EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 9 avril 2025)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons nos trois rapporteurs sur la mission d'information relative aux conséquences de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne, un mois par an de 2024 à 2026, et aux solutions alternatives à cette interdiction. Leur rapport, intitulé Pêche et petits cétacés : bâtir un avenir commun dans le golfe de Gascogne, est très attendu. Lors de nos déplacements dans le Morbihan comme en Loire-Atlantique, nous avons constaté combien ces sujets étaient prégnants sur ces territoires.

M. Yves Bleunven, rapporteur. - Nous avons le plaisir de vous présenter à trois voix les conclusions de notre rapport d'information sur la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne de la fin janvier à février, en 2024, 2025 et 2026.

Cette fermeture - inédite par son ampleur - visait à réduire les captures accidentelles de petits cétacés, en particulier de dauphins communs, une problématique bien réelle et qu'il ne s'agit pas ici de minimiser. D'après les données scientifiques, lesquelles présentent toutefois un très fort degré d'incertitude, allant parfois du simple au double, 6 100 dauphins communs en moyenne auraient fait l'objet de captures accidentelles par des engins de pêche chaque hiver, entre 2017 et 2023, sur la façade atlantique de la France, sur un total d'environ 180 000 dauphins dans la zone, et d'environ 440 000 dans l'ensemble de l'Atlantique Nord-Est hors eaux irlandaises.

Or, au regard de la directive Habitats qui place tous les mammifères marins sous protection stricte, et de la règle de gestion du potentiel de prélèvement potentiel (PBR), un taux de capture supérieur à un taux équivalant en pratique 1 % par an compromettrait le maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable. Ce pic de captures conduisant au dépassement du seuil est à l'origine de la fermeture.

Les conditions dans lesquelles cette décision a été prise - sur injonction du Conseil d'État, et de façon précipitée, trois mois avant la fermeture - ont fortement déstabilisé le secteur, déjà fragilisé par les à-coups successifs du covid, du Brexit, des plans de sortie de flotte et de la hausse du prix du gazole.

La perte de chiffre d'affaires de la première fermeture spatio-temporelle a été estimée à 30 millions d'euros, touchant la filière dans son ensemble : 16 millions d'euros pour les pêcheurs, mais aussi des pertes pour les mareyeurs, les criées, les coopératives maritimes, la réparation navale et les transporteurs frigorifiques.

Notre première préoccupation, puisque nous sommes encore au milieu des périodes de fermeture, a été de gérer leurs conséquences et de garantir qu'une aide soit apportée aux professionnels affectés. Cela correspond au premier axe de notre rapport, qui contient cinq recommandations.

La première d'entre elles est de préparer dès à présent et activement la fermeture spatio-temporelle de 2026. Comme élus, nous sommes soumis à un devoir de vérité : la pêche restera fermée en 2026. Il nous faut définir des modalités d'indemnisation, afin de donner de la visibilité aux pêcheurs et de traiter tous les cas particuliers, par exemple ceux d'entre eux qui n'ont pas eu d'activité sur la période de référence 2019-2023. Nous devons agir le plus en amont possible pour ne pas revivre le scénario de 2024, voire de 2025.

La deuxième recommandation est de négocier avec la Commission européenne un maintien du taux d'indemnisation à 85 % du chiffre d'affaires pour les pêcheurs et une révision du mode de calcul de l'aide au mareyage, aujourd'hui basé sur l'excédent brut d'exploitation, ce qui est moins avantageux et a conduit à une sous-consommation d'environ 50 % la première année. Ces indemnisations ont été rapides, relativement généreuses, mais elles ne suffisent pas à effacer le préjudice moral profond ressenti par la filière. Elles doivent être à la hauteur ; à défaut, le mareyage sera de plus en plus tenté de s'approvisionner à l'étranger. Actuellement, nous importons déjà 75 % de ce que nous consommons.

Au-delà des pêcheurs et de la première étape de transformation que constitue le mareyage, nous avons souhaité prêter une attention particulière dans nos travaux aux conséquences indirectes de la fermeture pour les criées, la réparation navale ou encore le transport, et sur l'ensemble de l'écosystème économique côtier.

Les criées et les ports sont les grands oubliés des indemnisations. Notre troisième recommandation est de leur garantir l'accès au chômage partiel, qui n'a pas été possible pour la plupart des formes juridiques, hormis pour celles gérées par des chambres de commerce et d'industrie.

