- L'ESSENTIEL
- LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR
SPÉCIAL
- I. LA LPM 2024-2030 : DES ARMÉES
MODERNISÉES MAIS DONT LE FORMAT DEMEURE ENCORE LIMITÉ
- A. LA BAISSE CONSTANTE DE L'EFFORT DE DÉFENSE
DANS LES DERNIÈRES DÉCENNIES A CONDUIT À UN FORT
RÉTRÉCISSEMENT DU FORMAT DES ARMÉES EN FRANCE
- 1. Comme au niveau mondial, un effort de
défense qui a connu une contraction continue à compter de la
seconde partie du XXe siècle
- 2. L'augmentation en volume des dépenses de
défense a été très nettement insuffisante pour
compenser la hausse continue du coût des matériels militaires
- a) Une tendance modestement à la hausse des
dépenses de défense, en volume, depuis les
années 1950
- b) ... tandis que plusieurs facteurs ont nettement
augmenté les coûts supportés par les armées
- (1) Alors que les coûts d'acquisition et
d'entretien des matériels suivent une trajectoire
exponentielle,...
- (2) ... les choix stratégiques et
l'extension de la conflictualité à de nouveaux champs ont
également contribué à augmenter les charges pour les
armées
- a) Une tendance modestement à la hausse des
dépenses de défense, en volume, depuis les
années 1950
- 3. Une modernisation qui ne peut compenser la
réduction massive du format des armées françaises
- 1. Comme au niveau mondial, un effort de
défense qui a connu une contraction continue à compter de la
seconde partie du XXe siècle
- B. FACE AUX BOULEVERSEMENTS MONDIAUX, LA LPM
2024-2030 FIXE UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE EN HAUSSE ET CHERCHE À
EN SÉCURISER L'EXÉCUTION
- 1. Dans un contexte géostratégique
dégradé, la trajectoire de la LPM est en augmentation par rapport
à la précédente programmation, avec certaines
limites
- a) Face à un nouveau contexte et aux
engagements pris lors de la précédente programmation, la LPM
prévoit des moyens budgétaires nettement supérieurs
à la période antérieure
- (1) Un nouveau contexte
géostratégique
- (2) Une LPM 2024-2030 au budget en nette
hausse
- (3) Une LPM 2024-2030 incluant 13,3 milliards
d'euros de ressources complémentaires
- b) Un cadre budgétaire qui n'est pas sans
limite
- (1) En dépit de son coût certain pour
les finances publiques, l'ampleur de la hausse de la trajectoire
budgétaire prévue par la LPM doit être
nuancée
- (2) Des ressources complémentaires dont une
part pose question
- (a) Des ressources extrabudgétaires d'un
montant prévisionnel de 5,9 milliards dont la réalisation
effective doit être surveillée
- (b) Des recettes annoncées au titre du
financement interministériel du soutien à l'Ukraine et des
ajustements de dépenses qui interrogent
- a) Face à un nouveau contexte et aux
engagements pris lors de la précédente programmation, la LPM
prévoit des moyens budgétaires nettement supérieurs
à la période antérieure
- 2. Une LPM qui vise à sécuriser le
financement des armées en exécution
- 1. Dans un contexte géostratégique
dégradé, la trajectoire de la LPM est en augmentation par rapport
à la précédente programmation, avec certaines
limites
- C. SANS ÊTRE EN MESURE D'ÉLARGIR LE
FORMAT DES ARMÉES, LA LPM 2024-2030 EN MODERNISE LES CAPACITÉS ET
FIXE DES OBJECTIFS À L'HORIZON 2030
- 1. Un important effort consacré aux
équipements et à leur entretien par la LPM, qui n'a pas
empêché le décalage de certains objectifs à
l'horizon 2035
- 2. Un objectif de renforcement net des effectifs
de 6 300 ETP et de 40 000 réservistes
- 3. Des objectifs en termes de niveaux de
préparation, de capacités opérationnelles et de
disponibilité des matériels
- 4. Une volonté de mettre en place une
économie dite « de guerre »
- 5. Une LPM qui n'augmente pas structurellement le
format des armées
- 1. Un important effort consacré aux
équipements et à leur entretien par la LPM, qui n'a pas
empêché le décalage de certains objectifs à
l'horizon 2035
- A. LA BAISSE CONSTANTE DE L'EFFORT DE DÉFENSE
DANS LES DERNIÈRES DÉCENNIES A CONDUIT À UN FORT
RÉTRÉCISSEMENT DU FORMAT DES ARMÉES EN FRANCE
- II. UNE EXÉCUTION DE LA LPM GLOBALEMENT
CONFORME, MAIS DES ÉCUEILS NOTABLES
- A. EN DÉPIT DE BUDGETS INITIAUX CONFORMES
À LA LPM, L'EXÉCUTION BUDGÉTAIRE EST MARQUÉE PAR
DES TENSIONS ET RIGIDITÉS MANIFESTANT L'ABSENCE DE TOUTE MARGE DE
MANoeUVRE
- 1. Les lois de finances initiales sont conformes
à la trajectoire prévue en LPM...
- 2. ... mais la gestion budgétaire est
marquée, dès la première année de la période
de programmation, par une tension exagérément forte sur les
crédits
- a) En 2024, les crédits consommés
ont été supérieurs aux crédits initiaux...
- b) ... sans permettre de financer l'ensemble des
besoins exprimés par le ministère en exécution, en
décalage avec la lettre des dispositions de la LPM, dans un contexte
budgétaire tendu
- (1) Des crédits qui n'ont pas permis de
financer l'ensemble du besoin de financement constaté en
exécution
- (2) Un niveau de financement de l'exécution
budgétaire qui n'est pas conforme à la lettre des dispositions de
la LPM, dans un contexte budgétaire général très
tendu
- c) Une sous-estimation initiale chronique des
surcoûts et une volonté de sanctuariser autant que possible
l'intégralité des acquisitions capacitaires prévues en
LPM, au prix d'une hausse du report de charges...
- d) Une situation de tension budgétaire qui
contraint la bonne gestion des crédits par les responsables de
programme
- a) En 2024, les crédits consommés
ont été supérieurs aux crédits initiaux...
- 3. Une hausse anormale du report de charges : des
investissements qui se font de plus en plus à crédit
auprès des industriels
- a) Une augmentation très lourde du report
de charges, tant en valeur qu'en proportion des crédits
disponibles
- b) Si une hausse du stock de report de charges est
naturelle en début de LPM, son acuité apparaît
anormale...
- (1) La progression du stock de report de charges
résulte de plusieurs facteurs
- (2) L'ampleur de la hausse du stock de report de
charges apparaît mal maitrisée ...
- c) ...et témoigne d'un défaut de
soutenabilité, au détriment d'une part de la
crédibilité de la politique industrielle de défense
- a) Une augmentation très lourde du report
de charges, tant en valeur qu'en proportion des crédits
disponibles
- 4. Une mission
« Défense » souffrant de trop fortes
rigidités tenant en particulier au poids du paiement des engagements
pris antérieurement
- 5. Au total, un budget de la défense qui
apparaît dépourvu de toute marge de manoeuvre, notamment pour
faire face aux aléas
- 1. Les lois de finances initiales sont conformes
à la trajectoire prévue en LPM...
- B. LA RÉALISATION DES OBJECTIFS DE
CAPACITÉS FIXÉS PAR LA LPM POUR 2030 RESTE POSSIBLE À CE
JOUR, MAIS DES DIFFICULTÉS APPARAISSENT
- 1. Si le rythme d'acquisition des matériels
reste à ce jour compatible avec l'atteinte des objectifs capacitaires
pour 2030, des difficultés doivent être relevées
- 2. Le début d'exécution de la LPM
connaît une reprise de la hausse des effectifs, au prix d'une politique
d'attractivité et de fidélisation source de rigidité
budgétaire
- a) Une reprise des augmentations d'effectifs du
ministère des armées, mais non sans limites
- b) Une trajectoire de hausse du nombre de
réservistes tenue à ce jour
- c) Un effet cliquet des dépenses
liées aux politiques d'attractivité et de fidélisation des
personnels du ministère à prendre en compte pour la
soutenabilité des dépenses de personnel
- a) Une reprise des augmentations d'effectifs du
ministère des armées, mais non sans limites
- 3. Une hausse très progressive de la
préparation opérationnelle des forces et de la
disponibilité des matériels
- a) Une transparence devenue très
limitée en matière de préparation opérationnelle
des forces et de disponibilité des matériels
- b) En dépit de progrès, une atteinte
des objectifs en partie ralentie
- (1) Un niveau de disponibilité des
matériels encore inégal et pas toujours satisfaisant
- (2) Des objectifs modestes de hausse de la
préparation opérationnelle dont la réalisation n'est
aujourd'hui pas garantie
- a) Une transparence devenue très
limitée en matière de préparation opérationnelle
des forces et de disponibilité des matériels
- 1. Si le rythme d'acquisition des matériels
reste à ce jour compatible avec l'atteinte des objectifs capacitaires
pour 2030, des difficultés doivent être relevées
- C. AU TOTAL, UNE ADÉQUATION DES RESSOURCES
FINANCIÈRES EFFECTIVEMENT OCTROYÉES AUX OBJECTIFS FIXÉS
QUI INTERROGE
- A. EN DÉPIT DE BUDGETS INITIAUX CONFORMES
À LA LPM, L'EXÉCUTION BUDGÉTAIRE EST MARQUÉE PAR
DES TENSIONS ET RIGIDITÉS MANIFESTANT L'ABSENCE DE TOUTE MARGE DE
MANoeUVRE
- III. TOUT NOUVEL EFFORT BUDGÉTAIRE EN
FAVEUR DE LA DÉFENSE DEVRA RESTER SOUTENABLE POUR LES FINANCES PUBLIQUES
ET ÊTRE INTÉGRÉ À UN CADRE STRATÉGIQUE
RENOUVELÉ
- A. QUELLE QUE SOIT SON AMPLEUR, LA HAUSSE DES
CRÉDITS ANNUELS EN FAVEUR DES ARMÉES DEVRA ÊTRE SOUTENABLE
ET CRÉDIBLE ET S'APPUYER SUR UNE LÉGITIMITÉ FORTE
- 1. L'accélération de la
dégradation du contexte stratégique en 2025 a conduit de nombreux
États d'Europe, y compris la France, à envisager un net
renforcement de la progression des dépenses militaires, amorcée
dès 2022
- a) Un contexte stratégique qui s'est
récemment fortement détérioré en Europe sous
l'impulsion militaire de la Russie, en 2022, puis des déclarations des
Etats-Unis sur la protection de l'Europe, en 2025...
- b) ...conduisant à une hausse des
dépenses militaires à compter de 2022, sans remettre en cause les
grands équilibres...
- (1) Une claire hausse des dépenses de
défense à compter de 2022, tant en proportion du PIB qu'en
volume...
- (2) ... qui ne remet pas en cause les
différences d'effort entre pays
- c) ...puis à l'annonce d'importants efforts
complémentaires à compter de 2025, dont la matérialisation
reste à être constatée
- (1) Au sein de l'OTAN, en Europe...
- (2) ...et en France
- a) Un contexte stratégique qui s'est
récemment fortement détérioré en Europe sous
l'impulsion militaire de la Russie, en 2022, puis des déclarations des
Etats-Unis sur la protection de l'Europe, en 2025...
- 2. L'effort de défense devra s'appuyer,
tant à l'échelle européenne que française, sur une
vision stratégique et une légitimité forte
- a) La stratégie de défense de
l'Europe doit être renouvelée, à l'échelle des
États européens et de l'OTAN
- b) À l'échelle française,
l'effort de défense doit reposer sur une analyse renouvelée des
enjeux stratégiques et de l'efficience des dépenses
- (1) La nécessité d'une analyse
renouvelée des enjeux stratégiques
- (2) La nécessité d'un effort de
défense aussi efficient que possible
- c) L'impératif de respecter pleinement les
prérogatives du Parlement dans les modalités d'évolution
de l'effort de défense
- a) La stratégie de défense de
l'Europe doit être renouvelée, à l'échelle des
États européens et de l'OTAN
- 3. La nécessité de répondre
aux écueils du début de période de la LPM en assainissant
l'exécution budgétaire de la mission « Défense
»
- 4. Un effort de défense qui doit rester
finançable
- a) Les défis des modalités de
financement de l'effort de défense en Europe
- (1) Une tendance historique : le financement
des efforts de défense se fait en général par
l'endettement et les impôts
- (2) Un contexte économique peu
favorable
- (3) Un plan européen qui se fonde largement
sur le déficit et l'endettement, tandis que les États envisagent
à ce jour des modalités de financement variables
- (a) Le plan ReArm Europe de la Commission
européenne : pour l'essentiel, un allégement des contraintes
pesant sur le recours au déficit et à l'endettement
- (b) Des modalités de financement
annoncées variables en fonction des États européens
- b) Le caractère très
détérioré des finances publiques en France impose un
effort de défense progressif et des économies concomitantes dans
les autres dépenses
- a) Les défis des modalités de
financement de l'effort de défense en Europe
- 1. L'accélération de la
dégradation du contexte stratégique en 2025 a conduit de nombreux
États d'Europe, y compris la France, à envisager un net
renforcement de la progression des dépenses militaires, amorcée
dès 2022
- B. CRÉER RAPIDEMENT LES CONDITIONS DE LA
MONTÉE EN CHARGE DE L'INDUSTRIE DE DÉFENSE EN FRANCE ET EN
EUROPE, À LA HAUTEUR DES NOUVEAUX ENJEUX
- 1. Assurer le renforcement rapide de la BITD en
Europe concomitamment à la hausse des dépenses militaires
- a) Une BITD fragmentée en Europe, une BITD
française diversifiée et deuxième exportatrice
mondiale
- b) À production constante, la hausse des
dépenses militaires emporterait le risque d'une augmentation de la part
des importations extra-européennes et/ou du coût des
facteurs
- c) Une BITD française qui a
accéléré et qui peut encore produire un effort
progressif
- a) Une BITD fragmentée en Europe, une BITD
française diversifiée et deuxième exportatrice
mondiale
- 2. À l'échelle européenne,
adopter une démarche industrielle du « best
athlete » ayant pour objectif premier la défense de l'Europe
plutôt qu'un partage de la valeur produite dans chaque État
- 3. Soutenir le financement de la BITD
- 4. Libérer et sécuriser la BITD
française
- 1. Assurer le renforcement rapide de la BITD en
Europe concomitamment à la hausse des dépenses militaires
- A. QUELLE QUE SOIT SON AMPLEUR, LA HAUSSE DES
CRÉDITS ANNUELS EN FAVEUR DES ARMÉES DEVRA ÊTRE SOUTENABLE
ET CRÉDIBLE ET S'APPUYER SUR UNE LÉGITIMITÉ FORTE
- I. LA LPM 2024-2030 : DES ARMÉES
MODERNISÉES MAIS DONT LE FORMAT DEMEURE ENCORE LIMITÉ
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LISTE DES DÉPLACEMENTS
- TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
(TEMIS)
N° 615
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire,
Par M. Dominique de LEGGE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
M. Claude Raynal, président ;
M. Jean-François Husson, rapporteur général
; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel
Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de
Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli,
vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu,
Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé
Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin,
Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée,
MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent
Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin,
Mme Nathalie Goulet,
MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric
Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine
Lefèvre,
Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon,
Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges
Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée,
MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek,
Mme Sylvie Vermeillet,
M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
I. LA LPM 2024-2030 : DES ARMÉES MODERNISÉES MAIS DONT LE FORMAT DEMEURE ENCORE LIMITÉ
A. LA BAISSE CONSTANTE DE L'EFFORT DE DÉFENSE A CONDUIT À UN FORT RÉTRÉCISSEMENT DU FORMAT DES ARMÉES DANS LES DERNIÈRES DÉCENNIES
En proportion de la richesse nationale (PIB), alors que la part des dépenses de défense représentait 6,1 % du PIB mondial en 1960, elle s'établissait à 2,2 % en 2021. C'est dans ce contexte qu'a été fixé en 2006 par les États membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) l'objectif d'un niveau minimal de dépenses de 2 % du PIB, pensions comprises. En France, elles sont passées de 7,6 % en 1953 à 1,85 % du PIB en 2013, avant de fluctuer entre ce taux et 2 % jusqu'à aujourd'hui.
Part des dépenses militaires dans le PIB au niveau mondial entre 1953 et 2021
(en proportion du PIB)
Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE et du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
En volume (à valeur de monnaie constante), les dépenses de défense ont eu tendance à quasiment stagner entre 1985 et 2021. En France, elles ont progressé de 9,8 % entre 1986 et 2021. Or, dans le même temps, le coût d'acquisition des matériels militaires a augmenté nettement plus rapidement que les budgets militaires ; cet effet « ciseaux » s'explique par la course technologique qui s'applique aux équipements militaires.
Dans ce contexte, le format des armées françaises s'est fortement réduit. À titre d'illustration, entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, celui des avions de chasse de 686 à 254 et celui des grands bâtiments de surface de la marine nationale de 41 à 19.
B. FACE À L'AGGRAVATION DES RISQUES STRATÉGIQUES, LA LPM 2024-2030 FIXE UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE EN HAUSSE
Dans un contexte géostratégique dégradé, marqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022 - entraînant le retour de la guerre de haute intensité en Europe - mais également par les tensions mondiales protéiformes, la LPM 2024-2030 prévoit une enveloppe au profit des armées de 400 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) pour la période, hors contribution au CAS « Pensions », en hausse de 105 milliards d'euros par rapport à la précédente programmation.
Trajectoire budgétaire prévue par la LPM 2024-2030
(en CP, en milliards d'euros courants et en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030
S'y ajoutent des ressources complémentaires à hauteur de 13,3 milliards d'euros (dont une part constitue en réalité de moindres dépenses), pour un total de 413,3 milliards d'euros.
Si ce montant est significatif, il doit être relativisé en partie. D'une part, il est mesuré en euros courants, l'inflation venant ainsi éroder sa portée, pour un total initialement mesuré à 30 milliards d'euros sur la période de programmation. D'autre part, s'il pourrait conduire à porter le taux d'effort de défense de 2,06 % aujourd'hui à un peu moins de 2,3 % à l'horizon 2030, c'est notamment au bénéfice artificiel de l'affaissement des perspectives de croissance du PIB par rapport à celles qui étaient sous-jacentes à la construction de la LPM. Par ailleurs, ce niveau serait comparable à celui observé à la fin des années 1990 mais resterait inférieur de moitié à celui du milieu des années 1960.
C. SANS ÊTRE EN MESURE D'ÉLARGIR LE FORMAT DES ARMÉES, LA LPM 2024-2030 EN MODERNISE LES CAPACITÉS ET FIXE DES OBJECTIFS À L'HORIZON 2030
La LPM fixe des ambitions en termes de capacités pour la période de programmation. En premier lieu, elle prévoit un effort budgétaire significatif dédié aux équipements, qui n'empêche pas de décaler des cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs concernant les trois forces, notamment le programme Scorpion de l'armée de Terre et le programme Rafale. En deuxième lieu, elle intègre un objectif de renforcement net des effectifs du ministère des armées de 6 300 ETP et de 40 000 réservistes. En troisième lieu, elle prévoit une augmentation des niveaux de préparation, de capacités opérationnelles et de disponibilité des matériels. En dernier lieu, elle pose l'objectif de renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) en France et en Europe.
Dans un contexte de hausse du coût des matériels, l'enveloppe budgétaire prévue par la LPM 2024-2030 permet d'assurer la modernisation des armées, mais pas véritablement le rehaussement de leur format.
II. UNE EXÉCUTION DE LA LPM GLOBALEMENT CONFORME, MAIS DES ÉCUEILS NOTABLES
A. UNE EXÉCUTION BUDGÉTAIRE MARQUÉE PAR DES TENSIONS ET RIGIDITÉS MANIFESTANT L'ABSENCE DE TOUTE MARGE DE MANoeUVRE
1. Les lois de finances initiales sont conformes à la trajectoire prévue en LPM...
À ce jour, pour 2024 et 2025, les budgets initiaux annuels prévus pour la mission « Défense » dans les lois de finances initiales (LFI) afférentes se sont inscrites en cohérence avec la trajectoire budgétaire prévue en LPM. Les crédits initiaux pour 2025 représentent 59,95 milliards d'euros en CP, pensions comprises, soit 10,3 % des crédits du budget général de l'État.
2. ...mais la gestion budgétaire est marquée, dès la première année de la période de programmation, par une tension exagérément forte sur les crédits
En 2024, 58,43 milliards d'euros ont été consommés en CP, dont la contribution au CAS « Pensions », soit + 1,67 milliard d'euros par rapport aux crédits initialement ouverts. La mission a notamment bénéficié en 2024 de reports et d'ouverture de crédits en exécution. Les crédits exécutés n'ont toutefois pas permis de financer l'ensemble des surcoûts constatés en cours d'année (principalement au titre des opérations extérieures et missions intérieures, des déploiements sur le flanc oriental de l'OTAN, et pour le soutien à l'Ukraine).
En fin d'année, le reliquat du besoin de financement à l'échelle de la mission était d'environ 1,2 milliard d'euros, essentiellement porté par le programme 146 relatif à l'équipement des forces.
Crédits prévus et crédits exécutés en 2024 pour la mission « Défense »
(en milliards d'euros, y compris contribution au CAS « Pensions », en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LFI pour 2024 et les documents budgétaires
Cette situation s'explique par une sous-estimation chronique initiale des surcoûts à prévoir, une divergence d'interprétation sur ce que recouvre le financement interministériel des surcoûts liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures prévu dans la LPM et des difficultés à ouvrir en cours d'année les crédits supplémentaires, dans un contexte budgétaire général très dégradé, en contradiction sur certains points avec la lettre de la LPM.
Alors que le ministère des armées manifeste une volonté forte de sanctuariser autant que possible l'intégralité des acquisitions capacitaires prévues en LPM, le besoin de financement subsistant s'est traduit essentiellement par une hausse du « report de charges » (à savoir les dépenses qui auraient dû être réglées dans l'année mais dont le paiement a été reporté).
Concrètement, le ministère des armées achète donc davantage qu'il ne peut aujourd'hui payer.
3. Une hausse anormale du report de charges
Alors que le stock de report de charges de 2022 vers 2023 était de 3,88 milliards d'euros, il s'établirait à environ 8,02 milliards d'euros de 2024 vers 2025 ; le stock a ainsi plus que doublé en deux ans.
Face à une dynamique souffrant d'importants risques de soutenabilité, il importe de reprendre rapidement le contrôle du report de charges.
Évolution du report de charges de la mission « Défense » entre fin 2019 et fin 2024
(en milliards d'euros) (en % des crédits, hors dépenses de personnel)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
4. Une mission « Défense » souffrant de trop fortes rigidités
Les rigidités les plus contraignantes pesant sur la mission « Défense » portent sur le poids des paiements nécessaires pour honorer les engagements pris antérieurement. En particulier, les restes à payer, c'est-à-dire le stock de crédits de paiement ayant vocation à être consommé pour payer les autorisations d'engagement (AE) mobilisées dans les années précédentes, représentent aujourd'hui un montant cumulé de 99 milliards d'euros fin 2024. Près de 90 % des crédits de paiement prévus en 2025, hors dépenses de personnel, seront ainsi destinés à apurer ce stock, qui continue par ailleurs d'être alimenté par l'engagement d'AE.
5. Au total, un budget de la défense qui apparaît dépourvu de toute marge de manoeuvre
Au total, l'exécution budgétaire des dépenses de défense est dépourvue de toute marge de manoeuvre, situation que les hausses prévues des crédits budgétaires alloués annuellement (les « marches ») ne devraient pas être en mesure de modifier fondamentalement, au regard du montant des engagements qui continuent à être pris. Cette situation induira une très forte difficulté du ministère à pouvoir répondre aux aléas, y compris en cas d'évolution des besoins des armées.
Le Gouvernement doit dégager des marges de manoeuvre pour le budget de la défense, en augmentant les ressources disponibles ou en procédant à des choix dans les dépenses.
B. LA RÉALISATION DES OBJECTIFS DE CAPACITÉS FIXÉS PAR LA LPM POUR 2030 RESTE POSSIBLE À CE JOUR, MAIS DES DIFFICULTÉS APPARAISSENT
1. Si le rythme d'acquisition des matériels demeure à ce jour compatible avec l'atteinte des objectifs capacitaires pour 2030, des difficultés doivent être relevées
De nombreux équipements ont été livrés à temps en 2024. Néanmoins, l'indicateur du taux de réalisation des équipements (cible de commandes, de livraisons, de jalons ou étapes importantes des programmes d'armement à franchir dans l'année), s'établit en 2024 à 62,7 %, contre un objectif fixé à 85 %. En outre, des retards ou reports se matérialisent concernant les livraisons de matériels. Peuvent être notamment cités en 2024, pour la Marine nationale, des retards pour les frégates de défense et d'intervention et les patrouilleurs.
2. Le début d'exécution de la LPM connaît une reprise de la hausse des effectifs
Après une période de fin d'exécution de la LPM précédente très compliquée du point de vue des effectifs, la chronique annuelle actée de la LPM 2024-2030 prévoit une augmentation limitée annuellement à 700 équivalents temps plein (ETP) en 2024 et 2025. La prévision inscrite en LFI 2024 était toutefois limitée à + 456 ETP, dont + 400 ETP sur le périmètre de la LPM. La LFI pour 2025 a, quant à elle, prévu un schéma d'emplois de + 700 pour 2025.
Le schéma d'emplois exécuté pour 2024 a dépassé la prévision en LFI, s'établissant à + 479 ETP. Néanmoins, l'effectif total réalisé à fin 2024 reste très en-deçà des objectifs fixés par la LPM, essentiellement du fait de la très forte sous-réalisation du schéma d'emplois en 2023.
3. Une hausse très progressive de la préparation opérationnelle des forces et de la disponibilité des matériels
Depuis 2023, le ministère des armées ne communique plus publiquement les indicateurs généraux relatifs à la disponibilité technique des matériels et à l'activité des forces. Or, le niveau de disponibilité des matériels demeure aujourd'hui, selon les informations recueillies, inégal1(*), même si des progrès doivent être soulignés dans certains secteurs.
Par ailleurs, si la LPM vise à renforcer la préparation opérationnelle des armées, la hausse de ses niveaux d'activité n'est en réalité prévue qu'à compter de 2028, comme l'a constaté le rapporteur spécial, bien que des efforts d'amélioration qualitative de l'activité sont prévues antérieurement. Cet horizon apparait lointain au regard du contexte stratégique.
III. TOUT NOUVEL EFFORT BUDGÉTAIRE EN FAVEUR DE LA DÉFENSE DEVRA RESTER SOUTENABLE POUR LES FINANCES PUBLIQUES ET ÊTRE INTÉGRÉ À UN CADRE STRATÉGIQUE RENOUVELÉ
A. LA HAUSSE DES CRÉDITS ANNUELS EN FAVEUR DES ARMÉES DEVRA RESTER SOUTENABLE ET S'APPUYER SUR UNE LÉGITIMITÉ FORTE
1. L'accélération de la dégradation du contexte stratégique en 2025 a conduit de nombreux États à envisager un net renforcement des dépenses de défense, amorcé dès 2022
Dans un environnement stratégique déjà très détérioré, les dépenses de défense des États sont orientées à la hausse depuis 2022. Au niveau mondial, la part des dépenses militaires est ainsi passée d'environ 2,2 % du PIB en 2021 à 2,5 % en 2024. Au sein de l'OTAN, ces dépenses ont également eu tendance à augmenter parmi les 32 membres, pour certains fortement.
Évolution de la part des dépenses militaires entre 2022 et 2024 au sein de l'OTAN
(en proportion du PIB, aux prix de 2021)
Source : commission des finances, d'après les données de l'OTAN
La tendance à la progression des dépenses de défense se traduit également dans leur volume. À prix constants de 2023, les dépenses de la Russie ont ainsi augmenté d'environ 119,3 % entre 2021 et 2024, de 93,4 % en Pologne, de 47,6 % en Allemagne, de 14,2 % au Royaume-Uni, de 6,8 % aux Etats-Unis et de 6,6 % en France.
Si la tendance est à la hausse, les efforts consentis par chaque pays demeurent néanmoins aujourd'hui très disparates. En 2024, les dépenses françaises représentent environ 6,5 % des dépenses américaines, 43,5 % des dépenses russes, 73 % des dépenses allemandes, 79 % des dépenses du Royaume-Uni, 100 % des dépenses ukrainiennes et 170 % des dépenses italiennes.
Si la trajectoire prévue en LPM présente une augmentation notable des dépenses, celle-ci n'est pas de nature à modifier sensiblement la place de la France à l'échelle mondiale dans l'effort de défense, ni en proportion de la richesse nationale, ni en volume de dépenses, dans un contexte d'augmentation rapide des dépenses militaires dans de nombreux pays depuis 2022.
Les annonces américaines de début 2025 remettant en cause ou conditionnant fortement la protection de l'Europe par les Etats-Unis a conduit à un large mouvement d'annonces de hausse à venir des dépenses militaires sur le continent, qui reste pour l'essentiel à être concrétisée.
2. L'effort de défense devra s'appuyer, tant à l'échelle européenne que française, sur une vision stratégique et une légitimité forte
À l'échelle continentale, il manque aujourd'hui une véritable stratégie de défense de l'Europe. Certes, la Commission européenne a présenté à la mi-mars 2025 un Livre blanc pour la défense européenne. Néanmoins, la défense de l'Europe relève avant tout des États, ainsi que de l'OTAN. C'est à ces échelles que des décisions stratégiques devront être prises pour la sécurité de l'Europe.
À l'échelle française, une analyse renouvelée des enjeux stratégiques est nécessaire. S'il advenait que le Gouvernement souhaite modifier la trajectoire prévue en LPM, il conviendrait de procéder soit à son actualisation par la voie parlementaire, soit à l'examen d'un nouveau texte.
3. Un effort de défense qui doit rester finançable
a) Les défis des modalités de financement de l'effort de défense en Europe
Si l'importance des menaces incite à un effort de défense supplémentaire, il importe de s'assurer que celui-ci demeure effectivement finançable au regard des leviers disponibles : hausse des impôts, baisse des dépenses publiques hors défense, hausse du déficit et de la dette publics.
Les efforts annoncés dans de nombreux pays d'Europe interviendraient dans un environnement économique et de finances publiques contraignant, plus ou moins fortement en fonction des cas. Or, le plan « ReArm Europe » annoncé par la Commission européenne en mars 2025 consiste à assouplir les contraintes pesant sur le niveau de déficit pour ce qui concerne les dépenses de défense. Il prévoit, d'une part, de permettre, sous certaines conditions, aux États d'augmenter ces dépenses sans déclencher la procédure de déficit excessif pour « créer une marge de manoeuvre budgétaire de près de 650 milliards d'euros sur quatre ans » à l'échelle de l'UE, et, d'autre part, de créer un instrument intitulé « SAFE » permettant à la Commission de lever jusqu'à 150 milliards d'euros sur les marchés de capitaux pour les prêter aux États, à cette même fin.
Néanmoins, les dépenses auront bien à être assumées par les États eux-mêmes, alors que la France devrait demeurer quant à elle soumise à une procédure pour déficit public excessif.
b) Le caractère très détérioré des finances publiques en France, impose un effort de défense progressif et des économies concomitantes dans les autres dépenses
En France, le contexte des finances publiques ne laissant pas de marge pour une augmentation du déficit, de l'endettement ou du niveau de prélèvements obligatoires, tout effort supplémentaire de dépense devrait conduire parallèlement à une réduction des dépenses publiques sur d'autres postes.
Hypothèse de trajectoire budgétaire
portant l'effort de défense à 3 % du PIB
en 2030
(en milliards d'euros courants et en % du PIB, pensions comprises)
Source : Calculs de la commission des finances, d'après les données du Rapport d'avancement annuel 2025, de l'INSEE et la trajectoire budgétaire prévue par la LPM 2024-2030
B. CRÉER RAPIDEMENT LES CONDITIONS DE LA MONTÉE EN CHARGE DE L'INDUSTRIE DE DÉFENSE EN FRANCE ET EN EUROPE
La montée en puissance de la BITD en Europe et en France ne se décrète pas, elle se construit. Si une montée en cadence a déjà eu lieu, des efforts sont encore nécessaires, tant au niveau stratégique que des points de vue financier et normatif. En effet, la cohérence de la progression des dépenses militaires et des capacités industrielles sera primordiale. À défaut, les efforts budgétaires se feraient au profit des industriels extérieurs à l'UE.
À l'échelle européenne, loin de la stratégie classique du juste « retour géographique », il conviendra de mettre la politique industrielle au service de l'efficacité de la défense de l'Europe. Devrait être privilégiée en Europe une stratégie consistant à acquérir de façon conjointe les matériels européens les plus efficients, quel que soit leur pays de fabrication.
