II. POUR TIRER LES BÉNÉFICES DE CET EFFORT FINANCIER, L'ÉTAT DOIT PLEINEMENT SE SAISIR DE SON RÔLE DE PILOTAGE DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES

A. LE SUIVI ET LE PILOTAGE INTERMINISTÉRIELS DES CONTRIBUTIONS INTERNATIONALES DOIVENT ÊTRE RENFORCÉS

1. Deux ans après les premières recommandations du Sénat, il importe de remédier à l'absence de vision d'ensemble de nos contributions, qui contribuent à rigidifier nos dépenses d'APD

Les rapporteurs spéciaux ont eu le regret de constater, à la lecture de l'enquête de la Cour des comptes, que les recommandations du rapport de Vincent Delahaye et Rémi Féraud en matière de suivi de nos contributions, formulées en 20229(*), sont restées pour l'essentiel sans effet. Les recommandations du rapport de la commission des finances visaient notamment à la réalisation d'un document de politique transversale ou « orange budgétaire », permettant une cartographie complète des contributions internationales de la France, au-delà des versements portés par le MEAE et le MEFSIN.

Pourtant, la Cour dresse un constat similaire : l'État ne dispose pas d'une vision unifiée des contributions internationales qu'il verse. Il n'existe pas, au niveau interministériel, de « tableau de bord » régulièrement mis à jour. À l'échelle du seul ministère de l'Europe et des affaires étrangères, des initiatives ont été engagées pour fiabiliser et préciser les données budgétaires disponibles, notamment au sein du comité de pilotage des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix (COPIL-CIOMP) créé au sein de la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie (dite NUOI) du MEAE. Toutefois, le projet d'un tableau de bord unique n'a toujours pas abouti et la Cour relève que son enquête s'est référée « aux informations partielles que fournissent les gestionnaires des programmes budgétaires, [...] ainsi qu'aux données des organisations internationales elles-mêmes, l'ONU au premier chef, qui publie des statistiques utiles, faute de documentation de synthèse au niveau français, sur les contributions qu'elle perçoit ».

La réalisation d'un tel outil paraît aujourd'hui indispensable à un pilotage effectif de nos contributions internationales. Cet instrument devrait retracer l'ensemble des contributions versées par la France et être partagé et alimenté par l'ensemble des parties prenantes. En interne de l'administration, il permettrait de faciliter la préparation des arbitrages budgétaires en anticipant les différentes reconstitutions de fonds. Les décisions seraient intégrées dans un contexte clairement établi et mises en perspective avec le total des contributions françaises, d'une part, et les contributions éventuellement redondantes effectuées au profit d'autres entités, d'autre part. En l'état actuel des données disponibles, les arbitrages budgétaires sur les contributions sont établis « au cas par cas des enjeux d'actualité », selon la Cour.

En externe, et dans le prolongement des recommandations des rapporteurs spéciaux Vincent Delahaye et Rémi Féraud, ce tableau de bord exhaustif pourrait être intégré chaque année dans un document de politique transversale (DPT) annexé au projet de loi de finances de l'année. Ce DPT présenterait l'évolution de nos contributions sur les dernières années. Les évaluations de contributions réalisées chaque année par la direction générale du Trésor et la direction générale de la mondialisation y figureraient également.

Un tel outil, au-delà de son utilité pour appuyer la prise de décision au sein du Gouvernement, paraît indispensable à l'exercice du contrôle parlementaire.

Recommandation n° 2 : Constituer un tableau de bord interministériel, recensant l'ensemble des contributions internationales de la France et leurs échéances, qui serait publié dans un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances (Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).

La mise en place d'un instrument de suivi précis des contributions internationales de la France est d'autant plus nécessaire que l'augmentation continue de ces dernières depuis 2017 contribue à rigidifier les crédits de la mission « Aide publique au développement ». Les contributions internationales se divisent entre :

les contributions obligatoires, qui découlent d'un engagement en droit international public, généralement un traité ou un accord international. L'approbation des traités ou accords engageant les finances de l'État doit, pour mémoire être soumises à l'accord du Parlement ;

les contributions volontaires, qui ne découlent pas d'engagements juridiques formels, mais d'engagements politiques.

Au sens du droit budgétaire, il est indéniable que les contributions obligatoires constituent des dépenses obligatoires10(*). Le caractère obligatoire ou non des contributions volontaires est plus difficile à déterminer. Au sein du référentiel budgétaire et comptable de l'État, les contributions volontaires sont classées parmi les dépenses non-obligatoires. À titre d'exemple, selon les données budgétaires transmises par les administrations à la Cour des comptes, 99 % des contributions portées par le programme 110 sont des dépenses non-obligatoires. Pour autant, la Cour note que le caractère flexible des contributions volontaires se trouve relativisé par l'engagement politique de leur annonce. La remise en cause d'une contribution volontaire découlant d'une annonce opérée au plus haut de l'État et faisant l'objet d'un décaissement pluriannuel paraît complexe. La Cour identifie par conséquent une partie des contributions volontaires comme des « dépenses inéluctables »11(*).

Dans la pratique, la Cour des comptes relève que les administrations ont tendance à privilégier une approche fondée sur l'utilisation de la notion de dépenses inéluctables accompagnée d'une surestimation des dépenses obligatoires. Cette position leur permet de défendre la rigidité de leur budgétisation dans les discussions sur les montants des enveloppes de leurs programmes budgétaires respectifs. Elle comporte toutefois l'inconvénient de pousser vers un « effet cliquet », en tendant « à majorer la notion de dépense obligatoire et à masquer la liberté de choix qui demeure, quand se pose la question de reconduire ou non des contributions françaises volontaires ».

