- L'ESSENTIEL
- LISTE DES RECOMMANDATIONS
- I. L'ANALYSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS FAIT
RESSORTIR UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE QUI PÉNALISE
L'ÉQUILIBRE FINANCIER DU SYSTÈME DE RETRAITE
- A. LE NIVEAU DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS A UNE
INCIDENCE DÉTERMINANTE SUR LE SYSTÈME DE RETRAITE ET SON
ÉQUILIBRE
- B. LA FRANCE SE DISTINGUE PAR UN TAUX D'EMPLOI DES
SENIORS RELATIVEMENT FAIBLE PAR RAPPORT AUX ÉCONOMIES VOISINES
COMPARABLES
- 1. Les comparaisons internationales font ressortir
la particularité française
- 2. Plusieurs facteurs expliquent ce décalage
français en termes de taux d'emploi des seniors
- a) L'âge de départ en retraite est
plus bas en France que dans d'autres pays comparables
- b) Plusieurs aspects structurels du marché
du travail français encouragent la sortie anticipée du
marché du travail des seniors
- c) Des facteurs de représentation et de
niveau de vie à la retraite entrent en outre en jeu pour limiter le
maintien en emploi des seniors en France
- a) L'âge de départ en retraite est
plus bas en France que dans d'autres pays comparables
- 3. Les effets en montée en charge des
réformes des retraites pourraient réduire mais pas combler
l'écart
- 1. Les comparaisons internationales font ressortir
la particularité française
- A. LE NIVEAU DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS A UNE
INCIDENCE DÉTERMINANTE SUR LE SYSTÈME DE RETRAITE ET SON
ÉQUILIBRE
- II. LES EFFETS POSITIFS SUR LE SOLDE DU
SYSTÈME DE RETRAITE D'UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS ÉLEVÉS
SONT INDISCUTABLES MÊME S'IL EST DIFFICILE DE PROPOSER UN CHIFFRAGE
FIABLE
- A. DES CHIFFRAGES REPOSANT SUR DES
HYPOTHÈSES DIFFÉRENTES PERMETTENT D'ÉTABLIR UN EFFET DE LA
HAUSSE DE DIX POINTS DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS À ENVIRON
DIX MILLIARDS D'EUROS
- 1. Plusieurs propositions de chiffrages,
fondées sur des méthodologies différentes, ont
été déjà été réalisées
et estiment à plusieurs milliards d'euros l'incidence des
évolutions du taux d'emploi des seniors sur le solde du système
de retraite
- 2. Les travaux réalisés sont tous
fondés sur des hypothèses fortes qui limitent ontologiquement
leur fiabilité
- 1. Plusieurs propositions de chiffrages,
fondées sur des méthodologies différentes, ont
été déjà été réalisées
et estiment à plusieurs milliards d'euros l'incidence des
évolutions du taux d'emploi des seniors sur le solde du système
de retraite
- B. LA NÉCESSITÉ DE RENTRER DANS LE
DÉTAIL MICROÉCONOMIQUE ET DE RAISONNER EN EFFET NET POUR SE
RAPPROCHER DE LA RÉALITÉ
- 1. Le nombre de personnes qui pourraient revenir
sur le marché du travail donne une indication de la hausse de taux
d'emploi réalisable en France
- 2. La prise en compte des motivations des seniors
permet de mieux cerner les types d'emplois qui pourraient leur convenir
- 3. Il convient de retenir le niveau de
qualification des NER en bonne santé pour estimer leur
productivité potentielle
- 4. La nécessité de comptabiliser
l'effet net sur le solde des finances publiques de l'effort à effectuer
pour permettre un retour en emploi massif des seniors
- 1. Le nombre de personnes qui pourraient revenir
sur le marché du travail donne une indication de la hausse de taux
d'emploi réalisable en France
- C. LES EFFETS POSITIFS INDUITS PAR L'ACCROISSEMENT
DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS SONT NÉANMOINS POSITIFS QUELLE QUE SOIT LA
MÉTHODOLOGIE UTILISÉE ET PERMETRAIENT UNE AMÉLIORATION
NETTE DE SIX MILLIARDS D'EUROS DU SOLDE DES FINANCES PUBLIQUES
- A. DES CHIFFRAGES REPOSANT SUR DES
HYPOTHÈSES DIFFÉRENTES PERMETTENT D'ÉTABLIR UN EFFET DE LA
HAUSSE DE DIX POINTS DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS À ENVIRON
DIX MILLIARDS D'EUROS
- III. L'AUGMENTATION DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS
EST NÉCESSAIRE MAIS NE SUFFIT PAS À PÉRENNISER LE
SYSTÈME PAR RÉPARTITION
- A. LES LEVIERS POUR ENCOURAGER LA HAUSSE DU TAUX
D'EMPLOI DES SENIORS SONT NOMBREUX ET DOIVENT ÊTRE
ACTIONNÉS
- 1. La formation et le maintien en emploi,
clé d'un accroissement de la compétitivité et donc d'un
retour à la croissance
- 2. L'encouragement de la retraite
progressive
- 3. La nécessité de créer des
emplois adaptés aux besoins des seniors et susceptibles de les motiver
à demeurer en emploi
- 4. Un encouragement par le développement
des décotes et des surcotes
- 5. Vers une culture du maintien en emploi des
seniors, notamment les moins qualifiés
- 1. La formation et le maintien en emploi,
clé d'un accroissement de la compétitivité et donc d'un
retour à la croissance
- B. LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS NE
SAURAIT CONSTITUER LA SOLUTION DÉFINITIVE AU DÉSÉQUILIBRE
DU SYSTÈME DE RETRAITE EN FRANCE
- C. LA PÉRENNISATION DU SYSTÈME DE
RETRAITE PAR RÉPARTITION DOIT PASSER PAR DIVERS LEVIERS
- 1. Les effets de long terme peu documentés
d'une politique nataliste
- 2. La question de la participation des
retraités à l'effort de redressement du solde du système
de retraite
- 3. Renforcer l'adhésion au modèle
par répartition par une clarification des circuits de financement
- 4. Développer la capitalisation dans une
logique de pérennisation du système par répartition et non
en remplacement de ce dernier
- a) Les expériences historiques de
régimes par capitalisation en France sont loin d'avoir été
concluantes
- b) La France a déjà recours à
une part relativement importante de capitalisation au sein du financement des
retraites par rapport aux pays comparables
- c) Un développement de la capitalisation
comme amortisseur des grandes évolutions économiques peut
encourager la sauvegarde de l'équilibre à long-terme du
système par répartition
- a) Les expériences historiques de
régimes par capitalisation en France sont loin d'avoir été
concluantes
- 1. Les effets de long terme peu documentés
d'une politique nataliste
- A. LES LEVIERS POUR ENCOURAGER LA HAUSSE DU TAUX
D'EMPLOI DES SENIORS SONT NOMBREUX ET DOIVENT ÊTRE
ACTIONNÉS
- I. L'ANALYSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS FAIT
RESSORTIR UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE QUI PÉNALISE
L'ÉQUILIBRE FINANCIER DU SYSTÈME DE RETRAITE
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI
(TEMIS)
- ANNEXE - NOMENCLATURE DES CATÉGORIES
SOCIOPROFESSIONNELLES
N° 616
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur
l'incidence du taux
d'emploi
des seniors sur
l'équilibre financier du
système de
retraite,
Par Mme Sylvie VERMEILLET,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », a présenté le mercredi 14 mai 2025 les conclusions de son contrôle sur l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre du système de retraite.
I. UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS SPÉCIFIQUEMENT BAS EN FRANCE
A. LA FRANCE SE DISTINGUE PARMI LES ÉCONOMIES COMPARABLES COMME UN PAYS OÙ LES SENIORS SONT PEU EN EMPLOI
Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France apparaît comme un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75,2 % de ses 55-64 ans et que ce taux atteint 75,3 % aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4 %.
Taux d'emploi des 55-64 ans depuis 2003 dans plusieurs pays de l'OCDE
Source : commission des finances, données Eurostat et OCDE
Or, la faiblesse du taux d'emploi dans une économie donnée tend à limiter sa capacité à produire de la richesse. La France, dont le système de retraite par répartition est dépendant à la croissance, ne peut par conséquent se satisfaire d'un taux d'emploi des seniors qui soit réduit.
B. LES CAUSES DE CE FAIBLE TAUX D'EMPLOI SONT NOMBREUSES
Par rapport aux autres pays de l'OCDE qui ont pourtant connu le même choc démographique, la France se distingue par des réformes des retraites plus prudentes et moins rapides que les autres. De 1970 au milieu des années 1990, l'ensemble des pays de l'OCDE réduisent l'âge moyen de départ en retraite de leurs citoyens, le reflux avec la baisse de la croissance et le retournement démographique s'est opéré plus tôt dans les pays autres que la France.
Âge moyen de départ en retraite
dans plusieurs pays de l'OCDE de 1975 à 2020
Source : commission des finances, données OCDE
La France se distingue par un retard d'une dizaine d'années dans le début de relèvement de l'âge moyen de départ en retraite. Alors que le point bas est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, il ne survient en France qu'en 2005. Or, l'âge de départ est le premier des facteurs pour accroître le taux d'emploi des seniors.
La France peine, en outre, à donner la place dans son marché du travail à des emplois à temps partiel ou à moins grande valeur ajoutée. Or, ce sont précisément ces postes que recherchent les seniors.
Évolution en fonction de l'âge et de la situation d'emploi précédant le chômage de la part d'allocataires déclarant chercher dans leur prochain emploi au moins deux des trois critères suivants : proximité, temps partiel ou durée limitée
Source : commission des finances, données Unédic et MiDAS
Le désir de travailler proche de chez soi et pour une durée moindre s'accroît à mesure que se rapproche la retraite : le développement de solutions de travail à temps partiel, dans des métiers à moins haute valeur ajoutée, pourrait ainsi favoriser le maintien en emploi des seniors.
Enfin, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport entre les droits à la retraite perçus par rapport au salaire net précédant l'entrée en retraite, est plus élevé en France qu'en Allemagne par exemple. Cela pousse les seniors à quitter plus facilement le marché du travail.
Un nouveau retraité en Allemagne gagne en moyenne 55,3 % de son salaire précédent, un Français près de 71,9 % : l'arbitrage en faveur de l'emploi est ainsi plus évident outre-Rhin.
II. LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS AURAIT UNE INCIDENCE TRÈS POSITIVE SUR LE SOLDE DU SYSTÈME DE RETRAITE
A. PLUSIEURS CHIFFRAGES EXISTENT, SELON DES MÉTHODOLOGIES DIFFÉRENTES, QUI PERMETTENT D'APPROXIMER LE GAIN POTENTIEL D'UNE HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI
Trois chiffrages ont été transmis à la rapporteure, permettant d'évaluer le bénéfice brut potentiel, pour le solde des finances publiques ou du système de retraites, de diverses hausses du taux d'emploi.
Tableau récapitulatif des chiffrages
proposés
à la suite des demandes de la
rapporteure
Organisme |
COR1(*) |
Chaire TDTE2(*) |
DGT3(*) |
Hausse du taux d'emploi retenue |
14 points pour l'ensemble de la population |
10 points pour les 60-64 ans |
3,6 points pour l'ensemble de la population dont 16,4 points pour les 60-64 ans |
Gain estimé et solde étudié |
124,8 milliards d'euros pour l'ensemble des finances publiques |
9,7 milliards d'euros pour le système de retraites |
9 milliards d'euros pour le système de retraites |
Hypothèse de hausse du taux d'emploi |
Alignement avec les Pays-Bas |
Hausse théorique de 10 points de l'emploi des 60-64 ans |
Alignement avec l'Allemagne |
Prise en compte des divergences de temps de travail |
Non |
- |
Oui |
Hypothèses de productivité des seniors |
50% de la productivité moyenne |
Rémunération au salaire moyen |
Création d'emplois à temps plein ; baisse globale de la productivité induite par la hausse de l'emploi4(*). |
Source : commission des finances, d'après les travaux du COR, de la chaire TDTE et de la DGT
L'ensemble de ces chiffrages sont à prendre avec précaution car ils reposent tous sur des hypothèses fortes, notamment sur la qualité des emplois créés, la productivité des nouveaux entrants sur le marché du travail et leur exposition aux risques sociaux.
B. POUR AUTANT, LA MODÉLISATION DU BÉNÉFICE NET DE LA HAUSSE DE L'EMPLOI DES SENIORS MONTRE QU'ELLE NE SUFFIT PAS À COMBLER LE DÉFICIT DU SYSTÈME DE RETRAITE
En supposant que l'ensemble des personnes ni en emploi ni en retraite (NER) qui ne sont pas au chômage et sont en bonne santé - soit environ 589 000 personnes d'après l'INSEE - reviennent en emploi, les recettes supplémentaires atteignent 11,7 milliards d'euros, selon la méthodologie du COR. En comptant 10 000 euros de coût par emploi créé, ce qui correspondrait à une politique de l'emploi très efficiente, le gain net pour les finances publiques serait de 5,8 milliards d'euros.
Recettes supplémentaires pour les finances publiques |
Coût des politiques de l'emploi |
Résultat net d'une hausse de 6,9 points de l'emploi des 55-64 ans |
Source : commission des finances, données INSEE 2023, méthodologie COR
Cette estimation a certes pour limite la nature approximative de la méthode retenue et des données qui permettent d'y parvenir. Pour autant, elle permet à la fois de constater l'incidence positive de la hausse de l'emploi sur notre système de retraite et le fait qu'elle ne permet pour autant pas à elle seule de combler le déficit estimé à 30 milliards d'euros en 2045 par la Cour des comptes.
III. LA SAUVEGARDE DU SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS PASSE PAR PLUSIEURS LEVIERS QU'IL CONVIENT D'ACTIONNER ENSEMBLE
A. SOUTENIR LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS
1. Encourager la formation des seniors et développer des emplois adaptés
La DARES montre que l'effet de la formation sur le retour à l'emploi est d'autant plus élevé que l'âge avance : ainsi, pour les plus de 50 ans, avoir suivi une formation a un effet 1,75 fois plus important au bout de 24 mois que pour la catégorie des 26-50 ans. Or, ces plus de 50 ans souffrent d'une forme de discrimination à l'entrée en formation.
Probabilité d'être convoqué,
présent ou retenu à une formation
en fonction de
l'âge
Source : commission des finances, données Cap Métiers : rapport du Comité scientifique de l'évaluation du Plan d'investissement dans les compétences (PIC)
Il convient donc d'encourager la formation des actifs les plus âgés, pivot de leur maintien ou de leur retour en emploi. Cela irait de pair avec la mise en place de postes qui conviennent aux besoins des seniors.
2. Développer la culture du maintien en emploi et l'aménagement des fins de carrière
L'avènement d'une culture de la retraite progressive, qui permet d'allonger le temps passé en emploi et de favoriser la transition vers la retraite, est possible car ce dispositif, depuis la réforme de 2023, est accessible à tous les actifs. Néanmoins, son utilisation est encore bien trop faible : pour une génération donnée, c'est à 65 ans que les Français y ont le plus recours, mais pour seulement 7,9 % de la classe d'âge.
Situation des seniors sur le marché du travail en 2023 en fonction de l'âge
Source : commission des finances, données INSEE
Le projet de loi qui doit transposer l'accord national interprofessionnel (ANI) d'avril 2024 en faveur de l'emploi des seniors présenté le 7 mai 2025 en Conseil des ministres pourra permettre une telle avancée en prévoyant un nouveau thème de négociations obligatoires dans les branches : « le maintien dans l'emploi [des seniors] et l'aménagement des fins de carrière, en particulier les modalités d'accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel ».
B. PÉRENNISER LE SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS PAR RÉPARTITION
1. Pour un retour d'une natalité suffisante permettant d'équilibrer le système
Le rapport démographique entre les actifs cotisants et les retraités s'est très largement dégradé sous l'effet, notamment, de la réduction du taux de fécondité en France et de l'allongement de la durée de vie.
Rapport démographique entre les cotisants
et les retraités
tous régimes de retraite
confondus
Source : Commission des finances, données direction de la sécurité sociale et INSEE
La recherche d'une reprise de la natalité serait non seulement bénéfique pour le système de retraites, mais surtout le signe d'une société tournée vers l'avenir. Par tous moyens, il convient de chercher à encourager ce retour de la natalité.
2. La nécessité de préserver l'équité intergénérationnelle
Le maintien de l'équité intergénérationnelle assure l'adhésion au système par répartition. Il est préférable, ainsi, de ne pas accentuer la baisse déjà prévue par le COR du niveau de vie relatif des retraités. En effet, ceux qui en pâtiraient ne seraient pas les retraités actuels mais bien les actifs d'aujourd'hui. En outre, en vue de financer le grand âge et la dépendance, il convient de maintenir un niveau de vie suffisant pour les retraités à venir.
A paramètres inchangés, le niveau de vie moyen des retraités par rapport à l'ensemble de la population est d'ailleurs déjà voué, selon le COR, à revenir d'ici 2070 à son niveau de 1985, soit environ 85 %.
3. Recréer un fonds de réserve capable de garantir la pérennité du système face aux chocs économiques et démographiques
Par essence, les systèmes de retraite par répartition sont très sensibles aux évolutions démographiques, mais aussi aux évolutions de la croissance et de la productivité.
Pour amortir les évolutions néfastes pour solde du système, notamment lorsque la natalité, la croissance ou la productivité sont faibles, l'existence d'un fonds de réserve est indispensable.
Il est donc nécessaire de redonner au Fonds de réserve des retraites (FRR) sa mission initiale et préserver ses ressources au lieu de les affecter au remboursement de la dette sociale : entre 2025 et 2033, le FRR doit verser 1,45 milliard d'euros par an à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n°1 : Simplifier la lecture et accroître la cohérence du financement des organismes de protection sociale pour renforcer l'adhésion au système par répartition (Direction de la sécurité sociale et Direction de la législation fiscale).
Recommandation n°2 : Réabonder le Fonds de réserve des retraites en lui redonnant sa mission originelle d'amortisseur des chocs démographiques et économiques (Gouvernement).
Recommandation n°3 : Encourager par tous moyens une politique de soutien à la natalité pour favoriser, à long terme, un redressement du rapport démographique entre les actifs et les retraités (Gouvernement).
Recommandation n°4 : Développer l'investissement dans les compétences des seniors et dans la formation à partir de 50 ans, pour maintenir l'employabilité des salariés les plus âgés (Direction générale du travail et Direction générale de l'administration et de la fonction publique).
Recommandation n°5 : Encourager le développement d'une culture du travail des seniors, par la création d'emplois adaptés, notamment à temps partiel, qui répondent aux motivations de cette population (Gouvernement).
I. L'ANALYSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS FAIT RESSORTIR UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE QUI PÉNALISE L'ÉQUILIBRE FINANCIER DU SYSTÈME DE RETRAITE
A. LE NIVEAU DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS A UNE INCIDENCE DÉTERMINANTE SUR LE SYSTÈME DE RETRAITE ET SON ÉQUILIBRE
1. Les variations du taux d'emploi ont des effets puissants sur l'économie et sur les finances publiques
Le taux d'emploi correspond au rapport entre le nombre de personnes en emploi et la population totale. Comme l'indique l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), il peut être calculé pour une sous-catégorie de la population donnée comme par exemple une tranche d'âge, les habitants d'une région, ou encore les titulaires d'un certain type de diplôme.
Cette notion permet d'évaluer, pour une économie donnée, sa capacité à mettre à contribution sa main d'oeuvre au service de la production de richesses. Plus encore que le taux de chômage, il permet de mesurer l'état d'engagement et de participation de la population dans l'activité productive.