Par ailleurs, il conviendra de s'assurer que les financements nécessaires aux entreprises pour leurs investissements sont disponibles en quantité suffisante. Pour ce faire, il est nécessaire, outre que l'État formalise les commandes (qu'il ne fait parfois qu'évoquer) et règle ses factures à temps, de mobiliser les fonds publics d'investissement en capital et de garantir que les normes applicables, notamment en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, soient favorables au développement du secteur.
Enfin, il serait opportun de lever une partie des contraintes pesant sur la BITD, notamment les lourdeurs des procédures afférentes à la création et à l'extension d'infrastructures industrielles dans le secteur, ainsi que de sécuriser « à 360 degrés » ces entreprises face aux différents risques auxquels elles sont exposées (rupture d'approvisionnement, renseignement, intrusions, etc.).
LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
Recommandation n° 1 : Mettre fin à la tendance au report significatif de crédits de paiement d'année en année, en cohérence avec le principe d'annualité budgétaire (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
Recommandation n° 2 : Arrêter la sous-budgétisation chronique des surcoûts annuels liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures des armées en ajustant le montant de la provision afférente, intégrée dans le budget annuel de la mission « Défense », et y inclure le coût des missions relevant de la sécurisation du flanc oriental de l'OTAN (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
Recommandation n° 3 : Intégrer dans les documents budgétaires annuels de la mission « Défense » la mention de la trajectoire prévue (jusqu'à la fin de la période de programmation) et exécutée du report de charges pour chaque programme et en cumulé (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
Recommandation n° 4 : Reprendre rapidement le contrôle de la dynamique du report de charges en actant une trajectoire de réduction menant à un taux de 10 % des crédits, hors dépenses de personnel, en 2030 (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
Recommandation n° 5 : Communiquer au Parlement la trajectoire actualisée des dépenses de personnel prévues pour la période de programmation (ministère des armées)
Recommandation n° 6 : Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité effective des matériels militaires et sur le niveau d'activité des forces armées pour en tirer les conséquences nécessaires, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents (ministère des armées)
Recommandation n° 7 : Envisager, pour certains besoins, un rééquilibrage partiel de la culture d'acquisition des armées au profit de matériels moins onéreux mais plus nombreux, dans le cadre d'une stratégie de juste suffisance des capacités des équipements (ministère des armées)
Recommandation n° 8 : Respecter pleinement les prérogatives législatives et budgétaires du Parlement s'agissant de la politique de défense, notamment en le saisissant rapidement dans l'hypothèse d'une proposition de modification de la trajectoire budgétaire prévue dans la LPM 2024-2030 (Gouvernement)
Recommandation n° 9 : Privilégier en 2025 un assouplissement de la régulation budgétaire s'appliquant à la mission « Défense » et assurer en fin d'année la couverture de l'essentiel des surcoûts par l'ouverture de crédits en loi de finances de fin de gestion, sauf à ce que le Gouvernement justifie de la nécessité d'ouvrir dès cette année des crédits supplémentaires (Gouvernement)
Recommandation n° 10 : En présence d'un montant d'autorisations d'engagement disponible très élevé, y compris au titre de reports, adopter en 2025 un niveau d'engagement cohérent avec le montant des crédits de paiement envisagés pour les prochaines années, afin d'éviter les risques de soutenabilité (Gouvernement)
Recommandation n° 11 : Afin de permettre la montée en charge de la BITD française, lever une partie des contraintes s'appliquant à la construction et à l'extension des infrastructures industrielles, par des dispositions ad hoc à ce secteur (Gouvernement)
I. LA LPM 2024-2030 : DES ARMÉES MODERNISÉES MAIS DONT LE FORMAT DEMEURE ENCORE LIMITÉ
A. LA BAISSE CONSTANTE DE L'EFFORT DE DÉFENSE DANS LES DERNIÈRES DÉCENNIES A CONDUIT À UN FORT RÉTRÉCISSEMENT DU FORMAT DES ARMÉES EN FRANCE
1. Comme au niveau mondial, un effort de défense qui a connu une contraction continue à compter de la seconde partie du XXe siècle
a) Une réduction de l'effort de défense qui se manifeste par la réduction significative de la part des dépenses militaires dans la richesse nationale...
Depuis les années 1950, la part des dépenses militaires dans la richesse nationale a connu une contraction progressive au niveau mondial, jusqu'en 2021, date à laquelle la dynamique s'inverse2(*). Cette dynamique, relativement linéaire, caractérise non seulement la période dite des « dividendes de la paix » (depuis la fin de la guerre froide), mais également la période antérieure, depuis les années ayant fait suite à la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la chute de l'URSS3(*).
Part des dépenses militaires dans le PIB au niveau mondial entre 1953 et 2021
(en proportion du PIB)
Source : commission des finances, d'après les chiffres de la Banque mondiale et du SIPRI4(*).
Alors que le niveau des dépenses militaires représentait 6,1 % du PIB mondial en 1960, il s'établissait à 3,0 % en 1991 et à 2,18 % en 2021. Cette tendance se retrouve pour de nombreux pays5(*), y compris aux Etats-Unis (13,6 % en 1953, 4,9 % en 1991 et 3,4 % en 2021), en dépit de soubresauts plus significatifs, du fait de l'implication du pays dans plusieurs conflits d'envergure sur la période6(*).
Il en va de même en Europe, notamment pour le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. Alors que l'effort de défense était, en 1953, de 11,0 % du PIB au Royaume-Uni, de 3,9 % en Allemagne et de 7,6 % en France, il s'établissait respectivement à 2,07 %, 1,3 % et 1,98 % en 20217(*).
Les dépenses militaires françaises ont ainsi été réduites de trois quarts entre 1953 et 2013 en proportion du PIB, passant de 7,6 % en 1953 à 1,85 %, avant de fluctuer entre ce taux et 2 %8(*), un niveau assez faible en comparaison internationale, a fortiori au regard du niveau d'ambition des armées françaises9(*).
Part des dépenses militaires en proportion du PIB en France entre 1950 et 2021
(en proportion du PIB)
Source : commission des finances, d'après les chiffres de la Banque mondiale et du SIPRI.
C'est dans ce contexte de baisse tendancielle de l'effort de défense qu'a été fixé par les États-membres de l'OTAN10(*) l'objectif d'un niveau minimal de dépenses militaires représentant 2 % du PIB.
L'objectif de dépenses militaires en points de PIB : un critère imparfait mais utile
L'analyse de l'effort de défense à la lumière du poids des dépenses militaires en proportion du PIB a été popularisé par son adoption comme objectif des membres de l'OTAN, à hauteur de 2 %. Cette cible fut fixée en 2014 par les chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'Alliance afin de s'assurer que la disponibilité opérationnelle reste effectivement assurée à l'échelle collective ; elle avait d'ailleurs été établie dès 2006, à l'échelle des ministres de la défense.
Mesurer l'effort de guerre en proportion de la richesse nationale n'est certes pas sans connaître des écueils. Premièrement, la mesure peut masquer des écarts potentiellement considérables de capacités militaires : un pays pauvre peut dépenser davantage en proportion de son PIB que les Etats-Unis, tout en disposant d'une armée nettement moins puissante. Deuxièmement, une variation temporaire du PIB peut conduire à modifier nettement le taux d'effort obtenu, en l'absence de modification de la politique budgétaire de défense ; c'est ainsi que le taux d'effort de la France a légèrement dépassé 2 % en 2020, dans un contexte de contraction du PIB à l'occasion de l'épidémie de COVID-19. Troisièmement, les calculs n'étant pas réalisés en parité de pouvoir d'achat (PPA), elle conduit à ignorer le fait, qu'un même dollar dépensé en Chine permet d'acquérir plus de capacités qu'aux Etats-Unis : le taux d'effort des pays riches est ainsi surestimé par rapport aux autres pays. Quatrièmement, elle n'éclaire pas la décomposition de l'effort de défense, notamment en ce qui concerne l'investissement : ainsi, dans les années 2000, l'effort américain a majoritairement servi à financer des engagements opérationnels, en Afghanistan et en Irak.
Néanmoins, l'outil de l'effort de défense mesuré en proportion du PIB présente l'avantage de mettre en perspective l'effort produit par rapport aux capacités rendues disponibles par la richesse nationale. Combiné à l'analyse d'autres données, il apparaît ainsi comme le critère le plus pertinent pour mesurer le caractère volontariste ou non des dépenses de défense.
D'un point de vue technique, la définition des dépenses de défense par l'OTAN et par le SIPRI11(*) prend en compte les pensions et cotisations de retraite versées dans le domaine de la défense. Elle recouvre également, de façon limitée, certaines dépenses de forces non-rattachées au ministère des armées, par exemple celles de la police ou de la gendarmerie, pour celles qui ont un lien fort et direct avec la défense nationale. Les différences, entre organismes statistiques (par exemple entre l'OTAN et Eurostat), de périmètre dans la définition des dépenses de défense, ainsi que dans la prise en compte de prix constants ou courants, peuvent expliquer de légères variations dans les résultats.
Source : commission des finances
b) ... et par la baisse de la part des dépenses militaires dans les dépenses publiques
Si les données disponibles ne permettent pas de remonter loin dans le temps, il est possible d'observer que s'agissant des pays généralement qualifiés d' « occidentaux », la part des dépenses militaires dans l'ensemble des dépenses publiques depuis les années 1990 ou 2000 se réduit. À l'inverse, les dynamiques sont variables pour d'autres pays, comme la Russie.
Part des dépenses militaires dans
l'ensemble des dépenses publiques
au niveau mondial entre 1988 et
2021
(en proportion de l'ensemble des dépenses publiques)
Source : commission des finances, d'après les chiffres de la Banque mondiale et du SIPRI.
Alors qu'en 1991, les dépenses de défense représentaient 10,5 % de l'ensemble des dépenses publiques au Royaume-Uni et 4,2 % en Allemagne, ce taux s'établissait respectivement à 4,5 % et 2,6 % en 2021. À l'échelle de l'Union européenne, il se contractait de 4,3 % à 2,9 % sur la même période.
En France, il est passé d'environ 5,4 % à 3,3 %. Cette proportion demeurait en 2021 légèrement supérieure à celle observable dans l'Union européenne (2,9 %) et en Allemagne (2,6 %), mais nettement inférieure à celle constatée au Royaume-Uni (4,5 %), en Chine (4,9 %), aux Etats-Unis (8,0 %), en Russie (10,3 %), de même qu'à la moyenne mondiale (5,6 %).
Il apparaît ainsi que le niveau d'effort de la France en faveur de la défense au sein de l'ensemble des dépenses publiques est relativement modeste en comparaison internationale, tandis qu'il était par ailleurs en réduction jusqu'en 202112(*). Alors que la part des dépenses de défense dans le PIB a baissé de - 37 % de 1980 à 2021, celle des autres dépenses a dans le même temps augmenté de + 28 %.
De façon cohérente, les dépenses militaires n'ont pas contribué dans les dernières décennies à aggraver le déficit public de la France et l'endettement associé. Alors qu'historiquement, ce sont généralement les dépenses de défense, associées à des efforts de guerre (ou de leur préparation) qui ont conduit à d'importants pics d'endettement, que ce soit en France ou à l'étranger13(*), le niveau très élevé d'endettement constaté ces dernières années en France constitue une forme d'anomalie historique en ce qu'il ne s'explique pas par un conflit récent ou la préparation d'un conflit probable.
Mise en regard de l'évolution des niveaux de dépenses de défense et de la dette publique en proportion du PIB, entre 1978 et 2022
(en proportion du PIB, graphique à deux échelles)
Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE et du SIPRI.
Entre 1980 et 2022, la proportion des dépenses de défense dans le PIB s'est réduite d'1,2 point ; dans le même temps celle de la dette publique a progressé de 90,3 points.
2. L'augmentation en volume des dépenses de défense a été très nettement insuffisante pour compenser la hausse continue du coût des matériels militaires
a) Une tendance modestement à la hausse des dépenses de défense, en volume, depuis les années 1950
Si les dépenses mondiales de défense ont connu un recul en proportion du PIB à compter de la seconde partie du XXe siècle, dans le contexte de la nette hausse de ce dernier, elles ont augmenté entre les années 1950 et le milieu des années 1980 en volume, à savoir à valeur de monnaie constante14(*), notamment au Royaume-Uni, en Allemagne et en France.
Toutefois, entre 1985 et 2021, le volume des dépenses militaires a progressé beaucoup plus lentement.
Dépenses militaires en volume de 1949 à 2021 dans le monde
(en dollars américains de 2023)
Note : l'échelle de gauche s'applique aux Etats-Unis, l'échelle de droite aux autres pays.
Source : commission des finances d'après les données du SIPRI.
Dans les trois pays précités, ce volume est resté quasiment constant. En dollars américains de 2023, le montant des dépenses de défense de la France est ainsi passé de 53,9 milliards de dollars, en 1986, à 59,0 milliards de dollars, en 2021, soit une hausse de 9,8 % en 35 ans. S'agissant des Etats-Unis, la hausse est limitée à 10,3 % sur la même période, même si les variations ont été très fortes entre les deux dates, en raison notamment de la chronologie des interventions à l'étranger.
S'agissant de la Chine, une tendance régulière à la hausse peut en revanche être constatée à compter des années 2000, de même qu'en Russie, en dépit d'une pause en 2017. La hausse des dépenses y a par ailleurs fortement progressé à compter de 2022, dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine15(*).
b) ... tandis que plusieurs facteurs ont nettement augmenté les coûts supportés par les armées
Si la progression des dépenses militaires a été très faible dans les dernières décennies, les coûts assumés par les armées ont très nettement augmenté. La principale raison en a été la hausse continue des coûts des matériels, qui constitue le défi structurel fondamental pour le financement des armées. En outre, l'extension de la conflictualité à de nouveaux champs et les choix stratégiques opérés en France concernant les capacités des armées ont également contribué à cette hausse des coûts.
(1) Alors que les coûts d'acquisition et d'entretien des matériels suivent une trajectoire exponentielle,...
Le coût de l'acquisition - et de l'entretien - des matériels et équipements militaires tend naturellement, comme cela est empiriquement éprouvé sur longue période, à augmenter continuellement et de manière significative, voire exponentielle dans certains domaines.
Cette tendance est liée essentiellement à l'impact budgétaire de la course technologique en matière de matériels militaires. Formalisée sous la dénomination de « loi d'Augustine », elle conduit schématiquement à ce que le coût d'acquisition des matériels augmente plus rapidement, voire beaucoup plus rapidement, que les budgets militaires. La supériorité militaire dépendant, outre les enjeux de masse de matériels et des effectifs, de la supériorité technologique, il est très difficile d'y échapper.
La loi d'Augustine
La seizième « loi d'Augustine » tient son nom de Norman Augustine (ancien directeur de Lockheed Martin et ancien sous-secrétaire à l'armée américaine dans les années 1970), qui l'a publiée dans un livre de 198416(*).
Norman Augustine résumait cette situation en 1984 dans le cas américain en déclarant que « le coût unitaire des produits aéronautiques militaires a crû à un rythme étonnant et intenable tout au long de l'histoire. Considérons l'exemple des avions tactiques. Comparant l'évolution du coût unitaire par rapport au temps, [...] nous observons que le coût d'un avion tactique a été multiplié en moyenne par quatre tous les dix ans. En extrapolant le budget de la défense selon les tendances de ce siècle, on découvre qu'en 2054 la courbe du coût d'un avion rejoindra celle du budget ».
Il ajoutait, de façon en partie humoristique, qu'ainsi, « au rythme actuel, le budget de la défense entier ne permettra d'acheter qu'un seul avion tactique [cette année-là] »17(*), en déduisant que ce seul avion de chasse devrait être partagé par l'armée de l'air et la marine trois jours et demi par semaine, sauf pour les années bissextiles, où il serait mis à la disposition des marines pour un jour supplémentaire18(*).
Source : commission des finances
Cette très forte contrainte est particulièrement aigüe pour les équipements de haute technologie, qui sont aujourd'hui très nombreux au sein des armées modernes : avions de chasse, missiles, satellites, radars, sonars, optronique, etc.
Dans une étude récente, des chercheurs du Center for Strategic and International Studies ont illustré cette dynamique s'agissant du coût des avions de chasse américains.
Illustration de la hausse exponentielle du coût des avions de chasse américains
(par unité produite, en dollars courants, et par date de mise en service)
Note : les points figurant en bleu clair correspondent à des projets d'avions sans pilote.
Source : Center for Strategic and International Studies, commentaire de Gregory C. Allen et Isaac Goldston.
Alors qu'un exemplaire d'avion Model A Wright représentait un montant d'environ 6 000 dollars en 1910, le coût du futur avion de nouvelle génération de supériorité aérienne américain19(*) est estimé à environ 300 millions de dollars20(*).
(2) ... les choix stratégiques et l'extension de la conflictualité à de nouveaux champs ont également contribué à augmenter les charges pour les armées
Outre l'augmentation du coût des matériels, les armées ont également eu à faire face, notamment en France, aux charges résultant des choix stratégiques et de l'extension de la conflictualité à de nouveaux domaines, comme cela est développé infra.
D'une part, à l'échelle de la France, les choix stratégiques opérés pour les armées ont consisté à disposer d'une armée aux capacités quasiment complètes (dans les trois milieux terrestre, aérien et maritime, y compris en projection, etc.) et bien placée dans la course technologique (dissuasion nucléaire, propulsion nucléaire du porte-avions et des sous-marins, satellites, etc.). Ces choix sont cohérents avec la volonté affichée que la France soit une puissance militaire de niveau mondial.
D'autre part, l'extension de la conflictualité à de nouveaux champs (terrorisme, fonds marins, espace, cyber, information, spectre électromagnétique, etc.) génère des charges additionnelles pour les armées, tant en matériels qu'en effectifs.
3. Une modernisation qui ne peut compenser la réduction massive du format des armées françaises
La réduction de l'effort de défense sur longue période associée à une très forte augmentation du coût des matériels et aux charges associées aux choix stratégiques et à l'extension de la conflictualité à de nouveaux domaines a conduit à un effet ciseaux sur le format des armées, orientés nettement à la baisse.
Cet effet a été particulièrement marqué en France et s'est traduit par un très fort rétrécissement de la masse des matériels disponibles. À titre d'illustration, entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, celui des avions de chasse de 686 à 254 et celui des grands bâtiments de surface de la marine nationale de 41 à 19.
Évolution de la « masse » des matériels dans les armées françaises
(en nombre de matériels)
Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat21(*)
Or, si la réduction de la masse des capacités est en partie compensée par les facultés supérieures offertes par les matériels modernes, il ne s'agit pas d'une solution miracle, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le faible nombre de matériels, même potentiellement très performants et polyvalents, confère un caractère beaucoup plus crucial que par le passé à la disponibilité effective de chacun des équipements, tant d'un point de vue opérationnel que pour l'entraînement des forces. Or les taux de disponibilité observés n'ont pas toujours été au rendez-vous, et ce jusqu'à aujourd'hui22(*). Ensuite, le nombre limité de matériels est de nature à exposer beaucoup plus fortement les armées au risque d'attrition en cas de conflit de haute intensité.
B. FACE AUX BOULEVERSEMENTS MONDIAUX, LA LPM 2024-2030 FIXE UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE EN HAUSSE ET CHERCHE À EN SÉCURISER L'EXÉCUTION
1. Dans un contexte géostratégique dégradé, la trajectoire de la LPM est en augmentation par rapport à la précédente programmation, avec certaines limites
a) Face à un nouveau contexte et aux engagements pris lors de la précédente programmation, la LPM prévoit des moyens budgétaires nettement supérieurs à la période antérieure
(1) Un nouveau contexte géostratégique
L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors ont constitué un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe. Elles ont marqué le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe, avec un emploi désinhibé de la force. Elles se caractérisent également par un changement d'échelle de la conflictualité, qui se déploie sur tous les champs, aussi bien sur les trois champs historiques (terre, mer, airs) que dans les nouveaux lieux de conflictualité (cyber, information, espace, fonds marins, etc.), et avec un volume des unités de combat engagées sans commune mesure avec les combats des dernières décennies.
Ces évolutions, antérieures à celles qui ont suivi l'élection du nouveau Président américain en novembre 202423(*), s'inscrivaient déjà dans le prolongement des tendances géopolitiques identifiées depuis plusieurs années par les principaux documents stratégiques publiés par les armées françaises24(*).
(2) Une LPM 2024-2030 au budget en nette hausse
Le bouleversement géostratégique induit par la guerre en Ukraine avait amené le Parlement, à l'initiative du Président de la République, à décider d'interrompre la loi de programmation militaire (LPM) prévue pour la période 2019-2025, au profit d'une nouvelle LPM couvrant la période 2024-2030, entrée en vigueur le 1er août 202325(*).
La présente LPM prend la suite sur la forme de celles adoptées depuis les années 1960. La justification de l'existence des LPM tient dans le fait que le budget de la défense porte la grande majorité de l'ensemble de l'investissement public, dont la nature implique une programmation pluriannuelle assez aboutie. Néanmoins, peu de LPM avaient réellement été respectées au cours des dernières décennies.
Alors que la LPM 2019-202526(*) entamait un effort de « réparation » via des commandes pour les armées, la LPM 2024-2030 vise à la fois à faire face aux engagements financiers pris antérieurement et à procéder à de nouvelles commandes.
Elle prévoit, au profit des armées et des services de renseignement, une enveloppe de 400 milliards d'euros en CP pour la période, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions » (CAS « Pensions »), en augmentation de 105 milliards d'euros par rapport à la précédente programmation (+ 35,6 %).
Trajectoire budgétaire de la LPM 2024-2030
(en milliards d'euros courants)
|
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
LPM |
47,2 |
50,5 |
53,7 |
56,9 |
60,4 |
63,9 |
67,4 |
400,00 |
Variation par rapport à l'année N - 1 |
+ 3,3 |
+ 3,3 |
+ 3,2 |
+ 3,2 |
+ 3,5 |
+ 3,5 |
+ 3,5 |
Note : Le périmètre de la LPM 2024-2030 porte sur les CP de la mission « Défense » à périmètre constant, hors contribution au CAS « Pensions ».
Source : commission des finances du Sénat
Les CP de la mission, à périmètre constant, hors CAS « Pensions », doivent être portés à 67,4 milliards d'euros en 2030. La trajectoire programmée prévoit ainsi un taux de croissance annuel moyen de 6,1 % des crédits de la mission, dans la lignée de la programmation précédente. En 2030, les CP annuels de la mission seraient supérieurs de 23,4 milliards d'euros par rapport à la dernière année précédant la programmation, à savoir 2023 (44 milliards d'euros).
Trajectoire en crédits de paiement prévue par la LPM 2024-2030
(en milliards d'euros courants et en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030.
(3) Une LPM 2024-2030 incluant 13,3 milliards d'euros de ressources complémentaires
La différence entre le besoin financier programmé (413,3 milliards d'euros selon l'article 4 de la LPM) résultant des besoins physiques prévus par la LPM, et l'enveloppe de crédits de paiement prévue (400 milliards d'euros) implique pour le ministère des armées la perception de ressources complémentaires à hauteur de 13,3 milliards d'euros.
Selon le ministère27(*), ce différentiel serait financé par trois leviers :
- des ressources extrabudgétaires (5,9 milliards d'euros) ;
- un financement interministériel du soutien à l'Ukraine (1,2 milliard d'euros) ;
- des ajustements de dépenses (6,2 milliards d'euros).
Décomposition des ressources
complémentaires prévues au profit des armées
par la LPM
2024-2030
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le ministère des armées lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire 2024-2030
Au total, la LPM prévoit ainsi une enveloppe de 413,3 milliards d'euros sur la période, dont 400 milliards d'euros de crédits budgétaires.
b) Un cadre budgétaire qui n'est pas sans limite
(1) En dépit de son coût certain pour les finances publiques, l'ampleur de la hausse de la trajectoire budgétaire prévue par la LPM doit être nuancée
La trajectoire budgétaire prévue par la LPM implique un effort significatif pour le budget de l'État, compte tenu de l'état dégradé des finances publiques.
Néanmoins, l'ampleur de la hausse (de 105 milliards d'euros par rapport à la précédente programmation) doit être en partie nuancée, pour plusieurs raisons.
Premièrement, l'augmentation des crédits fait suite à des décennies de réduction de l'effort de défense. Si les crédits augmentent, ils restent, à valeur de monnaie constante, assez comparables à ceux constatés au milieu des années 1980, alors même que le coût des matériels et les charges des armées ont très fortement augmenté (voir supra).
Deuxièmement, alors que le contexte stratégique a été bouleversé notamment par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, augmentant fortement le risque de sécurité pour l'Europe, la hausse des crédits demeure plutôt progressive. Les très récents changements de positionnement des Etats-Unis sur la défense de l'Europe renforcent en outre les risques précités28(*).
Troisièmement, la trajectoire budgétaire prévue par la LPM est à la fois formalisée sur longue période et formulée en euros courants, ce qui a tendance à amplifier en apparence la progression des crédits. Pour mesurer l'écart effectif, il convient en effet de prendre en compte l'impact de l'inflation, chiffré initialement à hauteur de 30 milliards d'euros sur la période 2024-2030 (et qui devrait finalement être un peu plus faible), sans que cette mesure n'intègre les conséquences sur les coûts des innovations technologiques (loi d'Augustine).
Dans la même logique, pour ce qui concerne le taux d'effort de défense mesuré en proportion du PIB, qui intègre les dépenses de pension29(*), la croissance de ce dernier en valeur (hausse réelle et inflation) tout au long de la période viendra réduire l'impact de la hausse des crédits annuels. Le taux d'effort pourrait s'établir, selon les calculs de la commission des finances, à un peu moins de 2,3 % à l'horizon 2030, soit un niveau comparable à celui observé à la fin des années 1990 et inférieur de moitié à celui constaté au milieu des années 1960. Ce niveau serait toutefois obtenu notamment sous l'effet « favorable » d'un niveau de croissance plus faible qu'initialement prévu lors de l'adoption de la LPM, ayant pour effet d'augmenter artificiellement le taux d'effort.
Estimation de la trajectoire de l'effort de défense en proportion du PIB
dans le cadre de l'exécution de la LPM, de 2024 à 2030
(en proportion du PIB, en prix courants)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données du Rapport d'avancement annuel 2025, de l'INSEE, et du SIPRI, la trajectoire budgétaire prévue par la LPM 2024-2030, et les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
(2) Des ressources complémentaires dont une part pose question
(a) Des ressources extrabudgétaires d'un montant prévisionnel de 5,9 milliards dont la réalisation effective doit être surveillée
L'article 4 de la LPM prévoit expressément l'intégration au financement des besoins programmés de ressources extrabudgétaires, « comprenant notamment le retour aux armées de l'intégralité du produit des cessions immobilières du ministère des armées, les redevances domaniales et les loyers provenant des concessions ou des autorisations de toute nature consenties sur les biens immobiliers affectés au ministère ». Au plan budgétaire, ces recettes prennent la forme d'attributions de produit (ADP).
Lors des travaux préparatoires à l'examen du projet de LPM, le ministère des armées avait dûment documenté30(*) ces ressources extrabudgétaires, qui représentent un total de 5,9 milliards d'euros sur la période. Celles-ci devaient comprendre :
- les recettes perçues au titre de l'offre de soin du service de santé des armées (SSA), représentant un total de 3 milliards d'euros ;
- des prestations de service (notamment les essais de la direction générale de l'armement au profit des industriels), pour un total de 0,7 milliard d'euros ;
- des recettes patrimoniales (cessions immobilières, cessions de matériels et formations associées, dividendes...) et autres ressources extrabudgétaires (participations de l'Union européenne, coopération interalliée, legs...), pour un total de 2,2 milliards d'euros.
Trajectoire des ressources extrabudgétaires
exécutées (2019-2022)
et prévisionnelles
(2024-2030)
(en millions d'euros)
Source : réponses du ministère des armées au questionnaire du rapporteur spécial31(*) lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire 2024-2030
À l'initiative du Sénat, il a été intégré dans l'article 4 de la LPM la chronique générale annuelle des prévisions des ressources extrabudgétaires fournie par le ministère.
Chronique annuelle des prévisions de
ressources extrabudgétaires
de la LPM 2024-2030
(en milliards d'euros courants)
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
1,316 |
1,049 |
0,899 |
0,694 |
0,649 |
0,630 |
0,629 |
5,866 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030.
Si les recettes concernées sont ainsi bien documentées, la question demeure de leur effective perception en exécution, comme l'illustre par exemple la sous-réalisation de dividendes en 202432(*).
(b) Des recettes annoncées au titre du financement interministériel du soutien à l'Ukraine et des ajustements de dépenses qui interrogent
En premier lieu, lors des travaux préparatoires à l'examen parlementaire de la LPM, le Gouvernement avait indiqué que les besoins programmés au titre du soutien à l'Ukraine, notamment pour les recomplètements de matériels et équipements cédés, donneraient également lieu à des ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion pendant la période de programmation, à hauteur de 1,2 milliard d'euros.
Dans la mesure où ces besoins étaient d'ores et déjà connus et programmés, l'absence d'intégration de ces derniers à la programmation des crédits budgétaires ne manquait pas d'interroger.
En second lieu, le ministère indiquait que le complément du besoin programmé, soit 6,2 milliards d'euros, serait financé par des ajustements de dépenses anticipées intervenant en cours de programmation, liés aux reports de charges et aux marges frictionnelles anticipées (voir encadré ci-dessous).
Les notions de report de charges et les marges frictionnelles
La notion de marges frictionnelles désigne la prise en compte, au travers de l'observation statistique de l'exécution des crédits des programmations précédentes, des décalages, retards et reports de programmes. Ainsi que l'indiquait le ministre dans un courrier aux sénateurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées lors de l'examen du projet de LPM 2024-203033(*), « Lorsqu'il exécute sa programmation, le ministère constate systématiquement des retards ou des reports, qui minorent d'autant ses dépenses et sa consommation de crédits. Au moment de déterminer la ressource, il est donc logique de faire l'hypothèse qu'une part de la programmation ne se réalisera pas comme prévu. C'est là une pratique inhérente à toute forme de programmation ».
Le report de charges est une notion budgétaire qui regroupe les dépenses qui auraient dû être réglées en année N et qui constituent des dettes certaines. Ainsi que l'indiquait le ministre dans le même courrier aux sénateurs, « Le second ajustement de dépenses tient à la variation du report de charges, sur lequel le ministère se réserve la possibilité de jouer, dans une certaine limite, en fonction de la situation macro-économique ».
Source : commission des finances
Le rapporteur spécial considère que, dans la mesure où le texte fait apparaître un besoin physico-financier de 413,3 milliards d'euros, poser en début de programmation que son financement sera assuré en partie par des moindres dépenses au caractère par définition aléatoire ne constituait pas une méthode satisfaisante.
2. Une LPM qui vise à sécuriser le financement des armées en exécution
Alors qu'au-delà de la programmation prévue par les LPM successives, des difficultés de financement des armées sont souvent venues de ses modalités d'exécution, la LPM 2024-2030 intègre un certain nombre de dispositions dont l'objectif commun est de tenter de garantir des modalités de financement annuelles conformes à l'esprit de la programmation. Ces dispositions ont pour partie été ajoutées au cours de l'examen parlementaire du projet de LPM. Elles n'ont toutefois pas de valeur contraignante pour les lois de finances annuelles.
En premier lieu, l'article 4 de la LPM prévoit deux dispositions relatives à la trajectoire prévue des ressources, budgétaires et extra-budgétaires. D'une part, il précise que la trajectoire de crédits budgétaires s'entend comme un minimum. D'autre part, il dispose que dans l'hypothèse où les ressources extrabudgétaires constatées seraient inférieures au montant de la prévision, l'écart devrait être compensé par des crédits budgétaires dans la loi de finances initiale de l'année suivante.
En second lieu, la LPM comprend plusieurs dispositions visant à assurer que certains surcoûts constatés chaque année en exécution, et qui auraient vocation par leur nature à être assumés de manière interministérielle (notamment s'agissant des opérations militaires), ne viennent pas grever les crédits ouverts en loi de finances initiale pour la mission « Défense ». Sont notamment concernés les opérations extérieures (OPEX) et les missions intérieures (MISSINT), l'effort national de soutien à l'Ukraine, le remplacement de matériels prélevés pour l'export et le coût des énergies opérationnelles34(*).
C. SANS ÊTRE EN MESURE D'ÉLARGIR LE FORMAT DES ARMÉES, LA LPM 2024-2030 EN MODERNISE LES CAPACITÉS ET FIXE DES OBJECTIFS À L'HORIZON 2030
La LPM 2024-2030, s'appuyant sur les défis relevés par la revue nationale stratégique (RNS) de novembre 2022, vise à permettre aux armées de faire face à l'extension et à l'aggravation des menaces dans un cadre d'autonomie stratégique. Elle accorde une place centrale à la dissuasion nucléaire et vise à renforcer la protection des territoires (notamment dans les outre-mer), à préparer un éventuel engagement majeur et à investir les nouveaux champs de conflictualité. En outre, elle privilégie la cohérence sur la masse, en cherchant, dans le cadre de la doctrine d'une armée « d'emploi »35(*), à garantir la capacité à pouvoir utiliser efficacement l'ensemble des capacités disponibles plutôt qu'à acquérir un nombre beaucoup plus significatif d'équipements.
