EXAMEN EN MISSION CONJOINTE DE CONTRÔLE
Réunie le mercredi 21 mai 2025, sous la présidence de Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes, la mission conjointe de contrôle a examiné le présent rapport d'information.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Nous avons toutes et tous gardé en tête le viol et le meurtre de la jeune Philippine, en septembre 2024, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol en 2021 et qui faisait, par ailleurs, l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce fait nous a dramatiquement rappelé la gravité de la récidive en matière d'infractions sexuelles.
Cette tragédie a constitué le point de départ de nos travaux qui ont débuté quelques semaines plus tard.
Dans un premier temps, la délégation aux droits des femmes a constitué, en son sein, une mission d'information sur la récidive des viols et agressions sexuelles en nommant quatre rapporteures : Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol.
Puis, il m'a semblé naturel, voire incontournable, de proposer à la commission des lois de travailler conjointement sur ce sujet, qui se situe à la croisée de nos compétences respectives.
La présidente Muriel Jourda a d'emblée accepté le principe d'une mission conjointe de contrôle (MCC), entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes du Sénat, sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles. La commission a, alors, nommé deux rapporteures en son sein : Catherine Di Folco et Audrey Linkenheld, qui ont complété le quatuor déjà formé par la délégation, que j'ai précédemment cité.
Notre boussole commune a toujours été la suivante : comment faire pour éviter que l'irréparable ne se reproduise ? Comment limiter le risque que les criminels sexuels condamnés, et donc pris en charge par la société, récidivent une fois qu'ils ont été libérés ?
Nous nous sommes donc intéressées au traitement judiciaire, social et sanitaire des auteurs d'infractions sexuelles, majeurs comme mineurs, dès leur mise en cause par le juge pénal, au cours de leur détention et à la suite de celle-ci.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Les éléments de contexte que vous venez d'évoquer rappellent l'importance des travaux de la mission. Je dois rendre hommage à l'investissement de nos six rapporteures, qui ont consacré leur temps et leur énergie à l'étude d'un thème sensible, qui implique de nombreux acteurs et qui n'est pas dénué de complexité juridique. Elles ont rencontré, au total, près de cent personnes, ont organisé trente auditions, dont trois plénières, et effectué trois déplacements - dans l'Yonne, puis à Caen, et enfin à la prison de Fresnes.
Leurs travaux, auxquels la présidente Vérien et moi-même avons participé autant que nous le pouvions, leur ont ainsi permis de rencontrer, à Paris ou sur le terrain, des magistrats, des conseillers d'insertion et de probation, des éducateurs et des associations spécifiquement tournées vers les mineurs, des psychiatres, des médecins et des psychologues, des agents de l'administration pénitentiaire, des policiers, des gendarmes, des chercheurs, des professeurs de droit, des représentants des agences régionales de santé, etc. Ce large panel est le gage d'une réflexion approfondie et, plus encore, la garantie que les recommandations issues du rapport du Sénat s'appuient sur la réalité vécue par les professionnels concernés, qui oeuvrent au quotidien pour la prévention de la récidive des infractions sexuelles, et qui, partant, apportent une contribution décisive à la protection de la société.
Je remercie chaleureusement nos six rapporteures pour le travail accompli et pour la qualité de leur rapport, qui a l'immense vertu d'aborder tous les aspects de la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, à tous les stades de leur prise en charge, afin d'apporter enfin des solutions pour mieux lutter contre la récidive.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Mes propos porteront sur la récidive, sur la prévention et sur l'évaluation des dispositifs.
Nos travaux ont d'abord rappelé à quel point la récidive du viol est un phénomène complexe, d'une ampleur certaine, mais difficilement mesurable. Les chiffres transmis par le ministère de la justice nous ont appris que les auteurs d'infractions à caractère sexuel, les AICS, sont moins concernés par la récidive que l'ensemble des condamnés. Le taux moyen de récidive légale, sur la période 2019-2023, est de 5,7 % pour les viols, contre 9 % pour l'ensemble des crimes, et de 7,2 % pour les délits sexuels, contre 17 % pour l'ensemble des délits.
Cependant, ces chiffres ne doivent pas masquer l'ampleur réelle d'un phénomène que les statistiques peinent à appréhender pour plusieurs raisons.
