structuré en outre-mer. Nous constatons une présence forte des grands groupes bancaires français dans les outre-mer, tandis qu'aucun groupe bancaire international n'est présent.

Par ailleurs, 9 établissements indépendants (dont le capital est constitué majoritairement de capitaux locaux) sont recensés sur la totalité des 43 établissements présents. L'activité est essentiellement réalisée par les établissements présents sur place. Les financements des entreprises et des ménages, très majoritairement, sont accordés par un établissement installé localement. Une partie plus faible des financements est fournie par des établissements situés à l'extérieur du territoire.

Dans certains groupes bancaires, la stratégie consiste à collecter les dépôts localement et à les réinjecter localement. Cette attitude procède d'une bonne dynamique puisque le taux d'épargne en outre-mer est très élevé (20 à 25 %) alors que la moyenne hexagonale est de l'ordre de 17 %. Selon moi, il y aurait certainement matière à mieux utiliser cette épargne et à la recycler.

Enfin, il faut moderniser les ports ultramarins et améliorer leur connectivité

Le graphique projeté présente l'indice de connectivité des transports maritimes réguliers au quatrième trimestre 2022. Le port de Shanghai est considéré comme le mieux connecté internationalement. Sur nos territoires, La Réunion est bien positionnée dans son bassin légèrement après Maurice, la Guadeloupe et la Martinique le sont également dans la Caraïbe. Il faut cesser de se poser des questions et oser y aller.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin Indien. - J'ai beaucoup apprécié votre présentation. Comptez-vous actualiser votre étude de 2014 portant sur les échanges régionaux de La Réunion et Mayotte avec les chiffres que vous avez présentés en séance ?

Sur la question des normes, que vous n'avez pas évoquée, il faut souligner qu'elles s'imposent à nos producteurs alors qu'elles ne s'imposent pas aux producteurs des territoires voisins qui sont très souvent des pays membres d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP, une organisation qui coordonne la coopération des 79 États membres avec l'UE) à qui l'Union européenne accorde des avantages commerciaux. N'est-ce pas une grosse contrainte pour échanger avec ces territoires ?

Que pensez-vous de l'interventionnisme de l'AFD et des fonds européens ? Ne seraient-ils pas mieux utilisés pour mettre d'aplomb nos entreprises locales dans nos DROM ?

M. Ivan Odonnat. - L'étude de 2014 figure précisément au coeur du travail que j'ai mentionné rapidement. Cette étude devrait être actualisée d'ici juin 2024. Je ne sais pas si cela interviendra suffisamment tôt pour la conclusion de vos travaux, mais nous pourrons réfléchir à partager le maximum de choses avec vous pour étayer votre rapport.

J'ai un peu esquivé le sujet des normes car il ne semble pas qu'elles constituent le coeur du problème. De façon plus triviale, si vous voulez exporter, il faut avoir de quoi exporter. La caractéristique des productions locales des territoires est d'être très concentrées sur quelques secteurs. Il est donc nécessaire de se doter d'une structure d'exportation plus solide et compétitive. Ensuite, la question des normes est évidemment un enjeu si l'on considère les barrières tarifaires à l'entrée. On pourrait considérer que les normes européennes doivent s'ajuster à la pratique d'autres territoires. Or les normes sont présentes partout de façon différente.

J'ai eu récemment une discussion avec un producteur de produits laitiers en Guyane confronté à l'étroitesse de son marché, dont les coûts unitaires ne sont pas compétitifs par rapport à un géant tel que Lactalis. Je lui ai demandé un peu naïvement pourquoi il ne tentait pas d'exporter au Brésil. Il m'a expliqué que dans ce pays, toutes sortes de normes l'empêchant d'écouler ses produits lui étaient opposées.

Finalement, le sujet des normes ne représente pas uniquement un débat des territoires avec les instances européennes ou nationales. Ce débat doit s'inscrire dans une discussion avec les partenaires commerciaux potentiellement visés, et pas uniquement avec l'Europe. En cela, une meilleure insertion dans les accords régionaux existants est nécessaire sur la base d'une plateforme qui vise cet objectif. Bien évidemment, il existe toujours des normes incompréhensibles ou absurdes auxquelles il faut faire la chasse, mais ce n'est pas le seul sujet. Pour renforcer la capacité des territoires à commercer avec leurs voisins, un échange est nécessaire pour aligner les normes, y compris celles qui sont non-écrites.

Concernant le rôle de partenaires financiers tels que l'AFD, la question est pertinente et doit être explorée. Du point de vue de la politique économique, il est nécessaire de réfléchir à la coordination aussi étroite que possible. En tant qu'acteur financier, nous sommes les banques centrales de l'outre-mer. La préoccupation d'une banque centrale s'inscrit dans une perspective de financement de court terme.

Nous nous assurons que les banques ont la capacité de financer les économies. Par conséquent, nous offrons des services de refinancement permettant aux banques de recevoir de la liquidité en contrepartie de garanties qu'elles nous remettent, pour ensuite transférer cette liquidité aux entreprises et aux ménages qui en ont besoin, à des taux d'intérêt suffisamment confortables pour les emprunteurs. L'AFD est un investisseur qui travaille sur des sujets de développement. Son horizon est donc plus lointain, à cinq ou dix ans. L'AFD est capable d'absorber plus de risques qu'une banque commerciale qui doit gérer des sujets de profitabilité.

Nous réunissons régulièrement sur les différents territoires l'ensemble des banques, l'AFD et la CDC pour articuler les différentes actions. Je suis persuadé que nous pouvons encore nous améliorer.

Mme Audrey Bélim. - Merci pour cette présentation très enrichissante. Comme vous l'avez noté dans votre dernier rapport annuel économique sur La Réunion, l'île est un exemple en termes d'infrastructures de réseau, avec notamment un taux de déploiement à 91 % contre 74 % sur l'ensemble de la France. Elle s'affiche comme étant la deuxième région la plus fibrée derrière l'Ile-de-France. Rappelons d'ailleurs la tenue depuis quelques années à La Réunion du forum d'affaires NxSE, d'envergure internationale, et l'entrée récente de l'île dans la FrenchTech. La coopération régionale en matière de télécommunications fut marquée par la mise en service en mars 2021 du câble de fibre optique Métis, qui relie La Réunion, Maurice et Madagascar à l'Afrique du Sud. C'est un acquis qu'il nous faut consolider et il est temps de passer aujourd'hui à l'acte 2 de l'économie numérique dans l'océan Indien.

Or, nos start-ups manquent de capitaux. Comment pourrions-nous renforcer la coopération en unissant les capitaux de Maurice par exemple, pour que nos entreprises en bénéficient ?

Je note que dans votre étude sur l'économie numérique de La Réunion, vous indiquez que si l'économie numérique représente 4 000 personnes dans notre île, la part de celle-ci dans les emplois salariés apparaît relativement faible à La Réunion comparativement aux autres régions. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Mme Annick Petrus. - Monsieur le président, merci d'enrichir les travaux de mes collègues par vos précieuses réponses. Je souhaiterais tout d'abord vous faire part de ma satisfaction après la réouverture du bureau d'accueil et d'information de l'IEDOM à Saint-Martin. Les Saint-Martinois pourront obtenir des réponses sur plusieurs problématiques telles que le dépôt d'un dossier de surendettement, l'information sur un dossier en cours, l'exercice du droit d'accès au fichier de la Banque de France et l'exercice du droit au compte. Enfin, je constate que l'IEDOM a renforcé ses actions de sensibilisation des travailleurs sociaux de Saint-Martin à l'accompagnement des situations de surendettement. Je me réjouis de toutes ces avancées.

À Saint-Martin, nous pratiquons depuis longtemps le concept d'intégration régionale. En effet, nous partageons notre île avec Sint-Maarten, ce qui n'est pas simple. Par son statut de pays et territoire d'outre-mer, Sint-Maarten n'est pas membre de l'espace Schengen ni de la zone euro. Il n'est donc pas soumis à l'application directe du droit communautaire et de ses normes. De plus, n'ayant que peu de systèmes d'amortisseurs sociaux comparables à ceux qui existent en partie française, Sint-Maarten est ainsi un territoire plus attractif pour les investisseurs. La fiscalité y est moins lourde, ce qui en fait un territoire plus propice au développement du tourisme. Finalement, le plus redoutable concurrent de Saint-Martin est son voisin de la partie hollandaise de l'île. Ce voisin dispose des mêmes atouts que nous, certains sont mêmes supérieurs (casinos, infrastructures portuaires et aéroportuaires...). L'image est comparable aux yeux de la clientèle mais Sint-Maarten dispose d'un avantage compétitif très significatif en matière de coûts salariaux.

Il est évident que la continuité territoriale de Saint-Martin avec la partie néerlandaise engendre une situation particulièrement concurrentielle. Sint-Maarten dispose d'une réglementation, d'une fiscalité et d'une politique sociale qui ne sont pas équivalentes à celles de Saint-Martin. Quelles stratégies pourraient être mises en oeuvre pour attirer les investisseurs régionaux et internationaux dans les îles des Antilles et encourager les partenariats avec les acteurs économiques de la région caribéenne ?

M. Frédéric Buval. - Monsieur le président, je vous remercie pour la qualité de votre intervention et votre pédagogie. L'une des plus emblématiques entreprises martiniquaises se trouve aujourd'hui en difficulté financière comme près de 2 000 établissements en outre-mer, si l'on en croit votre rapport sur les défaillances des entreprises ultramarines entre septembre 2022 et septembre 2023. Sur un an, le nombre de défaillances était en hausse de 30 %. Ainsi en Guadeloupe, l'augmentation a atteint les 16 % mais c'est surtout à La Martinique et à La Réunion qu'elle a été considérable, où les défaillances ont progressé de 58 % et 40 %. La situation n'est pas nouvelle mais elle est inquiétante. En effet, les entreprises manquent cruellement de fonds propres mais ne se voient proposer que des prêts à court terme, à des taux d'intérêt supérieurs à ceux pratiqués dans l'Hexagone. L'IEDOM constitue de ce fait un partenaire financier incontournable pour nos territoires et nos entreprises.

Aussi, compte tenu du niveau d'endettement de nos entreprises, soumises à la fois à des contraintes structurelles et au coût des intrants, pouvez-vous nous indiquer comment l'IEDOM peut se positionner aux côtés des élus et des autres organismes financiers pour accompagner au mieux et rapidement les entrepreneurs des outre-mer ?

M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le Président, avec les investissements réalisés par Total sur la zone du canal du Mozambique et avec les problèmes posés par les Houtis, la situation géographique de Mayotte est-elle un atout pour la France dans le domaine du commerce international à ce jour ?

M. Georges Naturel. - Merci pour cette présentation et pour le travail réalisé par votre structure. Derrière les constats, nous devons décider comment orienter les politiques publiques, qui sont différentes selon les bassins. J'évoquerai le bassin Pacifique, qui présente des particularités. Dans le passé, nous échangions beaucoup avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande mais cela a cessé pour des raisons d'habitudes alimentaires. Aujourd'hui le bassin Pacifique s'approvisionne largement en Europe, ce qui génère des prix très élevés. Un autre élément non négligeable lorsqu'on aborde la problématique des investissements étrangers, tient à l'instabilité politique qui a cours en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Je n'ai pas de question particulière à poser mais je suis très intéressé par votre travail. En Nouvelle-Calédonie, le nickel n'est plus d'actualité. Il sera donc nécessaire de trouver des pistes de diversification. Nous avons un tissu de petites entreprises dynamiques susceptibles de travailler pour exporter jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Mme Solanges Nadille. - Merci pour cette présentation assez complète. Je poserai une question directe en tant que sénatrice de la Guadeloupe. Pensez-vous que l'octroi de mer puisse avoir un impact sur la vie chère dans les territoires concernés ? Personnellement, je ne pense pas qu'il s'agit de la source du problème. Par ailleurs vous avez évoqué les capitaux étrangers non investis dans nos territoires, mais la démarche pour les attirer est-elle seulement menée ?

Enfin, nous parlons d'amélioration numérique mais en réalité, nos territoires rencontrent des problèmes de zones blanches, en particulier du fait du manque d'ingénierie au sein de certaines de nos collectivités ultramarines.

Mme Micheline Jacques, président. - Y a-t-il une explication au retard de la collecte des données dans les outre-mer alors qu'elles sont indispensables au pilotage des politiques publiques ? Il s'agit aussi de trouver des alternatives aux industries mono-sectorielles qui s'épuisent.

M. Ivan Odonnat. - Je commencerai par la réponse à cette dernière question sur les données puisqu'il s'agit de ma formation. Aucune politique économique cohérente n'est possible sans données chiffrées et fiables. En outre-mer, la situation n'est pas encore satisfaisante en la matière. Je suis très clair sur ce point. Les instituts d'émission font leur part. Nos rapports annuels publiés sur chaque territoire répondent sans doute en partie aux attentes. C'est un début mais ces données annuelles sont insuffisantes pour effectuer une analyse économique conjoncturelle, identifier les points d'inflexion et les manques. C'est ce que nous essayons de faire au travers de publications que nous menons tous les trimestres pour mesurer l'état de la conjoncture. Nous interrogeons à cette fin les chefs d'entreprise, mais à une fréquence trimestrielle alors que l'enquête de l'Insee et celle de la Banque de France sur l'Hexagone sont réalisées tous les mois. De même les relevés de prix sont une information trimestrielle et parfois mensuelle, mais pas sur tous les territoires.

Les marges d'amélioration sont donc évidentes sur beaucoup de sujets, y compris sur les données déjà produites pour en accroître la fréquence. Le fait de passer de l'étude de 2014 à 2022 sans aucune étude intermédiaire relève d'un problème d'organisation et de priorité. Pour mener ce travail à bien il est nécessaire d'avoir un socle de données solides et pérennes.

Je ne peux me prononcer sur le rôle des instituts statistiques car nous ne sommes pas les seuls à produire de la donnée. En revanche, peu d'acteurs privés sont présents sur ce segment. Je partage votre préoccupation tout en étant optimiste car nous nous attachons à combler les lacunes.

S'agissant de la coopération dans l'océan Indien, nous constatons un état d'esprit à La Réunion qui rend un certain nombre d'actions possibles. Pour développer la coopération, une prise de risque est nécessaire. La croissance potentielle dans les territoires réside d'abord dans leur population : l'enjeu pour La Réunion est d'exploiter au mieux cette ressource, ce qui relève du rôle des élus et des chefs d'entreprise. Malgré les atouts qui lui sont propres, La Réunion a une organisation de son activité économique que je considère, comme dans l'ensemble des territoires d'outre-mer, comme déséquilibrée, avec une prédominance du secteur public. Je ne voudrais pas susciter l'incompréhension. Nous avons fait le choix, pour intégrer et mieux assoir la solidarité nationale, de faire de l'intervention publique. Lorsque j'ai fait le constat de l'inefficacité des aides publiques, je n'ai pas dit qu'elles n'étaient pas nécessaires. Pour autant, comment les organiser ? La création de valeur ajoutée ne doit pas venir du secteur public. Elle doit venir des entreprises et des ménages, qui génèreront de la valeur ajoutée et paieront des impôts.

Dans le premier graphique que j'ai montré, j'ai souligné la prédominance de la consommation en faisant le lien avec le commerce extérieur et en mettant en évidence la faiblesse des investissements. Dans les outre-mer, le retard d'investissement peut être caractérisé de la façon suivante. Je prends pour référence la situation France entière, la rapporte par quantité d'investissement en montant par tête d'habitant, et je constate que l'outre-mer se situe en-deçà de la moyenne nationale. Le lien avec notre débat se situe précisément ici : si une entreprise veut élargir son marché et acquérir de nouvelles technologies, elle doit investir. Or en outre-mer, l'investissement public par tête d'habitant est équivalent ou supérieur à celui pratiqué dans l'Hexagone. L'écart massif est constaté dans l'investissement privé des entreprises, ce qui représente une difficulté pour La Réunion comme pour tous les autres territoires. Cet effort doit donc être suivi dans la durée avec des repères. Nous nous attachons à offrir ce type de repères au gouvernement et je porte moi-même le message aux ministères. Ensuite, l'action ne nous appartient pas puisque nous sommes dans l'analyse.

La question sur l'emploi salarié est intéressante. Les start-ups créent un engouement car la jeunesse et les idées se déploient, ce qui est formidable. Or, nous parlons d'entreprises qui génèrent peu de valeur ajoutée à ce stade avant de passer à l'échelle, et rencontrent un problème de fonds propres. Il faut conquérir des marchés au-delà des bonnes idées. Cette ambition ne se traduit pas encore en termes d'emplois privés par rapport à la masse d'emplois publics existants. De ma part, il n'y a aucune vision idéologique. Je vous livre une analyse parce que dans les grandes économies modernes, la bonne composition du PIB est celle où un investissement suffisant permet de générer des revenus. Si les ménages et les entreprises génèrent des revenus, ils paieront des impôts avec lesquels les collectivités publiques investiront pour financer leur action. Le cercle vertueux est ici. Nous pourrions longuement débattre de ces questions.

Saint-Martin représente un beau cas d'école. J'ai envie de vous suivre jusqu'au bout. Nous avons sous les yeux un territoire qui semble mieux se débrouiller que l'autre alors que les conditions initiales y sont similaires. Puis les choix opérés dans le temps en matière fiscale et salariale notamment, créent des conditions plus attractives pour les investisseurs. Je pense qu'il faut s'interroger sur les choix et stratégies économiques et sortir, peut-être, d'une vision monolithique ou trop rigide dans l'application de la réglementation. Je n'ai pas de solution toute faite mais il faut aller au bout des constats posés. De vous à moi, je déteste l'explication liée à l'isolement des territoires car j'ai constaté, dans de nombreuses îles du monde, une forte activité économique et de l'insertion. Bien entendu, l'isolement est un problème si la relation économique est exclusivement entre Paris et ses territoires ultramarins. On peut donc réfléchir au sujet différemment pour être plus efficace.

Nous nous sommes rendus à Sint-Maarten où nous avons rencontré la banque centrale pour échanger nos analyses de la situation économique. Vos mots forts agréables pour le travail de l'agence de Guadeloupe seront transmis. Notre agence à Pointe-à-Pitre déploie à présent son activité pour l'ensemble des collectivités. L'équipe de Marina Berreur, qui m'accompagne, se rendra dans les îles du Nord pour commencer un travail de mesure du PIB. En définitive, la relation de travail que nous avons établie avec Sint-Maarten devrait nous permettre d'acquérir une meilleure compréhension. J'ai demandé ce travail d'analyse des performances économiques de Sint-Maarten au directeur de l'agence de Guadeloupe. Dès que l'analyse sera prête, nous la partagerons largement. Je ne dis pas que les exemples voisins représentent la seule solution, mais nous ne devons pas non plus hésiter à nous remettre en question.

Concernant les défaillances d'entreprises, nous disposons de statistiques qui remontent à 2019. Notre préoccupation au sortir de la pandémie de Covid était de mesurer l'impact du soutien public sur les statistiques de défaillances d'entreprises et si brutalement, nous serions submergés de défaillances d'entreprises n'ayant survécu que grâce au soutien public. Tel n'a pas été le cas. Aujourd'hui, nous constatons une montée progressive du nombre de défaillances sur les territoires, qui est supérieure à celle de la période de l'avant-Covid. Il s'agit d'un sujet d'inquiétude, avec des difficultés concentrées dans le secteur du bâtiment et de la construction. Je pense qu'il y a un lien à faire avec les retards de paiement par les collectivités publiques, et les difficultés de trésorerie consécutives des entreprises.

En parallèle, nous accompagnons les entreprises dans ce parcours. Nous évaluons leur situation financière, leur donnons une cotation et les accompagnons dans leur relation avec les banques. Pour celles qui sont en difficulté, nous leur proposons un service (très mal connu) de médiation pour les aider à négocier leurs conditions de crédit. Il ne faut pas hésiter à relayer ce service trop mal connu car nous servons de tiers de confiance entre le banquier et l'entreprise.

Concernant Mayotte, il est évident qu'elle représente un atout pour la France. J'ai assisté à une présentation d'un militaire de haut rang sur la stratégie maritime française qui a longuement insisté sur le positionnement de Mayotte à côté de l'Afrique. En cela, le positionnement Mayotte est stratégique. D'un point de vue économique, l'énergie entrepreneuriale que j'ai constatée à Mayotte est phénoménale, y compris dans les nouvelles technologies. Les axes d'action consistent à rendre l'intervention publique plus efficace et renforcer l'investissement privé. Ces deux piliers sont applicables partout.

Sur l'octroi de mer, mes propos étaient factuels. Je n'ai tiré aucune conclusion sur les mesures qu'il conviendrait de prendre. L'octroi de mer est un paramètre dans l'équation, qu'il ne faut ni diaboliser ni ignorer. La seule difficulté sur l'octroi de mer consiste à décider de son utilisation. L'incitation fiscale en elle-même fait partie des moyens d'action, mais comment l'exercer quand un produit n'atteint pas son but ? En la matière, il convient sans doute de s'interroger sur le mode opératoire ou le calibrage.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clôturer cette audition, nous avons retenu que les territoires ultramarins ne sont pas assez bien insérés économiquement dans leurs bassins géographiques. Ils y gagneraient au regard de la cherté de la vie, mais cet objectif n'est pas le seul à remplir pour augmenter l'attractivité de nos territoires. En particulier, il sera nécessaire de développer et consolider davantage l'activité des entreprises, tout en ne bannissant pas la dépense publique.

Sur l'octroi de mer, la commission des Finances en partenariat avec la Délégation aux outre-mer va mener une réflexion et organisera prochainement une table ronde. Il conviendrait aussi d'analyser la fiscalité dans son ensemble afin de rechercher des pistes d'amélioration.

Nous ferons aussi passer le message que l'IEDOM est à l'écoute des entreprises qui ne connaissent pas certains dispositifs. Ainsi, nous contribuerons tous à une meilleure prise en main de l'activité économique de nos territoires. Nous sommes favorables à récupérer toutes vos contributions, que nous utiliserons à bon escient.

Jeudi 15 février 2024

Audition de Charles Trottmann, directeur du Département des Trois Océans de Agence Française de Développement (AFD)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous accueillons ce matin Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.

L'Agence française de développement est l'une des institutions majeures du soutien public, à la fois banque et organisme de coopération.

Son action est bien connue pour les pays en voie de développement, mais beaucoup moins en ce qui concerne les outre-mer, alors que la masse financière en jeu est conséquente. En 2021, l'AFD a consacré 1,4 milliard d'euros dans les trois océans en concentrant ses interventions sur le développement économique, social et les défis communs comme la lutte contre le changement climatique.

Pour renforcer l'intégration régionale des outre-mer et apporter une réponse globale à des problématiques transfrontalières, l'AFD a adopté en 2019 la stratégie dite « Trois Océans ». Cette approche - que nous avons aussi souhaité reprendre pour notre rapport - permet d'associer dans la réflexion les territoires ultramarins et les États étrangers voisins dans les trois bassins océaniques : Atlantique, Indien et Pacifique.

Il était donc très important de vous entendre, Monsieur le directeur, dans le cadre de cette étude.

Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour répondre aux questions de nos rapporteurs et des autres membres de la délégation aux outre-mer.

Nous souhaitons naturellement vous interroger sur le degré d'intégration ou d'insertion régionale de nos territoires ultramarins dans chaque bassin océanique, en commençant cette année par le bassin Indien.

Une meilleure intégration régionale pourrait-elle selon vous constituer un levier contre la vie chère ? Plus largement, quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ?

Je laisserai nos rapporteurs présents vous interroger après votre exposé liminaire sur les aspects plus précis, puis nos collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.

Monsieur le président, je vous cède la parole.

M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement. - Je souhaite tout d'abord vous remercier pour votre invitation. C'est un plaisir de pouvoir venir vous parler de l'intégration régionale de nos outre-mer. Comme vous l'avez très justement souligné, cet enjeu est central au sein du mandat de l'AFD dans ces territoires et les États étrangers voisins.

L'AFD est sans doute l'un des seuls opérateurs de l'État présent à la fois dans tous les outre-mer et dans tous les États voisins. Cela résulte bien sûr de son histoire : l'AFD était la Caisse centrale de la France libre, puis de la France d'outre-mer. Elle était présente dans tous les territoires qui faisaient partie de la France, mais a ensuite développé son activité dans tous les pays en développement.

Ce maillage singulier, fruit de l'Histoire, s'est déployé stratégiquement dans une période récente. Comme vous l'avez souligné, la création du département des Trois Océans, que j'ai l'honneur de diriger depuis 2019, a modifié l'organisation et sans doute le regard de l'AFD sur sa façon de travailler dans ces territoires.

Historiquement, l'AFD disposait d'un département outre-mer et de départements Afrique, Amérique Latine-Caraïbes et Asie-Pacifique. L'outre-mer était ainsi traité en silo par rapport aux autres zones dans lesquelles nous travaillions. Cela induisait un biais. En effet, l'outre-mer était considéré en tant que tel ou dans son rapport avec l'Hexagone, mais non dans ses spécificités ni dans les trajectoires de développement propres à chacun de ses territoires du fait de leurs caractéristiques géographiques, sociales, économiques ou démographiques.

Sous l'impulsion de l'État, nous avons changé de regard. En 2018, un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement nous a enjoint d'élaborer des stratégies par bassin. Nous avons alors recherché comment être plus pertinents au service de chacun de ces territoires.

Ainsi, l'approche « Trois Océans » signifie que les outre-mer ne sont pas seulement considérés dans un rapport de rattrapage, même si l'enjeu reste essentiel, mais aussi dans leur propre trajectoire de développement ancrée dans une réalité géographique.

Elle signifie aussi que les États étrangers sont vraiment considérés comme partageant des enjeux communs en matière de sécurité sanitaire, de migrations, de commerce, d'infrastructures, etc.

En outre, l'approche « Trois Océans » se traduit par une maille d'action beaucoup plus forte à l'échelle des bassins ; cet échelon se révèle le plus adapté à la mise en oeuvre des projets qui relient les différents territoires, en matière de sécurité sanitaire, de lutte contre le réchauffement climatique ou de gestion des déchets.

Un dernier niveau stratégique consiste à partager des solutions entre territoires insulaires partout dans le monde. En effet, quelle que soit l'organisation institutionnelle de chacun de ces territoires, beaucoup de questions se posent dans les mêmes termes, comme l'érosion côtière, l'autonomie énergétique ou alimentaire.

Tel est notre cadre stratégique depuis 2019. Il a été renforcé politiquement l'année dernière : le Comité interministériel de la coopération internationale et le développement (CICID), comme les orientations prises par le Comité interministériel pour les outre-mer (CIOM), ont remis au rang des priorités l'intégration régionale des outre-mer.

Ce cadre stratégique se traduit opérationnellement par une très forte montée en charge du nombre et du volume de projets menés à l'échelle régionale, impliquant au moins deux territoires d'un même bassin océanique. Alors que ces projets régionaux étaient presque inexistants auparavant, leur volume annuel se situe en moyenne autour de 50 ou 60 millions d'euros dans les trois bassins. Pour information, les réponses à votre questionnaire comporteront davantage de chiffres.

À titre d'illustration, je citerai quelques modalités d'actions mises en place au fur et à mesure du déploiement de ce mandat. Beaucoup d'entre elles, notamment en matière de biodiversité ou de lutte contre le changement climatique, sont financées grâce aux crédits du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères dans le cadre du « Programme 209 ».

Nous sollicitons aussi des « crédits délégués », alloués par des financeurs internationaux, notamment l'Union européenne (le NDICI, et le FED précédemment), pour des projets de coopération régionale dans chaque bassin de l'UE. Dans le même esprit, nous avons mobilisé le Fonds vert pour le climat, uniquement dans l'océan Indien à ce stade, dans le cadre de deux projets conséquents, pour lesquels nous avons levé environ 80 millions d'euros : le premier concerne l'hydrométéorologie, le second des solutions fondées sur la nature pour préserver la biodiversité.

En outre, nous bénéficions de quelques fonds du ministère des Outre-mer, à travers notamment le « Programme 123 » qui alimente les outils de l'AFD.

Enfin, quelques instruments spécifiques orientés « acteurs » méritent d'être cités, comme la Facilité de financement des collectivités locales (FICOL) ou le Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (FEXTE).

La FICOL est dédiée au soutien des actions décentralisées des collectivités locales. Cet instrument produit un effet de levier très puissant, jusqu'à 70 % du financement, pour inciter les collectivités à mener des actions à leur initiative. Un premier bilan sera réalisé cette année dans les trois bassins. Il pourrait permettre de dynamiser encore cette facette de la coopération régionale.

Le FEXTE permet de recourir à des acteurs français de toute nature (entreprises ou agences publiques) pour financer des prestations d'expertise auprès d'États étrangers. Les résultats sont très positifs dans nos bassins. À titre d'exemple, nous avons sollicité l'Agence d'urbanisme de La Réunion pour appuyer des plans de développement à Madagascar et aux Comores ; dans le même esprit, l'agence Enercal de Nouvelle-Calédonie a été mobilisée pour une expertise sur le développement des énergies renouvelables en Papouasie-Nouvelle Guinée. Ces fonds confiés par le ministère des Finances constituent un instrument de projection d'une expertise française localisée dans les bassins, jugée plus pertinente par les États de la zone, car elle est plus proche d'eux.

En dernier lieu, je souhaiterais citer le dispositif Initiatives OSC (organisation de la société civile). Il fonctionne chaque année sous forme d'appel à projets permettant aux organisations de la société civile française d'intervenir dans les États étrangers au titre de la solidarité internationale. Historiquement, le dispositif était assez peu mobilisé outre-mer, mais nos actions d'incitation menées depuis deux ans auprès de la société civile ultramarine ont rencontré un certain succès. Une dizaine d'OSC ultramarines ont ainsi pu bénéficier de financements pour des programmes majoritairement mis en oeuvre à proximité dans leur bassin.

En conclusion, nous disposons d'une large palette d'instruments. Cependant, ils demeurent construits en silo, si bien que l'assemblage des différents fonds demeure malaisé. Au niveau européen, comme au niveau national, il manque un outil dédié permettant de construire des projets intégrés de coopération régionale. Nous en discutons avec nos ministères.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Votre intervention va pleinement dans le sens des travaux de la délégation.

Je cède la parole à nos rapporteurs ici présents.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le bassin Atlantique. - Merci pour cette présentation.

Mon regard de Valdoisienne est un peu différent de celui de mes collègues. Depuis le début de nos auditions, la complexité et les strates de cette coopération régionale m'interrogent. Je constate l'intérêt de la stratégie des trois océans que vous avez mise en place. Elle ne peut que simplifier la situation, car, pour être différents, les territoires ultramarins présentent des forces et des faiblesses communes.

Dans ce cadre, je souhaiterais poser plusieurs questions.

Assurez-vous la coordination entre tous les acteurs de la coopération régionale : les chambres de commerce et d'industrie, les collectivités locales, etc. ?

Associez-vous les collectivités ultramarines à vos réflexions, en particulier dans la définition de votre stratégie d'action ?

Quels moyens de soutien et d'intervention pouvez-vous développer auprès des organisations régionales ?

Enfin, une part de votre action est-elle consacrée aux sujets liés à la sécurité ? Ceux-ci représentent en effet un élément essentiel de stabilisation de nos territoires ultramarins.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Ma principale question porte sur votre positionnement. En tant qu'instrument financier et bras armé de l'État en matière de coopération, parvenez-vous à faire la part des choses ? Ainsi, vous êtes l'outil financier chargé de l'exécution de l'accord-cadre entre l'État français et les Comores, mais avez-vous le contrôle des fonds déjà versés ? Disposez-vous d'indicateurs pour évaluer les résultats par rapport à l'objectif de réduction des flux migratoires vers Mayotte ? Quelles suites avez-vous données à cet accord ? Sachant que ce plan est un échec, interviendrez-vous comme prévu jusqu'en 2030 ?

Par ailleurs, il vous est souvent reproché de consentir de meilleurs taux aux États étrangers voisins qu'aux DROM. Pourriez-vous comparer ces financements et surtout communiquer auprès des collectivités locales sur les investissements réalisés dans leur voisinage immédiat ? À titre d'exemple, le financement par l'AFD du pont du Suriname n'a été connu que tardivement en Guyane.

M. Charles Trottmann. - Je répondrai à ces questions dans l'ordre.

L'AFD n'est qu'un opérateur de l'État parmi d'autres. Le rôle de coordination est assuré par les représentants de l'État, à savoir les ambassadeurs délégués à la coopération régionale. Ils sont chargés de coordonner tous les acteurs publics et privés, locaux et internationaux sur ces sujets-là.

Toutefois, l'AFD présente une double spécificité. D'une part, elle est le seul acteur présent des deux côtés, ce qui lui procure une acuité de regard particulière. D'autre part, ses actions en matière de coopération régionale sont les plus conséquentes en volume. Elles représentent aujourd'hui plusieurs centaines de millions d'euros.

Notre rôle se révèle donc central. Nous entretenons un dialogue permanent avec les préfectures, les ambassades, les grandes collectivités locales, y compris leurs délégations aux relations internationales, et les acteurs de la coopération internationale, comme les organisations régionales ou les unions de chambres de commerce lorsqu'elles existent.

Le rôle des collectivités locales est essentiel. L'élaboration de la stratégie Trois Océans en 2018-2019 a notamment donné lieu à une assez large concertation externe, en particulier sur les attentes des collectivités ultramarines. Plusieurs d'entre elles ont été interrogées l'an dernier à l'occasion du bilan de cette stratégie. La perception se révèle globalement très positive, puisque 90 % des personnes interrogées observent un progrès dans la prise en compte des enjeux transversaux.

Cela étant, nous restons un opérateur de l'État, dont le mandat est déterminé par le CICID, par notre contrat d'objectifs et de moyens avec l'État et par les stratégies pays que nous mettons en place. L'écoute de nos partenaires, comme les collectivités locales, nous permet toutefois d'assurer un équilibre. Les collectivités d'outre-mer sont aussi nos clients, puisque nous sommes leur premier financeur. Nous portons en effet 50 % de la dette publique de tous les acteurs publics ultramarins. Par conséquent, nous entretenons au quotidien un dialogue très étroit qui nous permet de capter des messages un peu différents de ceux que perçoivent d'autres acteurs de l'État dont la posture est plus régalienne.

Les organisations régionales représentent un maillon très significatif de l'action. Elles interviennent dans la grande majorité de nos projets régionaux.

Dans l'océan Indien, au coeur de votre réflexion cette année, nous travaillons beaucoup avec la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France est membre au titre de La Réunion. Une dizaine de projets sont aujourd'hui en cours d'exécution. Ils concernent la sécurité sanitaire, la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution plastique, l'inclusion économique des femmes, la formation professionnelle et la mobilité entre territoires de la zone...

Outre ce partenaire central, je citerai l'Association des États riverains de l'océan Indien (IORA), dont la France est membre depuis quelques années. Son périmètre géographique est plus large et sa substance opérationnelle moindre, mais elle constitue un espace d'échange et de coopération intéressant. Nous travaillons avec elle sur des sujets d'économie bleue et de mobilisation des ressources marines.

Côté océan Atlantique, nos partenaires sont d'abord l'Organisation des États de la Caraïbe orientale, avec laquelle nous avons conduit plusieurs projets sur la préservation des mangroves, la lutte contre la pollution plastique ou l'harmonisation des normes d'interconnexion aérienne entre les différentes autorités de régulation.

Par ailleurs, nous travaillons un peu avec la Communauté caribéenne (CARICOM), notamment avec son agence de surveillance épidémiologique et de sécurité sanitaire.

Enfin, nous sommes en relation avec la Banque de développement des Caraïbes. L'AFD lui a prêté des fonds, permettant ainsi aux entreprises ultramarines de candidater sur les lignes de crédits correspondantes. Nous espérons que le retour de la France dans son capital permettra de multiplier les opportunités.

Dans le Pacifique, nous travaillons avec la Communauté du Pacifique, qui siège à Nouméa, avec le Programme régional océanien pour l'environnement et avec le Forum des îles du Pacifique.

Nous sommes notamment actifs dans le cadre du programme Kiwa. Cette initiative, lancée en 2017, se révèle innovante. Elle est collective, car les fonds proviennent du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Union européenne et de la France. Elle permet de financer des solutions fondées sur la nature, comme l'utilisation des capacités de régénération et les techniques agricoles de conservation, pour s'adapter au changement climatique. 75 millions d'euros ont été mobilisés à cet effet au cours des dernières années. Ils présentent la particularité de pouvoir être mis en oeuvre dans tous les territoires de la zone. Un même programme peut donc s'appliquer dans plusieurs territoires, qu'ils soient français ou étrangers. L'ingénierie est complexe, mais apparaît pertinente.

Dans les outre-mer, la sécurité relève de l'État. Dans les États étrangers, notre mandat est limité par l'OCDE. Nous ne pouvons intervenir qu'en matière de sécurité civile (pompiers, douanes...), mais non pour le maintien de l'ordre (police, armée...). Pour autant, notre approche consiste à intervenir à long terme sur les causes profondes de l'insécurité en agissant sur l'inclusion, l'emploi, etc.

Sur le plan financier, l'AFD est un instrument de la coopération internationale dont l'actionnaire est l'État. Notre mandat est donc public.

Je ne m'exprimerai pas sur le volet politique des relations entre Mayotte et les Comores. Cependant, il convient de rappeler que le plan de développement France-Comores a permis de débloquer une situation de crise. En 2018-2019, les Comores refusaient en effet de reprendre leurs ressortissants sous obligation de quitter le territoire français.

Dans ce cadre, l'AFD a apporté 150 millions d'euros d'engagements financiers pour aider au développement des Comores, en contrepartie d'un double effort. Le premier concernait les réadmissions. À cet égard, les Comores sont irréprochables puisqu'elles reprennent 25 000 ressortissants par an sans laissez-passer consulaire. Le second portait sur la prévention des départs. Beaucoup reste sans doute à faire en la matière, mais cela ne relève pas de l'AFD.

Celle-ci cherche à agir sur les causes profondes des migrations en concentrant les fonds sur trois grands secteurs : l'éducation, la santé et l'insertion dans l'emploi, en particulier dans les secteurs agricoles.

