C. LES CENTRALES D'ACHAT INTERNATIONALES POURSUIVENT LEURS CONTOURNEMENTS MALGRÉ LA LOI DESCROZAILLE

La multiplication des centrales d'achat basées à l'étranger depuis 2016 va au-delà d'un objectif de mutualisation des achats à l'échelle européenne : ces centrales sont devenues le moyen de contourner les obligations liées aux lois Egalim votées depuis 2018, voire parfois le support de pratiques commerciales abusives. Elles se contentent de négocier les contrats et ne réalisent aucun acte d'achat correspondant à des flux de marchandises.

Plusieurs centrales d'achat ont été sanctionnées pour non-respect du formalisme du contrat en vertu des lois Egalim - notamment pour non-respect de la « date-butoir » de clôture des conventions, fixée habituellement au 1er mars, mais au 15 janvier 2024 ou au 31 janvier 2024 lors du dernier cycle de négociations conformément à la loi du 17 novembre 202317(*). En août 2020, une amende administrative de 6,34 millions d'euros a ainsi été infligée à la centrale Eurelec pour non-respect de la date-butoir du 1er mars. Elle a demandé l'annulation de cette amende, demande rejetée par le tribunal administratif de Paris le 23 juin 2022. Eurelec a fait appel.

La loi du 17 novembre 2023 a relevé de 1 million d'euros à 5 millions d'euros le montant de l'amende en cas d'absence de conclusion de la convention à la date butoir. Or début 2024, deux centrales d'achats négociant avec les plus gros fournisseurs français en vue de commercialiser des produits sur le territoire français se sont affranchies de la date butoir. Des pré-amendes ont été envoyées par la DGCCRF à ces deux centrales entre février et mai 2024. La centrale Eurelec a notamment été sanctionnée en août dernier à hauteur de 38 millions d'euros.

Selon différentes données obtenues par le groupe de suivi, environ 20 % en valeur et jusqu'à 50 % en volume des produits commercialisés par la grande distribution en France pourraient être négociés à l'étranger. Les industriels auditionnés par le groupe de suivi indiquent qu'ils sont de plus en plus nombreux à être convoqués à la table des négociations avec ces structures internationales qui ne se limitent plus aux multinationales, mais intègrent aussi des PME et ETI.

À ces centrales internationales d'achat s'ajoutent des centrales de services. Ces services se superposent aux services déjà négociés au niveau national, mais ne sont pas, contrairement à ces derniers et en méconnaissance de la loi, pris en compte dans la construction du tarif de l'industriel, voire sont fictifs : ainsi Agecore, centrale d'Intermarché, a été assignée en 2021 à hauteur de 150 millions d'euros,18(*) car elle facturait des services à faible impact commercial qui n'étaient pas demandés par les industriels, mais constituaient en réalité un « droit d'entrée » en négociations, sans contrepartie économique réelle. En janvier 2022, l'enseigne Intermarché a également fait l'objet d'une amende administrative d'un montant de 19,2 millions d'euros pour les pratiques de cette même centrale de services pour ne pas avoir fait figurer les services internationaux fournis dans les conventions signées avec ses fournisseurs français.

Plusieurs distributeurs ont contesté la compétence des autorités françaises pour les sanctionner ainsi que celle du juge français, malgré l'affirmation par la loi du 30 mars 2023 du caractère d'ordre public des dispositions du code de commerce relatives aux négociations commerciales, introduites par les lois Egalim. Ainsi, Eurelec et d'autres entités du mouvement E.Leclerc, assignées par le ministre de l'économie devant le tribunal de commerce de Paris en juillet 2019 pour déséquilibre significatif à hauteur de 117 millions, ont contesté la compétence du juge français, retardant ainsi le démarrage des débats au fond. La compétence du juge français a été confirmée par la cour d'appel en février 2024. De même, l'entité belge d'Intermarché a soulevé une exception d'incompétence à la suite de son assignation en 2021 pour les pratiques d'Agecore. Enfin, Eurelec a engagé plusieurs procédures devant les juridictions belges visant à interdire tout acte d'enquête de la DGCCRF visant Eurelec, ses membres et même ses fournisseurs établis en France.

Pour les rapporteurs, la progression des centrales d'achat s'explique par deux raisons :

- d'une part, les distributeurs considèrent que ceux qui n'ont pas recours aux centrales basées à l'étranger subissent un désavantage concurrentiel : ainsi, en septembre dernier, Intermarché a finalement rejoint la centrale Everest via Aura Retail (Intermarché, Auchan, Casino).

- d'autre part, malgré l'affirmation par la loi Descrozaille en 2023 du caractère d'ordre public des dispositions du cadre Egalim, applicables à tout produit commercialisé sur le territoire français, leurs pratiques ne sont pas systématiquement sanctionnées. Les suites contentieuses et les conflits de compétences ayant abouti à un arrêt de la cour de justice européenne en 2022 semblent avoir renforcé la prudence des autorités. C'est d'autant plus regrettable que les sommes auxquelles sont condamnés les distributeurs sont provisionnées, occasionnant des pertes en trésorerie, même en présence de suites contentieuses.


* 17Loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation.

* 18 Assignation de l'enseigne Intermarché pour des pratiques commerciales abusives, communiqué de presse du ministère de l'économie 19 février 2021.

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