La première raison tient à la sous-estimation globale des faits de violences sexuelles dans la société. Si le mouvement #MeToo a permis une libération de la parole des victimes, qui a conduit à une augmentation de 120 % du nombre de plaintes enregistrées par les services de police depuis 2016, la plupart des faits échappent encore à la judiciarisation. En 2022, l'enquête menée par le ministère de l'intérieur a ainsi révélé que seules 6 % des femmes victimes de violences sexuelles ont porté plainte contre leur agresseur.
Les éléments qui dissuadent les victimes d'engager une démarche judiciaire sont multiples. Leur abstention peut résulter d'une méconnaissance des procédures, de menaces de l'auteur ou d'une incapacité à s'exprimer en raison de traumatismes. Plus grave, certaines victimes témoignent d'une méfiance, voire d'une crainte, envers les services d'enquête et la justice. Enfin, malgré l'augmentation du nombre de plaintes, le nombre de condamnations prononcées chaque année pour des faits de violences sexuelles reste relativement faible, notamment en raison d'un taux important de classement sans suite qui, s'il cache des situations complexes, révèle des difficultés probatoires elles-mêmes à l'origine d'une probable sous-estimation du nombre d'infractions commises.
La seconde raison est juridique et relève de la définition même de la récidive légale. Sur le plan juridique, la récidive répond à des critères restrictifs en ce qui concerne la nature de l'infraction et le délai entre les deux actes délictueux. Au cours de nos travaux, nous avons ainsi élargi notre champ de réflexion à la notion de réitération, plus large. En tout état de cause, le calcul des taux de récidive comme de réitération ne concerne que les cas où la seconde infraction est judiciarisée, ce qui est loin d'être systématique et ce qui crée, là encore, un biais statistique.
Dès lors, nous devons regarder les chiffres de la récidive légale des AICS avec prudence. Ils ne reflètent que le nombre de plaintes déposées - faiblement représentatif, on l'a vu - ayant abouti à deux reprises à une condamnation : ils ne concernent donc qu'un nombre restreint de situations.
Malgré ces limites statistiques, nos travaux nous ont permis de mettre en évidence la réalité complexe du phénomène de la récidive des violences sexuelles dans notre société. Nos recommandations visent donc à organiser la prévention de la récidive à tous les niveaux, mais aussi à améliorer le suivi des AICS grâce à une évaluation de l'efficacité des dispositifs existants, afin de mieux saisir l'ampleur de la récidive des violences sexuelles et des facteurs qui favorisent un nouveau passage à l'acte.
Nous sommes convaincues que la meilleure arme pour lutter contre la récidive du viol est la prévention : c'est un axe fort de nos conclusions. Je pense notamment à la prévention primaire, qui vise à empêcher la première infraction sexuelle : pour lutter contre la récidive du viol et des agressions sexuelles, le meilleur moyen est encore d'éviter le premier passage à l'acte. Ce type de prévention doit concerner l'ensemble de la population et, en premier lieu, les mineurs.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Plusieurs outils de prévention primaire existent. Évoquons tout d'abord l'accompagnement à la parentalité. Les psychiatres et les psychologues que nous avons entendus l'ont tous souligné : les AICS ont très majoritairement évolué dans un environnement familial dysfonctionnel et ont souvent été victimes de négligences et d'abus au cours de leur enfance. C'est pourquoi nous estimons que les dispositifs de soutien à la parentalité doivent être renforcés.
L'éducation au consentement est également un outil incontournable de prévention des violences sexuelles dès le plus jeune âge. Cette mesure répond au caractère massif des violences sexuelles ainsi qu'à l'exposition toujours plus précoce et traumatogène des mineurs aux contenus pornographiques. L'application stricte de la loi en ce qui concerne l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) est une composante essentielle d'une politique forte de prévention et d'information en matière de sexualité dès l'enfance.
Nous sommes convaincues de l'utilité des campagnes de communication à destination de l'ensemble de la population, notamment pour rappeler l'importance essentielle du consentement : il serait judicieux qu'elles soient déployées en France, sur le modèle des campagnes massives qui ont porté leurs fruits en Espagne et qui ont permis de toucher jusqu'à 90 % de la population. Nous sommes également persuadées de la nécessité de détecter et de signaler les violences sexuelles où qu'elles soient commises, tant il est vrai qu'elles concernent tous les secteurs de notre société.
