B. LES PREMIERS PAS DE L'OFB OU LA DÉLICATE MISSION DE CONCILIER DEUX CULTURES ÉLOIGNÉES ET DE FÉDÉRER SES AGENTS AUTOUR D'UN NOUVEAU PROJET D'ÉTABLISSEMENT

Avant même que le législateur ne soit saisi du projet de loi portant création de l'OFB, le Gouvernement avait anticipé le processus de fusion de l'AFB et de l'ONCFS en confiant en novembre 2018 une mission de préfiguration à Pierre Dubreuil, alors directeur général délégué du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), pour assumer la fonction de directeur général chargé de la préfiguration du nouvel établissement.

Une année de préfiguration a ainsi précédé la création de l'établissement afin de régler les aspects administratifs de la fusion : dialogue social, conduite du changement, gestion des personnels, requalification des emplois, harmonisation du temps de travail, rationalisation des implantations immobilières, rapprochement des systèmes d'information, aspects financiers et budgétaires, etc. Dans son rapport précité, la Cour des comptes a relevé que la direction générale de l'OFB avait accompagné de manière volontariste les premiers pas de l'établissement afin qu'il s'approprie ses nouvelles missions et concilie deux cultures administratives assez dissemblables : « la volonté du législateur, en créant l'OFB, d'en faire l'intervenant central de la préservation de la biodiversité à travers son rôle d'interface avec les autres acteurs de cette politique constituait un défi complexe que l'établissement a cherché à relever sans délai. »

1. Le développement d'une culture d'établissement et l'élaboration de nouvelles procédures de travail entravés par la crise sanitaire

L'OFB, produit de la fusion de deux établissements publics ayant chacun sa culture administrative propre, a constitué un enjeu managérial de premier plan. Il a fallu définir des modalités de coopération entre des agents remplissant des missions complémentaires mais différentes, qui a représenté un vrai défi, que l'OFB n'a pas encore pleinement surmonté malgré ses indéniables efforts.

Cette fusion a nécessité un accompagnement important et un dialogue social exigeant pour assurer la mise en place de l'office dans de bonnes conditions, notamment en favorisant l'émergence d'une culture commune entre les personnels provenant des différents opérateurs fusionnés et en rapprochant deux cultures policières de l'environnement distinctes. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2021-2025 insistait fortement sur cette dimension essentielle à la réussite de la fusion, en reconnaissant que « la mise en oeuvre du plan de formation des agents, ainsi que l'efficacité du dispositif d'accompagnement des changements et de prévention des risques professionnels notamment psychosociaux sont incontournables. La mise en place de référentiels managériaux permettant de formaliser des processus et méthodes de travail communs, la construction de documents de programmation établissant clairement les priorités des services, et leur partage avec l'ensemble des agents sont également prioritaires. »

Contestant l'atteinte des objectifs assignés par le COP sur ces aspects fondamentaux, les syndicats représentatifs du personnel ont émis un bilan critique et sévère de la conduite du changement par la direction générale, générant un profond mal-être au travail de certains agents au sein de l'établissement, qui a rendu nécessaire la mise en place d'un plan d'actions dédié. Si, comme l'a indiqué le syndicat FO-OFB, « le temps nécessaire à la formation pour acquérir une culture, des pratiques et des compétences communes était un élément prévisible », ces délais d'acculturation ont insuffisamment été pris en compte au moment de la préfiguration et de la fusion.

Le syndicat de l'environnement, de la forêt et l'agriculture EFA-CGC a ainsi mentionné à la mission d'information que les premiers temps de l'OFB ont été caractérisés par « une chute des résultats sur l'ensemble des actions : avis techniques, procédures judiciaires, rapports de manquement ou bien encore rapportage. De nombreux facteurs en sont responsables : découverte d'un nouveau métier, manque de formation, de stratégie, d'appétence, différence sur la conception du métier. Il faut rajouter à cela le transfert de mission comme celle de la mobilisation citoyenne aux équipes de terrain sans apport d'effectif. Et une démotivation des personnels, voire un certain mal-être. »

Ces constats ont été confirmés par le rapport de la Cour des comptes publié en juillet dernier, qui indique que « la fusion de l'AFB et de l'ONCFS s'est déroulée en temps contraint, dans un contexte percuté par la crise sanitaire, entre deux établissements dont l'organisation et les modes de gestion différaient parfois fortement. Elle s'est accompagnée de nombreux signalements de souffrance au travail (52 signalements portés au registre santé et sécurité au travail en 2020 [...]) ».

