II. UNE MISE EN oeUVRE INÉGALE, PERTURBÉE PAR LA CRISE COVID

A. UNE MONTÉE EN PUISSANCE DES FINANCEMENTS COUPÉE NET PAR LES MESURES DE FREINAGE BUDGÉTAIRE

1. Une montée en puissance des financements avec la période covid
a) Le nécessaire déblocage de crédits dédiés au programme

Sur le plan budgétaire, le programme s'appuie sur plusieurs programmes différents du budget de l'État, pour d'une part fournir une offre de services aux collectivités, et d'autre part soutenir directement des projets industriels situés dans les Territoires d'industrie. La commission des affaires économiques du Sénat a, à de nombreuses reprises, dans ses avis budgétaires déploré cet éclatement des crédits, qui ne permettent pas d'avoir une vue d'ensemble sur les dépenses consenties par l'État en faveur des Territoires d'industrie.

Ainsi que le précise en outre la DTI, le chiffrage de cet effort est d'autant plus délicat qu'en complément des crédits de l'État, les partenaires du programme (les opérateurs Bpifrance, Banque des territoires, Ademe, France Travail, Business France, Action Logement ainsi que les conseils régionaux) ont également mobilisé leurs crédits propres en faveur du programme, et que « [d]'autres crédits déconcentrés de l'État, non spécifiques au programme Territoires d'industrie, ont également pu être mobilisés sur des projets de territoires ».

Si le programme était à l'origine dépourvu de tout financement, des crédits d'ingénierie et visant au co-financement des chefs de projet ont été spécifiquement déployés par l'État, via les crédits accordés au FNADT et à l'ANCT par le biais du programme budgétaire 112 (« Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », mission « Cohésion des territoires), à compter de l'année 2020. Ces sommes sont demeurées modestes jusqu'en 2022 (7,5 M€ en cumulé33(*)).

Par ailleurs, l'État a, à compter de 2021, spécifiquement fléché des fonds, via le programme 134, vers le soutien à l'accès des entreprises des Territoires d'industrie aux accélérateurs de Bpifrance et au déploiement de volontaires territoriaux en entreprises (VTE) dans les Territoires d'industrie, également opéré par Bpifrance (4 M€ pour la période 2021-202334(*)).

b) Lors de la crise de la covid et du plan de relance, une substitution de crédits d'urgence aux crédits récurrents

Afin de soutenir les entreprises industrielles face aux conséquences de la crise de la covid, le Gouvernement a créé plusieurs dispositifs qui n'étaient pas réservés aux Territoires d'industrie mais leur ont, de fait, particulièrement bénéficié ; la mise en place de ces dispositifs de relance a permis une montée en puissance du programme.

Dès juillet 2020, un dispositif « pack rebond » ad hoc a été lancé, visant à soutenir les projets industriels, notamment dans les territoires en difficulté. Déployé dans un premier temps sur les territoires affectés par la fermeture de l'usine Bridgestone, à Béthune, qui a servi de « preuve de concept », il a ensuite été déployé, à compter d'août 2022 dans le cadre du plan France 2030 dans une quarantaine de territoires confrontés à des restructurations d'entreprises, souvent occasionnées par les nécessités d'adaptation à la transition écologique - notamment dans la filière automobile (appel à manifestations d'intérêt (AMI) « Rebond industriel »), puis élargi à d'autres secteurs en 2023, dans le cadre du renouvellement du dispositif. Le principe était de détecter, puis d'amorcer le soutien financier à des projets structurants de rebond industriel « qui n'auraient pas trouvé de financements publics dans le cadre des aides de droit commun de l'État, de ses opérateurs et des collectivités territoriales »35(*). À son lancement, l'AMI « Rebond industriel » (désormais clos) était dotée de 100 M€ (sur plusieurs années)36(*).

Selon la Cour des comptes, ces deux dispositifs ont, durant leurs deux premières années d'existence, concerné uniquement les Territoires d'industrie - même si, en droit, d'autres territoires étaient éligibles - et ont ensuite continué à bénéficier très majoritairement aux Territoires d'industrie37(*).

En complément, le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires (FAIIT), doté initialement de quelque 400 M€ en pluriannuel38(*), a été lancé à l'automne 2020, pour soutenir des projets susceptibles d'avoir un fort impact sociétal et économique (maintien et création d'emplois, décarbonation, formation, approfondissement des collaborations avec les acteurs territoriaux...)39(*), sélectionnés par les régions et les préfectures de région. Selon la Cour des comptes, les Territoires d'industrie ont représenté près des deux tiers des projets lauréats et des montants reçus40(*).

c) Des engagements financiers initiaux non tenus, compensés par les plans de relance

L'évaluation réalisée par la Cour des comptes note que « les dispositifs [...] figurant dans le périmètre initial de 2018 sont en net retrait par rapport aux montants annoncés »41(*).