Sur cette base, la LPM fixe, tant dans son dispositif que dans son rapport annexé, un certain nombre d'objectifs, de différentes natures. L'ensemble des charges identifiées dans le cadre de ces derniers correspond au montant des « besoins physico-financiers programmés », qui s'élève à 413,3 milliards d'euros36(*).
Tous les objectifs évoqués par la LPM ne peuvent être retracés de manière exhaustive dans le présent rapport. Les plus concrets et mesurables d'entre eux concernent les capacités matérielles (matériels, entretien, etc.), les effectifs, les capacités opérationnelles, y compris en termes de préparation opérationnelle, et le renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
1. Un important effort consacré aux équipements et à leur entretien par la LPM, qui n'a pas empêché le décalage de certains objectifs à l'horizon 2035
a) Un effort significatif consacré aux équipements n'évitant pas le décalage de certains objectifs capacitaires
La LPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la précédente LPM, qui avait été adossée à une programmation visant à poser les jalons permettant d'atteindre « l'Ambition 2030 ».
Cette « Ambition » définit les contrats opérationnels, et les formats des armées associés à l'horizon 2030 sur chaque segment capacitaire, en posant des jalons intermédiaires en 2021 et en 2025.
La LPM 2024-2030 prévoit ainsi un important effort en faveur des équipements. D'un point de vue budgétaire, les crédits de l'agrégat « équipement » s'élèvent à 268,6 milliards d'euros sur la période, à comparer aux 172,8 milliards d'euros prévus par la précédente programmation. Ce total représente ainsi près des deux tiers des besoins programmés (65 %) et même 85 % des besoins programmés hors dépenses de personnel.
Décomposition du besoin physico-financier
global
prévu par la LPM 2024-2030
(413,3 milliards d'euros)
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs au fond et pour avis du Sénat sur le projet de LPM 2024-2030.
Si la programmation pour 2024-2030 a notamment conforté deux fondamentaux de la politique de défense française, à savoir la dissuasion nucléaire et le groupe aéronaval, elle a également prévu le décalage de cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs concernant les trois forces. Sont notamment concernés le programme Scorpion de renouvellement des capacités de combat de l'armée de Terre, le programme « Frégates de défense et d'intervention » de la Marine ainsi que le programme Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace. D'après les responsables du ministère des armées auditionnés par le rapporteur, ce choix se justifierait notamment par un souci de faire primer la « cohérence » sur la masse. En d'autres termes, la programmation proposée permettrait de s'assurer que chaque capacité soit pleinement opérationnelle en termes de soutien, de maintien en condition opérationnelle, de munitions et de formation des effectifs appelés à l'utiliser, quitte à retarder certaines livraisons et décaler l'atteinte des cibles prévues.
Le rapport annexé à la LPM 2024-2030 comprend un tableau intitulé « Équipement de nos forces », qui présente les capacités constatées en dotation pour 2023 et attendues pour 2030 et 2035, pour une soixantaine de types d'équipements relevant des capacités interarmées, et des forces terrestres, navales et aériennes. Ces éléments sont présentés infra dans le cadre de l'analyse de l'exécution de la LPM à ce jour.
b) Un effort dédié à l'entretien des matériels
Dans un contexte de niveau encore insatisfaisant de disponibilité des matériels37(*) et face à la nécessité de préparer un éventuel conflit de haute intensité, la LPM 2024-2030 a acté la nécessité de produire un effort dans ce domaine et a ainsi prévu une hausse significative des crédits de maintien en condition opérationnelle (MCO, aussi appelé, d'un point de vue budgétaire, entretien programmé du matériel, EPM) sur la période de programmation, conformément à son objectif global de « cohérence » du format des armées.
Sur ces sept années, le montant total des crédits d'EPM s'établirait ainsi à 49 milliards d'euros, contre 35 milliards d'euros pour la période de programmation précédente, en hausse de 14 milliards d'euros, soit 40 %. Il convient néanmoins de noter que si la hausse prévue est substantielle, elle est là encore calculée en valeur (à euros courants) et non en volume (à euros constants). Or, la hausse du coût des facteurs sur la période pourrait venir rogner une part notable de l'augmentation de crédits, et ce d'autant plus que la progression des coûts du MCO risque d'atteindre des niveaux bien supérieurs à la hausse globale des prix, dans une logique similaire à la loi d'Augustine applicable aux acquisitions de matériels38(*).
2. Un objectif de renforcement net des effectifs de 6 300 ETP et de 40 000 réservistes
Comme la loi de programmation précédente mais à la différence de celles qui leur sont antérieures, la LPM 2024-2030 porte un objectif de rehaussement des effectifs du ministère des armées, y compris s'agissant de la réserve opérationnelle. Cette dynamique se traduit sur les dépenses de personnel (T2), hors contribution au CAS « Pensions », qui représenteraient 24 % des besoins programmés sur la période de programmation. Celles-ci passeraient de 13,6 milliards d'euros en 2024 à 14,5 milliards d'euros en 2030 (+ 7 %)39(*).
a) Un renforcement prévisionnel des effectifs de 6 300 ETP pour le ministère des armées, assis en partie sur des efforts de politique de ressources humaines
L'article 7 de la LPM prévoit un objectif d'augmentation nette d'effectifs sur la période (+ 6 300 ETP), devant permettre d'atteindre une cible à 275 000 ETP pour le ministère à l'horizon 2030, soit avec un retard de cinq ans par rapport à l'objectif, identique, déjà fixé pour le terme de la programmation 2019-2025. L'article 7 de la LPM précise qu'à ces effectifs s'ajoutent les augmentations de ceux du service industriel de l'aéronautique (SIAé). Le rapport annexé à la LPM dispose que la cible en effectifs du ministère est de 210 000 militaires d'active et 65 000 civils en 2030.
La trajectoire de recrutement prévue reflète les principales priorités de la programmation. In fine, le renseignement, le cyber et les nouveaux champs de la conflictualité captent environ le tiers des augmentations nettes de postes. 16 % des effectifs nouveaux seraient affectés aux services de soutien.
b) Un doublement prévisionnel de la réserve opérationnelle entre 2024 et 2030
Le même article 7 de la LPM prévoit un objectif de doublement de la réserve (+ 40 000), l'effort annuel étant nettement concentré sur la fin de période40(*).
L'objectif est ainsi de porter le nombre de volontaires à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre un niveau d'un réserviste pour deux militaires d'active. Ainsi que l'indique le rapport annexé, la cible est de 290 000 militaires en 2030, dont 210 000 militaires d'active et 80 000 réservistes opérationnels.
3. Des objectifs en termes de niveaux de préparation, de capacités opérationnelles et de disponibilité des matériels
Outre les capacités en matériels et en effectifs, la LPM porte des objectifs tenant à la préparation et aux capacités opérationnelles, ainsi qu'à la disponibilité des matériels.
a) Des objectifs en termes de capacités opérationnelles
La LPM fixe un dispositif de postures et d'engagement devant être tenu par les armées, composé d'une « posture de réactivité » englobant l'ensemble des « postures permanentes », les engagements opérationnels courants et l'échelon national d'urgence renforcé. En outre, en cas d'engagement dans une opération majeure, un complément de forces doit être mobilisable ; il est constitué de forces en phase de régénération, en entraînement, voire en formation.
Capacités opérationnelles attendues en cas d'engagement majeur
- 1 état-major interarmées stratégique, 1 état-major opératif et 1 groupement de soutien interarmées de théâtre ;
- 1 état-major terrestre de niveau « corps d'armée », 1 division (avec appuis et soutiens) composée de 2 brigades interarmes relevables, 1 brigade d'aérocombat, et 1 groupement de forces spéciales terre ;
- 1 commandement de force navale, 1 porte-avions et son groupe aérien (30 avions de chasse et 2 avions de guet aérien), 2 porte-hélicoptères amphibies, 8 frégates de premier rang, 2 sous-marins nucléaires d'attaque, jusqu'à 5 avions de patrouille maritime, jusqu'à 2 bâtiment ravitailleur de forces, 1 groupe de guerre des mines, et 1 groupe d'actions spéciales navales ;
- 1 commandant interarmées de forces aériennes, 1 avion AWACS, 40 avions de chasse, 8 avions de transport stratégiques et de ravitaillement, 2 plots de recherche et sauvetage au combat, 1 capacité de 15 avions de transport tactique avec capacité d'aérolargage, 1 capacité de renseignement de théâtre, 2 plots de défense sol-air multicouches avec capacité de lutte anti-drones, et jusqu'à 3 bases aériennes projetées ;
- 1 état-major de composante de forces spéciales composé de 8 groupes et de leurs états-majors tactiques et moyens de transport (avions, hélicoptères, véhicules tactiques protégés), de moyens d'insertion maritime, d'une trame de drones et des soutiens spécifiques associés ;
- 1 composante cyberdéfense et un appui de la composante spatiale en mesure de mettre en oeuvre le spectre complet des opérations spatiales militaires comprenant l'établissement d'une situation spatiale partagée, les appuis aux opérations et les actions couvrant le volet de la défense active et passive des systèmes spatiaux.
Source : commission des finances, d'après le rapport annexé à la LPM 2024-2030.
b) Des objectifs en termes de préparation opérationnelle et de niveau de disponibilité des matériels
Afin d'assurer la qualité de la préparation au combat, « consubstantielle d'une armée d'emploi » comme l'indique le rapport annexé à la LPM, cette dernière pose dans son rapport annexé l'objectif d'une amélioration quantitative et qualitative de la préparation opérationnelle, de même que du niveau de disponibilité des matériels. Elle se traduit budgétairement par un renforcement des moyens affectés :
- pour l'armée de Terre, ces moyens seraient portés de 13 à 18 milliards d'euros, soit une progression de 5 milliards d'euros courants ;
- pour la Marine nationale, ces moyens seraient portés de 17 à 24 milliards d'euros, soit une progression de 7 milliards d'euros courants ;
- pour l'armée de l'Air et de l'Espace, ces moyens seraient portés de 19 à 27 milliards d'euros, soit une progression de 8 milliards d'euros courants.
D'un point de vue quantitatif, la LPM prévoit 19 normes d'activité annuelle qui visent à augmenter l'activité constatée en 2030 par rapport à 2023. Cette hausse d'activité et d'entraînement globale s'accompagnerait d'une augmentation de sa qualité, en termes notamment de matériels utilisés (entraînement sur matériels opérationnels plutôt que sur des matériels vieillissants ou dégradés dédiés à l'entraînement, par exemple) et d'entraînements du « haut du spectre » de la conflictualité. Ces éléments sont présentés infra dans le cadre de l'analyse de l'exécution de la LPM.
4. Une volonté de mettre en place une économie dite « de guerre »
Dans un discours du 13 juin 2022, le président de la République annonçait la mise en place d'une « économie de guerre ». Des travaux en ce sens avaient été amorcés à l'automne 2022 autour de 4 engagements : la simplification de l'expression du besoin militaire aux industriels par le ministère, la simplification des procédures administratives, la mise en place d'un agenda de relocalisation de certaines capacités et un changement d'approche pour la gestion des stocks de matières premières pour pouvoir répondre plus rapidement aux besoins exprimés. Le ministre des armées avait résumé les objectifs en une formule : « produire plus, plus vite et moins cher ».
Dans ce contexte, la LPM, enrichie par des apports au cours de son examen parlementaire, a acté un certain nombre de principes applicables à la BITD. Si elle pose des règles en matière de réquisitions et de possibilité de contraindre la constitution de stocks stratégiques par les industriels, elle énonce également des objectifs afin de soutenir le développement de la BITD française et en Europe, à alléger les contraintes qui pèsent sur elles, à renforcer ses financements et d'asseoir son autonomie par rapport à des puissances extérieures.
5. Une LPM qui n'augmente pas structurellement le format des armées
Si la LPM 2024-2030 prévoit un effort sensible d'augmentation des crédits dédiés aux armées, en favorisant le renouvellement du format des capacités de dissuasion nucléaire, leur modernisation et le renforcement de leur cohérence, elle ne vise pas à en augmenter le format global. Cet état de fait résulte principalement de deux facteurs cumulatifs, l'un - le plus puissant - relevant d'une dynamique structurelle, l'autre d'un choix stratégique.
D'une part, face à l'augmentation continue du coût des matériels, la hausse - moins rapide bien que nette - du budget des armées ne permet pas d'envisager une modification à la hausse du format global des armées. De ce point de vue, l'on peut considérer schématiquement que si la LPM 2024-2030 augmente effectivement les dépenses, elle n'est pas en mesure d'en augmenter fondamentalement les moyens, au sens de la totalité des capacités disponibles.
D'autre part, schématiquement, le choix stratégique a été fait de privilégier le caractère moderne, voire technologiquement en pointe, des matériels sur leur nombre.
À titre d'illustration, même en cas d'atteinte de l'objectif de 15 frégates de premier rang modernisées à l'horizon 2030, la Marine conservera l'un des formats les plus réduits de son histoire.
II. UNE EXÉCUTION DE LA LPM GLOBALEMENT CONFORME, MAIS DES ÉCUEILS NOTABLES
A. EN DÉPIT DE BUDGETS INITIAUX CONFORMES À LA LPM, L'EXÉCUTION BUDGÉTAIRE EST MARQUÉE PAR DES TENSIONS ET RIGIDITÉS MANIFESTANT L'ABSENCE DE TOUTE MARGE DE MANoeUVRE
1. Les lois de finances initiales sont conformes à la trajectoire prévue en LPM...
À ce jour, pour 2024 et 2025, les budgets initiaux annuels prévus pour la mission « Défense » dans les lois de finances initiales afférentes se sont inscrites en cohérence avec la trajectoire budgétaire prévue en LPM - et donc hors contribution au CAS « Pensions » -, les différences constatées étant marginales.
Comparaison des crédits de la mission « Défense » prévus en LPM 2024-2030 et dans les lois des finances initiales pour 2024 et 2025
(en milliards d'euros courants, hors contribution au CAS « Pensions », en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030 et les lois de finances initiales pour 2024 et 2025.
En 2024, la loi de finances initiale (LFI) a prévu 47,22 milliards d'euros en CP, hors CAS « Pensions » (56,76 milliards d'euros y compris pensions), conformément à la programmation. En 2025, la LFI prévoit 50,48 milliards d'euros (59,95 milliards d'euros en intégrant les pensions), conformément également à la LPM. Les crédits ouverts pour 2025 pour la mission « Défense » représentent ainsi 10,29 % des crédits du budget général de l'Etat, contre 9,27 % en 2021.
Répartition des crédits de paiement
de la mission « Défense »
par opération
stratégique41(*) en PLF 2025
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.
Si ce fut également le cas des budgets initiaux couverts par la loi de programmation précédente (2019-2025, interrompue en 2023), il n'en demeure pas moins que le respect de la trajectoire ne pouvait être présumé au regard de l'historique de l'exécution des LPM.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, le respect de la trajectoire prévue en LPM s'est également traduit, hors différences marginales, dans le montant des crédits attribués à chaque armée (BOP42(*) Terre, BOP Air et BOP Marine), par rapport à la déclinaison de la LPM prévue de manière interne au ministère des armées.
Comparaison du BOP de l'armée de terre prévu dans le cadre de la déclinaison de la LPM et des lois de finances initiales pour 2024 et 2025
(en milliards d'euros courants, en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
2. ... mais la gestion budgétaire est marquée, dès la première année de la période de programmation, par une tension exagérément forte sur les crédits
a) En 2024, les crédits consommés ont été supérieurs aux crédits initiaux...
En 2024, pour la première année d'exécution de la période de programmation, les crédits effectivement consommés ont été supérieurs à ceux initialement prévus en loi de finances initiale. Cette situation n'est pas anormale, au regard notamment des surcoûts assumés habituellement par le ministère en cours d'année43(*).
Exécution en 2024 des crédits de la mission « Défense » (hors CAS « Pensions »)
(en CP, en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les chiffres de la Cour des comptes44(*).
En 2024, 58,43 milliards d'euros ont ainsi été consommés, y compris au titre de la contribution au CAS « Pensions », soit un écart de + 1,67 milliard d'euros (+ 2,9 %) par rapport aux crédits initialement ouverts en LFI.
La mission « Défense » a, en effet, notamment bénéficié en 2024 de reports de crédits depuis 2023 (+ 1,65 milliard d'euros), qui auraient dû être consommés dès 2023 mais ne l'ont pas été pour des raisons de régulation du déficit public affiché en fin d'année45(*), et de fonds de concours et d'attribution (+ 1,43 milliard d'euros, dont 303 millions d'euros au titre du produit des avoirs russes gelés). Il convient néanmoins de noter qu'un nouveau report de crédits important est prévu vers 2025 (- 1,24 milliard d'euros), manifestant une tendance ces dernières années à l'augmentation des mouvements de crédits interannuels, qui contrevient au cadre annuel de principe de l'exécution du budget. C'est en particulier le cas pour les crédits reportés depuis 2023 et jusqu'en 2025, de même que pour ceux ouverts en lois de fin de gestion pour 2023 et 2024, immédiatement gelés, puis reportés sur l'année suivante.
Recommandation n° 1 : Mettre fin à la tendance au report significatif de crédits de paiement d'année en année, en cohérence avec le principe d'annualité budgétaire (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
b) ... sans permettre de financer l'ensemble des besoins exprimés par le ministère en exécution, en décalage avec la lettre des dispositions de la LPM, dans un contexte budgétaire tendu
(1) Des crédits qui n'ont pas permis de financer l'ensemble du besoin de financement constaté en exécution
Le montant des crédits exécutés n'a toutefois pas permis d'assurer le financement de l'ensemble des besoins exprimés par le ministère, en particulier au titre de ses surcoûts en cours d'année, caractéristique structurelle du budget de la défense. En 2024, ils ont été composés46(*) :
- d'un dépassement, une fois prises en compte les contributions internationales, de 391 milliards d'euros du montant de la provision prévue au titre des opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT), y compris au titre de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques ;
- de 459 millions d'euros au titre des déploiements sur le flanc oriental de l'OTAN en Europe, qui ne sont pas intégrés juridiquement et comptablement aux OPEX ;
- de 529 millions d'euros au titre du coût du soutien à l'Ukraine ;
- d'autres surcoûts liés à la contribution aux opérations de sécurisation en Nouvelle-Calédonie (16,7 millions d'euros), notamment au titre du transport aérien stratégique des forces de sécurité intérieure, et à la reconduction du traité bilatéral avec la république de Djibouti (16,0 millions d'euros). En sens inverse, un moindre besoin au titre du CAS « Pensions » a été constaté en cours d'année (pour 360 millions d'euros).
Au total, les surcoûts à financer ont atteint 1,41 milliard d'euros en 2024, compensés partiellement par un moindre besoin en crédits de 360 millions d'euros au titre du CAS « Pensions ».
Surcoûts constatés, financements associés et besoin de financement subsistant pour la mission « Défense » en 2024
(en millions d'euros courants, en CP)
Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » |
Programme 146 « Équipement des forces » |
Programme 178 « Préparation et emploi des forces » |
Programme 212 « Soutien de la politique de défense » |
Total |
||
Surcoûts constatés |
Soutien direct à l'Ukraine (recomplètement de cessions, formations, contribution à la FEP) |
325,0 |
190,5 |
13,8 |
529,3 |
|
Opérations sur le flanc Est de l'OTAN |
374,2 |
84,4 |
458,6 |
|||
Surcoûts OPEX et MISSINT au-delà de la provision (dont sécurisation des JOP) |
338,0 |
53,3 |
391,3 |
|||
Nouvelle-Calédonie |
16,7 |
16,7 |
||||
Financement complémentaire TCMD Djibouti |
16,0 |
16,0 |
||||
Moindre besoin de contribution au CAS « Pensions » |
- 360,0 |
- 360,0 |
||||
Total |
16,0 |
325,0 |
919,4 |
- 208,5 |
1 051,9 |
|
Ouvertures et annulations nettes de crédits en LFFG |
- 33,0 |
- 532,0 |
+ 677,0 |
- 237,6 |
- 125,6 |
|
Solde du besoin de financement subsistant |
- 49,0 |
- 857,0 |
- 242,4 |
- 29,1 |
- 1 177,5 |
Source : commission des finances, d'après les chiffres de la Cour des comptes47(*)
Une partie des surcoûts opérationnels (OPEX, MISSINT, Nouvelle-Calédonie, et flanc oriental de l'OTAN en particulier), a été financée par l'ouverture de crédits en loi de finances de fin de gestion (LFFG). Ainsi, la LFFG a ouvert 837 millions d'euros de CP nouveaux en cumulé48(*). Toutefois, elle a parallèlement annulé, outre les 360 millions d'euros au titre de la moindre contribution au CAS « Pensions », 602,6 millions d'euros49(*) sur les crédits gelés.
À l'issue de la loi de finances de fin de gestion, le besoin de financement subsistant en dépenses en 2024, à l'échelle de la mission, s'établissait ainsi à 1,18 milliard d'euros, essentiellement porté par le programme 146 relatif à l'équipement des forces (857 millions d'euros). Une partie substantielle des surcoûts a de facto été autofinancée, « sous enveloppe ».
S'agissant des recettes, alors que les ressources budgétaires initiales étaient conformes à la LPM, les recettes extrabudgétaires ont été réalisées à un niveau (1,428 milliard d'euros en CP) en apparence supérieur à ce que prévoyait cette dernière pour 2024 (1,316 milliard d'euros). Néanmoins, en premier lieu, cette situation résulte largement de la perception de 303 millions d'euros provenant du produit d'avoirs russes gelés, qui n'était pas intégrée aux prévisions initiales. En deuxième lieu, elle masque la sous-réalisation de la recette extrabudgétaire issue des dividendes attendus de l'entreprise TechnicAtome (115,8 millions d'euros réalisés contre 500 millions d'euros attendus50(*)). En dernier lieu, une partie du produit des recettes budgétaires perçues en 2024 a été reportée à 2025, pour 132 millions d'euros. En 2024, le montant des recettes extrabudgétaires cumulées disponibles s'est ainsi établi à 1,296 milliard d'euros, un niveau comparable - inférieur de 20 millions d'euros - à ce que prévoyait la LPM pour cette année51(*).
Au total, il peut être estimé que le besoin cumulé de financement à fin 2024 au titre des surcoûts et, beaucoup plus marginalement, des moindres recettes était de 1,2 milliard d'euros. Ce montant, qui n'intègre pas d'éventuelles difficultés de financement relatives aux dépenses programmées initialement pour 2024 pour le ministère52(*), correspond presque exactement à celui des reports de crédits de 2024 vers 2025 (1,237 milliard d'euros). Il convient toutefois d'interpréter ces chiffres avec prudence au regard notamment d'une évolution du coût des facteurs plus faible qu'initialement prévu, libérant une capacité de paiement estimée à environ 800 millions d'euros pour 2024 (partagée à parts quasiment égales entre les programmes 178 et 146).
Pour ce qui concerne spécifiquement le programme 146, il a connu au total un décalage entre les crédits attendus - ou espérés - par le ministère (au titre des dépenses mais également des recettes), et ceux effectivement exécutés en 2024 de - 1,241 milliard d'euros en CP dont :
- - 325 millions d'euros au titre du non-financement des surcoûts du soutien direct à l'Ukraine ;
- - 384 millions d'euros au titre d'une sous-réalisation de la recette extrabudgétaire issue des dividendes attendus de l'entreprise TechnicAtome ;
- - 532 millions d'euros, annulés dans le cadre de la loi de fin de gestion.
Le montant cumulé du besoin de financement du programme 146 en fin d'année correspond finalement à celui de l'ensemble de la mission. L'évolution favorable du coût des facteurs et le report massif de paiements (report de charges) a toutefois nettement réduit l'impact pratique de cette situation sur le programme, tout en créant d'autres difficultés53(*).
Mise en regard d'une estimation des crédits pouvant être espérés en 2024 et de l'exécution constatée des crédits (programme 146)
(en CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les chiffres de la Cour des comptes54(*)
(2) Un niveau de financement de l'exécution budgétaire qui n'est pas conforme à la lettre des dispositions de la LPM, dans un contexte budgétaire général très tendu
La LPM comprend un certain nombre de dispositions visant à assurer que les « surcoûts » occasionnés en cours d'année par certains types d'activités, d'achats ou de cessions spécifiques soient couverts par des financements complémentaires à ceux prévus en LFI. En outre, elle prévoit un mécanisme de sauvegarde en matière de montant des ressources extrabudgétaires.
Concernant les surcoûts, les dispositions concernées sont présentées dans le tableau suivant.
Les dispositions relatives au financement des surcoûts constatés en exécution prévues par la LPM 2024-2030
Cinq types principaux de surcoûts pouvant apparaître en gestion font l'objet de dispositions spécifiques de la LPM prévoyant que leur financement est réalisé de façon complémentaire aux crédits initiaux du ministère des armées, en raison du fait qu'ils présentent un intérêt interministériel.
1. Les opérations extérieures et les missions intérieures. L'article 5 de la LPM 2024-2030 établit une provision annuelle au titre des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures (MISSINT) des forces armées. Son montant, en forte baisse par rapport à la LPM précédente, est fixé à 800 millions d'euros pour 2024 puis à 750 millions d'euros à compter de 2025 (et ce chaque année jusqu'en 2030). Cette provision apparaît chroniquement sous-estimée55(*).
L'article 5 de la LPM précise qu'« en gestion, les surcoûts des opérations extérieures et des missions intérieures, nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel », étant précisé que la « participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État. » En outre, si « le montant des surcoûts nets ainsi défini est inférieur à la provision, l'excédent constaté est maintenu au profit de la mission « Défense » ».
2. Les opérations de renforcement du flanc oriental de l'OTAN en Europe. Les missions menées par les armées françaises depuis février 2022 au titre du renforcement du flanc oriental de l'OTAN (missions AIGLE en Roumanie et LYNX en Estonie, missions aériennes et navales dans plusieurs pays d'Europe), qui ne relèvent pas stricto sensu d'« opérations extérieures », génèrent également des dépenses importantes ayant vocation à être traités dans le cadre du financement des surcoûts au même titre que les OPEX. Le dispositif de la LPM ne comporte toutefois pas de disposition explicite en ce sens.
3. L'effort national de soutien à l'Ukraine. L'article 4 de la LPM 2024-2030 prévoit que « s'ajouteront » aux ressources prévues au titre de la programmation celles nécessaires au financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine, en précisant que celles-ci « concernent notamment le financement de contributions à la Facilité européenne pour la paix, des recomplètements nécessaires, en cas de cessions d'équipements ou de matériels, à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation [...] ou d'aides à l'acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité. Ces moyens seront déterminés en loi de finances de l'année ou en exécution, en cohérence avec l'évolution du contexte géopolitique et militaire ».
4. Le remplacement de matériels prélevés sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation. Le même article de la LPM 2024-2030 prévoit également qu'« en cas de prélèvement d'équipements ou de matériels sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation, s'ajouteront les ressources nécessaires au financement des recomplètements nécessaires à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation militaire présentée dans le rapport annexé à la présente loi. Ces moyens seront déterminés en loi de finances de l'année ou en exécution ». Il n'a pas été porté à la connaissance du rapporteur spécial d'enjeu spécifique de ce point de vue en 2024.
5. Les énergies opérationnelles. L'article 6 de la LPM 2024-2030 prévoit qu'« en cas de hausse du prix constaté des énergies opérationnelles, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion, si nécessaire par ouverture de crédits en loi de finances rectificative et en loi de finances de fin de gestion ». Le coût des énergies opérationnelles ayant tendance à baisser, il n'est à ce jour pas fait usage de cette disposition.
Source : commission des finances du Sénat
La lecture de ces dispositions relève des différences dans les modalités de financement prévues entre deux types de surcoûts.
En premier lieu, s'agissant du financement des OPEX et MISSINT au-delà de la provision prévue et, par extension, des opérations de renforcement du flanc oriental de l'OTAN en Europe, le financement complémentaire prévu est dit « interministériel ». Or, si une telle rédaction peut impliquer l'ouverture de crédits nouveaux, par exemple en loi de finances de fin de gestion, elle n'exclut pas que le financement puisse s'opérer par le biais de la réserve de précaution. En effet, chaque année, une partie des crédits de l'ensemble des ministères fait l'objet d'une mise en « réserve de précaution » (dont le taux de principe est en 2024 et 2025 de 5,5 %, hors titre 2, et de 0,5 % en titre 2, sauf exceptions). Or, l'objet de cette réserve est justement de couvrir non seulement la capacité d'auto-assurance ministérielle, en cas de dépenses plus dynamiques que prévu ou d'imprévus, mais également la capacité de faire face aux besoins de solidarité interministérielle56(*).
S'opposent ainsi, schématiquement, deux conceptions du financement de ces surcoûts, comme les auditions du rapporteur spécial ont été l'occasion de le constater. D'un côté, celle de la direction du budget, qui estime de façon orthodoxe, sur la base du cadre budgétaire général applicable, que le dégel régulier quasi-intégral de la réserve du ministère des armées en fin de gestion (à la différence de beaucoup d'autres ministères) vient couvrir de manière interministérielle une part des surcoûts. D'un autre côté, la conception de la direction des affaires financières du ministères des armées, fondée sur une lecture stricte de la notion de financement interministériel, qui plaide pour une couverture des surcoûts constatés assis essentiellement sur des crédits nouveaux.
En 2024, dans un contexte budgétaire général très contraint, c'est une solution intermédiaire qui a été mise en oeuvre. Alors qu'une partie significative de la réserve de précaution a été dégelée, des crédits complémentaires ont par ailleurs été ouverts pour financer les surcoûts, mais pas dans la mesure de leur montant effectif. Ainsi, s'ils ont quasiment couvert les besoins exprimés pour le programme 212, ils n'ont couvert qu'une partie des surcoûts pour le programme 178 (677 millions d'euros ouverts sur 919,4 millions d'euros).
En second lieu, la lettre de la LPM laisse en revanche peu de place à l'interprétation s'agissant du financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine, en prévoyant que les ressources correspondantes « s'ajouteront » à celles prévues au titre de la programmation. Or, en 2024, le programme 146, qui a assumé 325 millions d'euros de surcoûts à ce titre, n'a pas connu d'ouverture de crédits complémentaires, étant par ailleurs impacté par une annulation de CP de 532 millions d'euros.
Concernant les recettes, l'article 4 de la LPM prévoit que dans le cas où les ressources extrabudgétaires sont inférieures au montant de la prévision, elles doivent être complétées à hauteur de ce montant par des crédits budgétaires dans la loi de finances initiale de l'année suivante. La moindre recette issue des dividendes versés par TechnicAtome en 202457(*) n'a pas conduit à une hausse des crédits de la mission pour 2025. Néanmoins, comme cela a été rappelé supra, le montant global des ressources extrabudgétaires a été conforme à la prévision en 2024 et la part non-consommée en 2024 a été reportée sur 2025.
L'application partielle des dispositions de la LPM relatives au financement de l'exécution budgétaire de la mission « Défense » doit toutefois être mise en perspective. En effet, elle s'inscrit dans un contexte budgétaire général particulièrement dégradé en 2024, tant au regard de la prévision initiale du déficit public que de sa dégradation tout au long de l'année. Aussi, dans ces conditions, le respect de la trajectoire prévue en LPM dans la LFI, puis le dégel large des crédits mis en réserve, ainsi que le report de crédits à 2025 plutôt que leur annulation, est apparu comme relativement favorable lors des arbitrages interministériels. En outre, il convient de noter que l'exécution 2024 a précédé la nette dégradation des perspectives de sécurité de l'Europe du fait des prises de position du nouveau président Donald Trump, entré en fonction en janvier 2025.
c) Une sous-estimation initiale chronique des surcoûts et une volonté de sanctuariser autant que possible l'intégralité des acquisitions capacitaires prévues en LPM, au prix d'une hausse du report de charges...
Les caractéristiques de l'exécution budgétaire de la mission « Défense » en 2024 s'expliquent, parallèlement aux limites du montant des crédits nouveaux ouverts en gestion pour financer les surcoûts, par deux séries de raisons principales.
D'une part, le budget de la défense est marqué depuis plusieurs années par une sous-estimation chronique des surcoûts à attendre en cours d'année, en particulier s'agissant des OPEX et MISSINT, tandis que les opérations militaires de réassurance du flanc Est de l'OTAN ne sont pas provisionnées, alors même que leur coût est désormais assez prévisible.
Cette situation résulte largement des LPM. En effet, ces dernières intègrent un montant de provision qui ne suffit pas à couvrir le coût des OPEX et MISSINT. Les surcoûts à financer en cours d'année s'établissent ainsi à plusieurs centaines de millions d'euros tous les ans.
