C. DES TENSIONS DE TOUTE NATURE DE PLUS EN PLUS MARQUÉES DANS LE CALAISIS

1. Des troubles à l'ordre public relativement contenus mais en augmentation

Selon les données communiquées par la mairie de Calais, près de 2 000 personnes stationnent quotidiennement à Calais dans l'attente d'une fenêtre météorologique favorable pour tenter la traversée vers le Royaume-Uni. Cette accumulation de personnes en transit est vectrice de tensions de toutes natures dans la région du Calaisis en général et dans la ville de Calais en particulier. Celles-ci sont d'abord d'ordre sécuritaire.

Outre l'agressivité croissante des migrants envers les forces de l'ordre lors de leurs interventions sur le littoral, la sous-préfecture de Calais a souligné la récurrence des troubles à l'ordre public engendrés par des rixes entre migrants. La cohabitation de communautés parfois rivales dans de mêmes espaces peut notamment aviver les tensions. Les troubles sont en revanche plus marginaux vis-à-vis de la population. Il s'agit principalement de destructions matérielles opérées en réaction à l'échec d'une tentative de passage. La sous-préfecture de Calais relève néanmoins des difficultés

croissantes dans la cohabitation avec les habitants du bord du littoral, dont les propriétés privées sont régulièrement violées par les migrants se rendant sur les lieux de départ.

Ces observations recoupent le constat, particulièrement alarmant, de la maire de Calais,. Celle-ci a fait état de nombreux troubles à l'ordre public, de gravité variable. La plupart n'impliquent effectivement pas directement la population, même si cela n'a rien de satisfaisant en soi. Ont notamment été mentionnées l'occupation illégale de terrains publics ou privés, la prolifération des déchets en résultant ou la destruction d'espaces occupés par les migrants (un hangar squatté a par exemple récemment pris feu). Vis-à-vis de la population, des agressions physiques et sexuelles auraient été recensées. De manière générale, les habitants voient l'image de leur ville se dégrader, de même que leur sécurité du quotidien. Les transports publics sont par exemple utilisés par les réseaux de passeurs pour acheminer les migrants sur le littoral.

La mission d'information tient par ailleurs à souligner la qualité de la coopération entre l'État et les collectivités locales pour garantir la sécurité du territoire. Celle-ci a été mise en exergue par l'ensemble des acteurs rencontrés. Elle se traduit par exemple par une exploitation facilitée des images issues de la vidéoprotection, dans la mesure où le centre de surveillance urbaine est géré par la mairie de Calais. Au-delà des seuls aspects sécuritaires, une réunion hebdomadaire se tient avec les services de l'État afin de garantir l'efficacité de la coordination.

2. Une situation particulièrement dégradée sur le plan humanitaire

La situation humanitaire dans le Calaisis est, en outre, particulièrement dégradée, et ce malgré une mobilisation de tous les instants des services de l'État ainsi que des collectivités locales. Un imposant dispositif d'assistance humanitaire a été mis en place à la suite d'un arrêt du Conseil d'État en date du 31 juillet 2017173(*), qui a jugé que « la carence des autorités publiques [exposait] des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ». Le Conseil d'État a ainsi enjoint la préfecture du Pas-de-Calais et la commune de Calais à mettre des points d'eau, de latrines et de douches à disposition des personnes migrantes, ainsi qu'à organiser des départs quotidiens vers des centres d'accueil et d'orientation.

Les services de l'État se sont pleinement engagés pour mettre en oeuvre un « socle humanitaire » unique en France au bénéfice de la population migrante stationnant à Calais. Pour rappel, ce « socle humanitaire » avait été appelé de ses voeux par le président de la République au début de l'année 2018 : « des douches, des sanitaires, des points d'eau, un accès aux soins, de manière organisée et régulée. L'État le fait, grâce à l'ensemble des acteurs ici présents, en lien avec [l]es associations, des travailleurs sociaux [...]. Nous apportons tous ces services, mais il y en a un, aujourd'hui, que nous n'apportons pas encore, c'est l'accès à la nourriture, aux repas, qui est assuré aujourd'hui par des associations. [...] Nous allons le prendre en charge [...]. C'est ce socle humanitaire que nous devons tous à chacun et chacun, mais dans l'ordre républicain »174(*).

Dans ce contexte, les services de l'État dans le Calaisis poursuivent un double objectif : éviter la reconstitution de lieux de fixation souvent insalubres sur Calais, et permettre des conditions de vie humaines et dignes à la population migrante. Selon les informations communiquées par la sous-préfecture de Calais, plusieurs dispositifs déployés depuis août 2017 permettent :

- l'accès à l'eau, à l'hygiène et à des sanitaires : des points d'eau sont désormais accessibles sept jours sur sept. Une équipe de 19 ETP est chargée de la mise en place des fontaines et des robinets ainsi que de la distribution régulière de bidons d'eau. Entre 2018 et 2023, plus de sept millions de litres d'eau ont été distribués dans ce cadre175(*). S'agissant de l'accès aux sanitaires, 44 cabines individuelles ont été mises à disposition des personnes migrantes à Calais. Enfin 28 douches accessibles à tous ont été installées sur un site aménagé et rénové en 2022, sur lequel les rapporteurs se sont rendus. Des navettes permettent d'y accéder en semaine, avec des créneaux spécifiquement aménagés pour les femmes et les enfants depuis 2021. Cette prestation est assurée par une équipe de 9 ETP ;