Par ailleurs, durant la première année, l'encadrement des aides d'État a empêché les exploitants des bateaux concernés de profiter de l'arrêt pour conduire des travaux, au motif que cela constituerait une « double indemnisation ». Cette règle est un non-sens ! Si la deuxième année, de menus travaux ont été possibles, il convient d'aller encore plus loin dans le prochain régime d'aide notifié à la Commission, afin de permettre aux pêcheurs d'optimiser leur arrêt et à la réparation navale de continuer de tourner. C'est notre quatrième recommandation.

Une cinquième recommandation est plus exploratoire et nous mesurons les difficultés de mise en oeuvre qu'elle présente : nous avons été frappés, lors du déplacement à Lorient, par les contraintes pesant sur le transport frigorifique de produits de la mer, avec parfois des assurances sur la livraison à quinze minutes près. En 2024, pendant la fermeture, la couverture du territoire en livraison a dû être réduite et la consommation de poisson a diminué. Nous craignons que la répétition des arrêts pousse les grandes entreprises de transport à se désengager du secteur, faute de rentabilité sur ce segment. Aussi pensons-nous qu'un accord temporaire de filière pourrait conduire à des assouplissements des délais de livraison, voire à des mutualisations avec d'autres produits agroalimentaires. Cela pose des défis logistiques et sanitaires, bien sûr, mais rendez-vous compte que nous en sommes rendus au point où des camions quasiment vides circulent dans toute la France. Il y a matière à optimiser cela.

Les propositions que je viens d'émettre pour bien gérer la dernière année de crise sont une condition sine qua non pour préparer l'après-2026, ce dont va vous parler Alain Cadec.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Le point que j'aborde est sans doute moins consensuel : comment concilier les activités de pêche et la protection des petits cétacés ? J'émettrai également cinq recommandations sur ce volet. Nous sommes sur une ligne de crête, mais nous avons la conviction que celle-ci est praticable, c'est pourquoi le rapport que nous vous présentons s'intitule Pêche et petits cétacés : bâtir un avenir commun dans le golfe de Gascogne. Un tel avenir n'est envisageable ni sans les pêcheurs ni sans les dauphins.

Nous avons mené de nombreuses auditions dans le cadre de cette mission d'information : professionnels, scientifiques, administrations, mais aussi associations de protection de la nature. Chacune de ces catégories nous a fait part de visions et de préoccupations différentes ; en tant que responsables politiques, nous avons pour fonction de tenir compte de cette diversité pour fixer un cap. Celui-ci est clair : la réouverture de la pêche après 2026, dans des conditions qui permettent un maintien de l'état de conservation favorable du dauphin commun. Tel est l'objectif fixé et c'est ma première recommandation. Avec mes collègues, de différents groupes politiques, nous l'assumons sans équivoque.

Des mesures techniques d'atténuation ont déjà été engagées par les pêcheurs. La question ne se résume pas aux pingers, ces engins d'effarouchement, puisque le changement de couleur des ralingues a également été envisagé et que l'innovation permettra sans doute de mettre au point de nouvelles techniques pour éloigner les cétacés des engins de pêche. Le problème est que ces animaux, bien que particulièrement intelligents, oublient les signaux d'alerte dès lors qu'il y a de quoi manger.

M. Yannick Jadot. - Ou à l'inverse, ils sont suffisamment intelligents pour comprendre, à l'écoute d'un pinger, où se trouve la ressource !

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est sur les pingers, dispositifs d'éloignement acoustique, que les pêcheurs fondent le plus d'espoir. Déjà utilisés sur des chalutiers pélagiques, ils sont en cours de déploiement sur deux cents fileyeurs pour confirmer leur efficacité. Cependant, il faut équiper des filets pouvant faire des dizaines de kilomètres tous les cinq cents mètres et les entreprises ne parviennent pas à honorer les commandes.

Il existe deux types de dispositif : les pifils, pour pingers au filage, qui sont fixés sur la coque du bateau, empêchant le dauphin d'approcher quand on file le filet, et les balises Dolphin Free posées sur les filets eux-mêmes. Le second dispositif semble plus prometteur, mais n'est pas commode, voire peut être dangereux pour le virage, car les boîtiers sont lourds et qu'il faut les détacher un à un.

Le défi est donc la miniaturisation de ces équipements, or le marché d'intérêt est trop petit pour que les entreprises investissent en ce sens ; il convient donc d'envisager un plan d'équipement européen pour l'agrandir. C'est ma deuxième recommandation, qui permettra de rentabiliser la fabrication et la vente de ces petits pingers.