Le sous-évaluation chronique des dépenses d'OPEX et de MISSINT
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les LPM 2019-2025 et 2024-2030 et les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Si le désengagement militaire dans une partie substantielle de l'Afrique a conduit récemment à une baisse du coût des OPEX, la LPM 2024-2030 a parallèlement réduit nettement le montant de la provision, celle-ci passant de 1,1 milliard d'euros en 2023 à 800 millions d'euros en 2024 puis 750 millions d'euros en 2025. Ainsi, en dépit d'une baisse du coût cumulé des OPEX et MISSINT en 2024 par rapport à 2023, un besoin de financement complémentaire à la provision a été constaté, à hauteur de 391,3 millions d'euros. En outre, la LPM 2024-2030 ne prévoit pas la prise en compte dans une provision des opérations militaires de réassurance du flanc Est de l'OTAN, aujourd'hui très probablement destinées à être pérennes, sous une forme ou une autre.
Ces limites de la LPM devraient être corrigées dans le cadre de la conception des budgets annuels initiaux de la mission « Défense ». Cela n'est toutefois pas le cas à ce jour, ce qui reporte le problème à la fin de gestion, dans une démarche qui contrevient tant à la sincérité des prévisions qu'au principe de bonne gestion des crédits.
Recommandation n° 2 : Arrêter la sous-budgétisation chronique des surcoûts annuels liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures des armées en ajustant le montant de la provision afférente, intégrée dans le budget annuel de la mission « Défense », et y inclure le coût des missions relevant de la sécurisation du flanc oriental de l'OTAN (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
En outre, une partie des recettes extra-budgétaires prévues en LPM ont été surévaluées, en tous cas pour 2024. En effet, le montant des dividendes versées par TechnicAtome n'a ainsi représenté en 2024 que moins d'un quart de celui estimé initialement, le montant total des ressources extrabudgétaires prévues à l'échelle de la mission n'ayant été réalisé qu'au profit de la perception du produit des avoirs russes gelés58(*). Ainsi que l'indique la Cour des comptes, la direction du budget avait pourtant fermement contesté, à plusieurs reprises, cette évaluation, considérant qu'elle était trop élevée59(*). La construction du budget de la mission « Défense » pour 2024 aurait ainsi dû modifier le montant attendu de cette recette, là encore dans une perspective de sincérisation des crédits prévus et afin d'éviter les difficultés de financement de fin de gestion.
D'autre part, comme les auditions ont été l'occasion de le constater, le ministère des armées manifeste une volonté ferme de sanctuariser autant que possible l'acquisition de l'ensemble des besoins physiques identifiés par la LPM et ce, au plus tôt. Alors qu'une seule marche de hausse annuelle des crédits de la LPM 2024-2030 avait été exécutée et qu'il a manqué environ 1,2 milliard d'euros de CP par rapport aux besoins exprimés par le ministère en 2024, il a été décidé de poursuivre la réception de la quasi-intégralité des matériels et équipements prévus mais de reporter à 2025 une part notable des paiements associés, dans le cadre du report de charges60(*). Concrètement, dès le mois de septembre, certains fournisseurs n'étaient plus réglés pour leurs livraisons.
Il convient néanmoins de noter que si la tension pesant sur les crédits de la mission « Défense » se retrouve globalement aujourd'hui dans la hausse du report de charges et non dans la réduction des commandes et livraisons, l'enveloppe globale pluriannuelle de l'agrégat « équipement » a été revue à la baisse, à l'occasion de l'ajustement de la programmation annuelle réalisée en 2024 (A2PM 2024), de 5,7 milliards d'euros par rapport à la programmation, pour s'établir à 262,3 milliards d'euros. Il pourrait s'agir là d'un premier effet concret des tensions budgétaires sur les ambitions capacitaires.
d) Une situation de tension budgétaire qui contraint la bonne gestion des crédits par les responsables de programme
Outre les enjeux tenant à la soutenabilité de l'exécution des crédits de la mission « Défense », la tension qui pèse sur elle nuit en outre à la bonne gestion annuelle de leur budget par les responsables de programme, tant du fait de l'incertitude sur le financement des surcoûts que du poids des crédits gelés.
Cette difficulté a été manifeste en 2024, dans un contexte budgétaire général par ailleurs très dégradé, associé à une forte instabilité gouvernementale. La réserve de précaution fixée à 5,5 % des crédits hors titre 2 et 0,5 % en titre 2, a en effet fait l'objet de surgels, avec un rehaussement du taux à 7,2 % en février 2024 puis à 8,6 % pour le programme 178 en août 202461(*). En outre, le programme 212 avait connu une annulation de crédits de 105,8 millions d'euros par un décret de février 202462(*). Au 31 décembre 2024, après la loi de fin de gestion de 2024, 775 millions d'euros restaient gelés (dont 715 millions d'euros sur le programme 178) ; ils ont finalement été reportés vers 2025.
De même, en 2025, les crédits de la mission « Défense » ont fait l'objet de différents gels, notamment dans un contexte de mise en oeuvre des services votés en début d'année, en l'absence de loi de finances initiale. Au 12 mai 2025, 3,29 milliards d'euros de crédits de paiement étaient gelés63(*), soit quasiment l'équivalent d'une marche annuelle de LPM. Hors titre 2, le taux de mise en réserve s'établit ainsi à 8,6 % du montant des crédits initiaux, un taux significatif.
3. Une hausse anormale du report de charges : des investissements qui se font de plus en plus à crédit auprès des industriels
a) Une augmentation très lourde du report de charges, tant en valeur qu'en proportion des crédits disponibles
Depuis la fin de l'exercice 2022, le stock de report de charges de la mission « Défense » tend à progresser de façon très significative.
Le report de charges est une notion comptable qui regroupe les dépenses qui auraient dû être réglées en année N et qui constituent des dettes certaines. Il peut s'agir soit :
- de charges à payer, à savoir des charges au titre d'engagements juridiques consommés et pour lesquels le service fait a été constaté en N mais le paiement n'a pas été effectué (du fait en particulier, pour les livraisons en fin d'année, du délai normal de traitement des factures) ;
- de « dettes fournisseurs », qui auraient dû être liquidées en année N mais ne l'ont pas été, faute de crédits de paiement effectivement disponibles à cet effet : elles sont en principe liquidées en début d'année N + 1, lors de la mise à disposition des crédits de l'exercice suivant ou éventuellement des crédits reportés depuis l'année N, sauf lorsque le stock de report de charges n'est pas maîtrisé.
Ainsi, alors que le stock de report de charges de 2022 vers 2023 était de 3,88 milliards d'euros, il s'établirait à environ 8,02 milliards d'euros de 2024 vers 2025 ; le stock a ainsi plus que doublé en deux ans (+ 106,8 %). Il représente environ 0,275 point de PIB, contre un peu moins de 0,15 point en 2022.
Évolution du report de charges de la
mission « Défense »
en valeur et en pourcentage
des crédits (hors dépenses de personnel)
entre fin 2019
et fin 2024
(en milliards d'euros) (en % des crédits, hors dépenses de personnel)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
La hausse du volume du stock de report de charges, à savoir + 4,14 milliards d'euros en deux ans, est ainsi nettement supérieure à une marche annuelle d'augmentation des CP de la mission « Défense » sous la LPM 2024-2030 (+ 3,3 milliards d'euros en 2024 par exemple). Elle concerne tant les charges à payer que les dettes fournisseurs, ces dernières ayant un plus grand effet en valeur.
Cette évolution se traduit également en proportion des crédits de la mission, hors dépenses de personnel, étant entendu que le niveau de report de charges « structurel incompressible » peut être estimé, sur la base du délai global de paiement moyen du ministère (qui est faible), à environ 5 % selon la Cour des comptes64(*). À fin 2024, le report de charges continue de progresser et s'établirait à 23,9 %, contre 13,7 % à fin 2022.
b) Si une hausse du stock de report de charges est naturelle en début de LPM, son acuité apparaît anormale...
(1) La progression du stock de report de charges résulte de plusieurs facteurs
D'un point de vue théorique, une hausse du stock de report de charges peut servir d'outil conjoncturel et/ou structurel.
- D'un point de vue conjoncturel, la hausse du report de charges peut, d'une part, être mobilisée pour faire face à une inflation temporairement supérieure aux estimations et maintenir les acquisitions en dépit de la hausse des coûts et, d'autre part, permettre de réduire les dépenses exécutées et réguler ainsi le déficit public exécuté en fin d'année, sans remettre en cause les livraisons.
- D'un point de vue structurel, cet outil peut également être mobilisé comme une variable d'ajustement permettant, en début de période de LPM, de procéder à des dépenses plus élevées que ne le permettent les crédits disponibles - même s'ils sont orientés à la hausse - afin d'atteindre les objectifs capacitaires et opérationnels fixés à l'horizon de la fin de programmation. Concrètement, le report de charges augmente ainsi en début de période de programmation, pour décroître en fin de période, à mesure que le nombre de livraisons se réduit et que les crédits continuent d'augmenter.
Concrètement, l'ensemble de ces trois facteurs ont contribué à la hausse du report de charges depuis 2022.
En premier lieu, la hausse du niveau d'inflation, à compter de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, par rapport aux niveaux attendus en 2022 et 2023, a conduit à rehausser le niveau de report de charges ces années-là, afin de garantir le niveau des livraisons programmées initialement.
En deuxième lieu, l'année 2024 mais également l'année 2023 - du fait de l'ouverture d'une enveloppe exceptionnelle de 1,5 milliard d'euros de crédits en préparation de l'entrée dans la LPM 2024-2030 - ont été marquées par l'utilisation du report de charges comme une variable d'ajustement caractéristique des acquisitions de début de période de programmation.
En dernier lieu, l'exécution budgétaire de fin d'année 2023 a été marquée par une volonté gouvernementale de réduire le déficit public exécuté en reportant une partie des crédits qui auraient dû initialement être exécutés en 2023, sur 2024. Ainsi, comme l'a proposé une note des services de Bercy en date du 7 décembre 2023, 1,65 milliard d'euros de crédits de paiement sur la mission « Défense »65(*) prévus pour l'année 2023 ont été repoussées à cet effet à 2024, décision qui n'a pas relevé du ministère des armées. Si la même intention ne peut être établie aussi clairement pour l'année suivante, il n'en demeure pas moins que 1,24 milliard d'euros de crédits de paiement ont été reportés de 2024 à 2025, alors même que le stock de report de charges continuait de se dégrader nettement.
De même, la loi de finances de fin de gestion pour 2024 a annulé 532 millions d'euros de crédits en CP sur le programme 146 « Équipement des forces », alors que le report de charges de ce programme a augmenté parallèlement de 1,912 milliard d'euros de fin 2023 à fin 2024. C'est d'ailleurs ce programme qui porte la quasi-totalité de la hausse du report de charges à l'échelle de la mission en 2024 (+ 1,934 milliard d'euros), en cohérence avec son poids budgétaire et le fait qu'il porte l'essentiel des acquisitions.
Évolution du report de charges
ventilé par programmes
de la mission
« Défense » entre fin 2023 et fin 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial et la Cour des comptes66(*).
(2) L'ampleur de la hausse du stock de report de charges apparaît mal maitrisée ...
Afin de maîtriser son évolution, le stock de report de charges est soumis à des objectifs de plafond.
Ainsi, la LPM pour 2019-2025 prévoyait dans son rapport annexé une trajectoire de réduction progressive de la proportion du stock de report de charges en proportion de l'ensemble des crédits, hors dépenses de personnel.
Trajectoire
prévue par la LPM 2019-2025 pour le report de charges
en proportion
des crédits, hors personnel
(en pourcentage des crédits, hors dépenses de personnel)
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
16 % |
15 % |
14 % |
12 % |
12 % |
11 % |
10 % |
Source : commission des finances du Sénat d'après la loi de programmation militaire 2019-2025
Si elle a été globalement respectée jusqu'à fin 2021, un écart apparaît à compter de 2022, dans un contexte de forte hausse de l'inflation à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. L'écart se creuse ensuite nettement, pour s'établir à près de 8 points de décalage à fin 2023, dernière année d'exécution de la LPM 2019-2025 mais également année de « pré-LPM 2024-2030 ».
La LPM pour 2024-2030 ne prévoit pas formellement, quant à elle, de trajectoire spécifique pour le stock de report de charges, écueil notable qui doit être corrigé dans la documentation budgétaire pour permettre son suivi et favoriser sa soutenabilité.
Recommandation n° 3 : Intégrer dans les documents budgétaires annuels de la mission « Défense » la mention de la trajectoire prévue (jusqu'à la fin de la période de programmation) et exécutée du report de charges pour chaque programme et en cumulé (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
Des objectifs ont néanmoins été fixés de manière interne au ministère des armées et au ministère de l'économie et des finances67(*). La Première ministre Elisabeth Borne avait en effet décidé, à l'occasion de la conception du projet de loi de programmation militaire 2024-2030, de porter le plafond de ce stock à 20 %, soit une hausse très significative par rapport à l'objectif de 10 % porté par la LPM 2019-2025.
Dans ce cadre, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, il a ainsi été initialement prévu, en juin 2023, de maintenir un plafond de report de charges par rapport aux crédits (hors dépenses de personnel) de 20 % au maximum de 2024 à 2028, avant de retrancher 5 points par an en 2029 et 2030 (stock d'environ 15 % puis 10 %), grâce à la mobilisation à cet effet d'une partie des crédits supplémentaires apportés par les deux dernières marches (+ 3,5 milliards d'euros par année).
Or, alors que le plafond fixé avait été dépassé de 7,8 points en 2023 et que ce dernier avait été très fortement réhaussé de 8 points pour 2024, il a de nouveau été dépassé cette année-là, à hauteur de 3,9 points.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, face aux difficultés rencontrées pour atteindre les objectifs fixés, il a d'ailleurs finalement été décidé, à l'occasion des travaux d'ajustement de la programmation militaire (A2PM) de juin 2024, de réduire l'ambition à une baisse du niveau à 17 % en 2029 puis 13 % en 2030.
Trajectoire actualisée prévue dans
le cadre de la LPM 2024-2030 (de façon interne au Gouvernement) pour le
report de charges en proportion des crédits,
hors dépenses de
personnel
(en pourcentage des crédits, hors dépenses de personnel)
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
20 % |
20 % |
20 % |
20 % |
20 % |
17 % |
13 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Évolution
du plafond et du solde exécuté du report de charges de la mission
« Défense » en proportion des crédits, hors
dépenses de personnel,
entre 2020 et 2030
(en pourcentage des crédits, hors dépenses de personnel)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Le rapporteur spécial souligne que même dans le cas où les plafonds fixés, étaient respectés à l'avenir - ce qui est loin d'être assuré -, un niveau de report de charges maintenu à 20 % jusqu'en 2028 impliquerait, au regard de la hausse annuelle du montant des crédits prévue en programmation, une forte progression du poids de celui-ci en valeur absolue, de nature à grever la gestion budgétaire du ministère.
Recommandation n° 4 : Reprendre rapidement le contrôle de la dynamique du report de charges en actant une trajectoire de réduction menant à un taux de 10 % des crédits, hors dépenses de personnel, en 2030 (ministère des armées et ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)
c) ...et témoigne d'un défaut de soutenabilité, au détriment d'une part de la crédibilité de la politique industrielle de défense
Il ne peut être reproché au ministère des armées de souhaiter procéder à l'augmentation de son schéma capacitaire dès le début de période de la LPM, notamment pour en tirer le meilleur profit opérationnel à l'horizon 2030. En revanche, le fait que cette politique soit exécutée aujourd'hui pour une partie substantielle via une hausse aigüe du report de charges est discutable.
En 2024, s'il a manqué environ 1,24 milliard d'euros de crédits en exécution au programme 146 (qui porte l'essentiel des acquisitions) par rapport à ce qui était espéré par le ministère, la hausse du report de charges a été nettement supérieure pour ce programme, s'établissant à 1,91 milliard d'euros68(*). Autrement dit, outre le fait que des livraisons - et les commandes afférentes - continuent d'intervenir alors que les crédits correspondants ne sont pas rendus disponibles, des livraisons (de matériels, d'études, etc.) représentant un montant d'environ 700 millions d'euros ne pouvaient pas être financées cette année, le ministère comptant vraisemblablement sur la hausse future des crédits pour les régler. Et ce, alors même que le programme a bénéficié d'un niveau d'inflation plus faible qu'anticipé, augmentant ses marges de manoeuvre d'environ 380 millions d'euros sur l'année. Le ministère des armées achète ainsi plus que ce qu'il ne peut payer ; il se fournit en s'endettant pour partie auprès de ses fournisseurs. Cette situation pose trois séries de difficultés.
Premièrement, cet état de fait interroge la soutenabilité de la dynamique, le report de charges constituant une dette qu'il faudra régler un jour. Le rapporteur spécial constate, en outre, que le report de charges a continué d'augmenter en 2024 alors même que l'un des facteurs principaux la justifiant a disparu, à savoir un niveau d'inflation constaté qui serait plus élevé qu'initialement prévu. En effet, il a même été plus faible qu'attendu69(*).
Deuxièmement, le non-règlement des factures correspondant au report de charges (pour la partie des « dettes fournisseurs ») dans les délais réglementaires donne lieu au règlement par le ministère des armées d'intérêts moratoires auprès de ses fournisseurs. En 2024, ces intérêts ont représenté 29,6 millions d'euros à l'échelle de la mission, contre 12,7 millions d'euros en 2022. La forte hausse des dettes contractées auprès des entreprises devrait conduire à une hausse des montants concernés. Certes, ces derniers pourraient néanmoins rester relativement limités en comparaison de l'ampleur des dettes, grâce à « une certaine virtuosité » des gestionnaires de marchés du ministère pour en limiter l'ampleur, selon l'expression d'une personne auditionnée. Néanmoins, il s'agit d'une perte sèche de ressources publiques.
Troisièmement, le financement des dépenses du ministère ne saurait être délégué de facto aux industriels de la défense dans une ampleur trop importante, alors que l'arrêt des paiements intervient de plus en plus tôt dans l'année. Certes, les titulaires des marchés, à savoir principalement la dizaine de grands industriels de la défense, bénéficient des intérêts moratoires. Néanmoins, même s'il existe dans certains cas des clauses de paiement direct, le report de charges affecte durement de nombreuses entreprises sous-traitantes, dont le financement constitue pourtant une préoccupation majeure, souvent soulignée par le Sénat. Plus largement, la forte progression des dettes auprès des fournisseurs apparaît quelque peu antinomique avec l'« économie de guerre » censée permettre de produire plus et plus vite, en renforçant la BITD. Cette situation nuit pour partie à la crédibilité de la politique industrielle de défense.
4. Une mission « Défense » souffrant de trop fortes rigidités tenant en particulier au poids du paiement des engagements pris antérieurement
Le budget de la Défense souffre aujourd'hui de très importantes rigidités tenant au poids des paiements résultant des engagements antérieurs.
Premièrement, si la LPM 2024-2030 vise, dans le même esprit que la LPM 2019-2025 à produire des commandes, son exécution hérite également de la responsabilité d'assumer la charge budgétaire résultant du paiement des prestations et surtout des matériels commandés antérieurement, que ce soit dans le cadre de la précédente LPM ou au début de l'actuelle.
Cet état de fait se traduit dans le poids considérable des restes à payer, c'est-à-dire des paiements à venir occasionnés par des engagements déjà réalisés. Leur montant cumulé s'établit à fin 2024 à 99 milliards d'euros, soit environ le double de l'ensemble du budget actuel de la défense, hors CAS « Pensions » (50,5 milliards d'euros). Ils relèvent principalement du programme 146, en raison du coût des équipements et du caractère pluriannuel des programmes, et du programme 178, en particulier pour ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle des matériels.
Ainsi, selon les chiffres du rapport annuel de performances de la mission Défense, près de 90 % des crédits de paiement prévus en 2025, hors dépenses de personnel, sont en réalité destinés à régler des restes à payer. En d'autres termes, seuls 10 % des crédits seront consommés pour régler des commandes faites la même année. Pour le programme 146, c'est l'ensemble des crédits qui seront concernés.
S'il n'est pas anormal que la majorité des crédits servent à régler d'anciennes commandes, dans un monde militaire au sein duquel la réalisation des programmes prend du temps, les taux très élevés actuels - qui pourraient encore se renforcer - sont une source de rigidité importante pour le ministère.
Deuxièmement, s'ajoute à l'enjeu des restes à charges celui, connexe, des autorisations d'engagement affectées non engagées (AEANE) inscrites sur des tranches fonctionnelles. Ce mécanisme permet, selon la Cour des comptes70(*), « pour les opérations d'investissements dont l'engagement se fait en plusieurs fois, de réserver sur une « tranche fonctionnelle », dès la première année d'engagement, l'ensemble des autorisations d'engagement nécessaires à l'opération, et de reporter les autorisations affectées mais non engagées pendant plusieurs années jusqu'à la fin de l'opération. L'affectation d'autorisations d'engagement sur ces tranches fonctionnelles permet de déroger à la règle d'annualité des crédits en lui substituant une contrainte de spécialisation ».
Les reports d'AEANE, qui concernent pour l'essentiel le programme 146, font l'objet d'une augmentation de leurs montants cumulés ces dernières années. Ainsi, alors que les reports représentaient 14,5 milliards d'euros en 2018, ils s'établissent à 32,5 milliards d'euros de fin 2024 à 2025. Ces reports représentent ainsi plus d'un tiers (34,8 %) des AE ouvertes par la loi de finances pour 2025 sur la mission « Défense » (93,5 milliards d'euros), avec lesquelles ils se cumulent.
5. Au total, un budget de la défense qui apparaît dépourvu de toute marge de manoeuvre, notamment pour faire face aux aléas
Au total, l'exécution du début de la période de programmation 2024-2030 manifeste, en dépit de crédits initiaux annuels conformes à la trajectoire prévue en loi de programmation et en hausse nette, un certain nombre de problèmes tenant principalement à :
- une sous-évaluation initiale chronique des surcoûts à prévoir en cours d'année, à laquelle semble s'ajouter une surévaluation de certaines recettes extra-budgétaires ;
- une trop forte tension sur l'exécution des crédits, qui s'explique notamment par la non-couverture interministérielle d'une partie des surcoûts constatés en cours d'année, dans un contexte budgétaire général très dégradé, par la sanctuarisation des acquisitions associées à la composante physique de la LPM et par un niveau élevé de gel des crédits ;
- une hausse très forte et anormale du stock de report de charges, au détriment de la soutenabilité budgétaire et des fournisseurs privés du ministère ;
- une rigidité très forte du budget de la mission « Défense », au regard du poids des paiements résultant d'engagements pris antérieurement.
Dans ces conditions, l'on doit conclure que l'exécution budgétaire des dépenses de défense n'est pas pleinement maîtrisée et qu'elle est, a minima, dépourvue de toute marge de manoeuvre dans son exécution, situation que les hausses annuelles des crédits budgétaires alloués (les « marches » annuelles) ne devraient pas être en mesure de modifier fondamentalement, notamment au regard du montant des engagements qui continuent à être pris.
Cette situation induira une très forte difficulté du ministère des armées à pouvoir répondre à tout type d'aléas, y compris en cas d'évolution des besoins des armées.
Il incombe aujourd'hui au pouvoir exécutif de dégager des marges de manoeuvre pour le budget de la défense, soit en augmentant les ressources disponibles pour la défense, soit en procédant à des choix dans les dépenses et engagements. En outre, il est nécessaire de concevoir des budgets annuels plus sincères, en intégrant le coût réel prévisible des surcoûts constatés en cours d'année, réduisant ainsi mécaniquement le montant des crédits à ouvrir en exécution, tout en facilitant le travail de gestion des responsables de programme.
B. LA RÉALISATION DES OBJECTIFS DE CAPACITÉS FIXÉS PAR LA LPM POUR 2030 RESTE POSSIBLE À CE JOUR, MAIS DES DIFFICULTÉS APPARAISSENT
1. Si le rythme d'acquisition des matériels reste à ce jour compatible avec l'atteinte des objectifs capacitaires pour 2030, des difficultés doivent être relevées
Si la LPM ne prévoit pas la chronique annuelle des commandes et livraisons de matériels, les informations recueillies par le rapporteur spécial laissent à penser que le rythme tenu jusqu'ici est globalement compatible avec l'atteinte des objectifs fixés pour 2030. Néanmoins, des limites doivent d'ores et déjà être relevées, en particulier pour certains matériels.
a) Un rythme de commandes et de livraisons globalement conforme aux objectifs pour les trois armées
Dans le cadre des objectifs capacitaires portés par la LPM 2024-2030, en retrait par rapport à ceux qui étaient formalisés dans l'« Ambition 2030 », le rapport annexé à cette dernière comprend un tableau intitulé « Équipement de nos forces », qui présente les capacités constatées en dotation pour 2023 et attendues pour 2030 et 2035. Sont concernés une soixantaine de types d'équipements relevant des capacités interarmées, et des forces terrestres, navales et aériennes.
Quelques objectifs capacitaires prévus par la LPM 2024-2030
Force |
Capacités |
Parc fin 2023 |
Parc fin 2030 |
Parc à horizon 2035 |
||
Équipements |
Description |
|||||
Armée de Terre |
Leclerc rénovés |
Char de combat. Les travaux de rénovation doivent permettre d'intégrer cette capacité au programme SCORPION pour le combat collaboratif avec les autres blindés. |
19 |
160 |
200 |
|
SCORPION (programme de renouvellement des capacités de l'armée de Terre autour d'un système de combat collaboratif) |
Jaguar |
Engin blindé de reconnaissance. Appelé notamment à remplacer l'AMX-10 RC. |
60 |
238 |
300 |
|
Griffon |
Véhicule blindé multirôle (VBMR) lourd destiné au transport de soldats au plus près des combats. Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB). |
575 |
1437 |
1818 |
||
Serval (dont Scorpion) |
VBMR léger tactique polyvalent (transport de troupe, pose de commandement...). Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB). |
189 (nc) |
1405 (660) |
2038 (978) |
||
Marine nationale |
Frégates de premier rang |
Frégates multi-missions (FREMM) et frégates de défense aérienne (FDA) |
8 FREMM + 2 FDA |
8 FREMM +2 FDA rénovées |
8 FREMM + 2 FDA |
|
Frégates de défense et d'intervention (FDI) |
Bâtiments de combat capables d'opérer dans tous les domaines de lutte (antinavire, antiaérien, anti-sous-marin et projection de forces spéciales). Appelées à remplacer les Frégates type La Fayette (FLF). |
5 FLF |
3 FDI + |
5 FDI |
||
Sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) |
Sous-marins à propulsion nucléaire non dotés de l'arme nucléaire, chargés de missions de protection, de renseignement et de projection de puissance. |
2 SNA de nouvelle génération (Barracuda) et 4 SNA de génération antérieure |
6 SNA Barracuda |
6 SNA Barracuda |
||
Rafale version Marine |
Avion de défense et de supériorité aérienne, d'attaque au sol et à la mer, de reconnaissance et de dissuasion nucléaire. |
41 |
41 |
41 |
||
Armée de l'Air et de l'Espace |
Rafale version Air |
Idem. |
100 Rafale + 36 M2000 D rénovés |
137 Rafale + 48 M2000 D rénovés |
185 Rafale |
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport annexé à la LPM 2024-2030.
Les éléments disponibles à ce jour laissent penser que le rythme tenu reste compatible avec l'atteinte des objectifs fixés pour 2030, encore relativement éloignés, et ce, pour les différentes armées, comme les travaux du rapporteur spécial ont été l'occasion de le confirmer.
En 202471(*), les livraisons ont notamment concerné :
- pour la projection, la mobilité et le soutien : 1 avion de transport A400M et 1 hélicoptère NH 90 pour l'armée de terre ;
- pour l'engagement et le combat : le troisième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de nouvelle génération (Barracuda), 14 Rafale, 13 Mirage 2000D rénovés, 12 canons Caesar72(*), 21 chars Leclerc rénovés, 289 véhicules blindés du programme Scorpion, 102 régénérations de véhicules blindés légers et des fusils, missiles, torpilles et obus ;
- pour la protection et la sauvegarde : des missiles pour Rafale et Mirage 2000, une première capacité exploratoire de maîtrise des fonds marins, un patrouilleur outre-mer, ou encore un prototype opérationnel de système laser de lutte anti-drones ;
- pour le commandement et la maîtrise de l'information : des stations de communication satellitaires Syracuse IV, la poursuite de la mise à niveau du système de réseau intranet sur les bâtiments de la Marine, la modernisation du système de commandement et de conduite des opérations aériennes et des postes radios (Contact), ainsi que leur intégration dans les véhicules terrestres.
Concernant les commandes, l'année 2024 a notamment connu la commande de 100 rénovations de chars Leclerc, de 395 véhicules blindés Scorpion, de 530 véhicules blindés Serval d'appui, de 120 régénérations de véhicules blindés légers, de fusils d'assaut et de missiles, ainsi que des capacités de lutte anti-drones. En outre, ont été lancés des développements de capacités de traitement de l'information et d'intelligence artificielle et la suite des études concernant le porte-avion de nouvelle génération.
Pour 202573(*), selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, sont pris en compte les évolutions prévues dans l'ajustement annuel de la programmation militaire de 2024 (A2PM 2024) visant à intégrer des inflexions prioritaires (intelligence artificielle, munitions) et des besoins essentiels ciblés (drones, lutte anti-drones, guerre électronique, connectivité, etc.) pour répondre aux évolutions du contexte national et international, notamment la guerre en Ukraine.
Sont notamment prévus en livraison : 14 Rafale, 12 Mirage 2000D rénovés, 1 avion de transport militaire A400M Atlas, 2 avions Atlantique 2 rénovés74(*) et 1 avion multi-rôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT), 308 véhicules Scorpion, environ 21 chars Leclerc rénovés et 1 frégate de défense et d'intervention (FDI).
Les commandes les plus importantes devraient concerner le porte-avion de nouvelle génération (PA-NG), appelé à succéder au Charles-de-Gaulle à l'horizon 2038 (10,2 milliards d'euros en AE en 2025), les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G), qui doivent remplacer les quatre SNLE actuels au-delà de l'horizon 2035 (11,5 milliards d'euros en AE en 2025), le système de combat aérien du futur (SCAF), qui devrait succéder au Rafale à l'horizon 2040, programme réalisé en coopération européenne (814 millions d'euros en AE en 2025), ou encore l'acquisition de munitions (1,9 milliard d'euros en AE en 2025).
b) Des limites apparaissent néanmoins, en particulier pour certains matériels des trois armées
Des limites à la bonne tenue des objectifs fixés en LPM apparaissent néanmoins dès son début d'exécution, tant au niveau global que pour certains matériels spécifiques.
En premier lieu, même si le rythme de livraison et de commandes reste aujourd'hui globalement compatible avec l'atteinte des objectifs fixés à l'horizon 2030, il n'en demeure pas moins que le taux de réalisation des équipements (cible de commandes, de livraisons, de jalons ou étapes importantes des programmes d'armement à franchir dans l'année) n'est pas conforme aux objectifs fixés pour ce qui concerne l'année 2024. Ainsi, ce taux s'établit en 2024 à 62,7 %, contre un objectif fixé à 85 %. Ce résultat est en régression de 2,1 points par rapport à 2023, du fait de retards sur certaines commandes et livraisons. Ces derniers peuvent provenir des services du ministère, mais également des industriels ; une partie reflète également des changements de priorité. Ils devront être suivi de très près au regard de leur niveau, tant s'agissant de la livraison des matériels que de la bonne avancée des grands programmes en cours de développement, parmi lesquels le porte-avions de nouvelle génération, les SNLE de troisième génération, les missiles M51 de nouvelle génération75(*), le missile ASN4G76(*) et le futur missile antinavire (FMAN), ayant tous des jalons en 2025.
En second lieu, ces retards se matérialisent notamment concernant les livraisons de plusieurs types de matériels, pour les trois armées. Peuvent être notamment cités en 2024, pour l'armée de terre, le Jaguar, dont il manquerait 7 unités et des drones tactiques (1 livraison contre 9 prévus). Pour la Marine nationale, des retards sont constatés sur les programmes FDI (report de la livraison du premier exemplaire de 2024 à 2025), et d'autres bâtiments77(*). Enfin, pour l'armée de l'Air et de l'Espace, des retards ont notamment concerné 2 avions de transport C-130 modernisés (aucune livraison contre 2 prévues), alors que les livraisons de Rafale ont dépassé - d'un exemplaire - la prévision (après un retard en 2023).