En effet, le taux de chômage5(*) mesure le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de personnes actives - c'est-à-dire soit en emploi soit au chômage. Le taux d'emploi, en revanche, prend pour dénominateur la population totale, ce qui permet d'avoir une vision plus englobante de la mobilisation de la main d'oeuvre en vue de la production de richesse.
Il apparaît que le maintien du taux d'emploi à un niveau élevé est bénéfique pour l'économie car il participe à accroître la croissance du produit intérieur brut (PIB). En effet, de façon arithmétique, l'accroissement du nombre de personnes en emploi a pour effet d'accroître l'activité économique, ce qui entraîne une augmentation de la valeur des cotisations sociales des impôts dont est bénéficiaire l'État. Ceci permet, en fin de comptes, de favoriser le financement des services publics et la protection sociale.
Schéma simplifié des implications d'une hausse du taux d'emploi
Source : commission des finances
Il apparaît ainsi que, pour des économies comparables, un taux d'emploi plus élevé a pour incidence une plus grande création de richesse qui bénéficie autant aux entreprises et aux ménages qu'aux administrations publiques. Le fonctionnement d'un système de protection sociale de qualité et doté de moyens suffisants dépend par conséquent, pour une partie, de la capacité de l'État à favoriser un taux d'emploi élevé.
2. La dépendance du système de retraite français à la croissance plaide pour encourager un taux d'emploi des seniors élevé
Plusieurs travaux l'ont déjà démontré, le système de retraite français est actuellement fortement lié aux hypothèses de croissance à moyen terme.
En effet, dès 2013, le rapport de la Commission pour l'avenir des retraites6(*) montre comment la foi en la croissance économique qui a irrigué la pensée des décideurs au cours des « Trente Glorieuses » a accru la vulnérabilité du système de retraite à la capacité de l'économie française à accroître la richesse qu'elle produit.
Le rapport montre bien que l'amélioration des règles de calcul des pensions du régime général et des régimes de base des non-salariés à partir des années 1970, poursuivie jusqu'au début des années 1990 dans les régimes complémentaires, a eu lieu en se fondant sur l'idée que la croissance permettrait de faire face aux dépenses nouvelles. Ce mouvement de hausse des droits à la retraite, s'il avait anticipé la problématique de l'arrivée en retraite de la génération du baby-boom, avait certainement minimisé l'incidence qu'aurait l'allongement conséquent de l'espérance de vie.
Évolution de l'espérance de vie en
France à la naissance
et à 65 ans par sexe
Source : commission des finances, données INSEE
Aujourd'hui, le haut niveau de prestations de retraites à verser et l'indexation des pensions sur l'inflation7(*) - et non pas sur l'évolution des salaires - rendent le système particulièrement sensible à la croissance, comme le montre précisément une note plus récente de France Stratégie8(*). Cette particularité française renforce l'exposition de l'équilibre du solde des retraite à la hausse de la production. Il s'ajoute au lien ontologique qui existe entre les hypothèses de croissance qui ont un impact sur l'équilibre prévisionnel du système de retraite dans tous les pays européens : le niveau des recettes est fortement lié à l'évolution de la masse salariale et donc de la richesse nationale.
La hausse du taux d'emploi permettant d'élever la production, il convient dès lors de l'encourager.
En France, en particulier, deux tranches d'âges se distinguent par des taux d'emploi particulièrement réduits : les jeunes et les seniors.
Taux d'emploi en France par tranche d'âge quinquennale en 2023
Source : commission des finances, données INSEE
On constate une stabilité du taux d'emploi entre 25 et 59 ans, qui se maintient autour de 78 % sur l'ensemble de la population. Les gains potentiels de mise en emploi des personnes sont plus réduits à ces âges.
Avant 25 ans, l'allongement de la durée d'étude ainsi que les difficultés des jeunes à s'intégrer dans le marché du travail peuvent expliquer le faible taux d'emploi. Il est notable qu'entre 20 et 24 ans, le delta entre les taux d'emploi des hommes - 57,8 % - et des femmes - 56,1 % - atteint un point bas : la moindre participation des femmes au marché du travail, en lien notamment avec l'effet de la maternité, se dessine plus tardivement.
Cependant, le constat le plus évident est l'effondrement du taux d'emploi des personnes entre 55 et 64 ans, qui passe pour l'ensemble de la population de 77 % à 38,6 %, soit une baisse de 38,4 points. Cette baisse massive et soudaine a plusieurs origines :
- d'abord, le départ en retraite des personnes qui atteignent l'âge légal ;
- ensuite, le développement de la catégorie des personnes ni en emploi ni en retraite (NER). Cette catégorie regroupe les seniors au chômage, ceux qui sont inactifs pour des raisons de santé ou de handicap ainsi que les personnes qui pourraient travailler mais ne cherchent pas à le faire, pour diverses raisons.
D'après l'INSEE9(*), en France, le nombre de NER qui ne sont ni au chômage ni sortis du marché du travail pour des raisons de santé s'élève, entre 60 et 64 ans, à environ 323 000 personnes. Il s'agit, par conséquent, d'autant de personnes en bonne santé qui pourraient rester au travail et permettraient ainsi d'accroître le taux d'emploi en France.
Si l'on compare la France avec ses partenaires européens, le décrochage du taux d'emploi des seniors, entre 55 et 64 ans, est encore plus visible.
Dans la mesure où le maintien en emploi de personnes dans cette tranche d'âge est porté par la réforme de 2023, notamment grâce à l'élargissement de la retraite progressive aux fonctionnaires, au corps enseignant, aux agents des régimes spéciaux et aux professions libérales, il convient de saluer la prise en compte de cette problématique par le gouvernement. Néanmoins, la hausse du taux d'emploi des seniors peut encore être recherchée et les personnes mobilisables sont suffisamment nombreuses pour avoir un effet potentiel important.
Les travaux de la rapporteure spéciale cherchent ainsi à mesurer l'effet que pourrait avoir sur le solde du système de retraite l'accroissement du taux d'emploi des seniors.
B. LA FRANCE SE DISTINGUE PAR UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS RELATIVEMENT FAIBLE PAR RAPPORT AUX ÉCONOMIES VOISINES COMPARABLES
1. Les comparaisons internationales font ressortir la particularité française
Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France apparaît comme un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75,2 % de ses 55-64 ans et que ce taux atteint 75,3 % aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4 %.
Taux d'emploi des 55-64 ans dans plusieurs pays de l'OCDE en 2024
Source : commission des finances, données OCDE
Le taux d'emploi des seniors en France est en outre en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE et de celle des pays de l'Union européenne (UE). Cette spécificité provient d'une structure du marché du travail plus rigide en France que dans d'autres pays et de réformes des retraites plus prudentes que dans d'autres pays de l'OCDE, notamment sur la question de l'âge de départ en retraite.
Cette analyse est ainsi mise en évidence dans la note10(*) de l'Institut des politiques macroéconomiques et internationales (i-MIP) de mars 2025. De 1970 au milieu des années 1990, l'ensemble des pays de l'OCDE tendent à réduire l'âge moyen de départ en retraite de leurs citoyens. Cela correspond à une sorte d'âge d'or du modèle de protection sociale occidentale, où les gains de croissance et de productivité ainsi que l'accroissement du nombre d'actifs permettent une hausse du niveau de vie et une réduction du temps passé au travail.
Cependant, à partir du milieu des années 1990, le reflux est significatif et, du fait d'un renversement tant des gains de productivité que de croissance et d'une diminution de la natalité, les âges moyens de départ à la retraite repartent à la hausse. Cette bascule est néanmoins différenciée en fonction des pays et la France se distingue par plusieurs spécificités.
Âge moyen de départ en retraite dans plusieurs pays de l'OCDE de 1975 à 2020
Source : commission des finances, données OCDE
La France, comme l'indiquent les économistes de l'i-MIP11(*), se distingue par un retard d'une dizaine d'année dans le début de relèvement de l'âge moyen de départ en retraite. Alors que le point bas est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, il ne survient en France qu'en 2005.
En outre, il apparaît que le relèvement de l'âge est non seulement plus lent mais aussi plus faible. Ainsi, la pente montante depuis 2005 forme une parabole inversée plus évasée que dans les autres pays. Ceci est notamment visible pour les hommes : la phase de baisse de l'âge de départ moyen est plus longue et plus pentue que dans les autres pays, celle de hausse plus tardive et plus timide. L'analyse pour les femmes est réplicable quoique moins apparente, du fait de carrières souvent incomplètes.
La conséquence première de cet âge de départ moyen en retraite plus faible en France que dans les autres pays de l'OCDE est le constat d'un taux d'emploi des seniors qui s'est creusé, notamment à partir du début des années 2000. Ainsi, l'écart d'environ 15 points de pourcentage par rapport à l'Allemagne sur le taux d'emploi des seniors s'est creusé particulièrement entre 2000 et 2008. Il est environ stable depuis, en lien avec la hausse progressive de l'âge moyen de départ en retraite en France.
Comme l'indique la direction générale du Trésor dans les réponses données au questionnaire envoyé par la rapporteure, la hausse de l'écart de taux d'emploi des seniors entre la France et l'Allemagne est une des conséquences des réformes du marché du travail outre-Rhin. Sur la période 2005-2012, près de 2,5 millions d'emplois y ont été créés. Ces réformes intégraient notamment la fermeture des options de départ anticipé à la retraite et une baisse des charges sociales patronales, ce qui a favorisé le maintien en emploi de personnes proches de l'âge de la retraite.
Taux d'emploi des 55-64 ans depuis 2003 dans plusieurs pays de l'OCDE
Source : commission des finances, données Eurostat et OCDE
Cette différence structurelle et de long-terme repose sur plusieurs spécificités françaises qui expliquent ce décalage.
2. Plusieurs facteurs expliquent ce décalage français en termes de taux d'emploi des seniors
a) L'âge de départ en retraite est plus bas en France que dans d'autres pays comparables
Comme l'indiquait l'analyse dans le temps long développée supra, la France a accru l'âge légal de départ en retraite de façon moins rapide et de façon plus tardive que certains autres pays de l'OCDE. Aujourd'hui, par rapport notamment aux pays comparables en termes économiques ou de démographie, la France apparaît parmi les pays dont l'âge de départ à la retraite est parmi les plus bas.
L'OCDE calcule l'âge normal de la retraite (ANR), c'est-à-dire l'âge d'éligibilité à tous les régimes de retraite combinés sans pénalité, sur la base d'une carrière complète à partir de l'âge de 22 ans. Il ressort, lorsque l'on compare l'ANR des pays similaires à la France, que cette dernière se classe parmi les pays où le départ a lieu le plus tôt : par rapport à l'Allemagne, l'âge normal est par exemple moins élevé d'un an en France.
Âge normal de la retraite actuel et futur, en 2022, dans plusieurs pays de l'OCDE
Source : commission des finances, données OCDE
En outre, il convient de noter que l'âge normal futur de départ en retraite, c'est-à-dire l'âge auquel les personnes entrant aujourd'hui prendront leur retraite du fait de la montée en charge des réformes déjà adoptées, accentue le retard français. Ceci est particulièrement préoccupant au vu de l'effondrement de la natalité12(*), qui pouvait jusqu'à récemment être un argument pour expliquer la lenteur du recul de l'âge.
Or, l'un des déterminants principaux de l'âge de départ en retraite, et donc du taux d'emploi des seniors est celui de l'âge de départ. En effet, ce que les économistes appellent « l'effet horizon »13(*) met en évidence un lien direct entre la législation des retraites - en particulier les conditions de départ en fonction de l'âge - et le marché du travail pour les seniors.
L' « effet horizon » est mis en évidence dans l'UE lorsque l'on constate les principaux motifs de départ en retraite. Tant en France qu'en Allemagne que dans l'ensemble de l'UE, le principal motif de départ est l'atteinte des droits à la pension : l'âge légal de départ est donc bien le facteur principal qui détermine l'entrée en retraite. C'est donc aussi lui qui joue le plus mécaniquement sur le taux d'emploi.
Principal motif de départ en retraite en
France, en Allemagne
et dans l'Union européenne
Source : commission des finances, données Eurostat
Le motif de l'atteinte de l'âge est, d'ailleurs, plus élevé en France de 9 points qu'en Allemagne. La France présente en revanche un taux de maladie ou d'invalidité personnelle inférieur à la moyenne européenne - 5 %, contre 7 % au sein de l'Union européenne et 10 % en Allemagne - signe d'un accompagnement de la santé des travailleurs probablement de meilleure qualité.
Des âges de départs différenciés en fonction des régimes permettant d'identifier les potentielles sources de croissance du taux d'emploi
Fruits de l'histoire et de la montée en charge progressive des réformes des retraites, les âges de départ diffèrent selon le régime principal auquel adhèrent les pensionnés au cours de leur carrière.
Parmi les retraités - monopensionnés ou polypensionnés - nés en 1953 et résidant en France, génération choisie pour l'exemple par la DREES dans l'étude sur les retraités en 202414(*), on constate ainsi une disparité, notamment entre le régime général et les retraités de la fonction publique.
En moyenne, les assurés du régime général partent un peu plus de 2 ans plus tard que les retraités de la fonction publique. Avec les civils de la fonction publique d'État, l'écart est de deux ans, quand il atteint 2 ans et 2 mois avec les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière (CNRACL).
Ce constat tient notamment au fait que certains fonctionnaires ont la possibilité de liquider plus tôt leurs droits au titre de la catégorie active.
Âge de départ à la retraite et
répartition des retraités nés en 1953,
selon le
régime principal
Note : Fonction publique d'État (FPE), Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), Mutualité sociale agricole (MSA).
Source : commission des finances, données DREES
Il apparaît que l'ensemble du secteur public tend à prendre, en analyse brute, sa retraite à un âge moins élevé que le régime général et les autres régimes du secteur privé. Il convient cependant de noter que les effets des réformes des retraites précédentes tendent à accroître l'âge de départ mécaniquement. Ainsi, les artistes des choeurs de l'Opéra de Paris ont vu, en 2011, leur âge d'ouverture des droits (AOD) reculer de 50 à 57 ans. Les personnels administratifs de ce même établissement ont vu l'AOD être décalé à 62 ans lors de cette même réforme.
En outre, il est possible de neutraliser les départs anticipés en fixant conventionnellement à l'AOD - 61 ans et 2 mois pour la génération 1953 - l'âge de départ pour tous les régimes. Ceci permet de savoir si certains d'entre eux sont propices à des départs anticipés à l'approche de l'ouverture des droits.
Les distinctions sont alors très resserrées : l'écart d'âge moyen de départ à la retraite n'est plus que de 1 mois entre le régime général et les fonctionnaires civils de l'État et de 3 mois avec les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière.
Ceci montre que l'âge d'ouverture des droits est bien le premier des paramètres qui influence l'âge de départ en retraite.
Source : commission des finances
Comme l'indiquent les réponses des économistes de l'i-MIP sollicités par la rapporteure, tant les seniors que les entreprises doivent fournir un investissement pour demeurer en emploi.
D'une part, les seniors au chômage doivent faire l'effort de rechercher du travail ou de s'investir dans leur emploi pour le conserver.
D'autre part, les entreprises doivent investir dans le recrutement, la formation et l'organisation du travail pour créer des postes de travail qui conviennent aux qualifications et aux aspirations des seniors.
Or, ces efforts ne sont rentables que si la relation d'emploi qui pourrait se créer ou perdurerait dure suffisamment longtemps pour rembourser, grâce à richesse qu'elle crée, les investissements effectués pour que cette relation existe.
Si cette réflexion s'applique pour l'ensemble des actifs, elle concerne particulièrement les seniors, car leur sortie définitive du marché du travail est par défaut plus proche que celle des actifs de moins de 55 ans. Il en ressort que l'accroissement de l'âge légal de départ à la retraite est le moyen le plus sûr pour accroître le taux d'emploi des seniors.
Représentation schématique de
l'effet des réformes d'âge
sur la distance des seniors
à la retraite et sur leur maintien en emploi
Source : Commission des finances, d'après les réponses au questionnaire envoyé aux économistes de l'i-MIP.
Cependant, l'allongement de l'âge de départ ne résout pas la problématique de maintien en emploi des seniors lorsque la distance à la retraite se retrouve réduite. En France, le recul de l'âge est aujourd'hui un point bloquant de toute négociation. Il convient donc de rechercher des moyens d'accroître l'employabilité pour une distance à la retraite donnée, peu importe l'âge d'atteinte du taux plein.
b) Plusieurs aspects structurels du marché du travail français encouragent la sortie anticipée du marché du travail des seniors
Plusieurs particularités de la France quant à la structure de son marché du travail expliquent la sortie prématurée de certains seniors.
D'abord, le marché du travail en France est très polarisé et, s'il permet sans difficulté aux personnes avec un haut niveau de diplôme de s'insérer et de demeurer en emploi, les personnes moins diplômées ont de grandes difficultés à le faire. En particulier, on constate que le taux d'emploi des seniors peu diplômés tend à se réduire particulièrement rapidement.
Taux d'emploi par tranche d'âge et selon le niveau de diplôme en France en 2023
Source : commission des finances, données INSEE
Entre les 25-49 ans et les plus de 50 ans, on voit ainsi que le taux d'emploi des personnes titulaires d'un diplôme supérieur, s'il se réduit fortement de 36,5 points, celui des moins diplômés se réduit de 40,9 points. Cela indique, outre la propension moindre à être en emploi tout au long du cycle de vie, une difficulté plus grande pour les seniors les moins diplômés à se maintenir en emploi ou à y demeurer.
L'âge de première perception d'une retraite en France confirme cette idée. En effet, l'âge moyen de première perception d'une pension s'élève à 60,4 ans en France mais masque une forte hétérogénéité par niveau de diplôme.
En 2023, les individus les plus diplômés partent en moyenne à plus de 62 ans, tandis que les moins diplômés sont centrés autour de 61 ans.
Âge de première perception d'une
pension en France
en fonction du diplôme
Source : commission des finances, données enquête emploi en continue (EEC)
Cet écart entre les niveaux de diplômes s'explique en partie par la durée des études supérieures : elle conduit à allonger le temps nécessaire, pour les diplômes les plus élevés, à obtenir les annuités requises pour partir en retraite.
Néanmoins, la qualification des travailleurs apparaît comme un facteur clé du retour à l'emploi ou du maintien en emploi. Il convient alors de développer des solutions pour que les seniors puissent revenir en formation ou puissent se former au long de la vie, afin de réduire l'incidence primitive et déterminante du diplôme obtenu dans les jeunes années.
La difficile intégration des personnes les moins productives au marché du travail est d'autant plus problématique que la population des NER en bonne santé et pas mise au chômage est justement constituée de personnes aux qualifications qui sont généralement faibles : l'INSEE indique en 2021 que 38 % de ces derniers n'ont soit pas de diplôme soit un certificat d'études primaires (CEP) ou le brevet des collèges et que 43 % ont un niveau baccalauréat, CAP, BEP ou équivalent. Ainsi, 81 % des NER qui ne sont ni au chômage ni arrêtés pour maladie ont un bas niveau de diplôme, ce qui renforce la difficulté de leur employabilité.
En outre, certaines caractéristiques françaises posent des difficultés au maintien en emploi ou à la reprise d'un emploi pour les personnes ayant bénéficié d'études supérieures et possédant un haut niveau de diplôme. Ainsi, la courbe des salaires, en particulier pour les personnes les plus diplômées, connaît une croissance ininterrompue, au contraire de la majorité des pays européens15(*).