   

Montants (en M€)

Dispositif mobilisé

Opérateur / administration

Annoncés en 2018

Engagés, en 2023

Payés, en 2023

AAP "Ingénierie de formations professionnelles innovantes" du PIA régionalisé

CDC

112

7

7

Territoires d'innovation PIA

330

11

9

Financement de la Banque des territoires (appui aux projets)

500

73

45

Volet "filières" du PIA régionalisé

Bpifrance

185

38

14

Accélérateurs de Bpifrance (promotion et facilitation d'accès)

60

3

3

10 000 diagnostics "industrie du futur" (priorisation de l'accès aux diagnostics)

DGE

80

n.c.

n.c.

AAP "Préparations opérationnelles à l'emploi collectives"

Pôle Emploi / France Travail

100

n.c.

n.c.

Source : Rapport Cour des comptes, p. 44

Montants annoncés et effectivement décaissés
en faveur des Territoires d'industrie

Sources : commission des affaires économiques, d'après les données de la Cour des comptes

Répartition des montants annoncés, engagés et payés par l'État et ses opérateurs
dans les Territoires d'industrie (2019-2023)
(
anneau extérieur : engagements, anneau intérieur : paiements)

Sources : commission des affaires économiques, d'après les données de la Cour des comptes

Malgré une absence de suivi et de consolidation de la part de l'État et des opérateurs, la Cour des comptes a évalué à 1,775 Md€ en engagements et 883 M€ en montant effectivement décaissés les fonds versés à des projets situés dans des Territoires d'industrie, sur la période 2019-202342(*). La Cour précise que « l'État et ses opérateurs ont bien apporté des financements importants aux entreprises et aux collectivités des territoires d'industrie, mais selon des modalités et pour des objectifs différents à bien des égards de la vision et des annonces de départ ». Ainsi, « si l'Ademe n'était pas intervenue à partir de fin 2019 et si la crise sanitaire n'avait pas conduit à mettre en place dans l'urgence les aides directes du Fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires, les engagements de l'État n'auraient pu être tenus sur la période des quatre ans »43(*) : les fonds dispensés par l'Ademe (notamment via le fonds chaleur) et le FAIIT ont en effet représenté plus de 80 % des sommes décaissées dans les Territoires d'industrie sur la période 2019-2023.

Comme le note la Cour des comptes, in fine, « [l]a mobilisation des opérateurs initiaux, mesurée en termes de financements engagés ou décaissés, est restée en net retrait par rapport aux objectifs du programme »44(*).

2. Un nouveau financement dédié en phase 2 insuffisant par rapport aux besoins
a) Des moyens budgétaires de phase 2 normalisés...

À l'afflux de moyens financiers au moment de la crise de la covid et dans son sillage a succédé une brutale attrition des crédits dédiés aux Territoires d'industrie.

Alors que les fonds dispensés dans le cadre de France Relance et de France 2030 arrivaient à terme, le lancement de la deuxième phase du programme a coïncidé avec l'annonce d'une dotation budgétaire en faveur des Territoires d'industrie de 100 M€ sur quatre ans pour 2024, déployés dans le cadre du Fonds vert, opéré par l'Ademe. Ces crédits avaient vocation à soutenir des projets d'investissements industriels structurants et aux impacts positifs notamment en matière de transition écologique45(*) (« Territoires d'industrie en transition écologique »), conformément au nouvel axe du programme. Contrairement à la plupart des autres dispositifs, ce dernier était exclusivement réservé aux Territoires d'industrie. Il avait pour vocation de soutenir des projets industriels particuliers, soit d'industrie verte, soit de relocalisation de la production de produits de consommation, soit, par exemple de projets contribuant à la diversification économique de territoires d'industrie, par exemple pour des territoires de montagne très dépendants du tourisme.

Pour rappel, une telle dotation renforcée du programme Territoires d'industrie, notamment en crédits d'investissement, avait été demandée par la commission des affaires économiques du Sénat, dans le cadre des discussions sur le budget 2023, par un amendement adopté par le Sénat qui n'avait pas survécu à la navette parlementaire.

Projets éligibles au dispositif « Territoires d'industrie en transition écologique

Volet 1 : À titre principal, des projets d'investissements industriels structurants et ambitieux sur le plan environnemental contribuant à l'émergence au renforcement et/ou à la réindustrialisation de chaînes de valeur industrielles clés pour la transition écologique.

Volet 2 : À titre auxiliaire, des projets d'investissements contribuant au développement des compétences nécessaires pour ces secteurs.