Trajectoire prévue en LPM 2024-2030 et son
exécution à ce jour
pour plusieurs équipements de la
Marine nationale
Segment capacitaire |
Parc prévu fin 2030 |
Tenue de la trajectoire |
Frégates de 1er rang |
8 FREMM + 2 FDA rénovées 3 FDI + 2 FLF rénovées78(*) |
Échelonnement des livraisons des FDI à la suite d'un retard d'un an sur la livraison du premier exemplaire |
Patrouilleurs |
3 patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG) + 6 patrouilleurs outre-mer (POM) + 7 patrouilleurs hauturiers (PH) + 3 frégates de type La Fayette (FLF) |
Pour les PH, la livraison des deux derniers exemplaires a été reportée à 2031. |
Hydrographie-Océanographie |
2 bâtiments hydrographiques de nouvelle génération (BH NG) + un bâtiment hydrographique et océanographique (BHO) |
Décalage de la livraison du 2e BH NG de 2029 à 2030. |
Rafale Marine |
41 |
Le format à 41 Rafales Marine est tenu. |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
2. Le début d'exécution de la LPM connaît une reprise de la hausse des effectifs, au prix d'une politique d'attractivité et de fidélisation source de rigidité budgétaire
Comme la loi de programmation précédente mais à la différence de celles qui leur sont antérieures, la LPM 2024-2030 porte un objectif de rehaussement des effectifs du ministère des armées, y compris s'agissant de la réserve opérationnelle. L'exécution du schéma d'emplois en 2024 est globalement positive mais le respect de la trajectoire prévue en LPM est loin d'être garanti, tandis que l'ampleur de la politique d'attractivité et de fidélisation déployée pourrait conduire à un effet cliquet coûteux d'un point de vue budgétaire.
a) Une reprise des augmentations d'effectifs du ministère des armées, mais non sans limites
L'article 7 de la LPM prévoit un objectif d'augmentation nette d'effectifs sur la période (+ 6 300 ETP), devant permettre d'atteindre une cible à 275 000 ETP pour le ministère à l'horizon 2030, soit avec un retard de cinq ans par rapport à l'objectif, identique, déjà fixé pour le terme de la programmation 2019-2025.
La chronique annuelle de la hausse des effectifs actée par la LPM prévoit une augmentation nette des effectifs limitée annuellement à 700 équivalents temps plein (ETP) en 2024 et 2025, soit un net ralentissement par rapport à la cible établie la même année par la précédente LPM (+ 1 500 ETP), avant d'atteindre + 1 200 ETP en fin de période (en 2030).
Cibles d'augmentations nettes d'effectifs du ministère des Armées (périmètre LPM)
(en ETP)
LPM |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
LPM 2019-2025 |
450 |
300 |
300 |
450 |
1 500 |
1 500 |
1 500 |
- |
- |
- |
- |
- |
6 000 |
LPM 2024-2030 |
- |
- |
- |
- |
- |
700 |
700 |
800 |
900 |
1 000 |
1 000 |
1 200 |
6 300 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les LPM 2019-2025 et 2024-2030.
La traduction des trajectoires de création d'effectifs prévue par les deux plus récentes LPM dans les faits est apparue difficile.
Programmation et exécution des schémas d'emplois depuis 2019
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.
Sur la période 2019-2023, la cible annuelle prévue en LPM a été respectée seulement lors des deux premières années. De 2021 à 2023, les schémas d'emplois négatifs réalisés (respectivement - 485, - 1 018 et - 2 515 ETP) se sont ainsi établis à un niveau très inférieur aux cibles d'augmentation nette d'effectifs du ministère des armées prévus par la LPM 2019-2025 (respectivement + 300, + 450 et + 1 500 ETP). Au total, les effectifs ont connu une diminution de - 4 018 ETP sur la période 2021-2023, contre + 2 250 ETP prévus en LPM, soit un écart de près de 6 300 ETP en trois ans.
Au regard des difficultés constatée dans la politique d'augmentation des effectifs lors des années précédentes, la prévision de schéma d'emplois inscrite au PLF 2024 était de + 456 ETP (dont 26 ETP dédiés au SIAé et 30 ETP en vue de la réinternalisation de postes dans le domaine numérique), dont + 400 ETP sur le périmètre de la LPM, soit 300 ETP de moins que ne le prévoyait cette dernière. Le PLF pour 2025 a quant à lui prévu un schéma d'emplois de + 700 pour 2025 (en incluant toutefois + 70 ETP ne relevant pas du périmètre du ministère des armées), soit un niveau relativement conforme à la LPM, et supérieur de 300 ETP à celui prévu en 2024.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, le schéma d'emplois prévu par la LFI pour 2024 a été respecté et même dépassé, s'établissant à + 479 ETP (sur le périmètre des + 456 ETP prévus en LFI). Ce niveau demeure inférieur à celui prévu en LPM mais la dynamique constatée est plus favorable qu'en 2023, le nombre de sorties ayant été moins élevé qu'initialement prévu. L'atteinte d'un niveau de schéma d'emploi exécuté supérieur a d'ailleurs surtout été empêchée par la consommation de l'ensemble des crédits de masse salariale disponibles et non par une incapacité à recruter davantage. En 2024, le nombre de sorties s'est établi à 37 225 ETP, en baisse nette de 9 % par rapport à 2023, tandis que le nombre d'entrées, qui a fait l'objet d'une régulation pour éviter de dépasser l'autorisation budgétaire, a atteint 37 704 ETP, en baisse de 1,7 % par rapport à 2023. Sur les 479 ETP créés, 296 relèvent des domaines prioritaires identifiés par la LPM et 183 des autres domaines, selon la Cour des comptes79(*).
Le rapporteur spécial rappelle toutefois que bien que le ministère présente les résultats de 2024 comme positifs, ce qu'ils sont dans une certaine mesure, l'effectif total réalisé à fin 2024 reste très en-deçà des objectifs fixés par la LPM, essentiellement du fait de la très forte sous-réalisation de son schéma d'emplois en 2023.
Évolution des effectifs du ministère des armées de 2019 à 2030 (périmètre LPM)
(en ETP)
Note : périmètre LPM (hors volontaires du service militaire volontaire et apprentis), SIAé compris.
Source : Cour des comptes80(*), d'après les données du ministère des armées.
b) Une trajectoire de hausse du nombre de réservistes tenue à ce jour
Outre la progression des effectifs du ministère des armées, l'article 7 de la LPM a prévu un objectif de doublement de la réserve (+ 40 000), l'effort annuel étant nettement concentré sur la fin de période. L'objectif consacré par le même article est de porter le nombre de volontaires à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l'objectif d'un pour deux militaires d'active.
Chronique de la hausse du nombre de volontaires de la réserve opérationnelle
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
+ 3 800 |
+ 3 800 |
+ 4 400 |
+ 5 500 |
+ 6 500 |
+ 7 500 |
+ 8 500 |
+ 40 000 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030
En 2024, le nombre de réservistes s'établit à 43 797, conformément à la trajectoire prévue en LPM (43 800 en 2024)81(*). Cette dynamique devra être renforcée dans les prochaines années, la trajectoire prévue concentrant les plus fortes augmentations annuelles d'effectifs en fin de période.
c) Un effet cliquet des dépenses liées aux politiques d'attractivité et de fidélisation des personnels du ministère à prendre en compte pour la soutenabilité des dépenses de personnel
Afin d'atteindre les objectifs visés, l'article 7 de la LPM précise que l'effort de transformation de la ressource humaine est poursuivi, « notamment afin de renforcer la fidélisation, l'expertise et l'adaptabilité des agents civils et militaires du ministère ». Il est en outre prévu par cet article, comme cela avait déjà été fait dès 2023, que le ministère de la défense peut employer les crédits rendus disponibles par une sous-réalisation de ses cibles d'effectifs pour renforcer son attractivité et la fidélisation de ses agents.
Dans ce cadre, le ministère a effectivement mis en place dans les dernières années des mesures générales et catégorielles, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et la revalorisation de grilles indiciaires, en plus des mesures transversales à la fonction publique.
Le rapporteur spécial est conscient de la nécessité de recourir à des mesures d'attractivité et de fidélisation des personnels. Néanmoins, il constate que leur ampleur est un enjeu fort de soutenabilité des dépenses de personnel pour l'avenir, notamment dans la mesure où elles présentent un effet « cliquet » de nature à renchérir significativement les futurs recrutements.
Ainsi, alors que la prévision de dépenses de masse salariale (donc hors CAS « Pensions ») correspondait en 2024 au schéma d'emplois prévu en LPM82(*), à savoir + 700 ETP, l'ensemble des crédits correspondants ont été consommés, alors que le schéma d'emplois réalisé est de + 479 ETP. Si d'autres facteurs ont contribué à cette situation, notamment la sous-évaluation du coût des OPEX et MISSINT, elle illustre le risque financier engendré par le coût des mesures incitatives.
Entre 2021 et 2024, les crédits de personnel annuels exécutés, hors CAS « Pensions », sont en hausse de plus de 1,4 milliard d'euros (de 12,577 milliards d'euros à 13,994 milliards d'euros), soit + 11,3 %, alors que le nombre d'ETP total a baissé de 271 694 à 266 762 ETP, soit de 1,8 %. Schématiquement, le coût des dépenses de personnel est ainsi passé en trois ans de 46 292 euros par ETP et par an à 52 458 euros, correspondant à une hausse de 13,3 %.
En 2024, les crédits exécutés au titre des dépenses de personnel, hors CAS « Pensions », ont augmenté de 4,0 %, soit de près de 557 millions d'euros, alors même que la hausse d'effectifs a été très modeste. Les mesures catégorielles ont représenté un coût de 401 millions d'euros, notamment au titre de la NPRM. En outre, le ministère a augmenté son taux de personnel de niveau supérieur, tant pour les militaires que les civils, en 2024.
Ces éléments sont de nature à interroger la soutenabilité financière des hausses programmées d'effectifs, au regard de l'effet cliquet des politiques de hausse de rémunération au titre de l'attractivité et de la fidélisation.
Recommandation n° 5 : Communiquer au Parlement la trajectoire actualisée des dépenses de personnel prévues pour la période de programmation (ministère des armées)
3. Une hausse très progressive de la préparation opérationnelle des forces et de la disponibilité des matériels
La LPM porte des objectifs, dont certains sont modestes, tenant à la préparation opérationnelle, à la disponibilité des matériels, et aux capacités opérationnelles83(*). Leur atteinte est pour partie entravée par des difficultés techniques et budgétaires et leur réalisation souffre d'un manque de transparence.
a) Une transparence devenue très limitée en matière de préparation opérationnelle des forces et de disponibilité des matériels
À l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2024, le projet annuel de performances de la mission « Défense », qui lui était annexé, comportait une refonte de la maquette de performance du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces », qui s'est accompagnée d'une interruption de la publication des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité technique des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part. Le budget pour 2025 n'est pas revenu sur cette décision.
Pour les années postérieures à 2022, ces données, désormais classées « diffusion restreinte - spécial France » restent accessibles aux parlementaires des commissions chargées de la défense et à certains parlementaires des commissions des finances appelés à en connaître84(*) mais ne sont plus disponibles en source ouverte et ne peuvent pas être publiées.
À l'occasion d'auditions du rapporteur spécial dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances, il lui avait été indiqué que le ministère des armées, dans un souci de transparence, aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté » en publiant ainsi des éléments de nature à révéler de façon assez précise notre potentiel militaire à nos compétiteurs.
Comme il l'a récemment rappelé85(*), le rapporteur spécial est bien entendu sensible à cet enjeu, même s'il n'est pas certain que la protection des données au titre de la mention « Diffusion restreinte », qui ne relève pas du secret de la défense nationale, suffise à empêcher nos principaux concurrents internationaux d'avoir in fine accès à ces informations.
Or, en l'état, ce changement a en revanche bel et bien pour conséquence de priver le débat budgétaire d'informations importantes et de réduire la capacité du Parlement à contrôler et à évaluer les politiques mises en oeuvre.
Le rétablissement de l'information du Parlement à un niveau suffisant apparait ainsi indispensable pour que la représentation nationale puisse en tirer les conséquences budgétaires et législatives. C'est aussi l'intérêt des forces armées de permettre un contrôle effectif du niveau de disponibilité de leurs matériels, par nature favorable à son amélioration.
Recommandation n° 6 : Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité effective des matériels militaires et sur le niveau d'activité des forces armées pour en tirer les conséquences nécessaires, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents (ministère des armées)
Cette dynamique de réduction de la documentation de la performance physico-financière de la mission « Défense » est d'ailleurs plus large, comme le rappelle la Cour des comptes86(*). En effet, depuis l'adoption de la LPM 2024-2030, ne sont en outre plus publiées la trajectoire des crédits d'équipement et celle des reports de charges87(*) et des restes à payer.
Le rapporteur spécial regrette cette évolution, qui entre en outre en contradiction frontale avec la hausse de la part des dépenses de défense dans le budget de l'Etat.
b) En dépit de progrès, une atteinte des objectifs en partie ralentie
(1) Un niveau de disponibilité des matériels encore inégal et pas toujours satisfaisant
Alors que la LPM 2024-2030 porte un objectif de hausse du niveau des disponibilité des matériels, comme l'avait montré le rapporteur spécial dans un rapport récent de contrôle sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires88(*), la disponibilité technique opérationnelle (DTO)89(*) des équipements militaires ne s'est pas réellement améliorée sur les dernières années d'un point de vue global, jusqu'en 2022, dernière année pour laquelle les données peuvent être divulguées90(*).
Le rapporteur spécial constatait que, certes, les efforts portés sur le MCO ont produit des effets réels. Le niveau de disponibilité de certains parcs d'équipements a effectivement progressé, à l'image du Rafale. Néanmoins, d'un point de vue global, les données fournies par l'indicateur de DTO91(*) étaient insatisfaisantes, et ce pour les trois armées. À fin 2022, sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, correspondant à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels, tandis que 12 avaient une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 %.
Or, si ce constat d'une DTO générale insuffisante n'est ni nouveau ni spécifique à la France, ce niveau ne s'est pas amélioré globalement entre 2014 et 2022.
Évolution de la disponibilité
technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements
structurants de l'armée de terre
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.
Les travaux menés par le rapporteur spécial dans le cadre du présent rapport ont été l'occasion de constater que si des progrès sont en cours, ces constats apparaissent toujours pertinents, ce qui peut être expliqué notamment par les caractéristiques du parc de matériel (marqué par la coexistence de matériels en partie hétérogènes et de générations différentes, dont certains sont très vieillissants et d'autres très jeunes), un niveau technologique des matériels qui tend à progresser de façon continue, les limites de capacités de maintenance au sein la BITD française et européenne et la pratique des cessions non anticipées de matériels à des pays étrangers qui alourdissent les besoins en MCO des équipements restants dans le parc, davantage sollicités.
Cette situation induit de facto des capacités réduites d'engagement, d'entraînement et de formation, dans un contexte pourtant marqué par un risque d'engagement majeur.
(2) Des objectifs modestes de hausse de la préparation opérationnelle dont la réalisation n'est aujourd'hui pas garantie
Dans le cadre de la volonté, dans un contexte de durcissement géostratégique, de renforcer la préparation opérationnelle et donc le niveau d'activité et d'entraînement des forces, la LPM a prévu de rehausser les normes d'activité annuelles dans plusieurs domaines. En outre, elle prévoit une augmentation de leur qualité en termes notamment de matériels utilisés et d'entraînements du « haut du spectre » de la conflictualité.
D'un point de vue quantitatif, la LPM prévoit en particulier 19 normes d'activité annuelle qui visent à augmenter l'activité constatée en 2030 par rapport à 2023. Il convient de noter que ces normes sont pour certaines assez modestes et sont d'ailleurs très proches de celles établies dans le cadre de la programmation précédente, à l'exception notamment de celle des pilotes de chasse de la marine, qui passent de 180 à 200 heures par an.
Exemples de normes d'activités prévue par la LPM 2024-2030
Milieu |
Type |
Cible 2023 |
Normes et heures visées en 2030 |
Terrestre |
Journées d'activité du combattant terrestre (JACT) |
Nouvel indicateur |
120 |
Naval |
Jours de mer par bâtiment |
90 |
100 |
Aéronautique / armée de terre |
Heures de vol par pilote d'hélicoptère forces conventionnelles |
144 |
200 |
Aéronautique / marine nationale |
Heures de vol par pilote de chasse de l'aéronavale |
188 |
200 |
Heures de vol par équipage d'hélicoptère |
218 |
220 |
|
Aéronautique / armée de l'air et de l'espace |
Heures de vol par pilote de chasse |
147 |
180 |
Heures de vol par pilote de transport |
189 |
320 |
|
Heures de vol par pilote d'hélicoptère |
181 |
200 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la déclinaison interne au ministère des armées des objectifs du renforcement de la préparation opérationnelle prévoit que si cette dernière doit se traduire sur le plan qualitatif dès 2024, elle ne se produira sur le plan quantitatif qu'à compter de 2028. Le rapporteur spécial, conscient des enjeux budgétaires et de disponibilité des matériels afférents, considère néanmoins que ce renvoi à 2028 entre en contradiction avec les impératifs posés par le contexte géostratégique. La marine nationale précise ainsi que son niveau d'activité de 2025 sera le même qu'en 202392(*).
Évolution
du niveau d'activité de différents types de personnels
des
forces armées entre 2014 et 2022
(en heures ou en jours)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Concrètement, le niveau d'activité restera éloigné des normes fixées pour un certain nombre de capacités, parmi lesquels les heures de vol des pilotes de transport et de chasse de l'armée de l'air, mais également celles des pilotes d'hélicoptère des forces conventionnelles de l'armée de terre, parmi d'autres.
D'un point de vue qualitatif, l'acquisition de nouveaux matériels est de nature à améliorer la préparation opérationnelle des armées, dans la mesure où elle leur permet de s'entraîner sur leurs futurs moyens de combat. De même, la réalisation effective d'exercices de grande ampleur a permis de renforcer la préparation opérationnelle de nos armées, par exemple à l'occasion des exercices Dragon 24 et Nordic Response. En 2025, d'autres exercices de ce type sont prévus93(*).
Néanmoins, les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que la préparation opérationnelle des forces armées est aujourd'hui encore entravée par des enjeux tenant au trop faible nombre d'heures d'activité et d'entraînement, à des problèmes de nombre et de disponibilité des matériels et à des problématiques budgétaires.
En 2024, si l'armée de terre indique ainsi satisfaire l'objectif en respectant 70 % de la norme de 2030 dans le domaine terrestre94(*), la marine nationale indique que les objectifs d'activités atteints en 2024 sont sensiblement inférieurs à ceux prévus, en raison de difficultés techniques persistantes et du scenario de fin de gestion (crédits gelés et couverture partielle des surcoûts opérationnels et soutien à l'Ukraine). À titre d'exemple, les navires patrouilleurs, les avions Atlantique 2 et les hélicoptères NH90 ont connu des problèmes de disponibilité qui ont réduit les capacités d'entraînement.
S'agissant des capacités opérationnelles, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, l'armée de terre prévoit de disposer d'une brigade interarmes « bonne de guerre » en 2025 projetable en 10 jours et d'une division en 30 jours en 2027, ce qui apparaît cohérent avec les objectifs fixés par la LPM en cas d'engagement majeur.
C. AU TOTAL, UNE ADÉQUATION DES RESSOURCES FINANCIÈRES EFFECTIVEMENT OCTROYÉES AUX OBJECTIFS FIXÉS QUI INTERROGE
Si l'exécution du début de période de la programmation est globalement conforme à son esprit et permet des avancées indéniables et nécessaires, elle est néanmoins caractérisée, dans un contexte de contraintes fortes pesant sur les finances publiques, par une très forte tension - se manifestant par une hausse du report de charges très significative - et une rigidification pesant sur les crédits de la mission « Défense ». Elle l'est également, d'un autre côté, par des écueils tenant à l'acquisition de certains types de matériels, à la tenue des cibles de hausse d'effectifs prévues en LPM et à la réalisation effective des objectifs de rehaussement de la préparation opérationnelle et de disponibilité des matériels.
Ces tensions pesant sur les deux volets de la programmation physico-financières de la LPM témoignent de la matérialisation des limites de celle-ci en exécution.
D'une part, l'enveloppe budgétaire prévue dans la LPM 2024-2030 était de 400 milliards d'euros, et non de 413,3 milliards d'euros. Or, les 13,3 milliards d'euros de ressources complémentaires présentent par nature une probabilité de réalisation moindre que les crédits, comme le montre d'ailleurs les éléments évoqués supra. En outre, la prise en compte dans ces ressources complémentaires des reports de charges constitue une fragilité initiale de la programmation.
D'autre part, l'exécution de la LPM se déroule dans un environnement dégradé du point de vue des finances publiques. En effet, son début d'exécution intervient alors que les niveaux de déficit public et d'endettement sont particulièrement élevés en France. Il en résulte une difficulté pour le ministère des armées pour obtenir l'ensemble des crédits qu'il sollicite, notamment au titre des surcoûts constatés en cours d'année. Même si, jusqu'ici, cette situation n'a pas conduit à renoncer aux ambitions capacitaires du fait de la mobilisation importante du report de charges, la réduction de 5,7 milliards d'euros des dépenses de l'agrégat « Équipement » prévu par l'A2PM 2024 - et qui ne sera pas sans conséquence capacitaires - peut être interprété comme une première conséquence matérielle à moyen terme de cette situation.
Une enveloppe pleine et entière de 413,3 milliards d'euros complétée par des abondements complémentaires couvrant l'intégralité des surcoûts en exécution serait peut-être compatible avec les objectifs fixés en LPM dans un environnement présentant pas ou peu d'aléas. Dans la réalité du début d'exécution de la LPM, l'adéquation entre les ressources et les objectifs prévus peut en revanche être questionnée. Et ce alors même que se pose aujourd'hui la question du caractère potentiellement insuffisant des capacités des armées visées par la LPM, au regard du nouveau contexte stratégique en Europe tel qu'il résulte des déclarations du nouveau président américain Donal Trump sur la protection de l'Europe.
III. TOUT NOUVEL EFFORT BUDGÉTAIRE EN FAVEUR DE LA DÉFENSE DEVRA RESTER SOUTENABLE POUR LES FINANCES PUBLIQUES ET ÊTRE INTÉGRÉ À UN CADRE STRATÉGIQUE RENOUVELÉ
Alors que l'environnement stratégique s'est significativement détérioré depuis quelques années95(*), et tandis que la trajectoire budgétaire de la LPM 2024-2030 prévoit une progression continue des crédits annuels en faveur de la défense jusqu'en 2030, les dépenses militaires sont orientées à la hausse en Europe et dans le monde depuis 2022.
Plus récemment, face au très net amoindrissement de la crédibilité de la protection américaine de l'Europe depuis la prise de fonction de Donal Trump comme 47e président des Etats-Unis en janvier 2025, et à l'hostilité déclaratoire du président russe à l'égard de l'Europe, de nombreux chefs d'États et de Gouvernement du continent ont évoqué la nécessité de renforcer plus vigoureusement les dépenses de défense, y compris le président de la République, Emmanuel Macron.
En France, si l'augmentation des dépenses de défense au-delà de la trajectoire de la LPM doit être examinée, dans un environnement de sécurité en Europe qui a profondément évolué depuis l'adoption de cette loi, il convient toutefois de s'assurer que l'effort en faveur des armées reste soutenable et crédible, et qu'il s'appuie sur une analyse stratégique renouvelée en France et en Europe.
En outre, pour garantir une certaine autonomie stratégique et faire bénéficier l'économie européenne de l'effort de défense, il est indispensable de créer rapidement les conditions de la poursuite de la montée en charge de l'industrie de défense en France et en Europe. Aux enjeux de financement tenant aux dépenses militaires étatiques (qu'il provienne d'argent public ou de financements privés, par exemple dans le cadre d'un éventuel grand emprunt) s'ajoutent ainsi ceux, distincts, relatifs à la base industrielle et technologique de défense (BITD), que ce financement provienne, là encore, d'argent privé ou d'argent public (dans le cadre d'un fonds public d'investissement en fonds propres par exemple).
Plus largement, la manière de dépenser importera fortement, qu'il s'agisse du format d'armées souhaité et de leur articulation continentale, de l'équilibre recherché entre capacités de pointe et la masse des matériels ou encore du choix des pays européens quant aux modalités d'acquisition des matériels.
A. QUELLE QUE SOIT SON AMPLEUR, LA HAUSSE DES CRÉDITS ANNUELS EN FAVEUR DES ARMÉES DEVRA ÊTRE SOUTENABLE ET CRÉDIBLE ET S'APPUYER SUR UNE LÉGITIMITÉ FORTE
1. L'accélération de la dégradation du contexte stratégique en 2025 a conduit de nombreux États d'Europe, y compris la France, à envisager un net renforcement de la progression des dépenses militaires, amorcée dès 2022
a) Un contexte stratégique qui s'est récemment fortement détérioré en Europe sous l'impulsion militaire de la Russie, en 2022, puis des déclarations des Etats-Unis sur la protection de l'Europe, en 2025...
L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors a constitué un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe et marqué le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe. Plus largement, elle s'est inscrite dans un monde désormais caractérisé par des conflits placés sous le triple signe du retour du fait nucléaire, de la haute intensité et de l'hybridité des stratégies, combinant actions militaires et non militaires.
Dans ce contexte, plusieurs prises de position du nouveau président américain Donald Trump et de son administration en début d'année 2025 ont en outre réduit la crédibilité de la protection militaire américaine de l'Europe, y compris au regard de l'article 5 du traité de l'OTAN, qui prévoit une assistance militaire mutuelle entre les États membres en cas d'agression.
L'OTAN, le coeur de la défense de l'Europe
L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord est une entité politico-militaire établie par le traité de l'Atlantique Nord, signé le 4 avril 1949, à des fins de défense et de sécurité collectives des États membres.
L'OTAN, qui comptait initialement 12 membres fondateurs, en comprend aujourd'hui 32, dont 29 pays d'Europe (y compris la Finlande et la Suède, qui ont rejoint l'Alliance respectivement en 2023 et 2024), la Turquie, le Canada et les Etats-Unis. Seuls 4 pays membres de l'Union européenne ne sont pas membres de l'OTAN : l'Irlande, l'Autriche, Malte et Chypre.
L'article 5 du traité stipule que « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord. »
L'OTAN constitue ainsi le pilier de la défense collective de l'Europe.
Source : commission des finances.
Si, cette évolution stratégique majeure, postérieure à l'adoption de la LPM, ne semble pas nécessairement concerner la protection nucléaire, elle questionne directement la protection conventionnelle du continent, que le président américain a conditionné à un très fort renforcement des dépenses militaires des États européens, la moitié des dépenses totales de l'OTAN étant aujourd'hui assuré par les Etats-Unis.
b) ...conduisant à une hausse des dépenses militaires à compter de 2022, sans remettre en cause les grands équilibres...
(1) Une claire hausse des dépenses de défense à compter de 2022, tant en proportion du PIB qu'en volume...
Dans un contexte stratégique déjà détérioré, les dépenses militaires ont pris une trajectoire ascendante à compter de 2022 et surtout de 2023 dans de nombreux pays du monde, y compris en proportion du PIB. Au niveau mondial, la part des dépenses militaires est ainsi passée d'environ 2,2 % du PIB en 2021 à 2,5 % en 2024. Cette même année, les dépenses militaires mondiales ont représenté 2 718 milliards de dollars96(*). Les dépenses militaires en Europe (Russie incluse) ont augmenté de 17 % pour atteindre 693 milliards de dollars et sont le principal facteur de la hausse au niveau mondial en 2024.
Pour ce qui concerne les pays membres de l'OTAN, la plupart d'entre eux ont connu une hausse de la part des dépenses militaires en proportion du PIB entre 2022 et 2024, permettant à certains, comme l'Allemagne et la France, de franchir l'objectif de 2 %.
Évolution de la part des dépenses militaires pour plusieurs pays de l'OTAN entre 2022 et 2024 dans la richesse nationale
(en proportion du PIB, aux prix de 2021)
Source : commission des finances, d'après les données de l'OTAN.
En 2024, sur les 32 membres de l'Alliance, 23 atteignent la cible de 2 % (soit 72 %) alors qu'en 2022, ils étaient 8 sur 30 membres (soit 27 %). Au total, les dépenses des membres de l'OTAN hors Etats-Unis s'établissent à 2,0 % de leur PIB cumulé en 2024, contre 1,63 % en 2022. En 2024, la France se situe au 20e rang des membres de l'Alliance en termes d'effort de défense en proportion du PIB.
La tendance à la progression des dépenses de défense se traduit également dans leur volume. Si c'est en particulier le cas s'agissant de la Russie, cela est vrai dans de nombreux autres pays, parmi lesquels le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France.
Dépenses militaires dans sept pays entre 2019 et 2024
(en millions de dollars américains de 2023)
Source : commission des finances d'après les chiffres du SIPRI.
Alors que la Russie dépensait autant en matière de défense que le Royaume-Uni en 2019, elle a dépensé deux fois plus en 2024 ; durant la même période, l'Allemagne, qui dépensait la même somme que la France en 2019, a dépensé nettement plus en 2024, et a dépassé le Royaume-Uni.
À l'échelle de l'OTAN, en 2024, la France se situe au 4e rang des pays dépensant le plus pour leur défense, derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni, et devant la Pologne, l'Italie, la Turquie et l'Espagne. À l'échelle mondiale, c'est le neuvième pays le plus dépensier : outre les trois pays précités, la Chine, la Russie, l'Inde, l'Arabie Saoudite et l'Ukraine (quasiment à égalité) dépensent davantage que la France.
(2) ... qui ne remet pas en cause les différences d'effort entre pays
Si les tendances sont globalement cohérentes aux niveaux mondial et européen, il n'en demeure pas moins que les efforts consentis par chaque pays demeurent aujourd'hui très disparates, s'étendant, hors petits pays insulaires, de 0,24 % du PIB pour l'Irlande à 34,5 % pour l'Ukraine, suivi d'Israël (8,8 %), en 2024.
Les écarts sont encore plus manifestes en valeur absolue des dépenses militaires. En 2024, les dépenses françaises représentent environ 6,5 % des dépenses américaines, 43,5 % des dépenses russes, 73 % des dépenses allemandes, 79 % des dépenses du Royaume-Uni, 100 % des dépenses ukrainiennes et 170 % des dépenses italiennes.
Montant estimé des budgets militaires de plusieurs pays, en 2024
(en milliards de dollars américains de 2023)
Source : commission des finances, d'après les données du SIPRI et de l'OTAN (pour le chiffrage des dépenses de l'OTAN sans les Etats-Unis).
Ces différents éléments illustrent le fait que si la trajectoire prévue en LPM présente une augmentation notable des dépenses, celle-ci n'est pas de nature à modifier sensiblement la place de la France à l'échelle mondiale dans l'effort de défense, ni en proportion de la richesse nationale, ni en volume de dépenses. En effet, le niveau initial de l'effort de défense en 2024, associé à une augmentation rapide des dépenses militaires dans de nombreux pays depuis 2022, en réduit fortement la portée comparative. À titre d'illustration, l'effort de défense annuel allemand a augmenté d'environ 19 milliards d'euros en un an entre 2023 et 202497(*), soit l'équivalent de l'écart des crédits annuels prévu en LPM entre 2024 et 2030 (20,2 milliards d'euros). Néanmoins, le Royaume-Uni n'a quant à lui augmenté son effort que de 2,1 milliards d'euros, contre 3,5 milliards d'euros pour la France, mais son niveau initial était plus élevé.
Les efforts complémentaires très importants annoncés par de nombreux pays européens à l'occasion des déclarations de Donald Trump sur la protection américaine de l'Europe sont également de nature à modérer le poids relatif des hausses de dépenses de défense prévues en LPM.
c) ...puis à l'annonce d'importants efforts complémentaires à compter de 2025, dont la matérialisation reste à être constatée
(1) Au sein de l'OTAN, en Europe...
Dans le contexte déjà détérioré de l'environnement stratégique en Europe, les annonces américaines de début 2025 remettant en cause ou conditionnant fortement la protection de l'Europe par les Etats-Unis a conduit à un large mouvement d'annonces de hausse à venir des dépenses militaires sur le continent.
D'une part, à l'échelle de l'OTAN, l'objectif fixé en 2006 et 201498(*) de 2 % de dépenses de défense en proportion du PIB devrait être nettement relevé à l'occasion du sommet de la Haye, à la fin du mois de juin 2025. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, a ainsi évoqué en février dernier un objectif qui pourrait s'établir à un niveau « considérablement plus élevé que 3 %99(*) ». Dans le même temps, le président américain Donald Trump et son administration100(*) prônent un objectif de 5 % pour les membres de l'OTAN, hors Etats-Unis, contre 2,0 % en 2024.
Pour mémoire, en 2024, il aurait fallu que les membres de l'OTAN, hors Etats-Unis, dépensent 371 milliards de dollars supplémentaires pour atteindre une cible à 3,5 points de PIB et 748 milliards de dollars de plus pour parvenir à une cible de 5 points de PIB.