Évolution des salaires en fonction de
l'âge et du niveau de diplôme
en France en 2018
(Basse 100 à 25 ans)
Note de lecture : les hommes avec un diplôme supérieur ou égal au bac ont un salaire 86 % plus élevé à 60 ans qu'à 25 ans, contre 60% plus élevé pour ceux ayant un diplôme inférieur au bac.
Source : commission des finances, données France Stratégie et d'après l'enquête emploi de l'INSEE
Cette évolution croissante constante pèse nécessairement sur les entreprises qui peuvent hésiter à embaucher, du fait des exigences salariales qui sont inhérentes à l'emploi d'un senior à haut niveau de qualification.
S'ajoute à ces deux premiers aspects une difficulté des employeurs, en France, à proposer des emplois qui correspondent aux aspirations des seniors, à savoir des emplois à proximité de leur domicile, à temps partiel ou à durée limitée. Ce manque de flexibilité du marché français, où par exemple le temps partiel est bien moins développé qu'en Allemagne, pénalise le maintien ou l'e retour des seniors en emploi.
Or, comme le montre une étude récente de l'Unédic16(*), une part importante des allocataires seniors déclare rechercher au moins deux des trois critères que sont la proximité du domicile, le temps partiel ou la durée limitée pour l'obtention d'un nouvel emploi.
Évolution en fonction de l'âge et de la situation d'emploi précédant le chômage de la part d'allocataires déclarant chercher dans leur prochain emploi au moins deux des trois critères suivants : proximité, temps partiel ou durée limitée
Source : commission des finances, données Unédic et MiDAS
Le graphique ci-dessus montre bien comment, pour toute situation confondue, le désir de travailler proche de chez soi, pour une durée moindre, s'accroît à mesure que se rapproche la retraite.
Le développement de solutions de travail à temps partiel, dans des métiers parfois à moins haute valeur ajoutée et assurant le lien social, pourrait être une manière de favoriser le maintien en emploi des seniors.
Enfin, le point le plus systémique est l'existence des filières seniors, qui encouragent les entreprises à licencier ou accepter des ruptures conventionnelles avec leurs salariés lorsqu'ils approchent de l'âge de la retraite. L'« effet horizon » peut alors jouer en faveur de la mise au chômage des seniors, dans la mesure où ces derniers peuvent être indemnisés parfois jusqu'à l`atteinte de l'âge d'ouverture de leurs droits à la retraite.
Durée potentielle maximale d'indemnisation
chômage
selon l'âge lors de la perte du dernier
emploi
Moins de 50 ans |
50 à 52 ans |
53 et 54 ans |
55 et 56 ans |
57 ans et plus |
|
Depuis avril 2025 |
18 mois |
18 mois |
18 mois |
22,5 mois |
27 mois |
Entre février 2023 et mars 2025 |
18 mois |
18 mois |
22,5 mois |
27 mois |
27 mois |
Entre novembre 2017 et janvier 2023 |
24 mois |
24 mois |
30 mois |
36 mois |
36 mois |
Source : commission des finances
Les nouvelles règles d'indemnisation chômage en vigueur depuis le mois d'avril 2025 reculent l'âge à partir duquel les seniors bénéficient d'une protection chômage allongée. En effet, les seniors sont éligibles aux mesures protectrices à partir de 55 ans et non plus de 53 ans. Néanmoins, dès 57 ans, il est possible d'atteindre plus de 2 ans d'indemnités chômage.
En outre, des mesures comme le dispositif de maintien des droits jusqu'à la retraite à taux plein ou l'allongement de la durée d'indemnisation au titre des périodes de formation suivies viennent accentuer cette mise en chômage facilitée des seniors.
Une étude17(*) de l'UNEDIC de mars 2024 mettait en évidence l'existence, entre 58 et 60 ans, d'un léger rebond du nombre de personnes entrant à l'Assurance chômage, alors que ce chiffre baisse régulièrement avec l'âge. Ces personnes, de 6 000 à 10 000 selon l'étude, sur une tranche d'âge d'1,3 million de salariés du privé, sont très majoritairement des personnes qui présentent deux caractéristiques : elles ont rompu un CDI d'au moins 10 ans après une rupture conventionnelle ou connu un licenciement et entrent, pour 75 % d'entre elles, pour la première fois à l'Assurance chômage en 30 ans.
S'il est difficile de mettre en évidence un lien de causalité direct entre l'existence d'une filière senior et cette hausse du nombre de personnes au chômage à l'approche de l'âge d'ouverture des droits, la question de l'effet d'aubaine potentiel doit être posée.
L'étude indique, en outre, que le coût du rebond de ces entrées en chômage reste relativement marginal. En 2022, il représenterait environ 6 % des dépenses d'assurance chômage des 55 ans ou plus, soit 1 % des dépenses tous âges confondus, pour une valeur de 334 millions d'euros18(*).
Il convient cependant de noter que le profil des allocataires seniors concerne très marginalement des personnes dont le dernier contrat était dans la sphère publique. En effet, la DARES19(*) indique que seul 4% des allocataires du chômage âgés de 55 ans et plus avaient eu un dernier contrat dans une administration publique. Ce taux monte à 17 % en intégrant les personnes dont le dernier contrat était dans l'enseignement et la santé humaine et l'action sociale - qui regroupent aussi des activités dans la sphère privée- : il reste néanmoins en dessous du taux d'emploi public en France, qui atteint près de 20% en 202420(*).
c) Des facteurs de représentation et de niveau de vie à la retraite entrent en outre en jeu pour limiter le maintien en emploi des seniors en France
Outre les aspects d'organisation du marché du travail, on constate pour expliquer la spécificité des seniors français vis-à-vis de leur maintien en emploi à l'approche de la retraite l'existence de facteurs de représentation influents sur les désirs de départ ou non.
Ainsi, les réponses en 201521(*) à la question « jusqu'à quel âge voulez-vous travailler ? » différaient fortement entre la France et l'Allemagne. Les Français indiquaient vouloir partir à 60,8 ans en moyenne, alors que les Allemands répondaient 64,5 ans.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce décalage de ressenti. D'abord, les Français sont, par rapport à leurs voisins allemands, moins satisfaits au travail, comme le montre l'enquête européenne sur les conditions de travail (EWSC22(*)).
En outre, la focalisation du débat public sur la question de l'âge légal de départ lors des différentes réformes contribue à faire de cette question de l'âge de départ un marqueur ancré dans les représentations des citoyens. En particulier, la réforme de 2023 ne semble avoir laissé dans les esprits qu'un seul souvenir : le recul progressif de l'âge de départ à 64 ans. Comme l'indiquait la rapporteure dans son rapport annexé au projet de loi de finances pour 202523(*), les aspects redistributifs de la réforme demeurent largement occultés et l'abrogation de la réforme aurait pour effet de revenir sur de nombreuses avancées en faveur du niveau de pension des femmes, des personnes ayant eu une carrière hachée ou encore des personnes les plus pauvres.
Âge désiré de départ à la retraite en Allemagne et en France en 2015
Source : Commission des finances, EWCS vague 2015
Enfin, on constate en France une quasi-absence de différentiel d'âge désiré de départ en retraite entre les femmes et les hommes, sous l'effet d'un plus grand alignement en termes de temps de travail. En effet, entre 15 et 64 ans, 48,8 % des emplois occupés par des Allemandes sont à temps partiel, contre 26,1 % des emplois occupés par des Françaises. Ce plus grand recours, en Allemagne, au temps partiel pour les femmes explique aussi leur désir d'entrer en retraite plus tôt que les hommes.
L'écart de niveau de vie au moment de liquidation de la pension peut aussi pousser les Allemands à se maintenir en emploi plus longtemps. En effet, le taux de remplacement net des pensions, c'est-à-dire selon l'OCDE « les droits à retraite individuels nets divisés par le salaire net, compte tenu de l'impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale versés par les salariés et les retraités », est plus élevé en France qu'en Allemagne.
Taux de remplacement net des hommes, en
pourcentage
des gains pré-retraite en 2022
Source : Commission des finances, données OCDE
Avec 16,6 points de pourcentage de différence entre les taux nets de remplacement en France et en Allemagne, il apparaît que l'arbitrage entre arrêt et maintien en emploi plaide bien plus, outre-Rhin, à se maintenir au travail qu'en France.
3. Les effets en montée en charge des réformes des retraites pourraient réduire mais pas combler l'écart
La France présente un profil spécifique par rapport aux autres économies comparables de l'OCDE en termes de taux d'emploi des seniors. Cependant, ce constat ne doit pas occulter le fait que les effets successifs des réformes des retraites ont mené à une évolution progressive des taux d'emploi, en lien notamment avec le recul de l'âge de départ.
L'observation, dans le temps long, de l'évolution du taux d'emploi des seniors, lorsqu'il est mis en regard de la montée en charge des différentes réformes, montre un effet direct de ces dernières.
Évolution du taux d'activité des
seniors, constaté puis simulé,
de 1990 à 2040, en
moyenne annuelle
Source : commission des finances, données INSEE
Il apparaît à la lecture du graphique qu'à mesure que s'accroissent le nombre de trimestres nécessaires pour partir à taux plein ou l'âge de départ en retraite, un effet mécanique de hausse du taux d'activité, et donc du taux d'emploi, a lieu. On constate ainsi que la hausse du taux d'activité des 55-59 ans est arrivé aujourd'hui à un point haut : malgré la réforme de 2023, les marges à gagner sont maigres et ce dernier devrait demeurer aux environs du taux atteint aujourd'hui de 80,9 %.
En revanche, la réforme de 2023 a mécaniquement une incidence sur le taux d'activité des 60-64 ans et la montée en charge devrait se poursuivre jusque dans les années 2040. « L'effet horizon » joue ainsi à plein : le recul de l'âge rend plus facilement employable une personne de 60 ans dont l'âge de départ est à 64 ans, plutôt qu'à 62 ans. Les entreprises, pour un âge donné, ont un intérêt plus grand à investir dans le recrutement d'une personne expérimentée lorsque cette dernière est plus à même de rester à moyen terme en poste.
Il convient donc, lors de l'étude de l'effet sur le solde du système de retraite du taux d'emploi des seniors, de prendre en compte la hausse naturellement induite par le déploiement des réformes. En effet, elle a pour conséquence d'améliorer le solde de façon mécanique dans les années à venir et est d'ailleurs déjà intégrée aux modélisations du Conseil d'orientation des retraites (COR).
La modélisation du chiffrage du gain pour le solde du système de retraite d'une hausse du taux d'emploi doit reposer sur une hypothèse forte indépendante de la montée en charge des réformes précédentes : que cette hausse ait lieu de façon soudaine et immédiate.
Les effets des précédentes réformes sur les régimes spéciaux
Le graphique présenté supra permet de prendre conscience, au global, de la montée en charge des réformes des retraites et de leur incidence sur le taux d'emploi des seniors.
S'ils ne représentent que 2,6 % des retraités, les agents des régimes spéciaux encore ouverts ne sont pas restés à côté des évolutions importantes liées tant à l'âge de départ qu'au déploiement des outils permettant un maintien en emploi plus important.
Par exemple, l'Opéra de Paris, régime spécial ouvert, a connu en 2011 des modifications importantes des AOD de l'ensemble des 6 corps de métiers qui le composent, avec parfois un recul de sept ans de l'AOD.
Évolution de l'âge d'ouverture des droits (AOD) induites par la réforme de 2011 pour les personnels de l'Opéra de Paris
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2025
La réforme de 2023, pour les régimes de la culture, a en outre étendu la possibilité du cumul emploi retraite à toutes les catégories d'emploi, alors que jusqu'ici seuls les danseurs y avaient accès, et a rendu possible la retraite progressive pour toutes les catégories d'emploi.
Les régimes de transport terrestres ont en outre été fermés par de précédentes réformes. Celui de la Régie autonome du transport parisien (RATP), géré par la caisse de retraite du personnel de la RATP (CRPRATP), est fermé depuis la réforme de 2023.
L'ensemble de ces évolutions permettent de relativiser l'existence pérenne de privilèges pour les régimes spéciaux, qui sont peu à peu réintégrés aux conditions générales. Les différences qui demeurent sont liées surtout à des métiers atypiques, comme les danseurs de l'Opéra, ou encore à des impératifs stratégiques autres comme la compétitivité de la marine civile française, pour le régime des marins.
Source : commission des finances
II. LES EFFETS POSITIFS SUR LE SOLDE DU SYSTÈME DE RETRAITE D'UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS ÉLEVÉS SONT INDISCUTABLES MÊME S'IL EST DIFFICILE DE PROPOSER UN CHIFFRAGE FIABLE
A. DES CHIFFRAGES REPOSANT SUR DES HYPOTHÈSES DIFFÉRENTES PERMETTENT D'ÉTABLIR UN EFFET DE LA HAUSSE DE DIX POINTS DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS À ENVIRON DIX MILLIARDS D'EUROS
1. Plusieurs propositions de chiffrages, fondées sur des méthodologies différentes, ont été déjà été réalisées et estiment à plusieurs milliards d'euros l'incidence des évolutions du taux d'emploi des seniors sur le solde du système de retraite
Au cours des auditions menées par la rapporteure, l'effet positif sur le solde du système de retraite d'une hausse du taux d'emploi des seniors est apparu comme un consensus partagé.
Comme indiqué au début du rapport, en effet, l'accroissement des richesses produites pour une économie donnée accroît aussi les cotisations sociales et les impôts, ce qui facilite le financement de la protection sociale. En particulier, le maintien ou le retour en emploi de personnes en retraite permet de réduire les pensions versées tout en accroissant les recettes du système : l'effet est donc double et accentue fortement l'effet positif de cette hausse du taux d'emploi.
Ces chiffrages ne concernent pas uniquement le taux d'emploi des seniors et ne s'attardent pas tous exclusivement sur l'effet sur le solde des finances sociales. Ils permettent néanmoins de prendre la mesure de l'effet financier qu'aurait une hausse de plusieurs points du taux d'emploi des seniors.
a) Le chiffrage du Conseil d'orientation des retraites
Le Conseil d'orientation des retraites, en particulier son président Gilbert Cette, fait mention de chiffrages estimatifs24(*) qui permettent de prendre la mesure de l'effet qu'aurait une hausse du taux d'emploi en France, sans se restreindre uniquement à l'emploi des seniors.
Les réponses au questionnaire envoyé par la rapporteure détaillent la méthode utilisée pour obtenir le résultat. Le raisonnement se fonde sur un rattrapage du taux d'emploi de la France avec celui des Pays-Bas. Selon Eurostat, en 2023, le taux d'emploi entre 15 et 64 ans étant de 68,4 % en France et de 82,4 % aux Pays-Bas, il aurait pour incidence une augmentation de 14 points de pourcentage du taux français.
Méthodologie du COR pour approximer l'incidence du taux d'emploi sur le solde des finances publiques
Pour approximer l'incidence sur le solde des finances publiques, le COR utilise l'équation suivante :
Où :
- Ä Solde FP correspond à l'évolution du solde des finances publiques causée par la hausse du taux d'emploi.
- Taux PO correspond au taux de prélèvements obligatoires en France.
- Ä PIB correspond à la hausse en valeur du PIB consécutive à la hausse du taux d'emploi. Cette dernière variable se calcule de la façon suivante :
Où :
- Valeur du PIB correspond à la valeur numéraire du PIB pour l'année étudiée, soit 2 822,5 milliards d'euros en 2023.
- Taux de croissance du PIB correspond au taux de croissance du PIB consécutif à la hausse du taux d'emploi. Ce taux se calcule, dans notre exemple :
Où :
- Croissance de l'emploi correspond à la hausse du taux d'emploi retenu.
- Productivité correspond à la productivité des emplois créés par rapport à la productivité moyenne.
Source : commission des finances, d'après les documents transmis par le COR
Fort de cette méthodologie, en prenant les chiffres de 2023 et les hypothèses retenues par le COR :
- la Croissance de l'emploi serait de 20 % - passage de 68,4 % à 82,4 % - et la Productivité retenue par le COR est de 50 % de la productivité moyenne - en lien avec une moindre qualification des jeunes et seniors qui entreraient en emploi ainsi que d'une moindre durée de travail.
- la Valeur du PIB en 2023 en France est de 2 822,5 milliards d'euros d'où un Ä PIB qui atteindrait 282 milliards d'euros.
- le Taux PO en 2023 étant égal à 43,5 %, le Ä Solde finances publiques atteindrait alors 124,8 milliards d'euros.
Par conséquent, la méthode de chiffrage proposée par le COR retient, pour une hausse globale du taux d'emploi de 14 points de pourcentage en population totale, une amélioration de 124,8 milliards d'euros du solde des finances publiques, soit un budget équivalent à celui de la Défense et de l'Éducation nationale réunis.
b) Le chiffrage de la chaire « Transition démographique transition économique »
La chaire « Transition démographique transition économique » (TDTE), sur la sollicitation de la rapporteure, a de même proposé une modélisation de l'incidence d'une hausse du taux d'emploi sur le système de retraite et les finances publiques. Les résultats modélisent les effets d'une hausse de 5, 10 ou 15 points du taux d'emploi des seniors entre 60 et 64 ans à partir d'une méthodologie décrite ci-après.
Méthodologie de la chaire TDTE pour
approximer l'incidence
du taux d'emploi des seniors sur le solde du
système de retraite
Pour approximer l'incidence d'une hausse du taux d'emploi, la chaire TDTE propose la modélisation :
Où :
- Ä Solde système retraite correspond à l'évolution du solde du système de retraite provoquée par la hausse du taux d'emploi.
- Recettes supplémentaires correspond aux prélèvements sociaux destinés au financement système de retraite versés par les 60-64 ans qui entreraient en emploi. Ce chiffrage est obtenu par la multiplication du salaire moyen par le taux de prélèvements sur le salaire brut destinés à financer le système de retraite.
- Pensions non versées correspond à la part des 60-64 ans entrant sur le marché du travail qui auraient été en retraite, en multipliant le montant annuel de la pension moyenne par le nombre de seniors remis en emploi et qui auraient sinon été en retraite.
La chaire propose aussi une modélisation de l'amélioration du solde des finances publiques, en élargissant à l'ensemble de la sphère sociale les dépenses évitées.
Où :
- Ä Solde FP correspond à l'évolution du solde des finances publiques causée par la hausse du taux d'emploi.
- Recettes supplémentaires FP correspond aux prélèvements obligatoires versés par les 60-64 ans qui entreraient en emploi. Ce chiffrage est obtenu par la multiplication du salaire moyen par le taux de prélèvements obligatoire sur le salaire brut.
- Dépenses évitées correspond à trois types de dépenses non versées, en fonction de la situation qui aurait prévalu pour l'échantillon de seniors qui retourneraient en emploi.
Où chacune des dépenses évitées est calculée par la multiplication de la part de seniors qui rentreraient sur le marché du travail qui étaient auparavant respectivement en retraite, au chômage ou inactifs par, respectivement, le montant annuel de la pension moyenne, le montant annuel de l'allocation chômage moyenne, et le montant annuel du revenu de solidarité active (RSA).
Source : commission des finances, d'après les documents transmis par la chaire TDTE
En retenant la méthodologie mentionnée supra, la chaire TDTE parvient à estimer que l'augmentation du taux d'emploi des 60-64 ans de 5, 10 et 15 points a une incidence importante sur le solde des retraites, qui se chiffre à plusieurs milliards d'euros.
