D. INVESTIR LE TEMPS DE L'EXÉCUTION COMME UN TEMPS DE SOINS ET DE PRISE DE CONSCIENCE
La mission estime, par ailleurs, que l'un des enjeux de la prévention de la récidive des AICS est d'investir enfin le temps de l'exécution de la peine, qu'elle se fasse en détention ou à l'extérieur, comme un temps de prise de conscience, de soin et de réinsertion économique et sociale.
Elle formule, dans cette perspective, neuf recommandations - dont la principale constitue une véritable révolution copernicienne, puisque les rapporteures souhaitent voir mise en place une injonction de soins en détention.
1. Donner une nouvelle ambition aux soins en détention
La mission estime, en premier lieu, que l'affectation effective des AICS dans des établissements pénitentiaires « fléchés » (au demeurant prévue par le droit en vigueur, puisque l'article 763-7 du code de procédure pénale dispose que les AICS condamnés doivent « exécuter leur peine dans un établissement pénitentiaire permettant de leur assurer un suivi médical et psychologique adapté ») doit devenir la norme. Ce constat semble être partagé par le ministère de la justice, qui porte un projet d'augmentation du nombre de tels établissements (voir supra).
Il n'en reste pas moins que ce principe ne doit plus souffrir d'exceptions au vu de l'importance du travail en groupes de parole, essentiel à la prise en charge des détenus concernés, comme l'ont rappelé toutes les personnes entendues par les rapporteures, et notamment par les professionnels qu'elles ont rencontrés à la prison de Fresnes. Ainsi, l'affectation des détenus AICS dans des établissements « fléchés » ne doit plus connaître les dérogations pratiquées aujourd'hui : selon les statistiques transmises par le ministère de la justice, deux tiers des personnes détenues pour au moins une ICS ne sont pas affectées en établissement « fléché » (soient 8 666 sur 13 130 détenus), ce qui n'est pas acceptable.
Recommandation n° 13 : Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en oeuvre de soins en groupes de parole.
Les rapporteures souhaitent également que notre droit soit modifié afin d'aller plus loin en matière d'incitation aux soins en détention. Certes, une telle incitation existe déjà sous diverses formes : le code de procédure pénale permet en effet au juge de l'application des peines d'ordonner le retrait du crédit des réductions de peine lorsque le détenu a été condamné pour une ICS et qu'il refuse de suivre un traitement pendant son incarcération, ainsi que de tenir compte du suivi d'une thérapie pour l'octroi de réductions de peine particulières92(*).
Au vu de la gravité des phénomènes de récidive en matière d'AICS, qui concernent des profils particulièrement dangereux, comme de l'importance qui s'attache, notamment pour les profils les plus lourds, à un démarrage rapide des soins, sans attendre la fin de la détention, il est indispensable d'aller plus loin que la seule incitation en mettant en place, mutatis mutandis, un régime d'injonction pendant l'incarcération comparable à celui qui existe à l'extérieur des prisons.
La perspective d'une obligation sanctionnée par une peine d'emprisonnement complémentaire n'a pas paru réaliste aux rapporteures pour des raisons à la fois juridiques, pratiques et de principe : le risque d'un « effet domino » pour un détenu qui se refuserait durablement à suivre des soins pourrait, en effet, donner lieu au prononcé de peines qui le maintiendraient incarcéré pour une durée qui, en dernière analyse, pourrait être sans rapport avec le quantum encouru pour l'infraction initiale, et elle s'opposerait au principe fondamental de notre droit pénal selon lequel seule l'évasion est passible d'une « sur-peine » ad hoc pour les personnes déjà détenues93(*).
Cela étant, il reste possible de renforcer le droit en vigueur selon au moins deux modalités. Il est ainsi possible de prévoir :
- soit une obligation pour le juge de l'application des peines94(*), sauf décision spécialement motivée, de prononcer le retrait en tout ou partie des réductions de peine pour les condamnés AICS qui ne suivent pas les traitements qui leur sont proposés95(*) ;
- soit, sur le modèle du suivi socio-judiciaire, que les condamnés qui ne suivent pas les traitements existants en détention ne sont plus éligibles aux réductions de peine, indépendamment donc de toute intervention du juge de l'application des peines, et que les détenus concernés en sont informés au début de leur détention.