Au cours de nos travaux, la problématique des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, les MAICS, s'est révélée prégnante. Leur proportion est considérable : en 2023, 25 % des mis en cause pour de tels faits étaient des mineurs. Or, d'après les recherches menées par le ministère de la justice, un grand nombre de ces auteurs mineurs ont eux-mêmes subi des violences sexuelles qu'ils n'ont pas dénoncées et qui n'ont pas été repérées. Une attention accrue doit donc être accordée aux plus jeunes. Il faut surveiller les changements de comportements. Tous les enfants qui ont subi un viol ne deviendront évidemment pas des violeurs, mais beaucoup de délinquants sexuels ont subi des traumatismes durant leur enfance.
Dans cette perspective, l'une de nos recommandations vise à renforcer la formation des acteurs intervenants auprès des mineurs, afin qu'ils puissent mieux détecter et prendre en charge les cas de violences sexuelles dont ceux-ci sont victimes. Cela concerne l'ensemble des professionnels qui interviennent auprès des plus jeunes. En offrant à ces enfants l'accompagnement social, juridique et psychologique dont ils ont besoin, nous pouvons non seulement faire oeuvre utile en luttant contre les violences qu'ils subissent, mais aussi limiter le risque de voir des victimes devenir de futurs auteurs.
La prévention secondaire vise à prévenir la récidive de violences sexuelles et concerne les AICS déjà condamnés. Elle doit également être renforcée. Elle est mise en place après la condamnation, dans le cadre d'une éventuelle incarcération ou d'un suivi socio-judiciaire, à travers divers programmes de sensibilisation et un encadrement renforcé.
À cet égard, nous tenons à souligner le rôle crucial joué par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les centres de ressources pour les intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui construisent et mettent en oeuvre des programmes de prévention de la récidive, dont plusieurs sont spécifiquement dédiés aux AICS.
En parallèle, les outils d'évaluation et de mesure statistiques doivent être renforcés. Notre mission nous a permis de constater l'important déficit de statistiques relatives à la récidive produites par les ministères de l'intérieur et de la justice. Ce manque de données fait, par nature, obstacle à la mise en place d'une politique ciblée et efficace de prévention de la récidive des violences sexuelles : à l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de savoir si l'incarcération ou le suivi socio-judiciaire ont un réel impact sur le taux de récidive. C'est un constat inouï !
De même, aucune donnée ne nous a été transmise quant aux taux de récidive ou de réitération en fonction du profil de l'auteur - âge, nationalité, profil psychiatrique, antécédents judiciaires. L'établissement de statistiques consolidées sur la base de ces éléments semble pourtant nécessaire afin de mieux évaluer le risque de récidive : c'est un axe sur lequel le Gouvernement doit réaliser d'importants efforts si nous souhaitons endiguer enfin la récidive des violences sexuelles.
Nous demandons ainsi la mise en place d'une base statistique complète, qui permettra d'appréhender la récidive sous toutes ses facettes et de construire, enfin, une politique de prévention adaptée.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Nous nous sommes également interrogées sur la prise en charge médicale, psychologique et sociale des AICS au cours de leur parcours judiciaire. Il s'agit d'une dimension cruciale pour limiter la récidive des violences sexuelles, car pour prévenir, il faut d'abord réinsérer, voire guérir. S'il est important de ne pas surestimer la part d'AICS souffrant réellement de pathologies psychiatriques, la prise en charge reste un outil central de la prévention de la récidive.
C'est à ce titre que la procédure applicable aux infractions sexuelles intègre déjà un dispositif médical renforcé. Le code de procédure pénale impose une expertise médicale avant tout jugement au fond, pour les individus poursuivis pour des violences sexuelles. Une obligation de soins est prévue et doit être mise en oeuvre avant même la reconnaissance de la culpabilité. Ensuite, lors du jugement, une condamnation peut être assortie d'une mesure de soins pénalement ordonnés, telle que l'injonction de soins, qui est théoriquement prononcée de plein droit lorsque l'auteur est condamné à un suivi socio-judiciaire. Enfin, au cours de leur incarcération, les condamnés AICS doivent être affectés en priorité dans des établissements pénitentiaires adaptés, dits fléchés, où ils bénéficient d'un suivi médical et psychologique spécifique, conformément au protocole santé-justice de 2011. Voilà qui illustre de nouveau l'intérêt d'une mission conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la commission des lois.