Résultats de la modélisation par la
chaire TDTE de l'incidence
d'une hausse de 5, 10 ou 15 points du taux
d'emploi des 60-64 ans
sur le solde du système de
retraite
(en milliards d'euros)
Hypothèse de hausse du taux d'emploi des 60-64 ans |
5 points |
10 points |
15 points |
Recettes supplémentaires du système de retraite |
2,1 |
4,3 |
6,4 |
Pensions non versées |
2,7 |
5,5 |
8,2 |
Amélioration du solde du système de retraite |
4,9 |
9,7 |
14,6 |
Source : commission des finances, données chaire TDTE
Les résultats montrent que l'amélioration du taux d'emploi des 60-64 ans a une incidence qui se mesure en plusieurs milliards d'euros sur le solde du système de retraite. Ces gains potentiels sont à mettre en regard avec les projections de solde effectuées par la Cour des comptes dans son premier rapport25(*) de 2025 sur le système de retraite : le déficit du système de retraites, dans le scénario principal de gains de productivité de 0,7 % par an, atteindrait 6,6 milliards d'euros en 2025 et monterait à 31,6 milliards d'euros en 2045.
La hausse du taux d'emploi des 60-64 ans aurait aussi une incidence sur le solde des finances publiques, au vu des autres dépenses évitées et des recettes qui entreraient dans le budget général de l'État grâce aux salaires versés et à la consommation des individus qui entreraient en emploi.
Résultats de la modélisation par la
chaire TDTE de l'incidence
d'une hausse de 5, 10 ou 15 points du taux
d'emploi des 60-64 ans
sur le solde des finances publiques
(en milliards d'euros)
Hypothèse de hausse du taux d'emploi des 60-64 ans |
5 points |
10 points |
15 points |
Recettes supplémentaires pour les finances publiques |
3,4 |
6,9 |
10,31 |
Pensions non versées |
2,7 |
5,5 |
8,2 |
Allocations chômage non versées |
0,1 |
0,3 |
0,4 |
Revenu d'inactivité non versé |
0,5 |
1,0 |
1,4 |
Amélioration du solde des finances publiques |
6,8 |
13,5 |
20,3 |
Source : commission des finances, données chaire TDTE
c) Le chiffrage de la direction générale du Trésor
Enfin, la direction générale du Trésor (DGT), dans une note de 202226(*), a effectué un travail de prospective approfondi, fondée sur une modélisation en lien avec divers services administratifs27(*) de l'effet qu'aurait, pour l'ensemble du champ des finances sociales, l'alignement du taux d'emploi en France avec celui de l'Allemagne.
L'étude propose une analyse plus large qu'une hausse du taux d'emploi pour les seuls 60-64 ans, et propose deux scénarii : l'un se fondant sur un rattrapage du taux d'emploi sans prendre en compte le fait que les emplois en Allemagne sont proportionnellement plus nombreux à être à temps partiel qu'en France ; le second en corrigeant la hausse du taux d'emploi en prenant en compte le différentiel de recours au temps partiel dans les deux pays.
En se concentrant sur le scénario qui prend en compte la variation de temps de travail, qui serait le plus probable, dans la limite que le travail proposé par la DGT, comme ceux précédemment de la chaire TDTE et du COR, reposent sur un choc d'emploi soudain, il apparaît que le nombre d'emplois créés serait de 1,5 millions si le taux d'emploi en France rattrapait celui de l'Allemagne.
Sur la tranche d'âge 55-64 ans, il s'agirait de 700 000 emplois créés, soit une hausse de 16,4 points du taux d'emploi.
Dans le scénario avec prise en compte du temps de travail, l'effet sur les recettes de la branche retraite est estimé par la DGT à une hausse de 9 milliards d'euros :
- 7 milliards d'euros seraient imputables aux travailleurs séniors, au-delà de 55 ans ;
- les 2 milliards d'euros restant aux moins de 54 ans.
Méthodologie de la Direction générale du Trésor pour approximer l'incidence de l'alignement du taux d'emploi des seniors en France et en Allemagne, avec prise en compte du temps de travail, sur le solde du système de retraite
Dans un premier temps, les services estiment l'effet de la hausse de la masse salariale sur l'ensemble des cotisations sociales avant les allègements généraux. Dans le scénario de prise en compte du temps de travail, avec création d'1,5 million d'emplois, cela représenterait 13 milliards d'euros de recettes nouvelles.
Ensuite, la part des cotisations affectées à la branche vieillesse est isolée. Pour les régimes de base et les régimes complémentaires, il s'agit d'environ 2/3 des cotisations28(*).
Enfin, pour isoler la contribution des seniors, les services séparent en deux groupes d'âges - 15-54 ans et 55-64 ans - la population étudiée. Ils analysent ensuite quelles recettes sont issues de quel groupe, en se fondant sur l'hypothèse que la hausse de cotisations sociales de chaque groupe correspond à la contribution de ce dernier à la hausse de la masse salariale.
Source : commission des finances, d'après les documents transmis par la DGT
d) Les chiffrages existants se fondent sur des approches méthodologiques diverses
La comparaison des trois méthodes de chiffrage proposées dans la partie précédente n'est pas aisée, dans la mesure où chacun se fonde sur une approche différente en termes de hausse de taux d'emploi modélisé et ne calculent pas l'effet sur le même solde.
D'une part, des divergences existent sur le choc d'emploi modélisé. Les travaux du COR et de la DGT envisagent l'effet d'un rattrapage du taux d'emploi en France avec un pays proche. Le COR compare notre pays avec les Pays-Bas, la DGT avec l'Allemagne.
Le travail plus approfondi de la DGT permet en outre de lisser l'écart entre la France et l'Allemagne en prenant en compte le recours plus massif outre-Rhin à des emplois à temps partiel.
Le travail de la chaire TDTE est, lui, plus théorique encore car les modélisations se fondent sur des hausses mécaniques de 5, 10 ou 15 points du taux d'emploi en France, et uniquement pour la tranche d'âge 60-64 ans.
D'autre part, les différents travaux présentés indiquent des résultats sur des soldes différents, sans toujours préciser l'incidence sur le solde du système de retraite.
Les travaux du COR, pour commencer, sont ainsi les plus généralistes puisqu'ils approximent simplement la hausse de recettes pour les finances publiques d'une hausse généralisée du taux d'emploi en France. Les documents envoyés par le COR à la rapporteure indiquent d'ailleurs que la grande majorité des recettes supplémentaires seraient obtenues via des prélèvements sans lien direct avec le financement des retraites.
La chaire TDTE, dont le travail répondait plus précisément à une demande de la rapporteure, propose une approche qui cible spécifiquement le solde du système de retraite. Néanmoins, au vu des effets qu'auraient une entrée en emploi massive de personnes entre 60 et 64 ans sur le financement des branches de la Sécurité sociale autres que la branche vieillesse, et par conséquent sur le solde toutes administrations publiques (APU) confondues, la chaire propose aussi une vision de l'effet sur le solde général des finances publiques du choc d'emploi.
Enfin, le travail de la DGT vise à apprécier l'effet de la hausse du taux d'emploi sur l'ensemble du solde des finances sociales. Néanmoins, le travail est suffisamment détaillé et approfondi pour isoler l'effet qu'aurait l'alignement du taux d'emploi français sur celui de l'Allemagne pour la branche vieillesse et, plus précisément encore, l'effet de la hausse de l'emploi senior - compris au sens de la tranche d'âge 55-64 ans.
2. Les travaux réalisés sont tous fondés sur des hypothèses fortes qui limitent ontologiquement leur fiabilité
a) L'hypothèse sous-jacente d'une hausse du taux d'emploi immédiate, agissant comme un choc soudain, est par nature irréaliste
Le travail de cette partie, qui vise à retenir et présenter les effets qu'auraient sur le solde du système de retraite une hausse du taux d'emploi des seniors, repose par défaut sur une hypothèse forte qui limite sa portée. En effet, quelle que soit l'économie considérée, une hausse du taux d'emploi de 10 points ou plus ne saurait avoir lieu sans des réformes du marché du travail qui mettraient plusieurs années, voire décennies à se mettre en place. Le COR indique ainsi que c'est seulement sur le très long terme que pourraient s'envisager le gain de plus de 100 milliards d'euros de recettes publiques supplémentaires.
Par conséquent, l'ensemble des travaux présentés et tous les exercices de modélisation sur ce sujet ne peuvent que proposer un ordre de grandeur du manque à gagner pour le système de retraites français mais non un chiffrage absolument fiable.
La direction générale du Trésor mentionne clairement que l'exercice qu'elle a réalisé est illustratif : la création instantanée d'1,5 million d'emplois est peu réaliste et l'économie est par hypothèse à l'état stationnaire, c'est-à-dire que les effets estimés correspondent aux variations de dépenses et recettes pleinement montés en charge de façon immédiate, ce qui de même ne serait pas le cas si le choc d'emploi avait lieu.
b) Les estimations de productivité des seniors remis ou maintenus en emploi reposent sur des hypothèses fortes
Outre l'impossibilité concrète que le choc d'emploi soit instantané, les chiffrages existants se heurtent à une inconnue peu documentée car elle relève d'un exercice d'anticipation : la productivité des emplois qui seraient créés ou maintenus pour les seniors.
L'hypothèse retenue par le COR est assez arbitraire. Les emplois créés seraient dans la globalité d'une productivité inférieure de 50 % à celle des emplois existants. L'effet de la moindre qualification des personnes à remettre en emploi ou l'ayant quitté, la durée du travail que ces dernières pourraient fournir - les emplois créés seraient en partie à temps partiel - justifient ce choix, mais sans entrer dans le détail.
De même, le choix de la chaire TDTE de raisonner en prenant la moyenne nationale pour toutes les variables, et notamment en supposant que les nouveaux emplois seraient payés au salaire moyen est une hypothèse forte. Au vu de la courbe des salaires en France, on pourrait supposer que la création de postes pour les seniors aurait pour effet de devoir les rémunérer au-delà du salaire moyen. À l'inverse, les emplois créés, s'ils correspondaient aux aspirations des seniors, à savoir des métiers proches de chez eux et à temps partiel, seraient peut-être moins bien rémunérés que la moyenne. Le manque de données sur le sujet29(*) et le fait que ces hypothèses reposent avant tout sur un choix méthodologique expliquent la difficulté de trancher.
La DGT elle-même, qui a pourtant mobilisé les moyens les plus importants et eu accès aux bases de données de l'administration, précise que l'incertitude est importante « sur la qualité des emplois créés, la productivité des nouveaux entrants sur le marché du travail et leur exposition aux risques sociaux ».
Tableau
récapitulatif des chiffrages proposés
à la suite des
demandes de la rapporteure
COR |
Chaire TDTE |
DGT |
|
Hausse du taux d'emploi retenue |
14 points pour l'ensemble de la population |
10 points pour les 60-64 ans |
3,6 points pour l'ensemble de la population dont 16,4 points pour les 60-64 ans |
Gain estimé et solde étudié |
124,8 milliards d'euros pour l'ensemble des finances publiques |
9,7 milliards d'euros pour le système de retraites |
9 milliards d'euros pour le système de retraites |
Hypothèse de hausse du taux d'emploi |
Alignement avec les Pays-Bas |
Hausse théorique de 10 points de l'emploi des 60-64 ans |
Alignement avec l'Allemagne |
Prise en compte des divergences de temps de travail |
Non |
- |
Oui |
Hypothèses de productivité des seniors |
50% de la productivité moyenne |
Rémunération au salaire moyen |
Création d'emplois à temps plein ; baisse globale de la productivité induite par la hausse de l'emploi, avec une élasticité de 0,530(*). |
Source : commission des finances, d'après les travaux du COR, de la chaire TDTE et de la DGT
B. LA NÉCESSITÉ DE RENTRER DANS LE DÉTAIL MICROÉCONOMIQUE ET DE RAISONNER EN EFFET NET POUR SE RAPPROCHER DE LA RÉALITÉ
1. Le nombre de personnes qui pourraient revenir sur le marché du travail donne une indication de la hausse de taux d'emploi réalisable en France
Si des données existent sur la situation des personnes ni en emploi ni en retraite (NER) qui pourraient revenir en emploi - c'est-à-dire la part d'entre elles qui n'est pas déjà au chômage et n'est pas arrêtée pour raison de santé ou handicap -, aucune estimation fiable de leur productivité potentielle n'a encore été proposée.
Une première information, issue des extrapolations de l'Enquête Emploi, permet d'estimer le nombre de NER qui est en bonne santé et pourrait réintégrer le marché du travail. S'il convient de traiter ces données avec prudence car elles correspondent à une estimation sur le fondement de réponses à l'Enquête Emploi, il n'empêche que l'ordre de grandeur est utile pour imaginer quelle est la mesure du choc d'emploi potentiel en France.
Selon les chiffres en 2023, parmi les personnes entre 55 et 59 ans, on compterait 266 000 NER sans activité en bonne santé et environ 323 000 entre 60 et 64 ans.
Par conséquent, sur toute la tranche d'âge seniors, en imaginant que l'ensemble de ces personnes sont remises en emploi, un nombre maximal de 589 000 postes seraient pourvus.
La population des 55-64 ans s'élevant, en 2023, à 8,57 millions de personnes, l'augmentation du taux d'emploi qui aurait lieu en cas de remise en emploi de l'intégralité des NER en bonne santé, correspondrait ainsi à une hausse de ce taux d'emploi de 6,9 points.
Par conséquent, en se heurtant aux caractéristiques de la population étudiée et en supposant que l'ensemble des NER en bonne santé revenaient en emploi, il apparaît que, dans les conditions actuelles, le choc d'emploi ne saurait atteindre le scénario retenu par la DGT, même avec une prise en compte de l'effet temps partiel en Allemagne.
2. La prise en compte des motivations des seniors permet de mieux cerner les types d'emplois qui pourraient leur convenir
Outre la question du nombre des 55-64 ans qui pourraient revenir en emploi et qui donnent un cadre à la réflexion pour aboutir à un chiffrage plus proche de ce que la réalité de la situation française pourrait permettre, il convient de savoir quels emplois pourraient convenir aux NER qui ne sont ni au chômage ni en mauvaise santé.
L'Enquête Emploi fait à nouveau apparaître des données intéressantes sur les motivations de ces seniors.
Raison principale de non-emploi des NER entre 55
et 61 ans
en bonne santé et pas au chômage
Source : commission des finances, données INSEE
On constate que seul 24 % de ces personnes demeurent dans cette situation en y étant contraint - cela correspond à la situation de découragement ou aux contraintes personnelles ou familiales. Par conséquent, le retour en emploi des NER ne saurait se faire sans que les emplois qui leur seraient proposés ne les motivent à revenir et soient par conséquent adaptés à leurs besoins.
L'autre constat qui transparaît de l'analyse des données de l'INSEE est que la situation entre les hommes et les femmes est très différente. En particulier, la part d'hommes NER en bonne santé qui souhaite rester au foyer est seulement de 6 %, quand elle atteint 36 % pour les femmes, signe que ces dernières sont déjà nombreuses à avoir accepté cette situation.
Les femmes sont aussi, en proportion, plus nombreuses à être NER tout en étant en bonne santé pour des raisons de contraintes personnelles ou familiales, ce qui met en évidence la plus grande propension des femmes à assumer le rôle d'aidants. Le second rapport31(*) de la Cour des comptes sur les retraites, publié en avril 2025, mettait en avant le rôle spécifique des femmes et recommandait un accroissement de l'accompagnement des aidants pour qu'ils - et principalement elles - puissent se maintenir en emploi ou y revenir malgré l'aménagement nécessaire pour tenir ce rôle d'aidant.
3. Il convient de retenir le niveau de qualification des NER en bonne santé pour estimer leur productivité potentielle
La prise en compte du niveau de productivité potentielle du vivier susceptible d'être remis en emploi si un choc d'emploi avait lieu en France est nécessaire pour avoir une idée plus précise de l'effet qu'aurait réellement cette évolution sur les différents soldes.
La nécessité d'une descente au niveau microéconomique pour estimer la productivité des emplois qui seraient créés en cas de choc d'emploi pour les seniors permettrait une plus grande précision des chiffrages.
De nouveau, les résultats issus de l'Enquête Emploi de l'INSEE sont révélateurs de la situation des NER étant en bonne santé mais pas au chômage, c'est-à-dire les plus susceptibles de revenir en emploi.
Part des NER entre 55 et 61 ans en bonne
santé mais pas au chômage
selon le niveau de diplôme
obtenu
Source : commission des finances, données INSEE
Il apparaît que près de 81% des NER qui ne sont pas empêchés de revenir au travail en France par des raisons de santé et qui ne sont pas déjà au chômage ont un niveau de diplôme ne dépassant pas le niveau baccalauréat, CAP, BEP ou autres diplômes de même niveau.
Par conséquent, il est probable que les intuitions sur une baisse de la productivité nationale en cas de hausse du taux d'emploi soient vérifiées, à la lecture de cette composition du groupe étudié.
De la même façon, la catégorie socio-professionnelle dans laquelle se trouvent les NER entre 55 et 61 ans indique une forte propension à ce que les métiers qui pourraient être créés en cas d'accroissement du taux d'emploi des seniors soient des métiers à relativement faible valeur ajoutée.
Répartition par catégorie
socio-professionnelle de l'ensemble des NER
entre 55 et 61 ans
Source : commission des finances, données INSEE
Alors que 52 % de la population des NER entre 55 et 61 ans est constituée d'employés et d'ouvriers, il apparaît ainsi que les personnes potentiellement à remettre en emploi auraient une CSP moins productive que la population déjà en emploi. En effet, les ouvriers n'y représentent que 18 % des effectifs, les employés seulement 27 %.
Néanmoins, la population des NER qui ne sont pas au chômage et qui n'ont pas de difficulté de santé appartient à des CSP qui sont accessibles à des personnes à plus haut niveau de diplôme, ce qui indique qu'en France, le choc d'emploi - qui concernerait en premier lieu les NER en bonne santé - pourrait avoir un effet sur la productivité relativement réduit.
Répartition par catégorie
socio-professionnelle des NER entre 55 et 61 ans,
selon la raison de leur
situation
Source : commission des finances, données INSEE
Les NER en bonne santé qui ne sont pas au chômage, NER « pour une autre raison », sont ainsi en proportion bien moins nombreux à être ouvriers que les autres catégories de NER, et relativement plus nombreux à être cadres et agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d'entreprise.
4. La nécessité de comptabiliser l'effet net sur le solde des finances publiques de l'effort à effectuer pour permettre un retour en emploi massif des seniors
Le dernier effet qui n'est pas comptabilisé dans les estimations chiffrées de bénéfice pour le solde du système de retraite d'une hausse du taux d'emploi des seniors est celui du coût de la remise en emploi de ces personnes.
Cette estimation est d'une grande complexité, car les politiques publiques visant à augmenter le taux d'emploi peuvent reposer sur des instruments très divers. Tout d'abord, les politiques directes de l'emploi, mais aussi certaines politiques dont l'effet est indirect sur la hausse du taux d'emploi - les politiques du logement ou encore de la santé permettent de rapprocher du marché du travail des personnes qui en seraient exclues sinon.
Dans la mesure où il est difficile de faire un lien précis entre le coût des politiques qui concourent indirectement à garder un taux d'emploi élevé, par rapport aux politiques directes de l'emploi, il pourrait être choisi de ne pas retenir leur coût.
En revanche, les mesures qui ont pour objectif général d'améliorer le fonctionnement du marché du travail, de stimuler la création d'emplois ou d'encourager la recherche et l'accès à l'emploi peuvent, en partie, être chiffrées et permettre de retenir un ordre de grandeur du coût de la remise en emploi des près de 589 000 NER en bonne santé et pas au chômage qui pourraient être concernés en France par un choc d'emploi senior.
