EXAMEN EN COMMISSION
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous commençons ce matin notre réunion par l'examen du rapport d'information de nos collègues Martine Berthet, Rémi Cardon et Anne-Catherine Loisier sur le programme « Territoires d'industrie ». Il s'agit du premier contrôle sénatorial de proximité réalisé par notre commission. Ce contrôle répond au souhait du président du Sénat et s'inscrit dans le cadre des recommandations émises par notre collègue Mathieu Darnaud lorsqu'il était vice-président du Sénat en charge du lien avec les territoires et des consultations des élus et des citoyens. Il s'agit plus généralement de l'une des déclinaisons du plan d'action de modernisation des méthodes de contrôle du Sénat présenté à la fin 2021 par notre collègue Pascale Gruny, alors vice-présidente de notre assemblée.
Le programme « Territoires d'industrie » se prête par excellence à ce type de contrôle. Nos rapporteurs ont ainsi pu évaluer sa mise en oeuvre sur le terrain, en se rendant dans la Somme et en Saône-et-Loire, et en effectuant une visioconférence pour la Savoie.
Je les laisse nous présenter leurs conclusions.
M. Rémi Cardon, rapporteur. -Nous sommes très heureux, pour cette dernière réunion de commission de l'année 2024, de vous présenter les conclusions de notre mission d'information sur le programme « Territoires d'industrie ». En effet, nous n'avons pas si souvent l'occasion d'évaluer un programme de politique publique dont la nature même est d'être territorialisé, surtout en matière de politique économique ! Je sais, en outre, que vous êtes nombreux à connaître de première main ce programme dans lequel sont impliqués près de la moitié des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de notre pays, rassemblés en 183 territoires d'industrie.
Comme nous sommes trois rapporteurs, nous allons nous répartir la tâche ainsi : pour ma part, je vous exposerai l'esprit dans lequel nous avons effectué ce contrôle et je vous rappellerai le principe et les spécificités du programme « Territoires d'industrie ». Martine Berthet et Anne-Catherine Loisier vous feront part ensuite de nos propositions concernant les évolutions du fonctionnement du programme et son nécessaire recentrage, compte tenu notamment des contraintes budgétaires.
Le programme « Territoires d'industrie » a été lancé en 2018, puis renouvelé fin 2023 pour une période de quatre ans. Au sein de la gamme d'outils mobilisés par l'État pour soutenir l'industrie et favoriser la réindustrialisation, il fait un peu figure d'ovni.
Le principe en est simple : un pilotage, dans chaque Territoire d'industrie, par un binôme composé d'un élu local et d'un industriel du territoire ; des projets élaborés à l'échelon de chaque territoire par un comité de projet, en fonction des besoins ; un accès prioritaire à l'offre de service de droit commun des opérateurs de l'État partenaires du programme - la Banque des Territoires, Bpifrance, Pôle Emploi (puis France Travail), et Business France, auxquels se sont ensuite ajoutés l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et Action Logement. À l'échelon national, le programme est piloté par une délégation aux territoires d'industrie (DTI), rattachée organiquement à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui est co-porteuse du programme avec la direction générale des entreprises à Bercy (DGE).
Le programme repose sur l'idée, originale, que le facteur territorial joue un rôle prépondérant dans les dynamiques industrielles. De récents travaux académiques ont évalué la part de ce facteur territorial à pas moins de 40 %, les 60 % restants étant imputables au contexte macro-économique et aux effets de spécialisation. C'est ce facteur territorial que l'on voit à l'oeuvre, par exemple, dans les fameux « districts » italiens, dont le tissu industriel est majoritairement composé de petites et moyennes entreprises, spécialisées dans différentes étapes de production au sein d'une même filière. Le succès de ces districts, notamment à l'international, est justement souvent attribué aux synergies favorisées par l'existence de ce réseau dense et interconnecté.
Ce facteur territorial est cependant difficile à appréhender dans le détail, car il recouvre une multitude de facteurs invisibles, comme la culture industrielle ou la qualité des relations entre acteurs du territoire. Pour cette raison, l'idée de « fabriquer » de manière proactive ce facteur territorial a pu, à l'origine, faire sourire, voire éveiller des réticences, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. C'est pourtant cette approche qui a été portée par l'économiste Olivier Lluansi, préfigurateur du programme puis premier délégué aux territoires d'industrie, avec l'idée que la réindustrialisation doit marcher sur deux jambes : l'approche territoriale vient ainsi compléter la logique de soutien aux filières et à l'innovation de rupture déployée à l'échelon national via les programmes d'investissements d'avenir (PIA), puis France Relance et France 2030.
En raison du caractère territorialisé du programme « Territoires d'industrie », cette mission était tout indiquée pour constituer le premier contrôle sénatorial de proximité que le président du Sénat avait appelé de ses voeux, dans la lignée des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de contrôle mené par Pascale Gruny. La dissolution a retardé la formalisation d'une méthode commune à l'ensemble des commissions sur ce sujet, mais le travail que nous avons conduit montre bien l'intérêt d'une telle démarche, car nous avons constaté d'importantes divergences entre ce que nous entendions à Paris, les informations recueillies lors nos déplacements à Amiens et à Chalon-sur-Saône et lors de nos échanges, autour d'une table ronde, avec les acteurs du Territoire d'industrie de la vallée de la Maurienne.
Certes, les évaluations macro-économiques montrent que les effets du programme « Territoires d'industrie » sur l'activité industrielle sont globalement mitigés. Les syndicats d'industriels, s'ils portent un regard bienveillant sur ce programme, sont malgré tout, il faut bien le dire, assez condescendants, ce programme faisant figure de Petit Poucet mal doté, par rapport aux milliards d'euros de France 2030. Malgré cela, à l'échelon local, le programme est plébiscité, tant par les élus que par les industriels.