Volet 3 : À titre exceptionnel, un soutien spécifique et renforcé aux projets d'investissements industriels structurants et ambitieux sur le plan environnemental, tels que définis aux volets 1 et 2, qui contribuent à la redynamisation de territoires « rebond industriel », dans une limite de 3 territoires par an.

Les projets éligibles devaient en outre :

- Être situés dans le périmètre d'un Territoire d'industrie 2023-2027 ;

- être soutenus par un EPCI, du fait de leur cohérence avec la stratégie industrielle du territoire, par le biais d'un courrier de soutien des collectivités concernées.

Seuls les projets présentant une assiette minimale de dépenses de 400 000 € sont éligibles.

Source : Ademe, Cahier d'accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs
- Fonds d'accélération de la transition écologique
dans les territoires, p. 4-5

La phase 2 du programme prévoyait également une augmentation des crédits dédiés au programme via un abondement du programme 112, pour :

- le financement de postes de chefs de projets dans tous les Territoires d'industrie, sur l'enveloppe FNADT (2 M€) ;

- un soutien renforcé en ingénierie, via le budget de l'ANCT (2,5 M€)46(*).

En outre, les missions « Rebond » portées par France Relance puis par France 2030 devaient continuer à être déployées, notamment dans le cadre de l'AMI « Rebond industriel » de France 2030 sur le programme budgétaire 424. Le dispositif n'a pas été pérennisé et n'a pas été doté de nouveaux crédits, mais le Gouvernement a indiqué qu'un accompagnement sur le modèle de ce dernier « pourra également être proposé de manière exceptionnelle (2 à 3 fois par an) à des Territoires d'industrie qui feraient face à des difficultés importantes sur le plan industriel [...]. La mesure « Territoires d'industrie en transition écologique du Fonds vert sera alors mobilisée en priorité au bénéfice de ces territoires en complément d'ingénierie déployée par l'ANCT »47(*) (à hauteur, selon l'ANCT, de 10 M€ sur les 100 M€ initialement appelés à être déployés dans le cadre du Fonds vert). Chaque projet « Rebond » nécessitant environ, selon Jean-Baptiste Gueusquin, directeur du programme Territoires d'industrie, 2 M€, ces 10 M€ pouvaient permettre de soutenir en réalité jusqu'à 4 ou 5 projets par an, avec la perspective également d'effets leviers, pour que soient également mobilisés des fonds européens.

En revanche, le programme 134 ne comporte plus de ligne dédiée aux volontaires territoriaux en entreprises (VTE) en territoires d'industrie et à l'accès aux accélérateurs de Bpifrance pour les entreprises en Territoires d'industrie. Interrogée par les rapporteurs, Bpifrance a souligné que la bonification de tarif qui avait été mise en place continue pour l'instant d'être proposée aux entreprises uniquement industrielles (et non plus de services) des Territoires d'industrie, financée sur les fonds propres de Bpifrance.

Les rapporteurs relèvent également que la « charte collective » signée avec les six opérateurs du programme le 9 novembre 2023 pour la deuxième phase du programme n'implique plus aucun engagement chiffré de la part de ces derniers, et qu'il ne leur est plus demandé de prioriser les Territoires d'industrie dans leurs activités, ce qui peut s'apparenter à un désengagement de l'État et de ses opérateurs.

b) ... en outre coupés net par les mesures de freinage budgétaire...

Ces différentes enveloppes ont subi dès 2024 de lourdes restrictions budgétaires, notamment sur le volet d'investissement, puisque :

- l'enveloppe du Fonds vert dédié aux Territoires d'industrie a été affectée par une réduction de 30 % sur les enveloppes régionalisées, ainsi que par le gel puis l'annulation des crédits réservés au niveau national (7 M€), initialement envisagés pour lancer dans ce cadre quelques missions « Rebond ». Ainsi au final, ce sont seulement 63 M€ qui ont pu être engagés dans ce cadre ;

- l'enveloppe de l'AMI « Rebond industriel » France 2030, initialement de 100 M€ également, a été réduite aux financements nécessaires pour les missions déjà engagées, pour un montant total de 57 M€, ce qui a entraîné la fin précipitée du dispositif - qui devait à l'origine durer jusqu'en 2027 - dès le printemps 2024. Dans le même temps, la possibilité de mener à bien quelques missions « Rebond » dans le cadre du Fonds vert est rendue caduque par la réduction des crédits affectant ce dernier.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, la DTI a fait savoir que « la réduction à venir du Fonds vert à 1 milliard d'euros laisse craindre une nouvelle réduction de l'enveloppe Territoire d'industrie en transition écologique », d'autant plus pénalisante que le fonds étant régionalisé, les préfectures de région ne pourraient plus accompagner qu'un nombre très réduit de projets, ce qui correspondrait « à du saupoudrage »48(*). La réduction des crédits d'ingénierie de l'ANCT risque également d'affecter l'offre de service du programme, alors que cette montée en puissance de l'appui en ingénierie constituait l'un des axes forts de développement de la phase 2, mais les documents budgétaires n'offrent pas une granularité assez fine pour déterminer d'ores et déjà si le programme Territoires d'industrie sera particulièrement affecté par cette baisse de crédits.