Cela m'amène à une troisième recommandation, qui devrait aller de soi, mais qui, malheureusement, n'a pu aboutir jusqu'à présent : celle de régionaliser davantage, voire d'européaniser, la politique de protection. L'Union européenne a pris un acte délégué en 2025 pour étendre la fermeture dans les eaux françaises aux navires battant pavillon étranger, mais, comme il fallait l'unanimité et que seule la France était sous le coup d'une décision de justice, à la différence de l'Espagne, elle n'étend pas la fermeture aux eaux espagnoles. Le bon sens serait d'inclure la zone économique exclusive (ZEE) espagnole et la ZEE portugaise, voire davantage, dans la fermeture spatio-temporelle de 2026, car les dauphins communs ne s'arrêtent pas à notre ZEE... Dans la mesure où l'unité de gestion du dauphin commun est l'Atlantique Nord-Est, l'enjeu est non seulement l'efficacité de la mesure, mais aussi son équité.

Toujours dans cette recherche d'équité et d'efficacité dans la protection des cétacés, ma quatrième proposition consiste à prendre exemple sur la loi américaine visant la protection des mammifères marins, dont une disposition de type « mesure miroir » entrera en vigueur en 2026, pour interdire les importations de poissons ne respectant pas des garanties équivalentes en matière de protection des mammifères marins. En effet, pendant que nous empêchons nos pêcheurs de pêcher, nous continuons d'importer des poissons de zones où aucune norme n'est respectée. Une telle interdiction ne pourrait évidemment être envisagée qu'à l'échelle du marché intérieur, et il faudrait en démontrer le caractère non discriminatoire et proportionné. Ce serait un comble que la baisse de notre capacité de pêche se traduise par des importations de poissons pêchés à l'aide de techniques ayant entraîné des captures accidentelles. Surtout eu égard à l'état déjà très dégradé de notre balance commerciale en produits de la mer : je rappelle que nous importons entre 70% et 75 % des produits de la pêche et de l'aquaculture que nous consommons.

Enfin, une cinquième recommandation est plus exploratoire : elle consiste à mettre au point des mécanismes incitatifs, et non plus punitifs, en lien avec les organisations de producteurs, afin de mieux valoriser les pratiques d'atténuation des captures de la part des pêcheurs. Plusieurs dispositifs sont envisageables.

Premièrement, la labellisation, afin de permettre une hausse du consentement à payer du consommateur pour mieux partager avec lui le coût des mesures d'atténuation des captures. On pourra, pour cela, s'appuyer sur des démarches existantes : le label public « pêche durable », qui est le plus exigeant en la matière, voire le label MSC (Marine Stewardship Council) qui, depuis 2023, intègre aussi des critères de réduction des captures d'espèces protégées. Ces critères pourraient être mis à jour et renforcés à la lumière des travaux scientifiques en cours - je pense aux travaux de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et à ceux de l'observatoire Pelagis dans le cadre du projet Delmoges.

Deuxièmement, on pourrait confier aux organisations de producteurs le soin de développer une application de partage des informations en temps réel sur les cétacés et les captures accidentelles. Cela existe dans les eaux écossaises sous le nom de BATmap (By-Catch Avoidance Map, carte d'évitement des captures accidentelles) : en temps réel, les pêcheurs savent où il y a des concentrations de dauphins pour les éviter. Cela semble une piste intéressante pour mieux associer les pêcheurs, qui ont pu faire l'objet de « pêche bashing », à la protection des cétacés.

Vous l'aurez compris, pour nous, l'enjeu est d'offrir une sortie par le haut à tout le monde, dans le respect de ce que nous enseigne la science, dont va parler Philippe Grosvalet.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Ce sujet de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne est passionnant, mais aussi déroutant, en raison de la forte incertitude qui entoure plusieurs données du débat dans sa dimension scientifique.

Je vous assure qu'il n'a pas toujours été facile d'y voir clair, mais nous avons essayé de faire la part des choses entre ce qui relève de la perception, du ressenti ou des opinions personnelles des acteurs concernés, d'une part, et ce qui est le fruit de la méthode scientifique avec des protocoles d'analyse quantitative les plus rigoureux et documentés possibles, d'autre part - même si nous pouvons penser que la science est encore balbutiante en ce qui concerne ces données.

Les scientifiques ont fait l'objet d'une certaine défiance - en réalité, d'une défiance totale -, car les associations de protection de la nature ont repris leurs données et en ont tiré, pour certaines, des conclusions trop définitives sur la pêche. Mais rien ne sert de s'acharner sur le baromètre quand le temps est mauvais.

