EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 20 novembre 2024)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à présent au rapport de Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier au nom du groupe de suivi des lois Egalim.

M. Daniel Gremillet, rapporteur du groupe de suivi. - Le groupe de suivi dont Anne-Catherine Loisier et moi-même sommes rapporteurs a été créé dans la foulée de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim 1). Il s'agissait d'évaluer la mise en oeuvre de ce texte. Trois lois Egalim et six ans plus tard, nous sommes toujours là : c'est peu dire que notre groupe de suivi s'inscrit dans le temps long. Chaque année, nous menons un travail d'évaluation du déroulement des négociations commerciales et de l'application des lois Egalim, de l'amont à l'aval de la chaîne de valeur agricole. Depuis mars 2024, nous avons mené 22 auditions.

Cette année, les spécificités du contexte nous ont appelés à formuler des propositions d'évolutions du cadre issu des lois Egalim.

D'abord, nous sortons d'une période de forte inflation des coûts des matières premières agricoles et industrielles qui a fortement impacté les relations entre producteurs, industriels et distributeurs.

Cette année a aussi été marquée par une contestation agricole, symptomatique d'une lassitude voire d'un découragement d'agriculteurs qui ne parviennent pas à se rémunérer correctement.

Enfin, les tensions sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens persistent, ce qui conforte les enseignes de la grande distribution dans leur « guerre des prix » dommageable à notre « ferme France ».

Je le rappelle, l'objectif des lois Egalim était de construire le prix de vente des produits alimentaires dans la grande distribution en partant de l'amont agricole, pour protéger la rémunération du producteur. Tout au long de la chaîne de valeur, le prix de la matière première agricole (MPA) est sanctuarisé. C'est ce qu'on appelle la construction du prix « marche en avant ».

Depuis 2022, notre groupe de suivi observe que ces lois Egalim sont assez inadaptées au contexte de volatilité des prix. Elles ont été pensées dans le contexte de stabilité des prix que nous avons connue pendant plus d'une décennie.

À l'inverse, dans un contexte inflationniste, la loi Egalim intervient avec retard pour soutenir le revenu agricole : les hausses de coûts subies par les agriculteurs ne sont répercutées qu'a posteriori auprès de leurs acheteurs. En période inflationniste, l'agriculteur « court toujours » après les hausses, notamment lorsque les indicateurs utilisés pour construire les prix sont actualisés, eux aussi, en décalage - celui-ci pouvant parfois aller jusqu'à deux ans.

En 2022, nous en avons vu les conséquences sur l'aval agricole : les tarifs négociés au 1er mars entre industriels et distributeurs ont été rendus caducs par la forte inflation consécutive à l'invasion de l'Ukraine. De nouvelles négociations ont eu lieu à l'été afin de faire passer des hausses.

L'année 2023 nous a confirmé l'inadaptation des lois Egalim au contexte de volatilité. Le mécanisme inverse de 2022 s'est produit : le Gouvernement de l'époque a souhaité utiliser les négociations commerciales comme outil « anti-inflation ». Il a demandé l'avancement des négociations commerciales pour obtenir des baisses de prix un mois plus tôt que prévu. Tous les acteurs que nous avons auditionnés ont fait état d'un climat de négociation particulièrement délétère au cours de ce cycle 2023-2024, caractérisé par le retour du rapport de force « pur et dur ». En effet, le Gouvernement a mis une forte pression sur les distributeurs pour obtenir des baisses de prix. C'est exactement l'inverse de la logique Egalim : on est partis du prix de vente au consommateur pour négocier le tarif avec les industriels et donc, in fine, rémunérer l'agriculteur.

Ce renversement de la logique Egalim a conduit à amoindrir la sanctuarisation de la MPA. Cette année, nous avons en effet constaté que des hausses du coût des matières premières agricoles ont pu entraîner... des baisses de tarifs ! Comment l'expliquer dès lors que le coût de la MPA est désormais sanctuarisé ? Par l'absence totale de prise en compte du coût des matières premières industrielles (MPI) comme l'énergie ou le transport ! On a donc eu affaire à une sanctuarisation totalement artificielle de la MPA. En 2022, la sanctuarisation avait été mieux respectée. Entre les négociations de 2022 et celles de 2023, l'institut de liaison des entreprises de consommation (Ilec) nous a indiqué que le taux de sanctuarisation de la MPA au sein des tarifs de ses adhérents avait chuté de 20 points ! De manière générale, nos industriels aboutissent en France à une prise en compte des coûts certes meilleure au niveau de la MPA, mais bien moindre sur les autres postes de coûts comme l'énergie, l'emballage, les transports ou les salaires. Au total, la prise en compte de leurs coûts globaux de production est moins bonne que pour les industriels travaillant avec des filières étrangères. Finalement, cela se fait au détriment de l'amont agricole...

En effet, les travaux de notre groupe de suivi dressent en sous-jacent le constat d'un décrochage de la « ferme France » dans les rayons. Je ne vais pas m'étendre sur la réduction progressive de notre excédent commercial en matière agricole, passé de 12 milliards en 2011 à 6 milliards en 2023. Au niveau plus « micro », au sein des rayons de nos grandes surfaces, il faut prêter attention à la progression des produits « d'origine Union européenne (UE) ». Comme nous l'avons constaté avec ma collègue rapporteure, le petit logo « France » pour indiquer l'origine des matières est désormais parfois remplacé par un logo « UE » (Union européenne). Cela concerne notamment les produits vendus sous « marques de distributeur ». Nos marques nationales sont moins substituables, ont une identité forte et des relations avec leurs fournisseurs établies de longue date au sein d'un territoire.