Conformément à la demande qui nous était faite, nous avons engagé la totalité des fonds fin 2021. La mise en oeuvre se réalise progressivement, sans doute jusqu'en 2028 ou 2029, à la mesure des capacités d'exécution des partenaires comoriens. En tout état de cause, le dispositif est très étroitement contrôlé. Outre l'agence de l'AFD présente sur place et constituée d'une quinzaine de personnes, environ cinquante collaborateurs français d'Expertise France accompagnent sur place la mise en oeuvre des programmes. Chaque euro peut ainsi être tracé.

Leur utilisation est très concrète : rénovation de cinq hôpitaux, dont les maternités d'Anjouan, construction ou rénovation de cinquante écoles, accompagnement de plus de 8 000 personnes en formation professionnelle et insertion... L'AFD agit réellement, selon ses capacités techniques et financières, même si cela ne suffit pas à compenser l'écart structurel de niveau de vie - actuellement d'un à huit - entre Anjouan et Mayotte.

Enfin, nos conditions financières sont bien entendu plus favorables dans les territoires ultramarins que dans les États étrangers, d'une part parce que les ressources bonifiées par l'État permettent d'abaisser le coût de nos prêts outre-mer, d'autre part car ces collectivités françaises présentent moins de risques.

De fait, les taux y sont structurellement moins élevés, même si les États étrangers peuvent accorder des dons, ce qui est peu fréquent outre-mer même si la pratique se développe avec le Fonds outre-mer. À cet égard, je souhaite vous remercier pour les efforts que vous accomplissez pour le développement de nos capacités.

Concernant l'information sur nos financements, l'intégralité des projets financés dans les États étrangers est publiée sur le site de l'AFD. Nous ne cachons rien. En revanche, nous pourrions être plus proactifs en matière d'information ou de régularité de l'information entre nos territoires.

Au Suriname, nous avons financé notamment l'hôpital d'Albina, de l'autre côté de la frontière. Nous reprenons les opérations qui avaient été interrompues depuis quelques années en raison d'impayés. Il est en effet utile de continuer à informer de nos actions les autorités locales, via notre agence de Guyane.

Mme Micheline Jacques, président. - Je donne la parole à nos deux collègues de Mayotte.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous ai écouté avec attention, Monsieur le directeur, et je ne suis pas d'accord avec vos propos. L'AFD est une agence française. Elle doit d'abord oeuvrer pour les intérêts de la France.

Je conçois que vous ne puissiez vous prononcer sur des questions politiques, voire géopolitiques. Cependant, les Comores ne respectent pas leur part de contrat. La situation migratoire à Mayotte n'a jamais été aussi préoccupante. Les Comores exercent un chantage migratoire à l'encontre de la France. Elles orientent vers Mayotte les Africains de la région des grands lacs, d'où un flux migratoire massif de la part de nouvelles populations.

Les Comores ont le devoir de reprendre leurs concitoyens, elles ne rendent pas un service à la France. Cela devrait représenter leur premier devoir, mais à certains moments, elles exercent un chantage jusqu'à ce qu'elles reçoivent des fonds. Avec l'accord de 2019, ces fonds transitent par l'AFD, mais c'est la seule différence. Les Comores ne jouent pas le jeu, elles continuent leur chantage. J'ai appuyé l'accord de 2019, mais aujourd'hui force est de constater que le président Azali Assoumani se moque de nous et qu'il ne l'exécute pas.

Pour cette raison, indépendamment de la présente mission, je préconise de passer par un autre pays. L'Union européenne paie la Turquie pour empêcher l'immigration de Syriens. Or la situation dans l'océan Indien est aussi grave et justifierait le même type de démarche, quitte à intégrer des ONG dans le processus pour s'assurer d'un traitement humanitaire. Les migrants irréguliers devraient être renvoyés de Mayotte vers un autre pays où ils formuleraient leur demande de séjour ou de statut de réfugié. La France s'engagerait à les traiter de façon humaine, alors qu'ils risquent leur vie aujourd'hui. S'ils bénéficient du statut de réfugié, la France a bien sûr le devoir de les accueillir, sinon ils doivent rentrer dans leur pays.

M. Saïd Omar Oili. - Je souscris à ces propos.

Tout a été dit en matière de coopération régionale. Je m'exprimerai donc seulement en tant qu'ancien maire d'une commune de 18 000 habitants en Petite-Terre.

Je voudrais saluer les efforts de l'AFD à l'égard de nos collectivités à Mayotte. En effet, nous avons relevé lors d'une précédente audition le montant élevé des impayés qui mettent les entreprises en difficulté. Dans ces conditions, les avances accordées par l'AFD dès lors qu'une convention de subvention a été signée avec l'État permettent aux collectivités de fonctionner et d'investir sans attendre le versement des fonds. Encore merci.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Là aussi, nous sommes d'accord.

Mme Micheline Jacques, président. - Je comprends parfaitement votre émoi au regard de la situation que vit Mayotte actuellement. Nous vous l'avons déjà dit, mais vous pouvez compter sur notre indéfectible soutien.

Mme Vivette Lopez. - Nous comprenons les difficultés et l'émotion que vous manifestez.

Ma première question porte sur l'aide apportée aux collectivités, telle qu'elle vient d'être évoquée. Toutes les collectivités la demandent-elles ?

Par ailleurs, certains États vous sollicitent-ils moins ? Si oui, quels sont-ils ?

Enfin, les crédits sont-ils tous consommés ? Qu'advient-il s'ils ne le sont pas ?

M. Charles Trottmann. - J'illustrerai les propos du sénateur Saïd Omar Oili sur nos actions internes à Mayotte. L'an dernier, année record, nous y avons engagé 170 millions d'euros. Les montants ont été multipliés par trois sur les trois dernières années. L'effort accru de l'AFD sur ce territoire est absolument essentiel compte tenu des besoins considérables de la population. Nous intervenons dans tous les services de base : l'eau, les transports, l'appui aux communes... Nous essayons de nous concentrer sur cette mission essentielle.

Je ne reviens pas sur le sujet de Mayotte et des Comores. Beaucoup a été dit. Nous pouvons juste agir en tant qu'acteurs de développement dans le mandat donné par le Gouvernement français. Dans ce cadre, nous cherchons à agir le mieux possible pour contribuer au traitement des causes profondes des migrations, sachant que cela relève du temps long.

Pour répondre à la sénatrice Vivette Lopez, nous ne rencontrons aucune difficulté à mobiliser les crédits. Bien au contraire, la demande est très forte. 100 % des crédits relevant du ministère des Outre-mer sont engagés chaque année.

Les demandes proviennent de la plupart des collectivités. Nos activités s'exercent dans tous les territoires français d'outre-mer, y compris Wallis-et-Futuna et les Terres australes. Le degré d'intensité varie cependant selon les territoires, mais à titre d'exemple l'AFD accompagne 100 % des collectivités de Mayotte.

Concernant les États étrangers, la situation dépend du degré de développement, du niveau de richesse et de l'intérêt à collaborer avec la France, mais l'utilisation de nos moyens budgétaires ne pose pas de difficulté.

Mme Évelyne Perrot. - Vous avez évoqué la lutte contre les pollutions plastiques dans l'océan Atlantique, mais je suppose que vos interventions concernent tous les océans.

M. Charles Trottmann. - Je vous le confirme. Nous menons un projet sur la question dans chacun des trois bassins, porté à chaque fois par une organisation régionale différente : la Commission de l'océan Indien, l'Organisation des États de la Caraïbe ainsi que la Communauté du Pacifique et le Programme régional océanien de l'environnement. Ce sujet, à la fois sanitaire et environnemental, est essentiel.

Mme Évelyne Perrot. - Il est particulièrement important à Mayotte en raison du volume de bouteilles en plastique importées. J'avais écrit à ce sujet à la Première ministre pour lui demander comment le problème serait réglé. Elle m'a répondu que les bouteilles plastiques étaient consignées et que la population les rapportait pour être transportées par container au Havre. Le confirmez-vous ?

M. Charles Trottmann. - Nous ne sommes pas impliqués dans ce cas d'espèce, ce type de dispositif étant géré directement par l'État.

En revanche, vous soulignez le point important de la gestion et de la valorisation des déchets dans les territoires insulaires. La collecte représente un premier défi. De plus, le fonctionnement d'une unité de valorisation de tel ou tel déchet implique un volume minimum qu'une petite île n'atteint pas nécessairement. Il s'agit bien d'un sujet de coopération régionale. Les possibilités de mutualisation entre unités de traitement font l'objet de discussions à l'échelle de bassin.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nous savons que la Commission de l'océan Indien fonctionne très bien entre La Réunion et les États voisins. Cependant, fonctionne-t-elle bien sans Mayotte ?

M. Charles Trottmann. - C'est évidemment un sujet de préoccupation. Comme je l'ai souligné, la France est membre de la Commission de l'océan Indien au titre de La Réunion, mais certains États de la zone ne reconnaissent pas sa souveraineté sur Mayotte. Nous parvenons parfois à insérer celle-ci de façon technique dans certains travaux.

Mme Micheline Jacques, président. - Une dernière question porte sur les investissements des pays asiatiques dans le bassin caribéen, à Maurice ou aux Comores... Comment percevez-vous ces stratégies ?

Estimez-vous que la France pourrait disposer de moyens d'action plus conséquents pour rayonner dans ces territoires ?

M. Charles Trottmann. - Les trois océans font en effet l'objet d'une importante compétition géopolitique, tout particulièrement dans la zone Indopacifique, compte tenu du poids de grandes puissances comme la Chine ou l'Inde, mais aussi des pays du Golfe et même des États-Unis. L'AFD est lucide quant aux influences qui s'exercent et aux investissements réalisés.

Notre réponse, en tant qu'acteur du développement, consiste à présenter la disponibilité et l'offre de la France. À cet égard, nous disposons de capacités d'action croissantes, en dons comme en prêts. En effet, le ministère des Affaires étrangères nous délègue de plus en plus de crédits, notamment dans le Pacifique.

De fait, les attentes vis-à-vis de la France se montrent très fortes, de la part des territoires comme Maurice, mais aussi de partenaires tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui partagent nombre de nos valeurs.

Mme Micheline Jacques, président. - Au moment de clore cette audition, je vous réitère nos remerciements.

Nous avons bien noté le changement de regard de l'AFD ainsi que sa volonté de s'inscrire dans le cadre de la coopération régionale et de contribuer, dans la limite de ses compétences, au développement de certains territoires. Vous avez également insisté sur votre rôle comme outil de coordination au service de la France.

Nous recevrons avec intérêt vos contributions écrites et toute précision technique que vous souhaiteriez communiquer.

M. Charles Trottmann. - Merci, Madame la présidente.

Jeudi 7 mars 2024

Auditions sur les aspects européens de la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de nos auditions pour le rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous abordons ce matin les aspects européens de cette problématique.

Nous échangerons dans un premier temps avec des élus particulièrement impliqués sur ces dossiers, et aurons l'honneur et le plaisir d'entendre successivement :

- Wilfrid Bertile, conseiller régional, qui représente Huguette Bello, présidente de la région Réunion ainsi que de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) ;

- Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe) ;

- Max Orville, député européen (Mouvement démocrate) ;

- Maxette Pirbakas, députée européenne (Non inscrits).

Nous avions également contacté le député Younous Omarjee, mais son emploi du temps chargé n'a pas pu lui permettre de se joindre à cet échange.

Nous vous remercions, Madame et Messieurs, de votre présence, car nous comptons sur vos éclairages de spécialistes. Comme vous le savez, l'Union européenne (UE) tend à renforcer les collectivités territoriales en tant qu'acteurs de l'intégration régionale, mais le problème de l'accès réel aux fonds européens afférents reste un sujet récurrent.

La sous-consommation des crédits, notamment ceux des programmes Interreg, est souvent pointée. Comment l'expliquez-vous ? Certaines procédures sont-elles trop complexes ? Est-ce que l'accompagnement des autorités de gestion et des porteurs de projet est suffisant ? Comment renforcer, le cas échéant, cet accompagnement et le niveau d'ingénierie ?

La question des normes préoccupe aussi de longue date notre délégation. Ces normes européennes ne sont-elles pas un frein à la coopération régionale ?

Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents poser toutes leurs questions et développer les sujets qui les préoccupent après vos exposés liminaires - d'environ une dizaine de minutes - sur la base de la trame qui vous a été transmise, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.

Dans un second temps, nous recevrons Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, association créée en 1989 à l'initiative de Gérard Bally, afin de représenter les RUP. Nous ne manquerons pas de l'interroger à son tour sur les programmes Interreg pour les outre-mer, leurs objectifs et l'efficacité de ces programmes.

Les éléments recueillis lors de la présente réunion nous permettront d'interroger, lors d'une prochaine séance, les responsables des directions compétentes de la Commission européenne.

Sans plus tarder, je donne la parole à Wilfrid Bertile, que nous avons eu l'occasion de rencontrer lors de notre déplacement à La Réunion et qui représente ce matin la présidente Huguette Bello.

Wilfrid Bertile, conseiller régional, représentant Mme Huguette Bello, présidente de la région Réunion, présidente de la Conférence des présidents des RUP. - Merci, Madame la présidente. Mon propos s'articulera autour de 3 points :

- la nature des RUP et de la Conférence des présidents des RUP ;

- l'évolution des relations entre l'UE et les RUP ;

- des problématiques d'actualité.

Les RUP sont au nombre de 9 (6 françaises, 2 portugaises et 1 espagnole) et peuplées de 5 millions d'habitants. Elles représentent donc 1 % de la population de l'Union européenne (UE). Cependant, les RUP et les PTOM lui assurent une présence exceptionnelle sur l'ensemble des continents, ainsi que la première zone économique exclusive (ZEE) mondiale.

En outre, les RUP représentent le réservoir principal de la biodiversité de l'UE, lui apportent une population jeune et culturellement diversifiée, ainsi que de nombreuses ressources naturelles et un important potentiel de recherche et d'innovation. Elles représentent un véritable atout en vue du redressement productif de la France.

Selon le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), différents handicaps tels que l'éloignement, l'insularité, la faible superficie, le relief, la difficulté du climat, la dépendance économique vis-à-vis d'un nombre réduit de produits, expliquent que ces territoires soient les seuls à bénéficier d'un statut spécifique. L'UE souhaite promouvoir la convergence économique et sociale de ces régions dans le cadre de sa politique de cohésion.

Ces territoires jouissent désormais d'un statut privilégié au sein de l'UE.

Le Traité de Rome de 1957 ne reconnaissait que les départements d'outre-mer (DOM), également considérés comme des pays sous-développés, qui bénéficiaient, jusqu'en 1980, du Fonds européen de développement. L'arrêt Hansen de 1978 a permis de lever toutes ambiguïtés et d'inscrire dans le marbre que les DOM faisaient bien partie des territoires européens, tout en reconnaissant qu'ils pouvaient bénéficier de mesures spécifiques eu égard à leurs situations particulières.

Cette situation n'était toutefois pas satisfaisante, car les mesures prises en faveur des DOM n'étaient que provisoires, alors que leurs handicaps étaient permanents. Le statut de RUP a donc tout d'abord fait l'objet d'un document annexe au Traité de Maastricht de 1992, repris dans le texte du Traité d'Amsterdam de 1997.

Pour obtenir leur statut, les RUP ont pu compter sur l'action du Parlement européen, mais également des États et des présidents de RUP. Elles ont bénéficié de mesures spécifiques dès 1975. Les fonds qui leur étaient alloués ont été doublés en 1989, et, désormais, la Commission européenne définit ses politiques à leur égard par l'intermédiaire de Communications (2004, 2008, 2012, 2017, 2022).

La concertation entre les présidents de RUP a précédé la reconnaissance du statut. Après une première rencontre à Madère en 1988, la Conférence a été créée à Saint-Malo en 1993. La première d'entre elles s'est tenue en Guadeloupe en 1995. La Conférence représente une force de pression et de proposition auprès du Parlement européen, de la Commission européenne, ainsi que des gouvernements nationaux. Cette instance s'accompagne d'un comité de suivi mensuel, qui exerce des fonctions de veille, d'information et de suivi des dossiers. Enfin, une troisième instance, le Forum des RUP, se réunit tous les deux ans à Bruxelles avec la Commission, les États membres, les représentants des RUP et la société civile.

L'UE, et avant elle la communauté économique européenne (CEE), s'est toujours montrée favorable à la coopération régionale ainsi qu'à l'insertion régionale des RUP, avant même la création de leur statut. Les problèmes ont émergé lorsqu'il a été question d'échanges commerciaux entre la CEE et les pays ACP, à l'occasion de l'intégration du Royaume-Uni notamment.

La Convention de Lomé a toujours tenu compte de l'existence des DOM : Lomé I consacrait un article à la coopération régionale, Lomé II un chapitre entier, Lomé III un objectif spécifique, puis Lomé IV mentionnait l'intégration régionale. L'accord de Cotonou a par la suite repris les différentes dispositions de la Convention.

Parallèlement à ces relations contractuelles entre l'UE et les pays ACP, le Conseil européen a adopté, le 22 décembre 1989, un programme spécifique pour les agricultures outre-mer : le POSEIDON, devenu POSEI à la suite de son extension aux Canaries, aux Açores et à Madère. En son article 4, il prévoyait la possibilité de signer des accords régionaux et, par ailleurs, des actions de promotion commerciale communes entre les outre-mer et les pays voisins ACP.

En ce qui concerne les questions d'actualité, les actions de l'UE en matière de coopération régionale semblent plus volontaristes que celle de l'État. J'illustrerai ce point à l'aide de 3 exemples.

En premier lieu, la politique européenne de voisinage, initiée en 2004, définissait une approche intégrée autour de 3 axes :

- l'accessibilité et la réduction des effets des contraintes ;

- la compétitivité ;

- l'insertion régionale.

Le 26 mai 2004, la Commission européenne a publié une communication intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP. Je regrette que cet objectif n'ait pas connu un meilleur sort sous sa forme initiale. Il a en revanche prospéré sous la forme d'une politique de voisinage avec les pays frontaliers de l'UE. Entre 2014 et 2020, environ 18 milliards d'euros ont en effet été consacrés à cette politique, somme qui ne serait pas pour déplaire aux présidents des RUP.

C'est dans cette optique que la dernière Conférence des Présidents de RUP, en date du 8 novembre 2023, a demandé à la Commission européenne « une véritable politique de grand voisinage, avec des instruments ad hoc et des ressources dédiées ».

Ensuite se pose la question de l'asymétrie des échanges dans le cadre de la politique commerciale. La convention de Lomé permettait aux pays ACP d'exporter leurs produits agricoles et industriels vers les marchés européens, tout en posant des restrictions d'accès à leurs marchés. Ce déséquilibre a été dans une certaine mesure atténué par les accords de Cotonou, consécutivement aux recommandations de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Malheureusement, les RUP, et bien souvent les États, ne sont pas associés aux négociations des accords de partenariats économiques ni à la mise en oeuvre des décisions.

Produire des études d'impact des accords de partenariats économiques, à l'échelle locale et non pas européenne, trop abstraite, semble nécessaire. Les clauses de sauvegarde sont trop lourdes à mobiliser et ne peuvent sauver des secteurs en danger. Il existe par ailleurs une liste de produits à ne pas libéraliser qui doit être préservée.

S'agissant de la question des normes sociales et environnementales, les RUP ne bénéficient pas de clauses miroirs et sont victimes de véritables distorsions de concurrence et subissent les contradictions des politiques européennes.

Enfin, les crédits Interreg étaient dans un premier temps très modestes. Entre 1994 et 1998, La Réunion recevait par exemple, en moyenne, 5,4 millions de francs par an. Depuis 2001 et Interreg 3, La Réunion est devenue autorité de gestion. Les crédits ont augmenté de 5 millions d'euros pour la période 2001-2006 à 35 millions d'euros pour la période 2007-2013, et s'établissaient à 63 millions pour la période 2014-2020. Au total, entre 2001 et 2020, 535 projets de coopération régionale ont été soutenus grâce aux fonds européens. Pour la période 2021-2027, 62,3 millions d'euros ont été débloqués.

Se pose également la question de la coordination de ces crédits Interreg avec les crédits de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI). La Réunion a réglé ce problème de manière pragmatique, en étudiant les possibilités de financement des projets au cas par cas.

Les RUP réclament d'ailleurs un traitement au cas par cas de leur situation, « sur mesure », comme le proposait la Commission européenne dans sa communication du 3 mai 2022.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Stéphane Bijoux.

M. Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe). - Merci madame la présidente. J'arrive de Bruxelles, et je peux porter témoignage qu'au sein du Parlement européen, chacun sait l'importance des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et que chacun sait l'importance du dialogue entre parlementaires. En ces temps où certains, ici ou là, et à l'échelle européenne, veulent construire des murs, il est important, plus que jamais de construire des passerelles.

Ces premiers mots représentent l'ADN de mon engagement politique. Je crois à la force de l'intelligence collective. Un moment tel que les auditions d'aujourd'hui permet de croiser les visions et de construire des solutions.

Travailler sur le sujet de la coopération régionale, qui concerne les échelons nationaux, européens et internationaux, envoie un signal fort au sein de cette institution, qui représente les territoires.

On fait de la politique, car on est convaincus qu'elle contribue à changer le quotidien des gens. La coopération permet d'oeuvrer en ce sens, en coconstruisant, entre voisins, des solutions nécessaires.

Sur l'île de La Réunion, la coopération est presque un mouvement naturel. De l'autre côté de l'océan vivent nos cousins. L'océan fait le lien entre les différents bassins régionaux. Les RUP et le PTOM se situent aux avant-postes des grands enjeux contemporains : changement climatique, géostratégie, migrations, environnement, etc. Sur chacun de ces sujets, nous avons quelque chose à partager avec nos voisins. Cette réalité géostratégique doit déclencher une prise de conscience.

Je le dis devant vous, avec force et détermination : face à ces défis, les outre-mer sont les meilleurs atouts de la France et de l'UE. Nous devons resserrer les liens avec les pays tiers, avec nos voisins, pour consolider des partenariats à l'échelle du monde.

Depuis le premier jour de mon mandat, je défends une approche géostratégique de cette coopération régionale au service du développement de nos territoires d'outre-mer. Pour jouer efficacement la carte de cette coopération régionale, nos territoires ont bien évidemment besoin d'Europe. Depuis 2019, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour conforter ce cap et enrichir une boîte à outils européenne.

Le programme Interreg représente le principal outil à notre disposition. En tant que rapporteur pour mon groupe politique du nouveau programme Interreg 2021-2027, j'ai soutenu la création d'un volet spécifique unique pour les RUP, qui concentre, pour la première fois, l'ensemble des enveloppes régionales RUP. Le montant du programme, qui se veut plus accessible et efficace, s'élève à 281 millions d'euros. Avoir gagné la bataille du budget permettra de stimuler l'initiative locale, véritable carburant de la construction des solutions.

Le programme Interreg a déjà prouvé son efficacité, comme l'illustrent :

- La plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), qui a déjà mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à 2 millions de personnes ;

- Le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar, les Seychelles ;

- Le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.

Interreg permet donc des réponses adaptées aux problématiques locales. Toutefois, si l'on souhaite consolider ces acquis, une étape supplémentaire doit être franchie. Les possibilités offertes par la coopération régionale n'ont pas été entièrement exploitées. Pour réussir, nous avons besoin de deux choses : de l'efficacité, mais également de l'audace.

Efficacité d'abord, parce que c'est la condition d'une action qui porte des résultats sur le long terme. La coordination des actions des différents fonds qui interviennent dans la coopération des outre-mer (Interreg, FED devenu NDICI, programmes BEST ou Archipel) doit être approfondie, d'autant qu'ils poursuivent des objectifs communs. Le cheminement des porteurs de projets doit également être simplifié. Leur complexité éteint en effet l'initiative locale et éloigne les solutions.

Les synergies doivent également être approfondies avec les autres programmes de coopération régionale, tels que Protège et l'Initiative Kiwa, qui soutiennent le partage de solutions pour l'adaptation au dérèglement climatique entre les territoires français et les États insulaires du Pacifique. Ces programmes sont cofinancés par la France et l'UE, qui doivent être de véritables partenaires dans leur stratégie de codéveloppement.

La semaine prochaine, la commission du développement votera l'accord de Samoa, signé entre l'UE et les États ACP. Cet accord doit devenir la base d'une nouvelle méthode de travail qui implique plus avant les RUP afin de fluidifier la coopération avec ces pays.

Audace, ensuite, parce que devons mettre de nouvelles idées sur la table. Nous devons soutenir nos nombreux talents qui innovent au sein de nos territoires, explorer les champs nouveaux des solutions qu'imposent les défis immenses auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Je suis convaincu que la coopération régionale représente une véritable solution face aux grands défis d'aujourd'hui et de demain. Au sein du Parlement européen, je porte actuellement le projet de création d'une Blue Belt, qui constituerait un réseau mondial d'interconnexions et de coopération entre les aires marines protégées, afin de mieux faire face à l'immensité des défis auxquels les océans sont confrontés. Je suis également convaincu qu'il nous faut investir plus avant dans le champ de l'éducation et de la jeunesse.

Pour conclure, je souhaite mettre en avant le programme REUNION, équivalent d'Erasmus pour l'océan Indien, soutenu par la Commission de l'océan Indien (COI), l'Université de La Réunion et l'UE, dont la dynamique doit être amplifiée.

Je suis Réunionnais, député européen, et depuis le début de mon mandat, lors de chacune de mes visites à La Réunion, je rencontre des jeunes qui me disent que leur horizon est bouché. La coopération régionale représente une voie d'accélération pour élargir cet horizon. C'est quelque chose qui engage profondément notre responsabilité.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Max Orville.

M. Max Orville, député européen (Mouvement démocrate)

Je m'inscris dans la continuité des propos des intervenants précédents : les programmes Interreg fonctionnent bien. Leur taux d'utilisation s'avère en outre satisfaisant. Je souhaite donc vous donner quelques exemples de succès dans la zone Antilles-Guyane. Outre le programme SARG'COOP, nous pouvons évoquer :

- le programme ELAN, qui promeut les échanges linguistiques et la mobilité ;

- le projet Ready Together, qui permet de répondre efficacement aux besoins essentiels des populations caribéennes exposées aux risques naturels et aux effets du changement climatique ;

- un projet d'enlèvement d'épaves du lagon de Saint-Martin, en réponse aux dégâts occasionnés par la tempête Irma.

Est-il possible d'aller plus loin ? Bien sûr, mais en associant plus avant les collectivités et territoires d'outre-mer à ces projets, en prenant en compte les enjeux qui sont les leurs dans les négociations entre l'UE et les États tiers, notamment en ce qui concerne les accords commerciaux. Si les députés européens issus des RUP ne représentent que 1 % du Parlement, il serait toutefois incorrect de parler d'une non-prise en compte des enjeux propres aux outre-mer français, bien qu'elle puisse être améliorée.

Les accords de Samoa, signés le 15 novembre 2023 et qui succèdent aux accords de Cotonou, instaurent trois assemblées territoriales régionalisées :

- l'Assemblée territoriale UE-Afrique, dont j'assume la co-présidence ;

- l'Assemblée territoriale UE-Caraïbes ;

- l'Assemblée territoriale UE-Pacifique.

Elles permettront de mettre en oeuvre le programme Global Gateway, décliné en fonction des spécificités des territoires, en tenant compte des ambitions portées par nos RUP. Je pense qu'il s'agit d'une grande avancée, qui devrait nous permettre d'évoluer positivement.

La question des normes, évoquée précédemment, apparaît parfois comme un frein à la coopération régionale. Elles permettent de disposer d'un cadre, mais mettent en évidence l'asymétrie de certaines relations avec les États voisins. Une concurrence déloyale s'est par exemple instaurée dans le secteur de la banane, car la banane dollar n'est pas soumise aux mêmes normes sanitaires que les bananes françaises, alors qu'elles mettent en jeu la santé des consommateurs.

Au niveau européen, je porte la création d'une Université européenne de la Caraïbe, inscrite dans un programme européen et partie prenante du programme Erasmus. Les étudiants verraient d'un très bon oeil cette Université, qui serait en lien avec les Universités européennes, mais également partenaire des Universités des Caraïbes, voire de l'Amérique du Sud.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos. Je donne la parole à la députée Maxette Pirbakas.

Mme Maxette Pirbakas, députée européenne (non inscrit). - Madame la présidente, je vous remercie pour votre invitation. Monsieur Orville mentionnait la banane dollar, qui représente en effet une concurrence déloyale, puisqu'elle n'est pas soumise à des exigences de traçabilité ou sanitaires similaires à celles des bananes françaises.

Je souhaite vous livrer le fond de ma pensée : malgré la bonne volonté affichée par la France et l'UE, l'intégration régionale des départements d'outre-mer est largement insuffisante, aussi bien pour des raisons historiques que parce que tout est fait pour maintenir cet état de sujétion. Nos territoires d'outre-mer restent très largement tournés vers la métropole et l'Europe continentale et les échanges économiques et humains restent pour le moins déséquilibrés. De ce fait, nos outre-mer sont incapables de tirer des avantages de leur statut de territoires relativement prospères et de territoires politiquement et économiquement stables, comparés à leurs voisins. Ils ont toutefois des atouts qui font la force de la France, telle que leur zone économique exclusive (ZEE).

Chacun s'accordera à dire qu'une meilleure intégration régionale représente toutefois une nécessité en tant qu'instrument de développement économique de nos territoires, afin de lutter notamment contre la cherté de la vie. On parle quelques fois de « bouclier prix ». Les produits de première nécessité sont 83 % plus chers en Polynésie qu'en métropole, 66 % à La Réunion, 48 % à la Guadeloupe, etc. Saint-Martin souffre de son côté de problèmes d'assainissement, qui impactent la cohésion sociale.

Par ailleurs, si l'UE reconnaît les spécificités des RUP, les freins administratifs restent nombreux. En mai 2022, la Commission européenne fixait, lors de la mise à jour de sa Communication, l'objectif d'améliorer et intensifier la coopération avec les pays voisins, tout en soulignant que « la coopération reste limitée en raison des problèmes réglementaires, administratifs, budgétaires et politiques ». La lourdeur administrative freine l'élan des porteurs de projets. Alors que ces derniers sont très majoritairement des PME, des artisans ou des jeunes, qui ne disposent pas d'un accompagnement adéquat.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur certaines difficultés politiques de la coopération. Certains pays de l'Océan Indien qui bénéficient des programmes européens ne reconnaissent pas le rattachement de Mayotte au territoire français. Une telle posture révisionniste devrait les empêcher d'accéder aux fonds européens.

Concernant le programme Interreg, seuls 21 % des paiements dont devrait bénéficier la Guadeloupe ont été effectués. Cette situation est anormale.

Les RUP français bénéficient de 168 millions d'euros. La région Guadeloupe gère 67,9 millions d'euros, et cofinance par exemple un projet de production locale et décarbonée d'électricité en mer. La coopération avec les pays voisins des Caraïbes doit toutefois être approfondie.

Cependant, les financements restent insuffisants. Le budget dédié à chaque objectif stratégique n'est que de 15 millions d'euros et ne permet pas de modifier les équilibres locaux.

La sous-consommation et les délais de paiement sont trop étirés et ne permettent pas de travailler efficacement. Sur Interreg V, le taux de paiement aux bénéficiaires des 369 projets n'est que de 21 %. À titre de comparaison, ce taux s'établit entre 74 % et 93 % pour les Interreg de l'Europe continentale.

Je me suis également amusée à me rendre sur les sites Internet des différentes autorités de gestion : la plupart du temps, j'ai trouvé des informations floues, datées et peu opérationnelles. La communication et la disponibilité de l'information autour de l'existence et des modalités d'accès aux fonds sont déplorables. Les porteurs de projets ne peuvent s'y retrouver sans cabinet de conseil, ce qui exclut d'emblée la majorité d'entre eux.

Au sein de la Commission de développement régionale du Parlement européen, nous débattons régulièrement de la lourdeur des procédures. Mais à Bruxelles comme à Paris, toute tentative de simplification aboutit à l'effet inverse.

Je souhaite enfin dire un mot de l'adaptation normative aux réalités des outre-mer. La création d'une norme dérogatoire à la norme CE au sein des RUP permet certes l'utilisation de produits locaux tels que le béton, mais doit produire des effets avant que ce processus ne soit élargi à d'autres secteurs.

D'une manière générale, l'UE, championne incontestée de la norme, met les RUP au défi de la souplesse et de l'adaptation. La capacité de l'UE à se remettre en question en dira long sur sa volonté réelle de mettre à jour son logiciel mental.

Je conclurai en disant que nos territoires ne doivent plus être considérés dans une perspective de rattrapage et de compensation des handicaps, mais en intégrant leur propre trajectoire de développement économique et humain, une trajectoire que l'UE doit davantage stimuler.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci Madame la députée. Je donne la parole au rapporteur de la délégation, Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci Madame la présidente. Vous avez chacun répondu à un certain nombre de questions qui vous ont été préalablement adressées. Je pense que les propos de Mme Maxette Pirbakas amèneront des réactions, puisqu'il semble qu'un certain nombre de positions ne soient pas partagées par tous. L'objectif de notre rapport est de faire des propositions pour améliorer les choses.

Sentez-vous que le prisme outre-mer va s'amplifier au sein de l'UE, qui envisage par ailleurs son élargissement ? Dans le contexte du Brexit, quelle est la nature des relations entre RUP français et les territoires d'outre-mer du Royaume-Uni ?

Il me semblerait intéressant de revenir sur la pertinence des programmes Interreg outre-mer, que chacun a abordée sous l'angle des propositions à faire. Dans notre rapport, nous souhaiterions étudier la pertinence de ces programmes et des modes de gestion qui y sont déployés. De quelle manière nos collectivités pourraient davantage y être associés, aussi bien en ce qui concerne leur conception que leur mise en oeuvre ?

Qu'en est-il du rôle du rôle et de la coopération avec les agences françaises du secteur du développement et de la coopération ?

Nous souhaiterions également entendre l'avis des différents intervenants au sujet de la dérogation à la norme évoquée par Mme Maxette Pirbakas.

Enfin, pensez-vous que la coopération entre les RUP et les PTOM, qui partagent un certain nombre de préoccupations communes (autosuffisance alimentaire, changements climatiques, migrations), pourrait être renforcée ?

M. Wilfrid Bertile. - L'élargissement de l'UE à des pays qui n'ont pas de passé colonial amoindrit d'autant le poids de ceux qui défendent les RUP ainsi que les PTOM, c'est-à-dire la France, l'Espagne et le Portugal. Cela demande donc plus de concertation et de travail.

Concernant le programme Interreg, il ne faut pas céder à la généralisation. Le taux de consommation de La Réunion s'élève à 98 %. Malgré le Covid, aucun dégagement n'est à noter.

La Réunion a en effet mobilisé toutes les possibilités offertes par le programme : nous avons ainsi créé une cellule qui accompagne les porteurs de projets. Par ailleurs, les procédures en matière de facturation sont simplifiées par la programmation 2021-2027. 3,5 % des crédits Interreg sont destinés à rémunérer du personnel qui accompagne les gens.

Les choses s'améliorent peu à peu, grâce à la possibilité de faire des avances sur subvention.

S'agissant de l'AFD, j'ai signé le 28 février 2024 un accord de partenariat avec Rémi Rioux, qui en est le directeur général, afin de coordonner l'ensemble de nos actions durant toute la programmation 2021-2027.

Enfin, concernant les PTOM le rapport de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de 2023 sur l'Indopacifique, affirme que les RUP et les PTOM doivent être considérés comme des acteurs régionaux à part entière. Il ne peut y avoir de coopération régionale en l'absence de liens très étroits entre l'UE, l'État, les collectivités locales et la société civile.

M. Stéphane Bijoux. - Un mot rapidement sur la défense des spécificités de nos territoires ultramarins dans cette Europe à 27. Je veux, avec beaucoup de solennité, dire l'importance des messages politiques du Parlement européen auprès des autres institutions européennes. Dans le rapport sur la stratégie outre-mer, que j'ai porté personnellement, j'ai fait adopter, par le Parlement, un message politique extrêmement fort, voté par près de 90 % des députés, qui exigeait le respect d'un « réflexe outre-mer » par les institutions et la loi européennes. La Commission européenne a repris cette exigence politique dans sa communication. Cette exigence est aujourd'hui ancrée aux côtés de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'UE.

Dans moins de 100 jours auront lieu les élections européennes. De nombreux élus d'extrême droite feront peut-être leur entrée au Parlement, et une nouvelle Commission sera désignée. Si nous le devons, nous reprendrons notre bâton de pèlerin pour réancrer notre message, pour redire que l'efficacité de l'action publique de l'UE dans nos territoires passe impérativement par le respect de nos spécificités.

Concernant la simplification, je dois vous dire qu'un nouvel accord politique entre les négociateurs européens, relatif au règlement UE sur les produits de construction, a été signé le 13 décembre 2023. Les États membres auront désormais la possibilité d'exempter les produits de construction mis sur le marché des RUP du respect des exigences du marquage CE. En termes de calendrier, cet accord sera validé lors de la session du mois d'avril 2024. Nous travaillerons à son entrée en vigueur le plus rapidement possible. Chacun sait l'importance du BTP dans la construction de logements et dans la création d'emplois. La Réunion peut par exemple s'approvisionner en matériaux de construction en Afrique du Sud, où ils sont soumis au même cahier des charges que dans l'UE. Les modalités de travail avec nos voisins doivent être simplifiées.

Si d'ailleurs la simplification des normes est nécessaire, je tiens à rappeler que les normes protègent nos concitoyens, qu'elles permettent à tous les Européens de jouir d'une alimentation d'une grande qualité. Nous disposons, au sein de l'UE, de la meilleure des sécurités alimentaires.

Le problème n'est pas la norme, mais le trop-plein de normes, le millefeuille administratif. La vraie bataille concerne la simplification et l'intelligence de l'action publique.

Concernant l'AFD, la complémentarité de ses actions avec les programmes européens de coopération régionale doit être renforcée, ainsi que le dialogue entre les RUP et les PTOM. Ils pourront ainsi mieux faire face à leurs défis communs.

M. Max Orville. - Je rappelle la définition d'Interreg : il s'agit d'un projet de coopération entre au moins deux États membres et un pays tiers, sur un projet profitable pour chaque partie.

Dans le cadre du programme Interreg pour les RUP françaises, le système est un peu différent, puisque les spécificités des zones géographiques ne permettent généralement pas d'initier des projets de coopération entre plusieurs États membres. Dans les Caraïbes, la France est systématiquement le seul interlocuteur de l'UE. Cette situation s'avère parfois problématique, dans la mesure où elle reproduit de fait le mode de fonctionnement des fonds européens structurels et d'investissement (FESI), et ne laisse place à aucun contre-pouvoir.