Les représentants du syndicat FO-OFB ont quant à eux indiqué que l'extension des compétences des agents « à des missions parfois totalement nouvelles a été un point difficile à assumer pour beaucoup. Une culture commune ne se décrète pas mais se construit au fil du temps, comme ça a pu être le cas avec la fusion des DDAF avec les DDE qui a abouti aux DDT21(*). » De nombreuses évolutions institutionnelles sont en effet intervenues dans un intervalle de temps bien inférieur à la durée d'une carrière professionnelle, l'OFB prenant notamment la suite de l'AFB, un établissement lui-même issu de la fusion de quatre établissements publics, créé seulement trois ans auparavant. Selon la CGT Environnement, « les écarts culturels entre établissements ont été négligés durant la préfiguration et globalement sous-estimés », certains représentants syndicaux évoquant même le « choc de la fusion pour les personnels, mélange des cultures et des méthodes de travail ». L'adaptation des traditions des établissements à une nouvelle culture commune n'est toujours pas achevée et doit se poursuivre : la mission d'information salue à cet égard la clairvoyance de la direction générale de l'OFB sur ce point et l'énergie qu'elle consacre pour y remédier.

Ces fusions successives ont généré une instabilité institutionnelle perturbante pour de nombreux agents et des incertitudes sur le déroulé de leur carrière. À cela s'est ajoutée une exigence accrue sur les aptitudes professionnelles : les missions de surveillance du territoire et de contrôle impliquent désormais davantage de connaissances techniques et de culture juridique, ce qui a pu être vécu par certains agents comme une contrainte.

Une enquête menée en 2021 auprès de l'ensemble des agents de l'OFB a ainsi identifié trois principaux facteurs de risques au travail au sein de l'établissement : « la perte de sens du travail, un manque de reconnaissance et des exigences de travail très fortes ». Les représentants des syndicats ont indiqué à la mission d'information que plus de 75 % des répondants considèrent que leurs exigences de travail (quantité de travail et charge mentale) sont dégradées, voire très dégradées, et près de 60 % considèrent que cette dégradation est plus sensible depuis la fusion.

La pandémie de Covid-19 a également contrarié le processus de rapprochement des cultures et compliqué l'exercice des missions de terrain. Pour les représentants syndicaux, le contexte sanitaire a conduit au retard et à la mise en suspension du processus de rapprochement des cultures d'établissement, car les difficultés de fond - écart culturel, d'imaginaires, de pratiques et de priorités - n'ont pas pu être correctement traitées au sein des équipes par le personnel d'encadrement. Les mesures sanitaires décidées au niveau national ont également généré d'importantes frustrations : le syndicat FO-OFB a ainsi indiqué que « la mise en confinement des agents de terrain en charge de missions de police judiciaire de préservation de l'environnement a été une grave erreur. Les agents concernés se sont perçus comme inutiles et la vacuité de leurs journées a gravement perturbé l'acceptation de leur nouveau périmètre professionnel. »

La fusion, en dépit d'une préfiguration jugée satisfaisante par les autorités de tutelle, a ainsi été porteuse de risques psychosociaux avérés, qui ont conduit de façon dramatique au suicide de quatre agents entre décembre 2019 et juillet 2021, même s'il convient d'être prudent dans la détermination des causalités du passage à l'acte, le suicide étant un phénomène multifactoriel dans lequel le rôle joué par les conditions professionnelles reste difficile à isoler. L'établissement a pris la mesure de la gravité de ces situations critiques, en instaurant des mesures d'accompagnement du personnel (notamment une plateforme d'écoute et de soutien et un accompagnement psychologique personnalisé), réunissant des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail exceptionnels et en diligentant des enquêtes.