Ces dispositifs visent à rendre possible, voire à imposer, une prise en charge du condamné. Ils contribuent à la prévention de la récidive. Nous avons toutefois constaté sur ce chapitre des défaillances de deux ordres, qui tiennent d'abord à un manque de moyens dans la sphère médico-sociale et, ensuite, à la sous-utilisation ou à l'inadaptation des outils juridiques prévus par le code de procédure pénale.
En ce qui concerne l'enjeu capacitaire, tout d'abord, la prévention de la récidive est rendue plus complexe par le manque de professionnels médicaux. Il s'agit en particulier des experts psychiatres placés auprès des juridictions, ainsi que des médecins coordonnateurs chargés de superviser le dispositif de l'injonction de soins.
La pénurie d'experts auprès des tribunaux judiciaires est particulièrement problématique, dans la mesure où l'expertise médicale est obligatoire pour les faits de violences sexuelles. Les magistrats que nous avons auditionnés ont souligné que cette obligation légale était un facteur important dans l'augmentation du délai de jugement des AICS, car les délais d'expertise peuvent s'avérer particulièrement longs.
Dans un contexte de grande tension dans le secteur médical, nous estimons qu'il est possible d'envisager une plus grande association des psychologues au suivi des AICS - je ne parle pas, pour le moment, de l'expertise initiale à laquelle nous consacrons des recommandations spécifiques. Cette proposition ne découle pas uniquement de la pénurie de psychiatres ; elle provient aussi et surtout du constat que nous avons pu faire au cours de nos travaux selon lequel il n'est ni opportun ni utile de maintenir le système de médicalisation systématique des AICS qui prévaut aujourd'hui.
Nombre de personnes auditionnées, y compris des experts médicaux, nous ont en effet indiqué que tous les auteurs de violences sexuelles n'étaient pas atteints de troubles psychiatriques. Le monopole de fait des psychiatres ne semble, ainsi, pas forcément justifié, et on pourrait valablement envisager un recours plus fréquent aux psychologues au cours du suivi des AICS, dans la limite, évidemment, de la compétence exclusive des psychiatres pour toutes les personnes atteintes de troubles susceptibles de justifier un traitement médicamenteux.
Le deuxième enjeu concerne les outils juridiques sur lesquels s'appuie la prise en charge des AICS. Pour éviter d'ajouter de la confusion à un sujet déjà complexe, nous allons vous présenter nos recommandations par ordre chronologique.
En amont du jugement, nous proposons de revoir les conditions dans lesquelles l'expertise médicale, et donc psychiatrique est obligatoire. Le périmètre fixé actuellement par le code vise, en effet, des infractions de gravités très inégales, qui couvrent des crimes - meurtre sur mineur, viol, actes de torture et de barbarie, etc. -, mais aussi des délits qui ne justifient peut-être pas une expertise psychiatrique systématique : je pense par exemple au recours à la prostitution ou à la fabrication de messages violents susceptibles d'être vus par des mineurs.
Nous estimons également que l'expertise ne devrait pas être obligatoire pour un auteur de violences sexuelles récidiviste ou réitérant qui a déjà fait l'objet d'une expertise quelques mois auparavant et dont le profil psychiatrique est, par conséquent, déjà connu.
Si elle devait être retenue, la fin de l'expertise obligatoire dans certaines hypothèses n'empêcherait pas le magistrat en charge du dossier de solliciter une expertise s'il l'estime utile à la manifestation de la vérité ou à une meilleure compréhension du profil de la personne mise en cause.
Enfin, nous pensons utile de prévoir de nouveaux outils qui permettraient la mise en place d'un suivi médical ou psychologique en amont du jugement. Une telle prise en charge est en effet impossible aujourd'hui pour des raisons qui tiennent, principalement, à la présomption d'innocence, ce qui est parfaitement légitime. Cela étant, il nous semble possible de concilier cette présomption d'innocence avec le démarrage précoce d'un suivi, notamment pour les mis en cause qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés, tout en leur accordant le plein bénéfice du secret médical.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - En ce qui concerne les sanctions applicables aux AICS, nous nous sommes longuement interrogées sur l'injonction de soins, qui constitue une forme particulièrement contraignante de soins pénalement ordonnée. Celle-ci peut être mise en oeuvre dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire.