Ces derniers ne sont cependant pas dupes. Alors que les gouvernements successifs se gargarisent, évoquant les milliards d'euros déversés dans les territoires d'industrie, on constate seulement le recyclage de crédits préexistants. Autre exemple : alors que CCI France nous assurait que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) - je dis bien « et d'industrie »... - étaient pleinement mobilisées dans la mise en oeuvre du programme, elles sont partout demeurées invisibles.
Ces divergences s'expliquent par le fait que le programme n'a fait l'objet d'aucun suivi et d'aucune évaluation, ni à l'échelon local ni à l'échelon national, et ce y compris en amont de sa reconduction en 2023. La Cour des comptes, qui a récemment publié un avis sévère sur la conduite du programme, estime que les éléments du bilan publié par le Gouvernement à l'issue de sa première phase, dans lequel il évoque la création de plusieurs dizaines de milliers d'emplois et l'engagement de plus de 2 milliards d'euros, relèvent « uniquement de la communication » et « ne [peuvent] être considérés comme un bilan ». Nous avons nous-mêmes constaté d'importantes divergences dans les chiffres qui nous ont été fournis.
En réalité, les opérateurs partenaires du programme n'ont intégré la géographie des territoires d'industrie ni dans le fléchage de leurs dispositifs ni dans leurs outils de suivi. Le résultat est que, en dépit de toutes les auditions que nous avons menées, il est impossible de savoir précisément, par exemple, dans quelle mesure les accélérateurs de Bpifrance ont bénéficié aux territoires d'industrie. Il en va de même pour la distribution des aides régionales ou pour les appels à projets France 2030... La Cour des comptes a péniblement reconstitué certains flux financiers - je vous renvoie à son rapport pour le détail, et au nôtre pour les points saillants -, mais le constat est le même en ce qui concerne le bilan qualitatif.
L'une de nos recommandations est donc que les outils de suivi des opérateurs partenaires du programme, de la DGE et des régions intègrent le périmètre des territoires d'industrie, de sorte que les actions menées dans le cadre du programme et leurs résultats puissent être régulièrement évalués, localement et, de manière agrégée, à l'échelon national.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Ces évaluations régulières, que vient de proposer Rémi Cardon, devront permettre en particulier de mieux adapter l'offre de services aux besoins des territoires.
Nous avons constaté que les actions mises en oeuvre à l'échelon local dans les territoires d'industrie ne sont pas complètement celles qui sont identifiées comme prioritaires à l'échelon national. Pour la phase II du programme, les quatre axes proposés aux comités de projets locaux pour les guider dans l'élaboration de leurs projets sont : la transition écologique, l'innovation, le développement des compétences et la mobilisation du foncier.
Mais dans les territoires, la réflexion sur l'attractivité, par exemple, loin d'être limitée au foncier, se déploie de manière globale et inclut l'accès au logement, mais aussi les mobilités et, plus largement, l'ensemble du cadre de vie. Dans la ville d'Albert, dans la Somme, la phase I du programme a donné lieu à l'ouverture d'une résidence pour jeunes actifs et en formation, constituée d'une trentaine de studios meublés, avec des préavis d'arrivée et de départ très courts pour s'adapter aux contraintes des stagiaires et alternants. À Albert également, la communauté de communes du Pays du Coquelicot a travaillé sur les mobilités en mettant à disposition des vélos électriques entre la gare d'Albert et IndustrieLAB, plateforme d'innovation et de transfert très mal desservie par les transports publics.
Le problème est un peu différent pour le volet relatif aux compétences, qui est, lui, bien identifié à l'échelon national. Je vous rappelle que les besoins sont estimés à plus de 100 000 personnes par an, d'ici à 2035. Les ministères compétents se sont rapprochés et des actions communes ont été entreprises, en ce qui concerne tant la formation initiale que la formation continue. L'éducation nationale développe par exemple des actions de sensibilisation, notamment lors de la Semaine de l'industrie, et travaille sur l'adaptation des formations et des diplômes aux besoins des filières industrielles. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail (DGEFP) participe aux travaux du Conseil national de l'industrie (CNI), notamment sur le volet développement des compétences dans les filières.
Dans le cadre du programme « Territoires d'industrie » en revanche, la collaboration est beaucoup plus ténue : au niveau national, ni le ministère de l'éducation nationale, ni le ministère de l'enseignement supérieur, ni le ministère du travail ne sont officiellement parties prenantes au programme. Cela se ressent à l'échelon local, où l'élaboration d'offres de formation et les actions en faveur de l'accès à l'emploi mobilisent peu les rectorats, les universités, les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et les antennes locales de France Travail. Ce sont, au cas par cas, les syndicats d'industriels ou les collectivités qui prennent l'initiative, en s'appuyant sur les acteurs les plus « allants » et les plus réactifs : à Chalon-sur-Saône par exemple, c'est avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et l'École nationale supérieure d'arts et métiers (Ensam) qu'a été développée, avec le soutien du Grand Chalon, une offre de formation tournant autour du numérique, du bac+ 1 au doctorat. Ces formations sont hébergées au sein de l'Usinerie, tiers-lieu abritant également des activités d'accompagnement et de services aux entreprises. Le rapprochement un temps envisagé avec l'antenne locale de l'université de Bourgogne a, lui, été abandonné. Il nous semble donc indispensable qu'un dialogue structuré avec les ministères chargés de la formation initiale et continue et de l'accès à l'emploi soit formalisé à l'échelon national, afin que ces derniers mobilisent à leur tour leurs troupes dans les territoires.
J'ouvre une parenthèse sur les difficultés rencontrées par les écoles de production, qui ont connu un franc succès dans les Territoires d'industrie, notamment grâce à l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé en 2021. Ces écoles d'apprentissage proposent une formation mixte, comprenant un enseignement théorique sur un tiers du temps et une formation pratique en atelier, dans les locaux de l'école, sur les deux autres tiers du temps. Les élèves sont souvent des jeunes en décrochage scolaire.
Les écoles de production répondent de manière ciblée et efficace aux besoins des industries locales : l'École de production de Chalon-sur-Saône (EDPC), que nous avons visitée, propose par exemple des formations en mécanique, usinage et robinetterie, spécialités très demandées dans un territoire fortement marqué par la métallurgie.