Face à cet immense défi managérial, la direction générale de l'établissement a fait le pari de la formation du personnel, partant du principe qu'elle favoriserait l'accélération du processus de fédération des agents des établissements antérieurs et des nouvelles recrues de l'OFB autour d'une culture commune et partagée. C'est la raison pour laquelle a été élaboré, dès avril 2020, le parcours de formation « OFB + 2020 », un ensemble de formations visant à répondre aux objectifs suivants : développer les compétences nécessaires à l'exercice et à l'évolution des métiers ; favoriser la construction d'une approche commune de ces métiers ; amorcer une culture managériale commune ; contribuer à la constitution et au développement d'un processus d'accompagnement au changement.

La fusion a également conduit à harmoniser et revaloriser le statut des agents, une évolution jugée indispensable par les parlementaires au cours de la discussion du projet de loi, au regard des responsabilités nouvelles confiées à l'établissement public. À l'époque, cette disposition était de nature réglementaire, et non législative : c'est la raison pour laquelle le Parlement a demandé que lui soit remis un rapport relatif aux enjeux liés à la requalification des agents techniques de l'environnement en techniciens de l'environnement et aux voies d'accès à la catégorie statutaire A d'une partie des personnels occupant des fonctions d'encadrement22(*) afin de marquer sa volonté qu'il soit procédé aux requalifications nécessaires à la montée en compétence des agents de l'OFB.

La création de l'OFB s'est ainsi accompagnée d'une évolution statutaire des personnels techniques, à travers un plan de requalification de l'essentiel des agents techniques de l'environnement (ATE) et l'assouplissement des règles encadrant la promotion interne vers le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (IAE) pour les techniciens de l'environnement exerçant des fonctions de chefs de service départemental. Dans son rapport sur l'OFB de juillet 2024 précité, la Cour des comptes a approuvé cette démarche de requalification, relevant que « ces deux mesures répondent au constat de l'augmentation de la taille des services départementaux, et de la technicité et des responsabilités de ces agents, en lien direct avec les préfets, les procureurs et les services déconcentrés de l'État à l'échelle départementale23(*). »

En dépit des efforts mis en oeuvre par l'établissement et des progrès notables, la culture d'une partie significative du personnel demeure cependant imprégnée de l'héritage administratif de l'un ou l'autre des établissements fusionnés. L'OFB n'a toujours pas achevé sa mue administrative et n'est pas encore parvenu à pacifier le climat social autour d'une culture d'établissement et de priorités partagées. La Cour des comptes a indiqué dans son rapport précité que le climat social restait tendu, « signe de l'écart culturel existant entre les deux établissements fusionnés, mais aussi de la perception d'une surcharge de travail et d'une perte des repères antérieurs. La prévention des risques psychosociaux et la construction d'une culture d'établissement doivent donc se poursuivre. »

La mission d'information partage ce constat, tout en soulignant que l'Office français de la biodiversité a été créé il y a moins de cinq ans24(*), que plusieurs défis de taille ont pesé sur son intégration administrative, dont la crise sanitaire et la colère du monde agricole du début d'année 2024 ne sont pas les moindres, et que la dernière stratégie nationale consacrée à la biodiversité n'a été présentée qu'en novembre 2023, ce qui a retardé l'intégration de l'OFB dans le paysage administratif des opérateurs de l'État.

De plus, la sociologie administrative nous rappelle que l'avènement d'un opérateur unique, capable de fédérer ses agents autour d'un projet partagé, requiert une temporalité assez longue pour produire les effets attendus, à l'exemple de l'Ademe, produit de la fusion au 1er janvier 1992 de trois établissements publics antérieurs25(*), auquel il a fallu environ une décennie pour réussir la pleine intégration des agents.