Recommandation n° 14 : Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS.
Cette recommandation trouverait sa pleine portée si elle était cumulée avec la recommandation n° 13 tendant à permettre la prise en charge des AICS par des psychologues au stade de l'exécution de la peine : il est vraisemblable que, dans le cas contraire, sa mise en application serait rendue plus complexe par le manque de psychiatres susceptibles d'intervenir en prison pour faire respecter cette nouvelle injonction.
Le cas échéant, l'orientation du détenu soit vers un psychiatre, soit vers un psychologue pourrait être décidée au moment de l'évaluation pluridisciplinaire initiale des condamnés AICS, au début leur détention (voir supra), c'est-à-dire au cours de la période de six semaines qui précède l'affectation des détenus dans un établissement pour peines adapté. Outre ses objectifs actuels, l'évaluation contribuerait ainsi à définir si une prise en charge par un psychologue est possible au vu de l'état de santé mentale de la personne concernée, la longueur de la période d'observation étant de nature à éviter toute erreur de diagnostic.
Le complément nécessaire de cette évolution concerne l'existence d'un suivi effectif, par les magistrats compétents, de l'évolution psychique du détenu au cours de sa détention.
Ce suivi est aujourd'hui rendu complexe par la nature même des « attestations » qui sont remises aux juges de l'application des peines en application de l'article 717-1 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose en effet que « Le médecin traitant du condamné délivre à ce dernier, au moins une fois par trimestre, des attestations indiquant si le patient suit ou non de façon régulière le traitement proposé par le juge de l'application des peines. Le condamné remet ces attestations au juge de l'application des peines, afin que celui-ci puisse se prononcer, en application des articles 721 et 729 du présent code, sur l'octroi ou le retrait de réductions de peine ou l'octroi d'une libération conditionnelle ».
Or, ces attestations se bornent à indiquer que le détenu s'est rendu à des rendez-vous avec le médecin ou avec un psychiatre ou un psychologue, sans préciser s'il s'est sincèrement investi dans son suivi, s'il marque des évolutions positives ou une prise de conscience, etc., ce qui ne permet pas au magistrat compétent de se faire une idée fidèle de la dangerosité de la personne concernée.
Afin de pallier cette difficulté sans porter une atteinte disproportionnée au secret médical et à la confidentialité des échanges entre le patient-détenu et les professionnels du soin qui l'entourent, il pourrait être envisagé d'enrichir le contenu des « attestations » prévues par le code pour prévoir que celles-ci comportent, le cas échéant avec l'accord du détenu et/ou dans le respect du secret médical, des éléments sur les caractéristiques de l'évolution de son état de santé psychique ou mentale.
Recommandation n° 15 : Revoir le contenu des attestations remises aux détenus afin qu'elles permettent aux juges de l'application des peines d'apprécier la sincérité de leur engagement dans les soins en détention.
Enfin, les sorties « sèches », unanimement reconnues comme un facteur de récidive pour l'ensemble des infractions, sont un élément particulièrement délétère pour les AICS : comme l'ont rappelé de nombreux intervenants de la détention aux rapporteures, leur réinsertion (voire, pour ceux qui sont atteints de troubles psychiatriques, l'amélioration de leur pathologie) suppose qu'ils se réhabituent progressivement à être confrontés à un milieu dans lequel ils sont au contact des autres.
Hors le cas des détenus dont la dangerosité reste avérée et/ou ayant refusé les soins, pour lesquels la mission propose des recommandations spécifiques ci-après, il est ainsi indispensable que les sorties « sèches » soient prohibées pour les détenus AICS, et notamment pour ceux qui s'engageraient à poursuivre des soins - même à titre volontaire, au-delà de l'exécution de leur peine - à l'extérieur. Ceux-ci doivent être soumis à des périodes de semi-liberté, à l'issue desquelles le juge de l'application des peines pourra, en lien étroit avec les conseillers d'insertion et de probation, décider du régime de fin de peine à mettre en oeuvre.
Recommandation n° 16 : Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur.