c) ... et in fine largement insuffisants

Selon Olivier Lluansi, interrogé par les rapporteurs, ce sont pas moins de 300 M€ qui auraient été nécessaires pour doter de manière satisfaisante le programme. Complétée à parité par les régions et par des fonds européens, pour un total de près de 1 Md€, cette enveloppe aurait été selon lui suffisante pour créer environ 450 000 emplois industriels. A cet égard, les 100 M€ prévus dans le cadre du Fonds vert (« Territoires d'industrie en transition écologique ») se sont révélés largement insuffisants - a fortiori après les coupes budgétaires effectuées au cours de l'année 2024 - au regard du nombre de candidatures issues des Territoires d'industrie. Intercommunalités de France chiffre ainsi à 310 M€ les besoins correspondant à toutes les demandes effectuées dans le cadre de « Territoires d'industrie en transition écologique », estimation convergente avec celle de la DTI, qui indique avoir recensé deux à trois fois plus de projets candidats que de projets in fine financés. La DGE estimait également, en septembre 202449(*) que « [le] maintien des crédits issus du Fonds vert [...]sera clé pour assurer la pérennité du dispositif ».

Au total, les 63 M€ déployés dans le cadre du Fonds vert auront permis, selon Jean-Baptiste Gueusquin le soutien d'environ 100 projets, en majorité des PME, créateurs chacun en moyenne d'une vingtaine d'emplois - la création d'emplois étant d'ailleurs un critère de sélection des projets -, ce qui est jugé très positif. Dans l'idéal, une augmentation de l'enveloppe dédiée au financement de projets industriels, sur appel à projet, dans les Territoires d'industrie serait donc souhaitable.

Cependant, compte tenu de la situation budgétaire extrêmement contrainte, les rapporteurs préconisent dans l'immédiat de recentrer les moyens financiers du programme sur ses volets les moins coûteux, à savoir les crédits de fonctionnement et d'ingénierie, qui financent l' « ossature » du programme, et sont cruciaux pour permettre aux Territoires d'industrie de continuer à fonctionner. En contrepartie, les rapporteurs estiment qu'il est essentiel de donner de la visibilité aux acteurs locaux sur la pérennité du programme et de son financement. En effet, selon les témoignages recueillis sur le terrain, davantage encore que la modestie des moyens financiers mis à disposition, c'est leur imprévisibilité et l'effet « yo-yo » dans la dotation de l'État qui pénalise sa bonne utilisation par les Territoires d'industrie. Intercommunalités de France, interrogée par les rapporteurs, estime en effet que le financement de l'ingénierie et d'études par l'État a été globalement suffisant dans le cadre du programme. En conséquence, ils recommandent la pérennisation du programme, et une dotation budgétaire pluri-annualisée.

Les rapporteurs tiennent à souligner le coût in fine très peu élevé du programme Territoires d'industrie pour les finances publiques (4,5 M€ en 2024, via les crédits du FNADT et de l'ANCT), par rapport à la masse cumulée des aides à l'industrie, récemment chiffrées à plus de 200 Md€ sur une décennie par la Cour des comptes50(*). Ce montant existant devrait être complété par le minimum de crédits nécessaires aux territoires pour se projeter à moyen terme, par exemple pour des projets dont l'amorçage nécessite quelques années, notamment les écoles de production (actuellement quelques millions d'euros par an, déjà inscrits dans le budget général de l'État au titre du programme budgétaire 103, « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi »)51(*) ainsi que pour des campagnes ciblées de détection de projets, dont le dispositif « Rebond » a montré toute la pertinence52(*), et qui pourraient se faire à moyens constants ou quasi-constants, en tirant parti des crédits d'ingénierie déployés dans le cadre du programme.

Recommandation n° 8 : Pérenniser une ligne de financement du programme sur au moins quatre ans, en ciblant le maintien du co-financement des chefs de projet et du soutien en ingénierie, le financement de la détection de projets industriels et le financement des écoles de production.