Aussi, notre première proposition serait de demander à la ministre chargée de la pêche de nommer un médiateur, qui pourrait être une personnalité qualifiée ayant suffisamment d'autorité pour jouer un rôle d'arbitre. Celui-ci présiderait le groupe de travail « captures accidentelles », qui regroupe pêcheurs, scientifiques, administration et associations, qu'il est absolument indispensable de réactiver pour surmonter la rupture de confiance constatée. Des règles de confidentialité renforcées et un haut niveau de représentation de la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGampa) seraient à même de faire revenir tous les acteurs concernés à la table des discussions. Pour l'instant, il n'y a plus aucun espace de dialogue.

Notre deuxième recommandation consiste à étendre le nombre de navires équipés en caméras pour objectiver le débat sur les captures - sujet brûlant dans le monde de la pêche. Le processus est en cours pour cent fileyeurs équipés en caméras embarquées dans le cadre du programme OBSCame+ porté par l'Office français de la biodiversité (OFB). En équipant davantage de navires, nous pourrions obtenir des données fiables à un horizon plus court, ce qui est dans l'intérêt des pêcheurs. Cela devra bien sûr se faire en concertation avec les capitaines et leurs équipages, et en tournant les caméras vers les filets, et non vers les pêcheurs, qui craignent à juste titre le côté intrusif de la présence de caméras à bord.

Pour la poursuite de l'acquisition et de la diffusion de connaissances, nous proposons ensuite d'inciter la profession à mettre en place, tel que prévu dans son contrat stratégique de filière, un institut technique de la pêche qui servirait d'interface entre les scientifiques et les professionnels pour ouvrir la voie à davantage de recherche appliquée. Une telle structure aurait par exemple pu contribuer à améliorer l'acceptabilité de la pose de caméras. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de créer un « machin » de plus, puisque ce serait complètement à la main de l'interprofession.

Une autre proposition consiste à reconduire le projet scientifique Delmoges (Delphinus mouvements gestion), entre l'Ifremer et Pelagis, au-delà de sa première période 2023-2025. Ce premier programme a permis de nombreux progrès que nous avons constatés dans le continuum des connaissances entre Pelagis, qui a un angle « cétacés », et l'Ifremer, qui a un angle « pêche », notamment sur le fait que les petits poissons pélagiques s'agrègent en bancs denses sur le fond près des côtes, ce qui pourrait expliquer que des dauphins soient capturés dans des filets au fond, par exemple dans la pêche à la sole ou au merlu. Reconduire ce programme permettra d'alimenter la réflexion sur des alternatives aux mesures d'urgence actuelles : nous proposons de confier aux scientifiques le soin de mettre en place des protocoles pour évaluer l'efficacité de mesures alternatives, qui seraient en tout cas plus incitatives et ciblées qu'une fermeture sèche pour un aussi grand nombre d'engins, sur la base des dernières données. Rappelons que les décisions actuelles sont prises sur la base du nombre estimé de dauphins en 2016 et d'un avis du Conseil international pour l'exploration de la mer (Ciem) de 2023 selon lequel la plupart des scénarios sans fermeture spatio-temporelle ne suffiraient pas à assurer la conservation du dauphin commun.

Une dernière recommandation consiste à améliorer la qualité et la transparence des données issues du Réseau national échouages (RNE). Ce réseau d'environ 500 correspondants est chargé d'imputer les échouages à différentes causes de mortalité, sous la coordination de l'observatoire Pelagis, unité mixte de service du CNRS et de l'université de La Rochelle. Comme il ressort qu'environ 70 % des échouages seraient attribuables à la pêche, les pêcheurs demandent légitimement que cette imputation s'appuie sur des observations solides. Or la plupart des observations reposent sur un examen externe de l'animal par des correspondants habilités, mais qui, selon les pêcheurs, n'ont pas nécessairement toutes les qualifications. Nous n'entendons pas remettre en cause le travail effectué par ce réseau, mais au contraire le fiabiliser. Nous pensons y parvenir en renforçant l'accompagnement vétérinaire, notamment lors des pics d'échouage hivernaux, en fixant l'objectif d'une hausse du taux d'autopsie, en développant l'attention portée à l'identification des pathogènes comme autre cause de mortalité, et enfin en publiant les données individuelles des échouages dans une logique de science ouverte.

