B. LES CONTRIBUTIONS MULTILATÉRALES FRANÇAISES, QUEL NUMÉRO DE TÉLÉPHONE ?

1. La galaxie des contributions multilatérales de la France ne correspond pas à un interlocuteur unique sur le plan ministériel...

Le foisonnement des contributions internationales se double d'un éclatement de leur suivi et de leur gestion entre un nombre conséquent d'entités. La majeure partie des contributions françaises relève de deux ministères principaux : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, responsable des programmes 105 et 209, et le ministère de l'économie et des finances, responsable du programme 110, sont en effet chargés de 66 % des versements multilatéraux français. Par ailleurs, ils assurent la tutelle conjointe de l'AFD, gestionnaire du Fonds de solidarité pour le développement (FSD).

Les contributions internationales de la France réparties par ministère
selon la loi de finances initiale pour 2021

(en millions d'euros)

Note : la part du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation s'explique par sa participation en 2021 au financement de l'Agence spatiale européenne.

Source : rapport d'information de la commission des finances du Sénat sur les contributions de la France aux organisations internationales

Pour autant, la Cour des comptes rappelle le constat opéré par le rapport d'information de la commission des finances qui avait identifié en 2022 dix autres ministères intervenant en matière de contributions internationales7(*). De nombreuses contributions sectorielles sont ainsi gérées et suivies par d'autres ministères : « il existe un très grand nombre de contributions internationales de faible, voire de très faible ampleur, qui sont gérées par des ministères techniques, et qui échappent de fait à la supervision du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ». À titre d'exemple, la Cour des comptes a relevé que le ministère chargé de la transition écologique avait versé 15,2 millions d'euros de contributions réparties dans quelques dix programmes budgétaires en 2022.

Cette pluralité de ministères intervenant en matière de contributions découle du caractère profondément interministériel des problématiques en jeu. L'aide publique au développement, tant dans son volet bilatéral que multilatéral, fait intervenir 22 programmes budgétaires. Ni le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ni le ministère de l'économie et des finances, qui assurent un chef-de-filât sur les questions multilatérales, ne sont donc en mesure d'identifier et de suivre l'ensemble de nos contributions aux organisations internationales et autres entités.

2. ...et n'est supervisée au niveau interministériel que par la cellule diplomatique de l'Élysée

En l'absence d'un seul ministère chef de file qui porterait la responsabilité des contributions internationales, la coordination interministérielle est assurée au plus haut de l'État, par la cellule diplomatique de la présidence de la république. L'implication des services rattachés auprès du Président de la République dans les arbitrages liés aux contributions internationales est peu surprenante, au regard de la place accordée au chef de l'État dans la conduite de la politique étrangère, au titre du « domaine réservé »8(*). Pour autant, l'enquête de la Cour des comptes indique que l'intégralité de la coordination interministérielle en matière de contributions internationales revient à cette cellule, sans s'appuyer sur les services du Premier ministre. Matignon apparaît, dès lors, comme le « grand absent » des négociations budgétaires autour des versements multilatéraux.

Ce dialogue exclusif entre les ministères chargés du suivi et de la gestion des contributions françaises et la présidence de la République présente d'évidentes faiblesses. D'une part, la cellule diplomatique se trouve particulièrement exposée. Elle est amenée à se prononcer sur l'ensemble des contributions françaises. En l'absence d'un échelon intermédiaire au niveau interministériel, il n'existe en effet aucun filtre permettant une sélection des arbitrages les plus sensibles. D'autre part, le déroulement de ces arbitrages ne semble pas correspondre aux standards de bonne administration. Les délais d'instruction sont relativement courts et les différentes parties prenantes ne sont associées aux arbitrages qu'au fur et à mesure des échanges, selon la Cour des comptes. De plus, les échanges des services avec la cellule diplomatique de la présidence s'appuient essentiellement sur l'écrit et des voies de communication numériques. Les réunions interministérielles (RIM) d'arbitrages ne sont en effet pas systématiques.

La reconstitution du Fonds vert pour le climat :
pérégrinations d'un « blanc de l'Élysée »

La reconstitution du Fonds vert pour le climat pour les années 2024 à 2027 est cité en exemple par la Cour des comptes pour illustrer le fonctionnement actuel de la coordination interministérielle des contributions internationales.

Dans la perspective du « sommet pour un nouveau pacte financier » des 22 et 23 juin 2023 à Paris, la direction générale du Trésor a saisi, par voie de courriel, les services de la présidence de la République et de la Première ministre ainsi que le directeur général du Trésor et le directeur général de la mondialisation. La saisine présentait les enjeux de cette reconstitution et une proposition de contribution. Les services de la cellule diplomatique ont arbitré cette proposition dès le 16 juin 2023, également par voie de courriel.

L'ensemble des échanges se sont déroulés par la voie dématérialisée et sont désignés comme des « blancs de l'Élysée », par référence aux « bleus de Matignon ». Aucune réunion d'arbitrage interministérielle n'a été jugée nécessaire pour entendre les différentes parties prenantes.

La rapidité et les modalités de cette prise de décision peuvent surprendre au regard des enjeux budgétaires. Au cours de la période 2020-2023, la France s'était engagée à hauteur de 1,5 milliard d'euros en matière de finance climat. Au regard des montants envisagés et de la prévisibilité de la reconstitution des grands fonds multilatéraux, la préparation de cette contribution aurait pu être davantage anticipée.

Source : commission des finances d'après le rapport de la Cour des comptes


* 7 Rapport d'information n° 392 fait par Vincent Delahaye et Rémi Féraud au nom de la commission des finances sur les contributions de la France au financement des organisations internationales, déposé le 26 janvier 2022.

* 8Formule tirée du discours de Jacques Chaban-Delmas aux assises de l'Union pour la nouvelle République le 15 novembre 1959, le domaine réservé désigne un domaine d'intervention privilégié du Président de la République en matière d'affaires étrangères et de défense. Toutefois, l'expression « domaine partagé » est aujourd'hui privilégié, du fait des prérogatives accordées par la Constitution au Gouvernement (article 20) et au Premier ministre (article 21) en la matière. Voir : Jean Picq, « La Constitution et la défense : Leçons d'hier, questions pour aujourd'hui », Commentaire, 2023/2 Numéro 182, 2023, pp.325-332

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