Les produits vendus sous marque de distributeur (MDD) représentent plus de 34 % en valeur des produits commercialisés en grande distribution. Et d'ici 2026, leur part pourrait atteindre 40 %, compte tenu des objectifs récemment affichés par Carrefour ou Intermarché, pour ne citer qu'eux ! Or les distributeurs passent des appels d'offres internationaux pour leurs produits de MDD : dans un contexte de guerre des prix, cela ne se fait pas au bénéfice de l'origine France. Il ne s'agit pas de critiquer les MDD dans l'absolu, mais plutôt de nous faire réfléchir : si le critère du prix bas prime pour le consommateur comme pour le distributeur, au détriment de la « ferme France », cela pose question sur les orientations prises il y a quelques années sur la montée en gamme de l'agriculture française. Il ne faut pas l'oublier, en 2018, la première loi Egalim a fixé des objectifs ambitieux d'approvisionnement de la restauration collective publique en produits bios qui sont très loin d'être atteints six ans plus tard : on parle de 6 à 7 % de produits bios, contre un objectif à 20 % en 2022.

Nous préconisons donc de mieux suivre l'origine de ces produits de MDD grâce à un observatoire dédié. Il faut bien évidemment suivre aussi l'évolution de leur prix. En 2023, l'inflation a généré un recul de la consommation de 3,5 % en volume qui a pénalisé beaucoup plus les produits de marque nationale que les produits sous MDD, qui se sont stabilisés. On l'a vu - les médias en ont beaucoup parlé -, les « paniers anti-inflation » étaient composés à 100 % de produits MDD. Certains industriels auditionnés nous ont rapporté, sur certains produits, une décorrélation entre la hausse du prix de vente en rayon et la hausse de tarif qui leur avait été consentie. Selon certains, c'était un moyen pour le distributeur de compenser des baisses de prix sur les MDD par des hausses de prix sur les marques nationales. Entre mars et mai 2023, l'inflation sur les MDD était sur une trajectoire de baisse tandis que l'inflation sur les produits de marque nationale continuait de remonter. Bien sûr, le distributeur est maître de sa stratégie commerciale, mais il n'est pas acceptable que les industriels aient été désignés comme responsables de la dégradation du pouvoir d'achat des Français, alors même que les évolutions de leurs tarifs ne reflétaient pas toujours celles des prix en rayon.

Je vous rappelle que le Sénat a été à l'origine de l'extension de la sanctuarisation de la matière première agricole aux produits vendus sous MDD - elle était avant réservée uniquement aux produits de marques nationales.

Voilà pour le contexte, qui n'est guère réjouissant. Une chose est sûre, les lois Egalim n'ont pas empêché le décrochage de notre « ferme France ». En quelque sorte, nous sommes tout doucement en train de perdre pied. Cela ne signifie pas que tout est à jeter.

À ce sujet, plusieurs acteurs que nous avons auditionnés adoptaient un discours que nous estimons contradictoire : on ne peut pas à la fois critiquer Egalim, lui faire un procès en inefficacité et, en même temps, réclamer son extension à tous les débouchés de l'agroalimentaire. Ce n'est pas cohérent. Nous estimons qu'il faut d'abord mieux appliquer les lois Egalim que nous avons votées en 2018, 2021 et 2023, mieux évaluer leurs dispositifs et améliorer ce qui peut l'être. C'est le sens de nos recommandations.

Je laisse la parole à Anne-Catherine Loisier qui va vous présenter le détail de notre diagnostic sur l'application des dernières lois Egalim et nos recommandations.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure du groupe de suivi. - Les deux principales faiblesses du cadre Egalim tiennent à son application lacunaire - notamment la contractualisation amont - ainsi qu'aux trop nombreux contournements délibérés - notamment ceux opérés par les centrales internationales d'achat et de services. D'autres mécanismes fonctionnent déjà bien, mais pourraient être améliorés. Rappelons que certains dispositifs ne sont applicables que depuis moins d'un an. Il faut l'avouer, les mécanismes prévus par la loi en matière de relations commerciales sont complexes ! Les acteurs de l'amont comme de l'aval aspirent aujourd'hui à de la stabilité juridique. Loin de détricoter la logique Egalim, nous proposons de mieux l'appliquer, de l'améliorer et surtout de mieux l'évaluer.

La contractualisation écrite, généralisée par la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (loi Egalim 2), est faiblement appliquée - comme le relèvent souvent les agriculteurs. Elle n'est véritablement ancrée que dans la filière laitière alors que la quasi-totalité des filières animales y sont soumises. Dans la filière bovine, le taux de contractualisation est passé de seulement 17 % en 2022 à 25 % en 2023. Nous appelons les interprofessions à poursuivre leurs efforts d'accompagnement et de suivi. Nous appelons aussi la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à partager les résultats des contrôles pour dresser un état des lieux de la contractualisation. Enfin, plusieurs filières ont exprimé récemment leur souhait d'entrer dans le champ de la contractualisation obligatoire alors qu'elles en sont aujourd'hui exemptées. Nous préconisons de réexaminer la liste, assez longue, des exemptions.