Contrairement à ce qu'affirme Mme Maxette Pirbakas, la consommation des fonds Interreg est élevée. Au mois de février 2024, le taux de certification de l'Interreg Caraïbes s'élevait à 90 % sur les 5 programmes.

Les relations entre les RUP et les États des Caraïbes sont quant à elles bonnes, et recherchées par les élus locaux. Le Président de la collectivité territoriale de la Martinique était récemment en réunion avec l'OECO. Les RUP françaises des Antilles souhaitent approfondir leurs échanges avec les pays indépendants des Caraïbes et faire évoluer leur diplomatie territoriale en ce sens.

Les conséquences d'un élargissement à venir de l'UE sur les RUP pourraient être négatives. Si le « réflexe RUP » doit évidemment être renforcé, il faut toutefois garder à l'esprit que l'UE octroie déjà des sommes importantes aux RUP, qu'il convient d'utiliser le plus efficacement possible et avec discernement.

Comme l'a évoqué Madame Maxette Pirbakas, il existe des difficultés en termes d'ingénierie locale : l'administration doit être formée adéquatement afin d'accompagner les porteurs de projets locaux. La situation est très différente au sein des RUP portugaises et espagnoles, où ces porteurs de projets sont parfaitement accompagnés par leurs autorités de gestion.

Je souhaite souligner un autre point. L'article 349 du TFUE dispose que l'UE doit tenir compte des spécificités locales des RUP. C'est là, malheureusement, que le bât blesse. Lors des 27e et 28e Conférences des RUP qui se sont respectivement tenues à Bruxelles et aux Canaries, il a unanimement été reconnu que cet article était sous-utilisé.

Encore aujourd'hui, à chaque directive européenne, nous devons nous battre afin d'obtenir des dérogations qui nous sont dues. Je pense par exemple à la situation de la Guyane, qui a dû défendre la biomasse afin de promouvoir son indépendance énergétique.

Je pense qu'il est temps de changer de mode de fonctionnement, d'arrêter de réclamer systématiquement des dérogations. Le « réflexe RUP » doit permettre de mettre en évidence les problématiques spécifiques des RUP dans différents domaines (énergie, transport, environnement) et d'obtenir automatiquement les dérogations naturelles auxquelles elles ont droit.

Il est une anecdote que j'évoque régulièrement : en 2012, je visitais une entreprise en Guyane qui produisait du poisson fumé. Les normes européennes l'empêchaient de fumer son poisson parce qu'elle devait importer du bois de hêtre, malgré la proximité de la forêt amazonienne. Il est donc clair que les normes sont inadaptées aux spécificités locales, et que les législations doivent évoluer.

Concernant la question des normes et à la dérogation au marquage CE pour les matériaux de construction, certains acteurs du secteur du BTP des Caraïbes restent perplexes. Le nouveau marquage est mal connu et entraîne de la méfiance. Des mesures d'adaptation doivent être imaginées pour améliorer la communication.

Enfin, le rôle de l'AFD est central au sein de nos territoires, et compatible avec l'ensemble des programmes Interreg et des fonds européens. Toutefois, dans la mesure où l'essentiel du tissu économique des Caraïbes est constitué de toutes petites entreprises, l'AFD ne peut fournir un accompagnement adéquat. Bien qu'elle remplisse dans l'ensemble sa mission avec dynamisme, ce point doit être amélioré.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de donner la parole à Madame Maxette Pirbakas, dans la mesure où nous sommes pris par le temps, je propose que nos collègues Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi vous posent oralement leurs questions, auxquelles vous répondrez par écrits.

Mme Maxette Pirbakas. - Je veux dire tout d'abord à M. Stéphane Bijoux que je ne suis pas venue aujourd'hui pour faire campagne en vue des élections européennes. Alors que le tissu économique des Caraïbes est en effet majoritairement composé de toutes petites entreprises, il est regrettable que Bpifrance ne leur apporte pas son soutien.

Les agriculteurs des RUP ne vivent pas dignement de leur métier. L'augmentation du coût des intrants n'est pas soutenable, alors que les législations européennes et françaises sont drastiques. La loi Egalim 3 est en outre inadaptée aux réalités locales des RUP.

Les pêcheurs sont toujours victimes des problématiques de renouvellement de flotte. En Martinique, il n'y a plus que 464 pêcheurs contre 1 000 il y a quelques années.

Enfin, sans encadrement technique, les projets financés par le programme Interreg ne pourront pas être mis en oeuvre.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie nos invités pour leurs éclairages qui concernent l'ensemble des océans. Il est important pour nous de pouvoir entendre nos députés européens.

L'UE semble tellement loin pour les habitants des RUP, alors que les fonds européens leur sont si essentiels. Par ailleurs, une prise de conscience de la surface de la Polynésie, aussi vaste que celle de l'UE, devrait suffire à intégrer le « réflexe outre-mer ».

Ma question porte sur la simplification. Il semble anormal que l'on demande à vos territoires, en extrême difficulté, de consommer des fonds européens selon le même modèle que la métropole. Ne faudrait-il pas discriminer en fonction des territoires et des besoins ?

Enfin, il semble en effet difficile de parler d'intégration régionale alors qu'un territoire subit des discriminations. Je remercie à cet égard Mme Maxette Pirbakas pour ses propos. En effet, tous les pays de l'UE ont approuvé l'intégration de Mayotte au sein des RUP en 2012. Ce fait doit être rappelé lors de la consommation des fonds européens.

Mme Vivette Lopez. - Je souscris à votre propos concernant les normes européennes, qui ne sont pas adaptées à vos territoires. L'association des RUP à ces réflexions et aux décisions doit en effet être facilitée. Je partage également les propos de Monsieur Bijoux et je suis convaincu que les outre-mer joueront un rôle primordial dans l'avenir de la France, auquel la jeunesse doit impérativement être associée. Vous soutenez l'importance de l'innovation et de propositions nouvelles : avez-vous des idées ou des exemples à nous proposer ?

On entend également que l'avenir s'écrira avec l'océan. Les Ultramarins sont-ils attirés par la mer ? Existe-t-il des classes « enjeux maritimes », qui permettent de sensibiliser les jeunes aux diverses problématiques relatives à la mer ?

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons bien noté que les fonds alloués aux RUP sont en nette augmentation, bien qu'il existe des difficultés à les mobiliser d'un territoire à un autre. Pensez-vous que le modèle d'appel à projets soit le plus pertinent pour les RUP ?

Certaines difficultés quant à la mobilisation des fonds ont été évoquées : que pensez-vous d'une territorialisation des fonds, qui permettrait d'équilibrer les territoires, alors que le principe même de l'appel à projets équivaut à « premiers arrivés, premiers servis » ?

Je ne reviendrai pas sur la question de la flotte de pêche qui représente, je le sais, un sujet cher aux Ultramarins.

J'ai également été frappé, lors d'un récent déplacement à La Réunion, d'apprendre que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui jouissent du statut de PTOM, ne pouvaient pas s'associer avec La Réunion sur un projet de lutte contre les espèces invasives. Une situation similaire se rencontre dans les Caraïbes au sujet des sargasses. Une meilleure articulation des relations entre RUP et PTOM doit donc être étudiée.

Nous vous transmettrons nos questions par e-mail. Je vous remercie infiniment pour votre clarté. Au-delà de nos questions, n'hésitez pas à nous faire remonter des éléments qui n'auraient pas été abordés ce jour.

Jeudi 7 mars 2024

Audition de Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Mme Micheline Jacques, président. - Sans plus attendre, nous allons désormais écouter Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom.

M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom. - Nous adopterons ici le point de vue des acteurs économiques, dont nous avons pour mission de porter la parole. Mes propos ne seront donc pas d'ordre institutionnel.

En ce qui nous concerne, la coopération régionale représente une politique publique promue, mais également relativement naturelle au regard de la situation de la plupart des territoires ultramarins. Le développement des États voisins s'effectue en règle générale autour d'un axe UE-RUP, voire France-RUP, alors que nous pourrions envisager que des échanges nourris se développent entre les RUP et les îles alentour.

Un certain nombre de précédents existent. La Réunion porte par exemple le projet d'association des îles Vanille avec Maurice et les Seychelles, grâce auquel les touristes peuvent découvrir les différentes facettes de ces trois régions très différentes, en achetant un billet combiné.

Pour le reste, la situation de la valeur ajoutée créée dans les RUP, à savoir la production de biens et de services, est plus contrastée. L'existence de ce flux quasi exclusif entre l'Hexagone et les RUP n'est sans doute pas l'effet du hasard. Deux causes principales ont été identifiées :

- les coûts de production dans les RUP rendent l'export des produits vers les territoires voisins prohibitifs, hormis quelques marchés de niche (énergie, sismologie par exemple) ;

- les normes européennes, que seules les RUP respectent au sein de leurs bassins régionaux. Si une telle situation est bénéfique pour les consommateurs, les travailleurs et l'environnement, elle avantage économiquement les États voisins.

À cela s'ajoute la conclusion d'accords asymétriques avec les États voisins. Les plus asymétriques d'entre eux sont dénommés négativistes et signifient que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que la réciproque est vraie. De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Les taux de douanes que doit payer La Réunion sont notamment extrêmement et délibérément prohibitifs afin de favoriser le développement des États voisins.

Il existe un dernier obstacle, d'ordre pratique : le trop faible nombre de liaisons maritimes entre les RUP et les États voisins ainsi qu'entre les RUP, alors que les échanges et le commerce reposent sur la fluidité des moyens de communication.

Ma deuxième série de remarques concerne la difficile articulation de la politique européenne :

- entre son marché interne et son marché extérieur ;

- entre les accords de développement et les accords commerciaux.

Ces différents points de vue se contredisent régulièrement. L'exemple de la banane illustre parfaitement cette situation. On impose aux producteurs de bananes un cahier des charges strict pour leur permettre de labéliser leur production bio, alors qu'il n'est pas appliqué aux bananes bio importées sur le territoire européen en provenance de pays tiers, régis par le mécanisme équivalence. En effet, si un producteur agricole bio respecte le cahier des charges en vigueur dans son propre pays, son étiquetage sera valable au sein de l'UE. Ce procédé entraîne donc une importante distorsion de la concurrence. On octroie un avantage de marché à une production moins vertueuse.

Un second exemple permet d'illustrer les difficiles articulations entre les différents pans de la politique nationale ou européenne : la question du renouvellement des flottes de pêche.

Ce dossier traine depuis 7 ans et ne connaît aucune avancée significative, malgré l'urgence des besoins des pêcheurs. Ces derniers ne comprennent pas que la Commission européenne leur refuse des aides publiques au motif de la préservation de la ressource, alors que non seulement elle finance le renouvellement des flottes des pays tiers, mais qu'elle autorise également une vingtaine de thoniers senneurs à arpenter l'océan Indien sous pavillon européen, qui pêchent chacun 6 000 tonnes de poissons par an, alors que la totalité de la pêche réunionnaise atteint seulement les 4 000 tonnes. Les pêcheurs se retrouvent donc au coeur de la contradiction entre la politique interne et externe de l'UE, entre la politique d'aide au développement et la politique commerciale.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous avons en effet déjà abordé la question de la coopération et des programmes européens.

Nous serions intéressés d'avoir votre avis sur le sujet des programmes Interreg sous l'angle de leur pertinence, de leur efficacité, de leur efficience pour les entreprises, y compris dans la relation avec l'autorité de gestion. L'idée de notre rapport est de rédiger des propositions pour faire avancer les choses. Vu de l'entreprise, comment pourrions-nous améliorer la gestion de ces fonds et leur ciblage ? Pensez-vous qu'une approche différenciée, plus sectorielle, notamment en ce qui concerne le transport maritime et aérien, serait pertinente ? Qu'en est-il du rôle que jouent, ou que pourraient jouer, l'AFD, Bpifrance ainsi que la Banque des territoires dans cette approche de la coopération régionale, du point de vue des entreprises ?

Lors de nos précédentes auditions, nous avons évoqué les questions de cohérence, mais également de simplification de l'accès aux aides publiques. Nous serions intéressés par votre avis sur les marges de progrès et les attentes du monde des entreprises. Certaines semblent suspicieuses quant à l'évolution des normes et du marquage CE relative aux matériaux de construction.

Enfin, existe-t-il une diplomatie économique déployée par les entreprises, à l'image de ce qui existe dans le Pacifique ? Une représentation française du Pacifique Sud, à l'initiative du monde économique, permet de faire tomber les barrières et les frontières et de construire des parcours qui permettent de créer du développement, affranchi des contraintes qui pèsent sur les collectivités. De telles initiatives devraient-elles, selon vous, être encouragées ?

M. Benoît Lombrière. - Du point de vue du monde de l'entreprise, l'approche sectorielle semble naturelle. Elle a pour avantage d'aborder les sujets de la manière la plus concrète possible. Elle permet en outre de mobiliser des entreprises d'un secteur déterminé autour de projets concrets, d'embarquer ensemble acteurs publics et privés dans une même direction pour régler un problème bien précis. Le monde de l'entreprise accueillerait favorablement une telle démarche.

La simplification de l'accès aux aides publiques serait également bienvenue. On souffre en France d'une maladie qui pousse à multiplier les échelons, même lorsqu'il s'agit de réfléchir à la simplification. Une approche concrète, sectorielle, qui réunirait les spécialistes du secteur privé et des pouvoirs publics, y contribuerait, sans créer des organismes supplémentaires. Un tel changement de perspective rencontre les préoccupations du monde de l'entreprise et trouvera son écho dans plusieurs de mes réponses.

La question des normes et des marquages se situe au coeur du sujet : je ne pense sincèrement pas que l'assouplissement des normes de construction, accueilli très favorablement par le monde du BTP, qui n'a d'ailleurs pas intérêt à ce que les édifices s'écroulent, pose des problèmes. Il existe par ailleurs suffisamment de contrôles qui n'exonèrent pas les entreprises de leurs obligations en matière de sécurité.

Cette réaction de méfiance provient du fait que, pour le consommateur, les normes n'existent pas par hasard ou pour le plaisir d'embêter les producteurs. Supprimer une norme équivaut donc à supprimer, en quelque sorte, une garantie. Ce sujet est donc plus ambigu qu'il n'y paraît.

Notre posture consisterait plutôt à encourager la transformation de ces normes en éléments positifs. Si nous disposons de normes que les producteurs des pays tiers n'ont pas, c'est parce que nous offrons plus de garanties qu'eux. Ces garanties devraient toutefois se traduire par un avantage de marché. Le problème, c'est que ce raisonnement, relativement simple, qui implique de n'accepter aucun produit qui ne respecte pas les normes imposées à nos propres producteurs, vole en éclat dès lors que les gens qui négocient les règles intra-européennes ne sont pas les mêmes que ceux qui négocient les accords commerciaux ou les accords de développement.

Le fonctionnement de l'UE en tuyaux d'orgue, sans nul doute similaire au fonctionnement national, empêche le décloisonnement des problématiques. Si chacun des aspects relatifs au renouvellement des flottes de pêche évoqué précédemment peut paraître pertinent pris isolément, l'ensemble crée des situations contradictoires. Les accords qui concernent des sujets plus sensibles que, par exemple, le sucre de canne, tels que la viande et les céréales, rencontrent plus d'obstacles. On le voit avec l'accord Mercosur. Les outre-mer sont la variable d'ajustement.

Dans l'ensemble, l'UE bénéficie des accords commerciaux qu'elle signe. Nous ne croyons que peu aux clauses miroir, puisque l'UE ne peut envoyer des inspecteurs dans les pays tiers pour vérifier la conformité de la production aux déclarations. L'UE est d'ailleurs persuadée de l'incompatibilité de telles clauses avec le fonctionnement de l'OMC.

En conséquence, nous devons voir le monde tel qu'il est et imposer nos propres normes. L'UE pourrait promouvoir la bioconformité et non pas la bioéquivalence.

Si les accords sont bénéfiques pour l'UE, compensons donc les effets négatifs subis par les producteurs, qui font les frais de ce bien-être général. Des aides supplémentaires doivent être octroyées aux producteurs de bananes, de rhum, de sucre de canne, etc. D'autant que les droits de douane baissent tendanciellement. Ce principe de compensation doit être admis, sans qu'il soit nécessaire de plaider à chaque fois.

S'agissant de la banane, les derniers accords signés prévoient une baisse progressive des droits de douane jusqu'à 100 euros par tonne. 6,5 millions de tonnes de bananes sont consommées au sein de l'UE chaque année, dont 6 millions produites par des producteurs extracommunautaires, ce qui équivaut à un avantage commercial de 600 millions d'euros octroyé aux producteurs de bananes des pays tiers.

Il est donc difficile de respecter à la fois l'ensemble des normes, de rémunérer correctement la main-d'oeuvre, de soutenir des ambitions écologiques, alors que la concurrence se voit octroyer des avantages commerciaux considérables. Lorsque les producteurs se rendent à Bruxelles ou à Paris, ils sont considérés avec dédain.

En ce qui concerne la diplomatie des entreprises, ma réponse restera générale. Les entrepreneurs de La Réunion sont très actifs en la matière, et bénéficient par ailleurs des liens familiaux qui existent dans cette région, notamment à Madagascar et à Maurice. Des missions économiques sont régulièrement organisées.

De telles missions existent également en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie organisées souvent sous l'impulsion de l'État ou des collectivités. Elles produisent des résultats concrets. Par ailleurs, de nombreuses entreprises réunionnaises investissent ou tentent de le faire dans les pays alentour, avec plus ou moins de bonheur. Il s'agit d'une bonne manière de développer la coopération régionale. L'UE n'a-t-elle pas débuté en tant que traité de libre-échange encadrant le commerce de l'acier et du charbon ? Une fois que des relations d'affaires sont créées, le reste suit naturellement.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué les difficultés de circulation des marchandises entre La Réunion, Mayotte et les îles alentour. J'ai moi-même été assez surprise d'apprendre qu'un ananas Victoria produit à La Réunion devait transiter par Rungis puis Dubaï avant de revenir aux Seychelles. Avez-vous diligenté une étude de faisabilité relative à la mise en place d'une petite compagnie régionale qui pourrait justement effectuer de tels trajets ? Les tonnages sont-ils suffisants ? La quantité d'import-export est-elle suffisante pour faire vivre ce genre de structures ?

M. Benoît Lombrière. - Si une telle solution était fiable, elle existerait déjà. L'idée d'une compagnie régionale de cabotage a souvent été évoquée à La Réunion ou dans les Antilles pour les produits frais, issus de l'agriculture ou de la pêche. Cependant, pour qu'une telle solution soit viable, il faut que les transports soient réguliers et les trajets les plus directs possibles. Une compagnie de ce type ne pourrait donc fonctionner que pour des produits qui ne seraient pas frais, ce qui ne représente qu'une part mineure de la production des RUP.

La continuité territoriale inter-îles fonctionne cependant très bien en Polynésie française, notamment parce que le gouvernement polynésien subventionne de manière conséquente les liaisons aériennes et maritimes. Si de telles politiques sont mises en place au sein des RUP, nul doute que des acteurs privés suivront. En revanche, une telle entreprise ne sera jamais rentable.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre franchise. À tout le moins, nous sommes fixés sur ce sujet.

Vous avez évoqué les différentes difficultés auxquelles peuvent être confrontés les producteurs ultramarins, notamment en matière de coût de la main-d'oeuvre, très élevé par rapport aux îles avoisinantes, ainsi que les problématiques d'importation et les contraintes normatives, en prenant l'exemple de la banane.

M. Benoît Lombrière. - Le rhum connaît une situation similaire. Le droit européen reste le même, mais le traité international, supérieur au droit européen, prévoit les dérogations. Une fois qu'il a été négocié, la partie d'en face rechigne généralement à renoncer à ses acquis.

Les indications géographiques protégées (IGP) du rhum répondent également à des cahiers des charges exigeants, qui leur sont propres, qui les défavorisent.

Mme Micheline Jacques, président. - D'où l'importance de procéder à une veille accrue et régulière des différents accords, tel que le récent accord sur le sucre vietnamien. Quelles seraient selon vous les améliorations nécessaire pour éviter que ces situations se reproduisent ?

M. Benoît Lombrière. - Ce sujet est complexe. Le premier réflexe serait de classer « sensibles » les produits que l'on souhaite exclure des accords commerciaux. Tel était le cas autrefois du sucre et du rhum. Mais si le sucre, le rhum et la banane sont retirés du champ de négociation des accords commerciaux, les RUP n'ont plus grand-chose à offrir en contrepartie.

On constate toutefois certaines améliorations, du côté français, depuis une dizaine d'années : une veille accrue, la volonté de prendre en compte les particularités des territoires d'outre-mer au sens large, la demande et l'obtention d'exclusions ou de réductions de quotas.

Mon intime conviction et que les autorités françaises doivent trouver un accord avec l'UE. Dans la mesure où les accords commerciaux sont bénéfiques pour l'économie de l'Hexagone, en particulier pour son industrie, l'UE dans son ensemble en retire des bénéfices tangibles (monétaires). Dans ce cas-là, l'UE doit accepter que des compensations soient offertes à ceux qui font les frais de ce surplus de richesse généré par la conclusion d'un accord commercial. Plutôt que de renouveler sans fin des demandes de dérogation, Bruxelles et Paris doivent mettre en place un système de compensation automatique. Les autorités françaises semblent faire leur maximum, mais subissent l'inertie des accords commerciaux. Pour rappel, la plupart des producteurs agricoles d'outre-mer, jusque dans les années 1980, vivaient sans subventions publiques, et regrettent cette époque.

Au fur et à mesure que le temps a passé et que les protections ont été levées, les productions agricoles des outre-mer se sont trouvées en situation de dépendance économique vis-à-vis de l'État, sans l'avoir jamais souhaité. Il serait bénéfique pour chacun d'apaiser les tensions et de trouver un compromis national et européen.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre disponibilité et vos informations. Nous restons à votre disposition si vous avez des compléments à nous apporter par le biais d'une contribution écrite, dont nous sommes demandeurs.

M. Benoît Lombrière. - Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, je vous remercie.

Mardi 19 mars 2024

Auditions sur la convention de partenariat entre le Département de Mayotte et le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères - Audition de Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, accompagné de Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale.

Monsieur le Président, nous vous remercions particulièrement de vous prêter à cette audition. Elle a été organisée de manière impromptue, afin de réagir à l'actualité récente de Mayotte en lien direct avec notre étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.

En effet, le 11 mars dernier, à l'occasion des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, le conseil départemental de Mayotte a signé pour les trois prochaines années une convention inédite de partenariat avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur et des outre-mer. La signature a eu lieu en votre présence et celle des ministres Stéphane Séjourné et Dominique Faure.

Cette convention vise à créer un cadre formalisé pour associer étroitement Mayotte à la construction de la politique de coopération régionale. Cette politique est au coeur des défis immenses que Mayotte doit relever, notamment en matière d'immigration, de sécurité et de développement économique. C'est aussi et d'abord un enjeu de souveraineté et de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France.

Nous souhaitons donc vous entendre sur cette convention. En quoi marque-t-elle une nouvelle étape ? Qu'en attendez-vous ? Nous souhaitons également vous entendre sur les principales orientations que vous souhaitez donner à la politique de coopération régionale au bénéfice de votre territoire.

Parmi nos principales interrogations figure celle des priorités que vous souhaitez dégager, notamment en matière de développement économique. Quels sont les partenaires régionaux les plus prometteurs ? Ces partenariats peuvent-ils constituer autant de leviers de lutte contre la vie chère ?

Enfin, comment cette convention peut-elle servir de modèle aux autres territoires, qui ont encore le sentiment d'être associés à la marge à la politique de coopération régionale, malgré les progrès réalisés ces dernières années ?

M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte. - Mayotte est située dans le canal du Mozambique, entre l'Afrique et Madagascar. Les échanges entre les territoires ont toujours existé, tant avec la côte Est de l'Afrique qu'avec Madagascar, mais aussi avec des territoires bien plus éloignés. Vous connaissez les difficultés liées à l'insularité, et vous savez qu'il est important que Mayotte puisse s'ouvrir dans sa zone géographique.

Nous connaissons des problèmes de souveraineté alimentaire. Mayotte souffre de l'étroitesse de son territoire et de problématiques d'eau. Ces difficultés nécessitent une ouverture sur notre environnement régional direct. Nous avons besoin, pour lutter contre la vie chère, de compter sur des productions provenant de la zone dans laquelle se trouve Mayotte. Mais nous avons également besoin d'accéder à des territoires où le foncier existe et où l'eau est disponible en abondance. À ce titre, nous avons initié certains projets avec Madagascar, par exemple sur l'alimentation du bétail, puisque nous ne disposons pas de l'espace et de l'eau suffisants à ce genre de production. Dès lors, nous allons travailler avec Madagascar afin de produire dans ce pays l'alimentation du bétail élevé à Mayotte.

S'ouvrir sur notre environnement immédiat dans la zone de l'océan Indien revêt un caractère de nécessité. Mais nous envisageons, à terme, d'aller beaucoup plus loin et d'atteindre des territoires tels que l'Inde ou Dubaï. Aujourd'hui, de nombreux Mahorais s'approvisionnent dans des zones encore plus éloignées, telles la Thaïlande et la Chine.

Outre cette ouverture vers l'extérieur, nous avons besoin d'une reconnaissance pleine et entière de l'appartenance et de l'attachement de Mayotte à la France. Mayotte est un département français. Par sa proximité avec les États du bassin Indien, qu'elle soit géographique, culturelle ou linguistique, elle entend jouer un rôle d'appui à la diplomatie conventionnelle française, et ainsi faciliter cette reconnaissance.

Certains États voisins croient encore que Mayotte est une colonie, et que la France s'impose à nous. Ils ne comprennent pas que l'attachement de Mayotte à la France est un choix de sa part.

M. Georges Patient, rapporteur. - Lors de notre déplacement dans l'océan Indien, nous n'avons malheureusement pas pu nous rendre à Mayotte. Mais nous avons été surpris par l'isolement dont souffre Mayotte par rapport à d'autres territoires. À Maurice, nous avons constaté que les relations avec Mayotte étaient minimes. Nos échanges ont également montré que les relations avec les Seychelles ou Madagascar n'étaient pas aussi fortes que celles que ces pays entretiennent avec La Réunion, par exemple.

Nous avons exprimé notre mécontentement quant au fait que Mayotte n'ait pu, jusqu'à présent, adhérer à la principale organisation intergouvernementale de la région, la Commission de l'océan Indien (COI). Mayotte n'a pas intégré cette commission en dépit de la présence de la France dans cette partie de l'océan Indien, de sa contribution financière à la Commission de l'océan Indien, dont elle finance le fonctionnement à hauteur de 40 %, de l'importance des fonds européens mobilisés, et de l'engagement de l'Agence française de développement (AFD). Mayotte ne bénéficie pas des fonds de la Commission de l'océan Indien, contrairement à La Réunion. Pensez-vous, monsieur le président, que la convention signée récemment permettra à Mayotte de trouver sa place au sein des différentes organisations de la région ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention recouvre un triple objectif : le renforcement de la place et de l'influence de Mayotte dans l'océan Indien, la reconnaissance internationale de Mayotte en tant que département français et région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, et enfin la formation de nos agents dans le but de les faire monter en compétences dans les missions diplomatiques.

Ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, Mayotte souffre d'un manque de reconnaissance. Les contacts avec l'État mauricien et sa diplomatie sont en effet restreints, sinon minimalistes. La convention a pour objectif de nous aider, dans le cadre de la diplomatie française, à nouer des liens régionaux.

Un intense lobbying comorien voudrait faire croire que Mayotte ne saurait être un département français et devrait être rattaché aux Comores. Ce lobbying nous met en difficulté, et nous avons pris du retard dans la reconnaissance de la véritable place de Mayotte. Notre stratégie de coopération concentre ses efforts sur cette reconnaissance pleine et entière de Mayotte comme département français, et sur son influence dans la région et vis-à-vis des pays proches, par exemple le Kenya.

Je rappelle que Mayotte est française depuis 1841. Elle a acquis le statut de département en 2011 et celui de RUP en 2014. Pourtant, certaines régions et certains pays n'ont pas connaissance de ces éléments. Ceci explique les difficultés que nous rencontrons pour faire signer des conventions dans le cadre de la coopération européenne (Interreg). Nous sommes parvenus à signer des accords avec Madagascar, les Comores et le Mozambique, mais pas avec la Tanzanie et les Seychelles. Nous menons un travail de rapprochement avec ces deux pays. Force est de constater qu'il n'existe quasiment aucun lien avec les Seychelles. En revanche, le travail mené depuis deux ans avec la Tanzanie commence à porter ses fruits. Nous espérons que de la convention facilitera le dialogue avec le Gouvernement tanzanien. Elle nous permet déjà d'être reçus par celui-ci. Cependant, la diplomatie française doit nous accompagner, puisque la parole de la diplomatie conventionnelle et la nôtre n'ont pas le même poids.

M. Georges Patient, rapporteur. - Cette convention a été signée pour une durée de trois ans. Avez-vous reçu l'assurance que la France fera en sorte que Mayotte intègre la Commission de l'océan Indien à l'issue de cette période ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cela fait partie du combat que nous menons pour la défense des intérêts du territoire mahorais. Nous nous battons pour intégrer pleinement la Commission de l'océan Indien, au sein de laquelle notre parole, en effet, n'est pas portée. Nous n'avons pas obtenu l'assurance de l'intégrer à l'issue de ces trois prochaines années, mais nous espérons que cette convention, ainsi que d'autres conventions régionales à venir, nous permettront d'y parvenir. Je rappelle que la convention prévoit une possibilité de reconduction à l'issue de trois ans, mais qui n'est pas automatique.

Vous savez les difficultés que la délégation mahoraise rencontre pendant les Jeux des îles de l'océan Indien : nous n'avons ni drapeau, ni hymne national. Nous souhaitons travailler dans la perspective des Jeux des îles en 2027, afin que Mayotte puisse y participer dans les meilleures conditions. Ces Jeux seront organisés aux Comores, qui tentent d'empêcher la participation de Mayotte avec le drapeau et l'hymne national. Nous devons par conséquent aboutir sur ce point. En outre, nous envisageons d'organiser les Jeux des îles en 2036 et nous devons travailler au sein de la Commission de l'océan Indien afin d'être en mesure de réussir l'organisation de cet événement.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Le département de Mayotte a signé le 11 mars une convention de partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, en marge des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée. L'objectif de cette convention est de permettre à Mayotte d'être engagée avec le Quai d'Orsay dans les opérations diplomatiques menées dans la région, notamment à Madagascar, à Maurice et au Mozambique. À terme, Mayotte devrait être représentée dans une dizaine de territoires, parmi lesquels les Seychelles, le Kenya et les Comores, même si beaucoup de subtilités sont à prendre en considération. En vous écoutant, Monsieur le Président, je comprends que votre ambition ne se limite pas à ces seuls territoires, et je tiens à vous en féliciter. Je salue la signature de cette convention qui doit permettre à Mayotte de mieux se faire connaître des causes africaines, afin de développer les échanges culturels et économiques.

Ces mesures sont déterminantes pour votre département, qui est le département le plus pauvre de France, mais le plus jeune aussi. Son économie a récemment subi un nouveau choc avec les barrages qui l'ont paralysée durant plus d'un mois, affectant de nombreuses entreprises de votre territoire. Face aux violences et à la sécheresse qui a contraint de nombreux Mahorais à vivre sans eau courante jusqu'à deux jours sur trois, les entreprises et les administrations expriment leurs difficultés à recruter et à fidéliser des employés partis en nombre ces derniers mois.

Ces problèmes internes, extrêmement pesants pour les élus du département, n'occultent pas vos ambitions extérieures. À ce titre, quelles seront les prochaines étapes permettant d'établir des liens de coopération économique avec les pays voisins de Mayotte ?

M. Ben Issa Ousseni. - La convention que nous avons signée est une convention-cadre. Nous espérons, d'ici quelques mois, signer d'autres conventions, notamment avec les ambassades des pays de la région. En effet, nous avons pour objectif d'installer, dès le mois de mai prochain, les premiers représentants du département de Mayotte dans les pays voisins, en premier lieu Madagascar, le Mozambique et Maurice. Les échanges avec les ambassades ont déjà été engagés et une première convention a été signée entre Mayotte et l'ambassade de Madagascar. Nous avons préparé des rencontres et choisi les trois agents qui représenteront Mayotte. Ceci constitue une première étape.

L'étape suivante consiste à travailler avec d'autres territoires que j'ai déjà mentionnés, notamment le Kenya, qui est aujourd'hui un pays qui monte en puissance dans la zone, le Mozambique et, à terme, Djibouti et d'autres territoires plus éloignés.

Notre territoire, vous l'avez souligné monsieur le rapporteur, souffre d'un manque d'attractivité. Ainsi notre hôpital éprouve de plus en plus de difficultés à faire venir des médecins en provenance de la France hexagonale. Dès lors, nous souhaitons que ces échanges régionaux nous permettent d'attirer des infirmières, des sage-femmes ou des médecins de la zone. Dans cette perspective, je crois que nous pouvons nous ouvrir notamment vis-à-vis de l'Inde. J'ai reçu récemment la visite des représentants du Consulat général de l'Inde à La Réunion, qui m'ont fait part de leur disposition à envoyer, si toutes les conditions sont réunies, des agents hospitaliers à Mayotte.

Des échanges économiques existent entre Mayotte et certains territoires proches. Ainsi, des importations ont lieu depuis Madagascar et, réciproquement, des entreprises mahoraises commencent à s'y installer, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, mais aussi dans l'informatique et le numérique. Nous accompagnons nos entreprises dans certains forums économiques, en Tanzanie, au Mozambique, à Madagascar et même, récemment, à Maurice, répondant à leur souhait de participer à des échanges économiques. Les chefs d'entreprise nous disent qu'ils recrutent du personnel dans les territoires voisins. Installer nos représentants dans les ambassades nous permettra d'accompagner plus efficacement nos entreprises dans les territoires concernés, parallèlement à des échanges culturels qui, eux, sont bien identifiés.

M. Thani Mohamed Soilihi. - La signature de la convention est une excellente nouvelle pour Mayotte, au moins à deux titres. D'abord, sur le plan symbolique, cette convention fournit un cadre de travail. Autrefois, les accords, les programmes, les conventions se faisaient dans le dos de Mayotte. Je rappelle la polémique qui a éclaté lorsque les Mahorais ont découvert qu'une feuille de route, évoquant notamment ses relations avec les Comores, allait être signée à leur insu. La signature de la convention du 11 mars tranche avec ces manières de procéder, en définissant ouvertement un cadre de travail certes insuffisant, mais précis. Je voulais commencer par souligner cet aspect.

Ensuite, cette convention accélère la sortie de l'isolement de Mayotte. Les Mahorais sont exaspérés qu'on veuille leur imposer un destin comorien. La moitié des villages de Mayotte sont malgachophones. On y parle le shibushi, ce qui n'est le cas dans aucun village des Comores. L'autre langue principale de Mayotte, le shimaoré, est apparenté au swahili, tel qu'il est parlé au Mozambique, en Tanzanie ou au Kenya. Il faut cesser d'orienter Mayotte vers un destin comorien dont les Mahorais ne veulent pas, ainsi qu'ils l'ont exprimé à plusieurs reprises.

À cet égard, la convention représente une prise de conscience par le ministère des affaires étrangères. Je m'en réjouis, et j'espère qu'elle ne se limitera pas à la France, mais qu'elle sera partagée par les autres pays de la Commission de l'océan Indien, et par cette cousine de Mayotte qu'est La Réunion. La France ne peut pas financer une instance internationale telle que la Commission de l'océan Indien et tolérer dans le même temps que Mayotte en soit exclue.

Le président des Comores vient de féliciter Vladimir Poutine pour sa brillante réélection. Ce geste est certes anecdotique, mais il est aussi représentatif de sa personnalité. La France devrait en tirer les conclusions qui s'imposent et ne pas continuer à traiter avec un dictateur, puisqu'il convient de rappeler que le président comorien Azali Assoumani est parvenu au pouvoir à la faveur d'un putsch. Il existe, autour de Mayotte, suffisamment de pays avec lesquels nous entretenons des liens privilégiés, et avec lesquels nous souhaitons nouer des rapports sains, pour se passer des Comores. Les Comoriens, d'ailleurs, se rendent peut-être compte qu'ils n'ont pas d'autre choix, s'ils veulent améliorer leur situation, que de coopérer avec nous.

Je conclurai en disant que, si la signature de la convention représente une étape très importante, elle ne suffira pas si des moyens, et d'abord des moyens de persuasion, ne sont pas mobilisés par la France pour accompagner les efforts mahorais. La France, qui témoigne par cette convention de la confiance qu'elle place dans les Mahorais et leurs élus locaux, doit user de tout son poids diplomatique pour que les pays amis de la France, ainsi que le département voisin de La Réunion, acceptent enfin que Mayotte joue un rôle à égalité avec les autres territoires. Nos jeunes, à Mayotte, ne demandent qu'à entendre la Marseillaise lorsqu'ils remportent des compétitions sportives. Nous ne demandons pas l'impossible. J'espère que nous sommes à un tournant et que désormais les choses iront en s'améliorant à Mayotte.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie, cher collègue, pour votre intervention. J'entends l'émotion que vous transmettez. Nous la partageons ici, au Sénat, qui est l'assemblée des collectivités. Il est tout de même surprenant que des Français ne puissent pas brandir le drapeau national et entonner fièrement leur hymne national.

Mme Viviane Artigalas. - Je souscris pleinement aux propos de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Il faut rappeler que les Comores, tant d'un point de vue historique que géographique, n'ont jamais été un État. Les Comores sont un archipel d'îles souvent très diverses. Dès lors, la revendication de souveraineté sur Mayotte par les Comores n'est pas motivée, et la France a eu raison d'affirmer qu'il revenait à chaque île de décider de son destin.

Je rejoins également ce qui a été dit à propos de la jeunesse et des sports. La délégation sénatoriale aux outre-mer a produit un travail sur les jeunes et le sport en 2018. À l'occasion d'un séjour à Mayotte, j'ai pu constater moi-même, lors de compétitions organisées par l'Union nationale du sport scolaire, la frustration des jeunes Mahorais empêchés de défendre les couleurs de leur pays. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important que Mayotte, comme d'autres territoires ultramarins, contient un vivier de talents sportifs à valoriser, et qui apporterait des médailles à la France.