Cependant, si la Cour des comptes évoque une « rigidité relative » des contributions internationales, les rapporteurs spéciaux estiment qu'une appréciation discrétionnaire du caractère obligatoire ou non de ces dépenses demeure. Il existe en effet plusieurs exemples récents de remises en cause de contributions volontaires en cours d'exercice, dans un objectif de modération des dépenses de la mission concernée. Ainsi, au cours de l'exercice 2023, le Gouvernement a pris la décision d'apporter une contribution moindre à la reconstitution du Fonds vert pour le climat par rapport au montant inscrit dans la loi de finances initiale pour 2023. Cette diminution de la contribution française a permis de dégager 343 millions d'euros d'économies en cours d'exercice sur le programme 110. De même et plus récemment, les annulations de crédits opérées par le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 ont conduit, sur le programme 209, à une réduction de près de 100 millions d'euros des contributions volontaires à des organisations internationales n'appartenant pas à la sphère des Nations unies. S'il est préférable, pour l'image de la France, de ne pas renouveler une contribution plutôt que de la diminuer en cours d'exercice, des marges de manoeuvre existent.

2. L'État doit se doter d'un véritable pilotage interministériel des contributions multilatérales, accompagné d'une doctrine claire de recours au canal multilatéral

La répartition de la gestion et du suivi de nos contributions internationales entre une pluralité de ministères et entités empêche de confier un chef de filât effectif à un département ministériel. Cette contrainte est particulièrement perceptible dans le cas de la mission « Aide publique au développement », où l'organisation bicéphale entre le ministère chargé des affaires étrangères et celui chargé des finances suppose une forte coordination. Sur ce point, la Cour relève une communication « pragmatique » entre la direction générale de la mondialisation et la direction générale du Trésor.

Par ailleurs, les échanges bilatéraux entre le MEAE et le MEFSIN ne constituent pas un cadre suffisant à une coordination interministérielle efficace. L'organisation ad hoc de coordination effectuée au niveau de la présidence de la République et décrite par la Cour dans son enquête ne paraît pas non plus satisfaisante.

Pour remédier à cette absence de pilotage, une plus forte implication des services de Matignon paraît indispensable. Elle nécessiterait un format et une instance de suivi spécifique de nature à permettre, d'une part, une compilation et un traitement des données budgétaires relatives aux contributions et, d'autre part, une préparation et une délibération effective des arbitrages relatifs à ces versements. Pour ce faire, la Cour des comptes propose, dans son enquête, de confier au comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) le soin d'assurer cette coordination. Présidé par le Premier ministre, le Cicid est chargé de fixer « les orientations relatives aux objectifs et aux modalités de la politique de coopération internationale et d'aide au développement dans toutes ses composantes bilatérales et multilatérales »12(*). Son secrétariat est assuré conjointement par la direction générale de la mondialisation et la direction générale du Trésor.

Néanmoins, les rapporteurs spéciaux estiment que le Cicid constitue à l'heure actuelle une instance imparfaite qui devrait préalablement voir son fonctionnement perfectionné. Ses réunions sont irrégulières, le comité ne se réunissant parfois pas pendant plusieurs années à venir, et ne permettent pas un réel pilotage de la politique de développement dont les impulsions sont davantage déterminées par le Conseil présidentiel du développement (CPD), créé en 2018. De plus, son mandat actuel est restreint à l'APD et ne couvre pas l'ensemble du champ des contributions. Les rapporteurs rejoignent donc la Cour dans sa recommandation d'élargir les compétences du Cicid pour intégrer l'ensemble des contributions internationales et de prévoir sa réunion chaque année. Le rôle d'arbitrage budgétaire de cette entité serait également conforté par l'association de la direction du budget à son secrétariat.

Cette analyse n'est cependant pas partagée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui estime que le Cicid est avant tout une « instance politique ». Le directeur général adjoint de la mondialisation, Olivier Richard, a ainsi indiqué que « les sujets à l'ordre du jour du co-secrétariat du Cicid n'ont pas tous un impact budgétaire significatif, dont la validation d'une stratégie pays, les travaux sur la communication ou encore les liens avec la diplomatie économique. La participation de la direction du budget ne semble donc pas appropriée ».

Recommandation n° 3 : Confier au comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) le pilotage de nos contributions internationales (Premier ministre, Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale du Trésor).


* 9 Rapport d'information n° 392 fait par Vincent Delahaye et Rémi Féraud au nom de la commission des finances sur les contributions de la France au financement des organisations internationales, déposé le 26 janvier 2022.

* 10 Au sens de l'article 95 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, les dépenses obligatoires sont « les dépenses pour lesquelles le service fait a été constaté au titre de l'exercice précédent et dont le paiement n'est pas intervenu ».

* 11 Définies par l'article 95 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, dans sa version en vigueur du 11 novembre 2012 au 1er janvier 2019, comme « les restes à payer à échoir au cours de l'exercice, les dépenses afférentes au personnel en fonction, les dépenses liées à la mise en oeuvre des lois, règlements et accords internationaux, ainsi que les dépenses strictement nécessaires à la continuité de l'activité des services ».

* 12 Article 3 du décret n° 98-66 du 4 février 1998 portant création du comité interministériel de la coopération internationale et du développement.

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