Autre sujet dont l'application est lacunaire : les indicateurs de référence. Leur intérêt est unanimement salué : ils fournissent une base de discussion fiable et objective pour les discussions entre organisations de producteurs et entreprises. Mais de nombreux indicateurs ne sont tout simplement pas publiés par les interprofessions, faute d'accord entre les acteurs. Nous appelons les interprofessions à la responsabilité à ce sujet. S'il n'y a pas d'indicateurs de référence, ni le Sénat ni la loi ne pourront régler ce point : le risque est que les acteurs cherchent à imposer des indicateurs qui ne sont pas représentatifs des structures de coût. Enfin, afin de sécuriser les producteurs face à la volatilité des prix - cela a souvent été demandé -un poids prépondérant pourrait être donné aux indicateurs de coût de production dans les formules de détermination et de révision du prix. Cependant, il est essentiel que ces indicateurs soient mis en place de manière sérieuse et approfondie, avec une évaluation par l'ensemble des acteurs des interprofessions.

Au-delà de l'application imparfaite d'Egalim, nous souhaitons souligner les contournements malheureusement délibérés des centrales d'achat basées à l'étranger. Elles sont aussi parfois le support de pratiques commerciales abusives. Les chiffres que nous avons collectés ne sont pas unanimes - ce qui témoigne de l'opacité des pratiques et notamment de la difficulté à obtenir des informations fiables sur ces secteurs d'activité -, mais environ 20 % en valeur et 50 % en volume des produits commercialisés par la grande distribution pourraient être négociés à l'étranger. Ces centrales ne se limitent plus aux multinationales, mais intègrent désormais des PME et des ETI.

Les centrales de services se développent aussi. Le problème est que certains services commerciaux - ristournes, opérations publicitaires ciblées, rangements en rayon, etc -ne sont pas pris en compte dans la construction du tarif, se superposent à des services déjà payés au niveau national par les entreprises, voire sont fictifs et s'apparentent à un droit d'entrée en négociations sans contrepartie économique réelle. Les centrales d'achats sont donc aujourd'hui un lieu où se négocie une grande partie du plan d'affaires.

L'essor de ces centrales d'achat comme de services s'explique par deux raisons principales. D'une part, les distributeurs considèrent que ceux qui n'y ont pas recours subissent un désavantage concurrentiel : en septembre dernier, Intermarché a rejoint la centrale Everest aux côtés d'Auchan et de Casino. Nous avons d'ailleurs vraiment l'impression que ceux qui n'ont pas de centrale d'achats internationale sont en situation de difficultés dans la guerre des prix que se livrent les grands distributeurs. D'autre part, même si la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs a affirmé le caractère d'ordre public du cadre Egalim, applicable à tout produit commercialisé en France, les pratiques des distributeurs ne sont pas systématiquement sanctionnées. Il semblerait que les autorités aient adopté une position de prudence, à la suite de contentieux et de conflits de compétences au niveau européen. C'est regrettable, car cela affaiblit la portée de ce que nous avions voté en mars 2023. Certes un « Egalim européen » permettrait de réguler ces pratiques dans un cadre commun et de renforcer la coopération des autorités nationales, mais nous sommes conscients que cela ne pourra advenir qu'à moyen terme. Il faut d'ores et déjà que le ministre prononce systématiquement des sanctions. Nous appelons aussi à la responsabilité des entreprises et recommandons la conclusion d'une charte des industriels et des distributeurs visant à exclure les produits à forte composante de MPA des négociations internationales. Il s'agit là peut-être d'un voeu pieux, néanmoins nous observons chez certains de nos voisins européens une bonne entente et de bonnes pratiques entre industriels et distributeurs. Il serait souhaitable qu'il en soit de même en France, et ce dans l'intérêt de nos agriculteurs. Enfin, pour en finir avec l'opacité actuelle, nous demandons la transmission par la DGCCRF de données relatives à la part des produits dont les négociations sont menées en droit étranger.

Je développerai maintenant le reste de nos recommandations.

? l'amont, nous souhaitons éviter toute rigidification des relations entre les producteurs et leur acheteur alors même que la contractualisation écrite est loin d'être généralisée. Bien sûr, il est souhaitable que le fournisseur de la grande distribution ait conclu son contrat avec l'amont agricole avant d'entrer en négociations avec les enseignes, afin de disposer du coût de la MPA et des indicateurs associés. Ce séquençage matérialise la construction du prix « marche en avant » du dispositif Egalim. Pour la concrétiser, nous préconisons que l'industriel mentionne dans ses conditions générales de vente (CGV) les indicateurs utilisés à l'amont pour déterminer le prix de la MPA. Cela permettra une traçabilité des indicateurs et donc un meilleur appui pour la sanctuarisation de la MPA.

Passons maintenant à nos propositions concernant les négociations de l'aval agricole.

Principal jalon des négociations commerciales, la date « butoir » annuelle de conclusion des conventions entre industriels et les distributeurs ne doit pas être remise en cause. Elle est désormais bien ancrée dans les pratiques. Tous les acteurs auditionnés par notre groupe de suivi sont favorables à son maintien. Ils ne sont pas opposés à une modification paramétrique sous réserve de disposer d'un délai de prévenance suffisant pour s'organiser et ne pas revivre l'impréparation du cycle 2023-2024. Dans des conditions d'application normales, un délai de négociation de deux mois, de décembre à fin janvier au lieu de fin février, est plus pertinent : la négociation est souvent bloquée pendant un mois avant de s'accélérer avant la date butoir. Raccourcir la négociation d'un mois permettrait d'alléger les ressources qu'une entreprise y dédie, un quart de l'année. À des fins de simplicité, il nous semble important que cette date soit la même pour tout le monde. L'année dernière, nous avions eu un grand débat sur ce sujet. Les négociations de 2024 ont fait office d'expérimentation : or les PME qui ont conclu leurs contrats au 15 janvier n'en ont pas tiré un bénéfice majeur. Pour les PME qui le veulent, la négociation anticipée - avant les grands groupes - est déjà formalisée notamment au moyen de chartes avec la grande distribution : cela doit être poursuivi pour celles qui le souhaitent, mais il n'est pas pour autant nécessaire de rendre obligatoire cette négociation anticipée avec un seuil de chiffre d'affaires dans la loi. Nous préconisons donc de conserver une date butoir fixe, sans différenciation de la taille des entreprises, tout en prévoyant, pour les cycles postérieurs à 2025, des négociations plus courtes, s'achevant le 1er février.

