LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 : Finaliser, dans les plus brefs délais, une stratégie d'articulation des canaux bilatéraux et multilatéraux de l'aide publique au développement française (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

Recommandation n° 2 : Constituer un tableau de bord interministériel, recensant l'ensemble des contributions internationales de la France et leurs échéances, qui serait publié dans un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

Recommandation n° 3 : Confier au comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) le pilotage de nos contributions internationales (Premier ministre, Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

Recommandation n° 4 : Réviser les indicateurs de performance des programmes 105, 110 et 209 pour, d'une part, harmoniser ceux relatifs aux frais de gestion et, d'autre part, étendre les indicateurs de performance transversaux aux trois programmes budgétaires (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

Recommandation n° 5 : Réaliser, sous la forme d'une revue de dépenses, une évaluation de l'ensemble de nos contributions internationales afin de déterminer celles dont le renouvellement ne serait pas pertinent (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

I. MALGRÉ UNE FORTE CROISSANCE DE SES CONTRIBUTIONS MULTILATÉRALES, LA FRANCE NAVIGUE TOUJOURS À VUE EN LA MATIÈRE

A. LES CONTRIBUTIONS MULTILATÉRALES DE LA FRANCE ONT CONNU UNE FORTE PROGRESSION DEPUIS 2017

1. Les contributions multilatérales françaises ont progressé de moitié depuis 2017, principalement au bénéfice de l'APD

Les contributions internationales correspondent à des versements financiers de trois types : les contributions obligatoires ou volontaires au budget des organisations internationales, les contributions à des fonds fiduciaires ou concessionnels et les prises de participation au capital de banques de développement. Dans son enquête, la Cour des comptes identifie trois logiques d'action pour ce canal multilatéral :

une logique d'influence politique, soit la capacité pour un État à peser dans les grandes institutions multilatérales, en premier lieu le système des Nations unies ;

une logique d'aide au développement, définie par l'OCDE comme l'aide fournie par les États dans le but exprès de promouvoir le développement économique et d'améliorer les conditions de vie dans les pays en développement1(*) ;

une logique de préservation des biens publics mondiaux2(*), comme la santé publique ou la sécurité alimentaire, ne pouvant relever d'une seule logique de marché.

Ces trois logiques ne sont pas exclusives. La contribution de la France au Programme alimentaire mondial des Nations unies poursuit une triple logique d'influence (peser dans une instance onusienne), d'aide au développement (en orientant ses versements vers les pays les moins avancés) et de préservation d'un bien public mondial (la sécurité alimentaire).

En accord avec les rapporteurs spéciaux, la Cour a pris en compte, dans le périmètre de son enquête, les contributions relevant du programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État », des programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement » et des actions multilatérales financées par le Fonds de solidarité pour le développement (FSD). L'ensemble de ce périmètre, qui excède le strict champ de la mission APD, permet de couvrir la majorité (66 %) des contributions françaises.

Évolution des contributions multilatérales sur la période 2017-2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

Note : ce total regroupe les contributions relevant des programmes budgétaires 105, 110, 209 et du Fonds de solidarité pour le développement.

Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes

La période 2017-2023 se caractérise par une progression de près de 46 % du total des contributions internationales sur ce périmètre. Le montant des versements français à la sphère multilatérale représentait 4,4 milliards d'euros en 2023. Cette augmentation significative traduit, sur le plan multilatéral, les efforts conséquents entrepris en matière d'aide publique au développement depuis 2017. Selon la Cour : « Cette croissance rapide a été orientée principalement vers des dépenses éligibles à l'aide publique au développement, en application des règles du Comité d'aide au développement de l'OCDE ».

2. Alors que la loi de programmation prévoyait un recours accru au canal bilatéral, sans doctrine claire, la France utilise davantage le canal multilatéral que ses partenaires dans son APD

Cette augmentation continue des contributions internationales au sein de l'APD française apparaît en décalage avec les objectifs fixés par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. L'article 2 de la loi de programmation fixait en effet comme objectif que la composante bilatérale de l'APD française atteigne, en moyenne, 65 % du total sur la période 2022-2025. Or, en moyenne, sur la période 2017-2022, la composante multilatérale représentait plus de 40 % de l'APD française.

L'usage intensif du canal multilatéral contribue, à cet égard, à distinguer la France par rapport aux autres grands États donateurs. Par comparaison, le volet multilatéral représentait sur 2018-2022 seulement 24 % de l'APD allemande.

Les rapporteurs notent cependant avec intérêt que la France a de plus en plus recours aux contributions volontaires. Entre 2017 et 2023, ce type de versements a en effet doublé, traduisant un « virage des contributions volontaires », amorcé par la France plus tardivement que ses partenaires. La progression de la part des contributions volontaires dans le total des contributions françaises s'explique par un choix de l'État français mais aussi par la contraction de la part relative de la France dans l'économie mondiale, les barèmes des contributions obligatoires aux organisations internationales étant généralement calculés selon le revenu national brut des États parties.