Nous considérons que cela pourrait contribuer à abaisser le niveau de défiance envers cet organisme, qui fait un travail essentiel. C'est seulement main dans la main que les pêcheurs et les scientifiques pourront atteindre l'objectif de concilier l'activité de pêche et la protection des petits cétacés.

M. Pierre Médevielle. - Je remercie nos collègues de ce rapport sur un sujet sensible dans le golfe de Gascogne.

Plusieurs choses me gênent. Vous avez parlé tous les trois d'incertitudes sur les chiffres. Alain Cadec nous a assurés que personne n'avait dit que la biomasse était en danger. Dans ce cas, pourquoi prendre de telles mesures ? Je peux en témoigner : à Arcachon, Capbreton, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, nous n'avons jamais vu autant de dauphins depuis dix ans !

En outre, pourquoi ne pas parler dans le rapport de différenciation entre les types de bateaux ? Dans les quatre ports que j'ai cités, les bateaux de pêche sont de douze mètres en moyenne. Les dégâts ne proviennent pas de ces bateaux, alors pourquoi les mettre dans la nasse ? On n'a pas affaire à des pélagiques qui traînent à deux un filet comme dans la ZEE espagnole, et qui font effectivement des dégâts.

Les pêcheurs qui sont bloqués touchent une indemnisation de 85 % du chiffre d'affaires - c'est bien, mais ce n'est pas 100 %. Pourquoi ne pas parler des dégâts en aval dans les criées et dans les coopératives ? Nous dépensons 20 millions d'euros par an pour protéger une espèce qui n'est même pas menacée : c'est marcher sur la tête !

Par ailleurs, la plupart des pêcheurs sont équipés de dispositifs d'éloignement acoustique et doivent perfectionner leurs équipements. Or cela a un coût qui représente une contrainte. J'ai rencontré plusieurs pêcheurs qui m'ont dit devoir faire face à de gros problèmes de trésorerie. Par conséquent, quand la pêche est ouverte, ils sortent par tous les temps. Serge Larzabal, premier vice-président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), a dû vous en parler.

Interdire les grands chalutiers pélagiques pendant un mois, soit. Mais céder à certaines organisations qui réclament une interdiction pendant quatre mois, en janvier, février, mars et juillet, ce serait aller vers un naufrage complet ! Il faut complètement revoir la copie.

La zone est coupée en diagonale entre la France et l'Espagne. Interdire la pêche seulement dans la ZEE française, c'est marcher sur la tête ! Le Conseil d'État a pris une décision qui n'est pas logique alors même que le Gouvernement n'était pas favorable à la fermeture... Il reste beaucoup de travail à faire.

M. Daniel Salmon. - L'incertitude porte sur le nombre de cétacés qui meurent du fait des actions de pêche. Lors de l'audition de la mission d'information à laquelle j'ai assisté, j'ai été interloqué, voire choqué, de constater la défiance qui s'exprimait à l'égard de l'Ifremer et du CNRS. On ne peut pas mettre sur le même plan les chiffres des organismes scientifiques et ceux des pêcheurs. Les organismes scientifiques s'appuient sur une méthodologie qui permet de ne pas avoir d'incertitude. Ils ont le souci de travailler en coopération avec les pêcheurs, malgré un manque de bonne volonté de la part de ces derniers.

L'intervention d'un médiateur pourrait être une solution, mais il y a un réel problème de compréhension des méthodes.

Nous ne pourrons pas voter ce rapport tel qu'il est. Nous pourrons choisir de nous abstenir, car il y a des données scientifiques qu'il faut continuer d'étayer. Mais l'acceptabilité des programmes de recherche par les professionnels de la pêche n'est pas une notion que nous pouvons envisager.

M. Yannick Jadot. - L'efficacité pour la ressource et les cétacés des fermetures spatio-temporelles est incontestable : on constate une baisse des captures accidentelles. La science et les autorités politiques ont considéré qu'il y avait une menace et ont mis en place un dispositif certes dur, mais on connaît l'histoire : c'est à force de ne pas avoir de politique de gestion de la ressource que nous en sommes arrivés là. Tant mieux s'il y a aujourd'hui un esprit constructif pour gérer la ressource !

Je trouve positif que les rapporteurs encouragent le dialogue avec la science.

Certaines choses restent à améliorer dans le programme pour l'année prochaine, mais reconnaissons que la couverture des coûts pour la profession est correcte - il y a eu pire dans le passé.

La situation n'est pas facile. Avec Alain Cadec, nous avons beaucoup travaillé au Parlement européen sur ces sujets. Nous nous sommes toujours battus pour différencier la pêche artisanale de la pêche industrielle. Il est difficile de demander aux artisans d'utiliser des caméras embarquées, et il y a toujours eu des différenciations dans le recours à ce type d'outil.