2. Favoriser la mise en oeuvre de programmes pluridisciplinaires pour les mineurs placés en milieu fermé
Comme les rapporteures l'ont rappelé, la situation des mineurs AICS (MAICS), de jure plus favorable que celle des majeurs grâce au principe de la « césure » du procès pénal, présente malheureusement des carences largement analogues à celles auxquelles sont confrontés les autres AICS.
Outre le nécessaire développement des capacités de soins en milieu ouvert et en milieu fermé grâce à un renforcement de l'attractivité de la filière médicale spécialisée (voir supra), la mission juge que des efforts doivent être faits dans deux directions.
Premièrement, il convient de développer l'offre de programmes ad hoc, pensés et conçus pour les mineurs, en milieu fermé (centres éducatifs fermés et centres éducatifs renforcés). Le programme « PACIS » cité par Marie Romero devrait, à cet égard, être une source d'inspiration pour l'ensemble du territoire national et connaître des déclinaisons dans l'ensemble des centres éducatifs fermés accueillant des mineurs - ce qui peut impliquer, à terme, une réflexion sur la création de centres « fléchés », comparables aux établissements pour peines qui existent pour les majeurs.
Recommandation n° 17 : Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés.
Il appartient, de la même manière, au gouvernement de soutenir et de généraliser les initiatives conduites par certains services de la PJJ pour construire des « écosystèmes » locaux de soin et de prise en charge des MAICS, ce qui implique notamment la généralisation des SAVI (service d'accompagnement des jeunes auteurs ou victimes d'infractions à caractère sexuel) : ce point sera évoqué plus loin au sein du présent rapport.
3. Assurer la bonne communication entre les acteurs judiciaires et les protagonistes des peines complémentaires
Le troisième axe de réflexion des rapporteures a concerné la bonne application des peines complémentaires auxquelles les AICS peuvent être condamnés et qui s'ajoutent à la détention ou au suivi socio-judiciaire.
Les travaux récents du Parlement, et en particulier du Sénat, sur la mise en place de systèmes dits d'« honorabilité » témoignent de la difficile application de la peine d'interdiction de contact habituel avec des mineurs prévue par les articles 222-45 et 227-29 du code pénal, alors même que celle-ci est d'une importance capitale pour les AICS ayant commis des faits pédocriminels. La vérification de cette interdiction passe en effet par une consultation du Fijaisv, qui constitue une base de données sensibles qui ne saurait être ouverte à un nombre conséquent de personnes, impliquant des procédures parfois complexes de consultation indirecte.
Les contrôles d'honorabilité pour l'accès aux professions ou activités impliquant un contact habituel avec les mineurs
Le Fijaisv a vu son usage étendu avec le temps par le législateur. Il sert ainsi de support, aux côtés du bulletin n° 2 du casier judiciaire, à plusieurs procédures de contrôle de l'honorabilité des personnes intervenant auprès des mineurs et des majeurs vulnérables. Ce mécanisme, mis en oeuvre de façon récurrente dans le secteur du sport96(*) et dans le domaine médico-social97(*), repose en droit sur une consultation du fichier (prévue au 3° de l'article 706-53-7 du code de procédure pénale) par les préfectures ou par des administrations de l'État limitativement énumérées pour le compte des collectivités qui emploient les personnes concernées ou contrôlent leur activité98(*), et en pratique sur des systèmes d'information communément appelés « SI honorabilité », qui restent pour certains en cours de déploiement et permettent de déterminer, de manière à la fois massive et automatisée, si une personne est inscrite au Fijaisv.
Cette extension du recours au Fijaisv explique la croissance exponentielle des consultations dites « administratives » : alors que le fichier avait été consulté moins de 7 millions de fois entre sa création en 2005 et la fin avril 2019, on décomptait 4,2 millions de consultations (dont 3,5 millions de consultations administratives) en 2023. Le bilan chiffré sera à nouveau en croissance en 2024, 4,8 millions de consultations (dont 4,2 millions de consultations administratives) ayant été recensées pour les neuf premiers mois de l'année, alors même que l'expérimentation du « SI honorabilité » de la petite enfance n'a débuté qu'en septembre 2024.