La reconnaissance internationale de Mayotte comme département français est une clé de voûte à de multiples égards, et il convient de fournir un effort de communication en ce sens. J'observe que l'article 5 de la convention signée le 11 mars aborde la question de la communication. Cependant, il me semble que le texte s'arrête au stade des intentions. Par exemple, il indique que les ambassades de la région participeront à des actions de communication lorsqu'elles le jugeront pertinent, ce qui est une manière de faire prévaloir les décisions des autres sur les initiatives mahoraises. Monsieur le président, qu'en pensez-vous ? Est-il nécessaire d'aller plus loin dans ce domaine, afin que ces actions de communication et de médiatisation permettent enfin que Mayotte soit reconnue par toutes les instances comme un département français ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention était nécessaire dans un premier temps parce que, comme je l'ai indiqué, nous avions besoin d'un cadre de travail. Je précise que je ne suis pas un autonomiste. Mayotte s'inscrit dans la logique de l'article 73 de la Constitution relatif aux départements et régions d'outre-mer, et nous ne comptons pas en sortir. Cependant, je suis convaincu que les territoires ultramarins, au vu de leur positionnement régional, ont beaucoup à apporter sur le plan diplomatique. Ainsi je suis convaincu que le sénateur Thani Mohamed Soilihi a des contacts directs avec des ministres malgaches et qu'il peut échanger avec eux très facilement. Nous avons effectivement à mener un travail de communication sur la reconnaissance de Mayotte à l'échelle internationale, et nous comptons sur le Quai d'Orsay pour nous ouvrir les portes de différentes instances, notamment l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ou l'ONU, afin d'expliquer et défendre le point de vue mahorais.

Comme vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, il n'y a jamais eu un État comorien. Mayotte est française depuis 1841, parce que le sultan Andriantsoly, se sentant menacé par l'esprit de conquête et de domination des royaumes voisins, l'a cédée à la France afin de sécuriser son territoire. Mayotte était française quand chaque île de l'archipel était complètement autonome et indépendante. Les autres territoires ont rejoint la France beaucoup plus tard, avant de faire le choix de la quitter. Mayotte quant à elle a choisi de continuer son parcours français, et nous devons, en partenariat avec l'État, communiquer sur ce choix, sur la promotion de la convention et sur la reconnaissance de Mayotte à l'international. Notre objectif est d'être associé à la diplomatie française pour porter la parole de Mayotte.

Mme Agnès Canayer. - J'avoue humblement ne pas être une fine connaisseuse des problématiques de Mayotte. Aussi, je me pose une question relative aux enjeux de cette convention, dont je comprends bien qu'elle représente pour Mayotte l'occasion d'obtenir les moyens d'agir dans le cadre de la coopération décentralisée, notamment dans les relations avec les États en proximité. Outre les enjeux agricoles, que prévoit cette convention en matière de coopération policière, judiciaire et militaire ? Êtes-vous associés sur ces sujets ?

M. Ben Issa Ousseni. - Nos échanges, à l'heure actuelle, ne portent pas sur la question de l'immigration. Mais nous espérons pouvoir aborder les sujets de cet ordre avec l'État et lui faire savoir notre point de vue, peut-être à la faveur de futures conventions. Nous avons demandé à ce titre la mise en place d'échanges. Vous connaissez la situation que nous vivons en matière d'immigration et nous établissons une corrélation entre l'immigration et l'insécurité. Dès lors, nous devons être intégrés dans la boucle sur ces questions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Pour compléter les propos du président, j'ajouterai que le temps où les décisions se prenaient sans les Mahorais et sans leurs représentants doit être révolu. La question de notre collègue Agnès Canayer me semble très pertinente. Nous ne souhaitons pas que la coopération s'arrête aux domaines que nous avons évoqués. La question de l'immigration relève du domaine régalien de l'État, et nous ne cherchons pas à empiéter sur lui. Mais trop souvent nous avons subi par le passé des décisions prises sans associer les élus mahorais ou en faisant semblant de les écouter. Aujourd'hui, les élus locaux de Mayotte sont de plus en plus dynamiques et volontaires. Ils souhaitent assumer leurs responsabilités, et il est temps de leur faire confiance. Il est temps aussi de changer les mentalités, de ne plus soupçonner un élu de séparatisme dès lors qu'il parle de coopération, et de cesser l'opposition entre ceux que l'on appelait dans les années 1970 les « serrez-la-main », c'est-à-dire les indépendantistes, et les « sorodas », partisans d'une Mayotte française. Je pense que la situation actuelle est suffisamment transparente, puisque tout ce qui se dit et se fait est exposé en place publique, pour dépasser ces vieilles rivalités.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Monsieur le président, j'aimerais savoir si vous avez l'intention de réviser le cadre stratégique de coopération décentralisée et d'action internationale du conseil départemental de Mayotte, signé par votre prédécesseur et que vous avez adopté en 2018.

M. Ben Issa Ousseni. - Ce texte ne sera pas fondamentalement modifié. Cependant, en matière de stratégie, les documents doivent rester vivants, et nous allons faire évoluer celui-ci afin de l'adapter aux réalités contemporaines. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous souhaitons élargir notre périmètre d'action et nous ouvrir à d'autres pays comme l'Inde, la Chine, la Malaisie, voire Singapour et la Thaïlande. Dès lors, nous souhaitons inscrire cette ouverture dans ce texte, où ne sont à ce jour mentionnés que huit ou neuf États, essentiellement des voisins proches et Djibouti. Cette évolution entend répondre à la réalité des échanges commerciaux et culturels, qui s'étendent déjà jusqu'au Sénégal ou à Dubaï.

Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale. - J'aimerais insister sur le caractère symbolique de la convention signée le 11 mars. Elle marque notre volonté de travailler avec l'État sur toutes les questions relatives à la promotion et à l'intégration de Mayotte dans sa région. Il est important de le marteler. Cette convention se double de la création d'un Comité d'insertion régionale de Mayotte, qui sera un espace d'échanges et de dialogue nous permettant d'aborder tous les sujets relatifs à la coopération et au développement du territoire dans sa région. La convention prévoit en outre un volet consacré à la formation de nos cadres et de nos futurs cadres sur les questions diplomatiques et protocolaires. L'objectif consiste en une montée en compétence du territoire dans ce domaine.

Par ailleurs, la convention précise les modalités d'une association du département de Mayotte à la politique étrangère de la France dans la région, ce qui répond parfaitement à la mesure n° 54 du Comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023. Il convient de souligner que cette convention représente une étape inédite pour Mayotte et pour sa reconnaissance internationale.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué dans votre propos liminaire, monsieur le président, le manque de foncier et le déficit en eau, qui représentent des freins à vos objectifs de souveraineté alimentaire. Vous avez aussi évoqué les relations tissées avec Madagascar en matière de développement agricole. J'aimerais savoir quel modèle agricole vous envisagez de développer. Est-ce une agriculture intensive ? Ou bien une agriculture de petites fermes ? Comment la coopération agricole sera-t-elle organisée ?

Le magazine Forbes a publié un article sur l'homme d'affaires Mohamed Dewji, première fortune de Tanzanie, qui ambitionne de faire de son pays une puissance dominante dans le secteur agroalimentaire, en développant une agriculture intensive. Selon vous, que représente cette perspective pour Mayotte ? Est-ce une opportunité ? Est-ce une source d'inquiétude pour le développement des agriculteurs mahorais en Tanzanie ?

M. Ben Issa Ousseni. - Nous ne sommes pas en capacité de développer sur le territoire de Mayotte ce que vous appelez une agriculture intensive sur de grandes superficies. Notre activité agricole se déroule sur de petites exploitations à taille humaine, et c'est ce que nous nous efforçons de développer. Cependant, force est de constater qu'en matière alimentaire, nous manquons de tout. À Mayotte, le prix d'un kilo de tomates peut atteindre 12 à 15 euros. Le prix d'un kilo d'oignons est monté jusqu'à 15 euros récemment, alors qu'habituellement il se négocie autour de 3 euros.

La Chambre de Commerce et d'industrie de Mayotte coopère déjà avec les territoires proches, notamment la Tanzanie. Récemment, notre chambre d'agriculture a signé une convention avec la chambre d'agriculture tanzanienne, afin que nous puissions produire en Tanzanie ce dont nous avons besoin à Mayotte. Autrement dit, nos structures prennent le devant et, bien entendu, nous espérons développer de préférence une agriculture la plus saine possible, et respectant les normes environnementales.

Aujourd'hui, des Mahorais produisent à Madagascar, d'où nous importons beaucoup de produits, notamment des oignons, du taro et des tomates. Notre souhait d'ouverture et de coopération élargie vers le Kenya répond également à cette nécessité d'approvisionnement, puisque le Kenya est performant en matière de production agricole, et dispose d'un grand port tourné vers Mayotte, avec laquelle des liaisons maritimes sont établies. Certains porteurs de projets mahorais travaillent sur la question du transport maritime dans la perspective de faire circuler les productions dans la zone et de permettre à Mayotte de s'approvisionner en produits frais.

L'agriculture mahoraise restera une agriculture de petite taille, plutôt respectueuse de l'environnement. Bien développée, elle ne pourra satisfaire, dans le meilleur des cas, que 40 à 50 % de la demande locale. L'autre moitié, nous devrons l'importer des autres États de la région.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous apprenons avec plaisir que vous avez déjà développé un certain nombre de relations régionales. Dès lors, cette convention scelle votre volonté de vous ouvrir sur les territoires proches de Mayotte, mais aussi plus lointains puisque vous avez parlé de l'Inde, de la Chine ou encore de la Thaïlande. Elle constitue donc une très belle opportunité pour Mayotte, et nous espérons que ces échanges propèrent à la faveur d'autres conventions, dans d'autres domaines.

Nous pouvons espérer également, pour reprendre le thème évoqué par notre collègue Agnès Canayer, que se développe la coopération en matière de sécurité. Le canal du Mozambique est une région stratégique où Mayotte occupe une place importante pour la France. Il convient d'exploiter au mieux toutes les opportunités qu'offre Mayotte.

Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir apporté ces éclairages, et je vous assure que la délégation sénatoriale aux outre-mer restera très attentive quant à la situation de Mayotte, à ses démarches de coopération, à son insertion régionale, ainsi qu'au rayonnement de la France dans le canal du Mozambique.

M. Ben Issa Ousseni. - Je vous remercie également, et je signale que Mayotte accueillera, le 18 avril prochain, la Conférence des ambassadeurs. Cette réunion permettra d'échanger avec l'ensemble des ambassadeurs de la zone sur le déploiement de la convention.

Mme Micheline Jacques, président. - La délégation sénatoriale aux outre-mer ne pourra se rendre à cette conférence, puisqu'à cette date elle se déplacera dans les Antilles, dans le cadre d'une mission sur les modes d'action de l'État dans les outre-mer. Toutefois, nous envisageons un déplacement à Mayotte à la fin du mois de mai. Cette mission aura deux volets. D'une part, il s'agira d'aborder le rôle de l'État au sein des collectivités et l'adaptation des compétences régaliennes de l'État sur les territoires. D'autre part, nous évoquerons la coopération régionale dans le bassin Indien.

Mardi 2 avril 2024

Audition de Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous auditionnons cet après-midi M. Johann Remaud, directeur outre-mer de Business France, dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Il est accompagné de M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les parlementaires et les parties prenantes.

Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour apporter des réponses à nos interrogations sur le rôle de votre établissement public, qui est chargé du développement international des entreprises françaises, des investissements internationaux en France et de la promotion économique de la France, vis-à-vis des entreprises ultramarines.

Quel diagnostic portez-vous sur l'insertion régionale des économies ultramarines ? Quels sont les freins que vous identifiez : compétitivité, financement, normes, savoir-faire, langue... ? Comment ces stratégies sont-elles définies ? Quels sont vos partenaires ?

Fin 2023, vous avez renouvelé une convention avec le ministère de l'intérieur et des outre-mer afin d'encourager les initiatives des entreprises ultramarines dans leurs activités à l'export et d'inciter les investisseurs étrangers à venir s'implanter dans les outre-mer.

Cette promotion a bénéficié d'un soutien financier renforcé, avec en particulier la prise en charge de 50 % à 70 % du coût des solutions de préparation et de projection individuelles et collectives proposées par Business France et ses partenaires de la Team France Export (Régions, Bpifrance, CCI France).

La convention qui couvre tous les territoires ultramarins vise également à développer leur attractivité, à travers différentes actions menées avec les collectivités territoriales concernées comme : la prospection, l'accueil, l'accompagnement et le suivi d'entreprises étrangères susceptibles de développer de nouvelles activités créatrices d'emplois, la promotion de l'attractivité économique du territoire national et régional, ou encore la participation à des actions de prospection et d'accompagnement d'investisseurs.

Quel premier bilan tirez-vous de cette convention ?

Voici quelques problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.

Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.

M. Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France. - Dans votre propos liminaire, vous avez cité la Team France Export et la Team France Invest, qui ont été créées à la suite d'une réforme mise en place il y a cinq ans, et qui consistent en une grande alliance avec nos principaux partenaires dans chaque région. Business France travaille main dans la main avec deux opérateurs publics de terrain : d'une part, les Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans leurs directions internationales en région, y compris dans les collectivités du Pacifique depuis février dernier et, d'autre part, Bpifrance sur le volet des financements, le tout sous couvert des collectivités régionales et de l'État dans chacune des régions.

Cette alliance nous a vraiment permis, sur le volet export dans un premier temps, de renforcer notre présence sur l'ensemble des territoires. En tant qu'opérateur public, Business France n'a qu'un seul équivalent temps plein (ETP) présent sur les territoires, se situant de manière historique à La Réunion. Nous avons décidé de maintenir ce collaborateur, qui était financé depuis plusieurs années par la région, au regard de la volumétrie d'actions que nous avions sur ce territoire. Sur les autres territoires, nous pouvons compter sur un total de neuf conseillers répartis dans le Pacifique, les Antilles et l'océan Indien, sur lesquels nous nous appuyons en collaboration avec les chambres consulaires. Cette alliance est importante car elle porte non seulement sur des objectifs communs, mais également sur le partage d'outils et d'un réseau commun. Cette évolution positive nous permet aujourd'hui de proposer une très large palette d'outils pour les entreprises, allant de la préparation jusqu'à la projection.

Nous accompagnons dans cette dimension internationale 150 entreprises par an sur l'ensemble des territoires, dans une progression constante depuis la mise en place de la Team France Export. Nous sommes appuyés en cela par la volonté de nos partenaires locaux et également par l'envie des entreprises locales de se projeter à l'extérieur. L'ensemble de ces démarches est soutenu par le ministère chargé des outre-mer qui apporte des soutiens financiers de 50 % à 75 % sur l'ensemble des prestations que nous proposons aux entreprises.

Concernant la dimension attractivité, nous travaillons avec les agences régionales de développement et les conseils régionaux, et dans un accompagnement direct en fonction de leurs besoins. Cet accompagnement passe notamment par de l'appui à la rédaction d'argumentaires territoriaux et par de la communication internationale. C'est ce que nous avons fait récemment avec Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe (avec la rédaction d'un guide Invest), de même qu'avec la Guyane. Concernant ce dernier territoire, nous avons rédigé en début d'année deux argumentaires territoriaux, l'un portant sur les bioressources - qui sera dévoilé à l'occasion de Viva Tech en mai prochain - et l'autre concernant davantage l'aspect « tech » au sens large, notamment spatial.

En quelques chiffres, il faut savoir que, depuis 2014, nous avons recensé 20 investissements étrangers représentant un total de 346 emplois sur l'ensemble des régions. On notera cependant que depuis 2017, nous avons recensé 38 projets supplémentaires qui restent actifs, dont quatre ont été gagnés, deux viennent d'Italie, un des Pays-Bas et le dernier du Canada. Ces projets concernent les technologies du numérique ou le BTP, essentiellement pour de l'implantation, du développement d'implantation existante ou des investissements financiers.

Sur la thématique plus précise de la coopération régionale, les chiffres précités de 250 entreprises accompagnées à l'export concernent le monde entier. La demande des entreprises accompagnées porte plus spécifiquement sur le grand export. Comme vous le savez, il existe des freins importants depuis les bassins à l'exportation, de sorte que plus de 80 % des entreprises accompagnées sont des entreprises de services. Les seuls produits exportés de nos territoires sont essentiellement des produits traditionnels de type rhum, et quelques produits agroalimentaires. Le reste des entreprises que nous accompagnons et qui sont en croissance depuis plusieurs années, évoluent dans tous les domaines des services (bâtiment, start-ups dans le domaine du numérique, développement durable etc...), avec parfois quelques spécialisations pour certains territoires.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je souhaite revenir sur la convention signée il y a cinq mois entre le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et Business France. Pouvons-nous déjà en tirer un premier bilan ? Quels sont les changements pour vous ?

Vous dénombriez par ailleurs un total de neuf conseillers, dont un seul à La Réunion. Par conséquent, avez-vous compensé la faiblesse de cet effectif par des partenariats ? Dans l'affirmative, quels sont-ils ?

M. Johann Remaud. - La convention signée avec le ministère de l'Intérieur et des outre-mer est historique. En effet, si nous sommes liés depuis quinze ans avec ce ministère, cette année une enveloppe un peu plus importante a été octroyée à Business France en tant que répartiteur de l'aide. En d'autres termes, la quasi-totalité de l'enveloppe est destinée aux aides directes aux entreprises ou permet de financer des actions sur mesure spécifiques à ces entreprises.

Parmi nos accompagnements, nous travaillons très régulièrement de façon individuelle avec les entreprises. Ainsi, si une entreprise de Guyane souhaite aller au Brésil, nous sommes en mesure de l'accompagner pour identifier des partenaires au Brésil. De ce fait, notre accompagnement sera comparable à celui d'un cabinet conseil individuel. Cette prestation sera prise en charge à 75 % de son coût réel, directement appliquée sur le bon de commande. Ces aides sont, bien entendu, limitées aux TPE et PME.

La convention nous permettra aussi de mettre en place des actions sur-mesure, à l'instar d'opérations de coaching et de sensibilisation dédiées à un univers spécifique. Nous sommes intervenus de cette manière à plusieurs reprises dans l'univers des techs pour sensibiliser une cohorte d'entreprises aux techniques de vente américaines pour les start-ups.

L'an dernier, au-delà du volet coaching, nous avons accompagné des entreprises des Antilles, de Guyane et de La Réunion lors d'une mission sur le salon Montréal Connect.

Nous organisons aussi de plus en plus, à titre exceptionnel puisque cela ne relève pas de l'activité habituelle de Business France, des pavillons outre-mer sur des grands salons internationaux ayant lieu dans l'Hexagone. Ainsi sur Viva Tech, nous aurons un espace d'une cinquantaine de mètres carrés avec, sur les quatre jours, une quarantaine d'entreprises des outre-mer exposant leurs produits et ayant la possibilité de rencontrer des opérateurs étrangers. De même dans un secteur plus traditionnel, nous étions présents au premier Mondial du Rhum organisé à Paris, tout comme nous le serons en janvier prochain à Sirha Lyon. Nous serons enfin présents au Cosmetic-360 en octobre prochain, pour réunir les entreprises innovantes de la filière cosmétique sur l'ensemble des outre-mer.

L'an dernier, l'enveloppe s'élevait à 900 000 euros, que nous avons totalement utilisée en prestations directes et opérations sur-mesure au bénéfice des entreprises. Je précise que cette enveloppe permet aussi de financer le dispositif du Volontariat international en entreprise (VIE). Au titre de ce dispositif, la convention prend en charge 50 % de l'indemnité versée par les entreprises. À ce jour, vingt-cinq entreprises ultramarines différentes utilisent des VIE.

Nous travaillons aussi avec le ministère des outre-mer sur l'incitation aux jeunes originaires des outre-mer à se positionner comme VIE. De ce fait, nous organisons des manifestations auprès des étudiants originaires de l'ensemble des trois bassins pour leur faire connaître le dispositif du VIE et leur communiquer des exemples d'autres jeunes qui en ont bénéficié. Nous avons donc identifié une cinquantaine de témoins potentiels, ex-VIE originaires des trois bassins, qui « portent la bonne parole » et permettent aux jeunes de relever ce défi du VIE. Il s'agit donc d'un superbe outil, tant pour les jeunes que pour les entreprises, pour se positionner à l'international.

Concernant le volet export de la convention, sont prises en charge les prestations directes, les prestations sur-mesure et le financement du VIE.

Enfin sur le volet attractivité, nous venons en soutien aux agences régionales de développement en leur proposant des prestations d'accompagnement de type argumentaire, communication, atelier attractivité. Nous disposons d'une palette d'outils susceptibles d'être mis à leur disposition sur demande.

S'agissant des partenariats, nous avons bâti à travers la Team France Export et la Team France Invest un réseau de partenaires. Dans le domaine de l'export, les partenaires au quotidien sont les Chambres de commerce, et plus spécifiquement leurs services internationaux sur les territoires, qui ont positionné des conseillers internationaux. Ces derniers font véritablement partie de notre équipe, en ce sens que s'ils ont un besoin de mettre en relation l'entreprise qu'ils accompagnent au quotidien avec le bureau Business France à l'autre bout du monde ou de lui proposer un accompagnement sur mesure, ils sont connectés en direct à l'ensemble des collaborateurs de Business France.

M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations parlementaires et les parties prenantes, Business France. - À cet égard, il n'existe pas de différence avec le fonctionnement dans l'Hexagone, où ce partenariat de la Team France Export avec les CCI avait pour objectif de mettre en commun le réseau territorial fort et ancré des CCI, reconnu par les entreprises, et le réseau international de Business France, tout aussi connu et utilisé par les entreprises.

Finalement, cette mise en commun des réseaux a permis à des conseillers Business France d'aller dans les territoires, soit en tant qu'ETP de Business France, soit en travaillant au quotidien avec des ETP de CCI dans des équipes totalement intégrées.

M. Johann Remaud. - Sur une région hexagonale, nous avons 5 à 10 conseillers, tandis que dans l'ensemble des outre-mer nous avons 5 à 10 conseillers. Par conséquent, il existe une coordination unique dans les territoires, qui repose aussi sur du management intermédiaire. J'exerce cette coordination dans le cadre de mes fonctions, et me tiens au quotidien aux côtés des conseillers de la Team France Export outre-mer, qui d'ailleurs se rencontrent assez régulièrement. En effet, nous sommes très agréablement surpris des liens qui se créent entre l'ensemble des territoires. Dans le cas des Antilles Guyane, toutes les actions organisées par une CCI se font avec le concours des autres CCI.

À titre d'exemple, une mission récente à Sainte-Lucie était organisée par la CCI de Martinique, mais avec le concours de la CCI de Guadeloupe et de celle de Guyane et avec la participation d'entreprises de Guadeloupe. Enfin, l'an dernier, une mission au Guyana portée par la CCI de Guyane dans le cadre de la Team France Invest, a également inclus des entreprises de Martinique.

Nous jouons donc vraiment la carte commune, ce qui est un peu moins le cas du côté de La Réunion et de Mayotte mais nous y travaillons. La difficulté réside dans le fait que notre correspondant à Mayotte n'appartient pas à la CCI, qui n'est pas positionnée sur le volet de l'international. Nous travaillons donc à Mayotte avec l'agence de développement, ce qui rend plus complexe le travail avec deux structures différentes.

Dans le Pacifique, la coopération est plutôt bien engagée avec l'arrivée récente d'une conseillère en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nos territoires ultramarins sont des territoires d'importation et nos entreprises cherchent, par la force des choses, davantage à importer des produits en provenance des territoires voisins, qui seraient moins chers que ceux de l'Hexagone. Il s'agit donc d'une forme de concurrence. Business France traite-t-il ce type de sujet, car nous savons que sa mission principale consiste surtout à implanter les entreprises françaises à l'étranger ?

Je crois savoir que l'un de mes compatriotes cherche à importer des produits du Brésil car ils lui reviendraient moins cher, mais qu'il se heurte à de nombreux obstacles. En particulier, les produits brésiliens susceptibles d'entrer en Guyane doivent nécessairement passer par un port français avant de repartir vers la Guyane. D'ailleurs cet entrepreneur va utiliser un VIE. Quel est donc le rôle précis des VIE ? Sont-ils réellement utiles aux entreprises ?

M. Johann Remaud. - Je reconnais qu'il serait beaucoup plus intéressant d'importer des produits moins onéreux de proximité, mais l'accompagnement des entreprises pour le sourcing ne fait pas partie de la feuille de route de Business France. Ceci ne signifie pas, cependant, que certains conseillers à l'international de CCI n'aient pas dans leur feuille de route cette mission d'appui au sourcing.

En revanche, nous accompagnons les entreprises qui produisent déjà sur les territoires pour dupliquer ce modèle sur d'autres territoires, et éventuellement pour faciliter une réexportation vers le territoire d'origine. Cela pourrait constituer une solution.

Le VIE est un dispositif de ressources humaines qui permet à toute entreprise implantée sur le territoire français de disposer des services d'un jeune jusqu'à 29 ans, en lui proposant une mission de six à vingt-quatre mois, se déroulant dans un ou plusieurs pays. L'intérêt, pour les entreprises, est de ne pas être lié contractuellement avec le jeune. Business France agit comme un intermédiaire tel qu'une agence d'intérim, ce qui facilite les démarches des entreprises pour les besoins de l'expatriation. Pour les entreprises, le vivier de jeunes très compétents est intéressant, à des coûts encadrés et avec un risque limité, puisque ces jeunes ne disposent pas d'un CDI expatriés. La formule fonctionne puisqu'elle est en progression constante ces dernières années, hormis la parenthèse des années Covid où le nombre de VIE était retombé à 8 000.

M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les assemblées et les parties prenantes. - À l'automne dernier, nous avons fêté le 100 000ème VIE depuis le début du programme, ce qui nous ramène à des chiffres d'avant-Covid. Actuellement, 11 500 VIE sont en mission.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - J'aurai deux questions. La première concerne la fragilité du tissu économique actuel à La Réunion. Lors de notre rencontre avec les trois chambres consulaires de l'île, des alertes ont été lancées. Quelle est votre analyse de cette situation, puisque vous travaillez en partenariat avec les acteurs économiques du terrain ?

Par ailleurs, diriez-vous que les aides européennes sont facilement mobilisables pour les entreprises ultramarines sur l'ensemble des bassins que nous connaissons ? Ces outils européens sont-ils adaptés aux territoires ultramarins par rapport au large marché européen ?

Quelle est la portée pour nos entreprises ultramarines, selon vous, des normes Régions ultrapériphériques (RUP) qui viennent d'apparaître, sur l'exportation et notamment en matière de coopération régionale, sur un bassin européen et international ?

M. Johann Remaud. - Nous ressentons assez peu la fragilité des entreprises dans le développement international. Nous menons des études d'impact spécifiques par bassin dans les outre-mer (côté Antilles-Guyane et côté océan Indien), dont l'une au premier trimestre de l'année passée. Même avec le Covid, le taux de chute de l'ensemble des entreprises que nous avons accompagnées était beaucoup plus limité que celui des entreprises qui n'interviennent pas à l'international. En effet, pour certaines de ces entreprises, l'international représente une bouée de sauvetage pour capitaliser sur d'autres marchés et générer d'autres revenus.

Dans un exemple très récent, nous avons lancé en novembre dernier à La Réunion, à l'occasion de la venue du ministre délégué au commerce extérieur et l'ancien ministre chargé des outre-mer, un programme d'accompagnement spécifique sur la zone de l'océan Indien, dénommé Impulse. L'objectif était d'inciter les entreprises à dialoguer avec l'ensemble de nos bureaux de la zone, pour se projeter sur un programme d'accompagnement structuré pendant douze mois et viser, de manière graduée, différents marchés de cette zone.

Le programme Impulse était pensé pour les entreprises de La Réunion et de Mayotte. Nous imaginions avoir davantage d'entreprises de La Réunion, mais avons finalement eu la surprise de constater que six entreprises de Mayotte s'étaient positionnées et ce, malgré la crise spécifique que rencontre le territoire actuellement. Nous sommes donc en train de poser le constat que finalement pour les entreprises locales, ce programme pourrait être attractif pour se sortir du marasme.

Les aides mises en place par les collectivités régionales sur fonds européens sont difficilement mobilisables. Tout dépend de la façon dont les collectivités s'en emparent. Chaque région et collectivité possède son régime d'aides et ses processus spécifiques. Je note cependant une amélioration, depuis un ou deux ans, dans la disponibilité de l'accès aux aides, notamment à La Réunion. Il existe en effet, sur ce territoire, un dispositif d'aide complémentaire à celui proposé par le ministère des outre-mer par notre biais, et qui semble facilement mobilisable.

Depuis le début de l'année, une vingtaine de demandes d'entreprises ont pu être traitées, sachant qu'il s'agit de petites enveloppes et d'actions à court terme. Par conséquent, il est important d'avoir des réponses rapides même si les financements arrivent plus tard.

Nous avons en outre noté une amélioration en Guadeloupe.

En Guyane, il existe un mécanisme intéressant par lequel la collectivité a demandé à la CCI d'être répartitrice d'une petite enveloppe de 40 000 euros.

À Mayotte, il n'existe pas d'aides directes fléchées pour les entreprises.

En Martinique, les aides existantes restent assez difficilement mobilisables pour le moment.

Dans le Pacifique, aucune aide directe pour accompagner les entreprises n'a été mise en place. Il s'agit plutôt de financements de programmes collectifs et d'un crédit d'impôt export en Nouvelle-Calédonie.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Est-ce une priorité, de prendre en considération les liens économiques de vos implantations avec les territoires ?

M. Johann Remaud. - Notre priorité est celle des entreprises.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Par exemple, vous parlez beaucoup de la Guyane. Le fait de prendre en considération les liens que la Guyane pourrait avoir avec le Brésil, fait-il partie de vos priorités ?

M. Johann Remaud. - Avec le Brésil et même au-delà. Dans le cadre de la mise en place de la Team France Export, nous avons un pilier d'opérateurs dans un rôle très opérationnel, tandis que la dimension stratégique est représentée par la collectivité. Chacune des collectivités, dans le cadre de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), a la charge de sa stratégie économique locale. De ce fait, des comités de pilotage se réunissent dans l'ensemble des territoires, à charge pour la collectivité de leur faire part de sa feuille de route.

Les opérateurs de la Team France Export proposent aussi des actions destinées à répondre aux demandes de la collectivité. Ainsi l'an dernier nous avons organisé une mission au Guyana, ce qui n'était pas dans la feuille de route de Business France au niveau national, mais répondait aux besoins locaux des entreprises.

Mme Audrey Bélim. - Il est vrai que la convention de partenariat entre le ministère des outre-mer et Business France prévoit d'accélérer le développement des entreprises déjà exportatrices, et de détecter les entreprises qui pourraient exporter.

Cette convention prévoit donc d'attirer des entreprises étrangères pour investir, ouvrir des sites et créer des emplois dans les outre-mer. Nous avons appris hier la construction d'une usine de batteries de lithium à l'île Maurice par la société canadienne NSM, qui exploite une mine de graphite dans le sud de Madagascar. Cette usine emploiera une centaine de personnes à l'île Maurice.

Nous avons certes à La Réunion un coût du travail différent, mais nous disposons également de nombreux atouts que vous avez présentés : une population bien formée, une couverture en fibre optique excellente (la meilleure en France après l'Île-de-France), des services publics de qualité.

Quelles sont les entreprises et les secteurs économiques pouvant investir dans notre île ? Auriez-vous des pistes sérieuses d'investissements pour les prochains mois ou années ? Le fait d'attirer ces entreprises impliquerait-il des évolutions fiscales et législatives ?

Enfin, avez-vous estimé les conséquences de la potentielle suppression ou réforme de l'octroi de mer sur la concurrence de produits étrangers au sein de nos territoires ?

M. Johann Remaud. - Effectivement, le coût de main d'oeuvre à l'île Maurice permet d'accueillir des projets d'investissements à forte volumétrie d'emplois, ce qui est moins le cas à La Réunion. Sur ce dernier territoire, je peux citer un investissement récent dans le domaine des services, et créateur d'une dizaine d'emplois. L'investisseur est un groupe de Hong Kong qui, à travers sa filiale mauricienne, est venu investir à La Réunion.

La plupart des investissements étrangers à La Réunion sont plutôt originaires de Maurice mais sont créateurs de valeur ajoutée. Pour attirer davantage d'investissements, il est nécessaire d'être en lien avec les agences régionales de développement, et que celles-ci soient bien en ligne politique avec leurs collectivités respectives.

Nous rencontrons encore, sur certains territoires, une difficulté pour poser une stratégie réellement définie sur l'attractivité internationale. Par conséquent, nous ne savons pas toujours quels sont les secteurs ouverts. Je note avec intérêt qu'en début d'année, la région Réunion a lancé un appel d'offres pour définir la stratégie d'internationalisation, tant sur le volet attractivité que sur le volet export, afin de définir l'ensemble des filières d'export susceptibles d'être renforcées. C'est un préalable. Il conviendrait donc que ce travail soit mis en place par l'ensemble des régions afin qu'un argumentaire précis existe, et qu'il soit porté par l'ensemble de notre réseau. Aujourd'hui, la démarche est quelque peu artisanale en connectant les uns aux autres. Ainsi, mes collègues de la Team France Invest dans le monde, lorsqu'ils se trouvent en contact avec un investisseur étranger, pourront lui parler de quelques opportunités à développer dans les outre-mer.

Malheureusement, il n'existe pas d'autre démarche cadrée. C'est pourquoi il conviendrait, dans un futur proche, que nous amenions l'ensemble des agences et même des élus des outre-mer, à parler directement à notre réseau dans les territoires pour l'informer de la nature des secteurs ouverts aux investissements étrangers, et des outils mis en place pour accompagner la venue d'investisseurs étrangers. Aujourd'hui, nous manquons de solutions et d'une feuille de route déterminée.

M. Saïd Omar Oili. - J'observe que malgré le nombre de structures telles que la vôtre chez nous, la pauvreté ne recule pas. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous ne voyons donc pas les bienfaits de ces structures conçues en métropole, et qui permettraient à la population de vivre décemment.

Lors de l'audition récente par notre délégation de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEDOM), j'ai été surpris d'entendre que le rhum jamaïcain était le plus vendu au monde, davantage que le rhum antillais. Je ne comprends pas compte tenu de toutes ces structures d'accompagnement. Avez-vous une explication ?

Mme Micheline Jacques, président. - En effet, lors de l'audition de l'IEDOM, son président a souligné que les produits français étaient surtaxés à l'entrée sur le territoire américain, alors que les produits issus du reste de la zone Caraïbe, tels que le rhum, n'étaient quasiment pas taxés. De ce fait, le marché américain se fermait aux productions françaises puisque leur coût était beaucoup plus élevé.

M. Johann Remaud. - Pour le rhum, il existe d'autres marchés que le marché américain. Dans ce domaine, les petites productions sont très qualitatives et peuvent se positionner sur des niveaux de prix importants. Je n'ai donc pas trop d'inquiétude pour ce secteur du rhum, où sont présents des acteurs très innovants produisant des produits très qualitatifs. Les marchés sont très demandeurs. Il suffit donc de bien « marketer » et d'adopter la bonne stratégie pour vendre son produit.

S'agissant de Mayotte, Business France n'y est pas directement. Nous passons par notre partenaire, qui est l'agence de développement de Mayotte. Nous ne sommes donc pas une structure supplémentaire. Nous venons juste apporter, par le biais du partenariat entre le ministère de l'intérieur et des outre-mer et la Team France Export, des solutions techniques et un appui financier pour les quelques entreprises de Mayotte qui souhaitent pouvoir se projeter à l'international.

M. Quentin Geevers. - La Team France Export et la Team France Invest ne sont pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés peuvent travailler ensemble et cesser de se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses.

Mme Micheline Jacques, président. - La délégation s'est déplacée à l'île Maurice, où nous avons constaté que les Mauriciens étaient trilingues français, anglais et créole mauricien. Pensez-vous que la barrière de la langue soit un frein aux discussions et négociations entre les territoires ultramarins et leurs potentiels investisseurs proches ?

Nous avons aussi évoqué les difficultés de la mobilité humaine dans les transferts aériens mais aussi, les difficultés en matière de transports de marchandises. C'est pourquoi la mise en place d'une petite compagnie maritime a été demandée par la CCI locale.

Enfin, les crises sociales conséquentes constatées dans certains territoires ultramarins ne sont-elles pas un frein aux investissements étrangers ? Comment attirer ces investisseurs dans nos territoires ?

M. Johann Remaud. - Le problème de la langue tend à s'atténuer. La jeune génération maîtrise de plus en plus l'anglais, ainsi que nous le constatons dans les entreprises que nous accompagnons à l'étranger. Il est vrai qu'il y a dix ans, cette barrière de la langue représentait un frein réel à l'investissement dans les outre-mer. Aujourd'hui, la jeune génération peut travailler confortablement en anglais, langue qu'elle maîtrise suffisamment pour se projeter à l'international.

En revanche, le frein réel à la coopération régionale réside dans l'absence de compagnies maritimes régionales, alors que les entreprises les appellent de leurs voeux depuis de très nombreuses années. Plusieurs initiatives engagées depuis vingt ans, n'aboutissent malheureusement pas. Ce point figure d'ailleurs parmi les axes identifiés par le Comité interministériel des outre-mer (CIOM). Un partenariat public-privé pourrait représenter une solution dans un premier temps.

Nous rencontrons d'ailleurs la même problématique dans le domaine aérien, à des degrés divers selon les territoires. Dans la zone de l'océan Indien, la satisfaction est à peu près correcte, sauf depuis Mayotte qui nécessite un voyage de vingt-quatre heures pour se rendre au Mozambique alors que ce territoire se trouve juste en face. Il est sûr que les échanges seraient plus nombreux en présence de lignes régulières. Il faut donc trouver le bon modèle économique pour ces petites lignes, sans doute en s'inspirant d'exemples qui fonctionnent. J'ai eu vent d'une ligne qui s'était ouverte depuis la Bourgogne Franche-Comté pour gagner Paris, soutenue à l'origine par la collectivité régionale. L'avion de petite capacité mis à disposition à la création de la ligne s'étant rempli rapidement, un avion de plus grosse capacité l'a remplacé, ce qui a permis à la collectivité de se retirer partiellement pour laisser la place à un opérateur privé.

