E. DONNER SA CHANCE AU POST-SENTENCIEL

Ainsi que l'ont déjà fait valoir les rapporteures dans l'exposé de leurs principaux constats, le contrôle du respect des obligations de surveillance de sûreté auxquelles sont soumis certains délinquants sexuels de même que la mise en oeuvre du dispositif de rétention de sûreté (articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale) sont des outils aujourd'hui sous-exploités.

Créée par la loi102(*) du 25 février 2008, la rétention de sûreté peut être prononcée à l'encontre des personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle pour certains crimes dont le crime de viol (voir supra). Comme on l'a déjà relevé, d'après les informations fournies aux rappporteures par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, « aucune personne ne se trouve actuellement en rétention de sûreté, le dernier placement s'étant achevé le 24 janvier 2024 ». Cette situation n'est pas forcément surprenante au vu des modalités de mise en oeuvre dans le temps de la loi précitée de 2008 : en effet, la rétention de sûreté sous sa forme la plus « classique » (i.e. celle qui ne résulterait pas des violations d'obligations prévues dans le cadre de la surveillance de sûreté) ne s'applique qu'aux faits commis après son entrée en vigueur et à l'issue de la peine exécutée sous l'effet de la condamnation qu'ils ont suscitée, d'une durée minimale de quinze ans.

D'autres éléments communiqués par la DACG sur ce sujet sont, à l'inverse, étonnants. Ainsi, la direction a précisé que les éléments statistiques dont elle dispose « ne peuvent prétendre à l'exhaustivité, dans la mesure où ils ne sont comptabilisés que suivant les informations transmises à la direction par les parquets généraux, et doivent donc être appréhendés avec prudence ». Les rapporteures estiment que, au vu de la gravité des faits susceptibles de donner lieu à un placement en rétention de sûreté comme du faible nombre de personnes concernées, le ministère doit se doter des outils permettant un suivi statistique garantissant, a minima, qu'il soit informé du nombre de condamnés effectivement soumis à une telle rétention : il n'est guère compréhensible que cet objectif ne soit pas atteint, alors que plus de treize ans ont passé depuis l'intervention du législateur.

De manière non moins préoccupante, le ministère s'est déclaré inapte à déterminer le nombre de personnes susceptibles, au vu des termes de leur condamnation par les juridictions criminelles, d'être soumises à la fin de leur peine à une rétention de sûreté. En effet, interrogé par la mission sur la possibilité d'identifier les personnes éligibles à la rétention de sûreté, le service statistique du ministère de la justice a indiqué qu'il ne lui était pas possible de produire des données fiables dans la mesure où « les multiples conditions encadrant la rétention (notamment le fait que pour beaucoup d'infractions la victime doive être majeure et que la personne doive avoir été identifiée comme d'une grande dangerosité) ne sont visiblement en effet pas bien retranscrites dans les applicatifs ».

Cette situation pose de lourdes difficultés.

Sur le plan des principes, la spécificité des profils pour lesquels la rétention de sûreté est envisagée devrait imposer, avant même qu'une telle rétention soit prononcée à l'issue de leur peine, le déploiement tout au long de leur détention de mesures ad hoc permettant non seulement d'évaluer leur degré de dangerosité et son évolution, mais aussi de favoriser le suivi de traitements qui peuvent contribuer à réduire le risque de récidive. La cécité du ministère de la justice sur le nombre de personnes concernées implique que cet objectif n'est pas respecté : comment une gestion adaptée des profils les plus dangereux pourrait-elle être mise en oeuvre dès lors que l'administration centrale n'en connaît même pas le nombre ?

S'agissant des enjeux pratiques, par ailleurs, ces défaillances ne permettent pas une utilisation satisfaisante des moyens déployés au centre socio-médico-judiciaire (CSMJS) de Fresnes, seul en France capable d'accueillir, grâce à une équipe disposant d'un haut niveau d'expertise, les détenus placés en rétention de sûreté (voir supra). Non seulement ce centre est aujourd'hui vide, mais surtout les professionnels qui y travaillent n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail - y compris lorsque celle-ci est en réalité prévisible, c'est-à-dire lorsqu'elle découle de décisions prises à l'issue de peines d'emprisonnement dont la durée est par nature connue à l'avance. L'absence de suivi de la rétention de sûreté par le ministère génère ainsi un double écueil pour les équipes du CSMJS : d'une part, largement mobilisés par d'autres activités au sein du centre pénitentiaire, les professionnels médicaux ne peuvent investir leurs missions liées à cette rétention, alors même que celles-ci sont particulièrement sensibles et délicates ; d'autre part, le travail de groupe - dont l'importance pour les AICS a déjà été largement évoquée par le présent rapport - trouve ses limites face au caractère à la fois erratique et imprévisible de l'occupation du centre.