Cet exercice de chiffrage du coût de la remise en emploi, comme celui des recettes et bénéfices afférents, n'est pas aisé. Plusieurs travaux antérieurs, cités notamment par la DGT dans ses réponses aux questions de la rapporteure, permettent de rappeler des chiffrages qui préexistent.
Les politiques d'incitation à l'embauche, en particulier les allègements des cotisations sociales sur les bas salaires mis en place entre 1993 et 1997, ont eu un coût brut par emploi créé d'environ 20 000 à 40 000 euros32(*)33(*). La Dares établissait un coût net, une fois pris en compte les recettes supplémentaires - cotisations et impôts - et les économies de prestations chômage liées à ces emplois, entre 8 000 et 28 000 euros par emploi.
Aujourd'hui, la piste d'une réduction supplémentaire des cotisations sociales, notamment celles patronales sur les bas salaires, serait difficile. En effet, en 2024, l'employeur d'un salarié payé au SMIC n'est redevable de cotisations et contributions qu'à hauteur de 7,2 %. Outre le fait que la compétitivité-coût s'est nettement améliorée en France34(*), l'exonération de ces contributions restantes, non uniformes sur le territoire ni selon la taille d'entreprise et dont les recettes sont morcelées entre de multiples bénéficiaires, serait, en plus son coût, complexe à mettre en oeuvre.
Une étude réalisée par l'Inspection générale des finances (IGF) indique que le coût brut par emploi créé des dispositifs d'emplois aidés serait de l'ordre de 13 000 euros par an.
Un rapport de 2015 du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) estime que le coût brut par emploi créé du taux réduit de TVA dans la restauration serait de 153 000 euros. Il en ressort une efficacité très relative des mesures incitatives indirectes pour augmenter l'emploi.
Enfin, d'après le rapport de préfiguration de France travail publié en 2023, les politiques d'accompagnement intensif des demandeurs d'emploi auraient un coût brut par emploi créé de 10 000 euros environ.
Il apparaît ainsi que, selon les méthodes choisies, le coût d'incitation à l'emploi peut être plus ou moins élevé et que les politiques de soutien direct, par des contrats aidés ou un accompagnement intensif des personnes en recherche d'emploi, sont les plus efficaces.
Dans une optique où l'on retiendrait ces solutions pour faire revenir en emploi les près de 589 000 NER en bonne santé, le coût de ce choc d'emploi35(*) avoisinerait les 5,9 milliards d'euros par an.
Ce calcul simple ne prend cependant pas compte du fait que le coût marginal des interventions sur le marché du travail tend à augmenter pour deux raisons principales. D'une part, à mesure que les leviers les plus efficaces pour stimuler l'emploi ont déjà été pleinement mobilisés, il faut se tourner vers d'autres plus coûteux. D'autre part, l'entrée massive sur le marché du travail de personnes qui en étaient auparavant exclues pourrait entraîner des effets de congestion qui pourraient provoquer des coûts en lien avec la déstabilisation de l'économie.
C. LES EFFETS POSITIFS INDUITS PAR L'ACCROISSEMENT DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS SONT NÉANMOINS POSITIFS QUELLE QUE SOIT LA MÉTHODOLOGIE UTILISÉE ET PERMETRAIENT UNE AMÉLIORATION NETTE DE SIX MILLIARDS D'EUROS DU SOLDE DES FINANCES PUBLIQUES
La mesure du coût de la remise en emploi massive des seniors, comme celle des bénéfices qui pourraient en découler, est par nature le fruit d'hypothèses fortes et d'approximations qui permettent dans le meilleur des cas d'obtenir un ordre de grandeur.
L'estimation du coût net est ainsi complexe mais il convient de prendre en compte, ce que ne font pas les chiffrages proposés, le fait que le choc d'emploi qui est modélisé ne saurait être réalisé sans un effort de la Nation et probablement de l'État pour réussir cette transition.
Pour aller au bout de la modélisation d'une hausse réaliste du taux d'emploi des seniors, malgré toutes les réserves nécessaires sur les chiffrages tant de recettes que de dépenses, il serait possible d'envisager que le bénéfice net pour les finances publiques de remettre en emploi l'intégralité des 589 000 NER en bonne santé de la tranche d'âge 55-64 ans soit de 5,8 milliards d'euros.
En retenant la méthodologie du COR, qui seule fait une approximation sur le solde des finances publiques, on peut estimer que la hausse du taux d'emploi de 6,9 points dans la catégorie des 55-64 ans correspond à une hausse, en population totale, du taux d'emploi de 1,91 point pour la population générale36(*).
Par conséquent, avec une productivité de ces nouveaux emplois estimée à 50% de la productivité moyenne, le PIB augmenterait de 0,95 point, soit un retour pour les finances publiques, en conservant un taux de prélèvements obligatoires de 43,5% et en partant du PIB en 2023 estimé à 2 822,5 milliards d'euros, de 11,7 milliards d'euros. L'effet net serait positif et améliorerait le solde des finances publiques de 5,8 milliards d'euros, soit 0,2 point de PIB.
Estimation du bénéfice net pour les
finances publiques de remise
en emploi de l'ensemble des NER en bonne
santé et pas au chômage
Recettes supplémentaires pour les finances publiques |
Coût des politiques de l'emploi |
Résultat net d'une hausse de 6,9 points de l'emploi des 55 64 ans |
Source : commission des finances, données INSEE, méthodologie COR
L'incidence financière serait, quoi qu'il en soit, globalement positive sur le long-terme : en effet, alors que le coût de remise en emploi serait passager puisqu'il aurait pour objectif une évolution structurelle du marché du travail en France, les bénéfices une fois les seniors réintégrés au marché du travail perdureraient d'année en année.
En outre, au-delà de l'aspect financier, le maintien au travail des seniors aurait un effet notable sur la cohésion sociale du pays et l'acceptation collective des conditions de maintien à l'équilibre du système de retraites.
III. L'AUGMENTATION DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS EST NÉCESSAIRE MAIS NE SUFFIT PAS À PÉRENNISER LE SYSTÈME PAR RÉPARTITION
A. LES LEVIERS POUR ENCOURAGER LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS SONT NOMBREUX ET DOIVENT ÊTRE ACTIONNÉS
1. La formation et le maintien en emploi, clé d'un accroissement de la compétitivité et donc d'un retour à la croissance
Plusieurs rapports mettent en évidence qu'une des clés pour le maintien en emploi, ou le retour en emploi des seniors, est de leur permettre d'accéder à une meilleure formation.
En effet, comme le montre la DARES, l'effet de la formation sur le retour à l'emploi est d'autant plus élevé que l'âge avance : ainsi, entre la tranche d'âge 26-50 ans et les plus de 50 ans, l'effet d'avoir suivi une formation est 1,75 fois plus important au bout de 24 mois.
Écart de taux d'emploi, 12 mois et 24 mois
après une entrée en formation,
entre les actifs formés
et les non-formés, en fonction de l'âge
Source : commission des finances, données DARES, base Force : rapport du Comité scientifique de l'évaluation du Plan d'investissement dans les compétences (PIC)
Cette incidence forte de la formation sur l'emploi des seniors pousse à accentuer le recours à une formation tout au long de la carrière, particulièrement pour les publics qui commencent à approcher de la catégorie des seniors. Notamment, les entretiens professionnels doivent intégrer de façon plus générale la question des suites à donner à la carrière, l'opportunité d'entrer en formation ou d'aménager le poste de travail.
Un effort est en outre à conduire pour limiter l'effet de sélection défavorable dont souffrent les seniors lorsqu'ils cherchent à entrer en formation. En effet, il apparaît que l'âge a un effet discriminant pour les plus de 50 ans pour être retenu à une formation.
Probabilité d'être convoqué,
présent ou retenu à une formation
en fonction de
l'âge
Source : commission des finances, données Cap Métiers : rapport du Comité scientifique de l'évaluation du Plan d'investissement dans les compétences (PIC)
On remarque aussi que les plus de 50 ans ont une tendance à être présents lorsqu'ils sont convoqués à une formation bien plus importante que les moins de 50 ans. En revanche, il est visible que les actifs les plus âgés souffrent d'une discrimination au moment de pouvoir entrer en formation : alors qu'ils sont plus présents que les jeunes, ils ont pourtant moins de chance d'être sélectionnés pour participer à une formation.
Recommandation : Développer l'investissement dans les compétences des seniors et dans la formation à partir de 50 ans, pour maintenir l'employabilité des salariés les plus âgés (Direction générale du travail et Direction générale de l'administration et de la fonction publique).
Cet investissement dans les compétences des plus âgés rejoint ce que la Cour des comptes indique dans son deuxième rapport sur les retraites d'avril 2025, analysant le rapport Draghi37(*) sur la compétitivité en Europe : « l'enjeu de l'économie européenne se situe davantage au niveau de la compétitivité hors coût, c'est-à-dire des connaissances et des compétences de la main d'oeuvre européenne. ». Non seulement l'accroissement de la formation des seniors aura une incidence positive sur l'économie en général car elle permet une hausse de leur taux d'emploi, mais elle tend à limiter voire à inverser l'incidence néfaste sur la compétitivité que pourrait avoir cette hausse de taux d'emploi.
2. L'encouragement de la retraite progressive
Le déploiement de l'entrée progressive en retraite serait une manière de pouvoir accompagner une sortie moins brutale du marché du travail pour les seniors.
Ce système, qui consiste à réduire le temps de travail progressivement dans les deux ans avant l'âge minimum de départ à la retraite permet de rester en emploi à temps partiel tout en touchant une partie de sa retraite.
Les données de l'INSEE montrent que la transition entre l'emploi et la retraite laisse une maigre part à ce dispositif à l'heure actuelle. En effet, c'est à 65 ans qu'est atteinte la plus haute proportion de seniors en cumul emploi-retraite, pour une part de 7,9 % de la classe d'âge seulement.
Situation des seniors sur le marché du travail en 2023 en fonction de l'âge
Source : commission des finances, données INSEE
Cependant, la problématique de ce développement est plus affaire d'imprégnation par les entreprises que d'évolution législative. La réforme des retraites de 2023 a en effet permis un élargissement très important de ce dispositif : les fonctionnaires, les agents des régimes spéciaux et les actifs en professions libérales ont désormais accès à ce dispositif.
Il s'agit d'une recommandation qui était portée par le Sénat de longue date : le rapport d'information René Paul Savary et Monique Lubin au nom de la commission des affaires sociales du Sénat de septembre 2019 sur les fins de carrière38(*) de la commission des affaires sociales en faisait déjà état en sa recommandation n° 18.
L'enjeu aujourd'hui est de favoriser son acclimatation pour qu'il devienne un outil auquel les employeurs ont recours de façon plus systématique.
3. La nécessité de créer des emplois adaptés aux besoins des seniors et susceptibles de les motiver à demeurer en emploi
Les données comparatives européennes montrent que les Français ont moins tendance que leurs homologues à demeurer en emploi après la perception d'une pension avec comme raison principale le goût du travail et la satisfaction d'être productif. L'enquête d'Eurostat sur les principales raisons de conserver une activité professionnelle montre en effet que les trois motifs qui sont majoritairement évoqués sont :
- l a nécessité financière ;
- le goût du travail ou l'envie d'être productif ;
- le désir de rester socialement intégré.
Les résultats de cette enquête, en comparant la France à d'autres pays comparables, fait ressortir les spécificités du pays et amènent à envisager les types d'emplois dont il faudrait encourager la création pour que les seniors apportent à l'édifice social leurs compétences.
D'abord, en France, le maintien d'une activité professionnelle après perception d'une pension par nécessité financière correspond à 37,7 % de l'ensemble des individus ayant prolongé leur activité. Ce taux est comparable à celui observé en Allemagne, qui s'élève à 36,2 %, mais est supérieur à la moyenne européenne qui s'élève à 28,6 %.
Part d'individus évoquant la
nécessité financière comme raison principale
du
prolongement de leur activité
Source : commission des finances, données Eurostat
Il apparaît ainsi que les emplois à pourvoir, dans l'optique d'un choc d'emploi favorable à l'intégration des seniors sur le marché, devra être financièrement acceptable pour que l'arbitrage entre la pension de retraite et l'emploi soit favorable au travail.
Ensuite, la France se distingue de ses voisins européens par une part nettement plus faible d'individus maintenant une activité professionnelle par goût du travail ou envie d'être productif.
Part d'individus évoquant le goût du
travail comme raison principale
du prolongement de leur
activité
Source : commission des finances, données Eurostat
Cette part s'élève uniquement à 20,6 % de l'ensemble des Français, contre plus du tiers pour la population totale au sein de l'Union européenne - 36,3 % - et 29,3 % en Allemagne. Au sein de certains pays comme les Pays-Bas, cette part s'élève à près de 59,6 %. En Norvège et au Danemark, elle atteint même respectivement 62,7 % et 61,0 %.
La faible part d'individus souhaitant continuer une activité professionnelle par goût du travail en France pourrait avoir un impact négatif sur le taux d'emploi des seniors. Ce trait spécifique à la France pourrait être la conséquence de la faible satisfaction au travail des seniors, dont les motivations en fin de carrière sont moins d'être performants que de maintenir une intégration sociale.
Pour finir, il apparaît en effet que la volonté de rester socialement intégré est un déterminant important du maintien en emploi des seniors français par rapport aux autres seniors européens.
Part d'individus évoquant la volonté
de rester socialement intégré
comme raison principale du
prolongement de leur activité
Source : commission des finances, données Eurostat
En effet, cette raison est mentionnée par 15,5 % de l'ensemble des Français, contre 6,9 % en Allemagne et 11 % au sein de l'Union européenne. Cette volonté peut recouvrir des situations hétérogènes : un individu en état de bien-être au travail peut souhaiter conserver l'intégration sociale que celui-ci lui procure, ou à l'inverse, un individu peut craindre sa sortie du marché du travail et l'isolement social que cela pourrait induire.
Pour dresser un bilan des motivations qui pousseraient les seniors français à rester en emploi, il convient par conséquent de dresser le profil d'un travail suffisamment rémunérateur pour être financièrement un meilleur choix que le départ en retraite. Néanmoins, il s'agirait aussi de postes dans lesquels le goût de produire et de bien réaliser son travail a une valeur presque équivalente à celle de maintenir une intégration sociale.
De nombreux métiers d'accompagnement des personnes, de lien social ou encore de transmission pourraient répondre à ces aspirations exprimées par les seniors et pourrait les pousser à se maintenir en emploi, ou en cumul emploi-retraite.
Ces métiers sont compatibles avec le développement d'un travail à temps partiel ou limité, qui font aussi partie des motivations de cette population39(*).
Recommandation : Encourager le développement d'une culture du travail des seniors, par la création d'emplois adaptés, notamment à temps partiel, qui répondent aux motivations de cette population (Gouvernement).
4. Un encouragement par le développement des décotes et des surcotes
Comme le rappelle le rapport de 2019 du Sénat sur les fins de carrières40(*), la surcote de la retraite a été créée par la loi de 200341(*). Elle agit comme le pendant de la décote, qui minore la pension de base pour toute année non travaillée séparant l'assuré de son âge du taux plein.
Ainsi, à l'inverse, la surcote majore la pension de base d'un taux fixé à 1,25% par trimestre supplémentaire cotisée dans la plupart des régimes de base.
L'idée est de favoriser le maintien en emploi des seniors en réduisant leur tendance à partir en retraite plus tôt - effet répulsif de la décote - et, à l'inverse, à encourager la continuation du travail - effet incitatif de la surcote.
La réforme des retraites de 201042(*), qui n'a pas modifié la durée d'assurance requise pour le taux plein, a non seulement reculé de deux ans de l'âge minimum légal mais également de l'âge d'annulation de la décote. Ce dernier est passé de 65 à 67 ans pour favoriser le maintien des seniors en emploi.
La réforme de 2023, qui a joué sur l'âge légal de départ mais aussi le nombre de trimestres exigés pour obtenir le taux plein, n'a pas revu les barèmes de décotes ni l'âge d'annulation de cette dernière.
Par conséquent, la situation de la France vis-à-vis de ses voisins européens n'a que peu évolué et le taux d'individu qui part en retraite avec une décote demeure supérieur à la moyenne des États membres de l'UE.
Part d'individus ayant subi une décote lors de leur départ en retraite en Europe
Source : commission des finances, données Eurostat
En France, plus d'un cinquième des individus subissent une décote lors de leur départ en retraite, soit 22,9%. Ce niveau est légèrement supérieur à la moyenne européenne, qui s'élève à 19,4%, mais nettement plus faible que celui observé en Allemagne qui atteint 30,8%.
Pour encourager le maintien en emploi des seniors, une révision des barèmes de décote mais aussi de surcote pourrait avoir lieu : en accentuant la perte pour un actif qui partirait plus tôt et en encourageant à l'inverse ce dernier à partir plus tard, l'effet incitatif pourrait permettre de faciliter le maintien en emploi des seniors.
L'élargissement de la décote à la fonction publique permet la réalisation d'économies pour le système de retraite
Le déploiement de la décote date en France de 1982, concomitamment avec l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 à 60 ans43(*). Elle ne touche à ses débuts que le régime général et les assurances sociales agricoles.
Le taux alors appliqué pour la décote est de 2,5 % par trimestre manquant dans la limite de vingt trimestres, soit une décote de 10 % par année manquante dans le secteur privé.
En 2003, cette politique a été étendue à la fonction publique. Le taux est ramené à ce moment-là à 1,25 % par trimestre et le plafond est fixé à 25 % de la pension à taux plein. Il apparaît alors que la création de la décote n'a pas suffisamment encouragé les salariés à cotiser plus longtemps.
Dans les régimes spéciaux en dehors de la fonction publique d'État civile, la décote est mise en oeuvre encore plus tardivement mais est effective à partir du 1er juillet 2010. La DREES explique ainsi qu'en 2022, 17 % des nouveaux retraités de la SNCF et 20 % des nouveaux retraités de la RATP font l'objet d'une décote, d'une valeur moyenne de respectivement 5,9 trimestres et 7,5 trimestres.
Part des retraités ayant liquidé leurs droits avec une décote, par génération
Source : commission des finances, données DREES
L'étude génération par génération du taux de pensionnés ayant liquidé leurs droits avec une décote permet de mesurer à quel point la mise en oeuvre progressive des réformes est visible. Les hausses, parfois spectaculaires comme pour la fonction publique d'État qui voit ce taux passer de 8 à 17 points entre les générations 1950 et 1951, sont le fruit du calendrier de déploiement des réformes.
Il apparaît clairement, par conséquent, que le développement des décotes dans les régimes spéciaux a permis une appropriation plus grande par les actifs de leur liberté à partir en retraite malgré la décote ou de se maintenir en emploi.
Source : commission des finances
5. Vers une culture du maintien en emploi des seniors, notamment les moins qualifiés
Le développement du taux d'emploi des seniors doit en outre passer par le développement de cultures au sein des organisations pour favoriser le maintien en emploi des seniors.
Les accords financiers permettant à des personnes de partir en retraite alors qu'elles sont encore en âge de travailler, par exemple, est une tendance dont il faut encourager la diminution.
Les chiffres de l'INSEE mettent en évidence que les personnes qui évoquent l'incitation financière comme raison principale les ayant conduits à arrêter de travailler suite au début de versement de leur pension sont relativement peu nombreux car ils ne représentent qu'1,4 % des individus.