2. Le reproche fait à l'établissement public d'avoir délaissé ses missions cynégétiques

Héritier d'une partie des missions de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, compétent pour le suivi et la régulation des activités cynégétiques, l'OFB constitue désormais, en application de la loi26(*), l'opérateur de l'État qui contribue à l'exercice des missions de police administrative et judiciaire relatives à la chasse et de missions de police sanitaire en lien avec la faune sauvage. Il est également chargé d'une mission d'expertise et d'assistance en matière d'évaluation de l'état de la faune sauvage et de gestion adaptative des espèces. C'est à ce titre que l'OFB assure notamment la surveillance de la population de loups et de lynx en France.

La création de l'OFB marque une nette évolution des politiques publiques relatives à la chasse ainsi qu'un changement de culture : les enjeux cynégétiques sont désormais intégrés aux enjeux de la biodiversité. Les missions de gestion de ressources naturelles, qui constituaient le coeur de métier de l'ONCFS, ont laissé place à des missions de préservation des milieux et de conservation des espèces. Certains membres siégeant au conseil d'administration de l'OFB ont indiqué que les nouveaux agents recrutés par l'établissement public avaient une familiarité moindre avec les enjeux liés à la chasse et une appétence plus faible à l'exercice des missions de police, alimentant le sentiment de dilution des connaissances cynégétiques des agents de l'OFB perçu par le monde de la chasse.

Ainsi, la fédération nationale des chasseurs (FNC) déplore une « énorme perte de connaissance en matière de police comparativement à ce qui existait au temps de l'ONCFS ». Elle estime que l'OFB s'est mis en retrait par rapport aux partenaires traditionnels de l'ONCFS et a insuffisamment pris le relais de l'ONCFS pour assurer les missions d'étude de la faune sauvage et de suivi du petit gibier : « l'OFB se désengage de plus en plus de la gestion de la faune sauvage chassable, concentre tous ses efforts sur les espèces emblématiques et veut orienter ses actions sur les zones à enjeux ».

D'autres acteurs ont également dénoncé auprès de la mission d'information un moindre investissement de l'établissement dans l'exercice de ses missions au titre de la chasse et une perte d'expertise cynégétique globale parmi les agents. La Cour des comptes, dans un rapport public thématique de juillet 202327(*), a corroboré ce constat : « les agents des services départementaux de l'OFB consacrent entre 15 et 20 % de leur temps à la police de la chasse, essentiellement sur le respect des règles de sécurité. C'est beaucoup moins que le temps (40 %) que pouvaient y consacrer les agents de l'ex-Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), fusionné au sein de l'OFB. Il en résulte en outre une perte de compétences et d'expérience cynégétiques. »

Le temps consacré à la police de la chasse se réduit d'année en année, ce qui explique que les fédérations départementales des chasseurs relèvent de plus en plus d'infractions au titre de la police de la chasse. Même si 31 % des contrôles sont réalisés au titre de la police de la chasse28(*), le syndicat Unsa Écologie explique ce phénomène par le fait que l'OFB n'est plus en mesure de prioriser correctement les missions qui lui sont assignées : « à trop vouloir confier de missions à cet opérateur, il en résulte un émiettement qui ne profite à aucun objectif assigné, n'améliore rien et ne résout rien. » Lors de la présentation des activités de police au cours de la séance du conseil d'administration du 16 mars 2023, il a ainsi été indiqué que le nombre total d'infractions relevées au titre de la police de la chasse a baissé de 87 % entre 2019 et 2022.