Au sein des contrats aval, il existe un sujet récurrent : les clauses de révision automatique du prix en fonction de l'évolution de la MPA, rendues obligatoires par la loi Egalim 2. La période de volatilité des prix que nous venons de connaître a montré leur intérêt, mais, si elles avaient fonctionné de manière satisfaisante, nous n'aurions pas assisté à des renégociations en cours d'année. D'après le médiateur des relations commerciales, elles ont été activées dans seulement 20 % des cas en 2023. Leur principal défaut est qu'elles font l'objet d'une « négociation dans la négociation » visant des seuils souvent élevés de déclenchement ou l'utilisation d'indicateurs non-représentatifs des prix d'achat réels des industriels. Nous préconisons donc qu'elles figurent au sein des CGV de l'industriel afin d'être soumises à un principe de non-discrimination et incluses au « socle unique » de la négociation. En conséquence, l'obligation d'insérer une clause de « renégociation » - peu utilisée et source de confusion avec la clause de révision - pourrait être remplacée par une clause prenant en compte l'évolution du coût des MPI comme l'énergie et le transport.

De manière générale, en ce qui concerne le contenu du contrat aval, nous constatons que la DGCRF s'en tient à des contrôles du formalisme du contrat - par exemple le respect des dates butoirs. Mais ce qui pêche aujourd'hui concerne l'économie du contrat : on l'a vu cette année avec la sanctuarisation parfois relative de la MPA. Or la DGCRF devrait être en capacité de contrôler et de sanctionner cela.

En matière de points positifs, j'évoquerai une avancée notable dans l'encadrement des pénalités logistiques. Les déductions d'office des pénalités de la facture ont quasiment disparu. Il reste des progrès à accomplir concernant la preuve du préjudice - nécessaire pour que la pénalité s'applique - et l'interprétation, parfois divergente entre distributeurs et fournisseurs, de l'assiette des pénalités et du taux que nous avions fixé à 2 % en 2023, qui est un plafond et non un forfait.

Enfin, nous déplorons l'absence d'évaluation du relèvement du seuil de revente à perte (SRP + 10 %). Dès 2018, le Sénat avait émis des doutes sur ce dispositif par nature inflationniste, qui n'a pas démontré son effet bénéfique « en cascade » - le « ruissellement » - sur la rémunération du producteur. Le rapport d'évaluation remis en mai dernier aux présidents des commissions des affaires économiques - soit bien en retard par rapport à la date initialement prévue de septembre 2023 - ne nous dit rien ; il ne fait que constater l'impossibilité pour les distributeurs de rendre compte de l'usage de ce surplus de chiffre d'affaires depuis 2019. Selon différentes estimations, ce dernier représenterait de 600 à 800 millions d'euros par an depuis 2019, ce qui représente un total de plusieurs milliards d'euros. Nous demandons donc qu'une véritable évaluation soit faite de ce dispositif qui arrive à échéance en 2025. Bien sûr, sa suppression inquiète un certain nombre d'acteurs - notamment les agriculteurs - qui craignent un effet boomerang et un renforcement de la guerre des prix des distributeurs. Il n'empêche, nous ne pouvons pas nous contenter d'une absence de chiffres. C'est pour cette raison que nous préconisons une prolongation et non une pérennisation du dispositif : il est en effet essentiel d'avoir, dans notre travail de contrôle de législateur, une évaluation effective et chiffrée de l'usage du SRP + 10 %.

À l'inverse, l'extension de l'encadrement des promotions à tous les produits de grande consommation a porté ses fruits. Nous sommes donc favorables à sa prolongation au-delà de 2026. Il faut cependant être vigilant au cagnottage largement développé par les distributeurs sous forme notamment de bons de fidélité en alternative aux promotions encadrées. Il n'a pas le même intérêt pour l'industriel en termes de développement des volumes.

Enfin, nous sommes préoccupés par l'explosion, ces dernières années, de la publicité comparative sur le prix des denrées alimentaires. Aujourd'hui, les plus grands annonceurs médias sont les distributeurs - devenus très offensifs grâce à des budgets communication très conséquents -, ce qui nous amène à nous interroger sur l'utilisation du SRP + 10 %. Nous souhaitons rester vigilants et approfondir la question des effets de cette publicité comparative, notamment sur la valorisation de la MPA, ainsi que sur les possibilités de l'encadrer.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je tiens à remercier les deux rapporteurs pour leur immense travail, entamé en février 2024, qui n'a pas pu être présenté en juin en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale. Cependant, vous avez mentionné que le délai supplémentaire vous a permis de poursuivre les auditions et d'enrichir encore le rapport que vous nous présentez aujourd'hui.

M. Jean-Claude Tissot. - Je remercie les rapporteurs pour leur présentation.

Pour toutes les lois Egalim, nous constatons les mêmes difficultés d'application, d'appréhension, d'analyse et d'amélioration. Vos propositions nous semblent judicieuses et nous les voterons.