Néanmoins, certaines catégories socio-professionnelles dépassent parfois fortement la moyenne, indiquant des effets de secteurs dans lesquels il pourrait être nécessaire d'agir afin de réduire l'usage de motivations financières pour mettre en retraite des travailleurs seniors.
Part d'individus évoquant l'incitation
financière comme raison principale
les ayant conduits à
arrêter de travailler
en fonction de la catégorie
socioprofessionnelle
Note : l'axe des abscisses correspond aux codes chiffrés des catégories socio-professionnelles, selon la norme PCS de l'INSEE. L'annexe au présent rapport permet d'associer chaque CSP à son code.
Source : commission des finances, données enquête emploi en continue (EEC)
La part des départs en retraite motivés par un gain financier est hétérogène selon l'emploi occupé. En particulier, cette part varie fortement au sein d'un même groupe socioprofessionnel44(*) :
- les artisans (22) évoquent cette raison dans 1,7 % des cas, soit un taux proche de l'ensemble de la population (1,5 %), tandis que les chefs d'entreprise de plus de 10 personnes (23) l'évoquent nettement plus fréquemment, dans 4,6 % des cas ;
- au sein des cadres et professions intellectuelles supérieures, les professions libérales (31) avancent ce motif pour seulement 0,9 % des cas contre 1,5 % pour l'ensemble, alors que les autres cadres, et plus spécifiquement ceux du privé appartenant aux services administratifs et commerciaux (37) ou les ingénieurs (38) l'évoquent plus fréquemment ;
- au sein des employés, un effet marqué entre le public et le privé est observé. En effet, les employés administratifs de la fonction publique (52) sont peu nombreux à évoquer le motif financier (0,9 %) par rapport à ceux du privé (54) dont la part s'élève à 3,2 %.
Par catégorie socio-professionnelle, il serait intéressant d'approfondir les ressorts de cet argument financier pour permettre de réduire le recours à des incitations monétaires pour faire basculer les seniors vers la retraite.
Dans les métiers de la fonction publique,
une tendance
à limiter les sorties précoces de
l'emploi
Si les âges d'ouverture des droits sont en général plus bas dans la fonction publique et dans les régimes spéciaux, la question du maintien en emploi jusqu'à l'âge d'ouverture des droits semble à l'inverse montrer que les agents des métiers de la sphère publique tendent moins à sortir de l'emploi de façon précoce.
Une étude du Conseil d'orientation pour l'emploi45(*) (COE) met en évidence les dix métiers dans lesquels la part de sortie précoces de l'emploi est la moins élevée, mais aussi la plus élevée.
Les dix métiers avec la part de sorties
précoces de l'emploi la plus élevée,
sur la
période 2004-2019
Source : commission des finances, données COE
Il apparaît clairement que les métiers les moins qualifiés sont ceux dans lesquels les sorties précoces ont lieu le plus souvent. Dans ces métiers où les sorties en avance sont nombreuses, le recours au contrat à durée déterminé est plus élevé. Les travailleurs des métiers marqués du signe «
» sont en outre majoritaires à répondre « non » à la question « Vous sentez-vous capables de faire le même travail qu'actuellement jusqu'à la retraite ? ».
De ce point de vue, les métiers de la fonction publique, notamment les catégories A et B, font partie des métiers dans lesquels la part de sortie précoces de l'emploi est la moins élevée.
Les dix métiers avec la part de sorties
précoces de l'emploi la moins élevée,
sur la
période 2004-2019
Source : commission des finances, données COE
Ces graphiques mettent en lumière la qualité de l'emploi public en France, notamment en termes de prévention de la santé. Les travailleurs des métiers marqués du signe «
», parmi lesquels on retrouve les fonctionnaires de catégorie A et B, sont majoritaires à répondre « oui » à la question « Vous sentez-vous capables de faire le même travail qu'actuellement jusqu'à la retraite ? ».
Il semble ainsi que, malgré des âges d'ouverture des droits parfois plus précoces, les métiers de la fonction publique ont une tendance plus grande à permettre le maintien en emploi des seniors.
Source : commission des finances
Le projet de loi qui doit transposer dans la législation l'accord national interprofessionnel (ANI) d'avril 2024 en faveur de l'emploi des seniors présenté le 7 mai 2025 en Conseil des ministres pourra permettre une telle avancée en prévoyant un nouveau thème de négociations obligatoires dans les branches : « le maintien dans l'emploi [des seniors] et l'aménagement des fins de carrière, en particulier les modalités d'accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel ».
B. LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS NE SAURAIT CONSTITUER LA SOLUTION DÉFINITIVE AU DÉSÉQUILIBRE DU SYSTÈME DE RETRAITE EN FRANCE
1. Les gains potentiels nets d'une hausse du taux d'emploi des seniors doivent être mis en regard du besoin de financement du système de retraite
S'il est certain que la hausse du taux d'emploi des seniors pourrait permettre une amélioration du solde du système de retraite, il n'en demeure pas moins que cette seule évolution ne pourrait être suffisante pour revenir à l'équilibre.
En effet, la Cour des comptes chiffre à 6,6 milliards d'euros le déficit moyen du système dès 2025 et prévoit une dégradation du solde à 15 milliards d'euros hors inflation en 2035, puis autour de 30 milliards d'euros hors inflation en 2045.
Par conséquent, même en ne considérant que l'effet net du chiffrage de la chaire TDTE - amélioration du solde de 9,7 milliards d'euros-, légèrement plus favorable que celui de la DGT - 9 milliards d'euros -, il apparaît qu'à long-terme, le système des retraites conserverait un déficit à partir de 2035 de 5,3 milliards d'euros. Ce déficit atteindrait alors 20,3 milliards d'euros en 2045, en s'appuyant sur les prévisions de la Cour auquel on retrancherait le gain potentiel de la hausse de l'emploi senior modélisé par la chaire TDTE.
2. La situation économique et financière de la France plaide pour une réduction de la richesse nationale investie dans le financement des retraites
La France étant déjà parmi les pays européens qui consacrent la partie la plus importante de leur richesse au financement de leurs retraites, il apparaît comme un impératif de chercher à réduire cette part dans le contexte des finances publiques actuel.
Part de la richesse nationale consacrée au
financement des retraites
dans certains pays de l'Union européenne
en 2022
Source : commission des finances, données Eurostat
Mise à part l'Italie, la France est la grande économie de l'UE la plus dépensière en faveur des retraités. Ce constat doit par conséquent guider la réflexion : le système, aujourd'hui déficitaire, ne pourra pas être financé par un accroissement de la dépense publique en faveur des retraites.
Outre la hausse du taux d'emploi des seniors, il convient par conséquent de chercher d'autres leviers pour pérenniser le système par répartition français.
C. LA PÉRENNISATION DU SYSTÈME DE RETRAITE PAR RÉPARTITION DOIT PASSER PAR DIVERS LEVIERS
1. Les effets de long terme peu documentés d'une politique nataliste
Le concept des systèmes de retraite par répartition est de permettre que le travail des actifs finance la retraite des plus âgés. Par conséquent, il convient de maintenir un ratio entre les cotisants et les pensionnés qui permette la soutenabilité financière de cette répartition.
En France, entre 1960 et 2020, le ratio entre les actifs et les retraités a été divisé par presque 3.
Rapport démographique entre les cotisants
et les retraités
tous régimes de retraite
confondus
Source : Commission des finances, données direction de la sécurité sociale et INSEE
La stabilisation depuis plusieurs années autour de 1,7 actif pour 1 retraité ne peut être satisfaisant au vu de la prévision de déficit à long terme du régime.
La rapporteure souhaite ainsi rappeler qu'il est nécessaire, par tous les moyens, de revenir à une politique qui encourage la natalité en France. Cette ouverture à la vie, signe d'une société durable, est à long-terme une solution mathématiquement certaine pour assurer aux plus anciens un revenu digne tout en permettant au pays de continuer à se développer.
Or, l'indicateur conjoncturel de fécondité en France diminue de façon tendancielle et a atteint, en 2024, un taux bas depuis 1919.
Évolution de l'indicateur conjoncturel de fécondité en France depuis 1945
Source : commission des finances, données INSEE
Le retour d'une natalité plus dynamique en France pourrait passer par plusieurs moyens :
- d'abord, comme le recommandait la Cour des comptes dans un rapport de 202446(*), l'allongement d'un mois du congé maternité et le relèvement de l'indemnisation du congé parental ;
- ensuite, le développement d'une stratégie nationale sur l'offre, la qualité, le financement et l'attractivité des métiers de la petite enfance, afin de rendre plus aisée la garde d'enfant ;
- enfin, le rehaussement des allocations familiales lors de la naissance du deuxième et du troisième enfant, afin d'assurer le renouvellement des générations, tout en les plafonnant ou les rendant fortement dégressives après 5 enfants, dans un objectif de stabilisation des classes d'âges.
Recommandation : Encourager par tous moyens une politique de soutien à la natalité pour favoriser, à long terme, un redressement du rapport démographique entre les actifs et les retraités (Gouvernement).
2. La question de la participation des retraités à l'effort de redressement du solde du système de retraite
a) Le niveau de vie des retraités en France est particulièrement élevé par rapport à la population dans son ensemble
Si par le passé, le niveau de vie des retraités et de la pauvreté des seniors a pu être un sujet de préoccupation, il convient de rappeler qu'aujourd'hui, en France, le niveau de vie médian des retraités est légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population.
Niveau de vie mensuel médian des
retraités et de l'ensemble
de la population, en euros constants de
2019
(en euros)
Source : Commission des finances, données INSEE, Direction générale des finances publiques (DGFiP), Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), Enquête revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2012 à 2019 ; calculs DREES 2023.
Pour l'année 2019, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)48(*) effectuait un calcul comparatif du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs.
En France, le niveau de vie médian des retraités s'élève à 1 900 euros par mois, soit 3,3 % de plus que le niveau de vie médian de l'ensemble de la population qui s'élève à 1840 euros. Cependant, après prise en compte de l'avantage que donne sur le niveau de vie la propriété sur le logement, il apparaît que le niveau de vie médian des retraités est supérieur de 9,5 % à celui de l'ensemble de la population.
Cette captation de la richesse par les populations en retraite doit, aujourd'hui, mener à une réflexion sur un équilibre à trouver. En effet, les personnes retraitées sont sous-représentées parmi les 20 % des Français ayant le niveau de vie le plus bas et le taux de pauvreté des retraités est nettement plus faible que celui de l'ensemble de la population : 8,7 % contre 14,6 % en 2019.
Il apparaît en outre, en 2019, que la redistribution réalisée par le système fiscal et social est favorable au taux de pauvreté des retraités qui est réduit de 3,7 points par ces mécanismes.
b) L'enjeu du financement de la dépendance et de l'équité intergénérationnelle doit cependant limiter les ponctions sur les revenus des plus âgés
Les projections du COR49(*), dans le scénario de référence du rapport de 2024, mettent en avant une réduction du niveau de vie des retraités à régime constant. Ainsi, on aurait atteint un point haut autour de la décennie 2010 pour le niveau de vie de ces derniers, qui se réduirait mécaniquement par la montée en charge des réformes et l'évolution du système.
Niveau de vie moyen des retraités
rapporté à celui de l'ensemble
de la population
observé et projeté dans le scénario de
référence du COR
Source : commission des finances, données du rapport annuel du COR 2024
Le maintien d'une équité intergénérationnelle demande ainsi à ne pas accentuer la baisse à venir du niveau de vie des retraités. En effet, ceux qui en pâtiraient ne seraient pas les retraités actuels mais bien les actifs d'aujourd'hui. Ainsi, une réforme fiscale trop brusque sur les retraités aurait pour conséquence de priver les actifs qui aujourd'hui ont cotisés plus longtemps et dont l'espérance de vie en bonne santé stagne d'un niveau de vie acceptable.
En outre, en vue de financer le grand âge et la dépendance, il convient de souligner que toute baisse du niveau de vie des retraités reporte sur les générations suivantes le coût de la prise en charge des plus âgés. En maintenant un niveau de vie suffisant pour les plus âgés de la société française, le financement de la dépendance et du grand âge sera plus aisé.
3. Renforcer l'adhésion au modèle par répartition par une clarification des circuits de financement
Pour pérenniser le système de retraite par répartition en France, il convient en outre de faciliter l'adhésion des Français à ce modèle par une facilitation de sa compréhension.
La rapporteure souligne que des financements peu cohérents ou la modification des objectifs des différents organismes de la protection sociale tendent à limiter l'adhésion de la population au système actuel.
Pour prendre quelques exemples, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui finance divers avantages vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale relevant des régimes de vieillesse de la sécurité sociale, reçoit des ressources qui n'ont aucun lien avec sa mission. On y retrouve encore, par exemple, les pénalités pour non-respect de l'objectif de suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes50(*).
Sans objet avec sa mission, ce financement vient brouiller la compréhension et l'adhésion au système de retraite et d'assurance vieillesse en France.
Le FSV finance aussi des cotisations retraite, sur base forfaitaire, pour permettre la validation gratuite non travaillées - par exemple en cas de chômage, d'arrêt de travail ou encore de formation professionnelle. Cet emploi des ressources est pareillement une manière de réduire la compréhension d'un système dans lequel les Français peinent à garder confiance.
De la même façon, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), créé en 2001 avec mission d'investir en vue de faire résister au choc démographique de l'entrée en retraite de la génération du « baby-boom », a été totalement détourné de son objet initial.
Depuis la réforme des retraites de 201051(*), le FRR est en effet chargé de participer au remboursement de la dette sociale en versant 2,1 milliards d'euros à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) chaque année.
Ceci a eu pour conséquence de plafonner l'actif géré par le FRR à hauteur de 37,2 milliards d'euros, atteint en 2014, puis de mener à l'attrition progressive de ses réserves. Ces dernières ont en effet été presque divisées par deux en dix ans.
Évolution de l'actif net géré par le FRR depuis 2014
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les données du FRR
À compter de 2025 jusqu'en 2033, le versement prévu à la CADES diminue, pour atteindre 1,45 milliard d'euros. Néanmoins, le mal est fait : le FRR a versé 30 milliards d'euros au total à la Cades entre 2011 et 2024, montant qui correspond à l'ensemble des dotations qu'il a reçues. À fin 2024, il ne reste que 20 milliards d'euros sous gestion.
Recommandation : Simplifier la lecture et accroître la cohérence du financement des organismes de protection sociale pour renforcer l'adhésion au système par répartition (Direction de la sécurité sociale et Direction de la législation fiscale).
4. Développer la capitalisation dans une logique de pérennisation du système par répartition et non en remplacement de ce dernier
a) Les expériences historiques de régimes par capitalisation en France sont loin d'avoir été concluantes
La France a déjà connu deux tentatives de mise en place d'un régime par capitalisation, qui se sont soldés par deux échecs. Ces tentatives ont toutes deux été développées dans la première moitié du XXème siècle, avant la Seconde Guerre mondiale.
Les premières pensions de retraites en France, versées sous l'Ancien Régime, correspondaient à des libéralités royales. Dans quelques cas spécifiques, un système par répartition52(*) avait été mis en place, mais de façon embryonnaire et en rupture avec la charité organisée par l'Église.
Au cours du XIXème siècle, cependant, s'est développée l'idée selon laquelle les actifs devaient contribuer à leurs revenus futurs : en dehors des rares régimes existants, la couverture vieillesse était assurée par l'épargne individuelle, souvent placée sur des comptes dans des caisses d'épargne.
Si ce système pouvait convenir aux classes les plus aisées, il apparut rapidement qu'il était impossible, alors, d'inclure les actifs les plus pauvres.
Pour permettre à chacun de bénéficier d'un revenu lors de l'inactivité, plusieurs mutations furent mises en oeuvre et le système d'épargne individuelle et totalement libre disparut.
Loin de la capitalisation individuelle et libre, le développement du premier système, celui des retraites ouvrières et paysannes (ROP), coïncida avec l'arrivée à maturité de l'idée du déploiement d'une protection sociale plus universelle53(*). Ainsi, par la loi du 5 avril 1910, la France se dota d'un système obligatoire par capitalisation pour tous les salaires inférieurs à 3 000 francs. D'abord ouvert à partir de 65 ans - soit au-delà de la durée de vie moyenne -, le régime permit à partir de 1912 d'accéder aux pensions dès 60 ans.
Cependant, la montée en charge du régime fut largement mise en péril pour deux raisons.
D'une part, les deux dépréciations monétaires de 1910 et de 1918 ainsi que la Première Guerre mondiale déséquilibrèrent le fonctionnement du régime naissant et réduisirent à néant les premiers intérêts sur le capital.
D'autre part, pour ne pas laisser de côté les personnes qui atteignaient l'âge de la retraite, il fut décidé que tous puissent bénéficier de pensions dès l'atteinte de 60 ans. Par conséquent, les premiers bénéficiaires du régime n'avaient pas participé à son financement : la solution retenue fut de leur verser via des crédits budgétaires le montant minimal de la retraite, qui était alors de 100 francs, soit 5 % du salaire annuel d'un ouvrier.
Cette non prise en compte de l'effort et du temps de montée en charge d'un régime par capitalisation et les aléas économiques et géopolitiques majeurs de l'époque menèrent par conséquent à la révision totale des conditions de son fonctionnement après la Guerre.
Un nouveau régime obligatoire, mis en oeuvre par la loi du 10 avril 1928 et complété par la loi du 30 avril 1930, tenta d'être mis en oeuvre sur le même principe de la capitalisation. Outre une assurance vieillesse, il comptait aussi une assurance maladie.
Afin de parer aux effets néfastes du premier système, celui de 1928 prévoyait une durée minimale d'affiliation de cinq ans avant toute ouverture de droit, ce qui devait permettre de constituer des premières réserves.
En outre, si la cotisation était globale pour l'ensemble des risques et de taux identique pour tous, le système prévoyait que la fraction de cette cotisation serait bien plus élevée pour les plus de 30 ans que pour les moins de 30 ans.
Ces deux mécanismes correcteurs devaient permettre d'atteindre une accumulation de capital suffisante pour commencer, en 1935, à verser les premières pensions. Néanmoins, ceci ne fut pas suffisant et, à nouveau, des crédits budgétaires furent dédiés au versement des premiers droits à pension.
Le régime était certes obligatoire mais ne concernait que les salariés dont la rémunération ne dépassait pas 15 000 francs, un montant très faible à l'époque. Par conséquent, les pensions de retraite étaient ontologiquement faibles : la crise inflationniste des années 1930 puis la guerre de 1939 et ses bouleversements politiques mirent rapidement un terme à cette tentative54(*).
Les tentatives en France de mise en oeuvre de systèmes par capitalisation rappellent ainsi que les bouleversements économiques et géopolitiques peuvent aisément réduire à néant l'effort consenti pour mettre en oeuvre des fonds de pension nationaux.
Par ailleurs, l'histoire permet prendre conscience de combien la montée en charge d'un régime par capitalisation demande du temps et un surcroît d'effort pour alimenter l'accumulation de capital.
Développer la capitalisation se révèle donc être un processus qui demande de la stabilité et qui n'est pas indolore puisqu'il suppose l'acceptation, pour la population, d'un surcroît de cotisation le temps de la constitution du capital.
b) La France a déjà recours à une part relativement importante de capitalisation au sein du financement des retraites par rapport aux pays comparables
Si des voix en faveur d'une modification du système par répartition en France au profit d'un système par capitalisation se font entendre, il n'en demeure pas moins que la réalité des montants de pensions versées permet de constater que les retraites françaises sont déjà en partie issues de revenus qui ne proviennent pas de la répartition.