Aux yeux de nombreux parlementaires, ce désengagement était prévisible puisqu'il se déduit de l'intitulé même de l'établissement public, qui ne comporte aucune référence à la chasse. Plusieurs députés ont déploré ce changement intervenu en commission à l'Assemblée nationale29(*), à l'instar de Gérard Menuel, qui indique que « refuser de faire figurer le mot chasse dans son intitulé est, au point de devenir symbolique, significatif : ne pas prendre en compte cet élément revient en effet à instiller le doute quant à ce que vous appelez une fusion entre ces deux organismes. Vous ne nous empêcherez pas de penser - et d'affirmer - que ce texte prévoit non une fusion de ces deux organismes, mais bel et bien une absorption de l'ONCFS par l'AFB30(*) ». Un constat partagé par le député Martial Saddier, dénonçant un fâcheux oubli : « si vous fusionnez la biodiversité et la chasse, mes chers collègues de la majorité, le nom de la future entité doit faire apparaître ces deux domaines. Nous savons tous combien le nom d'une structure porte son identité et reflète sa mission31(*). »

Sensible à la place particulière qu'occupe le monde cynégétique dans les politiques en faveur de la biodiversité, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat avait souhaité réparer cette omission en renommant l'établissement produit de la fusion « Office français de la biodiversité et de la chasse ». Cette dénomination, également adoptée en séance publique, n'a malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire.

La direction générale de l'OFB admet avoir priorisé les opérations de police cynégétique pour tenir compte de la réforme de la chasse mise en oeuvre par la loi de 2019 créant l'établissement public, avec l'extension des compétences des fédérations départementales de chasseurs. Ces dernières sont désormais chargées de gérer les associations communales et intercommunales de chasse agréées, de coordonner leurs actions, ainsi que mettre en oeuvre le plan de chasse arrêté par le préfet par l'attribution des plans de chasse individuels, mais également de collecter les données de prélèvements des spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative.

Pour des raisons de priorisation mais également d'enjeux, l'OFB a ainsi recentré ses missions de police sur les objectifs de la stratégie nationale de contrôle du 4 mars 2020 fixés par la direction de l'eau et de la biodiversité32(*) : la sécurité à la chasse, les espèces dites à enjeu, les espèces soumises à prélèvement maximum autorisé, des thématiques telles que le plomb en zone humide ou le braconnage en bande organisée. Il opère un contrôle moins minutieux des plans de chasse des espèces qui se portent bien.

La lutte contre le braconnage de nuit a également reflué car cette activité se réalise principalement les week-ends et jours fériés, journées pendant lesquelles les agents de l'OFB ne sont pas présents sur le terrain, la continuité du service étant alors assurée par un système d'astreintes téléphoniques. Ainsi que l'indiquent les représentants du syndicat FO-OFB, « les missions de lutte anti-braconnage sont extrêmement chronophages et nos effectifs ne nous permettent pas de maintenir une pression constante sur cette thématique. Les missions sont donc désormais beaucoup plus ponctuelles. » Ce constat est également partagé par les gestionnaires d'aires protégées entendus par la mission d'information. Un bon mot circule à ce sujet parmi les fédérations départementales des chasseurs, selon lequel « un chasseur a plus de chances de gagner au loto que d'être contrôlé par l'OFB ».

Plusieurs organisations syndicales représentatives du personnel de l'OFB déplorent ce désengagement, à l'instar de CGT Environnement qui indique que « la police de la chasse (plan de chasse) n'est plus une priorité pour notre établissement, hormis le contrôle de la sécurité à la chasse. Le nombre total de procédures judiciaires à l'encontre du loisir chasse a baissé par rapport à ce qui était déclaré par l'ONCFS ». L'Unsa Écologie regrette quant à elle un « véritable abandon d'une mission régalienne confiée à cet opérateur par le législateur ». Pour le syndicat national de l'environnement SNE-FSU, ce recentrage des missions cynégétiques à proportion des enjeux et des orientations politiques définies par les tutelles est cohérent avec la logique qui a prévalu lors de la fusion : « le champ de compétence de l'OFB est plus large que celui de l'ONCFS, il est donc naturel que la mission police de la chasse n'ait plus autant d'importance au vu de l'ensemble des missions ».