Tout d'abord, il me paraît essentiel de créer un observatoire des prix des MDD en raison de l'inflation. Sans outil approprié, nous continuerons à fonctionner de la même manière qu'aujourd'hui.

Par ailleurs, je me permets de rappeler que nous avions déjà fait, l'année dernière, le constat que les centrales d'achat détournent la règle de notre pays en passant par l'international. Il est nécessaire que la DGCCRF partage les éléments en sa possession de sorte que nous puissions modifier la loi Egalim.

Je constate que vous n'avez pas abordé la difficulté que rencontrent les collectivités territoriales pour appliquer cette loi. Contraintes notamment de servir une part de produits biologiques dans les cantines, elles sont aujourd'hui confrontées à un problème d'approvisionnement plus important que lors de l'entrée en vigueur d'Egalim 1 en raison du nombre important de déconventionnements. Peut-être faudrait-il adapter la loi et ajouter ce point dans vos propositions ?

Pour ma part, je pense que la conclusion d'une charte des industriels et des distributeurs est un voeu pieux.

J'en viens à présent aux négociations commerciales : nous n'étions pas d'accord l'année dernière sur l'idée de dates butoirs en fonction du chiffre d'affaires, mais force est de constater que les plus petites entreprises ne seront pas pénalisées dans les négociations si nous retenons votre proposition d'une seule date butoir et de l'inscription d'une clause de révision dans les CGV de l'industriel. Il me semble judicieux de continuer à tester ce mode opératoire pendant une année encore.

S'agissant de la volatilité des prix, il sera peut-être difficile de déclencher la clause de révision. Quel coût de MPI sera l'élément déclencheur ? S'agira-t-il prioritairement de l'énergie ?

Par ailleurs, vous soulignez une avancée notable en matière de pénalités logistiques. Or j'ai découvert qu'une palette entière pouvait être refusée au motif qu'une seule bouteille n'est pas en conformité. Est-il possible de réviser ce dispositif ?

Enfin, j'adhère - nous adhérons - complètement au principe de prolonger et non pérenniser le dispositif SRP + 10 %.

M. Gérard Lahellec. - Je tiens à remercier nos rapporteurs pour leur travail et aussi parce qu'ils ont rappelé les spécificités du contexte et du climat pour cette année en matière d'application des lois Egalim. Un véritable chantier nous attend puisqu'une loi Egalim 4 est en préparation : les recommandations formulées sont donc utiles. Il est également important d'avoir rappelé le déphasage important entre la mise en oeuvre de la loi et l'évolution du contexte : cela pèse sur le réel.

Je constate que les lois Egalim ont produit plus d'effets vers l'aval - pour les consommateurs et les distributeurs - que pour les producteurs : la question du retour de la valeur ajoutée à la « ferme » reste donc entière. ? cela s'ajoutent évidemment les pratiques des centrales d'achat. Il me semble important de souligner que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) produit un effet qui ne sert pas la cause du retour de la valeur ajoutée au lieu où celle-ci est produite, singulièrement s'agissant des denrées alimentaires.

Telles sont les quelques observations que m'inspire votre rapport : elles ne retirent rien à la pertinence de vos recommandations.

M. Franck Montaugé. - Je remercie nos rapporteurs pour leurs propositions utiles.

Il me semble important de constater - et je pense que nous serons d'accord sur ce point - qu'en matière de revenu agricole, les choses ne progressent pas de manière suffisamment rapide et significative. Les manifestations qui se déroulent actuellement dans le pays en sont la preuve et montrent toute l'importance de ce sujet.

Je tiens à rappeler qu'en juin 2016, le Sénat avait adopté à l'unanimité la proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture présentée par Henri Cabanel et moi-même. Cette proposition de loi vise à mettre en place un fonds de stabilisation des revenus agricoles dans les conditions fixées par le règlement européen du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). La question d'un revenu décent pour tous les agriculteurs en France se pose en effet et le fonds de stabilisation des revenus agricoles proposé permettrait d'y répondre en partie, sans remettre en question le dispositif Egalim actuel et à venir : les deux dispositifs sont tout à fait complémentaires et cette complémentarité me semble nécessaire. J'invite ceux qui n'étaient pas membres de notre commission à l'époque à prendre connaissance de ce texte qui comporte une dizaine d'articles, impliquant - sans les obliger - tant le FEADER que les collectivités territoriales et visant à garantir un revenu minimum.

La question du revenu agricole et de l'agriculture en général doit rester une grande cause nationale. Elle me semble tout à fait conciliable avec les évolutions de la loi Egalim telles que vous les proposez. Nous voterons vos recommandations.

M. Henri Cabanel. - Je souscris entièrement au propos de notre collègue Franck Montaugé.

Je tiens à remercier nos deux rapporteurs pour leur travail sur les lois Egalim. Je constate que les craintes qu'ils avaient exprimées au début se sont avérées assez justifiées au fil du temps.

Pour mémoire, la loi Egalim et les États généraux de l'alimentation visaient bien sûr à donner un revenu aux agriculteurs, mais aussi à éviter la guerre des prix. Force est de constater que nous en sommes encore loin puisque les centrales d'achat internationales contournent la loi française.

L'idée d'une loi Egalim européenne est séduisante, mais il est difficile de prédire quand nous y parviendrons.

La loi Egalim n'est d'ailleurs pas une fin en soi. En amont, il est essentiel que les filières mettent en place des stratégies pour assurer un revenu aux agriculteurs. Certaines - comme la viticulture - refusent cette loi : en effet, tous les vignobles n'y sont pas favorables, car bénéficier de certaines garanties sur les prix ne les assure pas de vendre leurs vins.