Cette tendance est appelée à s'accentuer avec l'entrée en vigueur progressive de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, qui a étendu aux personnes en lien avec des majeurs vulnérables le contrôle de l'honorabilité instauré en 202299(*) pour les personnes du secteur médico-social en contact avec des mineurs, comme avec la mise en oeuvre d'un « SI Honorabilité » emportant un accès indirect au Fijaivs dans le milieu du sport sous l'effet de la loi n° 2024-201 du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport.
Source : rapport de Muriel Jourda, déposé le 30 octobre 2024, sur la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes
La mission appelle le gouvernement à développer sans attendre les systèmes d'information (SI) requis pour le bon fonctionnement de ces contrôles, et notamment pour la mise en oeuvre de la nouvelle interdiction prévue par l'article 25 de la récente loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports, qui prohibe l'accès aux fonctions de conducteur de transports collectifs de mineurs ou de majeurs vulnérables aux personnes condamnées pour une ICS. Cette évolution ne pourra être que profitable dans une période où des interrogations se font régulièrement jour quant à l'extension des contrôles d'« honorabilité » à de nouveaux secteurs, notamment lorsque l'actualité se fait le révélateur d'une carence dans la supervision de certains secteurs ou de certaines professions rendues sensibles par leur lien avec des publics vulnérables.
Recommandation n° 18 : Mieux appliquer les interdictions et incapacités aux AICS inscrits au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) grâce au déploiement effectif des systèmes d'information requis.
La même remarque s'applique aux AICS étrangers condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire français. Les auditions et les déplacements de la mission lui ont permis de constater que, lorsqu'une personne condamnée à une telle interdiction pour une ICS était placée en rétention administrative en vue de sa reconduite dans le pays dont elle est ressortissante, aucune communication n'était prévue entre les acteurs de l'exécution de la peine (conseillers d'insertion et de probation, juge de l'application des peines...) et le juge des libertés et de la détention chargé de se prononcer sur le maintien ou la sortie de rétention.
Cette situation n'est pas acceptable et il est indéniable qu'elle a pu contribuer à certains drames récents qui ont marqué l'actualité et provoqué dans l'opinion une légitime émotion. Pour éviter que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent, il est essentiel, aux yeux des rapporteures, de garantir que le juge des libertés et de la détention soit pleinement informé de la nature des faits commis, soit par une communication ad hoc entre ce dernier et les acteurs de l'exécution de la peine, soit par un accès direct au dossier pénal de l'étranger condamné.
Recommandation n° 19 : Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention sur la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative.
4. Améliorer l'évaluation des dispositifs de suivi des AICS en détention
Les rapporteures ont observé un regrettable paradoxe : alors que certains établissements pour peine spécialisés dans la prise en charge des AICS sont à l'initiative de projets de prise en charge innovants et efficaces afin de lutter contre la récidive, aucun travail de partage de bonnes pratiques et de retours d'expérience n'a été effectué entre ces 22 établissements.
Or, pour la mission conjointe de contrôle, la spécialisation de certains établissements doit justement permettre de développer, à court et moyen termes, une expertise globale sur la réinsertion des profils AICS, rendant indispensable l'évaluation des initiatives locales et, le cas échéant, leur généralisation. Dans la perspective de l'ouverture de trois nouveaux centres « fléchés AICS », la mission appelle donc la direction de l'administration pénitentiaire à articuler un réel réseau d'information entre ces établissements, ainsi qu'à rendre effectives les obligations leur incombant, aujourd'hui très partiellement mises en oeuvre.
Ce partage d'informations ne doit, par ailleurs, pas se limiter aux seuls établissements spécialisés dans l'accueil des AICS, puisque tout établissement pour peine est susceptible d'accueillir des AICS et de mettre en oeuvre des programmes de prévention de la récidive ou autres dispositifs de prise en charge adaptés. À cet égard, la mission a été particulièrement attentive aux travaux innovants conduits par la Docteure Bodon-Druzel au centre pénitentiaire de Fresnes, qui gagneraient à être mis en oeuvre dans les établissements « fléchés AICS ».