Il est cependant à noter, malgré le désengagement bien réel de l'OFB en matière de police de la chasse, que peu de services de l'État ou opérateurs publics disposent d'une expertise cynégétique aussi développée que l'OFB. Les inspecteurs de l'environnement suivent en effet, au cours de leur parcours de formation initiale, une semaine obligatoire consacrée au droit cynégétique, à la préparation et la validation du permis de chasser. Les agents des services territoriaux consacrent en moyenne 15 à 20 % de leur activité sur le terrain à des missions de police de la chasse. La mission d'information estime que le temps consacré aux interventions territoriales en matière de chasse ne doit pas descendre en deçà d'un seuil de 15 % du temps passé sur le terrain, faute de quoi l'expertise cynégétique de l'établissement ne serait plus assurée.

Il a en outre été indiqué à la mission d'information que les dégâts causés par le gibier aux exploitations forestières sont insuffisamment quantifiés33(*) : il est nécessaire que l'OFB, conjointement avec l'ONF, puisse assurer un meilleur suivi des populations de grand gibier et estimer de façon plus précise les régulations que les chasseurs peuvent mettre en oeuvre pour réduire les dégâts forestiers et agricoles sans nuire à la biodiversité.

Recommandation n° 1 : Accroître le rôle de l'OFB dans les missions de surveillance de l'équilibre agro-sylvo-cynégétique, aux côtés de l'ONF.

Enfin, l'OFB est également chargé, pour le compte de l'État, de l'organisation de l'examen du permis de chasser ainsi que de la délivrance du permis de chasser34(*). Ce sont les fédérations départementales des chasseurs qui assurent la préparation à l'examen du permis de chasser, à travers des formations et la mise à disposition de terrains et de locaux. D'après les données transmises par l'OFB, les services chargés d'organiser les épreuves du permis de chasser reçoivent chaque année approximativement 35 000 candidats et délivrent plus de 24 000 permis, pour un délai de traitement avoisinant les deux mois.

Willy Schraen, président de la fédération nationale des chasseurs (FNC), déplore « un embouteillage pour que les candidats puissent accéder aux sessions de l'examen au printemps et en été, avec des délais trop longs, de nature à dissuader les candidats ». D'après la fédération nationale, un effectif de 28 inspecteurs est notoirement insuffisant pour répondre à la demande des candidats, avec des délais pouvant aller jusqu'à six mois dans certains départements. En outre, elle considère que l'instruction des dossiers n'est pas en phase avec les évolutions de la relation entre l'administration et le public, car il suppose encore la transmission matérielle de certaines des pièces demandées. À cet égard, il pourrait être opportun d'évaluer les voies et moyens d'une association plus étroite des fédérations départementales de chasse dans l'organisation administrative du permis de chasser, pour simplifier les démarches d'inscription et fluidifier les délais de passage de l'examen.

Le constat d'un établissement public moins-disant en matière de police de la chasse par rapport à l'ONCFS est largement étayé et reconnu par la direction générale. La mission d'information déplore ce délaissement des missions cynégétiques et fait siennes les recommandations formulées par le rapport sénatorial sur la sécurité à la chasse35(*), notamment à travers le renforcement de l'examen du permis de chasser en rendant obligatoire la maîtrise des armes semi-automatiques, une épreuve jugeant les conditions de tir et la préservation des effectifs de l'OFB en matière de police de la chasse, afin de conforter le niveau de connaissances, de maîtrise de l'arme et d'habileté au tir qu'atteste le permis de chasser français au niveau des standards européens.

Le lien entre l'OFB et le monde de la chasse doit cesser de se distendre, d'autant plus que les chasseurs sont des contributeurs au financement de la biodiversité, notamment à travers le programme écocontribution36(*). Les compétences cynégétiques de l'établissement doivent être préservées et continuer à faire l'objet de formations spécifiques des agents : il s'agit en effet de missions clés pour l'exercice desquelles l'autorité, l'indépendance et l'impartialité de l'établissement public sont indispensables.