Nous sommes d'accord avec vos propositions et nous continuerons à travailler avec vous, comme j'ai moi-même pu le faire lors de nombreuses auditions.

M. Laurent Duplomb. - Je tiens tout d'abord à féliciter les rapporteurs pour leur assiduité depuis plusieurs années. Avec eux, aux grandes heures du macronisme rugissant, nous avions combattu l'idée que la première loi Egalim pouvait régler la question des prix des agriculteurs par le ruissellement : sans pompe, cela ne fonctionne pas de l'aval vers l'amont ! En bon paysan et avec bon sens, je ne comprenais pas cette stratégie et je constate que l'avenir m'a donné raison. Pour autant, tout n'est pas à jeter dans la loi Egalim. Pour preuve, et comme l'indique Anne-Catherine Loisier, il faudrait creuser davantage la problématique du lait : c'est certainement la filière où la loi Egalim a été la plus performante. Aujourd'hui, le groupe Lactalis a prévu de réduire la collecte de lait et il est obligé de recourir à une communication tonitruante pour justifier le plan social qui va toucher les éleveurs français. Il se voit aujourd'hui contraint de payer aux producteurs de lait des sommes qu'il avait pour habitude de garder, afin d'être au même prix que les coopératives. Celles-ci ont d'ailleurs toujours joué un rôle de locomotive des prix, notamment grâce à la loi Egalim. Tandis que le président-directeur général du groupe, M. Emmanuel Besnier, rechigne à verser les 100 millions d'euros promis pour calmer la colère des agriculteurs qui s'est exprimée en début d'année, des centaines d'éleveurs sont aujourd'hui très inquiets pour leur avenir, en particulier dans l'Est de la France. Je tiens à dénoncer ce projet sur lequel Lactalis communique très peu et qui risque de complexifier fortement la situation.

Par ailleurs, je suis heureux d'entendre que, finalement, des avancées ont été réalisées en matière de pénalités logistiques - la martingale des Grandes et moyennes surfaces (GMS) habituées à contourner les règles dans le but de pressuriser les fournisseurs par des moyens pas toujours recommandables.

S'agissant du SRP + 10 %, si nous ne parvenons pas à l'évaluer, nous pourrions considérer qu'il se situe entre 700 millions et 1 milliard d'euros, voire un peu plus. Cela correspond à la réalité. La création du SRP + 10 % a engendré une hausse de 10 % du prix de tous les produits alimentaires ; par conséquent, il a été financé par les Français alors qu'il devait constituer le ruissellement nécessaire vers l'amont agricole. En revanche, si les centrales d'achat se déportent à l'étranger pour échapper aux règles fixées par Egalim, en quoi est-il utile de donner aux distributeurs 700 millions à 1 milliard d'euros pour améliorer leurs pratiques vis-à-vis des fournisseurs et des paysans et pourquoi les Français devraient-ils financer cela ?

En matière de pénalités logistiques, je tiens à préciser qu'il est interdit de prononcer une sanction à l'encontre d'un fournisseur si rien ne peut lui être reproché. Nous avions déjà dénoncé ce type de pratique.

Vous avez raison de continuer à creuser tous les sujets. La pire des choses serait d'oublier. Oublier, c'est risquer d'accepter un changement de pratiques qui peut sembler pertinent au début, mais qui peut s'avérer contre-productif. Je vous invite à analyser les coopératives laitières pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la situation actuelle et leur mode de fonctionnement. Ce type d'entreprise a redonné ses lettres de noblesse à la coopération, censée faire évoluer le prix de sorte que chacun y retrouve son intérêt.

M. Daniel Salmon. - Lors des quelques auditions auxquelles j'ai participé, j'ai pu mesurer la difficulté de la tâche : les réponses aux questions pourtant très précises des rapporteurs étaient souvent très évasives, j'avais parfois l'impression d'assister à un jeu de poker menteur entre les industriels et la grande distribution. Il est difficile de savoir ce qu'il se passe réellement.

Je salue votre travail et je partage vos préconisations.

Néanmoins, il serait utile de préciser notamment la définition du prix abusivement bas et celle de la construction de l'indicateur du coût de production.

En outre, en matière de dates butoirs, les négociations commerciales ne semblent effectivement pas avoir porté les fruits attendus : peut-être faudrait-il attendre encore un peu pour juger du résultat dans la mesure où aucune tendance nette ne se dégage pour l'instant ?

Que pensez-vous d'un « tunnel de prix » ? Cette pratique utilisée dans la filière laitière permet d'assurer un revenu décent au producteur et d'intervenir lorsque les conditions sont défavorables, au moyen d'une baisse de la production. C'est donc une forme de régulation.

Enfin, je relève une divergence dans nos points de vue : elle concerne la montée en gamme. Celle-ci me semble indispensable pour garantir une nourriture de qualité. C'est une question de santé publique et surtout de protection de nos marchés intérieurs. Pour parvenir à cette montée en gamme, il faut attaquer, comme vous l'avez précisé, les plateformes établies à l'étranger qui permettent de contourner complètement la loi Egalim.

M. Bernard Buis. - Je remercie les rapporteurs pour le travail fourni tout au long de cette année et les axes de proposition documentés qu'ils nous ont présentés.

Je tiens à souligner combien le prononcé systématique des sanctions est essentiel pour marquer les esprits et en finir avec le sentiment d'impunité qui règne aujourd'hui. Si nous y parvenons, nous aurons bien avancé.