Unité de prise en charge des auteurs
d'infractions sexuelles (Uhlis)
du centre pénitentiaire de
Fresnes
Lors de leur visite au centre pénitentiaire de Fresnes, les rapporteures ont pu découvrir l'unité de prise en charge des auteurs d'infractions sexuelles (Uhlis).
Créée en 2007, l'unité accueille, sur la base du volontariat, les AICS ayant fait l'objet d'une évaluation par le CNE à Fresnes et étant en attente d'orientation vers un établissement pour peine. L'unité accueille douze individus s'engageant dans un programme collectif de prise en charge de six mois, avec des sessions de thérapie collective quotidienne.
Le rythme des séances, la mobilisation de groupe ainsi que la durée du programme vise, selon la responsable de l'unité, la Docteure Bodon-Bruzel, à atteindre « une imprégnation thérapeutique » déjouant les mécanismes de déni ou d'évitement qui surviennent fréquemment lors d'une prise en charge traditionnelle en milieu carcéral. Cette thérapie de haute intensité doit ainsi constituer un tremplin pour les détenus dans l'acceptation de leur peine.
La mission a également pris connaissance avec intérêt de l'expérience suédoise. En effet, les services de prison et probation suédois (équivalent des SPIP français) proposent différents « programmes de traitement » qui font l'objet d'une évaluation régulière par un groupe scientifique pouvant aboutir à la délivrance d'un agrément. A ainsi été accrédité un programme destiné aux auteurs présentant un risque moyen ou élevé de récidive en matière sexuelle et comprenant des thérapies à la fois de groupe et individuelles. Un autre programme, destiné aux auteurs présentant un risque moyen de récidive en matière sexuelle, fondé sur des jeux de rôle, des exercices individuels et l'élaboration de « plans pour l'avenir », est en cours d'agrément. Cette culture de l'évaluation et de l'expérimentation n'est pas suffisamment développée en France où d'excellentes initiatives locales gagneraient à être évaluées puis généralisées. Les rares travaux de recherche évaluant certains dispositifs en France sont loin de permettre une réelle évolution des doctrines nationales de prise en charge. À cet égard, la mission préconise la parution rapide des deux études annoncées par la direction de l'administration pénitentiaire sur l'effectivité de ces prises en charge ainsi qu'une évolution en conséquence des dispositifs de suivi. Plus largement, la mission appelle à développer, dans le domaine de la lutte contre la récidive sexuelle, une culture de l'évaluation systématique.
De même, la mission appelle de ses voeux la systématisation des procédures de « retours d'expérience » ou retex qui permettent, avec le recul et en impliquant l'ensemble des acteurs concernés par la prise en charge, de comprendre les raisons de la récidive d'un AICS et d'analyser les possibles failles de cette prise en charge. Interrogé sur ce point par les rapporteures, Walter Albardier, psychiatre et responsable du Criavs d'Ile-de-France, a souligné que ces analyses post-récidive n'étaient aucunement systématisées ni répertoriées lorsqu'elles étaient réalisées.
Sans remettre en cause le travail et l'engagement de l'ensemble des professionnels mobilisés pour le suivi et la réinsertion d'un AICS, il apparaît indispensable aux rapporteures que ces prises en charge fassent l'objet d'une évaluation des politiques mises en oeuvre dans un souci d'amélioration du parcours d'exécution des peines et de soins.
Recommandation n° 20 : Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive.
5. Prévenir la récidive par la réinsertion sociale
Les rapporteures sont également convaincues de la nécessité de renforcer la continuité de la prise en charge entre le milieu carcéral et le milieu ouvert afin de diminuer le risque de récidive, et plus particulièrement l'accompagnement ne relevant pas du soin.
Comme l'ont unanimement souligné les professionnels, les données scientifiques « démontrent que si le soin peut avoir un effet bénéfique dans certaines situations, les facteurs les plus puissants en termes de diminution de la récidive sont d'ordre sociaux »100(*).