Répartition des revenus des pensions par type et par pays européen en 2023
Source : commission des finances, données Eurostat
En 2023, la France est l'un des pays de l'UE doté d'un système par répartition qui fait la plus grande part aux revenus issus d'autres modes de financement des pensions. En effet, la part d'individus dont la pension repose uniquement sur un financement par répartition s'élève en France à 85,3 %, contre plus de 94 % en Italie, ou près de 88% en Espagne.
Ainsi, plusieurs mécanismes existent déjà pour que les Français bénéficient d'un revenu supplémentaire issu de la capitalisation. Certains sont optionnels - plan épargne retraite, assurance-vie etc. - quand d'autres sont déjà obligatoires - régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) ou encore les plans d'épargne retraite obligatoires (PERO) dans le secteur privé.
Loin des idées reçues, la France bénéficie donc déjà d'une part de capitalisation dans le financement de son système de retraites.
c) Un développement de la capitalisation comme amortisseur des grandes évolutions économiques peut encourager la sauvegarde de l'équilibre à long-terme du système par répartition
Pour achever la réflexion, la rapporteure souhaite rappeler que le développement de la capitalisation ne saurait se faire que dans un but de soutenir la durabilité et la pérennité du système par répartition actuel.
Pour renforcer le soutien à la répartition, il convient de maintenir l'efficacité des mécanismes de solidarité intra et intergénérationnels en simplifiant la lecture du système et en assurant son équilibre sur le long-terme, par exemple par l'accroissement du taux d'emploi des seniors.
Le développement d'un fonds national de capitalisation n'est cependant pas une idée que la rapporteure rejette, bien au contraire. Comme l'a montré le rapport Draghi sur la compétitivité de l'Union européenne, le sous-développement des fonds de pension est l'une des causes de la faiblesse de la part des capitaux à long terme sur les marchés de capitaux européens.
Pour la France, la rapporteure insiste sur le fait que c'est par le biais du Fonds de réserve des retraites (FRR) que pourrait se déployer un fonds de capitalisation, qui aurait une vertu d'amortisseur des chocs démographiques et économiques. Revenu à sa mission originelle d'amortisseur des chocs macroéconomiques et démographiques, un tel fonds - dont la qualité de gestion est à souligner - pourrait permettre de mieux piloter à long-terme l'équilibre du système.
Recommandation : Réabonder le Fonds de réserve des retraites en lui redonnant sa mission originelle d'amortisseur des chocs démographiques et économiques (Gouvernement).
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 14 mai 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, sur l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre du système de retraite.
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons avec notre collègue Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, qui va nous présenter ses observations et ses recommandations concernant l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre financier du système de retraite. Madame la rapporteure spéciale, vous avez la parole.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Comme je l'ai mentionné lors de la venue de Monsieur le Premier président de la Cour des comptes au Sénat mercredi dernier, j'ai souhaité conduire une réflexion sur la possibilité d'accroître le taux d'emploi des seniors. En abordant ce sujet structurel, en lien avec le conclave convoqué par le Premier ministre, j'ai tenté de trouver des solutions pour améliorer le financement à long terme de notre système de retraite.
Pour commencer, un constat : au sein de l'OCDE, la France est un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75% de ses 55-64 ans, et ce taux est le même aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4%.
Les causes de cette faiblesse du taux d'emploi sont multiples.
D'abord, la France a relevé l'âge de départ avec plus de prudence et moins de rapidité que ses partenaires, alors que le choc démographique était similaire. Ainsi, le point bas de taux d'emploi des seniors est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, mais il ne survient en France qu'en 2005. Or, c'est bien avant tout la distance à la retraite qui permet d'arbitrer pour les employeurs comme pour les individus entre le choix de l'emploi et celui de la retraite ou de l'inactivité. C'est ce que les économistes appellent l'effet horizon.
Ensuite, les emplois proposés aux seniors ne sont pas toujours adaptés à ce à quoi ils aspirent à l'approche de leur fin de carrière : plus de temps partiel, des emplois plus proches de chez eux et qui leur permettent de rester socialement intégrés.
Enfin, le niveau de pension joue. En France, en 2022, le taux de remplacement pour les hommes est de 71,9 % contre 55,3 % en Allemagne. Un Allemand divise presque par deux ses revenus en passant à la retraite. Cela l'encourage évidemment à rester au travail.
Par ailleurs, le taux de pauvreté des retraités a diminué : 8,7 % aujourd'hui contre 14,6 % en 2019. Leur niveau de vie, en prenant en compte le fait que nombre d'entre eux sont propriétaires, est 9,5 % plus élevé que pour l'ensemble de la population.
J'affirme que ce niveau de vie est nécessaire pour financer le grand âge ou la dépendance. Tant que ce cinquième risque n'est pas financé, il faut préserver les ressources des premiers concernés.
Forte de ces constats, j'ai cherché à modéliser l'amélioration du solde de notre système de retraite qui serait consécutive à une hausse de l'emploi des seniors en France.
Grâce aux données transmises par les administrations auditionnées et au travail interne de la commission, nous avons pu obtenir quelques données chiffrées. Cependant, je précise que les chiffrages, quelle que soit la méthodologie retenue, sont fondés sur des hypothèses fortes. Celles-ci portent, par exemple, sur le nombre de seniors qui reviendraient en emploi, sur la productivité de ces derniers ou encore sur leur exposition aux risques sociaux. Il convient donc de traiter avec prudence les chiffres que je vais évoquer et de retenir, avant tout, des ordres de grandeur.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) propose une analyse de ce qui arriverait si la France alignait son taux d'emploi sur celui des Pays-Bas. Il en résulterait un bénéfice brut pour les finances publiques de près de 125 milliards d'euros par an. La direction générale du Trésor, qui a produit des travaux très approfondis sur la question, modélise l'amélioration du solde des finances sociales si la France alignait son taux d'emploi sur celui de l'Allemagne, en tenant compte de la prégnance plus forte des emplois à temps partiel outre-Rhin. Avec une hausse de 16,4 points de l'emploi des 60-64 ans et une hausse générale de 3,6 points de l'emploi dans la population française, le bénéfice pour le système de retraite serait d'environ 9 milliards d'euros.
Enfin, plus spécifiquement, la chaire Transition démographique, transition économique, se fondant sur une hausse théorique de 10 points du taux d'emploi des 60-64 ans, obtient un bénéfice brut pour le système de retraite d'environ 9,7 milliards d'euros.
Voici pour les ordres de grandeur, qui sont tout de même substantiels.
Au-delà de savoir combien rapporterait la remise en emploi des seniors, il faut imaginer, surtout, comment y parvenir et à quel prix.
En imaginant réintégrer au marché du travail l'intégralité des personnes entre 55 et 64 ans qui ne sont ni en emploi ni en retraite, qui ne sont pas au chômage et en bonne santé, soit environ 590 000 personnes, le bénéfice brut pour les finances publiques serait de 11,7 milliards d'euros. Cependant, pour y parvenir, il faudrait consentir à au moins 5,9 milliards de dépenses dans différentes mesures de formation et d'adaptation.
Au final, l'on obtiendrait un bénéfice net d'environ 5,8 milliards d'euros.
Même en comptabilisant le coût de remise en emploi des plus âgés, l'accroissement du taux d'emploi a donc un effet très positif sur le solde de notre système de retraite.
Il ne suffira cependant pas à équilibrer le système, car la Cour des comptes chiffre à 6,6 milliards d'euros le déficit moyen du système dès 2025, et prévoit une dégradation du solde à 15 milliards d'euros hors inflation en 2035, puis à 30 milliards d'euros en 2045. Cependant, si le réemploi des seniors pèse 6 milliards d'euros, vous conviendrez qu'il mérite toute notre attention.
Je souhaite donc proposer à notre commission des pistes pour avancer sur le sujet du taux d'emploi des seniors et, plus largement, sur le système de retraite.
Dans la construction de ces recommandations, mon premier objectif a été, comme l'a souligné Pierre Moscovici le 7 mai dernier, de préserver l'équité intergénérationnelle de notre système de retraite. Je rejoins le Premier président de la Cour des comptes : au vu des évolutions auxquelles nous faisons face, notamment d'un point de vue démographique, il est nécessaire que le poids du déficit du système d'aujourd'hui ne soit pas résolu en pénalisant les retraités de demain.
Pour continuer à croire dans le système de répartition dont nous héritons, il est nécessaire que, d'une génération à une autre, les droits ne soient pas diminués injustement.
Pour parvenir à cet objectif, il est indispensable de développer l'investissement dans les compétences des seniors et dans la formation à partir de 50 ans pour maintenir l'employabilité des salariés les plus âgés. Il nous faut, comme en Allemagne, développer une culture du travail senior par la création d'emplois adaptés, notamment à temps partiel, qui répondent aux attentes des actifs en fin de carrière. L'arrivée du projet de loi transposant l'accord national interprofessionnel sur l'emploi des seniors au Sénat en juin prochain pourra favoriser le développement de ces recommandations.
Dans un deuxième temps, et plus largement, il faut soulager et simplifier notre système par répartition trop déséquilibré.
En 1960, il y avait 4,69 actifs par retraité. Aujourd'hui, on compte seulement 1,71 actif par retraité. Face à ce ratio, je m'étonne qu'aucun des récents rapports sur le sujet des retraites ne soulève la nécessaire question de la « natalité ». Pourquoi la baisse du taux de fécondité en France serait une fatalité ? Le gouvernement doit soutenir des politiques natalistes par tous moyens : aide à la garde d'enfants, crèches, allongement de la durée du congé maternité, allocation familiale bonifiée pour 2 et 3 enfants, plafonnée après 5, politique résolue en faveur du logement, facilitation de l'entrée des jeunes sur le marché du travail. Aucune société ne peut parler d'avenir sans parier sur sa jeunesse. Certes, les politiques natalistes ont un coût et des bénéfices de long terme, mais sans cela, il est vain de chercher des solutions pour les retraites.
Ensuite, il me paraît indispensable de toiletter le système par répartition dont les financements croisés sont d'une complexité inouïe : la CSG, les cotisations, les impôts, les taxes, l'assurance chômage, les allocations familiales, les subventions, les transferts entre régimes, les réserves etc. Tout finance les retraites et inversement.
Enfin, pour réussir la transition démographique à laquelle nous faisons face, il est nécessaire de redonner au Fonds de réserve des retraites (FRR) sa mission initiale, à savoir jouer un rôle d'amortisseur des chocs démographiques et économiques. J'invite donc à réabonder le FRR en mettant ses missions en cohérence avec les motivations qui ont poussé à sa création. Imaginé en 2001 pour provisionner les futures dépenses de retraite liées aux baby-boomers, le FRR devait atteindre 150 milliards d'euros en 2020. Et curieusement, c'est le chiffre que cherchait à combler la réforme des retraites en 2023. Or, notre FRR ne compte plus que 20 milliards d'euros aujourd'hui, en raison de son changement d'affectation en 2010, pour rembourser la dette de la CADES, c'est-à-dire 2,1 milliards par an depuis 2011 jusqu'en 2024. On a donc ponctionné 30 milliards d'euros sur le FRR jusqu'en 2024, puis on ponctionnera 1,45 milliard par an de 2025 à 2033. Les retraites financent donc la maladie et l'on s'étonne du déficit du système !
Selon moi, un système par répartition doit obligatoirement s'accompagner d'un fonds de réserve qui absorbe et provisionne les effets démographiques de chaque génération. Si la natalité est en baisse, il faut prévoir des modalités de financement et anticiper les manques. Il n'est pas raisonnable de déclencher des réformes au coup par coup alors que l'on sait parfaitement modéliser le système. Cela l'expose aux critiques alors qu'il est robuste, bien plus que la capitalisation, qui fut notre premier système de retraite en 1910, ruiné par la Première Guerre mondiale. De nouveau à l'essai en 1930, l'inflation et la Deuxième Guerre mondiale ont de nouveau ruiné ceux qui s'y étaient réessayés.
C'est en raison de ces échecs successifs que la France a choisi après-guerre la répartition afin d'octroyer rapidement et sûrement une pension à ses retraités. La répartition peut s'accompagner de capitalisation, et c'est le cas aujourd'hui pour 15 % des Français, mais le socle reste le plus sûr à condition de provisionner les deltas dans un fonds dédié.
En conclusion, s'il s'agit de maintenir notre système sans augmenter les cotisations et sans travailler plus, j'espère que mon travail vous aura convaincu de la nécessité d'améliorer le taux d'emploi des seniors en bonne santé, dont le bénéfice net peut être estimé à près de 6 milliards d'euros. Cela ne suffira pas, mais c'est un début de solution.
M. Michel Canévet. - Je voudrais remercier l'excellente rapporteure spéciale pour ce sujet particulièrement important qui concerne l'emploi des seniors. Le graphique qui se trouve à la première page de la synthèse du rapport est particulièrement explicite sur la situation de la France, où nous sommes en complet décalage avec le taux d'emploi des seniors dans les autres pays autour de nous, ce qui montre l'effort qui est à faire effectivement.
Je partage l'appréciation sur le Fonds de réserve des retraites. Il me paraît tout à fait anormal qu'un prélèvement soit opéré sur ce fonds alors qu'il faudrait au contraire le renforcer pour les retraites compte tenu des besoins de financement à l'avenir. Il faudrait que l'on puisse déposer des amendements tendant à supprimer ce prélèvement.
Concernant l'emploi des seniors, beaucoup affirment un souhait de travailler moins. Par ailleurs, la transmission des savoirs est une habitude bénéfique qu'il faudrait introduire dans un certain nombre de professions. Je pense par exemple aux enseignants. En effet, un certain nombre d'entre eux sont usés à la fin de leur carrière et ils ont un savoir-faire pédagogique. Pourquoi pas imaginer qu'ils puissent y avoir dans la même classe un jeune professeur et un professeur très expérimenté pendant un certain temps, ce qui permettrait ainsi d'éviter que des jeunes soient lancés sans aucune expérience ? Et ce qui est vrai pour l'enseignement, l'est également pour d'autres professions, notamment dans le domaine industriel, ce qui permettrait peut-être de relancer l'industrie dans notre pays.
En tout état de cause, ce rapport sur l'emploi des seniors arrive à propos parce que nous avons parallèlement, comme cela a été dit, une baisse très significative de la natalité dans notre pays. Donc il faut qu'on puisse compenser cela, même si la baisse de la natalité n'aura des effets que dans quelques années. Il convient d'anticiper. Des mesures sont-elles prévues aujourd'hui pour permettre de concilier un emploi à temps choisi et la possibilité de pouvoir aller jusqu'à la retraite ?
Mme Isabelle Briquet. - Notre rapporteure s'est attaquée à un sujet délicat et épineux.
Nous aurons sans doute d'autres débats où nous ne serons pas forcément d'accord sur les solutions à apporter. Néanmoins, j'apprécie le travail qui a été fait, parce qu'il est très objectif. Le constat n'échappe aujourd'hui à personne : il suffit de comparer les ressources qu'apportent les cotisants et le coût des retraites pour voir que le compte n'y est pas.
À propos de la dernière recommandation qui encourage l'emploi des seniors et la création d'emplois adaptés, je souscris à l'idée que ces emplois seraient bien majoritairement à temps partiel. Est-ce à dire, cependant, que les seniors vont travailler plus longtemps pour avoir une retraite moins importante à la fin ? En effet, le temps partiel est synonyme de cotisations moins élevées, donc probablement de moindre pension. Ce maintien en emploi à temps partiel serait-il associé à un mécanisme de garantie ?
M. Arnaud Bazin. - Je me joins aux remerciements adressés à notre rapporteure pour ces éléments de réflexion éclairants.
Je m'étonne cependant que l'influence du régime d'assurance chômage n'ait pas été prise en compte dans les paramètres envisagés. Nous savons qu'un certain nombre de seniors au chômage ne retrouvent pas un niveau de rémunération qui les encourage à reprendre rapidement un emploi, ce qui doit avoir des conséquences sur ce taux d'emploi.
J'ai entendu que vous avez évoqué les seniors qui ne sont ni en emploi, ni en retraite, ni en formation, mais pas nécessairement ceux qui se trouvent dans le régime de l'assurance chômage. Pouvez-vous fournir des éléments complémentaires sur ce point ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je tiens à souligner l'excellente qualité du rapport présenté par madame la Rapporteure, avec des diagnostics et des prises de position très nettes. Je partage sans réserve, c'est le cas de le dire, vos observations sur le fonds de réserve des retraites et m'associe à la proposition qui vient d'être faite.
Il est catastrophique qu'au cours des quinze dernières années on ait rendu de plus en plus opaque la tuyauterie financière générale de la Sécurité Sociale, participant ainsi à une méconnaissance et une incompréhension majeure des enjeux, y compris par beaucoup de décideurs publics. Le fonds de réserve en est un exemple. Ce qui lui est arrivé participe à l'affaiblissement de la crédibilité globale du système par répartition, lequel repose sur la confiance que l'ensemble des Français, quel que soit leur âge, peuvent en avoir ainsi que dans l'utilité des cotisations qu'ils paient et la pérennité de leurs droits, une fois arrivés à la retraite.
Je trouve que l'on aurait pu faire une critique sur la transposition tardive de l'accord national interprofessionnel sur l'emplois des seniors. Il y a deux façons de ne pas respecter les partenaires sociaux : soit on ne leur demande pas leur avis, soit, quand ils négocient, on met un an à inscrire dans la loi le fruit de leur accord. Évidemment, il y a beaucoup de circonstances politiques qui expliquent cet état de fait, mais prendre un an pour transposer un tel accord me semble disproportionné alors qu'il y a de nombreuses dispositions qui pourront faire bouger les curseurs. Même s'il ne s'agit pas d'un accord décisif pour traiter du sujet, il y a urgence car on voit que la situation du chômage des seniors se dégrade rapidement. Les menaces qui pèsent sur leurs emplois se sont renforcées, alors que la tendance précédente était à son amélioration.
M. Laurent Somon. - On nous a vendu la baisse de l'âge de la retraite avec la possibilité d'une substitution des emplois seniors supprimés par une augmentation de l'emploi des jeunes. A-t-on vraiment des chiffres tangibles qui démontrent cette théorie de l'effet de substitution qui nous a été proposée à une époque ?
À l'inverse, y a-t-il effectivement, et notamment en comparaison avec nos partenaires de l'Union européenne, la démonstration que l'employabilité des personnes de plus de 50 ans ne dégrade pas et même parfois améliore l'embauche des jeunes ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Michel Canévet a soulevé la question du Fonds de réserve des retraites. Je réponds également à Marie-Claire Carrère-Gée qui en a fait mention.
Effectivement, les prélèvements sur le FRR ont été très dommageables au système par répartition. Ce fonds avait atteint près de 38 milliards d'euros en 2010, lorsqu'il a été décidé de verser chaque année 2,1 milliards à la CADES pour rembourser la dette de la Sécurité sociale. Il est excellemment géré par la Caisse des dépôts et consignations, avec un taux de rendement supérieur à 10 % certaines années.
Si l'on imagine un fonds de réserve des retraites d'environ 40 milliards d'euros en 2010, qui aurait engrangé environ 4 milliards d'euros chaque année, on peut facilement se représenter le montant qu'il aurait atteint en 2023. Peut-être aurions-nous pu éviter la réforme de 2023.