M. Laurent Duplomb. - Je souhaite m'opposer à ce que vient de dire notre collègue Daniel Salmon. Il n'est pas sérieux de promouvoir une montée en gamme sans s'intéresser aux évolutions du marché !

Pendant 30 ans, j'ai contribué en tant que producteur de lait à l'installation et au soutien des agriculteurs bio : aujourd'hui, j'en ai assez !

Pendant 20 ans, j'ai accepté le prix du lait qu'avait fixé ma coopérative de manière à verser 100 euros de plus aux agriculteurs bio. Leur lait était alors mélangé à celui que je produisais et recueilli dans une même citerne, car les coûts étaient trop élevés pour assurer des collectes distinctes. En outre, le lait bio n'était pas mis en vente, car la consommation n'était pas en adéquation avec la production. À l'époque, je trouvais normal de contribuer pour le développement d'une nouvelle activité. Or, ces dix dernières années, 50 % du lait bio a été déclassé pour devenir du lait conventionnel, car la demande n'était pas en adéquation avec la production. Ainsi, pendant 20 ans, un certain prix a été payé parce qu'il était plus facile de collecter deux types de lait en les mélangeant et, à présent, le prix payé tient compte des deux collectes séparées, mais une partie du lait bio est finalement mélangé au lait conventionnel. En termes d'empreinte carbone, j'imagine que c'est catastrophique !

Aujourd'hui, je suis las d'entendre des discours truffés de contre-vérités ! Tout produit doit correspondre à la réalité des besoins de consommation. Faire de l'agriculture une posture politique, proposer à des fins démagogiques des produits qui ne sont pas consommés et expliquer ce qu'il faudrait faire finit par être contre-productif !

Lactalis dit très clairement que si les producteurs bio ne se « déconventionnent » pas, ils ne seront plus collectés.

Pendant combien de temps allons-nous persévérer dans ce dogme ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Voilà qui est dit. Nos rapporteurs vont apporter un peu d'apaisement.

M. Olivier Rietmann. - Je souhaite rebondir sur le propos de notre collègue Laurent Duplomb pour évoquer la situation de la volaille, car elle est aujourd'hui particulièrement préoccupante : plus de 50 % de la volaille consommée est importée. Les États généraux de l'alimentation ont impulsé très fortement une montée en gamme dans ce secteur, délaissant complètement la production de volaille sanitairement et qualitativement irréprochable, mais plutôt de premier prix. Contraint de choisir entre la montée en gamme et son porte-monnaie, le consommateur a opté pour la solution la moins chère - ce qui est compréhensible - et achète de la volaille importée !

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure- Je remercie Jean-Claude Tissot pour ses remarques que je vais compléter.

Le présent rapport porte exclusivement sur le titre Ier de la loi Egalim 1, consacré à l'amélioration de l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Or celle loi traite en effet d'autres sujets : le titre II porte sur une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal ; le titre III concerne des mesures de simplification dans le domaine agricole.

Compte tenu de l'actualité, nous n'avons pas eu le temps de nous intéresser au volet cantines et restauration hors domicile. Cependant, un débat est en cours pour étendre Egalim à la restauration privée et ce sera notre sujet à venir.

Je suis d'accord sur le fait que depuis la première loi Egalim, nous avons un temps de retard sur les acteurs qui, eux, renouvellent très rapidement leurs pratiques : les distributeurs ont développé des centrales d'achat et de services, et il est difficile de savoir ce qui y est négocié. Or, comme il s'agit de plans d'affaires, les conséquences peuvent être lourdes pour les opérateurs malgré l'amélioration de la gestion des pénalités logistiques.

Par ailleurs, il est important de noter que deux principes prévalent en matière de pénalités : la preuve et la proportionnalité. La pénalité doit en effet être proportionnelle au préjudice subi. Cependant, nous avons des difficultés à nous assurer que ces deux éléments de la définition de la pénalité sont bien respectés. Il nous faut approfondir ce sujet.

J'en viens à présent aux clauses de révision. Lorsque ces dispositifs ont été introduits dans la loi Egalim 2, nous nous intéressions exclusivement à la MPA, en prenant appui sur les seuls indicateurs de coût de production initiaux. Il ne faut pas en rester là, car les industriels récupèrent sur les MPI et ne prennent pas en compte les hausses d'énergie et de transport que subissent les producteurs. En fait, tous les acteurs - fournisseurs, industriels et producteurs - sont en difficulté parce que l'ensemble de leurs charges n'est pas pris en compte. On en revient au débat de la première loi Egalim : le revenu des agriculteurs ne dépend pas que des prix : si les charges sont élevées, le compte n'y est pas ! La faiblesse de la loi Egalim réside dans le fait qu'elle n'aborde que le prix, ignorant tous les éléments de fragilité qui se sont développés entretemps.

Enfin, s'agissant des effets induits de la LME, nous sommes tous conscients que, dès son entrée en vigueur, cette loi qui porte en substance la guerre des prix et les publicités comparatives a orienté la stratégie et la posture des différents acteurs, notamment celle des distributeurs.

M. Daniel Gremillet, rapporteur du groupe de suivi. - Je voudrais remercier celles et ceux qui ont pu se rendre disponibles pour nos auditions, puisqu'elles étaient ouvertes. Certains ont pu constater qu'il n'était pas toujours aisé d'obtenir des réponses à nos questions pourtant très précises.

Tout d'abord, comme nous l'avions souligné dès le début de nos travaux, quel que soit le secteur et cela vaut aussi pour une famille, un revenu se calcule toujours en tenant compte des charges.