- l'accès à une alimentation équilibrée et adaptée : des distributions de repas sont assurées par 19 ETP depuis le 6 mars 2018, à raison de deux fois par jour et sept jours sur sept ;

une information renforcée des migrants : des équipes mobiles constituées de membres des associations Audasse (Association unifiée pour le développement de l'action sociale, solidaire et émancipatrice ; 11 ETP) et France terre d'asile (11 ETP) sillonnent quotidiennement Calais afin d'apporter des informations fiables sur leurs droits aux personnes migrantes. Celles-ci sont relatives à l'hébergement, à la procédure d'asile, au droit au séjour ou encore à l'accès à la santé. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) déploie par ailleurs une maraude régulière sur Calais depuis le 1er janvier 2020 ;

l'hébergement et la mise à l'abri : outre les dispositifs de mise à l'abri hivernale ou d'urgence, le département du Pas-de-Calais dispose de 450 places déployées dans quatre centres d'accueil et d'examen des situations (CAES). Une mise à l'abri est proposée en semaine au départ de Calais vers les CAES du département. Dans ce cadre, 5 197 personnes ont été mises à l'abri en 2023 ;

la prise en charge médicale : une permanence d'accès aux soins (PASS) fonctionne en semaine ;

le nettoyage des sites et l'enlèvement des déchets : celui-ci fait l'objet d'une prestation spécifique, dans le cadre d'un marché public attribué à une société privée ;

la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) : l'association France terre d'asile, mandatée par la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), effectue sept jours sur sept des maraudes à destination des mineurs.

L'attention de la mission d'information a par ailleurs été attirée sur la situation particulière des mineurs non accompagnés disposant de membres de familles au Royaume-Uni. Comme l'a rappelé le maire de Grande-Synthe dans un communiqué de presse du 11 juillet 2024176(*), il est incompréhensible que ces derniers soient encore aujourd'hui confrontés à d'importantes difficultés pour rejoindre le Royaume-Uni. Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'il s'agit d'une population particulièrement vulnérable. Il n'est ainsi pas rare que ces mineurs soient, sous l'emprise de passeurs, contraints à commettre des délits ou placés dans des situations d'exploitation sexuelle177(*). Dans ce contexte, leur permettre de rejoindre le Royaume-Uni doit constituer une priorité. La mission s'associe sur ce point à l'appel du maire de Grande-Synthe à mobiliser les mécanismes leur permettant de rejoindre en sécurité leur famille établie au Royaume-Uni. De fait, l'un des principaux objectifs du traité de Sandhurst, par son article 2, était d'accélérer le traitement des demandes de réunification déposées par des mineurs isolés.

Proposition n° 16 : Mobiliser les mécanismes permettant aux mineurs isolés ayant des membres de leur famille au Royaume-Uni de les rejoindre en toute sécurité.

3. Une population très largement exaspérée

Les conséquences de la concentration des flux migratoires dans la région sont, au niveau social, difficilement supportables pour les habitants. La maire de Calais a résumé la situation avec ces mots d'une particulière justesse au cours de son audition : « le contexte local, unique en France, devient insupportable pour les gens. Aux contraintes touchant tous les Français s'ajoute pour les Calaisiens l'obligation de vivre en permanence avec cette pression migratoire qui nuit à l'image de leur ville, et, pour certains, portent directement atteinte à leur sécurité. Les habitants sont tiraillés entre lassitude et colère. Et pourtant, malgré ce qu'ils subissent depuis de nombreuses années, les Calaisiens restent dignes et ne font preuve d'aucune violence vis-à-vis des migrants.

Ce constat recoupe en tous points les observations effectuées par les rapporteurs lors de leur déplacement à Calais : la grande patience et l'humanité dont font part au quotidien les habitants face à ces difficultés sont particulièrement admirables.

4. Des pertes de chance certaines en matière économique

Cette situation emporte quatrièmement d'importantes conséquences sur le plan économique. Comme évoqué précédemment, les collectivités doivent, d'une part, consentir d'importants investissements pour faire face à la situation. Elle engendre, d'autre part, des pertes de chances économiques en décourageant de potentiels investisseurs et entrepreneurs de venir s'installer sur l'agglomération calaisienne. Plusieurs locaux d'entreprises ont ainsi fait l'objet de dégradation ou d'occupation illicite : c'est le cas par exemple du hangar de l'entreprise Cheers, actuellement occupé par « 310 tentes »178(*).


* 173 Conseil d'État, arrêt n° 412125, 31 juillet 2017.

* 174 Discours du président de la République devant les forces de sécurité à Calais, le 16 janvier 2018.

* 175 Chiffres communiqués à la mission par les services de la préfecture du Pas-de-Calais.

* 176 Mairie de Grande-Synthe, Communiqué de presse, « Avec la victoire de la gauche au Royaume-Uni, une nouvelle politique migratoire est possible », 11 juillet 2024

* 177 Coordination nationale des jeunes exilé.e.s en danger, « Mineur.es non accompagné.es refusé.es ou en recours de minorité : recensement national du 20 mars 2024 », 9 avril 2024.

* 178 Audition par la mission de Natacha Bouchart, maire de Calais, le 3 décembre 2024.

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