Dès lors, les rapporteures appellent à l'amélioration de la tenue des statistiques relatives à la mise en oeuvre du dispositif de rétention de sûreté ; elles recommandent la production, par le ministère de la justice, d'un document détaillant le nombre de rétentions de sûreté prononcées par les juridictions d'assises depuis 2008 et les types de faits pour lesquels ces mesures ont été prononcées.

Recommandation n° 22 : Améliorer la tenue des statistiques relatives à l'évaluation du nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté et, subséquemment, des besoins à venir.

Les rapporteurs plaident également pour une meilleure utilisation des moyens dédiés au CSMJS. Il n'est pas concevable que les compétences de pointe de ses effectifs et, plus prosaïquement, ses locaux restent aussi largement inutilisés. Elles préconisent dès lors une affectation au sein de ce centre (non pas dans un cadre post-sentenciel mais pour la durée restant à courir de la peine à exécuter) des détenus dont l'expertise de fin de peine a révélé la dangerosité, en particulier pour ceux qui semblent exposés à un risque de récidive particulièrement élevé. Ces profils pourraient être sélectionnés sur le fondement de critères déterminés par les professionnels du CSMJS, la sélection étant opérée par le centre parmi les dossiers de détenus transmis par les établissements pénitentiaires qui les accueillent.

Recommandation n° 23 : Mieux utiliser les moyens prévus pour la rétention de sûreté en les mobilisant, autant que possible, pour limiter le risque de récidive de certains détenus dangereux en fin de peine.

Plus généralement, les rapporteures s'étonnent que la réflexion du ministère de la justice sur la rétention de sûreté paraisse si peu aboutie alors même que l'entrée en vigueur du dispositif de rétention ab initio devrait vraisemblablement avoir lieu d'ici 2030. Il importe dès lors que le ministère s'interroge non seulement sur l'ampleur des moyens à consacrer à l'avenir à la rétention de sûreté, c'est-à-dire sur le nombre de condamnés qu'elle pourrait théoriquement concerner, mais aussi sur le contenu des soins qui devront être offerts aux personnes retenues, sur les modalités d'évaluation de leur état de santé mentale et de leur dangerosité, ou encore sur la nature du suivi extra-médical (social, professionnel, etc.) qui devra leur être proposé pendant la période de rétention pour limiter au maximum le risque de récidive.

Les rapporteures relèvent, enfin, que l'outil essentiel que constitue la surveillance de sûreté - qui, pour mémoire, permet l'application d'un ensemble d'obligations analogues à celles qui existent en matière de surveillance judiciaire et qui peut conduire à une rétention de sûreté en cas de violation desdites obligations - est aujourd'hui peu exploité par les juridictions. Les statistiques transmises par le ministère de la justice attestent de cette situation : en 2024, moins de cinq personnes (le chiffre exact n'est pas connu) ont été placées sous surveillance de sûreté.

Ces chiffres témoignent probablement, au moins pour partie, d'une insuffisante utilisation de la possibilité de recourir à la surveillance de sûreté en cas d'échec de la surveillance judiciaire, pourtant prévue par l'article 723-37 du code de procédure pénale depuis 2008. Or, en 2023, et toutes infractions confondues, seules 248 mesures de surveillance judiciaire étaient en cours - ce qui induit un nombre encore inférieur de ces mesures pour les AICS, alors même que le profil des plus dangereux d'entre eux justifierait le prononcé d'une telle surveillance.

Recommandation n° 24 : Garantir la mise en oeuvre des mesures de surveillance de sûreté pour les profils les plus dangereux, notamment en cas d'échec de la surveillance judiciaire, et s'interroger dès maintenant sur le contenu du suivi offert pendant la période de rétention.

S'agissant enfin des délinquants sexuels dont l'expertise de fin de peine a conclu à la non-dangerosité et qui ne sont donc pas éligibles aux obligations de surveillance de sûreté ou au dispositif de rétention de sûreté, il apparaît nécessaire de développer, ou de soutenir pour le secteur associatif, fût-ce sur la base du volontariat, les dispositifs de groupes de parole et de médiation, ainsi que les stages de responsabilisation, susceptibles de se mettre en place pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel, une fois leur peine exécutée.


* 102 Loi n° 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

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