Je confirme que la situation sociale sur les territoires entraîne un impact négatif pour attirer les investisseurs internationaux. Bien entendu, un investisseur international possède la capacité de se projeter à plus long terme, et pourrait être intéressé par un « package » d'arguments à l'appui de son installation sur place.

Dans le cas de Mayotte, nous avons eu des discussions avec des investisseurs du secteur pétrolier, en lien avec les mouvements de Total au Mozambique. L'idée était de faire de Mayotte une base arrière pour les grands projets au Mozambique. L'établissement de taille intermédiaire (ETI) qui souhaitait s'implanter posait deux questions de base, qui m'ont été rapportées par l'agence du développement de Mayotte : si j'investis aujourd'hui, pouvez-vous me garantir la sécurité de mes employés et pouvez-vous me garantir que j'aurai de l'eau pour mener à bien mes opérations ? L'investisseur dont il s'agit a donc exclu à court terme Mayotte de sa réflexion, ce qui ne signifie pas qu'il ne pourrait pas revenir plus tard.

En résumé, la situation sociale est clairement un frein aux implantations.

M. Saïd Omar Oili. - Nous avons réalisé des travaux dans la perspective d'une coopération avec le Mozambique, notamment le quai n° 1 du port de Longoni. Le Mozambique s'est donc montré intéressé. Or actuellement, le problème ne provient pas du manque d'eau ni de l'insécurité à Mayotte, mais surtout de l'insécurité au Mozambique. Pour notre part, nous sommes prêts à recevoir Total, mais le blocage vient du Mozambique actuellement.

M. Quentin Geevers. - Je souhaite compléter les échanges sur l'objectif à long terme de notre action, et notamment sur le développement du VIE.

Que ce soit un jeune des outre-mer qui parte à l'étranger ou une entreprise des outre-mer qui emploie un jeune à l'étranger, nous obtenons un résultat immédiat qui est celui de l'internationalisation des outre-mer. Il existe aussi des effets de plus long terme à prendre en considération. En effet, lorsque le nombre de VIE issus des outre-mer augmente, et que les jeunes reviennent ensuite sur leur territoire d'origine enrichis d'une forte expérience internationale, ils deviennent aussi des ambassadeurs de leur territoire à l'étranger.

J'indiquais tout à l'heure que nous avions fêté le 100 000e VIE depuis le début du programme dans les années 2000. Lorsque nous rencontrons à l'étranger des Français qui sont présents pour vendre leurs produits, nous constatons que beaucoup d'entre eux sont d'anciens VIE. Ce programme permet d'intégrer une dimension internationale sur toute une carrière, ce qui est majeur pour le développement des outre-mer.

Mme Micheline Jacques, président. - Sur les 100 000 VIE, combien sont revenus dans leur territoire d'origine pour y développer des entreprises ?

M. Quentin Geevers. - Nous ne disposons pas de statistiques sur les retours car ces mouvements de retours sont difficiles à quantifier. Néanmoins, sur l'ensemble de la carrière, cette idée de l'international est très forte.

M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Comment ces jeunes sont-ils choisis ? Existe-t-il des critères par territoire ?

M. Johann Remaud. - C'est l'entreprise qui choisit les jeunes. C'est pourquoi nous menons ces actions de sensibilisation auprès des étudiants ultramarins à Paris ou ailleurs, car les entreprises elles-mêmes sont demandeuses de VIE originaires de leur territoire. Nous devons donc amener de plus en plus de jeunes à candidater, et leur faire comprendre que finalement, le fait d'être ultramarin peut aussi représenter un avantage en se positionnant sur certains postes. De nombreux témoins nous l'ont dit.

Bien entendu, l'aspect de financement pris en charge par l'État est attractif. C'est pourquoi nous sensibilisons les jeunes qui effectuent leurs études, à l'intérêt de créer eux-mêmes leur VIE en démarchant les entreprises de leur territoire qui exportent, ou ont des velléités d'exportation. Nous fournissons donc à ces jeunes l'ensemble des arguments pour qu'ils puissent se positionner. L'idéal, pour un jeune partant en VIE pour le compte d'une entreprise ultramarine, serait de rester ensuite dans le groupe, que ce soit sur le territoire ou à proximité. À un moment de sa carrière, il sera susceptible de revenir sur le territoire.

M. Quentin Geevers. - Je précise qu'en application des accords issus de la COP 26 à Glasgow, nous n'envoyons plus de VIE subventionnés par l'État dans tout le secteur des énergies fossiles.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clore cette audition, je constate que Business France joue un rôle de catalyseur et de fédérateur auprès des CCI et d'appui aux collectivités. La réussite dépend de nombreux facteurs, notamment des stratégies économiques de chaque collectivité ultramarine et de leur volonté de s'organiser au sein d'un même bassin.

Vous avez évoqué le cas des Antilles-Guyane, qui commencent à fédérer des projets. De même, l'activité économique et l'implication des CCI sont des facteurs qui permettent de développer l'entrepreneuriat.

Malheureusement, la mobilité des personnes et des biens reste un frein. Néanmoins, on observe aussi une évolution puisqu'entre 2014 et 2023, le nombre d'entreprises étrangères ayant investi dans les territoires ultramarins est passé de 20 à 38 projets, ce qui représente une dynamique positive.

Nous serons très attentifs à l'évolution et à votre action au bénéfice des territoires ultramarins.

M. Johann Remaud. - Je n'ai pas souligné le volet de communication positive, que nous mettons en place via différents canaux sur les réussites à l'international des territoires et entreprises ultramarins. Lorsque les entreprises, y compris les TPE, ont un pied à l'international, elles souffrent moins.

M. Quentin Geevers. - Je profite de votre fort intérêt pour le développement international des entreprises pour mentionner le plan « Osez l'Export ! », dévoilé par le ministre délégué chargé du commerce extérieur le 30 août dernier, qui comprend notamment un volet dénommé « Parlementaires pour l'export ». Vous avez tous déjà dû recevoir, à l'automne dernier, une brochure. Il s'agit de permettre aux députés et sénateurs qui le souhaitent, de s'investir davantage, avec l'accompagnement de Business France, au profit des entreprises de leur département, notamment dans le cadre de l'organisation d'évènements.

Je me tiens à votre disposition pour davantage d'informations.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci à vous. Nous sommes attentifs à toutes les contributions que vous souhaitez apporter à la délégation, y compris les idées que nous n'aurions pas évoquées ce soir.

Mardi 2 avril 2024

Audition d'Hervé Mariton, président, et Françoise de Palmas, secrétaire générale, Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

Mme Micheline Jacques, président. - Nous auditionnons à présent M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération régionale. Il est accompagné de Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale.

Madame, Monsieur, nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation.

Nous venons d'échanger avec Business France et attendons que vous nous apportiez, à votre tour, votre regard sur le sujet de l'insertion régionale des économies ultramarines.

Quels atouts et quels freins identifiez-vous ? Une meilleure intégration régionale peut-elle, selon vous, être un levier de lutte contre la vie chère ? À votre connaissance, la mise en oeuvre de la mesure 9 du CIOM - définir des stratégies commerciales par bassin - est-elle avancée ?

Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics - qui sont nombreux : collectivités, Business France, Banque des territoires, Banque publique d'investissement (BPI), Agence française de développement (AFD), CCI, Services économiques dans les pays voisins... - pour développer le rayonnement économique régional des outre-mer ?

Nous savons également que, comme notre délégation, vous vous préoccupez de l'adaptation des modes d'action de l'État et que vous avez des réflexions à partager sur ce thème qui est au coeur de notre seconde étude en cours, bien que celle-ci ne soit pas l'objet principal de votre audition aujourd'hui.

Les préfets qui disposent d'un pouvoir de dérogation depuis le décret de 2020 l'utilisent-ils, par exemple, en matière économique pour débloquer des situations ? Si oui, faut-il l'étendre encore ?

Vous avez pointé depuis longtemps la question de la production de données statistiques fiables sur les outre-mer. Selon vous, la situation s'améliore-t-elle ? Comment aller plus loin ?

Voici quelques-unes des problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.

Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.

M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM). - Pour répondre très directement à votre question, ce sujet de la coopération régionale est régulièrement abordé par nos adhérents - la FEDOM est une association d'entreprises et d'organisations d'entreprises présentes dans tous les outre-mer - mais ne figure pas au centre de leurs préoccupations. Je pense que c'est déjà un élément en soi : le sujet n'est pas absent du « scope » mais est rarement perçu comme central, dût-on le regretter.

Le thème de la coopération régionale est assez présent dans le discours et l'action politiques. L'articulation de l'échelon politique avec la vie économique, qui n'est jamais simple en outre-mer, est encore plus compliquée s'agissant de la coopération régionale. Lorsqu'on observe la chronique médiatique, on constate une relation politique assez régulière entre les élus des territoires et leurs environnements régionaux. Les conséquences économiques de ces échanges sont néanmoins plus discrètes.

Par conséquent, la coopération régionale est clairement un sujet politique, qui devrait sans doute davantage être un sujet économique. Je dirai même que la dimension économique n'est pas la première dimension de la coopération régionale pour les acteurs régionaux, en particulier les élus des territoires concernés. Ce propos est général et comporte évidemment un certain nombre d'atténuations. Pour autant, c'est une réalité.

En deuxième lieu, s'agissant des atouts et des freins, la présence géographique dans les territoires est une donnée importante, ces territoires étant tous insulaires, à l'exception de la Guyane. Lorsqu'on parle d'économie, même la Guyane est assez souvent perçue sur le plan économique comme une île, ce qui pose une sorte de distance par rapport aux environnements régionaux.

Le président de la République, à l'occasion de son récent déplacement, a souligné les relations de proximité, y compris sur le terrain économique. Un certain nombre de chefs d'entreprise de Guyane étaient présents parmi sa délégation au Brésil dans les jours qui ont suivi sa visite en Guyane, ce qui constitue une excellente initiative. Il reste que, sur la plupart des territoires, y compris lorsque la question du développement des relations régionales est posée à Business France, les réponses sont discrètes et timides. Le sujet est similaire concernant nos services économiques régionaux. J'ai eu l'occasion d'échanger il y a un peu plus d'un an avec les représentants de Business France à Sydney, et la réponse était assez rapidement un constat d'étonnement : de quels types de flux parlait-on ? Que s'agirait-il d'exporter ?

Nous partons donc d'une situation très modeste et de questions souvent renouvelées auprès des services publics, qui prennent l'habitude de répondre qu'en vérité, il n'y a pas tant de choses que cela à décrire en matière de coopération économique régionale.

S'agissant des différentes catégories de freins, il peut aussi y avoir un certain nombre de freins politiques très légitimes que nous-même, en tant qu'association d'entreprises, n'avons pas à qualifier. Lors de notre dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, nous avions été interpellés sur des intentions côté australien, d'importation de minerai à teneur relativement modeste pour un processus de transformation écologiquement pertinent. Cette possibilité d'échanges se heurtait clairement à un positionnement en termes de « doctrine nickel » et à des conditions de décision des autorités locales.

Récemment - et cela a fait la une de la presse - une compagnie de croisières américaines, Virgin Croisières, a annoncé son choix d'abandonner l'escale de Pointe-à-Pitre pour la suite de son programme de cette année, en raison de très mauvais retours d'expérience de la part de ses clients. Or, cette escale s'insérait dans un ensemble d'escales dans la Caraïbe, ce qui correspondait à une économie touristique régionale. Le frein, ici, était perçu en termes d'offre : à tort ou à raison, les croisiéristes de Virgin se sont exprimés défavorablement dans leur questionnaire de satisfaction.

Grâce au très heureux vote du Sénat, nous essayons de promouvoir le duty-free croisiéristes à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et sur quelques autres destinations. C'est un peu compliqué si les compagnies de croisières considèrent elles-mêmes, au fond, que Pointe-à-Pitre n'aurait malheureusement pas sa place.

Il existe un grand écart entre ce que les marchés régionaux peuvent fournir à nos territoires et à l'inverse, ce que nos territoires peuvent fournir aux marchés régionaux. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas de possibilités, mais elles sont difficiles à accomplir du fait des coûts salariaux côté français. De plus, dans certains cas, nous ne sommes pas tant en complémentarité qu'en concurrence. Nous pourrions être en complémentarité dans des domaines non marchands, tels que l'économie de la santé. Je pense notamment au positionnement de La Réunion en la matière, et en particulier aux traitements de l'insuffisance rénale, mais cela fait souvent appel à des marchés plus lointains. Nous savons en outre que la marchandisation des soins, y compris pour des publics non français, n'est pas l'une de nos spécialités. En termes de complémentarité, nous pourrions aussi sans doute considérer l'enseignement supérieur, mais là non plus nous ne sommes pas spécialistes dans la marchandisation.

La situation est évidemment très différente selon les territoires. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la relation avec l'économie canadienne est tellement forte qu'il existe évidemment une coopération régionale, même si elle bute parfois sur des difficultés liées aux normes. Il s'agit d'ailleurs aussi de normes de méthodes, à l'instar des échafaudages à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il existe aussi des phénomènes paradoxaux de produits qui arrivent dans de meilleures conditions tarifaires depuis l'Hexagone jusqu'au Canada, que depuis l'Hexagone vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour l'attractivité du territoire, il ne s'agit pas d'un atout.

S'agissant des normes, sur lesquelles la FEDOM travaille beaucoup, en particulier dans le domaine du bâtiment, le CIOM de juillet avait évoqué le marquage RUP, terminologie qui nous paraît impropre. L'idée est plutôt d'avoir, non pas une marque RUP mais, dans le cadre d'une analyse locale, une admission de produits qui ne répondent pas exactement aux contraintes communautaires, mais qui ont du sens pour le marché local. Ce dispositif devrait permettre d'accueillir, dans le cadre d'une coopération régionale, des produits moins chers que ceux venus d'Europe, avec toutefois le souci suivant : comment s'ouvrir à des importations régionales tout en répondant aux enjeux de la production locale ? À quelles normes ne veut-on pas renoncer pour des enjeux environnementaux, sanitaires ou d'emploi ?

Globalement, l'écosystème local tient à la présence d'une raffinerie à Fort-de-France, qui apporte des produits conformes aux règles européennes, ce qui ne serait pas le cas d'hydrocarbures en provenance de Trinidad. Cette raffinerie assure aussi un certain nombre d'emplois industriels dans une économie qui en manque. En tout état de cause, le schéma que nous connaissons amène probablement un produit plus coûteux que ne le serait un produit intégré régionalement dans le cadre d'un flux d'importations venant de Trinidad, mais il s'agit ici de choix politiques et économiques.

En préparant cette audition avec nos adhérents, ceux-ci ont évoqué notamment le sujet des financements des implantations d'entreprises venant de nos territoires sur les secteurs voisins. L'économie des outre-mer est très largement armée par des PME structurées pour aller à l'étranger, mais qui éprouvent des difficultés à trouver des financements pour leurs projets qui sont en-deçà de la maille traitée habituellement par les opérateurs. Il s'agit donc d'un problème d'accès au marché du financement. Parfois, des difficultés procédurales aboutissent, pour les entrepreneurs ultramarins, à passer par un marché intermédiaire. Par exemple, un entrepreneur de La Réunion a constitué une entreprise à l'île Maurice pour affronter le marché tanzanien. Vue de France, cette situation n'est pas idéale, mais elle est pourtant vécue par cet entrepreneur qui a tenu à témoigner.

Les entreprises locales ont parfois le sentiment d'être victimes d'ajustements politiques. Le sénateur Georges Patient dirait sans doute des choses plus justes que moi, mais je souhaite évoquer le monde de la pêche en Guyane, qui a eu le sentiment d'être victime d'arbitrages et de négociations politiques. Il prétend en effet avoir été, à un moment de son histoire, victime d'arbitrages franco-français consistant à minorer les intérêts de la pêche pour privilégier la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de drogue.

Par ailleurs, le manque de conditionnalité des aides européennes et la concurrence éventuelle qui en résulte sur les marchés tiers ou ultramarins, est un vrai sujet.

En outre, l'intégration régionale se heurte à des constats opérationnels lorsque la société Orange installe des centres d'appels à Maurice plutôt qu'à La Réunion pour des raisons de compétitivité. Je pense que nous pourrions accomplir des progrès sur le terrain des normes, en particulier dans le domaine du bâtiment.

Des progrès nécessitent en outre d'être accomplis en matière de financement. Les difficultés pourraient paraître quelque peu surprenantes puisque des banques des outre-mer sont aussi présentes sur les marchés voisins.

Il y a des ambitions, mais qui se heurtent à des problèmes géostratégiques. Ainsi, Mayotte avait imaginé se positionner comme base arrière des activités de Total en Afrique orientale. Or, la situation sur ce dernier territoire n'est pas simple. De ce fait, les ambitions fortement marquées de Mayotte et de Total ont été affaiblies des deux côtés du canal du Mozambique. Enfin, il n'est pas évident qu'un cadre de Total ait envie de se rendre à Mayotte dans le contexte actuel, ce dont il faut aussi être conscient.

Nous avons des ambassadeurs dans ces bassins. Je pense que davantage de leur énergie devrait être mise sur le terrain de la coopération économique. Lors de la commission économique de la FEDOM qui s'est tenue cet après-midi, nous avons abordé ce sujet. Certes, les chefs d'entreprise n'attendent pas de miracle des délégations publiques, mais ils aimeraient être davantage associés aux déplacements politiques des élus dans les territoires. En effet, lorsque les milieux économiques organisent les déplacements, ils pensent en général aux acteurs de proximité. Les ministres ont aussi pris cette habitude, même si elle n'est pas généralisée.

Les questions d'intégration régionale se posent aussi dans le domaine des transports, en particulier dans le transport maritime, avec des liaisons très marquées sur la métropole mais pas uniquement. Je pense aux Antilles-Guyane mais aussi à la desserte de l'océan Indien et du Pacifique. Cela peut aussi être le cas dans le transport aérien. Toutefois, les compagnies aériennes nous indiquent qu'elles gagnent de l'argent sur les relations régionales intra-françaises mais qu'elles en perdent au-delà des territoires français.

La coopération régionale concerne aussi les entreprises extérieures qui viennent sur nos territoires, mais qui ne sont pas toujours accueillies avec un enthousiasme débordant. Les entreprises mauriciennes ont pourtant des enjeux importants à La Réunion. Mon propos est tout de même atténué par le fait que dans une certaine discrétion, des acteurs de la Nouvelle-Calédonie ont des enjeux en Australie, tout comme des acteurs de Maurice ont des enjeux à Madagascar. Les entreprises ne se développent pas toujours sur les territoires les plus proches, pour des raisons de taille. En définitive, les relations existent mais ne se conçoivent pas très articulées avec la coopération régionale au sens politique du terme. De surcroît, la coopération économique est peu articulée avec la coopération politique.

Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale de la FEDOM. - Lorsque des relations se créent, elles peuvent être discrètes et sans publicité. De plus, sur le plan économique, le brouillage peut provenir du rôle des grandes structures régionales de type Commission de l'océan Indien (COI), qui travaillent quelque peu en chambre. Je pense qu'il y aurait sans doute un audit à réaliser sur le rapport coût-efficacité de ces structures très consommatrices de fonds publics, notamment français.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je salue le président Hervé Mariton, que je me félicite de retrouver au Sénat, après l'avoir côtoyé pendant quelques mandats à l'Assemblée nationale.

Pourriez-vous nous rappeler quelques informations sur la FEDOM, son statut, son organisation, son histoire et son financement ? Quels liens entretenez-vous avec les organisations patronales connues, telles que le MEDEF et les organisations patronales locales ?

Pourriez-vous nous donner votre vision de la situation mahoraise ? Nous avons entendu qu'un certain nombre d'entreprises étaient en très grande difficulté et qu'elles risquaient de disparaître.

M. Hervé Mariton. - Monsieur le sénateur, le plaisir et l'honneur sont partagés.

La FEDOM est une association loi de 1901 à but non lucratif, dont les membres se répartissent en trois catégories : les organisations d'entreprises (MEDEF territoriaux, associations de promotion de l'industrie, CPME, CCI, fédérations de branches, clusters maritimes et numériques), les entreprises ultramarines d'une certaine taille adhérentes directes, et les entreprises nationales ayant des enjeux outre-mer (TotalEnergies, Air France, Vinci, Orange...).

La FEDOM vit des cotisations de ses adhérents, avec lesquels nous entretenons un lien comme il sied à toute association. C'est une toute petite structure dotée d'un président, d'un bureau, d'un conseil d'administration et d'une petite équipe de quelques permanents, auxquels s'ajoutent parfois des alternants de talent.

À Mayotte comme souvent en outre-mer, notre message est d'insister sur l'importance des enjeux économiques, tout en respectant les débats institutionnels et régaliens. Ces sujets ne sont d'ailleurs pas déconnectés puisque les économies ultramarines ont besoin de sécurité. L'insécurité peut aussi provenir de considérations régionales telles que l'immigration clandestine, le trafic de drogue, l'orpaillage...

À la FEDOM, nous sommes perplexes face à l'énergie mise sur des enjeux institutionnels ne paraissant pas centraux. Par conséquent, une partie de notre message dans le cadre de la crise connue par Mayotte ces dernières semaines, a consisté à recommander de ne surtout pas oublier l'économie. Nous sommes intervenus auprès du Gouvernement pour que ses représentants rencontrent les acteurs économiques de Mayotte qui, à un moment de la crise, se sentaient très délaissés. Par la suite, ils ont été satisfaits que le Gouvernement déploie beaucoup d'énergie pour le rétablissement de l'ordre, de la sécurité et de la liberté de mouvement, tout en ayant le sentiment que la situation économique n'était pas regardée avec assez d'attention.

Par ailleurs, à Mayotte, encore davantage que sur les autres territoires ultramarins, l'importance du travail informel est un phénomène significatif. Lorsque j'étais parlementaire, le préfet de Mayotte m'expliquait la densité de la relation avec les Comores en raison des communications téléphoniques avec ce territoire. Je serais curieux de connaître les chiffres des transferts d'argent - par le biais notamment de Western Union - entre Mayotte et les Comores, qui expriment une forme d'interaction régionale, sinon de coopération.

L'économie à Mayotte bouge car il y a beaucoup d'argent. Il y a aussi une interaction très forte avec La Réunion. Cette interaction n'est d'ailleurs pas toujours flatteuse pour Mayotte, car elle provient de ces cadres d'entreprise qui sont présents pendant quinze jours, pour alterner avec un séjour de quinze jours à La Réunion, où demeure leur famille. Finalement, cette coopération que j'évoque est une coopération régionale inter-DROM entre La Réunion et Mayotte.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - Merci pour vos propos très clairs et votre vision de nos territoires. Vous avez pointé le décalage entre le politique en matière de coopération régionale, et le volet économique où vous parlez davantage d'« interaction ». Pour une véritable coopération régionale en matière économique, comment envisagez-vous l'aspect diplomatique ? Lorsque vous évoquez le politique, vous pensez sans doute davantage à l'exécutif territorial, mais en matière territoriale un volet diplomatique et stratégique est souvent en jeu.

Concernant l'octroi de mer, qui est une question d'actualité, le considérez-vous comme un frein pour les entreprises ou un outil ? Dans sa version actuelle, protège-t-il les entreprises ultramarines ou s'agit-il d'une taxe à revoir ?

M. Hervé Mariton. - J'ai en effet fait référence, dans mon propos, aux élus territoriaux. Sur l'aspect diplomatique, je pense qu'il existe en partie une problématique de type « poule et d'oeuf ».

Lors d'une rencontre avec notre ambassadeur en Inde et son collaborateur, peu de temps après l'interruption de la liaison aérienne entre Saint-Denis de La Réunion et Chennai, j'ai trouvé cet interlocuteur intéressé par les enjeux touchant La Réunion. Mais j'ai pu constater que ce volontarisme n'était pas communément partagé dans tous les pays de la zone régionale. Il m'apparaît par conséquent que le Gouvernement pourrait donner pour instruction à des représentations diplomatiques de garder un oeil sur les relations ayant un impact commercial pour les outre-mer.

Je devais rencontrer le directeur général du Trésor avant qu'il ne devienne Directeur de cabinet du Premier ministre. Le rendez-vous a donc été reporté avec son successeur. Je souhaiterait notamment évoquer avec ce dernier un grand nombre de sujets, parmi lesquels celui de savoir si, au Trésor, il y a un certain investissement sur le sujet de la relation de nos outre-mer avec leur environnement régional. C'est sans doute le cas, mais je n'en connais pas les proportions. Cette question de la coopération régionale pourrait utilement être étudiée au sein du Trésor.

À la FEDOM, nous défendons l'octroi de mer en tant qu'outil de compensation en faveur de la production locale. Nous n'avons pas d'ambiguïté sur le sujet car il s'agit de notre mandat.

Mme Françoise de Palmas. - Le terme « protection » pourrait heurter Bruxelles. Pourtant, si les entreprises éprouvent des difficultés à exporter leurs produits dans la zone, c'est bien parce qu'elles se trouvent dans une situation d'étroitesse de marché et d'absence d'économies d'échelle, ayant pour conséquence un handicap de compétitivité. Le différentiel d'octroi de mer, tel qu'autorisé par Bruxelles, n'a pas pour objet de protéger les entreprises faibles mais de compenser des handicaps structurels.

C'est à ce titre que la Commission de Bruxelles et la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont autorisé le différentiel d'octroi de mer, car il compense des handicaps reconnus à de multiples reprises, notamment par l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est donc bien à ce titre qu'il nous paraît plus prudent d'employer le terme de « compensation » plutôt que celui de « protection », qui est inaudible à Bruxelles.

Les pays des zones avoisinantes ont longtemps fait de l'octroi de mer un cheval de bataille, mais il faut bien avoir à l'esprit que l'octroi de mer taxe aussi les produits en provenance de métropole. Il ne s'agit donc pas d'une taxe équivalant à un droit de douane. À l'inverse pour exporter à Maurice ou Madagascar, les outre-mer sont soumis à un droit de douane tout à fait spécifique.

Mme Audrey Bélim. - Je poursuis sur l'octroi de mer car je tiens à réitérer mon inquiétude concernant cette réforme. Nous avons le sentiment que le Gouvernement souhaite définir d'ici l'automne, pour une entrée en vigueur au 1er janvier prochain, un nouveau dispositif. Or, à La Réunion, nous demandons la transparence sur la formation des prix, que nous ne parvenons pas à obtenir. Il existe par conséquent un manque de concertation avec le Gouvernement sur le sujet, qui est très inquiétant pour nous, collectivité.

L'opinion accuse l'octroi de mer d'être responsable de la vie chère dans les outre-mer. Nous avons bien compris les explications du Premier Président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, lors de sa visite à La Réunion. Nous avons même apprécié ces échanges, car il a apporté des éclaircissements nécessaires sur le fait qu'il ne parlait pas de suppression, mais bien de réforme de l'octroi de mer.

Je note cependant que vous avez indiqué : « Il est d'ailleurs à peu près évident qu'un système qui viserait à augmenter la TVA afin de compenser les pertes de recettes consécutives pour les collectivités, conduirait à un renchérissement certain du prix des services, aujourd'hui non assujettis à l'octroi de mer, dans un contexte où l'essentiel de la consommation des ménages des DOM est lié aux services ».

Finalement, la FEDOM pourrait-elle nous aider dans notre posture face à l'octroi de mer, qui doit être proactive, pour ne pas le subir ? Disposez-vous d'études d'impact sur les conséquences pour l'activité économique, l'emploi, le pouvoir d'achat dans les outre-mer, notamment liées au renchérissement du coût des services ?

M. Hervé Mariton. - Nous sommes au-delà de l'étude sur la coopération régionale mais je réponds bien volontiers sur ce sujet important.

Je confirme que nous ne disposons pas de tous les chiffres. Les carences de l'approche statistique sur les outre-mer sont évidentes - malgré quelques statistiques de l'Insee - de sorte que le retard à rattraper est grand.

Si le Gouvernement entend mettre en oeuvre une réforme dès le projet de loi de finances (PLF) 2025, au vu des différences de points de vue au sein de l'appareil étatique et indépendamment du fond, je crains que les choses ne soient très fragiles. Ces sujets demandent une préparation de calcul extrêmement soigneuse, et nous sommes déjà en avril.

L'an dernier pour le PLF 2024, un travail extrêmement cabossé - parce précipité - a été mené sur les aides fiscales à l'investissement. Pour l'octroi de mer, il faut prendre garde à cela.

En matière de transparence, l'économie de nos outre-mer est souvent plus administrée que celle des territoires voisins. Je me permets d'indiquer, Madame la sénatrice, que la transparence est une notion assez ambigüe. J'ai exercé la fonction de ministre des outre-mer assez brièvement, mais j'ai mis en place les observatoires sur les marges et les prix en 2007. Je considère qu'il est essentiel de mener ce travail cognitif, ce qui confère aux observatoires une place importante.

Dans une économie de marché, vous n'aurez jamais une parfaite transparence de la formation des prix, car à un certain moment, on entre dans le domaine de la « recette de cuisine ». Il m'apparaît par conséquent que la prudence est de mise. À titre d'exemple, les marchés pétroliers outre-mer sont des domaines très administrés, ce qui relève d'un choix sans doute légitime. Néanmoins, lorsqu'on décide d'administrer un secteur de l'économie, il ne faut pas trop en faire. L'octroi de mer n'est pas le seul composant de la vie chère, car il n'y a pas de facteur unique. L'Autorité de la concurrence a travaillé sur ce sujet. Toute taxe, de quelque nature qu'elle soit, fait partie du prix. En d'autres termes, tout impôt finit par être payé par le consommateur.

M. Saïd Omar Oili. - Vous avez évoqué les normes, et vous vous êtes interrogé sur celles que nous voulons et celles que nous ne voulons pas. Pendant la crise de l'eau à Mayotte, le Gouvernement, dérogeant aux normes régissant l'importation des bouteilles d'eau, en a importé de Maurice alors même que cette pratique était interdite aux commerçants. J'ai moi-même bu cette eau, et comme vous le constatez, je suis bien portant.

Par ailleurs, pour répondre à l'insuffisance des capitaux dans les outre-mer, l'investissement se fait souvent par l'endettement des entreprises. Dans les DOM, les coûts de production sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs, ce qui participe de la vie chère. À l'inverse les coûts de production dans les pays voisins sont beaucoup plus bas.

Je souhaite que nous évoquions aussi les retards de paiement, qui représentent des difficultés supplémentaires pour de nombreuses entreprises de nos territoires.

M. Hervé Mariton. - Les délais de paiement font partie de l'insécurité économique. Nous souhaiterions, à l'occasion des débats prochains autour de la loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte 2) et des mesures de simplification - sur lesquels le Sénat est particulièrement attendu - que l'exécutif, ou le législatif à l'occasion des débats, prennent des engagements sur l'amélioration des délais de paiement.

Pour revenir à la coopération régionale, il importe de comprendre que les délais de paiement représentent une éviction d'intérêts extérieurs. Ce sujet est à l'évidence un élément négatif dans la balance des investisseurs extérieurs, lorsqu'ils songent à l'économie ultramarine. Cette attrition de la concurrence et de l'engagement de capitaux est un élément de la vie chère. Les délais de paiement sont une explication de la vie chère puisque les entreprises locales, moins nombreuses et peu exposées à la concurrence, se rattrapent sur le prix.

En Guyane, le président de la République a invité les élus locaux à lui faire des propositions en matière de réforme institutionnelle. Il leur a rappelé, notamment, qu'il existait des possibilités d'adaptation au titre de l'article 73 de la Constitution, qui n'étaient pas toujours mises en oeuvre sur les territoires. À la FEDOM, nous insistons aussi beaucoup sur le pouvoir de dérogation des préfets.

Il est toujours délicat pour nous de faire comprendre à des élus, que les institutions ne sont pas les seuls éléments sur lesquels ils doivent travailler. Nous ne nous privons cependant pas de les interpeller à ce sujet. Puisque vous évoquez le terrain normatif et la possibilité d'une meilleure coopération internationale, je pense qu'il existe des marges à ce sujet.

Heureusement qu'en présence d'une situation d'urgence absolue telle que vécue à Mayotte, nous sommes capables de déroger.

Pendant la crise Covid, alors que je n'étais pas encore président de la FEDOM, j'avais considéré que cette crise pouvait être facteur d'accélération de la mise en oeuvre du pouvoir dérogatoire des préfets. L'État n'a pas eu ce courage, malheureusement.

Sur l'insuffisance des capitaux, nous insistons beaucoup sur la nécessité de favoriser la collecte des fonds propres outre-mer. Les entreprises ultramarines souffrent en effet d'une insuffisance de leurs capitaux. Mes mandants, qui sont pour l'essentiel des entreprises locales, ont vocation à être soutenus et encouragés. Quand une grande entreprise nationale abandonne les outre-mer car les délais de paiement sont insupportables, ce n'est jamais une bonne nouvelle. Quand des acteurs étrangers s'intéressent aux outre-mer puis font marche arrière, il en va de même.

La prospérité économique des outre-mer ne permet pas que des barrières aussi importantes soient présentes partout.

M. Saïd Omar Oili. - L'État est venu à Mayotte pendant la crise que nous avons connue dernièrement. Le montant des aides proposées aux entreprises n'était que de 4 000 euros.

M. Hervé Mariton. - Cette somme paraît faible.

M. Georges Naturel. - Nous avons auditionné, il y a un mois, le directeur de l'IEDOM, qui devrait produire un rapport prochainement sur les relations commerciales dans nos territoires. Nous disposerons donc, à cette occasion, d'intéressants éléments d'ordre général.

En Nouvelle-Calédonie, où vous étiez il y a peu, vous avez rencontré le monde économique. À cette occasion, nous avons abordé la crise institutionnelle que nous vivons. Le président de la CCI était également présent lors de votre visite, car nous subissons aussi une crise économique et sociale en Nouvelle-Calédonie.

Vous avez donc raison sur le fait que certes, la problématique institutionnelle existe, mais que nous devons aussi traiter le sujet du développement économique. Je ne m'étendrai pas ici sur la crise du nickel, qui représente une vraie problématique.

En tout état de cause, la Nouvelle-Calédonie possède un tissu économique très vivant, avec peu de consommateurs mais des voisins tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. J'ai rencontré les consuls de ces deux pays, avec lesquels un réchauffement de nos relations s'est produit. Ils ne demandent donc qu'à se rapprocher de nous économiquement, en incluant la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics sur nos territoires ? En Nouvelle-Calédonie, la situation est quelque peu complexe car les compétences sont partagées entre le territoire et l'État. Bercy et le Quai d'Orsay sont très vigilants, ce qui pourrait constituer des blocages parfois, mais les entreprises aspirent à se développer.

Que pensez-vous du fait que les collectivités tentent d'accompagner au mieux les entreprises pour un développement régional ?

M. Hervé Mariton. - La question de l'environnement régional est en effet appréhendée de manière particulière en Nouvelle-Calédonie. J'étais présent sur ce territoire en juin 2023, et ai prévu d'y retourner le mois prochain.

Nous avons posé un constat partagé avec Business France, à savoir qu'il était important que tous les acteurs prennent leur part dans le développement de la coopération régionale, y compris les instances consulaires. La CCI de Nouvelle-Calédonie est ambitieuse sur le sujet des relations régionales.

Tout à l'heure, j'ai fait allusion à cette proposition de toutes petites quantités de minerai entre la Nouvelle-Calédonie et l'Australie. Sur ce sujet, le Gouvernement de la République est prudent car il existe une compétence de territoire. J'avais moi-même été amené à intervenir, à l'époque, auprès de Franck Riester, sur une convention de bonnes pratiques à Fidji, avec un retour de bons procédés de Business France en Australie. Les courriers n'étaient jamais signés car le ministre n'osait pas toucher à une prérogative du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

La situation est donc compliquée en raison des compétences institutionnelles de Nouvelle-Calédonie, qu'il convient de respecter.

M. Georges Naturel. - À chacun de ses déplacements en Nouvelle-Calédonie, le président de la République nous parle de l'axe Indopacifique. En ce qui nous concerne, il nous importe de savoir comment la Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans cet axe, dont fait partie le développement économique.

M. Hervé Mariton. - Je vais vous raconter une anecdote. Je suis membre de la World Policy Conference (WPC), organisation internationale sous l'égide de Thierry de Montbrial, fondateur de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Lors d'une table ronde sur l'Indopacifique organisée à l'automne 2022, présidée par un Français, je me trouvais dans la salle. Pas un mot n'a concerné la France. Je suis donc intervenu, à partir de la salle, en demandant au panel si la France était une anecdote dans l'Indopacifique. La réponse à mon interpellation a été un « blanc ».

Étant d'un naturel tenace, l'année suivante, en octobre 2023, je me suis imposé dans le panel. J'ai parlé à cette occasion de la France dans l'Indopacifique, en particulier de la Nouvelle-Calédonie, de Mayotte, de La Réunion, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française. Le modérateur du panel avait trouvé mon propos pertinent. Pour le dire autrement, les choses ne viennent pas seules.

En définitive, pour être ambitieux et présenter l'Indopacifique vu de France et accroître l'intégration et la coopération régionales, le travail est encore long.

Mme Micheline Jacques, président. - La norme RUP rejoint une recommandation de la délégation sénatoriale aux outre-mer dans son rapport sur la politique du logement outre-mer. Le concept a peut-être mal été compris, mais il s'agissait de trouver des équivalences. Nous trouvions en effet surprenant de faire venir du bois de Norvège pour les charpentes en Guyane, alors que ce territoire regorge de bois. De plus, pour utiliser le bois du Brésil voisin, il arrive qu'il traverse à deux reprises l'Atlantique pour obtenir un tampon « norme européenne ». C'est donc précisément dans ce souci de limiter l'empreinte carbone et d'avoir des coûts réduits pour la construction en outre-mer, que nous avons envisagé la norme RUP.

Vous connaissez mon attachement au sujet de la révision constitutionnelle, mais je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur ce point. L'expérience montre, pour les avoir expérimentées en Martinique et en Guadeloupe, qu'il existe un réel problème de coûts en matière de dérogations et habilitations. Il appartient en effet aux collectivités de préparer et demander l'autorisation. De surcroît, en la matière, il s'agit d'un prêt de compétence et non d'un transfert de compétence.