Par ailleurs - et c'est la première fois que nous le faisons de manière aussi claire, nous tenons à vous alerter sur le fait que la loi Egalim peut s'avérer dangereuse pour l'agriculture française : en effet, le contexte n'est plus national, mais européen, et l'agriculture française n'est pas seule en Europe. Or l'idée de la montée en gamme a fait oublier la compétitivité de la ferme France qui, rappelons-le, est composée à la fois d'agriculteurs et d'entreprises. Certaines gammes de produits ne sont plus fabriquées en France, en termes de matières premières agricoles, et parfois même plus du tout par l'industrie française, d'où le remplacement du logo « France » par le logo « UE ». Il s'agit d'une lame de fond et c'est très inquiétant. Je pense que nous devrions avoir pour ambition que l'agriculture française soit en capacité de répondre à toutes les attentes des consommateurs français, tant en termes de types de consommation que de gammes. N'oublions pas que pour faire vivre les campagnes, les marchés doivent être au rendez-vous !

J'en viens à une autre tendance qui devrait nous alerter. Certes, notre volonté de réglementer a abouti puisque les pénalités logistiques ont été intégrées dans la loi et c'est une bonne chose. En revanche, depuis la première loi Egalim, de nombreuses centrales d'achat se sont formées. Elles sont aujourd'hui en position dominante tandis que nous avons toujours un temps de retard.

S'agissant du prix tunnel, il faudrait tout d'abord que les interprofessions produisent des indicateurs plus rapidement : en effet, malgré nos demandes réitérées, nous manquons d'indicateurs dynamiques et, pour certains produits, les données remontent à un an, voire deux ans. Tout peut être écrit dans une loi, mais, si les bons chiffres n'arrivent pas au bon moment, le résultat n'est pas celui escompté. Par ailleurs, les agriculteurs devraient s'engager davantage en matière de contractualisation : force est de constater que la situation n'a pas beaucoup avancé depuis Egalim 1, comme le rappelait notre collègue Henri Cabanel.

Il me semble aussi que sortir du schéma franco-français - si vous nous y autorisez, madame la présidente - pour observer la situation dans d'autres pays, par exemple en matière de contrats et d'achats, pourrait s'avérer judicieux. En Allemagne, le prix du lait payé au producteur, sans loi Egalim, est le même à l'euro près que le prix français et il est même plus élevé que celui-ci - en ce moment même - rapporté au mois. Et si je reprends les prix au moment de la crise, le différentiel s'élevait à 100, voire 150 euros de plus dans certains pays comme l'Irlande, l'Allemagne et les Pays-Bas, et ce toujours sans loi Egalim.

S'agissant de l'agriculture biologique, je souhaite apporter un peu d'apaisement. Je connais des producteurs bio qui sont mieux rémunérés lorsque leurs produits - lait ou viande - sont vendus en tant que produits issus de l'agriculture conventionnelle. Pour autant, ils ne décident pas d'abandonner leur certification bio. Cela me paraît tout à fait compatible et montre qu'il ne s'agit pas d'un problème de déconventionnement. Je pense qu'il est positif de retrouver sur nos territoires une certaine liberté d'entreprendre et de schéma de production. Ne mettons pas le secteur bio en situation de fragilité, car la compétitivité s'intensifie sur ce marché au sein de l'Union européenne !

Concernant les collectivités, un certain nombre d'auditions ont eu lieu, mais nous n'abordons pas ce sujet dans le rapport par crainte d'être incomplets, car il est complexe. Nous le traiterons bien sûr prochainement. Nous avons d'ores et déjà pu constater que les communes, les départements et les régions consacrent beaucoup d'énergie, de temps et de moyens pour appliquer la loi Egalim. Peut-être serait-il judicieux de réfléchir à une simplification en proposant par exemple le recours à des produits issus du territoire ? Nous avons prévu de travailler sur les autres titres des lois Egalim comme l'a rappelé Anne-Catherine Loisier.

Enfin, comme notre collègue Bernard Buis, je suis favorable à un prononcé systématique des sanctions et cela figure dans nos recommandations. Jusqu'à présent, la DGCCRF nous avait semblé plutôt timide en la matière, mais il semble qu'un cap supérieur a été franchi récemment puisque le nombre de sanctions et de pénalités augmente. Il me paraît nécessaire de renforcer les contrôles et de prononcer des pénalités dès lors qu'une anomalie est constatée.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure du groupe de suivi. - Je souhaite apporter deux compléments.

Le sujet des marges des MPI était difficile à appréhender dans les phases précédentes, car la loi Egalim se concentre sur la MPA. Il s'agit donc d'une question de rééquilibrage. Nous proposons de remplacer la clause de renégociation par une clause tenant compte de l'évolution du coût des MPI. S'agissant de la procédure, il faudra rajouter un élément relatif aux MPI et surtout pas se concentrer uniquement sur la MPA.

Concernant le SRP + 10 %, nous avons eu un débat important il y a deux ans. Je suis convaincue qu'il est de notre responsabilité de législateur d'éclaircir ce point. Cela représente des milliards et nous ne pouvons pas continuer à verser ces sommes sans nous assurer que l'objectif fixé est atteint. Il est donc crucial que nous approfondissions ce sujet. J'ose suggérer que la commission se dote de pouvoirs d'enquête, car il est souvent difficile d'obtenir des données, notamment en raison des centrales d'achat à l'étranger. Nous devons réfléchir à la manière de nous procurer ces chiffres.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous allons procéder au vote sur ce rapport et sur les recommandations formulées afin de permettre sa publication.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.

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