3. Les incertitudes sur la pérennité du financement de l'établissement à moyen terme et une débudgétisation décriée

De la même façon que les effectifs des opérateurs antérieurs ont été versés à l'établissement public nouvellement créé, le financement du premier exercice comptable de l'OFB a été assuré par l'addition des budgets de chacun des deux établissements, reposant majoritairement sur le prélèvement de redevances perçues par les agences de l'eau. En 2019, la contribution annuelle des agences de l'eau représentait la quasi-totalité des moyens budgétaires de l'AFB (243 millions d'euros) et une proportion significative de ceux de l'ONCFS (37 millions, soit un tiers de ses recettes).

Pour l'année 2020, la contribution des agences de l'eau au budget de l'OFB était également prédominante, avec un prélèvement fixé en loi de finances à hauteur de 332 M€, soit 78 % de l'ensemble des produits perçus par l'établissement. Cette situation de dépendance marquée aux redevances assises sur la facture d'eau a été dénoncée comme un facteur de fragilité des perspectives financières de l'établissement.

Plusieurs parlementaires avaient à l'époque plaidé pour un rééquilibrage des recettes au profit des dotations budgétaires et une diversification accrue des sources de financement de l'OFB. Le député Martial Saddier, par ailleurs président du comité de bassin Rhône-Méditerranée, s'est dit inquiet lors des débats parlementaires d'un risque de contribution additionnelle des agences de l'eau pour combler un déficit de financement de l'OFB estimé à 31 M€ à compter de 2020 : « La réduction pour moitié du prix du permis de chasse annoncé par le Président de la République représente 21 millions en moins. Par ailleurs, comme les travaux en commission l'ont mis en lumière, en contrepartie du versement de 5 euros par permis de chasse opéré par chaque fédération départementale, l'État verserait - j'emploie le conditionnel - 10 euros. Si les fédérations versent 5 millions d'euros, l'État devra en acquitter 10, ce qui, au total, représente bien 31 millions d'euros manquants à partir du 1er janvier 2020. »

Jean-Claude Luche, rapporteur pour le Sénat du projet de loi, avait quant à lui souligné la tendance observée ces dernières années à substituer aux crédits budgétaires de l'État un prélèvement sur les ressources des agences de l'eau. Plusieurs sénateurs avaient notamment questionné l'acceptabilité du schéma de financement de l'OFB, qui suscite des débats animés au sein des comités de bassin du fait de sa contrariété au principe selon lequel « l'eau paie l'eau » : il obère notamment les capacités d'intervention des agences de l'eau aux côtés des collectivités territoriales pour soutenir les investissements en matière d'entretien des réseaux d'adduction d'eau potable et des équipements d'assainissement.

Le financement de l'OFB ne s'est en effet pas inscrit sous les meilleurs auspices au moment de sa création, avec un budget prévisionnel dont les dépenses non couvertes représentent près de 40 millions d'euros, soit 12 % du nouveau budget consolidé. Trois raisons sont à l'origine de cette situation :

- la loi de finances pour 2019 a fixé les redevances cynégétiques nationale et départementale annuelles à un montant identique de 44,5 euros : l'alignement de ces deux montants s'est traduit par une baisse de la redevance nationale de près de 80 %, générant une diminution du budget de l'ONCFS d'environ 21 millions d'euros pour 2019, alimentant un déficit de financement équivalent pour l'OFB ;

- la réforme des actions en faveur de la biodiversité financées par les chasseurs, à travers l'écocontribution37(*) : en contrepartie du versement annuel de 5 euros par permis de chasser par la fédération départementale des chasseurs dans un fonds dédié, l'État abondera 10 euros par permis de chasser départemental. Cette dépense nouvelle portée par l'ONCFS, d'un montant estimé à 10 millions d'euros, a créé pour l'OFB un engagement financier de même montant ;

- le coût du transfert de la fixation des plans de chasse de l'autorité préfectorale à la fédération départementale des chasseurs, estimé à environ 9 millions d'euros, a constitué le troisième élément de fragilité des perspectives financières de l'OFB.