Nos travaux nous ont conduites à identifier plusieurs failles dans la mise en oeuvre de ces injonctions. Contrairement à ce que le droit laissait supposer, celles-ci ne concernent qu'une minorité d'AICS, soit 26 % des condamnés pour viol et seulement 7 % des condamnés pour agression sexuelle. Ensuite, il faut rappeler que les injonctions ne peuvent être exécutées qu'en dehors de la détention, ce qui signifie concrètement qu'elles ne s'appliquent parfois que plusieurs années après les faits, alors même qu'une prise en charge rapide est, de l'aveu des professionnels, essentielle à la prévention de la récidive.
Nous souhaitons, dès lors, que notre arsenal pénal soit complété pour exploiter le temps d'incarcération comme un temps de prévention de la récidive. À cet effet, nous préconisons la mise en place d'une véritable injonction de soins en détention : bien que des dispositifs incitatifs existent dans notre droit, il n'est pas aujourd'hui possible d'imposer à un détenu AICS de se soumettre à un suivi, qu'il soit psychiatrique ou psychologique. Cela n'est pas acceptable. Nous proposons, d'une part, qu'une obligation réelle de se soigner en prison puisse être imposée aux détenus les plus dangereux et que, d'autre part, les juges de l'application des peines disposent d'un lien renforcé avec les professionnels médicaux, afin d'apprécier la sincérité de l'engagement du condamné dans le suivi psychiatrique ou psychologique qui lui est proposé en détention.
Cette recommandation va de pair avec une autre de nos propositions : l'affectation prioritaire des AICS dans l'un des vingt-deux établissements fléchés où ils peuvent bénéficier d'une prise en charge adaptée. Force est de constater que ce n'est pas le cas actuellement : le taux moyen d'AICS dans ces établissements n'est que de 37 %. On peut en déduire que des marges de progrès existent. Ce sujet est d'autant plus crucial que, dans un contexte de surpopulation carcérale, un suivi personnalisé des AICS est matériellement impossible dans les établissements classiques.
Cela étant dit, tous les AICS ne relèvent pas, comme on l'a vu, d'une prise en charge strictement médicale. Nos travaux nous ont permis de mettre au jour l'importance d'un accompagnement social, notamment pour les auteurs mineurs. Nous avons pu prendre connaissance, lors de déplacements sur le terrain, de plusieurs initiatives locales visant à construire une prise en charge pluridisciplinaire des auteurs mineurs, à la fois judiciaire, sociale et médicale ou psychologique, et nous avons fait le constat de l'efficacité de ces initiatives en matière de réinsertion des AICS. Ces suivis interdisciplinaires prennent en particulier la forme de services d'accompagnement des jeunes auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère judiciaire (Savi), comme celui qui nous a été présenté dans l'Yonne par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous souhaitons encourager ce type de prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles. Nous proposons ainsi non seulement de généraliser les Savi pour les mineurs, mais aussi de les étendre aux auteurs majeurs.
Toujours concernant les mineurs, nous souhaitons que des prises en charge pluridisciplinaires soient prévues dans les centres éducatifs fermés ou renforcés, où sont placés ceux qui ont commis les faits les plus graves : il n'est pas concevable, en effet, que le temps du placement ne soit pas, comme pour les majeurs, utilisé pour aider les auteurs mineurs à comprendre leurs actes et à prendre le chemin de la réinsertion.
J'en arrive au sujet de la fin de peine.
Dans le cas des condamnés pour violences sexuelles, comme pour la plupart des condamnés, le taux de récidive dépend étroitement des conditions de sortie de prison. Une sortie dite sèche, c'est-à-dire sans accompagnement, serait, selon la plupart des professionnels rencontrés, associée à un plus fort taux de récidive. Ce constat s'applique à plus forte raison aux AICS, qui sont moins nombreux en moyenne à bénéficier d'un aménagement de peine et dont le parcours de fin de peine se heurte aux réticences de plusieurs structures externes à accueillir des condamnés pour violences sexuelles à leur sortie de prison.
Nous préconisons donc un accompagnement renforcé des AICS en fin de peine, en particulier pour ceux d'entre eux qui ont accepté de suivre des soins en prison et qui s'engagent à les poursuivre à leur sortie. La reprise progressive des habitudes de vie hors de la détention revêt en effet, selon les professionnels que nous avons rencontrés, une importance capitale pour les AICS : il est donc essentiel qu'ils soient accompagnés lors de cette phase critique.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Nos travaux nous ont permis d'identifier divers dispositifs de procédure pénale qui doivent être modifiés pour mieux tenir compte des spécificités des profils des AICS.