Or la directrice de l'EDPC nous a alertés sur la soutenabilité financière du modèle des écoles de production. L'EDPC a bénéficié, à sa création, de fonds du plan de relance, ainsi que d'une subvention du Grand Chalon. Son fonctionnement, en revanche, repose sur la taxe d'apprentissage, les recettes des ventes des productions des élèves, et sur une subvention versée par l'État au prorata du nombre d'élèves, sachant que seules les écoles de production reconnues par l'État en bénéficient. L'EDPC, qui n'a pas atteint le seuil de rentabilité pour ses productions, ne subsiste pour l'instant que grâce à des aides régionales complémentaires. Il serait souhaitable, surtout dans les premières années de la phase de lancement, de consolider la part État du financement des écoles de production et de pérenniser son principe, en reconduisant la convention passée en ce sens avec le ministère du travail.
En outre, compte tenu du profil des élèves, dont 14 % sont sous statut « protégé » à divers titres, nous recommandons d'engager une réflexion sur les moyens de lever les freins pécuniaires à leur scolarité, par exemple en les rémunérant pour leurs productions ou en rapprochant leur statut de celui des apprentis. Je ferme ici la parenthèse.
Sur l'ensemble des points clés identifiés par les territoires d'industrie pour favoriser leur développement économique, il est nécessaire que les territoires d'industrie bénéficient désormais d'une véritable priorisation dans l'accès aux dispositifs de droit commun. En complément, il faut que les opérateurs de l'État élaborent et déploient un panier de services spécifiques, visant à répondre aux problématiques remontées via les fiches-actions rédigées par les comités de projet.
Dans cette optique, en ce qui concerne plus spécifiquement le foncier, dont la disponibilité est le critère numéro un pour les implantations industrielles, nous souhaitons que les collectivités qui s'engagent dans l'acquisition de terrains et l'aménagement de zones industrielles soient davantage soutenues, tant en ingénierie que financièrement, au travers d'une ligne budgétaire spécifique, distincte du fonds vert, qui est devenu un véritable fourre-tout au sein duquel aucune enveloppe n'est fléchée vers le recyclage foncier à vocation industrielle. À Chalon-sur-Saône, nous avons pu constater la réussite de la zone SaôneOr, aménagée sur l'ancienne friche Kodak. Il est indispensable d'aider les collectivités qui s'engagent dans ces processus très coûteux : après SaôneOr, l'agglomération de Chalon-sur-Saône aura par exemple dû financer près de la moitié des 7 millions d'euros nécessaires à l'aménagement de la friche Philips/Nordeon, et ce malgré sa labellisation « Site clé en main France 2030 ».
Enfin, dans l'idée de tirer parti de l'expérience des Territoires d'industrie et de mieux adapter les politiques économiques aux besoins des territoires, nous suggérons que la DGE effectue un travail de recension des projets remontés des Territoires d'industrie, notamment en matière de simplification, en vue d'alimenter de futures propositions d'évolutions législatives et réglementaires. En parallèle, et dans l'attente de telles modifications, nous recommandons que soit rappelée aux porteurs de projets et aux préfets la possibilité de solliciter des dérogations au droit existant pour permettre la réalisation de projets particuliers, via France Expérimentation, ou en usant du pouvoir de dérogation préfectoral.
C'est aussi dans cet esprit de simplification et d'accélération que nous recommandons la nomination d'un délégué interministériel à la réindustrialisation, qui puisse aborder les sujets de manière transversale et lever plus rapidement les blocages entre ministères : le retour d'expérience de la DTI, qui fonctionne ainsi, en mode projet, est très positif.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Il nous semble essentiel de faire évoluer le programme en profondeur, pour le rendre plus opérationnel et plus cohérent avec la stratégie de politique industrielle nationale. Il doit être reconduit, mais resserré, avec un budget pluriannuel dédié et sécurisé, ciblant les financements et mobilisant mieux les acteurs.
Dans le contexte d'austérité budgétaire que nous connaissons, il faut sécuriser les quelque 4,5 millions d'euros prévus, à l'origine, pour 2024, via les crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Ces crédits, quoique modestes, sont déterminants, car ils permettent le cofinancement des chefs de projet et d'activités d'ingénierie. Nous proposons d'y ajouter, à enveloppe constante, le financement de campagnes de détection de projets industriels, sur le modèle du dispositif Rebond industriel, déployé durant la crise covid, qui avait révélé pas moins de 1 600 projets industriels dormants, dont les deux tiers n'avaient pas été identifiés auparavant par les acteurs publics. Il s'agit donc d'un outil précieux, qui a montré son efficacité en matière d'impulsion de projets.
Ce financement a minima permettrait de maintenir les dynamiques engagées dans les territoires d'industrie et de donner de la visibilité aux acteurs, évitant l'effet « stop and go », particulièrement dommageable pour les projets industriels, dont la maturation demande souvent plusieurs années.
Il s'agit non pas de faire du saupoudrage, mais bien de construire les conditions du succès de la réindustrialisation. Les effets macro-économiques du programme sont, pour l'instant, difficilement évaluables, peut-être faute d'une stratégie nationale.
Les territoires d'industrie bénéficient d'atouts bien réels et de potentiels à développer. Ils présentent en moyenne un profil effectivement plus industriel que le reste du territoire. Mais certains d'entre eux ont été très affectés par les crises industrielles successives, et en restent encore marqués : mines autour d'Alès, exploitation du gaz et chimie autour de Lacq, régions historiquement engagées dans l'automobile, comme Nord Franche-Comté et Nord Lorraine, particulièrement affectées par la crise covid, puis par la longue période de pénurie d'intrants.
En outre, le programme n'a que six années d'existence. C'est peu au regard des objectifs et des caractéristiques de l'investissement industriel, pour ancrer ce facteur territorial qui est la cible du programme, et qui constitue, comme l'écrit Pierre Veltz, « les sucres lents de la compétitivité ».