Ces craintes initiales concernant le financement de l'établissement public ont cependant été levées grâce à la progression soutenue depuis 2020 des dotations budgétaires38(*) et aux versements exceptionnels du plan « France Relance », à hauteur de 85 millions d'euros complémentaires en 2021 et 2022, qui ont permis de combler les déficits de financement existant au moment de sa création.

Le législateur budgétaire a pris la mesure des besoins de financement nécessaires à l'accomplissement des missions de l'établissement nouvellement créé et à l'atteinte des ambitieux objectifs que s'est fixés notre pays en faveur de la biodiversité. Malgré cela, l'OFB demeure un opérateur moins financé que ses homologues européens, ainsi que l'a montré le rapport de la Cour des comptes de juillet 202439(*). Ce point sera abordé dans la troisième partie du présent rapport d'information.


* 21 Direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF), direction départementale de l'équipement (DDE) et direction départementale des territoires (DDT).

* 22 Article 18 de la loi n° 2019-773 portant création de l'OFB.

* 23 Page 45 du rapport de juillet 2024 de la Cour des comptes.

* 24 Comme l'a rappelé lors de son audition le syndicat national de l'environnement SNE-FSU, « l'OFB est un jeune établissement à qui l'on demande beaucoup ».

* 25 Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME), Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (Anred) et Agence pour la qualité de l'air (AQA).

* 26 Sur le fondement des 2° et 3° de l'article L. 131-9 du code de l'environnement.

* 27 Rapport public thématique de la Cour des comptes, Les soutiens publics aux fédérations de chasseurs. La contrepartie de missions de service public à mieux exercer, juillet 2023.

* 28  https://www.ofb.gouv.fr/controles-administratifs-et-procedures-judiciaires

* 29 Le projet de loi déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale faisait référence à l'établissement par juxtaposition du sigle des deux établissements publics antérieurs, « AFB-ONCFS ». La dénomination de l'établissement a, entre temps, fait l'objet d'une consultation interne aux deux structures, à laquelle 2 300 personnes sur les 2 700 sollicitées ont répondu. Au terme de la semaine de consultation, la dénomination « Office français de la biodiversité » a recueilli le maximum de suffrages et fut intégré au texte par le biais d'un amendement gouvernemental.

* 30  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2018-2019/premiere-seance-du-mercredi-23-janvier-2019#1590904

* 31  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2018-2019/premiere-seance-du-mercredi-23-janvier-2019#1591114

* 32 Avec entre autres les priorités suivantes en matière de pratique de la chasse : garantir l'exercice d'une chasse durable, lutter contre le braconnage et le trafic des espèces protégées et assurer la surveillance sanitaire de la faune sauvage.

* 33 Sur ce point, voir le rapport de la mission parlementaire conduite par le sénateur Jean-Noël Cardoux et le député Alain Perea, Restaurer l'équilibre agro-sylvo-cynégétique pour une pleine maîtrise des populations de grand gibier et de leurs dégâts à l'échelle nationale, publié en mars 2019 :

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Rapport-Perea-Cardoux_degats-grand-gibier-chasse_mars2019.pdf

* 34 En vertu de l'article L. 131-9 du code de l'environnement.

* 35 Rapport d'information n° 882 (2021-2022), déposé le 14 septembre 2022, par Maryse Carrère et Patrick Chaize, La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société.

* 36  https://www.ofb.gouv.fr/le-programme-ecocontribution

* 37 Entre 2019 et 2023, plus de 800 projets ont ainsi été co-financés par l'OFB et les chasseurs, avec une contribution de près de 44 millions d'euros ayant servi à financer plus de 800 actions en faveur de la biodiversité.

* 38 C'est au programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », que sont inscrits les crédits budgétaires versés à l'OFB et notamment la subvention pour charges de service public, qui a servi à couvrir une partie de son déficit budgétaire.

* 39 « L'Espagne attribue à ses agences la dotation la plus élevée en matière de protection de la biodiversité et la France l'une des moins élevées des cinq pays étudiés, en deçà des moyens attribués à ses homologues suédois, allemand et italien. » Rapport de la Cour des comptes de juillet 2024, page 18.

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