D'autre part, de nombreux chefs d'Etat et de Gouvernement ont annoncé début 2025 une forte hausse à venir de leurs dépenses militaires, qui reste pour l'essentiel à être concrétisée. Peuvent notamment être cités :
- l'Allemagne, qui a réformé le mécanisme du « frein à la dette » pour lui permettre d'augmenter d'environ 45 milliards d'euros par an ses dépenses de défense ;
- le Royaume-Uni, qui souhaite atteindre la cible de 2,5 % du PIB en 2027 (contre 2,3 % en 2024) ;
- le Danemark, qui cible un objectif de 3 % du PIB dès 2025 (contre 2,4 % en 2024) ;
- la Suède, qui désire établir ses dépenses militaires à 3,5 % du PIB en 2030 (contre 2,3 % en 2024) ;
- la Finlande, qui vise 3 % du PIB d'ici 2029 (contre 2,3 % en 2024) ;
- ou encore l'Estonie, qui cherche à atteindre 5,4 % du PIB en 2029 (contre 3,4 % aujourd'hui).
(2) ...et en France
S'agissant de la France, le président de la République, Emmanuel Macron, a évoqué début mars 2025 un objectif de 3 % à 3,5 % de dépenses militaires en proportion du PIB pour les États européens, y compris la France.
Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a quant à lui déclaré qu'« un horizon autour de 100 milliards d'euros par an constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises ». Pour mémoire, ce montant correspondrait, en 2025, à environ 3,35 % du PIB. Lors de la conférence nationale des finances publiques du 15 avril 2025, le Premier ministre François Bayrou, a quant à lui indiqué que « Le Gouvernement affirme ses choix pour répondre à l'effort nécessaire : respecter les engagements prix dans le cadre de la loi de programmation, prendre notre part de la remise à niveau en tenant compte les efforts que la France a déjà consentis, par exemple pour notre force de dissuasion, ce qui signifiera sans doute un effort de quelques 3 milliards d'euros supplémentaires l'année prochaine », sans qu'il ne puisse être déterminé avec certitude s'il s'agit là de la marche annuelle prévue en LPM pour 2026 ou d'un effort complémentaire à celle-ci.
2. L'effort de défense devra s'appuyer, tant à l'échelle européenne que française, sur une vision stratégique et une légitimité forte
Quel que soit l'ampleur de l'effort de défense qui sera finalement acté aux échelles européenne et française - respect de la trajectoire de la LPM ou effort complémentaire -, l'évolution de la position américaine sur la défense de l'Europe et le caractère de plus en plus dégradé du contexte stratégique impose de redéfinir notre cadre stratégique. Les décisions budgétaires en découlant doivent en outre résulter d'une saisine pleine et entière du Parlement, condition de leur légitimité.
a) La stratégie de défense de l'Europe doit être renouvelée, à l'échelle des États européens et de l'OTAN
Si de nombreux États européens ont annoncé une nette hausse à venir de leurs budgets militaires et que de nombreuses réunions ont eu lieu au niveau des chefs d'États et de gouvernements à l'échelle européenne, de même qu'à celui des états-majors des armées, il manque aujourd'hui une véritable stratégie de défense de l'Europe.
Certes, la Commission européenne a présenté à la mi-mars 2025 un Livre blanc pour la défense européenne, qui n'est pas dépourvu de mérite, notamment en ce qu'il reprend la liste des besoins capacitaires établie à l'échelle du Conseil européen et donc des États-membres.
Le « livre blanc pour une défense européenne »
Alors que le plan « Rearm Europe / Préparation à l'horizon 2030 » prétend déployer de nouvelles capacités financières pour investir dans le domaine de la défense101(*), le livre blanc « pour une défense européenne » vise à déployer une approche stratégique à l'échelle continentale.
Présenté le 19 mars 2025 par la Commission européenne, le document énonce plusieurs grandes lignes d'action :
- combler les lacunes en matière de capacités militaires, l'accent étant mis sur les capacités critiques recensées par les États membres, à savoir la défense antiaérienne et antimissile, les systèmes d'artillerie, les munitions et missiles, les drones et systèmes anti-drones, la mobilité militaire, l'intelligence artificielle, l'informatique quantique, la cyberdéfense, la guerre électronique, les facilitateurs stratégiques (les « strategic enablers »)102(*) et la protection des infrastructures critiques, incluant le transport stratégique, le ravitaillement en vol, la connaissance du milieu maritime et les capacités spatiales ;
- soutenir l'industrie européenne de la défense par un regroupement de la demande et une augmentation de la passation collaborative de marchés publics, de nature à renforcer l'interopérabilité des matériels ainsi qu'à réduire les coûts ;
- soutenir l'Ukraine par une assistance militaire accrue et une intégration plus poussée des industries européenne et ukrainienne de la défense ;
- approfondir le marché de la défense à l'échelle de l'UE, notamment en simplifiant la réglementation ;
- accélérer la transformation de la défense au moyen d'innovations de rupture telles que l'IA et la technologie quantique ;
- faire en sorte que l'Europe soit mieux préparée aux scénarios les plus pessimistes, en améliorant la mobilité militaire, en constituant des stocks et en renforçant les frontières extérieures, notamment la frontière terrestre avec la Russie et la Biélorussie ;
- renforcer le partenariat avec des pays du monde entier qui partagent les mêmes valeurs.
Source : commission des finances, d'après le livre blanc pour une défense européenne et les informations de la Commission européenne.
Il s'inscrit toutefois dans un cadre institutionnel qui n'est pas le plus adapté. En effet, la défense de l'Europe ne relève pas des compétences de la Commission européenne, ni même réellement de l'Union européenne, mais des États européens, ainsi que de l'OTAN. C'est à ces échelles que des décisions stratégiques devront être prises pour la sécurité de l'Europe.
Des compétences de l'Union européenne en matière de défense principalement limitées aux enjeux industriels et de financement
Si l'Europe a connu des projets de politique commune en matière de défense, à l'image de la Communauté européenne de défense en 1954, les communautés européennes puis l'Union européenne ne disposent que de peu de compétences en la matière, même si elles ont été un peu étendues au fil du temps.
Après le traité de Maastricht, qui a introduit une « définition progressive » d'une politique de défense commune, qui a donné naissance à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), le traité de Lisbonne a institué une politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Selon l'article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE), la PSDC fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). « Elle assure à l'Union une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires », à laquelle l'UE peut avoir recours afin de permettre « le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la coopération internationale conformément aux principes de la Charte des Nations unies », en dehors de l'UE. Par ailleurs, l'Agence européenne de défense (AED), « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires ». Enfin, le même article précise qu'« au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies », étant précisé que « cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ».
Toutefois, « l'exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres », en l'absence d'armée commune. En outre, les décisions relatives à la PSDC, y compris celles portant sur le lancement d'une mission, sont adoptées par le Conseil statuant à l'unanimité, ce qui renvoie de fait la compétence à l'ensemble des États-membres.
Ainsi, si l'article 42 du TUE stipule que la PSDC « inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union » et « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi », la défense relève aujourd'hui de la souveraineté des États.
La souveraineté de ces derniers s'exprime en outre dans le fait que l'essentiel des États membres de l'Union européenne sont membres de l'Alliance atlantique, qui constitue en réalité l'organe central de défense de l'Europe aujourd'hui103(*). C'est d'ailleurs le sens du dernier paragraphe de l'article 42 du TUE, qui stipule que « Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ».
Conformément aux traités, l'Union européenne peut en revanche être amenée à jouer un rôle important en matière de modalités de financement des dépenses de défense (application du pacte de stabilité et de croissance, outils de prêts) et de politique industrielle, notamment s'agissant du financement de la BITD, y compris concernant les aspects normatifs, et de la mise en place de commandes groupées.
Source : commission des finances.
b) À l'échelle française, l'effort de défense doit reposer sur une analyse renouvelée des enjeux stratégiques et de l'efficience des dépenses
Il convient aujourd'hui, comme à l'échelle européenne, de faire un état des lieux stratégiques de la situation pour la France. Car avant de dépenser plus, il convient de s'assurer que l'on dépense utilement en fonction du nouveau contexte. Et ce, même si le choix était fait d'en rester à la trajectoire prévue en LPM.
(1) La nécessité d'une analyse renouvelée des enjeux stratégiques
Cette méthode, dont la nécessité n'a pas échappée sur le principe au pouvoir exécutif, a conduit le président de la République à demander en janvier 2025, pour le mois de mai 2025, au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) une actualisation de la Revue nationale stratégique (RNS), dont la dernière édition date de novembre 2022104(*). Au regard du temps court imparti par le président de la République pour cette actualisation, il faudra prendre garde à ce qu'elle soit suffisamment approfondie.
(2) La nécessité d'un effort de défense aussi efficient que possible
Sur la base de ce travail stratégique, il conviendra de déterminer les besoins militaires idoines, que ce soit en matériels, en effectifs ou encore dans l'organisation et les doctrines des armées. Face au durcissement du contexte militaire et aux limites pesant sur les possibilités d'augmentation du budget de la défense, il est nécessaire de s'assurer de façon encore plus exigeante que les dépenses de défense sont efficientes et permettent d'atteindre les objectifs stratégiques définis au moindre coût. Une telle démarche ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur le type de matériels acquis et sur le format des armées.
En premier lieu, s'agissant des matériels acquis, il convient aujourd'hui, d'une part, de réfléchir à une éventuelle modification de l'équilibre attendu entre le haut niveau technologique des matériels, pour un coût unitaire élevé, et leur disponibilité en « masse ». En effet, les conflits contemporains, marqués par des stratégies d'attrition, supposent de disposer de certains types de matériels en grand nombre, à l'image des drones à coûts modestes en Ukraine. Or, à ce jour, les armées françaises s'appuient majoritairement sur des parcs d'équipements limités, dont une part figure à la pointe de la technologie et est donc particulièrement exposée au risque d'attrition, par exemple en matière d'aéronefs, de missiles et de drones.
D'autre part, il conviendrait d'apporter une attention particulière aux modalités d'acquisition des matériels. En effet, les travaux menés par le rapporteur spécial ont permis de constater que pour certains matériels, le coût unitaire est fortement alourdi par un niveau élevé de spécifications complémentaires au modèle « de base » vendu par les industriels, ainsi que par le fait que peu d'exemplaires du même matériel sont commandés, renchérissant notamment le coût relatif des études associées. Une logique de « juste suffisance » des capacités des équipements pourrait ainsi être davantage privilégiée, pour une partie d'entre eux.
Une évolution maîtrisée de l'équilibre en faveur de la « masse » et de spécifications allégées des matériels supposerait une modification de la culture d'acquisition des armées, tant s'agissant des services du ministère, et en particulier de la direction générale de l'armement, que des industriels, habitués à des commandes du « haut du spectre » en nombre limité et sur le temps long.
Recommandation n° 7 : Envisager, pour certains besoins, un rééquilibrage partiel de la culture d'acquisition des armées au profit de matériels moins onéreux mais plus nombreux, dans le cadre d'une stratégie de juste suffisance des capacités des équipements (ministère des armées)
En second lieu, dans l'hypothèse d'un budget des armées demeurant limité, leur format pourrait éventuellement être interrogé s'agissant de la logique des capacités « différenciantes » à très haute valeur ajoutée. En effet, la France déploie aujourd'hui une forme de stratégie de « clubs » matérialisé par la volonté d'appartenir à des cercles fermés de capacités très spécifiques (dissuasion nucléaire, propulsion nucléaire des sous-marins et du porte-avions, capacités cyber et spatiales, etc.)105(*). Or, ces choix stratégiques opérés dans le cadre d'un budget limité conduisent, même pour une armée parfois qualifiée d'« embryonnaire » ou de « bonzaï » (force quasi-complète pouvant prendre en charge la quasi-totalité du spectre de mission mais disposant d'une faible épaisseur) des coûts fixes importants dans tous les domaines. En présence d'un budget limité, la marge de manoeuvre pour utiliser effectivement l'ensemble de nos capacités est en conséquence limitée. Néanmoins, le renoncement à une part de ces capacités serait de nature à rendre beaucoup plus difficile leur ré-acquisition ultérieure en cas de nécessité, du fait de pertes de compétences.
c) L'impératif de respecter pleinement les prérogatives du Parlement dans les modalités d'évolution de l'effort de défense
Si, à ce jour, le choix du Gouvernement n'est pas connu entre le respect de la trajectoire prévue en LPM ou une proposition d'effort de défense complémentaire, il est indispensable que le Parlement soit immédiatement saisi dès que des orientations auront été dégagées. Surtout, ses prérogatives décisionnelles en matière budgétaire devront être pleinement respectées.
Dans ce cadre, s'il advenait que le Gouvernement souhaite modifier la trajectoire prévue en LPM à compter de 2026 ou des années suivantes, il conviendrait de procéder soit à son actualisation par la voie parlementaire (la LPM le prévoyait pour avant la fin d'année 2027)106(*), soit, si les évolutions budgétaires étaient très substantielles, à l'examen d'une nouvelle LPM. En effet, si, comme le précise l'article 4 de la LPM, « la trajectoire de ressources budgétaires s'entend comme un minimum », il n'en demeure pas moins que cette trajectoire a été construite en cohérence avec des objectifs physiques mentionnés dans son rapport annexé, qui ont vocation à être modifiés en cas de hausse des crédits.
Recommandation n° 8 : Respecter pleinement les prérogatives législatives et budgétaires du Parlement s'agissant de la politique de défense, notamment en le saisissant rapidement dans l'hypothèse d'une proposition de modification de la trajectoire budgétaire prévue dans la LPM 2024-2030 (Gouvernement)
De même, dans l'hypothèse où de nouveaux crédits devaient être ouverts dès 2025 en faveur de la défense, la voie du projet de loi de finances rectificative (PLFR) devrait être privilégiée sur un décret d'avance. Certes, un tel décret peut permettre d'ouvrir des crédits supplémentaires jusqu'à 1 % des crédits ouverts par la LFI107(*), soit environ 8,1 milliards d'euros en CP et 8,4 milliards d'euros en AE en 2025, à condition que des crédits soient par ailleurs annulés au moins dans la même mesure. Cette solution priverait toutefois le Parlement de la possibilité de se prononcer sur les choix effectués et de les modifier108(*).
3. La nécessité de répondre aux écueils du début de période de la LPM en assainissant l'exécution budgétaire de la mission « Défense »
Comme cela a été développé supra, l'exécution du début de période de programmation est notamment marquée par une trop forte tension sur les crédits, un recours excessif au report de charges, et une rigidification marquée des dépenses, ne laissant aucune marge de manoeuvre pour faire face aux aléas et posant des questions de soutenabilité.
Dans ce contexte, il conviendra de s'assurer que la hausse des crédits annuels du budget de la défense est mobilisée en partie pour garantir la soutenabilité de l'exécution de la programmation, limiter le report de charges et recréer des marges de manoeuvre. Si, dans l'hypothèse où la trajectoire de la LPM n'était pas réhaussée, un certain ralentissement de la consommation des crédits engendrera un impact pour les armées, à défaut, le risque est grand de constater en fin de période de programmation qu'il aurait fallu en réalité une ou deux marches de plus pour financer l'ensemble des engagements pris. Il est en ce sens préférable, y compris pour les armées elles-mêmes, de s'assurer de la soutenabilité et donc de la crédibilité de la trajectoire plutôt que de devoir, à terme, mettre en pause les programmes par manque de crédits. En outre, même dans l'hypothèse où un effort supplémentaire était produit par rapport à la LPM, il conviendrait également de s'assurer qu'une part est bien mobilisée pour garantir la soutenabilité des dépenses et ainsi résister à la tentation de reproduire les mêmes schémas - avec les mêmes écueils - d'exécution des crédits.
4. Un effort de défense qui doit rester finançable
Si l'importance des menaces peut inciter à un effort de défense supplémentaire, il importe de s'assurer que celui-ci demeure effectivement finançable. La crédibilité et la prévisibilité de cet effort est d'ailleurs une condition de son effectivité et de la crédibilité internationale des capacités des armées. Cette préoccupation se pose avec une forte acuité en France, où les finances publiques sont dans un état particulièrement dégradé.
Schématiquement, le financement de la hausse des dépenses de défense peut en principe être assuré par trois biais, potentiellement cumulatifs :
- le recours au déficit public, ou à son aggravation, et donc à l'endettement public auprès des marchés ou des particuliers (par exemple dans le cadre d'un grand emprunt national) ;
- la hausse des prélèvements obligatoires ;
- la réduction des dépenses publiques autres que celles de défense.
a) Les défis des modalités de financement de l'effort de défense en Europe
(1) Une tendance historique : le financement des efforts de défense se fait en général par l'endettement et les impôts
Sur la base d'une analyse des données depuis 1870 dans 22 pays, les économistes Christoph Trebesch et Johannes Marzian indiquent dans une publication de février 2025109(*) que les 113 épisodes de montée en charge des dépenses militaires identifiés110(*) ont le plus souvent été financées par un mélange de hausse du déficit et des prélèvements obligatoires. En outre, plus l'effort en dépenses militaires a été important, plus il a été financé par le levier de l'endettement.
À l'inverse, la réduction des dépenses, notamment en matière sociale, a été rarement mobilisée. Les dépenses non-militaires tendent d'ailleurs plutôt en moyenne à augmenter concomitamment à l'effort militaire.
Évolution annuelle du solde public, des
prélèvements obligatoires et
des dépenses
non-militaires selon la mise en oeuvre d'un effort de guerre ou non
dans 22
pays
(en % du PIB)
Note : les chiffrages sont des estimations arrondies de ceux apparaissant dans l'étude. De légers écarts pourraient être constatés.
Source : commission des finances d'après l'étude de Marzian Trebesch (2025).
En période d'effort de défense, l'ensemble des grandes catégories de dépenses non-militaires répertoriées par l'étude tendent à augmenter, au demeurant de manière plus rapide qu'hors période d'effort (à l'exception des dépenses sociales et de santé, qui progressent un peu moins vite).
Évolution annuelle des dépenses militaires et des grandes catégories de dépenses non-militaires selon la mise en oeuvre d'un effort de guerre ou non dans 22 pays
(en % du PIB)
Note : les chiffrages sont des estimations arrondies de ceux apparaissant dans l'étude. De légers écarts pourraient être constatés.
Source : commission des finances d'après l'étude de Marzian, Trebesch (2025).
(2) Un contexte économique peu favorable
Les importants efforts de défense annoncés dans de nombreux pays d'Europe interviendraient dans un environnement économique contraignant, plus ou moins fortement en fonction des cas.
Du point de vue général, le caractère modeste des perspectives de croissance (tendance alourdie par les tensions commerciales initiées par le président américain Donald Trump) rendra les augmentations de dépenses de défense plus douloureuses pour le continent, même si elle facilitera, de façon paradoxale, la hausse du ratio de ces dépenses en proportion du PIB.
En outre, s'ajoutent à ces enjeux économiques les difficultés tenant à la situation dégradée des finances publiques de nombreux pays européens, en particulier en termes de taux d'endettement, bien que la situation soit hétérogène.
Comparaison de la part des dépenses
militaires et de l'endettement
en proportion du PIB dans plusieurs pays, en
2024
(en % du PIB)
Source : commission des finances, d'après les données de l'OTAN, d'Eurostat et sources diverses.
La mise en regard du taux d'endettement et de la proportion des dépenses de défense dans la richesse nationale permet de mesurer les marges de manoeuvre disponibles pour augmenter l'effort de défense par le biais de l'endettement. Ainsi, la très forte hausse de l'effort de défense polonais depuis 2022 a été permis par un niveau d'endettement relativement faible. De même, le niveau relativement maîtrisé de l'endettement de la Finlande et de l'Allemagne leur permet d'envisager de financer par la dette une partie de la hausse des dépenses. A l'inverse, la France - et de manière encore plus forte, l'Italie - se trouve dans une situation défavorable dans la mesure où son niveau d'endettement est déjà très élevé, alors même que son niveau d'effort de défense en proportion du PIB est aujourd'hui modéré en comparaison internationale.
(3) Un plan européen qui se fonde largement sur le déficit et l'endettement, tandis que les États envisagent à ce jour des modalités de financement variables
(a) Le plan ReArm Europe de la Commission européenne : pour l'essentiel, un allégement des contraintes pesant sur le recours au déficit et à l'endettement
En cohérence à la fois avec les tendances historiques des modalités de financement de l'effort de guerre et avec la nature des compétences de l'Union européenne en matière de défense111(*), la Commission européenne a présenté en mars 2025 un plan « ReArm Europe - Préparation à l'horizon 2030 », qui consiste principalement à assouplir les contraintes pesant sur le niveau du déficit et sur l'endettement des États pour ce qui concerne les investissements dans la défense.
Si les modalités précises de ce plan restent à être actées, il vise à augmenter les capacités de défense « pour répondre à l'urgence, mais également à plus long terme, tout au long de la décennie » en prévoyant :
- d'inviter les États à activer la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États membres d'augmenter sensiblement leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure de déficit excessif. Les États membres devront toutefois limiter ces écarts, d'une part, à l'augmentation des seules dépenses en matière de défense, en prenant pour point de départ la catégorie statistique « défense » dans la classification des fonctions des administrations publiques et, d'autre part, à une augmentation maximale de 1,5 % du PIB par année d'activation de la clause dérogatoire nationale. En outre, cette possibilité est limitée à quatre ans. Selon une estimation de la Commission européenne, ces mesures pourraient permettre de « créer une marge de manoeuvre budgétaire de près de 650 milliards d'euros sur quatre ans » à l'échelle de l'Union européenne ;
- de créer un nouvel instrument, intitulé « Agir pour la sécurité de l'Europe - SAFE » permettant à la Commission européenne de lever jusqu'à 150 milliards d'euros sur les marchés de capitaux pour aider les États membres (et les pays partenaires, en voie d'adhésion, candidats ou candidats potentiels, y compris l'Ukraine) le souhaitant à augmenter leurs investissements dans les capacités de défense. Ces financements seraient versés sur demande aux États membres intéressés, sur la base de leurs plans nationaux d'investissement, dans le cadre d'acquisitions conjointes d'au moins deux pays auprès de la BITD en Europe, en mettant l'accent sur les capacités prioritaires. Les prêts de la Commission européenne prendraient la forme de prêts à longue échéance aux États et seraient garantis par la marge de manoeuvre du budget de l'UE ;
- en complément, de mobiliser les programmes de la politique de cohésion pour augmenter les dépenses en matière de défense, pour les États qui le souhaitent, et de prévoir une intervention plus forte de la Banque européenne d'investissement (BEI) en matière de financement de la défense, au titre de son poids financier mais également de l'effet de signal afférent pour les autres investisseurs.
Si le plan européen vise à libérer une partie des contraintes pesant sur les conditions de recours au déficit et à l'endettement, il n'en demeure pas moins que les dépenses associées - tant s'agissant des dépenses de défense elles-mêmes que des intérêts d'emprunt - auront bien à être assumées par les États eux-mêmes, alors que les taux d'intérêt souverains tendent à augmenter.
(b) Des modalités de financement annoncées variables en fonction des États européens
Dans un contexte économique et de finances publiques globalement médiocre en Europe mais hétérogène en fonction des pays, les modalités de financement annoncées par ceux qui prévoient un effort complémentaire de défense sont variables. Ces annonces, relayées par les médias, peuvent présenter, par nature, un caractère temporaire et incomplet.
Si les trois outils de financement sont évoqués (endettement, restrictions budgétaires et surcroît d'imposition), les pays les moins endettés sont ceux qui ont annoncé le plus clairement un recours possible à l'endettement. De ce point de vue, l'exemple allemand est révélateur. Le pays, pourtant plutôt hostile au déficit et à l'endettement et aujourd'hui relativement peu endetté a réformé son mécanisme constitutionnel du « frein à la dette », notamment dans l'objectif de financer une partie de l'effort de défense par la dette. Néanmoins, si les tendances historiques sont respectées, d'autres, dans une position pourtant moins favorable, pourraient in fine également y avoir recours.
b) Le caractère très détérioré des finances publiques en France impose un effort de défense progressif et des économies concomitantes dans les autres dépenses
La France connaît aujourd'hui une situation de finances publiques très détériorée. En 2025, l'objectif de déficit public est de - 5,4 % et celui du taux d'endettement de 116,2 % (contre 113 % fin 2024)112(*). Hors période de crise, pour le déficit, ou de guerre, pour le taux d'endettement, ces niveaux constituent des anomalies historiques. Par ailleurs, le niveau des prélèvements obligatoires est déjà particulièrement élevé : en comparaison européenne, selon Eurostat, il atteignait 45,6 % en 2023, soit le niveau le plus élevé de l'Union européenne113(*). En outre, les perspectives de croissance de l'économie sont faibles, s'établissant à + 0,7 % du PIB réel en 2025, contre + 1,1 % en 2024114(*).
Alors que le Gouvernement indique par ailleurs souhaiter ramener le déficit sous les 3% de PIB en 2029, il est certain que le financement de l'effort de défense présente un caractère exigeant, y compris dans l'hypothèse où la trajectoire budgétaire prévue en LPM ne faisait pas l'objet d'un complément. Ainsi, chaque année, les crédits de la défense doivent augmenter de plus de 3 milliards d'euros115(*).
Le contexte des finances publiques ne laissant pas de marge pour une augmentation du déficit, de l'endettement ou du niveau de prélèvements obligatoires, il faudra recourir à une réorientation des dépenses publiques pour financer l'effort de défense.
Certes, cette solution n'est pas celle qui a été choisie historiquement par la majorité des pays ayant procédé à une augmentation de leur effort de défense116(*). En outre, elle présente un caractère politiquement sensible. Mais l'état de finances publiques duquel la France part ne permet pas d'y échapper : sa mise en oeuvre est d'ailleurs la solution qui garantirait le mieux la pérennité de l'effort de défense en ce qu'elle serait structurellement plus saine qu'une hausse du déficit ou des prélèvements obligatoires.
Néanmoins, même s'il existe des marges importantes de réduction des dépenses publiques au regard de leur poids (57,1 % du PIB en 2024), il sera difficile de les réduire fortement à court terme, un schéma progressif étant plus adapté, notamment au regard de la nécessité d'assurer l'acceptabilité sociale des mesures d'économies et de hausses des dépenses de défense.
Dans ces conditions, un renforcement de l'effort de la défense par rapport à ce que prévoit la LPM ne pourrait être que progressif, dans un scenario au sein duquel des économies ambitieuses seraient effectuées dans les dépenses publiques dès 2026. Toutefois, même dans l'hypothèse où il ne serait pas apporté de complément à la trajectoire prévue en LPM, une réduction notable des dépenses sera nécessaire pour assurer le financement de la marche prévue en 2026 (+ 3,2 milliards d'euros), tout en maîtrisant le déficit public.
Afin d'illustrer l'impact budgétaire d'une éventuelle hausse de l'effort de défense, le graphique suivant présente l'hypothèse d'une augmentation progressive de celui-ci jusqu'à 3 % à l'horizon 2030 (d'environ 0,20 point par an en moyenne).
Hypothèse
de trajectoire budgétaire menant l'effort de défense
à
3 % du PIB en 2030
(en milliards d'euros courants et en % de PIB)
Source : commission des finances. Calculs de la commission des finances, d'après les données du Rapport d'avancement annuel 2025, de l'INSEE, la trajectoire budgétaire prévue par la LPM 2024-2030, et les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Selon les calculs de la commission des finances et les prévisions du rapport annuel d'avancement 2025 du Gouvernement, il faudrait environ 103 milliards d'euros de crédits117(*) en 2030 pour atteindre un taux d'effort de 3 % du PIB, pensions comprises, soit environ 25 milliards d'euros de plus que ce qu'implique la LPM pour cette année-là et 42 milliards d'euros de plus que les crédits initiaux pour 2025118(*).
Le coût budgétaire pluriannuel afférent serait, par rapport à une hypothèse de stabilisation des crédits prévus en 2025, d'environ 117 milliards d'euros sur la période 2026-2030, dont 50 milliards d'euros au titre de la trajectoire prévue en LPM et 67 milliards d'euros au titre d'un complément d'effort. Il convient néanmoins de noter que dans le cas où les perspectives de croissance du Gouvernement se révèleraient surestimées, ce qui est fréquemment le cas, l'effort de défense nécessaire pour atteindre 3 % du PIB serait amoindri119(*).
Effort budgétaire annuel à fournir,
par rapport à une stabilisation du montant des crédits de
2025,
pour atteindre de façon progressive un taux d'effort de
3 % en 2030
(en milliards d'euros courants)
Source : commission des finances. Calculs de la commission des finances, d'après les données du Rapport d'avancement annuel 2025, de l'INSEE, la trajectoire budgétaire prévue par la LPM 2024-2030, et les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Pour ce qui concerne l'année 2025, il a pu être évoqué dans les derniers mois l'hypothèse de l'ouverture de crédits supplémentaires en gestion120(*). Au regard de la nécessité de s'appuyer sur une analyse stratégique approfondie de la situation, d'en tirer les conséquences quant aux besoins des armées, et d'inscrire tout effort de défense dans la durée, il appartiendrait au Gouvernement de justifier de la nécessité d'injecter des crédits nouveaux dès cette année. Une autre voie pourrait consister, au regard du caractère prioritaire des dépenses de défense, à dégeler rapidement une partie substantielle des crédits de paiement121(*) aujourd'hui mis en réserve sur la mission « Défense » (8,6 % des crédits initiaux hors dépenses de personnel, au 12 mai 2025), tout en assurant en fin d'année la couverture de l'essentiel des surcoûts par l'ouverture de crédits nouveaux en loi de finances de fin de gestion. Ce scenario, conforme aux dispositions de la LPM, serait de nature à faciliter le pilotage des crédits par le ministère, y compris en termes d'acquisition, et à réduire le report de charges.
Recommandation n° 9 : Privilégier en 2025 un assouplissement de la régulation budgétaire s'appliquant à la mission « Défense » et assurer en fin d'année la couverture de l'essentiel des surcoûts par l'ouverture de crédits en loi de finances de fin de gestion, sauf à ce que le Gouvernement justifie de la nécessité d'ouvrir dès cette année des crédits supplémentaires (Gouvernement)
Il convient néanmoins de s'assurer que les mesures prises en 2025, notamment en autorisations d'engagement, pourront être assumés les années suivantes en crédits de paiement, ce qui renvoie à la nécessité de dégager une vision de l'effort de défense sur le temps long. Cette préoccupation devra être intégrée alors que le montant des reports d'autorisations d'engagement de 2024 vers 2025 a été fixé à 40,583 milliards d'euros, dont 32 505,3 M€ d'AEANE122(*). Comme le précise la direction du budget123(*), « une partie de ces reports en AE124(*), non demandé par le ministère des armées, l'a été en prévision des éventuels arbitrages budgétaires à venir concernant la mission « Défense » ».
Recommandation n° 10 : En présence d'un montant d'autorisations d'engagement disponible très élevé, y compris au titre de reports, adopter en 2025 un niveau d'engagement cohérent avec le montant des crédits de paiement envisagés pour les prochaines années, afin d'éviter les risques de soutenabilité (Gouvernement)
B. CRÉER RAPIDEMENT LES CONDITIONS DE LA MONTÉE EN CHARGE DE L'INDUSTRIE DE DÉFENSE EN FRANCE ET EN EUROPE, À LA HAUTEUR DES NOUVEAUX ENJEUX
En cohérence avec les objectifs de renforcement de la BITD fixés par la LPM 2024-2030125(*) et dans le contexte des prises position du président américain, Donald Trump, mettant en question la protection de l'Europe par les Etats-Unis, de nombreux appels ont été formulés en faveur du renforcement de la BITD (base industrielle et technologique de défense) en Europe et en France.
L'objectif est double : d'une part, faire en sorte que la hausse des dépenses de défense en Europe profite aux industriels du continent, et donc à son économie. D'autre part, asseoir une souveraineté industrielle pour garantir une autonomie stratégique et opérationnelle.
Toutefois, la montée en puissance de la BITD en Europe et en France ne se décrète pas, elle se construit. Si des avancées ont déjà eu lieu, d'importants efforts sont encore nécessaires pour permettre la montée en charge nécessaire, tant au niveau stratégique que des points de vue financier et normatif.
1. Assurer le renforcement rapide de la BITD en Europe concomitamment à la hausse des dépenses militaires
a) Une BITD fragmentée en Europe, une BITD française diversifiée et deuxième exportatrice mondiale
La BITD regroupe l'ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées. À l'échelle européenne, selon la Commission européenne, les entreprises concernées auraient un chiffre d'affaires cumulé d'environ 70 milliards d'euros et emploieraient environ 500 000 personnes126(*). Ces entreprises sont parfois regroupées sous le terme BITD européenne ou « BITDE », bien que cette notion constitue pour une part importante l'addition de BITD nationales, produisant souvent de nombreux modèles différents pour la même catégorie d'équipements, à l'image des chars d'assaut ou des avions de chasse.
En France, selon le Gouvernement et en vertu d'une définition plus large, la BITD regrouperait environ 4 500 entreprises et 220 000 emplois, structurés autour de 9 grands groupes industriels127(*) et d'un tissu de start-ups, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le portrait-robot d'une entreprise de la BITD serait une PME d'environ 50 employés, réalisant 6 à 8 millions de chiffre d'affaires, dont moins de 20 % pour le secteur de la défense128(*). Le chiffre d'affaires cumulé de la BITD française était estimé en 2022 à 30 milliards d'euros, selon la Direction générale de l'armement, montant qui a certainement nettement augmenté depuis.