3. Un bilan de financement mitigé
a) Un fléchage imparfait des financements promis aux Territoires d'industrie

Pour Intercommunalités de France, le programme Territoires d'industrie est une « machine à projets », qui permet d'orienter les financements d'autres dispositifs de l'État, comme France 2030. Or le rapport de la Cour des comptes précité met également en évidence l'absence de priorisation des Territoires d'industries pour les dispositifs de droit commun des opérateurs partenaires, y compris, par exemple, en termes de délai d'examen des dossiers53(*) - à l'exception des rares dispositifs dédiés, comme celui des VTE54(*).

La priorisation de l'accès aux accélérateurs de Bpifrance s'est par exemple in fine résumée à une réduction de prix de 6 à 10 000 € HT (sur des programmes ayant un coût de plusieurs dizaines de milliers d'euros généralement55(*)), selon la taille de l'entreprise et le programme. Le dispositif, selon Bpifrance, a tout de même bénéficié à 471 PME ayant participé à une quarantaine de programmes d'accélération différents, généralistes, nationaux ou régionaux, sectoriels et thématiques, mais ce chiffre n'a pas pu être mis en regard du nombre total de bénéficiaires des accélérateurs, faute de données transmises par Bpifrance.

« [L]a priorisation et la concentration des moyens voulue par le gouvernement au lancement du programme n'a pas eu lieu. »

Cour des comptes56(*)

Si, comme indiqué ci-dessus, certains dispositifs, notamment ceux mis en place au moment de la crise covid, ont particulièrement bénéficié aux Territoires d'industrie, alors même qu'ils ne leur étaient pas réservés, cette situation ne semble pas être le résultat d'une priorisation de la part des opérateurs, mais d'une meilleure appropriation des dispositifs de financement de la part des acteurs locaux. Ainsi, selon l'évaluation faite par la Cour des comptes, le FAIIT a profité pour deux tiers à des entreprises situées dans les Territoires d'industrie (représentant 63 % des projets et 64 % des montants engagés)57(*). Cependant, l'analyse, de la sélection montre que la proportion des dossiers présentés par des entreprises situées dans un Territoire d'industrie retenus est moindre que pour les dossiers présentés par des entreprises hors Territoires d'industrie (40 % contre 48 %), alors même que le cahier des charges de cet appel à projets disposait explicitement qu'une priorité serait donnée aux projets émanant de Territoires d'industrie. Plus qu'une priorisation des dossiers, le fait que le FAIIT ait surtout profité aux Territoires d'industrie témoigne donc surtout d'une propension plus importante à candidater des entreprises situées dans les Territoires d'industrie. De fait, pour Intercommunalités de France, c'est bien parce que les Territoires d'industrie s'étaient organisés pour récupérer ces financements que le FAIIT leur a beaucoup profité.

L'association fait d'ailleurs la même analyse de feu le Fonds friches, désormais intégrés au Fonds vert, dont les subventions auraient particulièrement profité aux Territoires d'industrie en raison de la mobilisation et de la réactivité de ces derniers.

De manière frappante, Bpifrance a reconnu que malgré son tropisme vers le secteur industriel, les Territoires d'industrie n'avaient représenté en moyenne, en phase 1 du programme, qu'un tiers de son activité globale, ce qui est bien inférieur au poids des Territoires d'industrie dans l'activité et l'emploi industriels nationaux.

Au final, l'appréciation des acteurs sur la capacité du programme Territoires d'industrie à attirer les financements est mitigée : parmi les référents industriels des Territoires d'industrie interrogés par la Cour des comptes, seul un tiers estime que l'appartenance à un Territoire d'industrie a permis de « beaucoup » faciliter l'obtention d'aides ou de subventions publiques pour les projets industriels (62 % pensent que cette appartenance a permis de faciliter « modérément » cette obtention), 18 % seulement estimant que le programme a « beaucoup » facilité l'obtention de financements privés (bancaires notamment) pour les projets industriels (51 % « modérément »)58(*). Or, selon les résultats d'un sondage du Medef, transmis aux rapporteurs, les entreprises n'ayant pas eu recours aux aides à l'innovation ou à l'investissement avancent en premier lieu les motifs d'un manque d'information ou de clarté de l'information disponible (43 %) et d'une trop grande complexité des dossiers de demande (36 %).

De ce point de vue, le bénéfice de disposer d'un point d'accès unique a été souligné devant les rapporteurs notamment par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CMPE), et jugé particulièrement important pour les TPE et les PME : l'organisation a cité en exemple le Grand Chalon, où les agents de la direction du développement économique assurent eux-mêmes, en interne, cette mission de point d'entrée unique pour solliciter avec les entreprises demandeuses l'ensemble des aides financières disponibles auprès des partenaires économiques du Grand Chalon (auprès de la région, de l'État et de l'Union européenne). Au contraire, les rapporteurs ont relevé que dans les Territoires d'industrie d'Albert-Amiens, les aides étatiques et régionales étaient « plus ou moins intégrées au programme ».