Nous observons que les dynamiques coopératives engagées grâce à la gouvernance bicéphale et à l'implication des collectivités, des industriels, des préfets et des opérateurs de l'État sont en phase de croissance, et assureront aux territoires d'industrie la compétitivité et la résilience nécessaires. L'engagement de tous les acteurs est indispensable.
Or les régions, cheffes de file en matière de développement économique, sont impliquées de manière inégale dans le programme. À leur décharge, l'État n'avait pas jugé bon de les associer à l'élaboration du programme ; certaines ont donc d'abord observé avec circonspection ce qui se mettait en place.
La plus-value apportée par celles qui se sont tout de suite et fortement engagées est évidente, comme dans la Somme, où les Hauts-de-France ont cofinancé IndustriLAB, qui constitue aujourd'hui le support et le point d'ancrage pour la plupart des initiatives développées par le territoire d'industrie Albert-Amiens en faveur de l'innovation.
Selon Intercommunalités de France, l'implication des régions est en voie de normalisation dans la plupart des cas. Elle s'appuie sur une consolidation du tandem EPCI-région et sur la formalisation de la coordination entre président de conseil régional et préfet de région dans les comités de pilotage régionaux. Cette proximité se révèle particulièrement précieuse dans la mesure où la région est le partenaire privilégié des opérateurs et des services de l'État en matière de développement économique. La création de postes de coordinateurs régionaux, facilitée par le cofinancement de l'État, devrait aussi permettre aux régions de mieux intégrer les territoires d'industrie dans leurs stratégies de politiques économiques régionales, notamment pour le fléchage des aides aux entreprises.
Autre acteur insuffisamment mobilisé : les chambres de commerce et d'industrie. CCI France nous a indiqué que seules quatorze d'entre elles étaient directement impliquées dans la gouvernance d'un territoire d'industrie.
Avec leur connaissance du tissu économique local, surtout en ruralité, elles devraient jouer un rôle plus systématique dans la détection de projets, l'accompagnement des entrepreneurs, l'identification et l'accès aux aides publiques. Il y a donc des mutualisations à rechercher pour davantage d'efficacité du dispositif. Alors que France 2030 est en cours d'extinction, il va être plus que jamais nécessaire d'aller chercher tous les financements disponibles, du niveau local au niveau européen. Sur ce dernier point, nous savons que la France sollicite toujours trop peu les aides européennes. Un représentant de l'agence économique de la région Auvergne-Rhône-Alpes nous a expliqué comment l'accompagnement des industriels du territoire d'industrie Vallée de la Maurienne lui avait permis d'afficher un taux de lauréats bien supérieur à la moyenne nationale, pour des appels à projets dont la fenêtre de tir n'était que de quelques jours. De même, si le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires (FAIIT), lancé en 2020, a bénéficié pour deux tiers à des industries localisées dans des territoires d'industrie, c'est principalement parce qu'ils ont eu tendance à candidater plus que les autres.
Les CCI ont ici un véritable rôle à tenir. Nous proposons donc qu'elles deviennent officiellement partenaires du programme.
Enfin, compte tenu de la contrainte budgétaire, nous proposons de cibler prioritairement les territoires porteurs d'un véritable projet industriel de territoire, structurés autour de filières, ou susceptibles d'en développer un. C'est par ce prisme, en assurant le plein déploiement du volet politique économique du programme, qu'il se révélera un puissant outil de cohésion territoriale, économique et sociale.
Autour d'Albert et d'Amiens, nous avons vu les économies d'échelle permises par la structuration en filière, emmenée par Airbus - on nous a parlé par exemple de job dating de filière, pour mutualiser la recherche de talents. Nous avons constaté également l'effet d'entraînement de cette filière sur l'ensemble de l'écosystème industriel : la plateforme IndustriLAB, dédiée d'abord à l'aéronautique et largement portée par Airbus, met ses infrastructures à la disposition de l'ensemble des porteurs de projets du territoire, tous secteurs confondus.
Il s'agit, en quelque sorte, d'amplifier le modèle
des clusters, des districts italiens - l'Italie est récemment
devenue l'un des cinq ou six premiers exportateurs mondiaux, prouvant que c'est
possible pour un pays
européen -, ou des pôles de
compétitivité, mais en organisant le ruissellement de
l'innovation sur l'ensemble du tissu industriel.
Nous préconisons donc de pérenniser le programme, de le rationaliser en améliorant son ciblage sur les territoires et les filières les plus prometteurs, sans le rigidifier excessivement, afin de préserver la dynamique ascendante qui fait son succès.
M. Franck Montaugé. - Merci pour ce travail de qualité, bel exemple d'évaluation de l'efficacité d'une politique publique. Comme le président Larcher, j'appelle au développement de telles études territorialisées, qui intéressent nos concitoyens et peuvent donner du lustre à l'une de nos missions.
Quelques remarques sur vos préconisations. Pérenniser le programme, je suis d'accord : je vois son utilité dans le Gers. Mais la notion de priorisation me pose problème, comme celle de « territoire industrialisable ». De mon point de vue, il y a un enjeu national à ce que tous les territoires tentent de développer l'économie de leur territoire à l'aune de nos obligations de transition écologique. Nous devons entrer dans une nouvelle phase de développement économique et tous les territoires doivent pouvoir y contribuer, pour autant qu'ils le veuillent.
Vous préconisez de réorienter le programme vers ses fondamentaux : quels sont-ils ? Pierre Veltz, que vous citez à juste titre, fait partie de mes lectures. Il dit : de l'industrie, il y en a partout. Elle ne se limite pas aux secteurs les plus spectaculaires comme l'aéronautique. Je m'interroge donc sur le terme « fondamentaux ».
Je partage votre volonté de réanimer l'axe de simplification du programme. Il faut le dire - même si ce n'est forcément pas le cas partout : c'est un peu le bazar. L'initiative a été laissée aux territoires ; résultat : selon leur appétence et celle des acteurs industriels, les choses se font ou ne se font pas. Il y a, comme vous l'avez dit, un intérêt national à reconsidérer l'animation de ce programme, mais aussi de la politique de développement industriel en général.