Par ailleurs, la loi avait donné un pouvoir de dérogation aux agences régionales de santé (ARS). Pour le moment, aucune collectivité d'outre-mer ou nationale n'a pleinement utilisé ce pouvoir. Par conséquent, s'il est toujours intéressant d'avoir des outils, j'estime que les élus sont les représentants du peuple qui sont les plus à même de mettre en place la politique qu'ils désirent sur leur territoire.

Enfin, vous avez commencé votre propos en indiquant que la coopération était un sujet régulièrement abordé, mais qu'il ne figurait pas au centre des priorités des entreprises ultramarines. Puis, au fil de l'évolution de l'audition, vous avez regretté que le secteur économique ne soit pas associé à la discussion des politiques lors des déplacements. Par conséquent, comment harmoniser et ouvrir la discussion entre les politiques et le secteur économique, pour fluidifier les relations en matière de coopération régionale ?

Merci infiniment pour vos éclairages. Nous restons donc très attentifs à vos travaux. N'hésitez pas à nous faire parvenir vos suggestions pour enrichir notre rapport.

Jeudi 2 mai 2024

Audition d'Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères accompagnée d'Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien

Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin, Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Elle est accompagnée de M. Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien

Madame la directrice, nous vous remercions de vous prêter à cet échange. Nos travaux partent du constat que la coopération régionale dans les outre-mer est encore trop peu développée, alors qu'elle représente un potentiel considérable pour le rayonnement de la France, mais surtout pour le développement propre des territoires ultramarins. La coopération et l'intégration régionales sont aussi un facteur de stabilisation et de sécurité, car les outre-mer sont de plus en plus exposés à des menaces et à des risques géostratégiques. C'est tout particulièrement le cas de Mayotte et de La Réunion.

Votre audition intervient à la suite d'un déplacement de la délégation sénatoriale aux outre-mer à La Réunion et à Maurice, où nous avons notamment rencontré les autorités mauriciennes ainsi que le secrétariat général de la Commission de l'océan Indien (COI). Nous serons dans quelques semaines à Mayotte.

Par ailleurs, nous avons auditionné au Sénat de nombreux acteurs ou observateurs de cette coopération, et tout particulièrement l'ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Jean-Claude Brunet. Nous auditionnerons aussi, après vous, l'ambassadeur de France en Tanzanie, afin d'avoir un éclairage sur les perspectives de coopération entre Mayotte et ce partenaire essentiel dans la région du canal du Mozambique.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis la semaine dernière afin de guider nos échanges. Votre audition doit en particulier permettre à notre délégation de comprendre la part prise par nos outre-mer de l'océan Indien dans la définition et la conduite de la politique extérieure de la France dans cette zone. Dans quelle mesure les enjeux et les intérêts propres de ces territoires déterminent-ils la politique étrangère de la France ?

Vous nous direz notamment comment l'enjeu ultramarin est intégré à vos réflexions et au travail quotidien de votre direction et des ambassades de France dans la région. À l'inverse, comment les outre-mer sont-ils informés de la mise en oeuvre de la politique de coopération régionale ? Comment y sont-ils associés et mis en avant ?

La reconnaissance pleine et entière de l'appartenance de Mayotte à la République française est un autre enjeu clé. Est-elle au centre de notre diplomatie dans la région ?

Au sujet de la COI, cette organisation régionale vous paraît-elle constituer un cadre efficace pour amplifier la coopération régionale ? Comment expliquer le paradoxe résultant du large financement par la France au regard du statut accordé à Mayotte dans cette institution ?

Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Votre mission d'information fait écho aux travaux de l'État sur l'insertion régionale des outre-mer, récemment illustrés par la tenue du comité interministériel des outre-mer (CIOM), qui a pris des engagements sur l'association des outre-mer à la conduite de notre politique étrangère dans leurs bassins régionaux respectifs. Nous n'avions toutefois pas attendu le CIOM pour prendre en compte le rôle singulier des outre-mer dans les relations de la France avec leurs voisins. Ainsi l'insertion régionale de La Réunion et de Mayotte est-elle une priorité de la direction d'Afrique et de l'océan Indien.

Nos territoires dans la région sont les témoins de notre identité Indopacifique et africaine, dont nous sommes fiers, ainsi que d'importants relais de notre influence historique dans cette zone, de la coopération bilatérale et régionale que nous menons et de la stratégie Indopacifique voulue par le Président de la République. Ce sont également des territoires à défendre face aux revendications de souveraineté dont ils font l'objet - c'est le cas aussi de territoires non habités comme l'île Tromelin ou les îles Éparses du canal du Mozambique -, mais aussi face aux catastrophes naturelles, aux effets du changement climatique, à la criminalité organisée ou aux trafics divers.

Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir les outre-mer du bassin du sud-ouest de l'océan Indien, non seulement pour répondre à ces défis, mais aussi plus généralement pour créer les conditions d'un développement harmonieux de la région et pour rendre leur environnement le plus sûr, le plus prospère et le plus stable possible. Nous travaillons à tisser des relations étroites avec chaque pays de la région et nous nous engageons fortement dans les enceintes de coopération régionale. Associer nos territoires à ces initiatives est un objectif majeur : c'est déjà le cas pour La Réunion, et nous nous efforçons de renforcer la participation de Mayotte.

Je commencerai par répondre à la première question portant sur la situation géopolitique dans la région, mais plus précisément en Afrique de l'Est et en Afrique australe ainsi que dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.

L'Afrique, y compris sa partie insulaire, est une priorité de la politique étrangère de la France. La situation est variable. Si l'Afrique de l'Est reste profondément marquée par une forte instabilité, elle dispose également de nombreuses opportunités.

Pour ce qui concerne l'Éthiopie et le Soudan, les ambitieuses transitions lancées voilà quelques années ont connu un coup d'arrêt brutal du fait de l'explosion du conflit au nord de l'Éthiopie, puis à la suite du coup d'État d'octobre 2021 au Soudan qui a abouti à l'éclatement, le 15 avril 2023, d'une guerre fratricide entre généraux des forces armées soudanaises et d'une des principales milices paramilitaires. Le 15 avril dernier, à l'occasion du tragique premier anniversaire du conflit, la France a pris une initiative majeure en réunissant la communauté internationale à Paris afin d'apporter une réponse humanitaire et politique à ce qui est devenu l'une des plus graves crises humanitaires à l'échelle du continent, et probablement du monde. En Éthiopie, la dynamique issue de l'accord de Pretoria de 2022, bien que fragile, permet une reprise progressive de la coopération avec ce partenaire stratégique.

À la faveur de la crise en Éthiopie, l'Érythrée s'est renforcée sur la scène régionale à l'échelle de la Corne de l'Afrique. Nous maintenons des contacts limités, mais réguliers via notre ambassade et notre ambassadeur à Asmara.

En Somalie, l'offensive du président Hassan Cheikh Mohamoud contre le groupe terroriste des Shebab et l'amorce de la transition entre la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (Atmis) et les forces armées somaliennes ont permis d'avancer, mais les défis demeurent. Ces derniers mois, l'armée somalienne a subi plusieurs revers et les forces armées locales ne parviennent pas à assumer la reprise des responsabilités de sécurité de l'Atmis, censées arriver à leur terme fin 2024. La lutte contre les Shebab doit se poursuivre ; c'est pourquoi nous estimons nécessaire de maintenir une présence internationale après le retrait de l'Atmis. À ce titre, la poursuite du renforcement des capacités de l'armée somalienne fait partie des priorités de la France, afin de juguler la menace terroriste et les flux migratoires qui s'ensuivraient.

Dans ce contexte régional tendu, Djibouti, qui accueille une base militaire française ainsi que des bases militaires américaine, chinoise, japonaise et italienne, constitue un îlot de stabilité et un partenaire essentiel pour la France dans la région. La renégociation en cours du traité de coopération militaire et de défense entre la France et Djibouti fait partie des dossiers que nous suivons de très près. Ouvert sur le détroit stratégique du Bab-el-Mandeb qui relie l'Afrique à la péninsule arabique, le territoire djiboutien s'impose comme un point de passage des migrations et des trafics entre ces différentes zones géographiques.

Djibouti est un acteur essentiel pour la sécurité de la navigation en mer Rouge face aux attaques des Houthis provenant du Yémen, et aussi un acteur important sur le plan économique : du fait de sa position géostratégique, c'est un débouché portuaire majeur pour les pays de la région - particulièrement vital pour l'Éthiopie qui est enclavée et dont plus de 90 % des biens exportés transitent par Djibouti.

Parmi les opportunités, il faut citer le cas du Kenya, qui a réussi sa transition démocratique à l'été 2022 et qui investit de façon croissante dans son environnement régional. Nairobi est l'un des pôles de stabilité de la région, avec lequel nous renforçons activement nos relations. Le nombre d'entreprises françaises y a triplé depuis dix ans. La France a également renforcé ses coopérations universitaires et culturelles. Nous travaillons étroitement avec les autorités kenyanes sur les enjeux globaux, notamment le changement climatique qui est un défi majeur pour la région.

En Tanzanie, la politique d'ouverture de la présidente Samia Suluhu Hassan, qui a exprimé sa volonté de densifier la relation bilatérale avec la France, a permis de sortir le pays de l'isolement dans lequel son prédécesseur l'avait plongé. Nous en faisons désormais l'une de nos priorités, puisque la Tanzanie a été retenue comme l'un des pays accélérateurs des nouveaux partenariats entre la France et les pays africains voulus par le Président de la République ; ces projets sont également défendus par la secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou. La France entend ainsi dynamiser ses relations dans trois secteurs clés - l'énergie, l'eau et l'économie bleue -, mais aussi l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes.

L'Afrique australe est une autre zone prioritaire, et trois autres pays accélérateurs de partenariats s'y trouvent : le Botswana, la Namibie et la Zambie. Comme toutes les régions d'Afrique, cette zone est confrontée à de nombreux enjeux sécuritaires, sanitaires ou alimentaires.

Depuis 2017, le Mozambique fait l'objet d'une insurrection djihadiste de groupes originaires de la province du Cabo Delgado ayant prêté allégeance à l'État islamique : plus de 4 000 morts et 1 million de déplacés internes ont été recensés. Après avoir fait appel à des sociétés de sécurité privées sans obtenir de succès opérationnel, le président mozambicain a décidé de s'appuyer sur des forces de défense rwandaises - plus de 3 000 soldats sont déployés -, ainsi que sur celles de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et de partenaires internationaux, dont l'Union européenne. Si la montée en puissance de la menace terroriste a été contenue, les groupes armés terroristes poursuivent leurs exactions. Ce facteur de risque pour la sécurité dans le canal du Mozambique met en péril - à 400 kilomètres de Mayotte - les intérêts économiques de plusieurs firmes françaises et européennes dans la région. Nous sommes pleinement mobilisés pour aider le Mozambique à gérer cette crise.

Du point de vue sanitaire, on déplore ces dernières années plusieurs épidémies. Faute d'eau potable, d'infrastructures d'assainissement et de traitement des déchets, une importante épidémie de choléra sévit en Zambie, au Zimbabwe et au Malawi. Des milliers de cas ont été aussi recensés, ces dernières semaines, aux Comores, à Madagascar et plus récemment à Mayotte. En outre, depuis février 2024, la Zambie, le Malawi et le Zimbabwe ont dû déclarer l'état d'urgence nationale en raison de graves sécheresses, notamment provoquées par le phénomène El Niño, qui a détruit une grande partie des récoltes. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 2 millions de Zambiens, 6 millions de Malawites et 5,5 millions de Zimbabwéens sont, à ce jour, en situation d'insécurité alimentaire. Ces trois pays appellent donc la communauté internationale à les soutenir.

Le sud-ouest de l'océan Indien est un espace stratégique pour la France. Les territoires français situés dans la zone, qui abritent plus d'1 million de ressortissants français et un quart de la zone économique exclusive de la France dans la région, sont les témoins de l'identité régionale française.

Dans son discours de 2019, le Président de la République avait souligné le rôle de La Réunion comme territoire d'ancrage de la France dans l'espace Indopacifique. La Réunion et Mayotte font de la France un État de l'espace africain et sont les portes d'entrée de la France dans les enceintes de la coopération régionale, notamment la COI, seule organisation africaine dont la France est membre, et l'Association des États riverains de l'océan Indien (Iora).

En matière de développement économique, la zone est hétérogène. Elle comprend deux pays figurant parmi les plus pauvres - Madagascar et les Comores - et deux pays à revenu intermédiaire - Maurice et les Seychelles. Il s'agit d'une zone de passage commercial très importante : 30 % du trafic mondial des méthaniers transitent par le canal du Mozambique, notamment les très gros navires qui ne peuvent pas passer par le canal de Suez. Toutefois, le commerce régional demeure très faible.

Pour la France, les enjeux dans la région sont multiples.

Il s'agit, d'abord, des migrations irrégulières vers Mayotte depuis les Comores et le continent africain, ainsi que vers La Réunion depuis le Sri Lanka.

Il y a, ensuite, les enjeux sécuritaires : la présence d'un foyer terroriste au Mozambique, à quelques centaines de kilomètres des côtes mahoraises, et la nécessité de sécuriser les flux commerciaux maritimes.

Il faut également citer l'enjeu de la francophonie : on compte 73 % de francophones à Maurice et 53 % aux Seychelles, auxquels il faut ajouter un quart des ressortissants comoriens, qui constituent la diaspora la plus nombreuse, et plus de 100 000 Malgaches vivant en France.

Les autres enjeux sont touristiques et économiques, avec un fort poids de l'économie bleue, mais aussi climatiques et environnementaux, liés à la protection des océans, à l'exposition aux événements météorologiques extrêmes ou à la biodiversité endémique abondante.

Une prise en charge collective de ces enjeux est nécessaire, mais elle se heurte souvent aux importantes disparités économiques de la région.

Nous faisons face à deux défis d'ampleur que vous avez mentionnés, madame la présidente.

Le premier défi est celui des contestations de la souveraineté française à Mayotte, sur les îles Éparses du canal du Mozambique et sur l'île Tromelin, qui brident quelque peu la coopération régionale et la défense des biens communs, même si nous avons réussi à les traiter dans un cadre strictement bilatéral depuis un certain nombre d'années.

Le second défi d'ampleur, c'est la sécurité maritime au sens large : les trafics illicites, la pêche illégale, les risques d'extension du terrorisme ou encore les pollutions marines. La région du sud-ouest de l'océan Indien appartient également à l'espace Indopacifique, ce qui en fait un terrain de compétition pour certaines grandes puissances, y compris pour les compétiteurs stratégiques de la France.

Les principales menaces liées à l'environnement régional sont donc d'ordre sécuritaire, migratoire et environnemental.

Sur le plan sécuritaire, l'insurrection djihadiste au Mozambique, précédemment évoquée, comporte des risques d'extension. S'y ajoute la situation en Somalie, qui provoque la migration de réfugiés somaliens vers Mayotte. Les autres enjeux de sécurité sont notamment les trafics de drogue, d'êtres humains ou d'espèces protégées, ainsi que les activités criminelles y afférentes.

Pour ce qui concerne les mouvements migratoires, on constate à Mayotte d'importants flux en provenance des Comores, qui donnent lieu à près de 25 000 reconduites à la frontière par an - le nombre le plus élevé au monde -, mais aussi en provenance de Madagascar et, plus récemment, du continent africain, notamment de la région des Grands Lacs et d'Afrique de l'Est. Ces mouvements restreignent l'accès de la population française aux infrastructures de base, qui sont déjà en tension. L'État prend en charge ces flux : il crée les conditions nécessaires à la reconduite vers leur pays d'origine des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, tout en cherchant à répondre aux causes profondes de l'émigration dans les pays d'origine. Des négociations sont en cours - elles avancent plutôt bien - avec les pays de transit et les pays de départ en Afrique continentale pour aboutir à des accords de réadmission. La Réunion est également destinataire de flux migratoires. Quant aux enjeux environnementaux, je les ai déjà évoqués.

J'en viens aux compétiteurs stratégiques. Un certain nombre d'entre eux peuvent tenter de nous déstabiliser par l'intermédiaire des pays voisins des territoires d'outre-mer, lesquels font l'objet d'actions d'influence et servent parfois de base arrière à l'organisation de réseaux d'influence. Nous sommes très attentifs à ces stratégies et surveillons les moyens et relais utilisés.

Une des questions posées avait trait à l'état des relations de la France avec les différents pays du sud-ouest de l'océan Indien. Je m'attacherai notamment aux Comores, à Madagascar et à Maurice. La présence des territoires ultramarins dans la zone est un déterminant important dans les relations avec ces pays pour des raisons de proximité, de flux et de liens humains, mais aussi du fait de l'implication des différentes souverainetés dans la structuration des relations bilatérales.

La relation avec les Comores est globalement bonne. Elle s'appuie sur les déterminants objectifs que sont les liens historiques, géographiques et humains, la francophonie, et sur la volonté politique partagée d'assurer la stabilité de la région. Elle se décline dans de nombreux domaines, y compris économique et militaire. Toutefois, le climat des affaires, qui n'est pas aussi bon qu'espéré, a conduit au retrait de nombreuses entreprises françaises. La relation bilatérale repose pour l'essentiel sur deux piliers : les investissements solidaires, symbolisés par le plan de développement France-Comores, signé en 2019, qui permet de lutter contre les causes profondes de l'émigration, et la lutte contre l'immigration clandestine. Elle s'assortit d'un dialogue assez franc, mais constructif, sur les principaux enjeux bilatéraux, notamment notre différend en matière de souveraineté et la consolidation de l'État de droit et de la démocratie.

La relation bilatérale avec Madagascar est particulièrement dense dans tous les domaines. La France est le deuxième fournisseur d'aide publique au développement (APD), avec 120 millions d'euros par an, et les entreprises françaises y sont engagées dans plusieurs projets économiques d'envergure. La coopération décentralisée ainsi que la coopération culturelle et linguistique sont également développées - le pays compte 29 Alliances françaises et 23 établissements conventionnés ou homologués par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), ce qui en fait le réseau d'Alliances françaises le plus important de la zone.

Dans le domaine patrimonial, la France et Madagascar poursuivent leur coopération, à la suite de la demande officielle de restitution du crâne du roi Toera.

Madagascar est aussi notre principal partenaire de défense en Afrique australe et dans l'océan Indien. Le différend relatif à la souveraineté sur les îles Éparses fait l'objet de discussions bilatérales, notamment dans le cadre d'une commission mixte franco-malgache dédiée, qui favorise également la coopération en matière de pêche durable, de sécurité maritime, de recherche ou de protection de la biodiversité.

La relation avec Maurice est également assez dense et s'appuie sur la proximité historique, géographique et humaine avec La Réunion : la commission mixte La Réunion-Maurice permet de décliner la coopération régionale entre les îles. La France y est un acteur économique majeur - premier partenaire bilatéral en termes d'APD -, mais les domaines culturels, scientifiques ou de recherche sont aussi concernés. La coopération en matière de défense et de sécurité est très dynamique, alimentée par la proximité des forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi) et la réunion régulière d'un groupe de contact sur la sécurité entre La Réunion et Maurice.

L'intégration régionale des territoires ultramarins avec ces trois pays est, pour nous, une priorité. Elle est plus aboutie pour La Réunion que pour Mayotte, dont le rôle régional est quelque peu disputé. Nous avons cependant obtenu certains succès : l'attribution d'un programme Interreg de l'Union européenne dédié, et l'accord des Comores pour associer Mayotte à plusieurs programmes de la COI, et son inclusion dans le périmètre géographique du programme pour la promotion de la sécurité maritime, lancé en 2018. Par ailleurs, depuis 2019, Mayotte est membre à part entière de deux projets régionaux, l'un portant sur la coopération sanitaire et l'autre sur la sécurité alimentaire et animale. Par ce travail diplomatique, nous avons réduit l'activisme des États qui contestent la souveraineté française dans les enceintes internationales, grâce au développement de la coopération décentralisée de Mayotte, y compris avec les Comores, ou à l'attribution à Mayotte des Jeux des îles de l'océan Indien (JIOI) en 2035.

Les priorités sectorielles pour favoriser l'insertion régionale des territoires ultramarins sont : l'agriculture ; l'approvisionnement alimentaire ; la sécurité maritime ; la connectivité aérienne et maritime ; la coopération culturelle ; la formation professionnelle. Le développement des relations et de la coopération entre les territoires ultramarins français et les États du continent africain, notamment les États côtiers, mais aussi avec toute la région du sud-ouest dans le cadre des organisations de coopération régionale - COI et Iora -, qui est positif et pertinent, gagnerait à être renforcé sur le terrain, en s'émancipant des questions de souveraineté, car les acteurs locaux sont conscients qu'ils ont intérêt à travailler ensemble.

Sur le continent, la Tanzanie est le pays de la zone Afrique orientale pour lequel les coopérations avec les outre-mer pourraient être le plus utilement et le plus facilement développées. Des contacts existent déjà entre des entrepreneurs de Mayotte et des fermes de Tanzanie pour l'exportation de produits maraîchers, par exemple. Des fonds européens du programme Interreg déjà mentionné pourraient financer différents aspects de cette coopération. Les autres pays avec lesquels existent des coopérations sont notamment le Mozambique, l'Afrique du Sud et la Namibie.

Dans la définition de la politique étrangère de la France, les outre-mer sont pour beaucoup à l'origine des liens étroits tissés entre la France et les voisins de la région. Disposer de territoires d'outre-mer renforce notre intérêt à promouvoir une zone stable et un développement régional harmonieux. Les programmes européens de coopération territoriale, pilotés par les collectivités, apportent un concours essentiel à la coopération régionale. Les fonds de coopération régionale (FCR), pilotés par les outre-mer, jouent un rôle d'amorce de projets régionaux. Enfin, les collectivités mènent une coopération décentralisée active, soutenue par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Pour coordonner l'action de l'État et des collectivités, mais aussi de l'ensemble des parties prenantes à la coopération régionale, y compris les secteurs privé et associatif, une plateforme de coopération de la France de l'océan Indien a été créée en 2019. Elle réunit les préfectures de La Réunion et de Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le conseil régional de La Réunion, les conseils départementaux de La Réunion et de Mayotte, l'Agence française de développement et l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, que vous avez déjà auditionné récemment. Une large gamme d'acteurs de la coopération régionale est associée en tant que de besoin, ce qui fluidifie la diffusion de l'information sur les activités de coopération régionale et permet de coordonner les différentes initiatives.

L'ambassadeur Brunet organise aussi, régulièrement, une conférence de coopération régionale de l'océan Indien. Relancée cette année à Mayotte, elle réunit les élus locaux et nationaux, les acteurs de la coopération régionale dans les collectivités et « l'équipe France » élargie, à savoir notamment les ambassadeurs et les ambassadrices de France de la région. Cette plateforme et cette conférence de coopération régionale constituent des cadres de concertation et de coopération régionaux, qui permettent une association étroite des collectivités et une concertation sur les priorités de la coopération régionale.

Au-delà de ces cadres globaux, l'État tient compte des problématiques spécifiques de chaque collectivité dans son environnement régional au travers des lois votées au cours des années 2000 et, plus récemment, de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite Letchimy, et des conclusions du CIOM. L'État renforce constamment l'association des outre-mer et la prise en compte de leurs intérêts dans la coopération régionale et la conduite de la politique étrangère de la France dans la région. Dans ce cadre, des conseillers diplomatiques ont été placés auprès des préfets de La Réunion et de Mayotte, et nous travaillons à l'affectation d'agents des collectivités de Mayotte et de La Réunion au sein des ambassades de France dans la région - La Réunion met déjà à disposition des volontaires et des chargés de mission dans son voisinage et les discussions avec le conseil départemental de Mayotte sont bien avancées. L'État, représenté par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a signé, le 11 mars 2024, une convention de partenariat avec le conseil départemental de Mayotte afin d'accroître la coopération, notamment en matière de formation.

Pour ce qui concerne les aspects européens, les deux régions ultrapériphériques que sont Mayotte et La Réunion ne s'inscrivent pas, à proprement parler, dans la politique européenne de voisinage, qui s'applique d'abord au voisinage méridional et oriental de l'Union européenne (UE). Pour autant, l'Union a développé des outils favorisant l'intégration directe des territoires excentrés au sein de la région : les programmes Interreg.

Le programme Interreg V Océan Indien, piloté par le conseil régional de La Réunion, est doté de 62,2 millions d'euros pour la période 2021-2027. Ses priorités stratégiques sont la recherche, la coopération économique, le développement durable, l'inclusion et le développement social. Le programme Interreg VI Canal du Mozambique, créé en 2021 et piloté par le conseil départemental de Mayotte, est doté de 10,2 millions d'euros pour la période 2021-2027 et s'attache aux questions de recherche, d'innovation, d'environnement ou d'inclusion sociale. La stratégie de l'Union européenne pour les régions ultrapériphériques a été publiée en mai 2022, après une concertation publique organisée l'année précédente, en concertation avec les régions ultrapériphériques et les États membres. La Commission européenne s'est engagée à accorder une attention particulière à ces régions au regard de leurs enjeux spécifiques : l'isolement, l'exposition aux effets du changement climatique, les vulnérabilités sociales, les difficultés d'accès et les enjeux de mobilité.

L'UE est un bailleur de fonds historique de la COI. Si la plupart des projets sont désormais achevés, un financement de 70 millions d'euros qui bénéficie directement à la coopération régionale est encore en cours. Il concerne la sécurité maritime, la sécurité portuaire et de navigation, la sécurité alimentaire et la gestion des risques de catastrophe. Nos territoires ultramarins bénéficient donc également de ces programmes. L'association de l'Union européenne aux activités de l'Iora est plus récente - elle date de 2023 - et nous permettra de développer de nouveaux partenariats.

La convention de partenariat entre l'État et le conseil départemental de Mayotte, précédemment citée, crée un cadre de partenariat et de dialogue pour favoriser l'insertion régionale de Mayotte et les activités communes entre l'État et la collectivité en matière d'action extérieure. Un Comité pour l'insertion régionale de Mayotte a été instauré et se réunira régulièrement avec l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien et le président du conseil départemental de Mayotte, pour faire vivre les engagements conjoints. Cette convention s'inscrit dans l'engagement du Gouvernement en faveur du rayonnement régional de Mayotte et de la reconnaissance par ses voisins de la souveraineté française. Elle concrétise aussi notre volonté d'associer les outre-mer à la définition de la politique étrangère de la France dans cette zone et favorisera une compréhension mutuelle des enjeux, des besoins et des marges de manoeuvre de la France dans la région.

La France conduit-elle une action d'influence auprès des États de la région pour obtenir la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté française sur Mayotte ? Oui, et c'est un élément central de notre relation avec ces pays. En la matière, notre approche ne doit pas être défaitiste : Mayotte, c'est la France. Ce choix, qui a été exprimé à plusieurs reprises par les Mahorais, nous honore et nous oblige.

Face à la réalité des faits, les tentatives de remise en cause de la souveraineté française, que nous nous attachons à faire taire, ne pèsent pas grand-chose. Depuis 1994, aucune résolution des Nations unies n'a remis en cause la souveraineté française sur Mayotte, et nous avons obtenu des Comoriens qu'ils cessent tout activisme officiel en la matière, à l'ONU comme au sein de l'Union africaine (UA).

Nous pesons de tout notre poids pour défendre Mayotte dans son environnement régional. Nous avons ainsi négocié activement pour obtenir un degré inégalé de coopération migratoire avec les Comores, et nous défendons l'insertion de Mayotte dans les organisations régionales. Et auprès des autres États de la région, nous faisons valoir la réalité de la souveraineté française et la nécessité d'adopter une approche lucide à cet égard.

J'en viens à la question relative à la conditionnalité des aides au développement. Nous faisons en sorte d'avoir un réglage très fin de nos actions et d'obtenir des concessions concrètes au bénéfice de Mayotte, en évitant que la situation actuelle ne se dégrade. Ainsi, au plan migratoire, chercher à imposer à tout prix une reconnaissance formelle de la souveraineté française pourrait mener à une rupture de notre coopération bilatérale. Le remède serait alors pire que le mal.

Des discussions ont été engagées avec les pays de transit d'Afrique continentale - Éthiopie, Kenya et Tanzanie - pour faciliter les retours vers les pays de départ, renforcer les contrôles dans les aéroports de transit et lutter contre les filières d'immigration clandestine. Des discussions sont également en cours avec les pays de départ - Rwanda, Burundi, Somalie - ; avec les deux premiers de ces pays, notre modèle est l'accord de réadmission signé avec la République démocratique du Congo en 2022.

La COI est une organisation pragmatique, francophone et essentielle dans la zone, qui permet aux cinq États insulaires de la région, dont la France, de dialoguer et de coopérer. Face aux enjeux communs, la solution ne peut être que globale et multilatérale. Nous estimons que la France, État membre qui contribue le plus à la COI, doit continuer à participer à ses travaux.

Le multilatéralisme est une méthode vitale pour répondre aux enjeux de la région. Avec des moyens de fonctionnement assez modestes, les résultats obtenus sont plutôt positifs.

Georges Patient, rapporteur. - Bon nombre de pays de la zone contestent la légitimité de la présence française. Les Comores revendiquent Mayotte, l'île Maurice réclame l'île Tromelin, et Madagascar revendique les quatre autres territoires des îles Éparses. Ces contestations de la souveraineté française disposent de plusieurs relais en Afrique, en particulier dans des pays riverains d'Afrique australe. On sait ainsi que l'Afrique du Sud milite officiellement en faveur de la décolonisation de La Réunion. Comment ces territoires français sont-ils réellement perçus par leurs voisins ? Sont-ils associés à l'animation de la politique étrangère de la France ? Quelles relations entretiennent-ils avec leurs riverains ?

La France étant le premier financeur de la COI, comment peut-on accepter que Mayotte ne participe pas à ses travaux ? La stratégie pour l'Indopacifique ne prime-t-elle pas sur les intérêts de ces territoires français, et notamment de Mayotte ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous avez rappelé que l'Afrique connaissait une situation d'instabilité globale, et cité des pays d'Afrique australe - Botswana, Namibie - qui ne sont pas particulièrement déstabilisés. Vous n'avez pas évoqué, en revanche, le rôle des Chinois, qui ravagent sans états d'âme l'Afrique, et notamment la république démocratique du Congo via l'extraction du cobalt, cet « or bleu » destiné à produire des batteries électriques. Cette présence de la Chine en Afrique ne risque-t-elle pas de remettre en cause la stratégie française à l'endroit de nos territoires d'outre-mer ?

M. Saïd Omar Oili. - Vous dites, madame la directrice, que tout va bien dans la région. Votre réponse à la question posée par Georges Patient ne me satisfait pas du tout... Selon vous, il serait pire, sur le plan migratoire, d'obliger les Comoriens à cesser leurs revendications sur Mayotte. Il faudrait être gentils avec eux ! Je rappelle que les migrants de toute l'Afrique de l'Est arrivent à Mayotte où aujourd'hui, selon le dernier comptage, 1 500 de ces personnes dorment dans la rue.

Quelles actions le Quai d'Orsay mène-t-il auprès des autorités des États d'Afrique australe, et notamment des Comores, pour ce qui concerne le transit de ces immigrés ? À Mayotte, ce sont des dizaines de kwassa-kwassa qui arrivent tous les jours, les administrations sont complètement débordées, et dans sa maternité - la plus grande de France, si ce n'est d'Europe - naissent chaque année 12 à 13 000 enfants...

Les Mahorais considèrent que les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sont complaisants vis-à-vis des autorités comoriennes, qui revendiquent leur souveraineté sur Mayotte. Que répondez-vous à ces critiques ? Pourriez-vous établir un bilan de l'accord signé entre la France et les Comores, lequel prévoit une aide au développement de 150 millions d'euros en contrepartie d'actions contre les flux migratoires vers Mayotte ? Quelles sont vos analyses concernant le flux des migrants fuyant les zones de conflit de l'Afrique de l'Est, qui ont un fort impact sur l'archipel de Mayotte ? Comment ces flux évolueront-ils dans les prochains mois, voire les prochaines années ?

En Angleterre, une loi vient d'être votée afin d'envoyer tous les demandeurs d'asile politique déboutés au Rwanda, l'un des pays de provenance des migrants arrivant à Mayotte, qui est aujourd'hui le point d'entrée en Europe... De plus en plus de personnes vont donc converger vers notre île ! On nous promettait un « rideau de fer » ; je ne vois qu'un rideau de fumée.

Mme Micheline Jacques, président. - La Russie avait annoncé qu'elle était prête à aider les Comores à récupérer Mayotte et le président de l'Union des Comores, Azali Assoumani, a félicité le président russe Vladimir Poutine pour sa réélection. Enfin, cet État a été choisi pour l'organisation des Jeux des îles de l'océan Indien, pour lesquels Mayotte avait déposé sa candidature. Les déclarations du président comorien, se félicitant de la nomination de son pays, avaient selon moi un caractère provocateur et je considère que la France aurait dû y réagir plus fermement.

Mme Emmanuelle Blatmann. - Je répondrai en diplomate... En effet, monsieur le sénateur Saïd Omar Oili, je suis viscéralement afro-optimiste, sans pour autant minimiser les défis. Nous devons aider les pays africains à surmonter leurs difficultés, notamment du fait de la proximité de nos territoires ultramarins, et ce que nous faisons à cet égard a du sens.

Je ne crois pas avoir dit qu'il fallait être « gentil » avec les autorités comoriennes. Notre action passe par la diplomatie, la persuasion et la négociation, et nous considérons que la coopération est nécessaire pour parvenir à nos fins. Si nous cessions toute discussion avec les autorités régionales au motif que certains États contestent la souveraineté française sur nos territoires de la zone, l'effet serait contreproductif.

Nous sommes non pas complaisants à l'égard de l'Union des Comores, mais partisans de relations transactionnelles. On peut certes ralentir et contenir les flux migratoires, mais nous ne pourrons pas faire disparaître les aspirations des Africains qui souhaitent quitter leur pays. Nous avons obtenu des autorités comoriennes des décisions favorables puisque 25 000 migrants clandestins sont renvoyés aux Comores chaque année, ce qui est colossal. Par ailleurs, les moyens accordés aux garde-côtes ont permis d'éviter 6 000 départs par an. Nous ne souhaitons pas que Mayotte devienne un Lampedusa de l'océan Indien ! Nous faisons donc pression sur nos partenaires africains pour qu'ils empêchent les départs et les transits. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui a fait sa première tournée en Afrique voilà quelques semaines, a abordé notamment ce sujet avec son homologue rwandais.

Il n'y a pas de solution miracle, mais sans ces échanges, la situation risque d'empirer et nous n'aurons plus de leviers pour agir. Pour autant, cet appui financier et matériel de la France demeure assez modeste au regard de l'aide publique au développement, qui représente 15 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nous ne sous-estimons pas les problèmes.

Pour ce qui concerne nos compétiteurs stratégiques, il est vrai que la Chine et la Russie ont recours à des méthodes souvent déloyales ou agressives. Mais sur le plan économique, un certain nombre de pays africains se rendent compte que la durée de vie des routes chinoises est limitée, que la Chine leur impose un taux d'endettement insoutenable et qu'ils doivent diversifier les partenariats... Il nous revient donc de démontrer que nous sommes des partenaires crédibles, fiables, efficaces.

Les Russes utilisent des méthodes inacceptables - désinformation, diffamation, etc. - aux Comores, à Madagascar et ailleurs. Le Quai d'Orsay a récemment mis en place une structure visant à lutter contre la désinformation et à envisager la riposte à ces attaques méprisables. Nous défendrons la souveraineté française dans nos territoires ultramarins, qui est pour nous une source de fierté.

En termes de coopération régionale, laquelle est un facteur de stabilité pour la zone tout entière, le potentiel est énorme. Nous ferons donc tout ce qui est en notre pouvoir pour la favoriser.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons compris que les enjeux dans la zone étaient énormes, compte tenu de la situation instable des pays africains voisins. J'ai noté votre enthousiasme et votre volonté de faire avancer les choses. Nous vous remercions de ces éclairages.

Jeudi 2 mai 2024

Audition d'Alex-David Guillon, Premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie

Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons pour la seconde séquence de ce matin, en visioconférence, M. Axel-David Guillon, Premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. Une manifestation officielle retient malheureusement son Excellence M. Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie. M. Alex-David Guillon le remplace.

Notre délégation se rendra à Mayotte à la fin du mois de mai. Nous avons également auditionné le président Ben Issa Ousseni, à la suite de la signature d'une convention-cadre entre le ministère des affaires étrangères et le conseil départemental de Mayotte.

Dans le cadre de leurs réflexions, les rapporteurs ont relevé ce paradoxe de la proximité de certains États et de la modestie des actions de coopération avec nos outre-mer. Ils ont notamment mesuré certaines perspectives très prometteuses de coopération entre Mayotte et la Tanzanie, qui se trouve en face de Mayotte à l'entrée du canal du Mozambique.

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre, à la fois pour que vous fassiez un état des lieux des relations actuelles, mais surtout pour que vous nous informiez sur les projets ou perspectives dans les domaines économiques, agricoles, culturels et des transports. Les enjeux de sécurité et d'immigration sont également forts, la Tanzanie étant le pays de transit de nombreux migrants en provenance d'Afrique continentale vers Mayotte.

M. Axel-David Guillon, Premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. - Pour l'ambassade de France en Tanzanie, il est essentiel d'améliorer l'intégration régionale de Mayotte. Il existe des liens culturels très forts entre cette île et la Tanzanie, et notamment avec Zanzibar, mais aussi des liens économiques et dans le domaine de l'éducation.

Depuis plusieurs années, nous travaillons en vue de favoriser les activités économiques de Mayotte en Tanzanie. Nous avons ainsi noté que nombre de commerçants mahorais venaient s'approvisionner dans ce pays, et nous avons reçu de nombreuses délégations d'entrepreneurs agricoles souhaitant y produire pour exporter vers Mayotte ; un premier accord a d'ailleurs été signé entre une société mahoraise et une ferme tanzanienne.

L'ambassade a aussi mis en place des coopérations culturelles dans les domaines de la musique, de la danse, notamment le hip-hop, et du théâtre - par exemple, au travers d'une résidence à l'Alliance française de Dar Es Salaam. Nous avons aussi mis en place un programme de formation au swahili à destination d'une délégation d'hommes d'affaires mahorais. Actuellement, nous étudions un projet d'échanges entre le lycée technique de Mayotte et l'Alliance française en Tanzanie.