Il est donc nécessaire de continuer à améliorer la lisibilité des aides et dispositifs accessibles aux entreprises situées dans les Territoires d'industrie, notamment pour les TPE, les PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Si la présence systématique d'un point de contact privilégié, en la personne du chef de projet, obligatoirement nommé dans chaque Territoire d'industrie en deuxième phase, devrait améliorer la situation, les rapporteurs recommandent également la mise en place de dispositifs plus directement accessibles de recensement des aides notamment par voie dématérialisée ; ils ont, à ce propos, reçu avec intérêt l'annonce par la DGE, lors de son audition, d'un projet de plateforme numérique, dont le déploiement est piloté par la direction interministérielle du numérique (Dinum), avec la participation de l'Ademe, pour recenser toutes les aides à l'industrie, dans un premier temps au niveau national. Ils recommandent d'y intégrer également les aides locales, mais également les aides européennes, par exemple celles du Fonds pour la transition juste (FTJ), créé précisément pour accompagner la transition énergétique et industrielle des territoires concernés par de fortes émissions de CO2, et dont les objectifs recoupent largement ceux des « Territoires d'industrie en transition écologique »59(*).

Recommandation n° 9 : Assurer une meilleure visibilité des aides locales, régionales, nationales et européennes disponibles et développer des guichets uniques pour les déployer dans les Territoires d'industrie.

b) Un soutien financier insuffisant en faveur des collectivités engagées en faveur de l'industrie dans leurs territoires, notamment pour le volet foncier

En l'état actuel des choses, les financements accessibles aux collectivités du bloc communal spécifiquement dédiées au programme Territoires d'industrie se limitent, comme indiqué précédemment, à des crédits d'ingénierie et de co-financement des chefs de projet.

Or, le lancement du programme Territoires d'industrie est intervenu dans un contexte de montée en charge des intercommunalités sur les sujets économiques, dans le sillage, notamment, de la loi NOTRe de 201560(*). Les EPCI sont notamment compétents en matière de foncier industriel et d'aides à l'immobilier d'entreprise.

Dans le cadre de son rapport sur le programme, la Cour des comptes s'est livrée à un exercice d'évaluation des dépenses d'action économique des EPCI sur la période 2019-2023, pour constater que ces dernières ont été globalement en hausse de 16 % dans les Territoires d'industrie, et en baisse de 8 % dans les autres territoires, les dépenses « Aides à l'énergie, aux industries manufacturières et au bâtiment et travaux publics »61(*) ayant même quasiment quadruplé dans les Territoires d'industrie (+ 374 %) tandis qu'elles faisaient un peu plus que doubler (+ 124 %) hors Territoires d'industrie62(*).

Évolution des dépenses du bloc communal (2019-2023)

Source : Cour des comptes

Or aucun financement dédié n'est disponible pour les collectivités dans le cadre de Territoires d'industrie, la Cour notant par ailleurs que les parts de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et du FNADT dont ont bénéficié les Territoires d'industrie sont restées stables entre 2019 et 202363(*).

Il convient cependant de noter que, dans une logique de financement complémentaire, la Banque des Territoires a souligné devant les rapporteurs que le programme Territoires d'industrie lui avait permis de structurer son offre de financement en faveur de l'industrie, assez éparse jusqu'en 2018 : la Banque a, depuis le lancement du programme, structuré de nouvelles offres sur des thématiques industrielles, incluant notamment l'immobilier industriel, la reconversion des friches industrielles, la 5G industrielle, l'efficacité énergétique et la décarbonation industrielle, ainsi que le portage de foncier à vocation industrielle.

Cette question des moyens mis à disposition des collectivités est en particulier cruciale sur la question du foncier - qui est d'ailleurs l'un des axes de la phase 2 du programme - alors qu'elle demeure la première préoccupation des industriels en vue d'une implantation dans un territoire, et l'une de celles où le volontarisme des collectivités peut avoir le plus d'impact.

Selon l'AMF, parmi les questions récurrentes posées par les industriels en vue d'une implantation, figurent : la présence de foncier disponible immédiatement, compatible avec le PLU(i) ; les accès ferroviaires, autoroutiers, aéroportuaires ; les contraintes énergétiques (accès à l'eau, à l'électricité...)64(*). Les réponses fournies aux rapporteurs par Business France confirment que le foncier disponible ainsi que la connectivité et les utilités, et notamment la présence de sites clés en main, est un élément d'attractivité important plus spécifiquement pour les investisseurs internationaux, avec la présence de la main-d'oeuvre, la stabilité de l'environnement juridique et fiscal et, pour les entreprises innovantes - moins concernées - l'accès aux financements nécessaires à leur croissance.