Quoi qu'il en soit, nous considérons qu'il est bon que la science et les acteurs concernés puissent trouver les moyens de protéger la ressource, donc les pêcheurs.

M. Franck Montaugé. - Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais j'en mesure l'importance. Est-il possible de replacer cette problématique dans le cadre général des difficultés économiques auxquelles la pêche est confrontée et de prendre également en compte la problématique environnementale des réserves halieutiques ? Il faut examiner le sujet dans un panorama global.

M. Gérard Lahellec. - Je m'associe aux compliments adressés à nos rapporteurs. Il faut s'emparer de ce sujet, eu égard à l'insatisfaction qu'il engendre.

Il n'est pas neutre de se référer à la science par les temps qui courent : j'observe une tendance à remettre en cause les avis des scientifiques et des agences. Personnellement, je considère que j'ai besoin de plus savants que moi pour savoir, donc pour prendre une décision. Nous gagnerions à conforter l'objectivation à partir de l'avis des scientifiques, ce que vous avez commencé à faire.

Je me demande s'il ne faudrait pas, dans les préconisations, différencier les approches, car l'on ne protège pas la ressource de la même manière selon que l'on racle le fond des océans ou que l'on pêche avec des bateaux de douze mètres. La pêche artisanale disparaîtra si on ne la préserve pas. Je m'achemine vers une position d'abstention bienveillante et d'encouragement à poursuivre le travail d'objectivation.

M. Alain Cadec, rapporteur. - La différenciation existe, puisque l'interdiction ne vaut pas pour les navires de moins de huit mètres, mais les scientifiques constatent que les prises accidentelles sont moins faites par les pélagiques que par les fileyeurs. Les pêcheurs dont parle M. Médevielle ...

M. Pierre Médevielle. - Ce sont de petits fileyeurs.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Ils n'ont pas des kilomètres de filets, bien sûr.

Mais nous nous rendons compte que nous nous étions trompés au départ. Les navires de pêche mis en cause ne sont pas les pélagiques. Les bolincheurs commencent à s'équiper de caméras, comme ceux qui pêchent en boeufs, c'est-à-dire avec deux bateaux qui tirent un seul chalut. Nous avons rencontré un artisan qui pratique ce type de pêche à La Turballe et qui s'est équipé. Il a constaté qu'il pêchait moins de dauphins. La bolinche est encore moins dangereuse, car elle se pratique avec une senne qui est un filet qui se referme ; il permet donc, en cas de besoin, de rejeter le cétacé. En revanche, si le cétacé est maillé dans un filet, il se noie rapidement. Or malheureusement, les cétacés recherchent la nourriture, qui peut être dans un filet à soles, lequel mesure un mètre cinquante.

La nourriture des dauphins communs, c'est la sardine, l'anchois ou le sprat. Mais ces poissons, pour des raisons liées notamment au réchauffement climatique, se rapprochent des côtes au lieu d'être au large. Le cétacé a donc plus de risques d'être pris.

Certains d'entre vous ont parlé des autopsies. Or seulement 2 % des échouages sont autopsiés, ce qui est bien trop peu. S'il y a des marques de maille, il est clair que le cétacé a été pris et rejeté. Dans le cas contraire, rien ne le prouve tant qu'une autopsie n'a pas été pratiquée, mais l'état de conservation de la carcasse ne permet pas toujours de le faire...

En ce qui concerne la trésorerie, en 2025, les autorités françaises ont fait diligence, ce qui n'était pas le cas en 2024. En 2026, je pense que ce sera la même chose. Nous en avons parlé avec Serge Larzabal qui semble avoir bien compris l'enjeu.

La différenciation spatio-temporelle est impossible à mettre en oeuvre : comment pourrait-on autoriser la pêche depuis Arcachon et l'interdire depuis la Cotinière !

M. Pierre Médevielle. - Et sur les tailles des bateaux ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est un critère pris en compte, mais qui n'est pas suffisant. Des petits bateaux pêchent des cétacés, alors que de plus gros n'en pêchent pas.

L'installation de caméras est une solution possible. Avec Yannick Jadot, nous connaissons bien le sujet : nous avons oeuvré dans ce sens au Parlement européen. Les pêcheurs commencent à intégrer que c'est nécessaire, à condition que l'on filme le filet et non pas leurs visages, ce que nous pouvons tout à fait comprendre.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Le climat est extrêmement tendu, même si les pêcheurs ont plus de mal à se faire entendre que les agriculteurs, car ils sont moins nombreux.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Quand ils veulent faire du bruit, on les entend...