Or, tel qu'évoqué précédemment, les AICS sont particulièrement sujets à des sorties brutales de détention en raison de la durée de leur peine, des ruptures sociales que la nature des faits est susceptible d'entraîner ainsi que de l'âge moyen élevé des détenus sortants. La Fédération française des Criavs (FFCriavs) indique en ce sens que « trop souvent les AICS sortent de détention sans hébergement, sans travail, dans un isolement social important et parfois sans papier d'identité ni carte vitale, ce qui ne leur permet évidemment pas d'accéder aux soins ».
Aussi, la sortie de détention ainsi que le suivi socio-judiciaire doivent se rééquilibrer en investissant le champ de la réinsertion classique, notamment en généralisant et ouvrant aux majeurs les dispositifs pluridisciplinaires de prise en charge et de réinsertion, sur le modèle proposé dans l'Yonne, pour les MAICS et les victimes d'infractions sexuelles, par le service d'accompagnement des jeunes auteurs ou victimes d'infractions à caractère sexuel (SAVI). Ce service, composé de trois pôles interdépendants (un pôle thérapeutique, un pôle judiciaire et un pôle éducatif) a pour objectif d'accompagner, de façon pluridisciplinaire et coordonnée, des jeunes de moins de 21 ans auteurs ou victimes de violences sexuelles présentant des troubles liés à celles-ci. Il vise à aider ces jeunes en créant les modalités adaptées à une prise en charge gratuite et de proximité, sur les plans éducatif, thérapeutique et judiciaire.
Plus globalement, comme le préconise la FFCriavs, il conviendrait d'aboutir à « une meilleure articulation entre les partenaires judiciaires, pénitentiaires, sociaux, préfectoraux et sanitaires dans ces situations complexes et une réflexion pragmatique afin d'éviter que se produisent ces situations particulièrement à risque ». Cela peut supposer le développement de foyers spécialisés assortis de règles spécifiques (couvre-feu, restriction d'invitation), qui constitueraient une forme de sas entre la détention et le retour à une vie en toute autonomie et qui permettraient à l'AICS d'avancer dans sa réinsertion de manière encadrée.
La DAP a indiqué à la mission avoir abouti, en lien avec la DGCS, à la création d'outils de liaison SPIP-EHPAD et d'un modèle de convention type ainsi qu'à la réalisation d'un documentaire (« Sortir de la pénombre : de la prison à l'EHPAD101(*) ») qui sert de support de communication auprès de fédérations et associations nationales des EHPAD pour promouvoir l'accueil des personnes placées sous-main de justice. Les rapporteures espèrent que ce type de dispositif pourra porter les effets escomptés.
De manière générale, les rapporteures préconisent le développement d'une prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles, qui permettrait de mettre fin à une action en silos des différents acteurs concernés.
Recommandation n° 21 : Renforcer et généraliser les dispositifs d'accompagnement post-détention pluridisciplinaires afin de mieux accompagner la réinsertion sociale des AICS.
* 92 Article 717-1 du code.
* 93 Prévue par l'article 423-27 du code pénal, l'évasion est en effet la seule infraction spécifiquement applicable aux détenus.
* 94 Cette recommandation, si elle devait être mise en oeuvre, imposerait par cohérence une spécialisation de ces magistrats, conformément à la recommandation n° 8 ci-avant.
* 95 Rappelons à cet égard que les détenus AICS sont déjà soumis à un régime spécifique de réductions de peine, moins favorable que celui prévu par le droit commun et qui résulte de l'article 721 du code de procédure pénale.
* 96 Articles L. 212-9 et L. 322-1 du code du sport.
* 97 Article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles.
* 98 Ces administrations sont énumérées à l'article R. 53-8-24 du code de procédure pénale : il s'agit des préfets et des agents des préfectures spécialement habilités, des directeurs généraux des agences régionales de santé ainsi que des chefs de service ou agents spécialement habilités de certaines directions centrales ou déconcentrées (direction chargée de la gestion des ressources humaines du ministère chargé de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur ; rectorats et inspections académiques ; direction de la protection judiciaire de la jeunesse et ses directions régionales ; direction de l'administration pénitentiaire et directions interrégionales des services pénitentiaires ; direction de la jeunesse et de l'éducation populaire et direction des sports ; directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités ; délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports, et directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités).
* 99 Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.
* 100 Contribution écrite de la Fédération française des Criavs.