Vous en appelez à des soutiens de l'État. Dans le contexte budgétaire, l'enjeu est de savoir comment redéployer les crédits consacrés au développement industriel pour les rendre plus efficaces. Or l'efficacité de programmes comme Territoires d'industrie ou France 2030 n'est pas évaluée. Il y a une culture à développer, au plus haut niveau de l'État, et en accord avec les acteurs locaux. Il y a tout à faire sur ce sujet.
De mon côté, je cherche à revoir dans le Gers le management du développement industriel, en lien avec la région. La région est l'acteur numéro un. Les régions se sont dotées d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Pour ce qui me concerne, celui de l'Occitanie reste très vague en matière de développement industriel, sauf pour les grandes filières. Or le Gers, par exemple, est un territoire essentiellement agricole dont la productivité augmente très vite, ce qui induit des diminutions d'emplois. Sans sacrifier l'économie agricole, il faudrait se poser la question de son devenir économique. Or tels territoires n'ont pas de culture industrielle, à l'inverse d'autres : il faut donc la faire émerger pour faire face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Si nous préconisons de prioriser, c'est aussi pour des raisons budgétaires, il n'y aura pas de fonds supplémentaires. L'enjeu est de mettre les moyens là où il le faut. Lors des auditions, nous avons senti que les acteurs étaient fiers de monter leur projet sur leur territoire ; mais ils ne se sentent pas embarqués dans une stratégie nationale. Ce vide, nous l'avons ressenti. Tout le monde a envie d'y aller, même si parfois certains acteurs sont attentistes, notamment faute de financement.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - La première vague a concerné 149 territoires ; la deuxième, 183. Tout le monde a voulu avoir un territoire d'industrie, espérant qu'avec ce nouveau dispositif, il y aurait peut-être des financements à la clé. Tous les territoires ont été reconduits sans évaluation, sans se demander quels territoires avaient utilisé le dispositif avec profit. Nous voulons recentrer le programme en prenant pour critère l'engagement des acteurs.
J'ai le regret de dire que mon territoire a participé au pôle Nuclear Valley, au départ d'abord avec succès, puis sans aucun résultat. Les services de la préfecture estimaient pourtant que nous avions un très fort taux d'emplois industriels et que nous avions donc développé une culture industrielle. Mais il n'y a pas eu d'agrégat de leaders industriels, dans le secteur privé comme dans le secteur public, pour porter les projets.
Il ne s'agit donc pas de laisser de côté les territoires qui n'ont pas de culture industrielle : tout territoire a vocation à porter un projet industriel. Dans le contexte actuel, il faudrait identifier plus précisément les conditions et les facteurs territoriaux qui ont permis aux dynamiques de prendre et aux projets de se développer. La notion de ciblage vise à accompagner les territoires qui ont su tirer parti du programme. Les moyens de l'État vont se raréfier et il faut identifier les projets où ils ont porté leurs fruits pour s'en inspirer.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons déterminé les fondamentaux de l'attractivité industrielle en questionnant les acteurs, sur le terrain, dans les territoires d'industrie, pour compléter les axes qui avaient été proposés par l'administration centrale. Ainsi, les compétences font partie des fondamentaux pris en charge à l'échelon national, mais il y a aussi la mobilité et le logement, car quand on procède à un recrutement, il faut pouvoir loger et assurer les déplacements de la personne concernée.
Sur la simplification, les territoires d'industrie nous ont fait de nombreux retours dont nous devrons tenir compte. En effet, certains territoires expliquent leur refus de participer au programme par peur d'une trop grande complexification et d'un manque de liberté qui nuiraient à leur évolution.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les conditions pour qu'un territoire d'industrie prospère sont nombreuses : logement, mobilités, compétences... Là où nous sommes allés, nous avons vu qu'il a fallu développer une batterie de dispositifs pour accompagner l'accueil des salariés dans les territoires concernés. Cela n'a pas été possible partout. Certains territoires comme le Grand Chalon ont pu prospérer en s'engageant fortement dans le programme, car ils bénéficiaient de moyens financiers importants pour déployer le dispositif. Encore une fois, celui-ci ne peut fonctionner que si les acteurs locaux participent à la dynamique.
M. Yannick Jadot. - Ce rapport est d'autant plus important que, pendant quelques années, nous avons nourri l'illusion que la France était un pays de réindustrialisation. Or le bilan de 2024 montre un reflux de cette dynamique. Il faut donc dégager des moyens suffisants : le montant de 4 millions d'euros reste faible compte tenu des enjeux.
Pour avoir travaillé sur les expériences réussies de réindustrialisation dans les territoires européens, je sais que la coordination des acteurs concernés est un enjeu essentiel, qu'il s'agisse des acteurs financiers ou des partenaires sociaux. Sans structure d'animation suffisante pour éviter que le système ne s'effondre dans la durée, le programme ne fonctionnera pas. Il faut de la stabilité et de la durabilité et je salue vos recommandations sur ce sujet. Il est nécessaire que des commissaires à l'industrie puissent oeuvrer dans chaque territoire, en plus des préfets.
Je suis d'accord avec notre collègue Montaugé sur les enjeux de priorisation, même s'il est logique, avec peu de moyens, de vouloir retrouver un tissu industriel dans les territoires qui ont déjà de l'industrie, y compris des industries menacées, comme dans le quart nord-est de la France, où la désindustrialisation a eu des conséquences culturelles, sociales et politiques.
Dans la logique d'industrialisation de certains territoires, il faut prendre en compte l'économie circulaire, c'est-à-dire la coordination entre différents types d'acteurs servant un même projet, parfois des mêmes filières.
Lors de son audition, le président de la chambre de commerce et d'industrie nous a dit qu'il aimerait inscrire des critères de proximité dans les marchés publics, à défaut de pouvoir y intégrer des préférences géographiques, ce qui est interdit. Mais si l'on parvient, en réalité, à fixer ces critères pour privilégier les producteurs locaux, il reste très difficile de les assumer d'un point de vue politique. Il faudrait l'assumer : c'est aussi une façon de construire avec les citoyens des territoires d'industrie.