En tout cas, lors de sa création, ce fonds de réserve était destiné à provisionner les cotisations surnuméraires de l'époque, liées au pic d'activité des baby-boomers, pour pouvoir encaisser le choc démographique qui était à venir. Aujourd'hui, ces fonds nous font cruellement défaut : le FRR aurait dû atteindre 150 milliards d'euros de réserves en 2020. Même avec seulement 80 milliards d'euros en réserve, avouez que la question du financement de nos retraites aurait été singulièrement différente en 2023.
Lorsque je dis qu'il faut cesser de ponctionner le fonds de réserve des retraites pour financer la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), on me répond favorablement, mais qu'il faut quand même rembourser la dette de la CADES. Je suis bien d'accord, la dette sociale doit être remboursée : néanmoins, à cause de cette utilisation dévoyée du FRR que l'on a ponctionné, on se retrouve obligé de réformer souvent les retraites.
Je ne peux pas faire une autre recommandation que de dire qu'a minima, laissons ce qui appartient aux retraites au financement du régime des retraites. Effectivement, cette fragilisation du système par répartition crée des poussées pour développer de la capitalisation.
Je suis très claire, je ne suis pas opposée à la capitalisation, mais seulement en complément du système par répartition. En effet, le jour où l'on remet en question le système actuel par répartition en voulant le remplacer par une part de capitalisation, on va créer un gouffre immense, car il manquera les cotisations éventuelles qu'on a aujourd'hui par répartition. Si elles partent en capitalisation, il manquera ces cotisations pour financer les pensions actuelles. Il ne faut pas l'oublier. On ne peut pas substituer de la répartition par de la capitalisation, sauf à générer des gouffres très importants.
Michel Canévet, vous posiez la question : y a-t-il des mesures prévues aujourd'hui sur la transmission des savoirs enseignants ou industriels ? Il y a la montée en puissance des cumuls emploi-retraite, des retraites progressives qui est en train de s'opérer grâce à la réforme de 2023. Dans les mesures supplémentaires, l'accord national qui sera bientôt transposé obligera, dans l'entretien professionnel à 60 ans, à aborder la question de l'aménagement de la fin de carrière, ce qui est une bonne chose.
De plus, l'investissement sur la formation des seniors des plus de 50 ans est extraordinairement bénéfique, en tout cas davantage - et c'est peut-être contre-intuitif - que la formation pour les 20-50 ans. Selon les chiffres dont je dispose, investir sur les compétences d'un senior est 1,75 fois plus efficace que sur celles des 20-50 ans. Pourquoi ? Essentiellement à cause de l'absentéisme qui est plus fréquent pour les 20-50 ans. La formation des plus de 50 ans a donc un bon retour sur investissement.
Isabelle Briquet, vous évoquiez la création d'emplois adaptés. Cela me semble logique, et l'Allemagne le fait beaucoup d'ailleurs. C'est une culture qu'il est nécessaire de développer, avec une part plus importante des emplois à temps partiel et des emplois adaptés. Les estimations tiennent compte du fait que si les seniors qui sont en bonne santé travaillent davantage, cela va produire des cotisations supplémentaires. Cela fera également sans doute des prestations sociales en moins. En revanche, oui cela génèrera des pensions de retraite supplémentaires, car les seniors auront cotisé davantage. Cet effet est bien inclus dans l'estimation et ces pensions vont se déporter dans le temps.
Arnaud Bazin, sur la question de l'assurance chômage : mon travail n'a pas porté sur ces aspects-là. Néanmoins, je mentionnerai l'existence des dispositifs, notamment dans le domaine privé, qui ont accompagné les départs anticipés en retraite, bien que ces derniers se soient aujourd'hui beaucoup réduits. Il faut aussi rappeler que la France est un pays où l'on accompagne beaucoup plus que les autres pays à partir de 55 ans en matière de chômage. Est-ce qu'il faut encore y toucher ? Je préconise évidemment de plutôt basculer sur la formation que sur l'indemnisation chômage. Les dispositifs de pré-retraite et de chèques ont faibli parce que la France a aussi besoin de main-d'oeuvre. Cela n'enlève rien au constat que la France accompagne beaucoup plus : les plus de 57 ans peuvent bénéficier d'indemnisations chômage jusqu'à 27 mois consécutifs, ce qui est beaucoup plus par rapport aux pays européens. Cependant, je n'ai pas de chiffrage particulier sur cet aspect.
Marie-Claire Carrère-Gée, sur le fonds de réserve des retraites : je l'ai évoqué précédemment, et effectivement, l'accord des partenaires sociaux sur l'emploi des seniors tarde à être mis en oeuvre, ce que je ne comprends pas car il ne s'agit pas d'un sujet qui fâche. Ce sont des gens qui recherchent, qui ont besoin de travailler, qui demandent à travailler. On a simplement trop de difficultés à créer des emplois adaptés. Pour le temps partiel, je considère que la limite est que ce soit bien le minimum pour valider des trimestres. Il faut que les personnes qui ont eu des carrières hachées ne soient pas désavantagées - il y a les femmes, mais pas uniquement. Notre taux d'emploi senior chez les hommes est aussi faible par rapport aux autres pays, ce qui signifie qu'il y a une culture de l'emploi senior à développer. Je pense qu'on aurait pu aller beaucoup plus vite sur ces aspects-là.
Laurent Somon, vous posiez une question sur les jeunes. Nous avons assez peu d'éléments qui documenteraient un effet d'éviction des jeunes sur le marché du travail si les seniors se maintenaient en emploi. Par exemple, en 2022, le taux d'emploi senior chez les hommes est de 77,2 % en Allemagne et de 58,3 % en France. Mais le taux d'emploi des jeunes est aussi plus élevé en Allemagne : c'est 52,5 % contre 36,3 % en France. Il faut évidemment travailler à la fois sur l'emploi des jeunes et sur l'emploi des seniors.
J'ai souhaité me positionner dans ce rapport sur l'emploi senior parce que c'était un sujet sur lequel nous avions encore assez peu de chiffres.
J'ai également voulu souligner l'importance de l'investissement et de la formation dans les compétences des seniors. Le rapport Draghi a mis en lumière le fait que nos compétences étaient extrêmement déterminantes dans la croissance de notre PIB. Il a montré que ce n'est pas seulement le temps de travail qui compte, mais aussi nos compétences. Puisque nous avons naturellement acquis des compétences à 50 ans, et que le retour sur investissement en formation est 1,75 fois plus élevé que pour les plus jeunes, je pense qu'il n'y a pas beaucoup de questions à se poser. C'est pourquoi je peux faire des recommandations qui peuvent paraître parfois un peu simplistes, mais qui visent à mettre des priorités dans les marges de manoeuvre que nous pouvons avoir, par exemple sans augmenter les cotisations ou sans reculer l'âge de départ à la retraite.
La commission a adopté les recommandations de la rapporteure spéciale et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)
- M. Fabrice LENGLART, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques ;
- M. Anthony MARINO, chef du bureau des retraites.
Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE)
- M. Alain VILLEMEUR, directeur scientifique de la Chaire TDTE ;
- M. Kevin GENNA, directeur de la modélisation.
Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)
- M. Vladimir PASSERON, chef du département de l'emploi et des revenus d'activité.
Direction générale du Trésor (DGT)
- Mme Albane SAUVEPLANE, sous-directrice à la sous-direction des politiques sociales et de l'emploi ;
- Mme Juliette DUCOULOMBIER, administratrice de l'INSEE ;
- Mme Anna BORNSTEIN, cheffe du bureau Marché du travail et politiques de l'emploi.
Conseil d'orientation des retraites (COR)
- M. Gilbert CETTE, président ;
- M. Emmanuel BRETIN, Secrétaire général.
Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES)
- M. Michaël ORAND, chef de la mission d'analyse économique ;
- Mme Sonia MAKHZOUM, chargée d'études statistiques et économiques.
TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)
N° de la proposition |
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
1 |
Simplifier la lecture et accroître la cohérence du financement des organismes de protection sociale pour renforcer l'adhésion au système par répartition |
Direction de la sécurité sociale et Direction de la législation fiscale |
Fin 2025 |
Loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances pour 2026 |
2 |
Réabonder le Fonds de réserve des retraites en lui redonnant sa mission originelle d'amortisseur des chocs démographiques et économiques |
Gouvernement |
Fin 2025 |
Loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances pour 2026 |
3 |
Encourager par tous moyens une politique de soutien à la natalité pour favoriser, à long terme, un redressement du rapport démographique entre les actifs et les retraités |
Gouvernement |
Dès 2025 |
Loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances, ou à défaut loi ordinaire |
4 |
Développer l'investissement dans les compétences des seniors et dans la formation à partir de 50 ans, pour maintenir l'employabilité des salariés les plus âgés |
Direction générale du travail et Direction générale de l'administration et de la fonction publique |
Dès 2025 |
Loi ordinaire, tous moyens |
5 |
Encourager le développement d'une culture du travail des seniors, par la création d'emplois adaptés, notamment à temps partiel, qui répondent aux motivations de cette population |
Gouvernement |
Dès 2025 |
Tous moyens |
ANNEXE - NOMENCLATURE DES CATÉGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES
Groupe socioprofessionnel |
PCS |
Catégorie socioprofessionnelle |
Agriculteurs exploitants / Agricultrices exploitantes |
10 |
Exploitants / Exploitantes de l'agriculture, sylviculture, pêche et aquaculture |
Artisans / Artisanes, commerçants / commerçantes et chefs / cheffes d'entreprise |
21 |
Artisans / Artisanes |
22 |
Commerçants / Commerçantes et assimilés |
|
23 |
Chefs / Cheffes d'entreprise de plus de 10 personnes |
|
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
31 |
Professions libérales |
33 |
Cadres administratifs et techniques de la fonction publique |
|
34 |
Professeurs / Professeures et professions scientifiques supérieures |
|
35 |
Professions de l'information, de l'art et des spectacles |
|
37 |
Cadres des services administratifs et commerciaux d'entreprise |
|
38 |
Ingénieurs / Ingénieures et cadres techniques d'entreprise |
|
Professions intermédiaires |
42 |
Professions de l'enseignement primaire et professionnel, de la formation continue et du sport |
43 |
Professions intermédiaires de la santé et du travail social |
|
44 |
Ministres du culte et religieux consacrés / religieuses consacrées |
|
45 |
Professions intermédiaires de la fonction publique (administration, sécurité) |
|
46 |
Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises |
|
47 |
Techniciens / Techniciennes |
|
48 |
Agents / Agentes de maîtrise (hors maîtrise administrative) |
|
Employés / Employées |
52 |
Employés administratifs / Employées administratives de la fonction publique, agents / agentes de service et auxiliaires de santé |
53 |
Policiers, militaires, pompiers, agents de sécurité privée / Policières, militaires, pompières, agentes de sécurité privée |
|
54 |
Employés administratifs / Employées administratives d'entreprise |
|
55 |
Employés / Employées de commerce |
|
56 |
Personnels des services directs aux particuliers |
|
Ouvriers / Ouvrières |
62 |
Ouvriers qualifiés / Ouvrières qualifiées de type industriel |
63 |
Ouvriers qualifiés / Ouvrières qualifiées de type artisanal |
|
64 |
Conducteurs / Conductrices de véhicules de transport, chauffeurs-livreurs / chauffeuses-livreuses, coursiers / coursières |
|
65 |
Conducteurs / Conductrices d'engins, caristes, magasiniers / magasinières et ouvriers / ouvrières du transport (non routier) |
|
67 |
Ouvriers peu qualifiés / Ouvrières peu qualifiées de type industriel |
|
68 |
Ouvriers peu qualifiés / Ouvrières peu qualifiées de type artisanal |
|
69 |
Ouvriers / Ouvrières agricoles, des travaux forestiers, de la pêche et de l'aquaculture |
Source : Insee
* 1 Conseil d'orientation des retraites (COR).
* 2 Chaire transition démographique, transition écologique (TDTE).
* 3 Direction générale du Trésor.
* 4 L'évolution à la hausse du taux d'emploi, hors effet de composition, est associée à une baisse globale de la productivité, avec une élasticité moyenne de 0,5. C'est cette élasticité que retient la DGT dans ses travaux.
* 5 Au sens du Bureau international du travail (BIT), une personne est au chômage si elle remplit simultanément trois critères : être sans emploi au cours d'une semaine donnée ; avoir effectué, au cours des quatre semaines précédentes, au moins une démarche active de recherche d'emploi et être disponible pour travailler dans les deux semaines à venir.
* 6 Yannick Moreau et al., Nos retraites demain : équilibre financier et justice - Rapport de la Commission pour l'avenir des retraites, juin 2013.
* 7 Article L161-25 du code de la sécurité sociale.
* 8 France Stratégie, Comment réduire la sensibilité du système de retraites à la croissance?, janvier 2017.
* 9 Ce chiffrage est issu de l'enquête Emploi pour 2023. Si l'échantillon est d'envergure, puisque près de 100 000 personnes répondent à l'enquête chaque trimestre, il convient de le considérer avec précaution car il s'agit d'une extrapolation à partir des réponses recueillies.
* 10 François Langot, Thepthida Sopraseuth et Jean-Olivier Hairault, Institut des politiques macroéconomiques et internationales (i-MIP), note 2025-03, « Réforme des retraites, âge de départ et emploi des seniors : quelles leçons tirer des réformes passées ? », mars 2025.
* 11 Réponses des économistes au questionnaire envoyé par la rapporteure et note de l'i-MIP précitée.
* 12 L'indice conjoncturel de fécondité a atteint 1,62 enfant par femme en 2024 selon l'INSEE, soit un point bas depuis 1919. Pour rappel, le seuil de renouvellement des générations, c'est-à-dire le nombre moyen d'enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif, est atteint lorsque les femmes ont en moyenne 2,07 enfants.
* 13 Patrick Aubert, Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), « L'effet horizon » : de quoi parle-t-on ?, Note technique, avril 2011
* 14 DREES, Les retraités et les retraites, édition 2024.
* 15 « Classe sociale et trajectoires de revenu par âge dans 14 pays européens », « Social class and age-earnings trajectories in 14 European countries », Leonie Westhoff, Erzsébet Bukodi, John H. Goldthorpe, Université d'Oxford, octobre 2022.
* 16 Unédic, « Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ? », avril 2025
* 17 UNEDIC, « Les entrées à l'assurance chômage à l'approche de la retraite », mars 2024.
* 18 Les dépenses d'allocation chômage atteignent 33,4 milliards d'euros en 2022. Voir UNEDIC, Trajectoire financière de l'assurance chômage pour 2023-2026, septembre 2023.
* 19 DARES, Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ?, avril 2025.
* 20 Ministère de la Fonction publique, Chiffres clés de la fonction publique, 2024.
* 21 Les réponses sont issues de l'Enquête européenne sur les conditions de travail. Cette enquête a lieu tous les cinq ans. L'enquête de 2024 est achevée mais les résultats ne seront publiés qu'à la fin de l'année 2025 ; celle de 2020 a été repoussée en 2021 et effectuée au téléphone, à cause des restrictions causées par la pandémie de Covid-19. Par conséquent, les derniers résultats fiables disponibles sur le sujet de l'âge désiré datent de 2015.
* 22 European working conditions survey (EWCS).
* 23 Sylvie Vermeillet, Tome III du Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2025, Annexe n°25 « Régimes sociaux et de retraite et Compte d'affectation spéciale : Pensions », novembre 2024.
* 24 Gilbert Cette, « Augmenter le taux d'emploi global : un ressort incontournable pour élever notre niveau de vie », Telos.eu, 29 novembre 2024.
* 25 Cour des comptes, Situation financière et perspectives du système de retraites, communication au Premier ministre, février 2025.
* 26 DGT, Juliette Ducoulombier, « Quels seraient les effets sur les finances sociales d'un alignement du taux d'emploi français sur celui de l'Allemagne ? », mai 2024.
* 27 Les services de l'INSEE, de France Stratégie, de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de la Direction de la Sécurité sociale (DSS) ont participé aux travaux.
* 28 Réponses de la DGT au questionnaire budgétaire.
* 29 L'Enquête Emploi 2021 de l'INSEE fournit quelques données mais fondées sur un échantillon déclaratif, ce qui limite sa portée. Relativement à l'individu moyen, les hommes de 15-24 ans seraient 41 % moins productifs, les hommes de 25-54 ans 14 % plus productifs et les hommes de 55-64 ans 26 % plus productifs. Les femmes de 15-24 ans seraient 46 % moins productives, les femmes de 25-54 ans 7 % moins productives et les femmes de 55-64 ans 9 % moins productives. Ces données suggèrent que les seniors en emploi sont plus productifs que les très jeunes. Néanmoins, cela n'indique pas la productivité potentielle des seniors qui ne sont plus en emploi et qui réintègreraient le marché du travail, comme cherchent à le modéliser les travaux présentés.
* 30 Renaud Bourlès, Gilbert Cette, Anastasia Cozarenco, « Employment and Productivity: Disentangling Employment Structure and Qualification Effects », International Productivity Monitor, 2012. L'évolution à la hausse du taux d'emploi, hors effet de composition, est associée à une baisse globale de la productivité, avec une élasticité moyenne de 0,5. C'est cette élasticité que retient la DGT dans ses travaux.
* 31 Cour des comptes, Impacts du système de retraites sur la compétitivité et l'emploi, communication au Premier ministre, avril 2025
* 32 2 Dares, Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009, 2012.
* 33 Mathieu Bunel, Céline Emond et Yannick L'Horty, Évaluer les réformes des exonérations générales de cotisations sociales, Revue de l'OFCE, n°126, 2012.
* 34 Conseil national de productivité, Bilan des crises, Compétitivité, productivité et transition climatique, décembre 2023, p.31.
* 35 Pour rappel, l'entrée de ces 589 000 personnes représenterait une hausse du taux d'emploi des 55-64 ans de l'ordre de 6,9 points.
* 36 589 000 entrées en emploi sur une population totale de personnes en âge de travailler de 30,8 millions correspond à une augmentation de 1,91 points de pourcentage du taux d'emploi de la population.
* 37 Mario Draghi, The future of European competitiveness, septembre 2024.
* 38 Rapport d'information du Sénat, « Réforme des retraites : le défi des fins de carrière », Monique Lubin et René-Paul Savary, septembre 2019.
* 39 Cf. les données du b) du 2) du I du présent rapport.
* 40 Rapport d'information du Sénat, « Réforme des retraites : le défi des fins de carrière », Monique Lubin et René-Paul Savary, septembre 2019.
* 41 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
* 42 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
* 43 Ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l'abaissement de l'âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles.
* 44 L'annexe au présent rapport rappelle les correspondances entre les codes chiffrés et les catégories socio-professionnelles, selon la norme PCS de l'INSEE.
* 45 Jean Flamand, Conseil d'orientation pour l'emploi, Fin de carrière des seniors : quelles spécificités selon les métiers ?, avril 2023.
* 4647 Cour des Comptes, La politique d'accueil du jeune enfant, décembre 2024.
* 48 DREES, Les retraités et les retraites, Fiche n°9, « Le niveau de vie des retraités », juin 2023.
* 49 Conseil d'orientation des retraites (COR), Rapport annuel, Évolutions et perspectives des retraites en France, juin 2024.
* 50 Article L. 1142-10 du code du travail.
* 51 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
* 52 La retraite des marins, créée en 1681, reposait par exemple sur une retenue sur la solde.
* 53 Voir l'article de Pierre Saly, « Capitalisation et répartition dans l'histoire du système français des retraites avant 1945 », Revue d'histoire de la protection sociale, 2020.
* 54 La loi du 14 mars 1941 relative à l'allocation aux vieux travailleurs salariés, prise sous le régime de Vichy, met un terme définitif à la capitalisation, au profit d'un premier système par répartition.