Nous nous efforçons aussi de faire connaître aux Tanzaniens le programme européen Interreg, dont l'objet est d'accorder des subventions à des régions ultrapériphériques. À cette fin, nous échangeons avec la préfecture et les élus de Mayotte afin d'inciter les autorités tanzaniennes à signer cet accord.

Pour ce qui concerne l'immigration clandestine, nous avons constaté depuis 2021 un basculement, lié à la crise du covid et à la fermeture de l'aéroport de Madagascar, des filières de transit vers Mayotte depuis la Tanzanie. Nous échangeons beaucoup avec les Tanzaniens, qui font preuve d'un esprit constructif et sont demandeurs de partenariats, sur ce phénomène récent, et préparons plusieurs accords visant à lutter contre l'immigration clandestine et les réseaux de passeurs. En effet, des Somaliens et des Éthiopiens transitent par la Tanzanie pour se rendre en Afrique du Sud.

Les États de la région des Grands Lacs - Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo, etc. - étant membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), les ressortissants de ces pays n'ont pas besoin de visa pour se rendre en Tanzanie, ce qui rend difficile la détection des flux migratoires. Plusieurs réseaux de passeurs qui conduisaient des clandestins à Mayotte ont cependant été démantelés par les Tanzaniens À cet égard, nous partons donc sur de bonnes bases.

Un autre flux migratoire est composé de Comoriens transitant par l'aéroport de Dar Es Salaam, avec de faux papiers ou des passeports volés, pour se rendre en France métropolitaine. Les Tanzaniens nous ayant sollicités pour les aider à résoudre ce problème, il y aura à l'ambassade, à partir de septembre 2024, un conseiller chargé de la sécurité et de l'immigration qui formera à la détection de la fraude documentaire et sera le point de contact avec les autorités tanzaniennes de toutes nos actions de lutte contre l'immigration clandestine.

M. Georges Patient, rapporteur. - Quelles sont les relations de l'ambassade de France en Tanzanie avec les Comores ? Subissez-vous des pressions de la part d'États qui ne souhaitent pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte ?

M. Axel-David Guillon. - Les autorités comoriennes ont tenté de faire pression sur les Tanzaniens pour entraver les projets de coopération que nous avons avec Mayotte, mais ceux-ci n'ont jamais donné suite à ces tentatives.

Lors de la mise à jour de l'accord bilatéral de services aériens (ASA) entre la France et la Tanzanie, les Tanzaniens ont souhaité qu'Air Tanzania puisse desservir Mayotte, mais ils n'ont pas mis en place de lignes directe entre Dar Es Salaam et Mayotte, pour plusieurs raisons. L'ambassade comorienne leur a rappelé que la Tanzanie, en tant que membre de l'Union africaine, ne devait pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte - mais les Tanzaniens considèrent que cette position ne reflète pas la réalité des relations entre la France et les Comores. Ensuite, la Tanzanie ne dispose pas d'un nombre suffisant d'avions pour desservir Mayotte. Pour notre part, nous insistons après de la compagnie aérienne publique et des compagnies privées tanzaniennes pour leur expliquer qu'il existe un énorme potentiel de fret commercial aérien entre ces deux territoires.

M. Saïd Omar Oili. - La question posée par Georges Patient sur la pression exercée par les autorités comoriennes est pertinente. Notre interlocuteur s'exprime en termes diplomatiques, mais nous savons, en tant que politiques, que cela ne suffira pas...

Quelles actions la Tanzanie mène-t-elle pour lutter contre les organisations criminelles qui profitent de la misère humaine pour faire de l'argent, en mettant en péril la vie des migrants qui veulent rejoindre Mayotte ? Quelles initiatives la France prend-elle auprès des autorités tanzaniennes pour lutter contre ces trafics ?

Il existe un lien culturel très fort entre la Tanzanie et les Comores, et il suffit que les autorités comoriennes s'opposent aux initiatives mahoraises pour que les autorités tanzaniennes lâchent prise. Que peut faire la France en Tanzanie pour prévenir le problème migratoire ?

M. Axel-David Guillon. - La Tanzanie a démantelé plusieurs filières migratoires, mais ses moyens sont modestes. À sa demande, nous développons cet axe de coopération pour aider les autorités tanzaniennes à détecter et démanteler ces filières ; un grand projet est ainsi en cours de préparation par Civipol.

Nous travaillons également sur un projet d'accord de facilitation de transit à partir de l'aéroport de Dar Es Salaam. Il semblerait en effet qu'à Mayotte de nombreux clandestins soient disposés à effectuer un retour volontaire vers leur pays d'origine - Burundi, Rwanda, RDC. Or il n'y a pas de vol direct entre Mayotte et ces pays ; la plateforme de transit serait donc la Tanzanie, qui a des lignes commerciales avec ces trois pays.

Par ailleurs, nous élaborons actuellement avec la Tanzanie une coopération dans le domaine de la sécurisation des frontières et de la lutte contre l'immigration clandestine.

Le sujet de l'immigration clandestine entre les Comores et la Tanzanie est sensible. Voilà six mois, un navire parti de Tanzanie a ainsi été repoussé par les Comoriens et escorté dans les eaux tanzaniennes, ce que les Tanzaniens ont refusé ; une mini-crise diplomatique s'est ensuivie.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons appris au cours d'une audition que Mayotte souhaitait développer des coopérations agricoles pour atteindre l'autosuffisance alimentaire. La Tanzanie pourrait-elle mettre des terres à disposition des Mahorais ?

Mayotte ne pouvant plus accueillir de migrants, serait-il possible de prévoir en Tanzanie une zone de rétention pour les demandeurs d'asile ?

M. Axel-David Guillon. - Dans le domaine de l'agriculture, l'ambassade a accompagné toutes les démarches des entreprises mahoraises en vue de développer les importations agricoles venant de Tanzanie, ce qui a abouti au contrat que j'ai précédemment évoqué. Mais ce n'est qu'une partie de l'équation. En effet, il n'existe pas dans ce pays de laboratoire qui fasse de la certification ; le plus proche est à Nairobi. Par ailleurs, il n'y a pas de liaison maritime directe entre la Tanzanie et Mayotte - un projet en ce sens de la société CMA CGM est actuellement en cours d'étude.

La question du fret aérien est essentielle et nous avons contacté plusieurs sociétés aériennes privées pour les inciter à lancer de telles lignes ; il existe en effet à Mayotte une forte demande de produits frais. Le problème est que ces sociétés ont leur propre plan de développement régional ; Mayotte n'est pas encore leur priorité.

Le sujet de l'installation de main-d'oeuvre mahoraise en Tanzanie est assez sensible, car dans ce pays 70 % de la population est rurale et exerce une activité agricole ; par ailleurs, le taux de chômage des jeunes est élevé. Les Tanzaniens accepteront donc difficilement que des permis de travail soient délivrés à des Mahorais. Mieux vaudrait développer des accords d'achat entre sociétés mahoraises et entreprises agricoles tanzaniennes.

J'en reviens au sujet de l'immigration. La Tanzanie est, après l'Ouganda, le pays d'Afrique de l'Est qui accueille le plus de réfugiés, dans des camps gérés conjointement avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les Tanzaniens veulent à tout prix fermer ces camps ; ils rapatrient, par exemple, les réfugiés burundais dans leur pays d'origine.

Les migrants issus de la région des Grands Lacs qui arrivent en Tanzanie sont simplement en transit : ils ne se présentent pas à l'ambassade, mais empruntent les moyens de transport tanzaniens pour se rendre dans un port afin d'embarquer à bord d'un bateau de pêcheur à destination de Mayotte. Nous travaillons donc avec les Tanzaniens afin d'élaborer un accord visant à faciliter le transit dans la zone commerciale de l'aéroport de Tanzanie, pour permettre le rapatriement volontaire de certains de ces migrants vers leur pays d'origine ; nous avons bon espoir de voir cet accord aboutir dans les prochaines semaines.

Mme Micheline Jacques, président. - La Tanzanie offre en effet de formidables opportunités, qui permettront à Mayotte de se développer.

Nous vous remercions de votre exposé.

Jeudi 13 juin 2024

Audition de S.E. M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de
la République de Tanzanie en France

Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin Son Excellence M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France, accompagné de M. Amos Brown Tengu, conseiller.

Les relations bilatérales entre la France et la Tanzanie sont excellentes et ne cessent de s'approfondir, comme en témoigne la visite à Paris le mois dernier de Samia Suluhu Hassan, présidente de la République unie de Tanzanie.

Nos travaux portent sur la coopération et l'insertion régionales des territoires ultramarins français de l'océan Indien - Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises. Les relations des territoires français de la région avec les pays voisins sont encore insuffisantes, notamment dans le domaine économique. Ce défaut d'insertion est d'autant plus dommageable que les menaces, les risques, mais aussi les opportunités dans la zone sud de l'océan Indien ne cessent de croître. La Tanzanie nous paraît devoir être l'un des partenaires majeurs pour une coopération efficace et fructueuse pour tous.

À Mayotte, le mois dernier, nous avons constaté une forte envie de développer des relations durables et stratégiques avec la Tanzanie, tout particulièrement dans le domaine agricole. Les liens culturels et linguistiques sont déjà très forts.

Par ailleurs, la Tanzanie est un territoire de transit de nombreux flux migratoires, dont certains ont pour destination Mayotte. Comment envisagez-vous la coopération avec les autorités françaises sur ce sujet crucial pour l'avenir de Mayotte, petit territoire qui ne peut absorber un choc migratoire supplémentaire ?

M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France. - Je vous remercie de votre invitation et je suis ravi d'être ici pour partager des idées avec vous et voir comment nous pouvons faire progresser notre coopération.

Comme vous l'avez mentionné, nos relations sont excellentes. J'étais à Paris en février 2022 et les échanges ont été fructueux, en particulier avec le président de la République. À cette occasion, des accords portant notamment sur la santé, l'assainissement et les infrastructures ont été signés. En novembre 2023, notre ministre des affaires étrangères s'est rendu en France et s'est entretenu avec plusieurs ministres. En mai 2024, notre présidente a coprésidé avec la Norvège un très important Sommet sur l'accès à la « cuisson propre » en Afrique, organisé par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à Paris, en présence du président de la Banque africaine de développement. L'objectif était de trouver des moyens de lutter contre le changement climatique au travers de pratiques de cuisson plus propres. En effet, plus de 80 % de la population africaine utilise encore le feu de bois, les bouses séchées ou le charbon pour cuisiner. C'est donc très important pour la planète. Le soutien de la France à la délégation tanzanienne a été très clair et nous avons pu évoquer ce sujet également avec le président Emmanuel Macron.

La visite de notre présidente en mai a été l'occasion de signer une « déclaration de Paris », entre la France et la Tanzanie, qui identifie quatre domaines de coopération.

Le premier domaine de coopération est l'énergie, ce qui inclut notre travail sur les pratiques de cuisson propres et les questions de transition énergétique, afin de limiter le changement climatique.

Le deuxième domaine concerne le développement des infrastructures, qui est une priorité pour notre pays. Notre coopération en matière de voies ferrées et d'infrastructures maritimes est bonne.

Le troisième domaine a trait à l'eau et à l'économie bleue. Via l'Agence française de développement (AFD), la France soutient de nombreux projets en Tanzanie. L'économie bleue est une priorité notamment pour Zanzibar, avec le tourisme, la pêche, les ports. Plusieurs entreprises françaises investissent dans ces secteurs.

Le quatrième domaine est relatif à l'agriculture. Aujourd'hui, 70 % de la population tanzanienne dépend de l'agriculture pour ses revenus. Ce secteur, qui représente 25 % de notre PIB, est donc très important. Or, la France est très avancée, notamment en matière de technologie agricole.

Je mentionne aussi l'égalité hommes-femmes, notamment la question de l'autonomisation des femmes sur laquelle la Tanzanie souhaite faire figure d'exemple dans le monde entier, dans toutes les sphères et particulièrement en matière de leadership et d'autonomisation économique.

Voici les principaux domaines sur lesquels nous pensons pouvoir nous concentrer dans le cadre de notre coopération.

Mme Micheline Jacques, président. - La question agricole est cruciale pour Mayotte, tout petit territoire, sans autosuffisance alimentaire. Des discussions sont en cours entre Mayotte et la Tanzanie pour envisager la mise à disposition de terres tanzaniennes à des agriculteurs mahorais. Où en est ce projet ? Est-il réalisable ?

M. Ali Jabir Mwadini. - La Tanzanie est ouverte aux investisseurs, avec une politique d'investissement très progressiste. France, Burundi... nous traitons tous les pays de la même façon.

Je voulais vous poser une question : où en sont les discussions entre la France et les Comores au sujet de Mayotte ?

Mme Micheline Jacques, président. - C'est un sujet délicat. L'ambassadeur de France aux Comores travaille sur des projets de développement. Les Comores ont accepté que les Jeux des îles de l'océan Indien se déroulent à Mayotte en 2035 : c'est une petite avancée. Nous avançons petit à petit.

M. Ali Jabir Mwadini. - Par conséquent, un engagement économique qui ne perturbe ni nos relations avec les Comores ni les vôtres est envisageable. Mais c'est délicat et sujet à interprétation : nous devons en tenir compte. L'accord entre la France et les Comores est important, car l'Union africaine ne reconnaît pas Mayotte comme un territoire français. Nous sommes prêts à coopérer avec la France sur le volet économique, y compris en mettant à disposition différentes ressources pour favoriser l'autonomie alimentaire de Mayotte, mais cela ne doit pas menacer les relations entre nos trois pays. La France comme les Comores sont nos meilleurs amis et c'est un sujet sensible pour eux. Nous ne souhaitons pas perturber les relations que nous avons avec l'un et l'autre de ces pays.

Mme Micheline Jacques, président. - Notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous répondrait plus précisément que moi sur les relations France-Comores.

Une convention signée entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et le conseil départemental de Mayotte facilite désormais les initiatives du président du conseil départemental pour tisser des liens économiques avec les pays voisins. Bien entendu, il ne s'agit pas de porter préjudice aux relations qu'entretiennent les pays dans la zone.

M. Ali Jabir Mwadini. - Nous verrons comment travailler de la meilleure façon possible avec la France, particulièrement Mayotte - notamment pour faciliter l'accès des habitants de Mayotte aux produits alimentaires -, mais je ne peux pas vous donner de réponse directe.

La Tanzanie possède d'importantes ressources agricoles ; c'est l'un des pays africains autonomes dans le domaine alimentaire, notamment sur les céréales, les légumineuses, les haricots, les pois chiches et nous sommes exportateurs nets d'animaux vivants et de viande. Nous exportons vers les pays voisins, notamment les Comores.

Nous pouvons faciliter la mise à disposition de terrains, via des groupes d'investisseurs, pour de la culture ou de l'élevage au bénéfice de Mayotte, voire de La Réunion. Cela ne devrait pas poser problème.

Mme Micheline Jacques, président. - Lors de notre venue à Mayotte, les représentants de CMA CGM nous ont fait part de difficultés liées à l'absence de liaisons directes entre la Tanzanie et Mayotte. Les produits que la Tanzanie exporte font plusieurs étapes avant d'arriver à Mayotte. Le développement portuaire que vous envisagez permettra-t-il ces liaisons directes ?

M. Ali Jabir Mwadini. - Avant tout, il nous faut des opérateurs. Je ne connais pas le droit de la mer dans le détail, mais je sais que des questions de souveraineté se posent également. D'autres pays, comme l'Afrique du Sud et Madagascar, ont des liaisons directes avec Mayotte. S'il n'y a pas d'obstacle, pourquoi ne pas améliorer la situation ? Il n'y a pas de commerce sans connectivité.

Mme Micheline Jacques, président. - S'agit-il d'un problème d'infrastructures ?

M. Ali Jabir Mwadini. - Nous avons les infrastructures - les ports de Mtwara, de Dar es Salaam et de Zanzibar -, mais il nous faut aussi des navires et des opérateurs.

Mme Micheline Jacques, président. - Vos exportations pâtissent-elles de barrières normatives ? En tant que régions ultrapériphériques de l'Union européenne, Mayotte et La Réunion sont soumises aux normes européennes, qui sont parfois très contraignantes. Est-il difficile d'exporter vers ces territoires ?

M. Ali Jabir Mwadini. - La question se pose pour l'ensemble du territoire français, et pas seulement pour ces territoires ultramarins, car la France est un plus grand marché. Certains produits tanzaniens sont disponibles en France, mais en faible quantité.

J'ai participé à différentes réunions de travail en Tanzanie avec des expatriés travaillant dans le domaine commercial pour mieux comprendre comment exporter vers la France. Les règles phytosanitaires sont strictes pour la plupart des pays africains. Pourtant, nous avons d'excellents produits. Alors qu'ils sont encore plus biologiques que les vôtres, sans engrais ni pesticides, ils ne sont pas considérés comme tels par l'Union européenne. Faute de respecter un ou deux critères - sur la manipulation ou le stockage -, certains de nos produits ne peuvent entrer sur le marché européen. J'espère que le Sénat nous soutiendra. Il existe en Tanzanie une organisation, soutenue par l'Union européenne, qui aide les agriculteurs tanzaniens à comprendre comment préparer au mieux leurs produits pour le marché européen.

Ce n'est toutefois pas suffisant ; une telle démarche devrait être déployée à l'échelle nationale, afin d'exporter nos autres produits - avocats, poissons, viandes, céréales -, qui peuvent être compétitifs sur le marché européen.

Notre énorme potentiel d'exportations vers l'Europe serait profitable à tous : aux agriculteurs tanzaniens qui obtiendront un meilleur prix et aux consommateurs européens qui auront accès à de meilleurs produits moins chers. Je pense aux avocats, vendus ici 2 euros pièce ; pour 2 euros, vous pouvez avoir 4 kg d'avocats en Tanzanie !

Cela dit, l'Union européenne est-elle prête à adapter ses normes pour permettre à certains partenaires, comme la Tanzanie, d'accéder à son marché ?

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons plaidé en faveur d'un système normatif pour les régions ultrapériphériques (RUP) avec des équivalences, pour mettre fin à certaines aberrations. Par exemple, la Guyane, voisine du Brésil, qui est le premier producteur mondial de bois, doit importer son bois de Scandinavie, afin qu'il soit conforme aux normes européennes.

La délégation sénatoriale aux outre-mer a beaucoup travaillé sur les questions d'adaptation normative afin de développer les échanges avec les pays étrangers et d'éviter des surcoûts énormes. En effet, la plupart des produits arrivant à Mayotte proviennent de la France hexagonale. Nous pourrions coopérer sur ce sujet. D'ailleurs, avez-vous des contacts avec des laboratoires français ? À Madagascar par exemple, l'Institut Pasteur vérifie si les produits agricoles qui arrivent respectent les normes européennes.

M. Ali Jabir Mwadini. - Ces sujets doivent faire l'objet d'un effort continu. La Chambre de commerce franco-tanzanienne, dirigée par Christophe Darmois, travaille sur ces questions.

Grâce au travail avec les experts, il faut identifier les lacunes et voir comment les combler.

Nos laboratoires peuvent aider les entreprises à adapter leurs produits aux normes pour l'exportation vers la France et le reste de l'Europe. Certains hommes d'affaires français en Tanzanie exportent des produits biologiques vers la France.

Pour Mayotte, nous pouvons travailler avec les Chambres de commerce et organiser des visites de délégations. Il faudra approfondir notre coopération sur ce plan et identifier les bons interlocuteurs. Notre laboratoire et notre autorité en matière de réglementation des produits alimentaires sont de haut niveau et, à chaque visite de délégation pour vérifier notre système de contrôle, celui-ci surprend par sa grande qualité. Nous exportons déjà différents produits vers la Belgique et l'Allemagne. D'ailleurs, certains produits importés en France transitent par l'Allemagne. Je vais bientôt rencontrer des représentants de Business France à ce sujet et j'ai également été en contact avec le Medef qui ne s'occupe néanmoins pas des produits en tant que tels. Nous pourrons ensuite rencontrer les personnes plus directement concernées par ces domaines. Nous serions ravis d'organiser des réunions à distance afin de trouver des partenaires en France pour étudier comment exporter nos produits vers la France et comment établir des entreprises en France.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vais aborder le sujet migratoire puisque Mayotte est soumise à une crise liée à l'afflux migratoire en provenance des pays de la région des Grands Lacs. La Tanzanie est le pays par lequel passent ces personnes pour demander l'asile en France.

Quelle coopération avez-vous développée avec la France pour maîtriser l'immigration illégale vers les territoires français, notamment Mayotte ?

M. Ali Jabir Mwadini. - La crise migratoire à Mayotte nous renvoie à l'obligation de la Tanzanie, et de toute la communauté internationale, de s'assurer qu'il n'y a pas d'immigration illégale. La Tanzanie est prête à jouer ce rôle et le fait notamment en lien avec les autorités françaises. Deux projets d'accords bilatéraux ont été rédigés : l'un concerne un sujet encore secret et l'autre l'immigration. Cela nous permettra d'avoir un plan clair pour lutter contre l'immigration clandestine.

En Tanzanie, nous avons stoppé l'immigration vers l'océan Indien et vers l'Afrique australe. De nombreux migrants traversent la Tanzanie en direction de l'Afrique australe. Nous travaillons d'arrache-pied sur cette question. Nous sommes prêts à renforcer notre coopération avec la France à ce sujet. D'ailleurs, ce point a été abordé lors de la visite de notre présidente en France ; nous accueillerons avec plaisir le ministre de l'Intérieur et des outre-mer en Tanzanie pour qu'il rencontre son homologue, mais une telle visite n'est pas à l'ordre du jour.

Les personnes qui voyagent vers les territoires français ne sont généralement pas des ressortissants tanzaniens. La Tanzanie est en effet un pays de transit.

Mme Micheline Jacques, président. - Avez-vous des difficultés à obtenir des visas pour que des Tanzaniens se déplacent en France ? À l'inverse, quid des Mahorais qui voudraient venir en Tanzanie pour développer des activités économiques ?

M. Ali Jabir Mwadini. - Pour les demandes de visa de Tanzaniens souhaitant voyager en France, l'ambassadeur est très coopératif mais le système n'est pas aussi ouvert que le nôtre. Un Français peut faire sa demande de visa en ligne, qu'il obtiendra rapidement pour 50 dollars ; la demande de visa peut également se faire à l'aéroport de Dar es Salaam. Ainsi, pour toute personne possédant un passeport français, et pas seulement pour les résidents de l'Hexagone, c'est très facile de voyager vers la Tanzanie.

Pour les Tanzaniens, c'est plus compliqué. Par exemple, j'ai essayé de recruter un chauffeur tanzanien, mais les processus de visa étaient trop longs. D'ailleurs, on ne sait pas très bien s'il est possible de demander un visa touristique d'abord et d'obtenir un visa de travail ensuite.

Les Tanzaniens vont à l'étranger, mais ils rentrent chez eux ensuite, si bien que la diaspora tanzanienne est probablement la plus faible d'Afrique.

Nous aimerions que la procédure d'obtention d'un visa pour les Tanzaniens soit facilitée, afin d'améliorer les échanges économiques entre nos deux pays.

Le désir de retourner en Tanzanie est accentué par les opportunités économiques locales : le secteur touristique est en pleine croissance. D'ailleurs, la France est le seul pays européen avec lequel nous avons des vols directs, opérés par Air France, ce qui a fortement contribué à notre essor touristique.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur, pour ces précisions. Ce sont des discussions que vous pouvez mener avec les ministres compétents.

Comment percevez-vous le programme Interreg Canal du Mozambique (2021-2027), financé par l'Union européenne et géré par Mayotte ? Pensez-vous que la mobilisation des crédits pour ce type de projets de coopération avec la Tanzanie est simple à mettre en place ?

M. Ali Jabir Mwadini. - Je ne connais pas bien ce projet. En lisant la question, j'ai cru initialement qu'il s'agissait d'une amélioration de la situation en matière de sécurité. Je vais être honnête avec vous : quand Mayotte intervient dans l'équation, cela soulève des questions très sensibles que j'ai déjà mentionnées.

Nous sommes prêts à travailler avec la France, sans nous poser de questions. Pour ma part, avant de vous répondre, je dois approfondir mes connaissances sur le programme Interreg que vous mentionnez afin d'étudier comment nous pouvons aborder des projets dans ce cadre.

Mme Micheline Jacques, président. - Ce sont des sujets sensibles, qu'il est parfois préférable de ne pas trop évoquer afin de ne pas augmenter les tensions.

La Tanzanie est un pays très accueillant, doté d'un fort potentiel agricole. J'ai d'ailleurs lu que cette région pourrait devenir le grenier du monde. Par conséquent, il est important de vous permettre d'exporter vos productions vers le marché européen, en les adaptant aux normes qui le régissent, comme de développer les échanges, notamment avec Mayotte et La Réunion, deux îles françaises de l'océan Indien.

Je vous remercie de ces éclairages. Nous sommes preneurs de tout complément écrit que vous souhaiteriez apporter et nous serions ravis de poursuivre les échanges afin de fluidifier les relations et la coopération économique entre la Tanzanie et les territoires français proches.

M. Ali Jabir Mwadini. - Je remercie la délégation sénatoriale aux outre-mer de son accueil et de son ambition de développer la coopération avec la Tanzanie. Nous serons ravis de vous accueillir afin que vous rencontriez vos homologues et pour évoquer les engagements de la Tanzanie envers la France, notamment en matière économique. Je serai également ravi d'avoir des éclaircissements sur certains sujets évoqués et de poursuivre notre travail avec vous à l'avenir.

Mardi 18 juin 2024

Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du Général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'État-major des armées sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Mes chers collègues, nous sommes très heureux d'accueillir le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. Cette audition portant sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion, et organisée conjointement avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, clôt ainsi un cycle d'auditions sur le thème de la coopération et l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.

Chacun connaît l'enjeu que représente la zone Indopacifique, qui génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040. Il s'agit d'une région cruciale pour la production de richesses et pour les flux commerciaux, traversée d'enjeux géopolitiques majeurs.

Dans un rapport publié l'année dernière, notre commission a mis l'accent sur la nécessité de préciser la stratégie Indopacifique de la France, jusqu'à présent trop générale, en la divisant selon quatre zones, ce qui permettrait notamment de mieux associer les pays concernés.

La première de ces zones serait précisément l'océan indien occidental, englobant La Réunion, Mayotte, les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde. Selon nous, dans cette vaste région, la France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer et une place particulière à tenir, car sa légitimité y est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), et à ses deux forces de présence, les forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ).

Toutefois, les moyens militaires des forces de souveraineté nous semblent inadaptés aux caractéristiques de l'Indopacifique et aux ambitions affichées de la stratégie française. Les personnels ont subi une forte attrition ; les matériels sont très vieillissants, surtout les hélicoptères ; les bases, notamment à La Réunion, doivent être rénovées. Pour les navires, d'importantes ruptures temporaires de capacité sont prévues jusqu'en 2025. Le porte-avions de nouvelle génération, les nouveaux patrouilleurs d'outre-mer (POM), les avions ravitailleurs et les moyens de renseignement sont autant d'autres sujets qui nous préoccupent.

Mon général, vous pourrez, sur votre périmètre de compétence, faire le point sur ces sujets ainsi que sur l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM), mais aussi, compte tenu de ces contraintes sur les équipements et leur disponibilité, sur votre capacité à entraîner suffisamment nos militaires, dans le contexte actuel de montée des tensions.

Enfin, notre rapport avait également mis l'accent sur la nécessité de mieux associer nos territoires ultra-marins à notre stratégie ; cette audition en commun avec la délégation à l'outre-mer est aussi l'occasion d'aborder cette question.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie vivement le président Cédric Perrin de nous avoir associés à cette audition qui vient clore notre cycle d'auditions sur le thème de la coopération et de l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.

En effet, depuis janvier, avec Christian Cambon en qualité de rapporteur coordonnateur, et Stéphane Demilly et Georges Patient en qualité de rapporteurs, nous menons des travaux sur les enjeux de la coopération régionale pour Mayotte, La Réunion et les TAAF en vue de renforcer leur insertion régionale, mais aussi de garantir leur sécurité face à des menaces croissantes. L'implication du président Cambon est importante compte tenu de sa connaissance de la politique étrangère française et des environnements stratégiques propres à chacun de nos outre-mer.

En plus des auditions, notre délégation s'est rendue en février à La Réunion et à Maurice, et en mai à Mayotte. À La Réunion, nous avons pu rencontrer le commandant des FAZSOI, le général Jean-Marc Giraud, qui nous a dressé un tableau géostratégique clair et saisissant de la zone sud-ouest de l'océan Indien. Pour reprendre ses termes, cette région « n'est plus à la périphérie des enjeux du monde ». Quatre raisons à cela : des contestations territoriales de plus en plus instrumentalisées ; une compétition militaire entre les grandes puissances ; des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge ; l'accumulation des menaces et risques : narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, immigration illégale...

Votre audition, général, est donc précieuse pour clore nos travaux et mesurer les enjeux de la coopération à l'aune des défis militaires plus larges de la région et de l'Indopacifique.

À la suite de votre exposé liminaire, je souhaiterais avoir votre éclairage sur deux aspects. En premier lieu, nos déplacements ont fait apparaître une faiblesse de l'action de l'État en mer, alors même que notre pays se targue de détenir le deuxième espace maritime dans le monde. La maigreur des moyens radars ou de surveillance aérienne par drones ou avions a notamment été pointée avec une forte acuité. Partagez-vous cette analyse ?

En deuxième lieu, compte tenu du positionnement géographique de Mayotte au coeur du canal du Mozambique, pouvez-vous nous présenter l'état de la coopération dans le domaine militaire dans ce secteur et autour de Mayotte ? Le ministère des affaires étrangères a conclu en mars dernier un accord-cadre avec le département de Mayotte pour mieux l'associer à la définition de sa politique dans la zone. Ne peut-on pas imaginer une convention analogue entre les armées et le département de Mayotte ?

Enfin, à titre plus personnel, je souhaiterais avoir votre avis sur l'idée d'y créer une base navale militaire.

Général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. - Les enjeux qui sous-tendent l'environnement stratégique de la zone sud de l'océan Indien, et plus particulièrement de Mayotte et de La Réunion, ont conduit les armées, dans le cadre des travaux de la LPM, à placer cette zone au premier rang de ses priorités. L'effort au profit de celle-ci s'inscrit dans la stratégie globale de la France et se situe à la convergence de la stratégie Indopacifique, de la stratégie en Afrique et - dans une moindre mesure - de notre stratégie à l'égard du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Cette démarche traduit aussi pleinement notre volonté de défendre notre souveraineté outre-mer.

Après une présentation des enjeux stratégiques, j'aborderai la manière dont le dispositif militaire s'articule afin d'y répondre. Pour ce qui est des enjeux stratégiques de la zone, un élément positif mérite d'être relevé au préalable : dans un monde où, comme l'a écrit le chef d'état-major des Armées, « la compétition entre les nations est devenue le mode normal d'expression de la puissance », la zone sud de l'océan Indien reste relativement préservée des grands désordres puisqu'aucun conflit ouvert n'y a cours. Pour autant, elle est confrontée à une série de défis affectant la stabilité régionale, dont les risques cycloniques, la pression migratoire, le narcotrafic ou encore la piraterie. S'y ajoute, sur la côte de l'Afrique australe, la propagation de l'islamisme radical, en particulier au nord du Mozambique.

Dans ce contexte, nous devons faire preuve de vigilance à l'égard des convoitises visant nos ressources, notamment autour des îles Éparses et des TAAF. Nous devons également être vigilants quant à l'influence de nos compétiteurs, en particulier celle qui est exercée par la Russie et par la Chine.

Afin de faire face à ces défis, la France doit disposer de forces suffisantes dans la zone et être en mesure de les renforcer si nécessaire, d'où la notion de « points d'appui » que nous avons développée dans le cadre de la LPM. La Réunion et Mayotte font figure de bases militaires sûres, car elles sont situées sur le territoire national : ces points d'appui ne sont soumis ni aux potentielles versatilités politiques d'Etats tiers, ni à des menaces directes que pourraient connaître nos forces prépositionnées à Djibouti ou aux Émirats arabes unis (EAU).

Ils se trouvent également sur une route maritime majeure qui accueille une part du trafic maritime international plus importante que par le passé en raison des menaces existant en mer Rouge. Cela renforce la position géostratégique de Mayotte et de La Réunion, qui constituent de facto une pièce majeure de notre stratégie Indopacifique. Relativement excentrés, ces deux points d'appui nous fournissent une forme de profondeur stratégique essentielle vis-à-vis de nos compétiteurs majeurs et nous placent à bonne distance des éventuels conflits entre puissances : en cas de conflit ouvert dans le Pacifique, la zone sud de l'océan Indien pourrait assez naturellement procurer des facilités importantes en termes de soutien pour projeter des forces françaises ou alliées. La notion de points d'appui prendrait alors tout son sens pour accueillir, soutenir et régénérer ces forces. Enfin, ces points d'appui nous permettent d'intervenir dans la zone et dans sa périphérie afin de défendre nos intérêts stratégiques et notre souveraineté, de garantir la sécurité de nos ressortissants et d'intervenir au profit de nos partenaires dans la zone.

J'en viens à la coopération internationale, tout aussi essentielle à notre action. Au titre de sa stratégie Indopacifique, la France souhaite contribuer à la stabilité régionale et s'assure en particulier d'un libre accès aux espaces communs. Nous avons besoin pour cela de nous appuyer sur des partenaires régionaux, dans une zone qui rassemble une douzaine de pays aux problématiques continentales et insulaires assez diversifiées.

Cette zone sud de l'océan Indien englobe un espace maritime immense, dont un cinquième de la surface est placé sous juridiction française, ce qui est considérable. Elle est considérée par l'Inde comme sa zone d'influence, la Chine et la Russie s'y intéressant de plus en plus, au prisme de l'influence. Cet espace est notamment structuré par la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France fait partie au titre de La Réunion, mais aussi, pour la partie africaine, par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).

Si cette dernière zone est relativement stable en Afrique, elle est assez fortement soumise à l'influence de nos grands compétiteurs, à commencer par la Chine, qui y déploie une stratégie de captation des ressources de long terme accompagnée de programmes de coopération militaire assez puissamment soutenus. Depuis 2015, la Russie a quant à elle signé une série d'accords de coopération, notamment avec l'Afrique du Sud ; elle a récemment renforcé ses accords de coopération avec le Mozambique ; elle a enfin signé un accord de coopération militaire avec Madagascar en 2022.

Notre coopération régionale se décline en deux axes : d'une part, le renforcement de la coopération opérationnelle, qui vise à favoriser la montée en gamme des armées partenaires ; d'autre part, la lutte contre l'insécurité maritime, qui reste une préoccupation dans l'océan Indien. Dans ce domaine, l'appui de nos forces armées se concrétise par un soutien aux pays partenaires, mais également par un soutien apporté à des initiatives multilatérales telles que le Centre de fusion d'informations maritimes (CFIM) à Madagascar, qui a bénéficié d'une aide de la France et de l'Union européenne.

J'en viens désormais à la description plus détaillée de nos forces sur nos propres territoires. En matière de défense de notre souveraineté, la stratégie militaire mise en place par la France dans la zone sud de l'océan Indien peut être considérée comme un succès. Elle contribue à l'affirmation de notre souveraineté sur les îles Éparses et à la protection de nos zones économiques exclusives (ZEE) d'activités illicites telles que la pêche illégale, cette dernière ayant quasiment disparu.

La Réunion fait figure de pôle de stabilité, même s'il faut rester attentifs à des signaux faibles tels que l'importation de drogue depuis le sous-continent indien. La situation s'avère plus difficile à Mayotte, où l'État engage des moyens très importants. De manière générale, l'action des forces armées y est déjà très imbriquée avec l'action interministérielle : par exemple, la Marine nationale entretient des flottes d'intercepteurs de la gendarmerie et de la police aux frontières. Pour les armées, l'enjeu consiste bien à accompagner au mieux l'action interministérielle selon un équilibre qui est jusqu'à présent préservé, même si le détachement de Légion étrangère et la base navale de Mayotte sont fortement engagés au regard de leurs capacités. Le recours à des renforts temporaires en provenance de La Réunion pour faire face aux pics d'activité liés à des réquisitions préfectorales est quant à lui assez régulier.

Plus précisément, les FAZSOI sont à la tête d'une zone de responsabilité permanente (ZRP) immense qui représente 24 millions de kilomètres carrés, du Kenya jusqu'à l'Antarctique. Les espaces sous juridiction française abritent 1,3 million d'habitants, représentent plus du quart des ZEE françaises et comptent deux départements - Mayotte et La Réunion -, ainsi que neuf autres îles ou archipels.

Les FAZSOI sont commandées par le général Jean-Marc Giraud, qui exerce les fonctions de commandant supérieur et de commandant de la base de La Réunion. Commandant de la ZRP sud de l'océan Indien, il est également officier général de zone de défense et de sécurité, et il est aussi considéré comme un opérateur d'importance vitale. En résumé, le général Giraud dispose de l'intégralité des leviers de commandement et il est l'interlocuteur unique des autorités civiles, remplissant la fonction de conseiller militaire du préfet. Dans le domaine maritime, le général s'appuie sur son adjoint interarmées, un capitaine de vaisseau qui exerce la fonction de commandant de la zone maritime sud de l'océan Indien et qui soutient, par son action, les préfets de Mayotte et de La Réunion dans leurs fonctions de délégués du Gouvernement pour l'action de l'État en mer. Enfin, le chef d'état-major des FAZSOI, qui est un colonel de l'armée de l'air, est en mesure de prendre la fonction de Haute autorité de défense aérienne.

Les moyens des FAZSOI sont assez significatifs, le commandant supérieur disposant d'environ 2 000 hommes et femmes, pour la plupart des militaires. Parmi ceux-ci, 75 % sont en mission de longue durée - trois ans en moyenne - et 25 % affectés à des missions de quatre à six mois. En termes de répartition, environ 1 600 personnels sont positionnés à La Réunion et près de 400 à Mayotte. Dans le cadre du renforcement prévu par la LPM, ces effectifs seront augmentés de 220 postes pour La Réunion et de 90 postes pour Mayotte, avec un objectif de 2 360 postes au total en 2030, soit une augmentation assez significative d'environ 13 %.