En outre, le programme doit nécessairement s'articuler avec les autres outils existants en matière industrielle, comme le plan France 2030. La conditionnalité des aides est également indispensable. Les entreprises doivent garantir leur pérennité dans les territoires et leur orientation vers les filières d'intérêt général.
Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie de ce rapport sur un sujet capital. En effet, dans l'Est de la France, la désindustrialisation a handicapé non seulement toute la région, mais aussi sa population. Les effets de la désindustrialisation française sont lourds d'un point de vue social.
Je souscris à votre recommandation de pérenniser le programme, qui mérite même d'être renforcé. En effet, comment imaginer qu'un programme de cette ampleur ne soit financé qu'à hauteur de 4 millions d'euros ? Certes, d'autres sources de financement existent, mais il faudrait que ce financement soit réservé et à la hauteur de l'enjeu. En effet, l'emploi industriel continue de diminuer - à moins qu'il ne recommence à le faire -, des plans sociaux sont annoncés. Dans les territoires d'industrie, on a constaté 60 % de destructions d'emplois sur la période 2018-2023. L'objectif de maintenir l'emploi des entreprises dans ces territoires est donc loin d'être atteint. Le programme ne doit pas pour autant être arrêté, mais il faut tenir compte du fait que son objectif primordial n'a pas été rempli.
L'idée de nommer un délégué ministériel et de favoriser la coordination à l'échelle des régions est bonne. Il faut également, comme vous le suggérez, structurer des filières stratégiques, mais encore faudrait-il définir ce que sont ces filières au regard de l'avenir que nous envisageons pour notre pays. L'industrie en France repose sur des savoir-faire existants, mais elle doit se construire sur une vision d'avenir. Or celle-ci manque dans ce programme.
Un second objectif doit être de maintenir les fleurons de l'industrie française. Les industries existantes sont un « enjeu de vie » essentiel dans chaque territoire, notamment en matière sociale. Il faut en tenir compte.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Chère collègue, je tiens à vous remercier de nouveau d'avoir conduit la mission d'information relative aux politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source. L'actualité montre à quel point vous avez eu raison de vous emparer de ce sujet, qui fait désormais l'objet d'une commission d'enquête.
M. Daniel Gremillet. - Je suis assez réservé sur tous ces programmes : nous avons créé le programme Villages d'avenir, mais en réalité tous les villages sont d'avenir : leur évolution dépend de ceux qui les dirigent. Sur le programme Territoires d'industrie, nous devons nous montrer prudents dans un contexte où la France a tellement besoin de se réindustrialiser. Les territoires qui n'y participent pas peuvent subir une distorsion de concurrence par rapport à ceux qui y participent, sur le même marché. La distorsion de concurrence est un ennemi terrible - j'en ai fait l'expérience - qui peut faire la réussite d'un territoire ou au contraire le tuer. Je m'interroge sur ce risque.
De plus, dans le deuxième axe du rapport, vous abordez un sujet important en proposant de créer des postes de coordinateurs régionaux. Or certains territoires ont déjà des CCI, dont la vocation historique est d'accompagner le monde industriel. Compte tenu du contexte actuel, les frais de fonctionnement affectent lourdement les ressources des collectivités et il ne faudrait pas aggraver inutilement leurs difficultés alors qu'une coopération est possible entre les chambres consulaires, les CCI et les collectivités régionales. Mon département bénéficie d'une agence de développement économique, qui s'appuie sur l'architecture existante et le savoir-faire de la CCI, et n'a pas nécessité de nouvelles embauches. Ajouter des intervenants peut avoir des effets délétères sur l'efficacité.
Le lien entre le monde de l'entreprise et celui de l'éducation est essentiel. En la matière, il ne s'agit pas de jeter la pierre aux entreprises, qui ne sont pas fermées au monde de l'éducation. La recommandation qui vise à développer un lien interministériel est stratégique. On parle beaucoup de la nécessité de renforcer le lien entre le monde de l'entreprise, mais peu de choses sont faites, de sorte que les entreprises n'ont plus confiance et développent leurs propres systèmes de recrutement.
M. Alain Chatillon. - Je regrette de ne pas avoir été consulté sur ce dossier alors que je suis administrateur de Business France, administrateur du programme d'investissements d'avenir (PIA) et que j'ai créé la première pépinière d'industries en 1992. Dans ce cadre, grâce au financement d'une trentaine d'industriels de la région toulousaine, nous avons pu développer un « territoire d'industrie » en faisant venir une soixantaine d'entreprises et assurer le développement de la commune dont j'étais maire, laquelle est passée de 6 000 habitants en 1989 à 13 000 habitants aujourd'hui. Quelque cinquante-cinq entreprises sont venues s'y installer et nous avons associé trois communes et trois intercommunalités. Désormais, on estime que 200 000 habitants sont concernés par ce « territoire d'industrie ».
L'argent, nous allons le chercher dans les CCI et à Paris. Le programme ne coûte pas cher. Alors, cessons de dire que les territoires d'industrie coûtent cher ! Ce n'est pas vrai. Au sein de notre pépinière, une quinzaine d'entreprises, qui changent régulièrement, assurent le financement. Ainsi, on trouve des solutions, même dans des territoires en pleine ruralité, avec l'appui de la région - je le dis à mes collègues de l'Aveyron, du Lot et du Gers. Une quinzaine de territoires d'industrie fonctionnent très bien : il faut s'en inspirer.
Je regrette de ne pas avoir travaillé sur ce dossier. À Business France, avec plus de 3 000 salariés, nous avons appuyé les entreprises à l'international. Nous contribuons au programme Territoires d'industrie, et nous agissons aussi pour l'innovation. Le président de CCI France siège au conseil d'administration de Business France : ne cherchons pas ailleurs ce qui existe déjà.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je ne doute pas que les rapporteurs avaient ces éléments à l'esprit. Toutefois, conduire une mission suppose de déterminer un périmètre, tout le monde ne peut pas être auditionné et on ne peut pas visiter l'ensemble des territoires.