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Je suis un élu du littoral : la filière est au bord de la rupture. C'est une chaîne solidaire : si un maillon craque, toute la filière s'écroule. Des chefs d'entreprise qui investissent 1 million d'euros dans un bateau ont des raisons de s'inquiéter.

Notre rapport s'appuie uniquement sur des données scientifiques, et non sur des données subjectives. L'incertitude n'est pas liée au fait que nous mettrions en doute ces données, mais à la difficulté qu'il y a à mesurer une faune dans un espace aussi complexe que l'océan. La tâche est même plus difficile que pour les oiseaux. Les scientifiques en sont encore à l'étape des balbutiements pour l'établissement des données. Les représentants de Pelagis, de l'Ifremer et du CNRS nous l'ont dit : ils ont beaucoup progressé en trois ans.

Ces difficultés vont jusqu'à susciter des comportements complotistes. Certains pêcheurs, qui restent minoritaires, sont dans une telle remise en cause des scientifiques que nous devons absolument parvenir à rétablir un dialogue avec eux ; sinon, le fossé se creusera encore plus.

Monsieur Montaugé, vous avez raison, il faut parler de l'avenir de la pêche. Nos pêcheurs embarquent sur des bateaux qui ont entre 35 et 40 ans d'âge. C'est non seulement dangereux, mais c'est aussi inefficace, car ils consomment trois fois plus de carburant que des bateaux modernes. En outre, cela n'incite pas les jeunes générations à investir dans la pêche. Par conséquent, la filière n'aura aucun avenir si nous ne sommes pas capables de retrouver une formule compatible avec les règles européennes pour soutenir l'investissement dans les navires de pêche.

M. Franck Montaugé. - Si l'on raisonne en part de PIB, la pêche ne représente pas grand-chose ; mais ce sujet ne mériterait-il pas une proposition de loi de notre commission ? Vous parlez de difficultés d'accès au crédit pour moderniser la flotte. Nous n'avons aucun intérêt à laisser cette filière disparaître petit à petit. L'enjeu est économique, territorial et culturel.

M. Yves Bleunven, rapporteur. - Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons veillé à prendre en considération tout l'écosystème et tous les acteurs. Ainsi, pour les transporteurs, le mareyage ne représente qu'un faible pourcentage de leur activité. Ils sont prêts à laisser tomber l'excellence de leur service parce que cette activité est déficitaire. Nous nous sommes rendus dans la coopérative maritime de Lorient et nous avons constaté les dégâts. Pour les collectivités qui gèrent des criées, cela fait des recettes en moins, sans même parler du tonnage qui diminue d'année en année. Nous avons formulé des préconisations sur ce sujet.

Monsieur Salmon, vous avez assisté à l'audition que nous avions organisée avec les pêcheurs, qui ont des revendications très fortes vis-à-vis des scientifiques. Mais nous avons également organisé des auditions pour entendre les scientifiques. En effet, nous nous sommes fixé pour règle de faire preuve d'objectivité et d'aborder ce dossier sans a priori, en écoutant tous les acteurs. Certaines ONG sont très radicales et le sont de plus en plus, d'autres sont plus modérées et proposent des solutions. Ce serait un raccourci que de tirer des conclusions à partir d'une seule audition.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Monsieur Montaugé, je précise que la pêche est une politique commune totalement intégrée : tout se décide à Bruxelles et à Strasbourg.

M. Franck Montaugé. - Cela n'empêche pas d'agir.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Certes. En matière d'aménagement du territoire, l'absence de bateaux de pêche dans nos ports serait un drame absolu.

Grâce aux décisions prises par l'Union européenne ces dernières années, nous arrivons au rendement maximal durable (RMD) pour 58 % des espèces. Pour expliquer brièvement cette notion, elle consiste, si l'on considère que la biomasse est un capital, à ne toucher qu'aux intérêts. Nous sommes passés en quinze ans de 12 % à 58 % des espèces grâce à la politique commune de la pêche.

M. Franck Montaugé. - Et le nombre de professionnels ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Il diminue parce que notre capacité à pêcher diminue. En effet, l'Union européenne organise des plans de sortie de flotte (PSF), dont le dernier en date est directement lié au Brexit, avec pour conséquence qu'un certain nombre de navires - sans doute beaucoup trop - ont été détruits.