Force interarmées, les FAZSOI comptent un régiment de parachutistes à La Réunion - il recevra bientôt deux hélicoptères Cougar - ainsi qu'un détachement de la Légion étrangère à Mayotte. Pour ce qui est de la marine, la base navale de La Réunion accueille deux frégates de surveillance, un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM), un patrouilleur polaire - L'Astrolabe, chargé du ravitaillement des terres polaires - et un patrouilleur complémentaire, Le Malin. Au titre de la LPM, deux POM seront affectés à La Réunion à partir de 2025 pour remplacer des patrouilleurs P400 retirés du service. Pour sa part, la base navale de Mayotte ne compte pas de navire propre, à l'exception d'un chaland de transport de matériel, mais soutient les vedettes côtières de la gendarmerie maritime et de la police aux frontières. Cette base navale accueille également le poste de commandement de l'action de l'État en mer, qui surveille en permanence les accès maritimes de Mayotte. Enfin, elle permet d'assurer le maintien en condition opérationnelle des intercepteurs des autres administrations.

Pour ce qui est des forces aériennes, La Réunion dispose de la base aérienne « lieutenant Roland Garros », qui accueille notamment deux avions de transport et un certain nombre d'hélicoptères ; aucune base aérienne à proprement parler n'existe à Mayotte, les aéronefs de La Réunion y étant accueillis par un bureau militaire de transit. Pour mémoire, chacun de ces deux territoires compte un régiment du service militaire adapté (SMA), qui ne relève pas de l'autorité du ministère des armées.

Ce dispositif va être renforcé tout au long de la LPM : pour la période 2024-2030, 13 milliards d'euros sont attribués aux forces armées stationnées dans les outre-mer, l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires.

Sur l'ensemble des outre-mer, les effectifs doivent augmenter de 10 %, ce qui représente plus de 1 000 postes. Pour la zone sud de l'océan Indien, cet effort se traduira par la création de plus de 300 postes et par une consolidation assez significative du point d'appui, notamment au travers d'un renforcement des capacités de la base aérienne et du port de La Réunion et du déploiement d'un détachement d'hélicoptères de l'armée de terre en 2028. Plus de 180 millions d'euros seront investis dans les infrastructures de La Réunion - hors logements - afin d'accroître les capacités d'accueil de ce point d'appui clé pour les forces françaises. Comme je l'indiquais précédemment, les FAZSOI recevront deux POM équipés de drones en 2025 et en 2026, ce qui renforcera sensiblement notre capacité de surveillance maritime. De plus, les travaux d'aménagement de la base aérienne permettront d'accueillir ponctuellement des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type Reaper, des avions de surveillance et de reconnaissance de type Falcon 2000 et des avions de transport de type A400, ou des ravitailleurs.

À Mayotte, le renfort de 90 personnels sur la durée de la LPM s'accompagne d'un investissement dans les infrastructures à hauteur de 50 millions d'euros afin de durcir et de moderniser les capacités. Le vieux chaland de transport de matériel sera également remplacé par un engin de débarquement amphibie moderne, tandis que le détachement de Légion étrangère sera renforcé par deux sections spécialisées, dont une section du génie. Le poste de commandement de l'action de l'État en mer sera également renforcé et modernisé.

S'agissant de l'emploi des forces, les FAZSOI contribuent à la collecte du renseignement militaire et à la construction d'une appréciation de la situation dans la zone, en s'appuyant sur les forces aériennes et maritimes tout comme sur les détachements de coopération se rendant dans les pays étrangers. De plus, sept attachés de défense sont présents dans la zone, sans oublier le bénéfice apporté par les missions ponctuelles des Falcon 50 et des frégates de la Marine.

Par ailleurs, les FAZSOI doivent contribuer à la prévention des crises. Elles conduisent ainsi une soixantaine de missions de partenariat militaire opérationnel et plusieurs exercices multinationaux majeurs, au nombre de deux à trois par an en moyenne, essentiellement à partir de La Réunion. Madagascar constitue la priorité de nos partenariats et de nos actions dans la région, suivi des Comores, du Mozambique et de la Tanzanie. La priorité de ces missions de coopération consiste à aider les armées partenaires, par exemple en armant des détachements pour des opérations de maintien de la paix, et plus généralement pour accompagner leur montée en gamme et améliorer leur interopérabilité avec nos forces.

En outre, les FAZSOI contribuent à une réflexion interministérielle en cours visant à proposer une Académie de l'océan Indien à nos partenaires régionaux : porté par le préfet de La Réunion, ce projet inclura des détachements d'instruction de ces forces.

La mission de protection des FAZSOI présente de multiples facettes, dont la protection permanente des trois îles Éparses dans le canal du Mozambique et la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte, avec un poste de commandement de l'action de l'État en mer actif 24 heures sur 24 et des opérations conduites sur terre en appui des forces de sécurité intérieure.

Les FAZSOI sont également en mesure de conduire des opérations de secours d'urgence et de défense civile, soit sur le territoire national, soit au profit de nos partenaires dans la zone. Leurs patrouilleurs participent ainsi chaque année à la Task Force 150, mission internationale qui compte plus d'une trentaine de nations associées pour patrouiller dans la zone nord de l'océan Indien et lutter contre les trafics divers. Les forces participent aussi, depuis 2021, à la mission de formation de l'Union européenne au profit des forces armées du Mozambique (EUTM), dans le cadre de la lutte contre l'État islamique au nord du pays.

Par ailleurs, ces forces contribuent à la défense et à la sécurité civile sous autorité préfectorale, comme lors du passage du cyclone Belal. À Mayotte, l'intervention des forces armées s'effectue sur réquisition du préfet, en particulier dans le cadre du plan de renforcement et d'approfondissement de lutte contre l'immigration clandestine (Pralic).

Enfin, les FAZSOI contribuent au rayonnement et à l'influence de notre pays dans la zone, avec l'objectif d'asseoir son statut de partenaire fiable. La France est par exemple partenaire du symposium naval de l'océan Indien (IONS), forum de coopération regroupant vingt-cinq autres États. Elle est également partenaire du programme MASE (Maritime Security) porté par l'Union européenne, qui a conduit à la mise en place d'un centre régional de coordination des opérations aux Seychelles.

En conclusion, les FAZSOI sont bien adaptées pour répondre aux défis et aux spécificités de l'environnement stratégique. Largement engagées sur le territoire national, elles apportent un appui efficace à l'action de l'État dans tous les domaines et déploient une activité importante vis-à-vis des partenaires internationaux. Contribuant à l'influence de la France dans la zone, elles représentent un point d'appui solide et un atout pour défendre nos intérêts, nos concitoyens et notre souveraineté dans un contexte de durcissement des relations internationales.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Pourriez-vous apporter des précisions sur l'état du matériel et son adéquation aux ambitions portées par la LPM ?

Général François-Xavier Mabin. - Il n'existe pas de spécificité très nette par rapport au reste des forces armées : une partie du matériel est vieillissant et doit bénéficier d'une maintenance renforcée, comme en métropole. La LPM permettra de renforcer nos capacités : les deux hélicoptères Cougar, à La Réunion, représentent une véritable plus-value pour le régiment de parachutistes d'infanterie de marine. Parallèlement, l'arrivée de deux POM étoffera sensiblement les capacités de la Marine dans la zone.

M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. -Vous avez évoqué l'accord de défense signé en 2022 avec Madagascar : a-t-il été activé ?

Général François-Xavier Mabin. - Je parlais de l'accord signé entre Madagascar et la Russie, laquelle signe de nombreux accords avec les pays africains, renouant ainsi des relations datant de l'époque soviétique. Ces accords donnent un cadre à leurs relations de défense et se traduisent souvent par la livraison de matériels,.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - De quel type de matériels s'agit-il ?

Général François-Xavier Mabin. - Il peut s'agir de blindés en quantité importante, même si la situation a probablement évolué depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La société privée Wagner était également capable de livrer des hélicoptères de combat en puisant dans les ressources russes.

M. Saïd Omar Oili. - En tant que sénateur mahorais, je peux témoigner tout comme vous de la situation très critique que traverse Mayotte actuellement.

À cet égard, pourriez-vous décliner les mesures annoncées pour mon territoire dans le cadre de la LPM ? Il a été question d'un « rideau de fer » pour lutter contre l'immigration clandestine ; or nous avons plutôt le sentiment que la crise s'aggrave : à l'immigration comorienne traditionnelle se greffe une immigration clandestine issue de l'Ouest africain, composée notamment de migrants venant du Mozambique, ce qui nous inquiète car il y a parmi eux des islamistes très radicalisés.

Vous avez parlé d'une enveloppe de 180 millions d'euros pour La Réunion et d'une dotation de 50 millions d'euros seulement pour Mayotte : je ne comprends pas pourquoi le renforcement de nos moyens militaires est moindre à Mayotte, alors que l'île concentre tous les problèmes. Comment l'expliquez-vous ?

Général François-Xavier Mabin. - Je me dois tout d'abord de rappeler que les forcées armées interviennent à Mayotte sur réquisition et en appui des forces de sécurité intérieure. Nous ne sommes donc pas à la manoeuvre.

Par ailleurs, les moyens que nous consacrons à La Réunion, par exemple ceux que nous dédions au renforcement de sa base navale, profiteront aussi à Mayotte, dans la mesure où les unités navales basées à La Réunion remplissent des missions au profit de Mayotte, notamment des missions de surveillance qui s'inscrivent dans le cadre de la manoeuvre globale conduite par le préfet de Mayotte. Du reste, nos unités navales exercent d'autant mieux leurs missions qu'elles bénéficient d'une base navale importante. En réalité, il serait trop compliqué de disposer de deux pôles navals de grande capacité dans la sous-région.

M. Saïd Omar Oili. - La population mahoraise demande simplement que nos navires empêchent les clandestins d'arriver sur l'île. Or, vous venez de l'expliquer, ces navires existent, mais ils sont basés à La Réunion. Autrement dit, ils ne viennent que de temps en temps, ce qui contribue au chaos général...

En tant que sénateur de Mayotte, je m'insurge contre cette situation d'insécurité. Tous les jours, des dizaines de kwassa-kwassa pénètrent dans nos eaux territoriales et permettent à des dizaines de clandestins d'accoster. Un camp dans lequel des migrants vivent dans des conditions lamentables a même été créé à Cavani !

De mon point de vue, il conviendrait de renforcer la base militaire de Mayotte pour empêcher des barques remplies de clandestins d'accéder à nos côtes.

Général François-Xavier Mabin. - Sachez, monsieur le sénateur, que la base navale de Mayotte agit de manière concertée avec les autres services de l'Etat, notamment ceux qui relèvent du ministère de l'intérieur - gendarmerie et police aux frontières. Je pense en particulier à l'entretien des intercepteurs du ministère de l'intérieur qui est assuré par la marine nationale basée à Mayotte, ou aux radars qui font l'objet d'une veille jour et nuit par les personnels de nos forces armées.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - La difficulté à laquelle est confrontée la marine nationale tient avant tout à l'existence d'un récif corallien autour de Mayotte. Il est primordial d'identifier les kwassa-kwassa le plus tôt possible, car les intercepteurs ne peuvent pas intervenir après que ces embarcations ont passé la barrière de corail.

Par ailleurs, ce qui fait défaut à Mayotte, ce n'est pas tant les moyens humains que les moyens matériels. Ainsi, les radars actuels, au nombre de quatre, sont malheureusement mal situés, vétustes et défectueux. Dans le cadre de la LPM, a-t-on prévu de les remplacer ? Si oui, à quel horizon ?

Général François-Xavier Mabin. - Il est bel et bien prévu de remplacer ces radars, mais cette initiative est du ressort du ministère de l'intérieur. Les armées, quant à elles, continueront d'apporter leur expertise pour la mise en place de ces systèmes.

Je souhaite revenir sur l'action des unités navales de la marine nationale dans la région : à chaque fois qu'un patrouilleur de haute mer remplit une mission, notamment dans le canal du Mozambique, il contribue à la sécurité maritime de l'ensemble de la région. En réalité, l'action des armées doit se concevoir par cercles concentriques : appui à la gendarmerie sur terre à Mayotte, missions de renseignement et de surveillance de la marine nationale en mer, en complément des missions conduites par les forces de sécurité intérieure.

M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - L'une des difficultés à laquelle nous faisons face pour endiguer l'immigration clandestine tient à l'immensité de l'espace maritime à gérer. Comment peut-on intervenir au plus près des zones d'où partent les clandestins - je veux parler de l'île comorienne d'Anjouan ?

Général François-Xavier Mabin. - La France et les Comores ont mis en place une coopération, qui constitue une partie de la réponse à votre question. Nous aidons la marine comorienne à être la plus opérationnelle possible. J'espère qu'un jour nous serons en mesure de conduire des patrouilles communes à nos deux pays. En outre, la marine nationale mène des opérations de renseignement au plus loin des côtes mahoraises, sans pour autant violer la souveraineté comorienne.

M. Hugues Saury. - J'ai participé, en 2022 et 2024, à deux missions ayant trait à la problématique de l'Indopacifique. On pourrait s'étonner que cette région du monde fasse partie de notre stratégie Indopacifique. La Réunion, par exemple, est à mi-distance de Paris et du détroit de Taïwan : dans ces conditions, pourquoi cette île constituerait-elle une base arrière en cas de conflit dans l'Indopacifique ?

Général François-Xavier Mabin. - On pourrait débattre longtemps de la pertinence d'une stratégie Indopacifique qui couvrirait la moitié du globe. Cet espace se caractérisant par sa continuité, il convient de le considérer comme une zone en tant que telle.

Je pars d'un constat simple : la stratégie de la France doit reposer sur les points d'appui existants - certes, idéalement, ceux-ci devraient se situer un peu plus au nord, mais ils ont le mérite d'exister. Dans cette logique, les bases de La Réunion et de Mayotte restent pertinentes ; ces îles se trouvent effectivement sur des routes commerciales stratégiques, cruciales, qui intéressent nos rivaux.

J'ajoute que, dans la perspective d'une crise internationale dans l'Indopacifique l'océan Indien constituerait une ligne de défense, ou du moins une zone d'intérêt pour le continent européen. C'est dans cette région que les Européens seraient les plus utiles, et le plus rapidement. Prenons l'exemple de la libre circulation des navires en mer Rouge aujourd'hui : il faut avoir conscience que cette voie débouche précisément sur l'océan Indien.

La Réunion est certes éloignée géographiquement, mais elle dispose d'une base navale qui nous permettrait de stationner des aéronefs, de bénéficier de dépôts logistiques, bref d'offrir une capacité de projection de puissance.

M. Stéphane Fouassin. - L'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion est complexe : la zone à surveiller est immense, et les problèmes de Mayotte sont nombreux et difficiles à traiter. Je pense aussi à la question de la recherche d'hydrocarbures au Mozambique ou à la stratégie relative à la pêche dans les eaux australes, puisque La Réunion est un réservoir très important de légines. Enfin, il ne faut pas oublier la menace que font peser les pirates dans le nord de l'océan Indien.

Nos forces armées sont-elles assez nombreuses pour contrôler toute cette zone et faire face à l'ensemble de ces problématiques ? Le renforcement des moyens humains me semble essentiel, notamment à Mayotte.

Pour ce qui est des moyens matériels, deux hélicoptères Cougar seront envoyés à La Réunion ; quid de Mayotte ?

Général François-Xavier Mabin. - Mayotte dispose déjà d'hélicoptères appartenant aux services du ministère de l'intérieur.

M. Stéphane Fouassin. - Les deux nouveaux hélicoptères pourraient-ils venir en aide aux pompiers de La Réunion, qui sont obligés aujourd'hui de recourir à des hélicoptères privés pour éteindre les incendies ?

Général François-Xavier Mabin. - La base aérienne de La Réunion est conçue comme un pôle étatique : on y trouve des aéronefs de l'ensemble des services de l'État. Aussi est-il probable que, sur réquisition ou sur demande de concours, les hélicoptères des forces armées contribuent à transporter des fonctionnaires d'autres ministères, en particulier des pompiers.

M. Stéphane Fouassin. - Pourquoi voit-on si rarement les FAZSOI et le régiment du service militaire adapté (SMA) donner un coup de main aux communes touchées par des événements cycloniques ?

Général François-Xavier Mabin. - Ce que vous dites me surprend quelque peu. Je ne conteste pas votre diagnostic, mais les forces armées d'outre-mer s'entraînent précisément dans la perspective d'intervenir dans le cadre de catastrophes naturelles, et elles le font. Le service militaire adapté est mobilisé dans ce type de circonstances : il se place alors sous le commandement des forces armées pour résoudre les crises. À Mayotte, par exemple, les unités du SMA ont participé aux opérations de ravitaillement en eau de la population.

Mme Annick Girardin. - Estimez-vous que la mixité et la coordination des moyens dont nous disposons pour intervenir dans l'océan Indien, que ce soit au service de Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine, ou de La Réunion pour combattre la pêche illégale ou la piraterie, sont suffisantes ?

Les moyens existants sont-ils réellement mis en commun ? J'ai, pour ma part, le souvenir désolant des difficultés que nous avions rencontrées après le passage de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. Quel regard portez-vous sur notre capacité à nous mobiliser de concert face à ces enjeux ? Peut-on encore s'améliorer ?

Ma seconde question porte sur l'action de l'État en mer à Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine. J'ai bien compris que les forces armées intervenaient dans le cadre d'une action globale, mais une coordination interministérielle de nature technique, matérielle et stratégique a-t-elle vraiment prévalu en la matière ces deux dernières années ? Au vu des résultats, je me pose la question ; d'après moi, on pourrait faire beaucoup mieux.

Général François-Xavier Mabin. - Par nature, toute coordination interministérielle est complexe, car chaque administration obéit à sa propre chaîne hiérarchique, dispose de ses propres relais, agit dans des périmètres bien définis, etc. Néanmoins, s'il y a bien un domaine dans lequel cette coordination est efficace, c'est celui de l'outre-mer : les services de l'État en outre-mer font preuve d'une très grande solidarité les uns envers les autres ; ils échangent régulièrement et se fixent des objectifs communs.

Vous avez évoqué l'action de l'État à Mayotte. Il est à noter que les armées se heurtent à des contraintes juridiques et réglementaires. Les armées ne peuvent pas tout faire sur le territoire national - et c'est très bien ainsi. Nous sommes observés et agissons dans un cadre strictement défini. Les armées s'inscrivent bien entendu dans le cadre de l'action gouvernementale. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les armées ont soutenu l'action du ministère de l'intérieur, dans le respect de l'État de droit.

Mme Annick Girardin. - Votre regard nous importe à nous, parlementaires, notamment parce que se pose actuellement la question d'une possible remise en cause du droit du sol à Mayotte. Dans la mesure où je suis appelée à réfléchir à cette évolution, je veux m'assurer que tout a été tenté et que l'on est allé assez loin en matière de prévention, de protection, de surveillance. Que pourrait-on faire de plus, dans le cadre actuel, pour ne pas avoir à changer notre Constitution ? Quel nouveau logiciel nous faudrait-il ? Et quelle serait la place des armées dans ce nouveau logiciel ?

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - En cas de crise dans l'Indopacifique, nos alliés seraient favorables à ce que nous nous situions dans cette partie de l'océan Indien plutôt qu'en mer de Chine méridionale et dans le secteur de Taïwan. Vous avez raison, La Réunion doit effectivement constituer un point d'appui pour que nos forces armées puissent se projeter ailleurs.

Pourriez-vous nous parler de l'intérêt stratégique de la Chine pour les Maldives ? Quelle surveillance exerçons-nous sur cette région du globe ?

Général François-Xavier Mabin. - Notre action est proportionnelle aux moyens dont nous disposons. La France est une puissance globale, mais la réalité géographique s'impose à nous : nous n'avons pas d'action continue sur les Maldives, un territoire qui se situe pourtant sur une route maritime essentielle que notre marine nationale emprunte dès qu'elle le peut.

Les Maldives sont naturellement une zone d'intérêt pour la France, tout simplement parce que la Chine s'y intéresse, mais il s'agit d'une zone d'intérêt parmi d'autres. En effet, dans le cadre de sa stratégie mondiale de la route de la soie et de celle dite du collier de perles, qui traduisent sa volonté d'imposer un maillage de toute la région pour servir ses intérêts commerciaux et militaires, la Chine s'intéresse à de nombreux petits pays...

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Au vu des événements qui se sont produits au large de Djibouti, un certain nombre de navires n'empruntent plus le canal de Suez et passent désormais par une zone sous surveillance des forces armées de la zone sud de l'océan Indien. Cela change-t-il quelque chose au travail que vous menez ? Ces nouvelles contraintes n'impliquent-elles pas des moyens supplémentaires pour nos forces armées ?

Général François-Xavier Mabin. - Les FAZSOI fonctionnent à flux tendu, et aucun effort supplémentaire n'a été fourni pour tenir compte de cette évolution ; en revanche, l'essor du trafic a été pris en compte par les unités de la marine nationale qui patrouillent dans la zone. On constate effectivement une hausse des flux maritimes au niveau du canal du Mozambique et du détroit de Malacca.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Vous évoquiez la coopération entre la France et les Comores pour agir à la source. Sachant que les Comores s'opposent à ce que Mayotte soit reconnue membre de la Commission de l'océan Indien, pensez-vous qu'ils pourraient être un frein à une coopération avec Mayotte dans le domaine militaire ?

Général François-Xavier Mabin. - La coopération dans le domaine militaire est en règle générale assez pérenne, indépendamment des aléas diplomatiques, et dès lors qu'il n'existe pas de divergence irréparable. Je prendrai l'exemple de notre coopération avec Madagascar, qui n'a jamais cessé en dépit de nos différends au sujet des îles Éparses. La coopération avec les Comores a du sens, car il est dans notre intérêt de contrôler les accès maritimes vers Mayotte.

Mme Annick Girardin. - Les câbles sous-marins font-ils l'objet d'une surveillance particulière de la part de nos forces armées ?

Général François-Xavier Mabin. - À ma connaissance, La Réunion n'est pas à l'intersection de câbles sous-marins, mais la France s'intéresse à cette question des autoroutes numériques, qui constituent un enjeu de souveraineté et de libre circulation. Les armées ont élaboré une stratégie de maîtrise des fonds marins, dont l'un des volets consiste à surveiller le réseau des câbles sous-marins, en particulier les noeuds les plus importants, et, le cas échéant, à intervenir et à en contrôler l'état. Cette mission est cruciale et relativement onéreuse : peu de nations sont capables de suivre une telle stratégie.

M. Stéphane Fouassin. - À quel horizon les annonces que vous avez faites produiront-elles leurs effets ?

Général François-Xavier Mabin. - Les mesures dont j'ai parlé entreront en vigueur durant toute la durée de la LPM, jusqu'en 2030 donc. Le renforcement des effectifs sera progressif ; les investissements dans les infrastructures et le renforcement des moyens matériels s'échelonneront également entre 2024 et 2030.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous vous remercions de votre intervention. Je suis certain que nos collègues ultramarins auront eu un début de réponse à leurs interrogations.

La réunion est close à 18 h 20.


* 1 Loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional.

* 2 Depuis le 29 décembre 2023, la Délégation pour les collectivités territoriales et la société civile (DCTCIV) est rattachée à la Direction générale de la mondialisation (DGM). Elle est issue de la fusion entre les délégations pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) et pour la société civile, l'engagement citoyen et la jeunesse (CIV).

* 3 La part des jumelages est de 15 % environ.

* 4 Décision n° 2000-435 DC.

* 5 À la suite du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de 2018.

* 6 Rapport de la Cour des comptes sur les interventions de l'AFD en outre-mer sur la période 2018-2022, délibéré le 29 septembre 2023.

* 7 La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a modifié le statut d'Expertise France en transformant l'établissement public en une société par actions simplifiée. Son capital est public et est entièrement détenu par l'Agence française de développement depuis le 1er janvier 2022.

* 8 Sur un financement de la région Réunion.

* 9 Créée en août 2016, l'Agence de développement et d'innovation de Mayotte (ADIM) a commencé son activité en 2017. L'ADIM est un groupement d'intérêt public (GIP) qui a pour objet le développement économique de Mayotte, et sa promotion en France et à l'étranger, dans le cadre des orientations définies par le conseil départemental et en complémentarité de l'action propre de ses services. L'ADIM vise à promouvoir l'attractivité économique du territoire et à accompagner les entreprises dans leur compétitivité. Cet objectif d'attractivité et de renforcement des entreprises passe par une meilleure connectivité avec les pays de la zone océan Indien.

Les membres du GIP sont le département, la CCI, la chambre d'agriculture, le centre universitaire et les syndicats de salariés et d'entreprises.

* 10 À titre principal :

- la loi n° 2000-1207 d'orientation pour l'outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000 ;

- la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite loi « Letchimy ».

* 11 Classement IDH en 2022 sur 193 pays : Madagascar (177ème), Maurice (72ème), Seychelles (67ème), Mozambique (185ème), Comores (156ème), Kenya (152ème), Tanzanie (160ème), France (28ème).

* 12 ACP : pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

* 13 Rapport d'information n° 601 (2016-2017) d'Éric Doligé, rapporteur coordonnateur, et Karine Claireaux et Vivette Lopez, rapporteurs, sur « Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d'un obstacle un atout », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

* 14 Rapport d'information n° 728 (2020-2021) de Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel, rapporteurs, sur « Reconstruire la politique du logement outre-mer », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

* 15 COM (2022) 0144

* 16 La région Réunion est Autorité de gestion des programmes Interreg depuis 2000.

* 17 Le département de Mayotte est Autorité de gestion de fonds européen pour la première fois.

* 18 Interreg V était un programme transfrontalier réservé à des projets avec les voisins immédiats (Comores et Madagascar).

* 19 Une enveloppe dite transfrontalière, réservée à des projets avec les membres de la COI, et une enveloppe dite transnationale pour des projets intéressant tous les pays dans le champ du programme.

* 20 Contre cinq pour la programmation 2014-2020.

* 21 Quatre à l'origine, portés à cinq avec la départementalisation de Mayotte

* 22 Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) 2023 a décidé de la fin de la liste de pays prioritaires de l'aide bilatérale de la France, au profit d'une cible fixée à 50 % de l'effort financier bilatéral de l'État vers les pays les moins avancés (PMA).

* 23 Parmi les 71 % des financements en direction des outre-mer, 2 % concernent des projets intéressant plusieurs outre-mer (coopération entre des outre-mer français).

* 24 La direction régionale océan Atlantique a absorbé l'essentiel de la baisse.

* 25 Le Fonds Vert pour le climat a été mis en place en 2010 par les 194 pays qui sont Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) dont il constitue l'un des mécanismes de financement. Il a pour mandat de « réaliser le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables afin de financer des projets de lutte contre les effets du changement climatique ».

* 26 Centre régional opérationnel de surveillance et sauvetage (CROSS)

* 27 Afrique du Sud, Australie, Bangladesh, Comores, Émirats arabes unis, France, Inde, Indonésie, Iran, Kenya, Madagascar, Malaisie, Maldives, Maurice, Mozambique, Oman, Seychelles, Singapour, Somalie, Sri Lanka, Tanzanie, Thaïlande, Yémen.

* 28 Les efforts déployés pour convaincre les membres de l'IORA du bien-fondé de l'appartenance de la France à l'IORA en qualité de membre à part entière illustrent la nécessité pour la France d'affirmer une stratégie Indopacifique qui ne va pas toujours de soi pour les États de la région.

* 29 Il s'agit d'une agence gouvernementale de Maurice.

* 30 300 à 400 000 personnes, principalement à Marseille et en région parisienne.

* 31 L'activité touristique est marginale à Mayotte.

* 32 Selon Air Austral, l'A350 ne peut pas se poser à Mayotte. Le Boeing 777, dont la compagnie détient des exemplaires, nécessiterait d'être tracté en bout de piste. Ces modèles permettraient de faire baisser le prix des billets (capacité supérieure, triclasse), mais le manque de souplesse opérationnelle des infrastructures bloque.

* 33 Voir le rapport d'information n° 488 (2022-2023) de Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne, rapporteurs, sur la continuité territoriale outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

* 34 Le PIF est chargé de l'inspection des animaux et des produits d'origine animale en provenance de pays tiers.

* 35 Tous les ports de la COI en sont membres, ainsi que le port de Longoni à Mayotte.

* 36 Projet Smart Port (partage d'expérience sur la digitalisation) et Green Port (partage d'expériences sur les infrastructures respectueuses de l'environnement).

* 37 Programme Local Content Compliance.

* 38 En 2023, un navire a été affrété spécialement, avec des aides financières de l'État et de la région, pour exporter des déchets dangereux accumulés à La Réunion et Mayotte pendant la crise du Covid vers l'Union européenne.

* 39 Les Comoriens en situation illégale reconduits aux Comores n'ont pas besoin d'un laissez-passer consulaire. Par ailleurs, aucune escorte n'est requise, dès lors que les personnes reconduites montent à bord du navire Maria Galanta de la société SGTM qui opère des liaisons quasi-quotidiennes entre Mayotte, Anjouan et Grandes Comores. Ce navire étant sous pavillon des Comores, les personnes reconduites sont considérées comme étant sur le territoire comorien à compter de leur montée à bord.

* 40 Note de l'Institut français des relations internationales (IFRI) de juin 2022 « Le Canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène »

* 41 Le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) est une communauté économique régionale en Afrique avec 21 États membres.

* 42 Des clients « grand compte » peuvent toutefois bénéficier de taux préférentiels du fait de l'importance de leurs volumes sur les lignes depuis l'Europe.

* 43 Résolution du Parlement européen du 14 septembre 2021 vers un renforcement du partenariat avec les régions ultrapériphériques de l'Union (2020/2120(INI)).

* 44 COM (2022) 198 final

* 45 Access2Markets est le portail de la Commission européenne dédié aux entreprises européennes qui fournit une information en ligne sur les conditions d'accès au marché dans les pays tiers par pays, secteurs et produits : droits de douanes et taxes, formalités et documents, principaux obstacles, statistiques, accords préférentiels et règles d'origine. Le portail dispose d'un module d'autoévaluation des règles d'origine ROSA et des modules dédiés aux marchés publics et aux services et investissements.

* 46 La Commission européenne a validé le 26 mars 2024 la possibilité d'ouvrir les aides publiques pour financer le renouvellement des navires de pêche en outre-mer de moins de 12 mètres (six navires seraient concernés à La Réunion). Un premier accord avait été trouvé en 2022, mais les conditions fixées n'étaient pas adaptées à la pêche réunionnaise.

* 47 Doté de 70,8 milliards d'euros sur la période 2021-2027.

* 48 Liste des conventions actives de partenariat signées par Club Export :

- Furhen Global + CCIFM - Mozambique ;

- CCIFM - Madagascar ;

- Business Mauritius + CCIFM - Maurice ;

- UCCIA - Comores ;

- GEPAT + Carrefour des entrepreneurs - Madagascar ;

- Plateforme PRIVE/PRIVE - Maurice.

* 49 La Sakay est une région de Madagascar où des Réunionnais se sont installés à partir de 1950 pour exploiter des terres agricoles. À la suite de l'indépendance de Madagascar, une partie des Réunionnais installés repart à La Réunion compte tenu de la montée des tensions et de la contestation de ce projet « colonial ». Les dernières familles encore présentes sont expulsées en 1977.

* 50 Rapport d'information n° 285 (2022-2023) de Cédric Perrin, Rachid Temal, Hugues Saury, Jacques Le Nay, André Gattolin, Joël Guerriau sur « la stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

* 51 Elle-même inaugurée le 14 mars 2022 par Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

* 52 Cette page recense l'ensemble des initiatives « Team Europe » dans le monde et des programmes conjoints : https://capacity4dev.europa.eu/resources/team-europe-tracker_en

* 53 Aux Comores, l'antenne de la région Réunion est intégrée à l'Équipe France ainsi qu'à l'Équipe Europe. À ce titre, elle participe à une réunion hebdomadaire à l'ambassade de France.

* 54 Le premier alinéa de cet article concerne la région Guadeloupe et prévoit simplement une faculté de saisir la région pour l'État. Il ne s'agit pas d'une obligation. En revanche, le deuxième alinéa dispose que la région Réunion et le conseil général de Mayotte, « sont saisis dans les mêmes conditions ». Cette différence rédactionnelle s'explique par une erreur de coordination au moment de l'adoption de la loi NOTRe qui a rétabli une simple faculté pour la Guadeloupe.

* 55 Créée en 1975, Cités Unies France est une association qui accompagne l'ensemble des collectivités territoriales françaises dans la mise en oeuvre d'une action internationale. Avec près de 300 adhérents, Cités Unies France fédère la majorité des régions, plus d'un quart des départements, presque toutes les grandes villes, un pourcentage important des villes moyennes, ainsi que de nombreuses communes de taille plus modeste. La région Réunion a adhéré récemment.

* 56 Créée en 2018, la CIRRMA réunit 12 réseaux régionaux établis en France hexagonale et dans les outre-mer. Elle a pour rôle d'accompagner et d'appuyer, dans une logique territoriale interrégionale les territoires qui souhaitent développer des activités de coopération internationale, en tenant compte de leurs spécificités et de l'écosystème des acteurs locaux. La CIRRMA peut ainsi mobiliser l'expertise métier de ses membres. Cela concerne tout aussi bien la diffusion d'informations, l'appui au montage et au développement de projets de coopération à travers des échanges professionnels entre pairs.

* 57 Par exemple, sur 2014-2020, les OCS étaient exclues pour les opérations intégralement mises en oeuvre via un marché public. Ce n'est plus le cas pour 2021-2027.

* 58 Règlement (UE) 2021/1059 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions particulières relatives à l'objectif « Coopération territoriale européenne » (Interreg) soutenu par le Fonds européen de développement régional et les instruments de financement extérieur.

* 59 Pour aller plus loin, le guide des options de coûts simplifiés 2021-2027 : eus_221028_rapportoptioncouts_vdef.pdf

* 60 Programme 123 « Conditions de vie outre-mer ».

* 61 Programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ».

* 62 Par exemple, l'initiative Kiwa est abondée via les programmes 209 et 123.

* 63 L'AFD détient près de 80 % du capital. Proparco (Société de promotion et de participation pour la coopération économique) est une institution financière de développement française dédiée au secteur privé. Elle intervient en faveur du développement durable en finançant et en accompagnant des entreprises, des institutions financières et des fonds d'investissement en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et au Moyen Orient. 312 projets ont été signés entre 2017 et 2021 pour un montant de 5,5 milliards d'euros. En 2023, 94 nouveaux projets ont été autorisés, pour un montant de 2,3 milliards d'euros.

* 64 En 2023, 17 magistrats de liaison étaient en poste dans le monde couvrant 52 États, dont six en Afrique et Moyen-Orient. Aucun en Afrique de l'Est, australe ou l'ouest de l'océan Indien. Un poste a été créé en 2024 à Sainte-Lucie pour lutter contre les narcotrafics.

* 65 Le CRFIM assure quotidiennement une surveillance et un suivi des navires qui croisent dans la zone afin de prévenir les risques, crimes et trafics en mer, à partir d'informations en provenance de multiples sources afin d'établir la situation maritime sur une zone allant du cap de Bonne-Espérance au détroit d'Ormuz. Il diffuse ensuite ses alertes via le Maritime Awareness System (MAS), système de connaissance de la situation maritime axé sur l'échange d'informations et la coordination des actions conjointes en mer. Cette surveillance a permis d'identifier en 2023 plus de 200 navires d'intérêt, autrement dit des navires ayant des comportements suspects. Avec l'appui du CRFIM, le CRCO, bras opérationnel de l'architecture, facilite et coordonne des missions de surveillance et inspections en mer en mobilisant les moyens navals et aériens des États signataires ainsi que des partenaires. La première mission s'est déroulée en 2020 avec la participation du BSAOM Champlain. Les missions impulsées ou coordonnées par l'architecture régionale de sécurité maritime, plus d'une vingtaine à ce jour, ont ainsi permis, entre autres, de saisir des cargaisons de drogues dont 900 kg lors de l'opération « Persian Express » le 4 juin 2024 et d'inspecter puis intercepter un navire suspecté de pêche illégale lors de l'opération « Black Tip » le 9 juin 2024.

* 66 Les accords MASE sont entrés en vigueur dès leur signature pour Djibouti, Madagascar, Maurice, les Comores et les Seychelles. Le Kenya a procédé à leur ratification en janvier 2022. Pour la France, le projet de loi de ratification a été promulgué en février 2023.

* 67 La PIROI est un outil régional d'intervention rattaché à la direction des opérations internationales de la Croix-Rouge française. La PIROI est composée de différents membres du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : Comores, France, Madagascar, Maurice, Mozambique, Seychelles, Tanzanie, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et Croissant-Rouge. Elle intervient sur toute la zone sud-ouest de l'océan Indien.

* 68 Le dernier arraisonnement d'un navire non autorisé à pêcher la légine remonte à 2013.

* 69 La part des transferts financiers de la diaspora en direction de Grande Comore est estimée à 85 % du total.

* 70 Un poste d'inspection frontalier (PIF) est une installation où les autorités compétentes procèdent à des contrôles sanitaires des produits animaux et des denrées alimentaires d'origine animale importés. Ces inspections visent à garantir que les produits importés répondent aux normes sanitaires et de sécurité de l'Union européenne (UE) ou du pays de destination, afin de protéger la santé publique, animale et végétale.

Un point d'entrée communautaire (PEC) est un point de contrôle officiel situé aux frontières extérieures de l'Union européenne (UE) où sont effectuées des inspections sanitaires et phytosanitaires des marchandises entrant sur le territoire de l'UE, hormis les produits animaux qui relèvent d'un PIF. Ces points sont essentiels pour garantir que les produits importés respectent les normes sanitaires et de sécurité de l'UE. Les produits alimentaires ou agricoles non animaux doivent passer par un PEC.

* 71 Règlement européen 2017/625, 178/2002 et 2019/1793.

* 72 Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA)

* 73 Les BRICS + sont un groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran.

* 74 Un projet d'agence de l'internationalisation est à l'étude.

* 75 La politique commerciale extérieure est une compétence exclusive de l'Union européenne.

* 76 Rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Gisèle Jourda et Viviane Malet, sur « la gestion des déchets dans les outre-mer », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

* 77 Règlement (UE) 2024/1157 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 relatif aux transferts de déchets, modifiant les règlements (UE) n° 1257/2013 et (UE) 2020/1056 et abrogeant le règlement (CE) n° 1013/2006Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

* 78 6,7 millions d'euros dont 5 millions d'euros par l'AFD.

* 79À La Réunion, la centrale EDF fonctionne au biocarburant depuis fin 2023.

* 80 Électricité de Mayotte

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