M. Henri Cabanel. - J'insiste à mon tour sur la nécessaire évaluation des politiques publiques. Le Sénat pourrait d'ailleurs en faire sa spécialité : c'est ainsi que nous arriverons à y introduire plus de cohérence.
Si je suis globalement d'accord avec vos propositions, je reviens sur le manque de lisibilité des stratégies de réindustrialisation. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas une vision claire de ces stratégies, y compris à l'échelon du Gouvernement, du fait d'un manque de transversalité entre ministères.
La réindustrialisation soulève la question de la confiance des parties prenantes. Dans ce climat anxiogène, nos industriels manquent de visibilité, ainsi que de stratégie de moyen et long terme. La culture politique de la prospective nous fait défaut.
Ainsi, comment peut-on assurer une certaine homogénéité entre territoires ? Certains sont plus riches que d'autres. Lorsque les élus ont une vision et des moyens, cela fonctionne bien mieux... Nous devons retrouver cette culture de la réindustrialisation dans les territoires qui en sont dépourvus.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - L'ingénierie, par sa nécessité et son financement, est une question constante. Ce budget très modeste de 4 millions d'euros a eu un véritable effet de levier puisque, comme l'a évoqué notre collègue Chatillon, une mutualisation se crée. Il s'agit, cher Daniel Gremillet, non pas de créer de nouveaux postes de coordinateurs régionaux, mais de trouver, au sein de l'agence économique régionale, de la CCI ou des EPCI, la personne qui pourra jouer ce rôle. Cela permet d'organiser un cofinancement sur un poste existant, ce que les territoires demandent. Cette logique de mutualisation est une condition de la sobriété des coûts, mais aussi de la réussite du dispositif, car les territoires qui fonctionnent en silos ne peuvent prospérer.
Ce que Yannick Jadot appelle l'économie circulaire, nous l'avons vue avec l'expérience, menée chez certains de nos voisins, du district ou de la grappe, où une multitude d'acteurs se retrouvent, en synergie, sur un projet. C'est la plus-value de la méthode des territoires d'industrie : il s'agit de créer les conditions d'une coopération entre tous les acteurs locaux, pour la recherche de main-d'oeuvre, l'innovation ou encore la mutualisation des coûts, afin de structurer une mini-filière sur place.
Quant au manque de lisibilité souligné par Henri Cabanel, c'est effectivement le chaînon manquant. Sans imposer des stratégies, car la dynamique des territoires d'industrie est ascendante, il faut une lecture plus transversale au service de la souveraineté industrielle, avec un accompagnement par le territoire.
J'invite chacun à se plonger dans le rapport, qui va dans le sens de nombre de vos propos, mes chers collègues.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Pour répondre à Antoinette Guhl, les coordinateurs régionaux sont en train de se mettre en place. N'oublions pas que la grande plus-value de la phase II du dispositif est la constitution en plus des binômes élu-industriel des chefs de projet locaux.
Pour prolonger vos propos, cher Daniel Gremillet, les agences économiques régionales ont parfois de solides camps de base dans les départements, et qui sont parfois cogérés par les deux collectivités, comme c'est le cas dans mon département de Savoie. Des personnels dédiés de manière transversale à l'industrie à l'échelon régional pourraient très bien jouer ce rôle de coordinateur régional, sans ajouter une nouvelle couche. Le lien interministériel est primordial, comme vous le soulignez : nous souhaitons sa mise en oeuvre.
Pour répondre à Alain Chatillon, nous parlons du dispositif Territoires d'industrie proprement dit, et non de ce qui a été fait avant, qui a certes abouti à de magnifiques résultats dans des secteurs dynamiques où les élus sont allés de l'avant.
M. Alain Chatillon. - La pépinière d'entreprises a été déterminante !
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Toujours est-il que notre mission était d'évaluer ce dispositif venu plus tard que d'autres actions menées dans certains départements et qui allaient dans le même sens : je pense par exemple, dans mon département, à Savoie Technolac.
Sur les coûts, il faut pérenniser ce qui existe, qui est peu coûteux. L'intérêt est de mettre tout le monde autour de la table et de mobiliser les outils de droit commun et les partenaires. Nous n'entendons pas ajouter encore des crédits.
Nous avons bien auditionné Business France ; CCI France nous a transmis des observations écrites, en réponse à nos questions. Cela figure dans le rapport.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - Je rappelle les quatre axes initiaux du programme Territoires d'industrie : attirer les investissements vers les territoires ; recruter de la main-d'oeuvre, notamment industrielle ; innover pour gagner en compétitivité ; enfin, simplifier pour faciliter le quotidien des industriels.
Ce que nous retenons, c'est le besoin de simplification. À cet égard, vos questions sont révélatrices. Dans ma région des Hauts-de-France, une coordination entre le dispositif régional « Rev3 » et le nouvel axe « transition écologique » de la phase II du programme Territoires d'industrie aurait du sens. Or chacun agit dans son coin. Il est difficile dans ces conditions pour les industriels d'avoir de la visibilité, car chaque collectivité a un guichet. Au dispositif régional s'ajoutent le Fonds vert et des dispositifs très peu connus, comme le volontariat territorial en entreprise (VTE) : les représentants de lycées professionnels et d'écoles d'ingénieur que j'ai interrogés le connaissaient à peine. Il faut donc aussi faire connaître ce qui existe, car même les acteurs de l'écosystème en sont parfois à peine informés...
Pour répondre à Yannick Jadot, dans l'esprit de l'économie circulaire, notre rapport mentionne aussi la recherche d'alliances et de coordination à l'échelon européen. La région pourrait jouer un rôle dans ce domaine. Nous avons commencé à le faire pour l'industrie pharmaceutique, mais nous pourrions aussi penser à l'automobile. Ainsi, les territoires d'industrie français pourraient devenir les acteurs de futures alliances avec des équivalents, par exemple, italiens ou espagnols.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les territoires d'industrie moteurs et innovants le demandent, d'ailleurs. Les attentes sont considérables et les propositions nombreuses. Ces démarches régionales sont aussi une manière de l'avenir de ce dispositif en lequel ils croient et qu'ils veulent faire prospérer.
