B. UN DÉCROCHAGE PRÉOCCUPANT DES MARQUES NATIONALES DE LA FERME FRANCE DANS LES RAYONS
Les rapporteurs s'alarment du décrochage des marques nationales de la ferme France, propos sous-jacent à de nombreuses auditions menées. Ce décrochage se matérialise bien évidemment par la réduction de l'excédent commercial de l'agroalimentaire qui, bien que tiré vers le haut par les performances à l'export de nos vins et spiritueux, est passé de 12 milliards d'euros en 2011 à 6,5 milliards en 2023.
Il se manifeste aussi dans les rayons de la grande distribution. Les rapporteurs ont été alertés par une progression des produits d'origine « Union européenne », notamment en raison de la guerre des prix et du contexte de tensions sur le pouvoir d'achat où les consommateurs plébiscitent le prix le plus bas.
Cette guerre des prix se fait souvent au détriment des produits de marques nationales. Ce constat s'inscrit dans la lignée des constats du groupe de suivi depuis 2018, au gré des différentes lois Egalim. C'est d'ailleurs sous l'impulsion de la commission des affaires économiques que la loi du 30 mars 2023 (« Egalim 3 »)10(*) a soumis les produits vendus sous « marques de distributeur » (MDD) au principe de non-négociabilité de la matière première agricole à partir du 1er avril 202311(*).
Après plusieurs années de retrait12(*), la part de marché des produits sous MDD progresse dans le contexte d'inflation et de tensions sur le pouvoir d'achat. En 2023, leur part de marché est de 34 % en valeur. Le groupe de suivi a été alerté à plusieurs reprises sur le recul de la consommation en 2023 qui a plus fortement fragilisé les marques nationales que les MDD. Si ces dernières se sont globalement stabilisées, les produits premiers prix, qui représentent 2 % du marché, ont quant à eux connu une hausse de volume de près de 17 % !
Certains acteurs auditionnés l'ont expliqué par une décorrélation entre la hausse du prix de vente en rayon de certains produits et la hausse de tarif consentie à l'industriel, permettant au distributeur de compenser des baisses de prix de produits MDD, notamment dans le cadre du « panier anti-inflation ».
Si le distributeur reste maître de sa stratégie commerciale, il n'est pas acceptable que les industriels aient été désignés comme responsables de la dégradation du pouvoir d'achat des Français si, sur certains produits, les évolutions de leurs tarifs ne reflétaient pas toujours celles des prix en rayon.
Les rapporteurs constatent une dynamique de baisse de l'inflation des produits « premiers prix » et des produits vendus sous MDD entre mars 2023 (respectivement + 21,1 % et + 19,3 % d'inflation sur un an) et mai 2023 (respectivement + 18,2 % et + 16 % sur un an). À l'inverse, l'inflation sur les produits de marques nationales augmente légèrement entre mars 2023 et mai 2023 (de + 14,7 % à + 15,1 % sur un an).
Cette période correspond à celle de l'opération du « trimestre anti-inflation » : à partir de mi-mars 2023, le Gouvernement a lancé une opération dans le cadre de laquelle les distributeurs se sont engagés à mener un effort de modération tarifaire sur un nombre élevé de références librement choisies par eux correspondant à des produits de première nécessité, des produits alimentaires et des produits du quotidien. Selon des estimations réalisées en mars, la quasi-totalité des produits concernés relevait de marque distributeur (MDD) ou de premiers prix13(*). Selon la DGCCRF, entre le 15 mars et fin avril, le prix total du panier constitué de l'ensemble des produits proposés a baissé d'environ 13 %14(*).
La question de la progression des MDD au détriment des marques nationales n'est pas sans incidence sur l'origine des matières premières : chaque fournisseur est libre de répondre aux appels d'offres internationaux des distributeurs pour leurs produits en MDD, le critère le plus important étant le prix. Cette guerre des prix, qui peut désavantager les matières premières agricoles françaises, rejoint les doutes formulés dès l'examen de la première loi Egalim par le Sénat sur la stratégie de « montée en gamme », considérée pendant des années comme le principal horizon de l'agriculture française. Les rapporteurs en voient aussi pour preuve les objectifs non atteints d'approvisionnement de la restauration collective publique en produits biologiques et sous signe d'identification de la qualité et de l'origine, alors même que nous ne disposons pas d'objectifs ni de suivi concernant les produits d'origine France, la mention de l'origine au sein des appels d'offres étant proscrite par le code de la commande publique.
* 10 Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
* 11 Amendements 6 rect. bis, 15 rect. bis et 42 de MM. Gremillet et Duplomb et de Mme Loisier, rapporteurs.
* 12 La part de marché des produits vendus sous MDD est passée de 34,6 % en 2014 à 31,9 % en 2021.
* 13 Éditions Dauvers : https://www.olivierdauvers.fr/2023/03/27/exclu-ce-quil-y-a-dans-les-paniers-anti-inflation/
* 14 DGCCRF : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/trimestre-anti-inflation-la-dgccrf-mobilisee-pour-surveiller-lefficacite-du-dispositif-0