Le taux de réponse pénale pour les violences sexuelles, et à plus forte raison pour les viols, a connu une augmentation supérieure à 80 % depuis 2015, ce qui marque un progrès considérable dans les dix dernières années. Cependant, nous avons constaté que le parcours judiciaire des AICS demeurait marqué par des délais de jugement particulièrement longs. Comme vous le savez, il s'agit là d'une problématique récurrente dans le fonctionnement de notre justice, qui s'inscrit dans le contexte d'une insuffisance chronique de moyens. Ainsi, il faut aujourd'hui compter en moyenne plus de vingt mois entre un dépôt de plainte pour agression sexuelle et le jugement.
Notre mission a dès lors été l'occasion de réfléchir à plusieurs aménagements de la procédure pénale afin de répondre à cette difficulté.
Au stade du jugement, tout d'abord, nous souhaitons que la formation des magistrats soit enrichie pour intégrer les problématiques spécifiques aux AICS. Nous n'avons pas jugé opportun de plaider pour la création d'une juridiction distincte, qui aurait été de nature à créer des risques forts, notamment de nullité de procédure. Cependant, nous sommes persuadées que les magistrats doivent être mieux formés aux spécificités que présentent les profils des AICS. Cette formation renforcée devrait, à nos yeux, s'adresser en priorité aux juges de l'application des peines, qui accompagnent les condamnés auteurs de violences sexuelles dans tous les aspects de l'exécution de leur peine, et en particulier dans les étapes sensibles que sont la fin de peine ou le suivi socio-judiciaire.
Toujours en ce qui concerne la procédure pénale, nous avons longuement débattu de l'extension aux crimes sexuels de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mieux connue sous le nom de plaider-coupable, qui ne s'applique aujourd'hui qu'en matière correctionnelle. Nous n'avons pas formulé de recommandation sur ce sujet, qui demanderait un surcroît de réflexion, tant une telle extension devrait être strictement encadrée. Cette mesure ne saurait en effet simplement servir à pallier le manque de moyens de la justice et le statut de la victime doit être préservé. À titre personnel, j'estime que les violences subies ne doivent pas être atténuées et que la parole de la victime ne doit pas être remise en question. L'enjeu est donc de veiller à ne pas réécrire le récit des violences infligées. À mes yeux, il est indispensable d'éviter que les dérives que nous avons connues ne se reproduisent : trop de viols ont été requalifiés afin d'être jugés en correctionnelle, sous prétexte d'épargner aux victimes un procès éprouvant en assises.
En ce qui concerne la phase post-sentencielle, nos travaux nous ont conduites à nous pencher sur les différentes mesures de sûreté prévues à l'issue de la peine pour les profils les plus lourds et les plus susceptibles de récidive. Depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le code de procédure pénale prévoit qu'un condamné particulièrement dangereux puisse faire l'objet, à la fin de sa peine, d'une surveillance de sûreté, voire d'une rétention de sûreté privative de liberté. Or nous avons constaté que, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, un nombre extrêmement faible de détenus ont fait l'objet d'un placement en rétention de sûreté. Cela est très probablement lié au fait que les détenus concernés sont déjà condamnés à des peines d'emprisonnement lourdes. Nous regrettons cependant l'absence de statistiques relatives aux rétentions de sûreté mises en oeuvre depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2008, alors même que celles-ci concernent des faits particulièrement graves : en l'état du droit, sont en effet placées en rétention de sûreté les personnes qui ont violé les obligations attachées à une surveillance de sûreté, cette surveillance étant elle-même réservée aux condamnés qui présentent un risque grave et caractérisé de récidive. De même, aucun chiffre n'est disponible sur le nombre de personnes susceptibles d'être, à terme, placées en rétention de sûreté dès la fin de leur incarcération.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce manque d'anticipation est problématique à plusieurs titres, et notamment sur un plan pratique. Nous avons visité le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, seul centre habilité à accueillir des détenus placés en rétention de sûreté. Ce site, qui dispose d'équipements récents et s'appuie sur un haut niveau d'expertise, est aujourd'hui complètement vide. Les professionnels de Fresnes n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail dans les prochaines années. Plusieurs de nos recommandations portent sur ce point.