M. Franck Montaugé. - Cela signifie-t-il que la filière est en extinction ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Non, car elle forme beaucoup de jeunes. Mais il faut fournir aux pêcheurs des bateaux qui consomment et qui polluent moins.

M. Franck Montaugé. - C'est l'Union européenne qui doit agir ?

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Pour l'instant, le cadre de la politique commune de la pêche nous bloque, mais nous constatons des avancées significatives.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous devrions pouvoir y arriver. On ne peut pas imaginer notre pays sans pêcheurs.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - D'autant plus que nous avons des ressources financières nouvelles, liées notamment à l'éolien offshore, qui pourraient être réorientées.

M. Franck Montaugé. - Cela pose le même genre de problèmes que pour une partie de l'agriculture...

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous ne nous permettrions pas de mettre en doute les constats des scientifiques. En revanche, les conclusions qu'ils en tirent ne sont pas toujours certaines et peuvent parfois être contestées. Les calculs de biomasse se font par survol ; c'est tout de même très compliqué de compter des dauphins de la sorte ! Des modalisations sont possibles, mais ce n'est pas parfait.

M. Philippe Grosvalet, rapporteur. - Chacun d'entre nous est un acteur politique, avec sa propre sensibilité, mais ce rapport se fonde exclusivement sur les données scientifiques. Notre objectif commun a été d'essayer de définir des pistes permettant à la fois de sauver la filière et de répondre aux besoins de protection de la faune. À un moment politique où des tensions très vives se font jour, on pourrait craindre des actes de violence sur nos ports, où l'on relève parmi les pêcheurs un très fort rejet des scientifiques, sans parler des ONG. Il faut recréer du dialogue et remettre de la rigueur scientifique dans le débat. L'adoption par notre commission de ce rapport équilibré serait de nature à restaurer la paix sociale et à convaincre le Gouvernement de l'importance de ce sujet ainsi que de la nécessité d'y consacrer des moyens importants et de mener une action d'influence à l'échelle européenne.

M. Pierre Médevielle. - Il serait sans doute inopportun de parler de mesure miroir aux pêcheurs, car cela relève du fantasme. Je pense aux flottes de pêche venues de Chine ou d'autres pays asiatiques que l'on arraisonne parfois au large de la Nouvelle-Calédonie : quelque cinquante bateaux ayant tous le même numéro d'immatriculation, qui pillent allégrement toutes nos ressources marines.

Que fait-on aujourd'hui pour les jeunes ? On leur impose contrainte sur contrainte, on les écoeure, alors qu'ils sortent d'écoles d'excellence. Alors, soit on continue de leur appuyer sur la tête et on se résout à tout importer, soit on se décide enfin à aider cette filière de pêche artisanale qui fait vivre tant de nos ports !

M. Yannick Jadot. - Je suis d'accord avec Franck Montaugé, mais il faut aussi réfléchir aux choix des techniques de pêche. Avec Alain Cadec, nous nous sommes battus, avec succès, contre la pêche électrique et la pêche en eau profonde, pour préserver nos pêcheurs et les territoires qu'ils font vivre et structurent de tous les points de vue. Le débat existe sur ces questions au sein de la profession, même si les pêcheurs sont moins enclins à s'exprimer publiquement que les agriculteurs. Renforcer l'approche scientifique est essentiel pour que tout le monde se détende. Il faut trouver les moyens de valoriser la pêche artisanale. Je pense à la belle renaissance du bar de ligne, dont les frayères avaient beaucoup souffert du chalutage en boeuf. Ce poisson fait vivre nos artisans pêcheurs, mais aussi la gastronomie française !

M. Daniel Salmon. - Les propos que j'entends ici ce matin sont beaucoup plus apaisés que ce que j'avais relevé lors des auditions du CNRS et de l'Ifremer. Concernant les causes de mortalité, j'ai retrouvé les chiffres : avant la fermeture, 70 % des cétacés échoués portaient des traces très nettes de filets ; depuis, il n'y a presque pas eu de captures accidentelles.

M. Alain Cadec, rapporteur. - « Les plaisirs sont rares pour les marins pêcheurs ; contempler les dauphins s'égayer dans les flots est l'un d'entre eux » : c'est ce que m'a dit José Jouneau, président du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Pays de la Loire, qui n'est pourtant pas un tendre... Clairement, les pêcheurs ne sont pas contre les dauphins !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je remercie une nouvelle fois nos trois rapporteurs de leur beau travail, sur lequel nous pourrions discuter encore longtemps !

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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