En lien avec la doctrine d'autonomie stratégique française, la BITD française est diversifiée et produit un spectre large d'équipements, au bénéfice des armées françaises mais également de celles de nombreux autres pays. Sur la période 2020-2024, la France est le deuxième pays à avoir exporté le plus d'armes (9,6 % des exportations), loin derrière les Etats-Unis (43 %), mais devant la Russie (7,8 %), la Chine (5,9 %), l'Allemagne (5,6 %), l'Italie (4,8 %), le Royaume-Uni (3,6 %) et Israël (3,1 %)129(*).
b) À production constante, la hausse des dépenses militaires emporterait le risque d'une augmentation de la part des importations extra-européennes et/ou du coût des facteurs
La cohérence dans les mois et années à venir, en France et en Europe, de la montée en charge des dépenses militaires et des capacités industrielles sera primordiale, étant entendu que cette dernière prend du temps.
En effet, dans l'hypothèse où le financement de la BITD et ses investissements ne suivrait pas le rythme des commandes, les efforts budgétaires se feraient au profit des industriels extérieurs à l'Union européenne, et en particulier américains. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans les années récentes, notamment avec les commandes urgentes au profit de l'Ukraine. Les exportations américaines en Europe ont ainsi plus que triplé entre la période 2015-2019 et 2020-2024130(*). Dans le même temps, la part des importations sud-coréennes a également augmenté.
En outre, une augmentation insuffisante des capacités de production (offre) par rapport à celle des commandes (demande) serait de nature à conduire à une hausse des coûts unitaires des matériels commandés en Europe, réduisant la portée réelle des efforts budgétaires consentis.
c) Une BITD française qui a accéléré et qui peut encore produire un effort progressif
À l'occasion de la montée en charge des dépenses militaires en Europe et dans le monde depuis 2022, et de leur rehaussement annoncé à compter de 2025, la BITD française, et notamment les grands maîtres d'oeuvre industriels, a produit d'importants efforts pour augmenter ses capacités de production.
À titre d'illustration, le missilier MBDA a procédé, selon les informations transmises par l'entreprise au rapporteur spécial, à un plan d'investissement de 2,4 milliards d'euros pour la période 2025-2029, dont 1 milliard d'euros en France, en particulier pour augmenter les capacités de l'outil de production et les stocks de matériaux et procéder à des recrutements. Sur cette base, les cadences de production ont été augmentées : celle du missile Mistral est passée d'une production de 10 par mois en 2022 à 40 par mois en 2025, et celle du missile Aster serait rehaussée de 50 % entre 2022 et 2026. Au total, en 2025, le groupe devrait avoir doublé sa production par rapport à 2023.
Cette dynamique se retrouve chez les autres industriels. L'entreprise KNDS, qui produisait 2 canons Caesar par mois en 2022, en a produit 3 fois plus en 2024 et se préparerait à en produire 8 par an en 2025. De même, l'entreprise Naval Group a également accéléré sa cadence de production des frégates, tandis que Dassault produit aujourd'hui un peu plus de deux Rafale par mois au total, quand il n'en produisait qu'un seul en 2020. Son PDG estime que l'entreprise serait en mesure d'augmenter la production d'environ un demi-avion par mois par an à l'avenir, et de produire in fine jusqu'à 4 ou 5 Rafale par mois, si les commandes le justifient.
Les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de confirmer que cette montée en charge industrielle peut encore être approfondie. Mais elle ne se fera pas du jour au lendemain et met en tension l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. Elle suppose des investissements, notamment en infrastructures, et des recrutements en nombre importants, alors que des tensions apparaissent sur ce marché du travail spécifique, par ailleurs très concentré sur quelques zones, dont certaines peinent parfois à attirer suffisamment, à l'image de la région de Bourges.
2. À l'échelle européenne, adopter une démarche industrielle du « best athlete » ayant pour objectif premier la défense de l'Europe plutôt qu'un partage de la valeur produite dans chaque État
À l'échelle européenne, les projets industriels de défense conjoints, parfois couronnés de succès in fine, ont souvent eu pour défaut de chercher quasiment tout autant la répartition de la valeur produite dans chacun des pays, au titre d'un juste « retour géographique », que la réussite finale du projet. Parmi de nombreux exemples, l'on peut notamment citer le cas du missile Aster, dont la fabrication partagée avec l'Italie impliquait jusqu'à récemment de franchir plusieurs fois les Alpes.
Aujourd'hui, le très fort durcissement du cadre stratégique impose de viser l'efficience plutôt que la répartition de la valeur. Les choix industriels doivent ainsi être mis au service de la défense de l'Europe et non l'inverse. Les mécanismes européens existants et ceux en projet devront viser cet objectif, dans le cadre d'une stratégie de coopération favorisant les meilleurs matériels européens, dans une logique dite du « best athlete », à savoir de l'acquisition de l'équipement le plus adapté, quel que soit son pays de fabrication.
a) Des mécanismes européens qui doivent être mis au service de l'efficacité
Si la politique de défense relève de la compétence des États, en dehors du cadre de l'Union européenne ou éventuellement à l'échelle du Conseil de l'UE ou du Conseil européen, l'UE dispose en revanche de compétences d'appui en matière industrielle, tandis que ses compétences sont larges en matière de marché intérieur.
C'est sur cette base que l'UE a peu à peu étendu son action en matière d'industrie de défense. Outre la mise en place, sur décision du Conseil, d'une Agence européenne de défense (AED) en 2004 visant à soutenir les coopérations des États dans l'industrie de défense, c'est à compter de 2018 puis de la guerre en Ukraine qu'un nombre important de mécanismes ont été mis en place à l'échelle de l'Union européenne. Ils visent globalement à encourager les États à concevoir, produire et acquérir des équipements et matériels militaires de manière plus coopérative, dans une perspective de réduction des coûts et de renforcement de l'interopérabilité des forces, ainsi qu'à soutenir plus fortement l'Ukraine dans son conflit face à la Russie.
(1) Les outils en vigueur
Remplaçant un premier programme créé en 2018131(*), le Fonds européen de défense (FED ou FEDef), était doté initialement d'environ 8 milliards d'euros sur la période 2021 et 2027, enveloppe réabandonnée de 1,5 milliard d'euros en 2024. Ce fonds, dont l'enveloppe subsistante à ce jour est d'environ 2 milliards d'euros132(*), vise à soutenir des projets de recherche et de développement structurants dans le domaine de l'industrie de défense. Pour être éligibles, les projets doivent concerner au minimum trois entreprises, issues de trois États européens différents. Ce fonds intervient en cofinancement, prenant en charge entre 20 % et 80 % des projets, selon le type d'activités. Les entités qui reçoivent un financement du FED doivent être établies dans l'UE ; en outre, ils ne peuvent pas être contrôlés par une entité d'un pays tiers ou par un pays tiers133(*).
En outre, d'autres outils ont été mis en place à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, principalement pour favoriser les acquisitions conjointes et la production industrielle de défense.
Le mécanisme temporaire EDIRPA, créé en 2023, vise ainsi à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions communes. Sur la base d'une enveloppe de 300 millions d'euros, il permet un remboursement partiel aux États membres lorsque les acquisitions conjointes font intervenir un consortium d'au moins trois États membres, avec un effet de levier important. Les entités bénéficiaires doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion dans l'UE ou dans un pays associé, et ne peuvent pas être contrôlés par un pays tiers non associé, selon la même logique que pour le FED. En outre, au moins 65 % des composants des produits finaux doivent provenir de l'UE ou d'un pays associé.
Par ailleurs, le mécanisme temporaire ASAP, également créé en 2023 et doté de 500 millions d'euros, vise à soutenir les projets d'investissement en faveur de la production de munitions, notamment en faveur de l'Ukraine, en ciblant les goulets d'étranglement identifiés.
Parallèlement, la facilité européenne pour la paix (FEP), créée en 2021, permet d'assister des pays ou organisations partenaires en leur fournissant des équipements militaires et de défense, des infrastructures, une assistance technique et des prestations de formation. Elle est dotée d'un fonds de plus de 17 milliards d'euros, alimenté par des contributions des États membres, en dehors du budget de l'UE ; elle sert aujourd'hui notamment à soutenir l'Ukraine. Ne remboursant qu'une partie des livraisons ou fournitures, la FEP dispose d'un effet de levier important.
(2) La stratégie EDIS et le projet EDIP
Pour prendre la suite des outils d'urgence mis en place dans le prolongement du déclenchement du conflit en Ukraine, la Commission européenne a présenté en mars 2024 une stratégie industrielle de défense (EDIS) et a proposé un nouveau programme pour l'industrie de défense (EDIP).
D'une part, la stratégie EDIS présente un ensemble d'action visant notamment à affirmer le principe d'acquisition commune de matériels de défense, à renforcer les capacités de production et à créer des incitations financières au profit de l'industrie de défense.
D'autre part, la proposition de programme « EDIP » vise à passer des mesures d'urgence de court terme EDIRPA et ASAP à une approche davantage structurelle en faveur du développement et de la structuration de l'industrie de défense européenne.
Ce programme concernerait un ensemble d'outils, dont des soutiens aux commandes conjointes (avec au minimum trois Etats concernés) et à la production. Il disposerait d'une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2027. Les critères d'éligibilité font l'objet de négociations en cours, suspendues par l'Allemagne à l'échelle du Conseil de l'UE. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la France y défend le critère que pour être éligibles au soutien, les équipements concernés doivent présenter un taux minimal, en valeur, de 65 % de composants provenant de l'UE ou de pays associés. En outre, les produits de défense devraient avoir pour autorité de conception134(*) une entité installée dans l'UE, ou dans les pays associés, et ne faire l'objet d'aucune restriction d'usage de la part d'États tiers. Le Parlement européen a voté le 24 avril 2025 une version du texte la portant à 70 %, tandis que le Sénat avait adopté, à l'initiative du rapporteur spécial135(*), de Gisèle Jourda et de François Bonneau, fin décembre 2024 une résolution précisant que l'ambition devait être « la plus élevée possible », en retenant « un taux de composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés qui ne saurait être inférieur à celui de 65 % retenu dans le règlement EDIRPA et, si possible, tendre vers un taux minimal de 80 % »136(*).
Le rapporteur spécial considère que la création d'outils favorables à une plus grande coopération entre États européens est sur le principe une bonne chose. Néanmoins, il constate que tant les montants des enveloppes budgétaires en question (en particulier celle d'EDIP), que les délais de négociation des outils sont en décalage avec les besoins, aujourd'hui importants et urgents.
b) Une stratégie européenne qui doit privilégier les « best athletes »
Pour accompagner la montée en charge des dépenses militaires en Europe d'un point de vue industriel, il apparaît nécessaire que les États européens, a minima certains d'entre eux, s'entendent pour réduire le nombre de matériels différents remplissant dans les différentes armées d'Europe le même besoin, notamment pour réduire les coûts d'acquisition et favoriser l'interopérabilité des armées européennes.
Une politique du « best athlete », consistant à acquérir le matériel le plus adapté, quelle que soit le pays de fabrication, doit ainsi être déployée. Cette stratégie, qui suppose d'abandonner la logique du « retour géographique », n'est d'ailleurs pas incompatible avec une certaine répartition des commandes en fonction des types de matériels. Il convient d'être lucide : s'il est légitime de chercher à défendre la qualité de la BITD française, il serait illusoire de penser qu'elle peut utilement répondre à toutes les commandes de l'Europe, dans tous les secteurs.
3. Soutenir le financement de la BITD
La montée en charge de la BITD en France et en Europe ne se réalisera que si les financements nécessaires aux entreprises pour leurs investissements sont disponibles en quantité et en qualité suffisantes.
De ce point de vue, il convient de garder à l'esprit que, dans une économie de marché, ce dernier assure de lui-même le financement des investissements rentables. Au regard des perspectives de croissance des marchés de la défense, les apports en capitaux et en prêts des entreprises de la BITD doivent en principe s'organiser naturellement.
Néanmoins, au regard de l'importance d'augmenter rapidement les capacités de production de la BITD en France et en Europe, du soutien public apporté aux industriels dans de nombreux pays extra-européens, et des limites constatées au bon financement du secteur, une attention particulière doit être portée à la question.
Pour y répondre, il convient, avant tout, pour l'Etat, de formaliser les commandes annoncées et de régler les factures des matériels livrés à temps. Il faut, ensuite, répondre aux difficultés de financement identifiées, qu'elles résultent d'enjeux normatifs, de pratiques d'allocation financière inadéquates ou d'un besoin d'apports supplémentaires en capitaux par rapport à ceux qui sont disponibles.
a) Pour permettre le financement d'une économie de défense, formaliser les commandes et régler les factures à temps
Pour financer et mettre en oeuvre des hausses de capacités de production, les industriels ont besoin d'une formalisation des commandes de la part des États. S'il appartient au pouvoir exécutif de déterminer sa stratégie d'acquisition en tenant compte des contraintes budgétaires, en tout état de cause, de simples promesses ou annonces ne peuvent suffire au regard de l'importance des investissements nécessaires pour donner corps à l'économie de « guerre » souhaitée par le président de la République. En outre, afin de permettre la bonne organisation de l'outil de production, une visibilité sur la chronique annuelle générale des livraisons attendues pour chacun des matériels commandés est fortement souhaitable.
De même, une fois les commandes livrées, il incombe à l'Etat de les régler dans les délais. En effet, la hausse des retards de paiement, qui se matérialise dans celle du report de charges, est antinomique avec la mise en place d'une économie de défense. Il est, de ce point de vue, paradoxal que l'Etat annonce, d'un côté, sa volonté légitime de surveiller de près les délais de paiement des industriels au sein de la chaîne de sous-traitance137(*), quand, dans le même temps, l'Etat lui-même ne respecte pas ceux qui s'appliquent à lui.
La formalisation des commandes, la visibilité des livraisons attendues annuellement pour les différents matériels et le paiement en temps et en heure des factures sont les conditions premières d'une économie de défense.
b) Répondre aux difficultés de financement identifiés
Si les entreprises de la BITD ne sont globalement pas à court de financements pour leurs projets d'investissement, des limites peuvent être constatés. Selon une étude de 2024, portant sur la période antérieure à la guerre en Ukraine, les ETI et les PME de la BITD ont une structure financière et économique plus fragile que le reste de l'économie, qui s'exprime par des marges plus faibles, un endettement plus élevé et une potentielle sous-capitalisation en fonds propres138(*).
Depuis 2021, la hausse des budgets européens de défense en réponse à la guerre en Ukraine, ainsi que plusieurs initiatives publiques ont pu améliorer leur santé financière du fait d'un potentiel de croissance du secteur plus élevé. Néanmoins, le contexte stratégique augmente également leurs besoins de financement, comme le rappelle l'étude. Dans un contexte de nécessaire montée en charge rapide des industries française et européenne, il est donc nécessaire de s'assurer que les outils favorables à un financement efficace des entreprises soient mis en place.
(1) Des dispositifs sont déjà en place
Des outils publics ont déjà été instaurés pour soutenir le financement du secteur de la défense, en complément de l'action des acteurs privés, notamment les fonds d'investissement.
Alors que la politique actionnariale de l'Etat est mobilisée en faveur du soutien au secteur, notamment via des prises de participation dans les grands donneurs d'ordre mais également par l'acquisition d'actions de préférence dans les entreprises stratégiques, des fonds dédiés ont également été créés pour le financement des entreprises de la BITD.
À l'échelle européenne, la Banque européenne d'investissement (BEI), dispose de l'enveloppe de l'initiative stratégique pour la sécurité européenne (ISSE)139(*), qui a été réhaussée de 6 à 8 milliards d'euros sur la période 2021-2027, tandis qu'a aussi été lancée début 2024 par le Fonds européen d'investissement la Defense Equity Facility (enveloppe de 175 millions d'euros sur la période 2024-2027 dans le domaine de l'innovation). En outre, le Fonds européen de défense (FED) complète les investissements des États membres en cofinançant les coûts de développement des capacités de défense140(*).
En France, plusieurs outils de soutien en capital ont par ailleurs été mis en place, parmi lesquels le fonds Definvest créé en 2018 pour sécuriser le capital d'entreprises d'intérêt stratégique pour le secteur de la défense, et le Fonds innovation défense (FID), créé en 2021, pour soutenir en fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises innovantes dont les technologies sont duales et transversales. D'autres dispositifs ont en outre été mis en oeuvre, notamment par Bpifrance, en matière de prêts et de soutien financiers aux exportations de défense.
(2) L'utilité d'aller plus loin
Il serait toutefois utile d'aller plus loin, en déployant plusieurs types de mesures favorables à l'investissement dans les entreprises de la BITD, dont certaines sont en projet.
En premier lieu, l'essentiel de l'investissement devant provenir du marché, il convient de s'assurer que les normes et pratiques d'investissement qui ont cours dans le secteur de la défense sont pertinentes. Or, jusqu'ici les, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la taxonomie verte européenne ou encore les critères de définition des labels et fonds durables ont pu, y compris dans l'interprétation extensive qui en est faite par le secteur financier, conduire à exclure les industries de la défense d'une partie des investissements ou des prêts qui leur sont nécessaires. Si les états d'esprit semblent évoluer de ce point de vue, il convient de veiller à ce que la définition et l'interprétation qui est faite de ces critères soient favorables au secteur de la défense, plutôt que l'inverse.
Alors que la BEI a pendant longtemps appliqué des critères d'éligibilité à ses investissements qui excluaient de larges pans du secteur de la défense, emportant dans son sillage - du fait de son poids financier et de l'effet de signal dont elle dispose - de nombreux fonds d'investissement privés, elle a engagé un mouvement inverse qui sera bénéfique. Mais il est sans doute possible d'aller plus loin : le plan « ReArm Europe » présenté par la présidente de la Commission européenne prévoit ainsi de recourir plus fortement à la BEI, selon des modalités qui restent à être précisées.
En deuxième lieu, il apparaît nécessaire de faire du renforcement en capital (en « fonds propres ») des entreprises de la BITD l'une des priorités d'action, que cela soit par la création et le ré-abondement des fonds publics existants mais également par l'encouragement à la création de nouveaux fonds d'investissement en capitaux propres privés et à l'investissement des particuliers, y compris en assurance-vie.
En troisième lieu, il pourrait être envisagé des mesures supplémentaires, à l'image de la mobilisation d'une partie de l'épargne disponible sur livrets (ou via la création d'un livret dédié) en faveur des prêts aux entreprises de la BITD141(*), même si une telle mesure ne répondrait pas directement au coeur des enjeux actuels de financement des entreprises de la BITD, à savoir l'investissement en capital.
4. Libérer et sécuriser la BITD française
Construire une véritable économie de défense implique également de lever une partie des contraintes pesant sur ce secteur, en raison de l'intérêt général présidant à son développement rapide. Si celles-ci sont multiples, les travaux menés par le rapporteur spécial le conduisent à citer en particulier deux séries d'entre elles. Il apparaît ainsi nécessaire, d'une part, de libérer le secteur de certaines contraintes pesant sur les infrastructures industrielles et, d'autre part, de contribuer à réduire les risques de sécurité pesant sur ces entreprises.
En premier lieu, le secteur industriel de la défense est exposé à un nombre élevé de règles pèsent lourdement sur sa capacité à créer et étendre ses infrastructures. Les travaux menés par le rapporteur spécial ont ainsi été l'occasion de constater qu'il n'est pas rare qu'une période de 5 ans soit nécessaire entre le projet d'installation d'une usine et l'autorisation de son fonctionnement, pour une large part en raison de délais des nombreuses procédures administratives, auxquelles s'ajoutent les difficultés liées à l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN).
Face au caractère prioritaire de la montée en charge de la BITD en France, il serait opportun de prévoir la levée d'une partie de ces contraintes pour le secteur de la défense, selon le modèle des dispositions législatives spécifiques adoptées récemment pour la reconstruction de Notre-Dame, la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et la reconstruction de Mayotte. Ces adaptations et simplifications ne devront pas porter préjudice à la sécurité des civils et des personnels militaires.
Recommandation n° 11 : Afin de permettre la montée en charge de la BITD française, lever une partie des contraintes s'appliquant à la construction et à l'extension des infrastructures industrielles, par des dispositions ad hoc à ce secteur (Gouvernement)
En second lieu, la sécurité des entreprises de la BITD doit être renforcée à « 360 degrés ». En effet, elles sont exposées aujourd'hui à des risques importants tenant notamment au renseignement extérieur, à des tentatives de sabotage, en particulier numérique, ou encore à des risques industriels liés à une connaissance encore insuffisante des fragilités dans les chaînes de sous-traitance et d'approvisionnement. Le rapporteur spécial considère que le travail mené par les industriels et les services de l'Etat dans le domaine de la sécurité doit ainsi encore être renforcé.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 14 mai 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Lorsque j'ai choisi, il y a quelques mois, de faire porter le contrôle sur ce sujet, je ne pensais pas coller autant à l'actualité, s'agissant non seulement des enjeux de financement des politiques publiques mais également des évolutions géopolitiques qui affectent au premier chef la défense, en France et au sein de l'Alliance atlantique.
Dans ce contexte, j'ai souhaité que le contrôle vise, d'une part, à apprécier la soutenabilité de la loi de programmation militaire 2024-2030 à la lumière de son début d'exécution et, d'autre part, à mettre en perspective les évolutions du niveau d'effort de défense dans les dernières décennies et dans les années plus récentes, que ce soit en France ou à l'étranger.
La présentation du projet de LPM 2024-2030, adoptée à l'été 2023, est intervenue alors que le contexte stratégique international s'était nettement dégradé depuis l'adoption de la LPM précédente, qui couvrait les années 2019 à 2025. La Revue nationale stratégique de novembre 2022 avait formalisé l'analyse de la situation, à savoir un changement d'échelle de la conflictualité, une extension de ses champs d'application et un retour de l'affrontement direct entre États souverains en Europe, avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Dans ce contexte, la LPM 2024-2030 a prévu une enveloppe budgétaire globale de 413,3 milliards d'euros sur 7 ans, hors pensions. Une telle enveloppe peut impressionner par son montant ; elle marque la fin de l'ère des dividendes de la paix. Mais il convient d'interpréter son montant à la lumière de différents facteurs qui viennent en relativiser l'apparente portée.
Premièrement, elle est mesurée en euros courants, ce qui veut dire qu'il faudra en retrancher l'impact de l'inflation. Deuxièmement, l'enveloppe prévue n'est pas de nature à modifier sensiblement l'effort de défense en proportion du PIB, même si l'affaissement des perspectives de croissance du PIB et d'inflation par rapport à celles qui étaient sous-jacentes à la construction de la LPM y contribue quelque peu.
Troisièmement, la hausse des dépenses militaires prévue fait suite à des décennies de baisse de l'effort de défense en France. Ainsi, en France, les dépenses concernées sont passées de 7,6 % en 1953 à 1,85 % du PIB en 2013, avant de fluctuer entre ce taux et 2 % jusqu'à aujourd'hui.
En dernier lieu, et surtout, il convient de prendre en compte que le coût d'acquisition des matériels militaires augmente, de façon structurelle, nettement plus rapidement que les budgets militaires. Cet effet « ciseaux » s'explique par la course technologique continue qui s'applique aux équipements militaires. Il a d'ailleurs conduit, dans les dernières décennies, à un très fort rétrécissement du format des armées françaises.
Que prévoit la LPM grâce à l'enveloppe indiquée ? Parmi les nombreux objectifs fixés, j'en ai retenu quatre dans mon analyse : un effort en faveur des matériels, en particulier en vue de leur modernisation ; un renforcement des effectifs du ministère des armées de 6 300 ETP et de 40 000 réservistes ; une augmentation des niveaux de préparation et des capacités opérationnelles des armées, ainsi que de la disponibilité des matériels ; enfin, un renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Dans un contexte de progression continue du coût des matériels, l'augmentation des dépenses prévue par la LPM permet seulement de stabiliser globalement les moyens, en les modernisant.
Le cadre de la LPM 2024-2030 étant posé, qu'en est-il de son début d'exécution ?
S'agissant des objectifs dits « physiques », c'est-à-dire de capacités, les travaux que j'ai menés montrent que le début d'exécution de la LPM est globalement conforme à son esprit. Mais - car il y a d'ores et déjà des « mais » - des limites notables doivent être relevées.
Pour ce qui concerne les matériels, globalement, ce qui était attendu en livraison pour 2024 a été livré et ce qui devait être commandé pour 2024 et 2025 l'a également été. Néanmoins, je dois souligner de premiers retards et reports de livraisons, notamment s'agissant de la Marine nationale, par exemple pour les frégates de défense et d'intervention.
S'agissant des effectifs, en 2024, le ministère des armées est parvenu à exécuter un schéma d'emplois positif pour la première fois depuis 2019. Néanmoins, il reste assez éloigné de celui que prévoyait la LPM, à savoir + 700 ETP, contre + 479 ETP effectivement exécutés. Surtout, l'effectif total du ministère à fin 2024 reste très en-deçà de ce que prévoyait la LPM, du fait de la très forte sous-réalisation du schéma d'emplois en 2023.
Concernant la préparation opérationnelle des forces et la disponibilité des matériels, il y a des progrès dans certains domaines. Mais cela ne suffit pas. S'agissant de la disponibilité des matériels, c'est encore loin d'être satisfaisant, comme le montre notamment le cas des hélicoptères de l'armée de terre et de la Marine nationale. Et, pour ce qui est de la préparation opérationnelle, la hausse quantitative du niveau d'activité des armées n'est en réalité prévue qu'à compter de 2028, comme cela me l'a été confirmé. C'est très lointain.
J'en viens à l'exécution cette fois-ci budgétaire du début de période de programmation de la LPM, en 2024 et début 2025.
Pour ces deux années, les lois de finances initiales ont prévu des crédits initiaux pour la mission « Défense » correspondant à ce que prévoyait la LPM. Mais pour ce qui concerne les crédits exécutés, il en va tout autrement, illustrant ainsi la fragilité de la situation. Comme me l'a indiqué un haut responsable du ministère des armées, « si l'édifice tient, les murs du ministère vibrent ».
Si le report de crédits depuis 2023 vers 2024 et l'ouverture de crédits nouveaux complémentaires en fin d'année 2024 ont conduit à un niveau de crédits exécutés supérieur à ceux prévus en loi de finances initiale, il a tout de même manqué au ministère environ 1,2 milliard d'euros l'année dernière par rapport aux besoins exprimés.
Ce reliquat de besoin de financement s'explique par plusieurs facteurs principaux. Peuvent être cités en particulier : une sous-estimation chronique initiale des surcoûts à prévoir dans l'année ; une divergence d'interprétation sur ce que recouvre le financement interministériel prévu dans la LPM s'agissant des surcoûts liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures ; enfin, une ouverture de crédits nouveaux en fin de gestion forcément limitée par un contexte budgétaire général très dégradé, en contradiction sur certains points avec la lettre de la LPM.
Or, le besoin de financement subsistant en fin d'année 2024, n'a pas conduit, comme on aurait pu s'y attendre, à une baisse des dépenses du ministère. Les partisans du maintien des acquisitions capacitaires prévues en LPM s'en réjouiront et les tenants de la sincérité et de l'orthodoxie budgétaires le regretteront.
La vérité m'oblige à dire que le Gouvernement a recouru à la cavalerie budgétaire en faisant appel au report de charges, c'est-à-dire au renvoi à l'année suivante des paiements qui auraient dû normalement être réglés en 2024 au titre des prestations et matériels livrés.
Alors que le stock de report de charges de 2022 vers 2023 était de 3,9 milliards d'euros, il s'établit ainsi à plus de 8 milliards d'euros de 2024 vers 2025. En clair, le ministère des armées achète aujourd'hui davantage qu'il ne peut payer. Il est indispensable de reprendre rapidement le contrôle de la dynamique du report de charge : il y va de la sincérité du budget et du respect du Parlement.
À ces risques de soutenabilité pesant sur le report de charges s'ajoutent, en outre, les risques tenant au poids des restes à payer, c'est-à-dire du stock de crédits de paiement nécessaires pour honorer les engagements pris antérieurement. À fin 2024, ils représentent 99 milliards d'euros, soit quasiment deux budgets annuels actuels, hors pensions. Concrètement, près de 90 % des crédits de paiement prévus en 2025, hors dépenses de personnel, seront ainsi destinés à apurer ce stock, qui continue par ailleurs d'être alimenté par l'engagement d'autorisations d'engagement.
Au total, le bilan budgétaire du début d'exécution de la LPM est clair : le ministère des armées ne dispose d'absolument aucune marge de manoeuvre budgétaire en exécution, il dépense davantage que ses crédits ne le permettent pour atteindre ses objectifs, et il souffre de risques significatifs de soutenabilité budgétaire. Il incombe donc aujourd'hui au pouvoir exécutif de dégager des marges de manoeuvre pour la mission « Défense », soit en augmentant les ressources disponibles, soit en procédant à des choix dans les dépenses.
S'agissant de l'avenir, je n'ai pas souhaité formuler de recommandation ou d'orientation sur le niveau d'effort de défense à viser ; nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pourront procéder à cette appréciation. Il ne me semble pas possible de dessiner un tel effort sans prendre en compte son impact budgétaire sur d'autres politiques publiques. C'est donc un travail transversal qui est nécessaire, et c'est au Gouvernement d'en formuler une proposition.
Néanmoins, je souhaite fournir quelques éléments de réflexion.
Premièrement, à l'échelle internationale, les dépenses de défense sont orientées à la hausse depuis 2022. Entre 2021 et 2024, les dépenses de la Russie ont plus que doublé, celles de la Pologne ont quasiment suivi le même rythme, celles de l'Allemagne ont crû de moitié, tandis que la hausse est de 14 % au Royaume-Uni, de 6,8 % aux États-Unis et de 6,6 % en France. À fin 2024, la France produit un effort de défense, en proportion du PIB, la plaçant à la 20e place sur les 32 membres de l'OTAN.
Ainsi, si la trajectoire prévue en LPM présente une augmentation notable des dépenses, celle-ci n'est pas de nature à rehausser, voire à maintenir, la place de la France à l'échelle mondiale dans l'effort de défense.
Deuxièmement, quel que soit son ampleur, l'effort prévu - même si l'on s'en tient aux marches de la LPM - devra s'appuyer sur une analyse stratégique renouvelée et approfondie, et ce tant à l'échelle des États en Europe, dans le cadre d'une défense de l'Europe, qu'au niveau français. C'est ce qui manque cruellement à ce stade, même si une actualisation de la Revue nationale stratégique est en cours. En effet, parler d'une éventuelle hausse du budget ne fait pas une stratégie.
Troisièmement, il importe de s'assurer que les dépenses de défense demeurent effectivement finançables. C'est un vrai défi pour beaucoup de pays européens, et notamment pour la France. Alors que les niveaux de déficit, de dette publique et de prélèvements obligatoires sont particulièrement élevés dans notre pays, c'est un effort de réduction des dépenses publiques hors défense qui devra avant tout contribuer à la hausse des crédits des armées.
Pour mémoire, je me suis attelé à un exercice comptable : si l'on voulait atteindre un taux d'effort de défense de 3 % du PIB en 2030, il faudrait environ 103 milliards d'euros annuels à cet horizon, à savoir environ 25 milliards d'euros de plus que ce qui résulte de la trajectoire de la LPM ; dit autrement, le budget annuel devra être supérieur de 42 milliards d'euros à celui de 2025.
Quatrièmement et enfin, il est indispensable de créer rapidement les conditions de la montée en charge de l'industrie de défense en France et en Europe. Si elle est déjà en cours, il faut aller plus vite. À défaut, les efforts budgétaires se feront au profit des industriels extérieurs à l'UE. Pour y parvenir, il faudra combiner paiement des fournisseurs en temps et en heure, et soutiens normatif, financier et stratégique. En effet, la remontée en puissance de la BITD se construit, elle ne se décrète pas.
M. Claude Raynal, président. - Merci, Monsieur le rapporteur spécial. Je passe la parole à M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis du budget de la mission « Défense » pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Merci pour votre invitation, Monsieur le président. Je voudrais remercier M. Dominique de Legge pour son travail essentiel. Cela nous permet d'avoir un point de situation extrêmement précis et intéressant, qui corrobore de manière structurée et étayée les informations que nous avons à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La situation est extrêmement inquiétante. La LPM 2024-2030 est née dans des conditions difficiles et elle est exécutée dans des conditions qui le sont peut-être encore davantage. J'adhère à ce qui a été présenté.
Pour la suite, le rapporteur spécial a évoqué l'hypothèse de porter l'effort de défense à 3 % du PIB. On pourrait presque dire que ce serait un minima, un chiffre de l'ordre de 3,5 % étant plus réaliste. Mais pour le moment, on ne sait pas au service de quelles vision et stratégie cet effort serait mis en oeuvre par le Gouvernement. C'était d'ailleurs déjà le cas au moment de l'examen du projet de LPM 2024-2030. On a l'impression d'être davantage porté par le déroulé des évènements que par une perspective plus globale. Nous l'avions déjà dit, mais malheureusement, cela se confirme.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le budget de la défense est assez symptomatique des errances budgétaires que nous traversons. Pour réussir à retrouver un équilibre au regard des dépenses engagées, il reste encore un gros travail à faire.