L'AMF déplore en conséquence, l'absence de dispositif ou d'aide à destination des communes ou EPCI souhaitant étendre et aménager leurs zones « UE » (zones « urbaines d'équipement », qui peuvent être dédiées aux activités économiques) et « UI » (zones urbaines à vocation industrielle et artisanale), et ce alors que les frais engagés par l'achat des terrains et les diverses études et travaux préalables (fouilles archéologiques, relevés topographiques, étude des sols, cadastre, mise en place de réseaux et voiries...) sont très importants.

Bien identifié dans le cadre du volet « attirer » dans le premier temps du programme, cette mobilisation du foncier industriel a été mise au premier plan pour la phase 2, notamment via la campagne de recensement et d'aménagement des 55 sites industriels destinés à devenir « clés en main France 2030 », lancée en 2023 à la suite du dispositif « sites industriels clés en main » lancé en 2020, et qui avait déjà identifié au total plus d'une centaine de sites à aménager.

À la suite d'un appel à candidatures, 55 sites disponibles à court ou moyen terme ont été identifiés pour ce deuxième temps (soit 5 à 10 sites par région). 85 % d'entre eux sont situés en Territoires d'industrie, ce qui a amené à transférer le pilotage du dispositif des sites clés en main de la DGE à la DTI. Cette situation s'explique notamment par le fait que les Territoires d'industrie sont en moyenne davantage pourvus en foncier économique que les autres bassins d'emploi (20 à 27 ha par bassin d'emploi, contre 10 pour les bassins d'emploi non couverts par le dispositif65(*)).

Aucun financement spécifique n'est accessible pour l'aménagement de ces sites, mais des financements de droit commun sont mobilisables, notamment pour des travaux d'ingénierie (via le marché de l'ANCT et la Banque des Territoires) mais aussi de financement (par la Banque des Territoires en prêts et prise de participation, et via l'enveloppe Recyclage foncier du Fonds friche). La DTI note cependant que le nombre des sites identifiés ayant bénéficié du Fonds friche est très faible (5, soit moins de 10 %), et qu'une réduction de l'enveloppe pénaliserait encore les porteurs de projet, qui sont souvent des collectivités, qui rencontrent un déficit d'ingénierie pour préparer les dossiers66(*).

La zone SaôneOr : aux origines des sites clé en main

Les rapporteurs de la mission ont pu bénéficier, lors de leur déplacement à Chalon-sur-Saône, d'une visite de la zone industrielle SaôneOr (près de 100 ha), située sur l'ancienne friche Kodak. La requalification de cette vaste réserve foncière a été engagée par le Grand Chalon dès 2016. Elle a servi de modèle et de précurseur au premier dispositif sites clés en main, dont elle a reçu le label à sa création.

80 ha sont pour l'heure viabilisés et la zone accueillera notamment à compter du premier trimestre 2025 les activités du groupe d'agroalimentaire espagnol VickyFood, soucieux de se rapprocher de ses marchés français et d'Europe du Nord - pour une création à terme de 250 emplois, sur 14 ha dont la moitié est pour l'instant gardée en réserve -, et une usine de fabrication de pompes à chaleur Atlantic - sur 19 ha -, mais aussi par exemple la PME locale Aérométal, active dans le tri et la préparation de matériaux critiques, et qui a confirmé aux rapporteurs un projet d'agrandissement à court terme.

Le foncier a constitué dès l'origine l'un des axes forts de l'action du Territoire d'industrie du Grand Chalon, confirmé lors de la phase 2 du programme : alors qu'il ne reste plus que quelque 12 ha disponibles sur la zone SaôneOr, le Grand Chalon a engagé la requalification de la friche Philips/Nordeon (7 ha), qui sera commercialisée dès le début 2025. La réhabilitation de ce site labellisé « clé en main France 2030 » a été subventionnée par la région (950 000 €), l'Ademe (2,7 M€) et, dans une moindre mesure, la Banque des territoires, pour un montant total de 7 M€.

Source : commission des affaires économiques,
informations recueillies lors du déplacement de la mission à Chalon-sur-Saône

Sans contester l'intérêt du dispositif sites clés en main, les associations d'élus regrettent cependant le peu de cas fait des opérations similaires menées à des échelles plus modestes par les collectivités, souvent dans une logique un peu différente de « quasi-sur-mesure ». Les élus comme les industriels ont en effet souligné l'inadaptation, pour les plus petites entreprises, de sites trop standardisés, parfaitement aménagés mais souvent proposés à des prix très élevés, par rapport à la disponibilité de sites aménagés a minima, mais avec l'assurance d'une forte réactivité de la collectivité pour participer à leur installation.