Nous souhaitons par ailleurs, dans l'attente de l'entrée en oeuvre effective de ce dispositif d'ici à quelques années, que les moyens prévus pour la rétention de sûreté soient, autant que faire se peut, utilisés pour limiter le risque de récidive des détenus les plus dangereux. Aujourd'hui, lorsqu'une expertise de fin de peine a révélé l'existence d'un risque fort de récidive chez une personne incarcérée pour des violences sexuelles, nous sommes démunis, alors même que des moyens existent. Le bon sens commande qu'ils soient mieux exploités : c'est le sens de notre proposition.
Un autre enjeu concerne la peine complémentaire d'interdiction du territoire français à laquelle les AICS étrangers peuvent être condamnés. Celle-ci entraîne le prononcé à leur égard d'une OQTF en sortie de détention. C'était le cas de l'accusé dans le meurtre de la jeune Philippine, qui nous a menées à lancer cette mission.
Notre visite à Joux-la-Ville, où le meurtrier présumé de la jeune fille avait été placé en détention, nous a permis de constater le manque de coordination entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des condamnés à leur sortie de prison, dans le cas d'un AICS étranger placé en rétention administrative. Il nous semble donc crucial, dans de tels cas, de garantir la communication d'informations entre le juge de la liberté et de la détention (JLD) et les acteurs de l'exécution de la peine, tels que les CPIP et les juges de l'application des peines, concernant la dangerosité de la personne concernée et le risque de récidive.
Je voudrais également évoquer le cas particulier des mineurs auteurs d'infraction sexuelle. Comme vous le savez, ces derniers bénéficient - pour l'instant - d'une procédure pénale différente de celle qui s'applique aux majeurs, avec notamment une césure entre la décision de culpabilité et le prononcé de la peine, laquelle permet de prendre plus rapidement en charge les mineurs auteurs après les faits. Cependant, leur parcours pénal reste marqué par plusieurs difficultés liées notamment à la saturation des services médicaux. Au vu des résultats importants que peut entraîner une prise en charge précoce des jeunes auteurs de violences sexuelles, nous recommandons de développer des programmes spécifiquement tournés vers les mineurs condamnés pour des infractions sexuelles dans les centres éducatifs fermés et renforcés. À plus long terme, une réflexion pourrait être menée sur la création de centres fléchés pour les AICS mineurs, sur le même modèle que les établissements existant pour les majeurs.
Nous souhaitons également, comme cela a été évoqué par mes collègues, que la prise en charge des auteurs mineurs permette de détecter ceux qui, parmi eux, ont été précédemment victimes de viol ou d'agression sexuelle. D'après les professionnels, le fait d'être reconnu en tant que victime lorsque l'on a subi des violences sexuelles par le passé est un facteur puissant de prévention de la récidive, ce qui implique qu'une vigilance particulière soit accordée à cet enjeu dans le suivi des mineurs AICS. J'estime pour ma part que, pour prévenir la récidive et le passage à l'acte, il faudrait dépister, dans les maisons d'enfants à caractère social, tous les mineurs qui ont été victimes de violences familiales, pour identifier les risques de passage à l'acte. Cela concernerait aussi les filles : en effet, lorsqu'on a été victime de violences dans son enfance, on a plus de risque d'être à nouveau victime à l'âge adulte. Prévenir la récidive, c'est aussi lutter contre cette forme de conditionnement.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Nos rapporteurs formulent donc 24 recommandations. Suscitent-elles des observations de votre part ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je me réjouis de ce rapport. Le choix de la commission des lois et de la délégation aux droits de femmes de travailler en commun sur ce sujet a été judicieux.
Toutefois, je regrette que plusieurs points ne donnent pas lieu à recommandation. Je pense à tout le travail au cours de la détention. J'entends qu'il y a un problème d'efficacité de la prise en charge des auteurs aux différentes étapes, de l'interpellation jusqu'à la sortie de la détention éventuelle, mais je ne vois pas de préconisation à ce sujet.
Je suppose, concernant l'injonction de soins, que vous avez dû vous heurter, comme cela a pu nous arriver par le passé, à la nécessité d'obtenir l'accord de la personne intéressée. C'est un paramètre important.
Je n'ai pas très bien compris l'intérêt de faire un focus particulier sur les étrangers et sur les centres de rétention administrative (CRA). C'est peut-être l'affaire Philippine qui vous a marquées...