Par rapport aux contributions obligatoires, les contributions volontaires offrent aux donateurs la possibilité d'orienter ces financements vers leurs priorités géographiques ou thématiques. La pratique du « fléchage » des contributions permet une « rebilatéralisation » de ces contributions multilatérales. Si la France était traditionnellement rétive à mobiliser ce levier d'influence, la part des contributions fléchées progresse depuis 2019.

La direction générale du Trésor comme la direction générale de la mondialisation soulignent cependant l'utilité de conserver une part de contributions non-fléchées aux organisations internationales. Le directeur général du Trésor, Bertrand Dumont, a souligné en ce sens que « Si nous transformons cette aide en manteau d'Arlequin de contributions bilatérales, la tâche devient impossible. Quand on lutte contre la pauvreté ou le réchauffement climatique, il ne faut pas que 20 contributeurs de tel ou tel fonds aient 20 sous-priorités qui rendent le dispositif illisible »3(*). Les rapporteurs spéciaux ont, par ailleurs, pu constater dans un précédent rapport sur l'aide alimentaire en matière d'APD l'utilité des contributions flexibles aux organisations internationales4(*). Contrairement aux financements fléchés, ce type de contribution permet, au sein d'organismes assurant une aide humanitaire d'urgence comme le Programme alimentaire mondial (PAM), de financer des capacités opérationnelles d'urgence.

Évolution de la répartition entre contributions volontaires
et contributions obligatoires sur la période 2017-2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

Note : le périmètre se limite aux contributions des programmes 105, 110 et 209 et du FSD.

Source : commission des finances, d'après l'enquête de la Cour des comptes

En parallèle de l'objectif de montée en puissance de la part de l'APD bilatérale, la loi de programmation prévoyait également la définition d'une doctrine de répartition entre les canaux multilatéraux et bilatéraux de l'APD française. Cet objectif a été confirmé par la réunion en juillet 2023 du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), qui a fixé comme horizon la définition d'une stratégie « fin 2023 ». Pour autant, comme le note sobrement la Cour des comptes, « Plus d'un an après la réunion du conseil présidentiel du 5 mai 2023, la stratégie d'articulation des canaux bilatéraux et multilatéraux n'a toujours pas été produite ». Les conclusions du Cicid avaient déjà permis d'identifier une grande ligne de partage : le volet bilatéral doit permettre une visibilité et une mobilisation plus politique de l'aide tandis que le volet multilatéral doit offrir un « effet levier » pour mobiliser d'autres contributeurs.

Dans l'attente de la publication de cette stratégie, l'enquête de la Cour a permis d'identifier, à défauts de critères objectifs, de « bonnes pratiques » observées dans certains champs d'intervention de l'APD française. Pour ce faire, la Cour des comptes s'est appuyée sur des déplacements de terrain, en Côte d'Ivoire et en Égypte. Elle a retiré le constat d'une complémentarité certaine, dans les pays bénéficiaires, des versements bilatéraux et multilatéraux. Par exemple, en Égypte, le financement de projets dans le secteur des infrastructures, particulièrement coûteux, implique de s'appuyer à la fois sur des versements bilatéraux et des versements multilatéraux, au sein de coalitions de bailleurs. Cette complémentarité entre les financements bilatéraux et multilatéraux n'est cependant pas toujours évidente. Dans la région du Sahel, où plusieurs États se sont fermés à la présence française, la réduction des financements bilatéraux ne s'accompagne pas nécessairement par la reprise des projets en cours par les bailleurs multilatéraux. Cet effet de substitution ne s'observe que dans le cas de projets co-financés par des acteurs bilatéraux et multilatéraux.

Principaux avantages respectifs du recours aux canaux bilatéraux
et multilatéraux de l'aide publique au développement

Canal multilatéral

Canal bilatéral

- Soutien à des zones géographiques où les liens bilatéraux sont moins prononcés (ex : Amérique du Sud) ;

- Structuration de partenariats avec des pays alliés ;

- Substitution au canal bilatéral dans des zones où la présence française est contestée ;

- Financement de problématiques à portée universelle ;

- Financement d'organismes porteurs de normes.

- Soutien à des partenaires traditionnels de la France ;

- Investissement dans des thématiques sur lesquelles la France se positionne en avant-garde ;

- Visibilité de l'aide française.

Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour et l'audition pour suites à donner

En tout état de cause, il apparaît désormais nécessaire que la stratégie d'articulation du canal bilatéral et du canal multilatéral soit finalisée dans les plus brefs délais pour éclairer les décisions d'ouvrir ou de reconduire une contribution internationale.