Je partage la préoccupation du rapporteur pour avis, Pascal Allizard, et je souligne que l'augmentation des moyens de la défense nécessite certainement un travail plus abouti entre le Parlement et le pouvoir exécutif pour que les Français puissent en prendre la pleine mesure, dans un contexte de dégradation des comptes publics.
J'aurai simplement une question : le rapporteur spécial a relevé que la France est, à ce stade, au regard des moyens consacrés à la défense en proportion de son PIB, 20e sur les 32 membres de l'OTAN. Est-ce qu'au regard de l'effort en cours de chacun des autres pays, le fait de passer à 2,3 % du PIB nous permettrait de gagner quelques places ? Cet aspect me paraît important au regard du rôle et de la place que la France entend tenir à l'échelle internationale. Il ne faudrait pas reculer dans ce domaine.
Je partage les recommandations du rapport, et plus particulièrement les recommandations n° 8 et n° 9. En effet, le respect des prérogatives du Parlement s'agissant de la politique de défense est un préalable indispensable. En outre, il faudra que le Gouvernement fasse preuve de transparence s'agissant de la régulation budgétaire et des crédits nouveaux nécessaires en fin d'année. Cela permettrait que les enjeux puissent être pleinement identifiés par le Parlement et que les Français soient parfaitement éclairés sur le sujet des moyens de la politique de défense.
M. Michel Canévet. - Je voudrais remercier le rapporteur spécial. La Direction générale de l'armement (DGA) a évoqué récemment avoir consommé 21,7 milliards d'euros pour l'acquisition de matériels militaires en 2024. Pour autant, au-delà de ce chiffre, le quotidien Ouest France se demandait en début de semaine si ces livraisons arrivaient bien dans les bonnes quantités et selon les délais promis aux armées. Selon le journal, ce chiffre était fourni sans contexte ni mise en perspective et ne permettait pas de mesurer la montée en puissance concrète des forces françaises, précisant qu'aucun élément n'était par ailleurs fourni s'agissant des grands programmes en cours (missiles conventionnels à longue portée, nouveau porte-avions, sous-marins et missiles de la dissuasion). Le rapporteur spécial dispose-t-il d'informations sur le sujet ?
Je découvre le montant impressionnant du stock des restes à payer, qui est de 99 milliards d'euros fin 2024. Est-ce que des annulations sont possibles parmi ces engagements, ou tous doivent-ils être honorés ?
Enfin, le montant du report de charges est édifiant, de l'ordre de 8 milliards d'euros de 2024 vers 2025. Cela implique que l'État paie des intérêts moratoires à la base industrielle et technologique de défense (BITD). Avez-vous une idée du montant de ces derniers et des conséquences de la situation pour ces entreprises ? Le non-règlement par l'État de ce qu'il doit dans les délais ne contribue-t-il pas à leurs problèmes de financement ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je m'interroge également sur l'incidence de la situation budgétaire décrite par le rapporteur spécial sur nos entreprises du secteur de la défense. Sont relayés dans les médias des témoignages de chefs d'entreprise qui indiquent qu'alors qu'a été annoncée une économie de guerre, elles ne voient rien arriver. Cela pose une véritable difficulté.
On entend aussi que même s'agissant des grands industriels de la défense, les discussions avec le ministère des armées sont difficiles : on leur dit qu'ils ont de l'argent, et que c'est à eux de faire des efforts. La situation devient très paradoxale dès lors qu'un effort de réarmement est attendu mais que l'on met à mal l'outil industriel.
En bref, l'État commande mais ne paie pas, ou en retard, et de fait, les entreprises s'arrêtent de produire.
M. Thomas Dossus. - Je souhaiterais faire un commentaire sur le traitement assez inégal des lois de programmation. Il apparaît que la loi de programmation militaire est à peu près respectée, et cela est bienvenu puisque nous avons pu débattre à l'occasion de son examen à la fois des secteurs dans lesquels nous allons investir et de la trajectoire financière pluriannuelle.
En revanche, nous aimerions le même suivi rigoureux sur d'autres lois de programmation que nous avons adoptées, qui ne sont absolument pas respectées, mettant en cause la portée de nos travaux. Je pense par exemple à la loi de programmation de la recherche et à celle relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Enfin, je voulais terminer sur le terme d'« économie de guerre », qui est impropre. Une économie de guerre suppose la mobilisation d'autres types d'usines au service de la production militaire, ce qui n'est heureusement pas encore le cas en l'espèce. Il faut donc sortir de ce débat. Nous pouvons en effet demander le renforcement des moyens de la défense sans forcément orienter toute l'économie vers la production de munitions ou de canons.
M. Raphaël Daubet. - Je lis dans la synthèse du rapport qu'entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, ce qui représente une baisse considérable. Le nombre d'avions de chasse a également diminué, passant de 686 à 254, soit environ deux tiers de moins. De même, le nombre de grands bâtiments de surface de la Marine nationale a chuté, passant de 41 à 19. Globalement, il y a donc eu un véritable effondrement. Pourtant, dans une autre partie de cette synthèse, il apparaît qu'en 1991, les dépenses de défense représentaient environ 3 % du PIB et que nous avons donc connu une légère baisse en termes de points de PIB, mais pas à la mesure de la diminution colossale que reflètent les chiffres relatifs aux matériels.
Pouvez-vous nous dire si, à votre connaissance, des investissements ont été orientés ailleurs que dans le matériel opérationnel ?
M. Thierry Cozic. - Lorsque l'on examine l'hypothèse de trajectoire budgétaire portant l'effort de défense à 3 % du PIB à horizon 2030, cela représente près de 25 milliards d'euros supplémentaires par rapport à ce que prévoit la LPM.
Je voulais interroger le rapporteur spécial pour savoir si ce n'est pas une équation insoluble. Il faudrait accroître de 25 milliards l'effort dans la défense mais dans le même temps rechercher 40 milliards d'économies rien que pour l'année 2026.
Dès lors, pour financer ce modèle, ne faut-il pas chercher des modes de financement alternatifs, tels que le livret d'épargne défense souveraineté, proposé par notre collègue Rachid Temal, ou encore un grand emprunt ? Est-ce que ce sont des pistes sur lesquelles, aujourd'hui, le Parlement devrait réfléchir pour essayer de répondre en partie à cette équation à de multiples inconnues ?
M. Claude Raynal, président. - Avant de donner la parole au rapporteur spécial, je voudrais au préalable revenir sur un point évoqué par Michel Canevet et Vincent Capo-Canellas.
Je trouve que le plus délicat dans votre rapport, c'est la question de l'articulation entre les objectifs et la capacité de les tenir. In fine, l'État se trouve en réalité en incapacité de suivre l'effort qu'il se fixe, ce qui est tout à fait étonnant.
En réalité, ce ne sont pas les 99 milliards d'euros de restes à charge qui me gênent le plus, mais plutôt le fait que la LPM ne se décline pas à la bonne échelle en exécution. Si nous partons d'ores et déjà avec 8 milliards d'euros d'écart entre ce qu'on achète et ce qu'on paye, il me parait compliqué d'entrainer les entreprises de la BITD dans le bon sens, alors même que l'État en est un client majeur.
Demander à une entreprise de défense de s'engager sur des investissements et des recrutements sans garantir le paiement final ne me paraît pas opportun. Or, dans le secteur de la défense, il est impossible pour les entreprises d'éviter la dépendance à l'État, même si l'on peut vendre à l'étranger. Sans certitude sur la rentrée financière, je comprends que l'industrie de défense se montre prudente. Il ne suffit pas d'avoir une commande, elle doit être honorée.
Comment cette perspective est-elle appréhendée dans vos discussions par les administrations ? Je ne sens pas d'amélioration sensible et je reste sceptique, mais peut-être avez-vous un autre point de vue.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Je tiens à remercier Pascal Allizard pour sa présence et ses propos. Je vais essayer de répondre à l'ensemble de vos questions, mais permettez-moi de vous livrer une réflexion plus personnelle sur ce que j'appelle le péché originel de la LPM.
Vous vous souvenez, nous partons d'une enveloppe de 413,3 milliards d'euros dans la LPM, dont 13,3 milliards d'euros ne sont pas des crédits budgétaires mais des ressources complémentaires, dont une partie n'est pas documentée. En effet, avec la prise en compte du report de charges dès le départ, on nous a présenté comme des recettes quelque chose qui était en réalité une moindre dépense.
Deuxième péché originel : une part des objectifs de capacités, en nombre de matériels militaires, fixés pour 2030 avant l'adoption de la LPM a été repoussée par cette dernière à 2035.
Le troisième péché originel, c'est un concept qui figure dans la LPM, à savoir l'économie de guerre. Vous vous interrogez, Thomas Dossus, sur ce qu'est l'économie de guerre : je m'interroge avec vous. J'ai peine à croire que nous soyons en économie de guerre lorsque l'on gèle tous les ans, y compris cette année, une partie des crédits du budget de la défense. Si nous étions réellement en économie de guerre, nous ne gèlerions pas 3,3 milliards d'euros de crédits.
Par ailleurs, il y a un sujet sur lequel nous ne sommes pas très au clair, c'est le débat entre la cohérence et la masse s'agissant des matériels militaires. Cela me permet de répondre à Raphaël Daubet. Je parle sous le contrôle de Pascal Allizard, mais qu'est-ce qui s'est passé sur les dernières décennies ? On nous a expliqué que, dès lors que nous allions avoir des équipements de plus en plus performants - et coûteux -, nous en aurions besoin de moins. En théorie, cette affirmation est vérifiée, en particulier en temps de paix. Mais ce n'est pas tout à fait pareil si l'on s'en sert en situation réelle.
Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus exposés en cas de réalisation de deux risques : un taux effectif de disponibilité des équipements insuffisant et/ou une attrition de leur nombre en cas de conflit. En effet, lorsque vous disposez de 1 000 avions avec un taux de disponibilité de 50 %, il vous en reste 500. Lorsque vous en avez initialement 200, il ne vous en reste plus que 100. Et si vous devez les engager, ce serait une erreur de penser qu'à la fin du conflit, il y aura autant d'équipements qu'au début. Or, quand il y en a déjà peu au départ... C'est là que se situe le débat. Sans mise en perspective de cette question, on ne peut pas comprendre ce qui se passe actuellement dans l'exécution de la LPM.
Jean-François Husson me pose la question de savoir si dans le cas où nous augmenterions l'effort de défense à 2,3 % du PIB, nous serions mieux classés dans le palmarès des pays de l'OTAN ayant le taux d'effort de défense le plus élevé. La réponse est oui, en théorie. Sauf que tous les pays sont en train d'augmenter leurs dépenses et, comme je l'ai indiqué dans le rapport, notre trajectoire de hausse est plutôt moindre que celle de nos partenaires. Donc, si l'on veut véritablement maintenir notre rang, il n'y a pas d'autre solution que d'augmenter l'effort, sans que je puisse vous dire comment le financer.
Michel Canévet, ce qui me frappe sur le stock des restes à charges, qui représente 99 milliards d'euros, c'est surtout la rigidité induite du budget. Près de 90 % du budget pour 2025, hors dépense de personnel, correspond ainsi à l'apurement des engagements antérieurs. C'est dire que si nous devions changer la stratégie, si nous devions faire évoluer notre dispositif et notre format, nous ne pourrions jouer que sur 10 % des crédits. Nous n'avons plus aucune marge de manoeuvre.
Pour répondre à la question de Michel Canévet, le coût des intérêts payés à la BITD représente environ 30 millions d'euros par an, rapporté aux 8 milliards d'euros de reports de charges. Pour les grandes entreprises, ce n'est pas forcément un mauvais placement. C'est plus complexe pour leurs sous-traitants, qui en bénéficient moins, voire pas du tout, et ne sont pas réglés. Je sais que la DGA essaye de les accompagner et de veiller à ce que ces fournisseurs soient payés en temps et en heure, mais tous ne sont pas concernés.
J'ai d'ailleurs un exemple concret sur ma commune d'une entreprise qui vient d'être rachetée : le chef d'entreprise me disait : « On n'a pas de clarté ». Nous avons tous entendu un témoignage similaire hier soir lors de l'interview du Président de la République.
Thomas Dossus a évoqué les autres lois de programmation ; je ne peux pas me prononcer sur ce point.
Je complète ma réponse à la question de Raphaël Daubet en indiquant que dans le rapport, vous pourrez trouver des développements sur la « loi d'Augustine ». Norman Augustine était un spécialiste de l'armement américain qui expliquait dès les années 1970 que plus le temps avance, plus les équipements militaires sont technologiques, et plus le coût unitaire de chaque matériel augmente. Le résultat, disait-il, était qu'à un moment donné, il ne resterait plus d'argent que pour un seul avion. Nous n'en sommes pas là mais nous devons avoir ce raisonnement en tête.
Thierry Cozic, les financements alternatifs que vous évoquez peuvent constituer une réponse technique. Mais concrètement, si on met en place un grand emprunt, il faudra le rémunérer. Cela aura un coût, qui viendra s'ajouter au montant de la dette et de ses intérêts. Cela contribue à une fuite en avant.
Je voudrais terminer sur un point plus personnel. J'entends dire qu'il faut mettre plus d'argent sur la LPM dès 2025. Peut-être, encore faudrait-il savoir pourquoi. Une mesure utile pourrait déjà être de lever le gel des crédits de paiement gelés cette année, afin de payer nos fournisseurs. Cela n'appelle pas de décret d'avance, de nouvelle loi, ou de révision de la LPM. Cela s'appelle simplement le respect du Parlement et de la loi votée.
Marie-Claire Carrère-Gée. - Pourquoi ne pas en faire la recommandation n° 1 ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Cela pourrait être la recommandation numéro 1. Je ne l'ai pas mise aussi haut dans la liste car il y avait également d'autres sujets et à ce jour, et nous ne sommes saisis de rien par le Gouvernement.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le rapporteur spécial.
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
État-major des armées :
- Général de division Valérie PUTZ, chef de la division « Plans programmation évaluation » ;
- Colonel Vincent MINGUET ;
- Colonel Valérie MORCEL, responsable des relations avec le Parlement.
État-major de l'Armée de l'air et de l'espace :
- Général de division aérienne Vincent CHUSSEAU, sous-chef d'état-major « plans-programmes » ;
- Colonel Christophe TALON.
État-major de l'armée de Terre :
- Général de division Laurent PROENCA, sous-chef d'état-major « Performance et soutiens » ;
- Colonel Hervé FERNANDO, chef du bureau « programmation-finances-budget » ;
- Lieutenant-colonel Jean-Marc SOULIER, chargé des relations avec le Parlement.
État-major de la marine :
- Contre-amiral Ludovic SEGOND, sous-chef « soutien-finances » ;
- Capitaine de vaisseau Guillaume COUBE, chargé des relations avec le parlement.
Direction du budget du ministère de
l'économie et des finances
(5ème
sous-direction) :
- M. Clément BOISNAUD, sous-directeur au bureau de la 5ème sous-direction du Budget ;
- M. Benoît MALBRANCKE, chef du bureau de la défense et de la mémoire.
Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées :
- Mme Évelyne SATONNET, cheffe du service « synthèses et pilotage budgétaire » ;
- Mme Marie MAUBLANC, cheffe du bureau de l'exécution budgétaire.
Direction générale de l'armement :
- Ingénieure générale de l'armement Corinne LONCHAMPT, directrice de la préparation de l'avenir et de la programmation (DPAP) ;
- Ingénieur général de l'armement Raphaël JAMMES, sous-directeur de la programmation, de la gestion et de la gouvernance financière de la DPAP ;
- Mme Mathilde HERMAN, conseillère communication et relations avec les élus et plume.
Direction générale de la sécurité extérieure142(*)
Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :
- M. Philippe LÉGLISE-COSTA, Ambassadeur.
Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) :
- M. Philippe MISSOFFE, délégué général.
Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) :
- Général de corps d'armée Jean-Marc DUQUESNE, délégué général ;
- Mme Léa BENASSEM-DURIEUX, directrice des affaires publiques pour la France et l'Europe.
Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) :
- Général de corps aérien Frédéric PARISOT, délégué général ;
- M. Jérôme JEAN, directeur des affaires publiques.
Institut français des relations internationales (IFRI) :
- M. Élie TENENBAUM, directeur du centre des études de sécurité.
LISTE DES DÉPLACEMENTS
Site industriel de KNDS à Bourges (15 avril 2025)
- Général de corps d'armée Nicolas CASANOVA, conseiller militaire du directeur général de KNDS ;
- M. Philippe REYNES, directeur général KNDS Ammo France ;
- M. Archibald BAGOURD, chargé de chefferie et des affaires publiques de KNDS.
Site industriel de MBDA à Bourges (15 avril 2025)
- M. Frédéric WILMOT, directeur industriel France et directeur des sites en région Centre ;
- M. Jean RIBEREAU-GAYON, directeur de l'établissement de MBDA Bourges ;
- Mme Anne-Sophie THIERRY-BOZETTO, responsables des relations politiques et parlementaires de MBDA.
TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)
N° de la proposition |
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
1 |
Mettre fin à la tendance au report significatif de crédits de paiement d'année en année, en cohérence avec le principe d'annualité budgétaire |
Gouvernement, ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère des armées |
Fin 2025 |
Arrêtés portant report de crédits |
2 |
Arrêter la sous-budgétisation chronique des surcoûts annuels liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures des armées en ajustant le montant de la provision afférente, intégrée dans le budget annuel de la mission « Défense », et y inclure le coût des missions relevant de la sécurisation du flanc oriental de l'OTAN |
Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (direction du budget), ministère des armées (secrétariat général pour l'administration) |
2025 |
Projet de loi de finances pour 2026 |
3 |
Intégrer dans les documents budgétaires annuels de la mission « Défense » la mention de la trajectoire prévue (jusqu'à la fin de la période de programmation) et exécutée du report de charges pour chaque programme et en cumulé |
direction du budget, secrétariat général pour l'administration du ministère des armées |
2025 |
Projet de loi de finances pour 2026 |
4 |
Reprendre rapidement le contrôle de la dynamique du report de charges en actant une trajectoire de réduction menant à un taux de 10 % des crédits, hors dépenses de personnel, en 2030 |
Ministère des armées, ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique |
2025 |
Modalités d'exécution des crédits en 2025 |
5 |
Communiquer au Parlement la trajectoire actualisée des dépenses de personnel prévues pour la période de programmation |
Ministère des armées (secrétariat général pour l'administration) |
Été 2025 |
Courrier |
6 |
Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité effective des matériels militaires et sur le niveau d'activité des forces armées pour en tirer les conséquences nécessaires, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents |
Ministère des armées |
2025 |
Projet de loi de finances pour 2026 |
7 |
Envisager, pour certains besoins, un rééquilibrage partiel de la culture d'acquisition des armées au profit de matériels moins onéreux mais plus nombreux, dans le cadre d'une stratégie de juste suffisance des capacités des équipements |
Ministère des armées |
2025 |
Tout support, en particulier l'actualisation de la revue nationale stratégique |
8 |
Respecter pleinement les prérogatives législatives et budgétaires du Parlement s'agissant de la politique de défense, notamment en le saisissant rapidement dans l'hypothèse d'une proposition de modification de la trajectoire budgétaire prévue dans la LPM 2024-2030 |
Gouvernement |
Dès aujourd'hui |
Toutes modalités, dont les auditions, les débats en séance, le dépôt de projets de texte de loi et la transmission d'information |
9 |
Privilégier en 2025 un assouplissement de la régulation budgétaire s'appliquant à la mission « Défense » et assurer en fin d'année la couverture de l'essentiel des surcoûts par l'ouverture de crédits en loi de finances de fin de gestion, sauf à ce que le Gouvernement justifie de la nécessité d'ouvrir dès cette année des crédits supplémentaires |
Gouvernement |
2025 |
Modalités d'exécution des crédits en 2025 |
10 |
En présence d'un montant d'autorisations d'engagement disponible très élevé, y compris au titre de reports, adopter en 2025 un niveau d'engagement cohérent avec le montant des crédits de paiement envisagés pour les prochaines années, afin d'éviter les risques de soutenabilité |
Gouvernement, ministère des armées |
2025 |
Modalités d'exécution des crédits en 2025 |
11 |
Afin de permettre la montée en charge de la BITD française, lever une partie des contraintes s'appliquant à la construction et à l'extension des infrastructures industrielles, par des dispositions ad hoc à ce secteur |
Gouvernement |
2025 ou 2026 |
Projet de loi, amendement gouvernemental ou texte réglementaire selon les cas |
* 1 Comme l'avait déjà montré le rapporteur spécial dans un rapport récent n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 2 Voir la troisième partie du rapport.
* 3 Union des républiques socialistes soviétiques.
* 4 Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), institut de référence mondiale, spécialisé dans la recherche en matière de conflits et d'armement.
* 5 Il convient toutefois de noter que certains pays non-occidentaux connaissent une évolution quelque peu différente, à l'image de la Russie, dont le niveau des dépenses militaires dans le PIB ne décline pas de manière linéaire mais fluctue entre 3 % et 5 % entre le début des années 1990 et les années précédant l'invasion de l'Ukraine, en février 2022.
* 6 Guerres de Corée, du Vietnam, d'Irak et d'Afghanistan notamment.
* 7 Selon les données et la méthodologie du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
* 8 Voir infra.
* 9 Idem.
* 10 Organisation du traité de l'Atlantique Nord.
* 11 Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
* 12 Il convient néanmoins de prendre en compte le fait que le taux de dépenses publiques par rapport au PIB est quant à lui très élevé par rapport à la moyenne internationale.
* 13 En 1919, à la sortie de la Première Guerre mondiale, le niveau d'endettement de la France dépasse largement 150 %, tandis que vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, il est de plus de 250 %.
* 14 Les chiffres harmonisés disponibles se basent sur la valeur du dollar américain de 2023.
* 15 Voir infra.
* 16 Augustine Laws. United Press International. May 24, 1986.
* 17 Cité in Martial Foucault, « Les budgets de défense en France. Entre déni et déclin », Focus Stratégique, n° 36, avril 2012, p. 19.
* 18 L'innovation à l'État-major des Armées, Jérôme Bordellès et Tsiporah Fried.
* 19 Manned NGAD fighter. Il devrait correspondre au futur F-47.
* 20 L'inflation cumulée entre les deux périodes réduit toutefois l'écart.
* 21 Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur : « Une LPM qui laisse de nombreux enjeux capacitaires », M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET, 7 juin 2023.
* 22 Voir infra.
* 23 Voir infra.
* 24 Dès 2017, la Revue nationale stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) faisait état d'un « durcissement des menaces » dont il résultait « un risque accru d'escalade et de montée aux extrêmes entre États, potentiellement jusqu'au franchissement du seuil nucléaire ». La Revue nationale stratégique (RNS) présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 s'inscrivait ainsi dans la continuité de la précédente. Tirant les premiers enseignements de la guerre en Ukraine, la RNS insistait sur la nécessité de se préparer à des conflits placés sous le triple signe du retour du fait nucléaire, de la haute intensité et de l'hybridité. Pour faire face à un éventuel « engagement majeur sous la voûte nucléaire de l'agresseur », elle soulignait explicitement « le besoin de masse et de densité de l'action interarmées ». Elle rappelait également l'importance de renforcer notre capacité à nous défendre et à agir dans les champs hybrides, notamment cyber.
* 25 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 26 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 27 D'après les informations transmises par le ministère des armées au moment de l'examen du projet de LPM, dont le rapporteur spécial était rapporteur pour avis pour la commission des finances.
* 28 Voir infra.
* 29 Voir supra. À la différence de la trajectoire budgétaire prévue en LPM.
* 30 Réponses au questionnaire des rapporteurs au fond et pour avis du Sénat.
* 31 Alors en qualité de rapporteur pour avis.
* 32 Voir infra.
* 33 En date du 2 juin 2023.
* 34 Voir infra.
* 35 C'est-à-dire destinée à être effectivement mobilisée sur le terrain.
* 36 Voir supra.
* 37 Voir infra.
* 38 Voir supra. Rapport d'information n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 39 Réponses au questionnaire des rapporteurs au fond et pour avis du Sénat.
* 40 Voir infra.
* 41 Le ministère des armées a développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), transversales aux différents programmes.
* 42 Budget opérationnel de programme.
* 43 Voir infra.
* 44 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 45 Voir infra.
* 46 Selon les éléments recueillis par le rapporteur spécial et les chiffres de la Cour des comptes : Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025.
* 47 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 48 Dont 160 millions d'euros, hors CAS « Pensions », au titre des dépenses de personnel (programme 212) et 677 millions d'euros au titre des autres types de dépenses (programme 178).
* 49 Dont 532 millions au titre de l'équipement des forces (programme 146), 37,6 millions d'euros au titre des dépenses de personnel (programme 212) et 33 millions d'euros au titre du programme 144 (Environnement et prospective de la politique de défense).
* 50 Selon les éléments recueillis par le rapporteur spécial et les chiffres de la Cour des comptes : Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025.
* 51 La situation diffère en fonction des programmes de la mission.
* 52 Dont il n'a pas été fait part au rapporteur spécial à l'occasion de ses travaux.
* 53 Voir infra.
* 54 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 55 Voir infra.
* 56 Selon le Recueil des règles de comptabilité budgétaire de l'État, cité par la Cour des comptes, la réserve de précaution ne constitue pas un simple gel temporaire des crédits : « Les crédits mis en réserve [doivent] être préservés en vue de couvrir les seuls aléas de gestion, en garantissant d'une part la capacité d'auto-assurance ministérielle, en cas de dépenses plus dynamiques que prévu ou d'imprévus, et d'autre part la capacité de faire face aux besoins de solidarité interministérielle. »
* 57 Voir supra.
* 58 Voir supra.
* 59 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 60 Voir infra.
* 61 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 62 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 63 Dont 2,52 milliards au titre de la régulation budgétaire et 767 millions d'euros au titre des aléas de gestion.
* 64 Analyse de l'exécution budgétaire 2023, Mission « Défense », avril 2024, Cour des comptes.
* 65 Rapport fait au nom de la commission des finances par la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, dont Jean-François HUSSON est le rapporteur et Claude RAYNAL le président, déposé le 6 juin 2024.
* 66 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 67 Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
* 68 Voir supra.
* 69 Idem.
* 70 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 71 Réponses aux questionnaires du rapporteur spécial et documents budgétaires.
* 72 Camion équipé d'un système d'artillerie.
* 73 Réponses aux questionnaires du rapporteur spécial et documents budgétaires.
* 74 Avions Atlantique 2 de lutte anti sous-marine.
* 75 Missile mer-sol balistique stratégique (MSBS), porteur de la dissuasion nucléaire française et équipant les SNLE.
* 76 Missile nucléaire à statoréacteur hypersonique français devant équiper les Rafale.
* 77 Voir infra.
* 78 Voir les définitions supra.
* 79 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 80 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 81 Selon le rapport annuel de performances de la mission « Défense » pour 2024.
* 82 Comme le confirme la Cour des comptes : Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 83 Voir supra.
* 84 En particulier, le rapporteur spécial.
* 85 Notamment dans son rapport d'information n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 86 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 87 Voir supra.
* 88 Rapport d'information précité n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 89 Son ratio renvoie au nombre de matériels en état de fonctionnement par rapport au nombre de matériels disponibles nécessaires afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels fixés en loi de programmation militaire.
* 90 Voir supra. Les données postérieures à 2022 sont classées « Diffusion restreinte - spécial France ».
* 91 Dont les résultats sont publiés deux fois par an dans les documents budgétaires.
* 92 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
* 93 Notamment Steadfast Dart, Talisman Sabre (Australie), Dacian fall (déploiement d'une brigade complète en Roumanie dans le cadre des plans de réassurance de l'OTAN), etc.
* 94 Hors domaine aéroterrestre, pour lequel la norme a également été respectée, avec 160 heures de vol par équipage.
* 95 Voir supra.
* 96 Selon le SIPRI.
* 97 Selon les chiffres du SIPRI.
* 98 Voir supra.
* 99 « Considerably more than 3 percent » en anglais.
* 100 Notamment le secrétaire à la défense, Pete Hegseth.
* 101 Voir infra.
* 102 À savoir les capacités permettant d'opérer de manière autonome, notamment grâce à des centres de commandement, des avions de transport stratégique, du renseignement satellitaire et des capacités de frappe dans la profondeur.
* 103 Voir supra.
* 104 Voir supra.
* 105 Selon la terminologie utilisée par Elie Tenenbaum, chercheur à l'IFRI, auditionné à l'occasion des travaux du rapporteur spécial.
* 106 L'article 8 de la LPM prévoit que « la présente programmation fera l'objet d'une actualisation par la loi avant la fin de l'année 2027. Précédée d'une actualisation de la revue nationale stratégique (...). ».
* 107 Article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
* 108 Il est en revanche prévu par l'article 13 de la LOLF que « La commission chargée des finances de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret. La signature du décret ne peut intervenir qu'après réception des avis de ces commissions ou, à défaut, après l'expiration du délai susmentionné. La ratification des modifications apportées, sur le fondement des deux alinéas précédents, aux crédits ouverts par la dernière loi de finances est demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année concernée. »
* 109 How to Finance Europe's Military Buildup ? Lessons from History, Johannes Marzian and Christoph Trebesch : https://www.ifw-kiel.de/fileadmin/Dateiverwaltung/IfW-Publications/fis-import/2ff3cc9c-77e3-4e16-9b1f-6b91cf251cd4-KPB_184_en.pdf
* 110 Définis comme débutant par une forte hausse du ratio des dépenses militaires par rapport au PIB de plus de 6,8 % deux années d'affilée et se terminant par l'absence de progression pendant deux années consécutives. 113 épisodes ont ainsi été identifiés sur la période 1870-2020, à l'exclusion des périodes de la Première et de la Seconde guerres mondiales, en moyenne pour une période de 5 ans et résultant dans l'augmentation des dépenses militaires d'environ 1,5 point de PIB.
* 111 Voir supra.
* 112 Rapport d'avancement annuel 2025.
* 113 Selon l'INSEE, qui utilise une méthodologie différente, ce taux est de 42,8 % en 2024.
* 114 Et 1,2 %, 1,4 %, 1,4 % et 1,2 % de 2026 à 2029, selon le rapport annuel d'avancement.
* 115 Voir supra.
* 116 Idem.
* 117 En euros courants.
* 118 En incluant les reports de crédits.
* 119 Selon la même logique qui préside au fait que le taux d'effort de défense correspondant à la trajectoire budgétaire de la LPM tend à augmenter davantage qu'initialement prévu.
* 120 Voir supra.
* 121 Idem.
* 122 Voir supra.
* 123 Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
* 124 À savoir 7,8 milliards d'euros selon Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics, entendue par la commission des finances du Sénat le mardi 18 mars 2025.
* 125 Voir supra.
* 126 En 2021. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52024JC0010.
* 127 Airbus Defence and Space, Thales, Safran, MBDA, Naval Group, Dassault, Ariane Group, KNDS et Arquus.
* 128 Voir notamment le dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 129 Données du SIPRI.
* 130 Idem.
* 131 Le programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP). Doté d'une enveloppe de 500 millions d'euros pour 2019 et 2020, il visait à favoriser la coopération entre les entreprises et les États membres en matière de développement de produits ou de technologies de défense.
* 132 Selon les auditions menées par le rapporteur spécial.
* 133 Toutefois, si l'entité est contrôlée, l'État membre dans lequel l'entité européenne est établie peut fournir des garanties d'autonomie à l'entité afin de lui permettre de recevoir un financement du FED.
* 134 Soit l'autorité permettant de définir, de faire évoluer et d'adapter le matériel.
* 135 En qualité de Sénateur.
* 136 Résolution européenne n° 33 (2024-2025) sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense - COM(2024) 150 final.
* 137 Voir notamment le dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 138 Note de l'observatoire économique de la défense, n° 260, mars 2025. L'étude porte sur la période 2016-2021.
* 139 Selon le Gouvernement, la BEI a financé dans ce cadre des projets relatifs au développement de drones, le déploiement de satellites d'observation, ainsi que des projets de cybersécurité et des infrastructures militaro-civiles : dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 140 Voir supra.
* 141 Le principe du fléchage d'une partie de l'épargne réglementée des Français vers le financement de la défense a déjà été examiné et adopté à plusieurs reprises par le Parlement. Il ne figure toutefois pas dans le droit, les dispositions concernées ayant été, selon le cas, soit censurées pour des raisons de forme par le Conseil constitutionnel, soit adoptées de façon non définitive par le Sénat et restant en navette. Proposition de loi n° 191 (2023-2024) de M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues, relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française.
* 142 L'identité des personnes entendues n'est pas communiquée pour des raisons de confidentialité.