La Banque des Territoires estime également que le sujet du foncier devrait être davantage pris en compte dans le programme Territoires d'industrie. Alors qu'elle estime de 1 à 2 Md€ les montants - en subventions - nécessaires pour accélérer la préparation de nouveaux sites et l'installation de nouveaux sites industriels, dont 500 M€ pour les seuls 55 sites clés en main France 2030, les seules subventions disponibles via le Fonds vert régionalisé sont en effet notoirement insuffisantes, au risque de pénaliser particulièrement les plus petits projets, y compris dans les Territoires d'industrie, où cet axe est pourtant prioritaire. Pour utiles qu'elles soient, les actions menées par la Banque des Territoires sur ce sujet, présentées par cette dernière aux rapporteurs, ne pourront se substituer au fléchage de financements spécifiques (il s'agit notamment d'offres de subvention aux collectivités (hors ou dans les Territoires d'industrie) pour des missions d'ingénierie, et de l'animation du portail national du foncier économique France Foncier +, lancé en avril 2024 pour accélérer l'identification par les industries de fonciers correspondant à leur besoin, tout en permettant aux collectivités de mettre en place une stratégie foncière.

Pour rappel, l' amendement précité présenté au nom de la commission des affaires économiques dans le cadre de l'examen du PLF pour 2023, qui visait à pérenniser une dotation de 100 M€ sur quatre ans dédiée au programme Territoires d'industrie, visait non seulement des crédits d'accompagnement aux entreprises, mais également les mesures de soutien à l'ingénierie pour les collectivités et des mesures de mobilisation et de requalification du foncier.

Recommandation n° 10 : Prévoir des financements spécifiques, dédiés aux communes et EPCI des Territoires d'industrie engagés dans le développement industriel, notamment pour l'accès au foncier et au développement d'infrastructures, sur une ligne dédiée en dehors du Fonds vert.


* 33 Chiffres fournis par la DTI.

* 34 Chiffres fournis par la DTI.

* 35 Rapport Cour des Comptes, p. 41.

* 36 Rapport Cour des Comptes, p. 41.

* 37 Rapport Cour des Comptes, p. 61-62.

* 38 Puis réabondé pour atteindre finalement 712 M€ (rapport Cour des comptes, p. 39).

* 39 https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/territoires-industries-253-premiers-projets-soutenus-france-relance#

* 40 Rapport Cour des Comptes, p. 66.

* 41 Rapport Cour des Comptes, p. 44.

* 42 Rapport Cour des Comptes, p. 43.

* 43 Rapport Cour des Comptes, p. 45.

* 44 Rapport Cour des Comptes, p. 45

* 45 Dossier de presse, p. 19.

* 46 Chiffres fournis par la DTI, réponse à un questionnaire budgétaire.

* 47 Dossier de presse du lancement de la phase 2, p. 22 (ci-après « Dossier de presse »).

* 48 Réponse à un questionnaire budgétaire.

* 49 Réponse à un questionnaire budgétaire.

* 50 Cour des comptes, 10 ans de politiques publiques en faveur de l'industrie : des résultats encore fragiles, communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, novembre 2024.

* 51 Cf. ci-dessous, p. 58.

* 52 Cf. ci-dessous, p. 72.

* 53 Rapport Cour des comptes, p. 64-65.

* 54 Aide à l'embauche de 4 000 € pour le recrutement de jeunes talents sur des postes à responsabilité.

* 55 Cf. par exemple : https://www.bpifrance.fr/nos-appels-a-projets-concours/candidatez-a-la-8e-promotion-de-laccelerateur-pme.

* 56 Rapport Cour des comptes, p. 88.

* 57 Rapport Cour des comptes, p. 84

* 58 Rapport Cour des comptes, p. 50.

* 59 Le FTJ soutient ainsi les investissements dans les domaines de connectivité numérique, technologies énergétiques propres, réduction des émissions, réhabilitation des sites industriels, reconversion des travailleurs.

Tous les Territoires d'industrie ne sont cependant pas éligibles à ce fonds, ciblé sur six régions concentrant la majorité des émissions industrielles de COet une forte proportion d'emploi industriel, excepté pour le programme national FTJ « Emploi et compétences », à périmètre national.

* 60 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République.

* 61 Catégorie de nomenclature la plus fine existant en comptabilité des collectivités pour cibler les dépenses en faveur de l'industrie.

* 62 Rapport Cour des comptes, p. 81-82.

* 63 Rapport Cour des comptes, p. 63.

* 64 Les autres items étant l'écosystème économique en général, l'implication des collectivités dans l'accompagnement à l'implantation, et le vivier de personnes employables (source : réponses écrites de l'AMF).

* 65 Données fournies par Bpifrance.

* 66 Réponse à un questionnaire budgétaire.

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