Recommandation n° 1 : Finaliser, dans les plus brefs délais, une stratégie d'articulation des canaux bilatéraux et multilatéraux de l'aide publique au développement française (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

3. La multiplication des entités bénéficiaires participe d'une complexification de l'environnement institutionnel et porte le risque d'une dispersion des contributions françaises

Les contributions internationales françaises sont dirigées vers une pluralité de bénéficiaires, identifiées par la Cour au sein de cinq catégories :

- le système institutionnel des Nations unies ;

- le système institutionnel découlant des accords de Bretton Woods, rattaché aux Nations unies, et construit autour du Fonds monétaire international (FMI) et du groupe de la Banque mondiale ;

- les banques régionales de développement ;

- l'Union européenne et ses instruments multilatéraux ;

- les entités bénéficiaires disposant d'une organisation autonome.

La période récente se caractérise par deux évolutions significatives.

En premier lieu, la France s'est davantage engagée au sein du système onusien, avec une progression de 43 % de ses contributions depuis 2017. Les opérations de maintien de la paix (OMP), d'une part, les grandes agences et programmes des Nations unies, d'autre part, concentrent la majorité des contributions françaises. Les rapporteurs spéciaux ont pu constater ce réengagement conséquent dans le cadre d'un rapport d'information sur l'aide alimentaire au sein de l'APD française5(*). Entre 2018 et 2023, les contributions de la France aux organismes des Nations unies en matière de sécurité alimentaire ont été multipliées par quatre.

La France participe également à de nombreuses conventions du système onusien, en particulier dans le domaine environnemental. La Cour des comptes juge sévèrement ces contributions, estimant que « des flux très modestes, parfois dérisoires, irriguent un assez grand nombre de conventions dont l'impact réel est souvent limité ».

Répartition des entités bénéficiaires des contributions multilatérales de la France

(en nombre d'entités)

Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes

En second lieu, on peut noter un véritable foisonnement de nouvelles entités issues de la coopération intergouvernementale. Depuis 2021, cette catégorie des « autres entités » est la première bénéficiaire des contributions françaises, avec 1,3 milliard d'euros en 2023. Cette évolution illustre la priorité donnée aux fonds thématiques et aux partenariats ad hoc dans le cadre du renforcement de notre politique d'aide au développement.

Répartition des contributions multilatérales de la France selon le type d'entité bénéficiaires

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour

Or, la multiplication de ce type de structures conduit mécaniquement à la mise en place d'un nouveau siège et d'un secrétariat, avec les coûts de gestion qu'ils impliquent. De plus, le foisonnement de telles initiatives porte un risque de redondance. La Cour cite ainsi l'exemple de l'initiative française de l'Alliance pour la préservation des forêts tropicales et humides, lancée en 2019, venue s'ajouter à l'initiative pour les forêts d'Afrique centrale.

Ces deux mouvements ont ainsi conduit à une complexification et à une stratification du paysage institutionnel international. Un constat qui conduit la Cour à envisager une « rationalisation de ce paysage institutionnel ». S'il est complexe d'imaginer la suppression d'entités internationales créées à l'issue de compromis diplomatiques entre États et au bénéfice de l'État de siège, de meilleures pratiques pourraient être encouragées. Il s'agirait notamment de favoriser le rattachement de nouvelles initiatives à des entités existantes. Interrogé sur cette question, le directeur général adjoint de la mondialisation, Olivier Richard, a indiqué que cette position était généralement « défendue par l'ensemble des États membres, mais il arrive parfois que les négociations internationales débouchent sur la création de nouveaux fonds, même si nous ne le souhaitions pas »6(*).

Par ailleurs, en raison de la multiplication des entités bénéficiaires, il n'est pas certain que le volume élevé du total des contributions françaises conduise à des gains en termes d'influence politique. Au sein des organisations internationales, l'influence est traditionnellement associée au poids de l'État membre dans le financement. Si d'autres critères que le paramètre financier contribuent à l'influence, la France, par rapport à ses partenaires, « saupoudre » davantage ses contributions. À titre d'illustration au sein du système onusien « la contribution moyenne française par entité est la plus faible ou la seconde plus faible parmi l'ensemble des dix principaux contributeurs ».


* 1 Selon la définition du comité de l'aide au développement (CAD) de l'OCDE.

* 2 La théorie économique définit un bien public comme non rival et non excluable.

* 3 D'après l'audition pour suites à donner du 25 septembre 2025.

* 4 Rapport d'information n° 725 de Michel Canévet et Raphaël Daubet fait au nom de la commission des finances sur l'aide alimentaire dans le cadre de l'aide publique au développement, déposé le 10 juillet 2024.

* 5 Rapport d'information n° 725, précité.

* 6 D'après l'audition pour suites à donner du 25 septembre 2025.

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