M. Vincent Louault. - Je connais bien les services économiques des intercommunalités et des régions, qui ont réussi à constituer un écosystème qui fonctionnait bien. Cependant, la volonté de l'État a été de ramener les sous-préfets autour de la table et d'en faire les organisateurs des territoires d'industrie. Dans mon territoire, cela a été très mal vécu. En effet, cela marchait déjà très bien sous la gestion des communautés de communes ! Il y a là une tentative de l'État de mettre son nez dans des systèmes qui fonctionnent.
Membre du Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), je rendrai prochainement un rapport sur le volet Énergie de France 2030. Le manque de stratégie est catastrophique ! Ne serait-ce que sur la consommation d'électricité sur les quinze prochaines années, l'Ademe, le ministère de l'environnement ou le Réseau de transport d'électricité (RTE), chacun produit sa propre stratégie !
Dans mon territoire, Territoires d'industrie ne fonctionne pas, mais la démarche est forcée par le préfet. Un VTE a été embauché pour faire de la coordination : c'est l'armée mexicaine ! Alors que la vraie vie, ce sont des prises de décision entre chefs d'entreprise. Il faut répondre aux attentes des chefs d'entreprise, qui ne sont pas que des méchants. Nous devons répondre à leurs attentes de manière pragmatique, et ce n'est pas un sous-préfet à la relance qui remettra la machine en route.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Nous voyons clairement ce que vous décrivez. Nous sommes passés de 149 à 183 territoires d'industrie : il y a une volonté d'en créer partout, parfois effectivement à l'initiative de certains préfets. Mais dans ce cas, ils ne fonctionnent pas ! C'est pourquoi nous recommandons plutôt de cibler les territoires qui ont mis en oeuvre une stratégie partagée, avec l'implication des acteurs économiques, parce que ceux-là réussissent, et réussissent très bien. C'est le cas notamment là où les élus sont impliqués, comme Sébastien Martin, président du Grand Chalon.
Ainsi, un territoire d'industrie est profitable à certaines conditions. Or malheureusement, il y a de nombreux territoires « pipeau ». Antoinette Guhl disait que beaucoup d'emplois étaient supprimés dans les territoires d'industrie. C'est vrai, car souvent ni plus-values ni structuration n'ont été suscitées. Ainsi, il s'agit non de mettre de côté les autres territoires, car tous ont le droit au développement industriel, mais de faire la part des choses quant aux conditions du succès et aux endroits où ce programme apporte une plus-value.
M. Franck Montaugé. - Je remercie les hauts fonctionnaires qui animent le programme Territoires d'industrie, d'abord M. Olivier Lluansi puis M. Jean-Baptiste Gueusquin.
Quelles suites donner à ce travail ? Ce sujet est un exemple typique de la complexité française, source d'inefficacité. Nous pourrions aussi étendre cette démarche à d'autres programmes ou secteurs, comme les pôles de compétitivité. Comment poursuivre le travail, en dialoguant avec tous les acteurs confrontés à la complexité administrative et l'empilement des structures et guichets ? Nous devons simplifier. C'est un sujet fondamental pour l'avenir.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Le mode de fonctionnement ascendant du dispositif est tout à fait intéressant. Ce qui n'a pas fonctionné, c'est ce que les sous-préfets ont imposé. Le programme ne fonctionne que si les volontés existent dans le territoire, autour du trinôme chef de projet, élu et industriel. Il faudra tirer un bilan de toutes ces expériences.
M. Franck Montaugé. - Nous parlons ici de la gestion de projets complexes. En entreprise, des techniques particulières existent, de l'étude d'opportunité à l'évaluation in itinere des objectifs fixés. Il ne revient pas au législateur d'aller dans un tel niveau de détail, mais il faut pointer certaines déficiences.
M. Henri Cabanel. - Tout à fait, et il s'agit d'argent public !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cette forme de contrôle sénatorial de proximité est une première. Par ailleurs, la commission des lois travaille sur la question. Elle rendra un rapport et des directives en la matière au début de l'année 2025. Il faut creuser cette nouvelle opportunité dont nous nous sommes saisis, pour que ce type de contrôle soit le plus utile possible au pays. Il y va en effet de l'efficience de la dépense publique.
M. Franck Montaugé. - J'avais déjà proposé la création d'une commission interparlementaire sur ce sujet. Le Sénat pourrait créer une délégation à l'évaluation de l'efficacité des politiques publiques qui pourrait reprendre, sur certains points, des travaux des commissions permanentes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le drame, c'est que notre pays n'ait pas la culture de l'évaluation.
M. Henri Cabanel. - C'est très grave !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un des seuls contre-exemples est la politique de la ville, qui a été régulièrement évaluée, depuis sa création. L'évaluation manque dans de nombreuses politiques publiques.
M. Rémi Cardon, rapporteur. - En attendant la nomination du nouveau gouvernement, nous pourrions au moins proposer un débat de contrôle en séance sur le programme Territoires d'industrie, pour tester la feuille de route du futur ministre en charge de l'industrie.
M. Alain Chatillon. - La vraie question, c'est l'aide aux entreprises que l'on a identifiées, et non le financement de ceux qui travaillent pour le programme ! Dans mon territoire, le programme représente trois chefs d'entreprise, adjoints des intercommunalités, et une seule secrétaire. En revanche, les entreprises ont besoin d'aide et d'accompagnement. Ne mélangeons pas tout, sinon nous allons rigidifier le programme et finir par coûter cher à l'État.
M. Franck Montaugé. - Chaque territoire a ses spécificités. Certains territoires connaissent un développement économique très important, d'autres non. Certains se posent la question même de leur avenir économique et industriel.
Les recommandations sont adoptées.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.