En revanche, je suis frappée par l'absence de préconisation sur le rôle de la puissance publique. Dans l'affaire Le Scouarnec, il y a eu une disjonction entre les faits constatés et les condamnations prononcées : il a manqué une articulation qui permette d'éviter la récidive. Dans les affaires de violence sexuelle, la non-détection et la récidive sont, pour une large part, imputables au fonctionnement de la puissance publique au sens large - j'utilise délibérément un terme générique, pour ne pas viser tel ou tel corps de l'administration -, qui n'a pas su, pas identifié, pas fonctionné. Quand, dans la première affaire Le Scouarnec, celui-ci est condamné pour détention et importation d'images pédopornographiques, on ne lui interdit pas de côtoyer des mineurs. Peut-être était-ce l'époque ? Quoi qu'il en soit, quelle recommandation pourriez-vous formuler dans le sens d'une articulation plus efficace entre les faits révélés et la corrélation avec d'autres services, y compris entre les départements ?
Mme Olivia Richard. - Mesdames les présidentes, mesdames les rapporteures, permettez-moi de vous féliciter pour cette démarche commune, que je trouve particulièrement pertinente et enrichissante, tant les compétences de la commission des lois et celles de la délégation aux droits des femmes sont complémentaires - le fait que certaines d'entre vous soient des « cumulardes » est très précieux pour ces travaux.
Certaines auditions, que j'ai trouvées passionnantes, nous ont permis de nous rendre compte de l'ampleur du non-recours à la plainte. Quand 94 % des personnes victimes de violences sexuelles ne déposent pas plainte, quand on ne dispose d'aucune statistique sur le taux de recours aux dispositifs mis en place pour prévenir la prévention, ni sur leur succès, on ne sait pas du tout de quoi l'on parle ! Nos travaux permettent au moins de mettre en lumière cette situation. À la délégation aux droits des femmes, on dit qu'« il faut compter les femmes pour qu'elles comptent »...
Je suis frappée par la pudeur du rapport s'agissant du besoin de soins et d'accompagnement et des moyens de la justice. On sait pourtant bien que, compte tenu de l'état de la psychiatrie et de la justice en France, si toutes les victimes portaient plainte, nous serions submergés.
Vous avez relevé que l'on manquait cruellement d'experts et que le recours à ces derniers avait un caractère automatique qui pouvait être excessif. Je me permets de relayer ce que m'ont dit des avocates spécialisées dans l'accompagnement des victimes, mais aussi d'auteurs, au sujet de l'expertise. Dans les procédures, c'est souvent parole contre parole, ce qui démultiplie la place de l'expert. N'y aurait-il pas une réflexion à avoir sur leur rôle et sur la justesse de leur intervention ?
Enfin, je rejoins Marie-Pierre de La Gontrie s'agissant de la pédocriminalité : il faudra poursuivre la réflexion que nous avons amorcée lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes de Marie Mercier, concernant les modalités d'interrogation du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), qui semblent incomplètes et insuffisamment mises en oeuvre. En interrogeant ce fichier, on pourrait, par exemple, éviter qu'un pédocriminel ne soit embauché dans une association chargée de faire des animations dans des écoles...
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le rapport et les recommandations ne rendent qu'imparfaitement compte de ce que nous avons vu et relevé au cours de nos travaux.
Je veux indiquer, premièrement, que plusieurs magistrats nous ont indiqué combien les violences sexuelles n'avaient jamais été une priorité des politiques pénales. La justice fonctionne avec des priorités successives : il y a eu le terrorisme et la radicalisation ; il y a eu les violences intrafamiliales (VIF) - ce focus a été efficace, puisque le nombre de dossiers en souffrance a baissé. Nous sentons bien que la nouvelle priorité est le narcotrafic. Nous attendons le moment où la priorité sera donnée aux violences sexuelles.
Nous avons toutes eu le sentiment que l'expertise judiciaire était un problème énorme et, d'une certaine manière, tentaculaire. Les difficultés sont multiples, du nombre d'experts disponibles à leur niveau de qualification et de compétence - ils sont loin d'être tous bons -, en passant par le montant de leur rémunération et la date de paiement des expertises. On constate également un recours tous azimuts aux experts dans des dossiers qui ne le justifient pas - voilà des années que j'essaie de faire valoir, par exemple, que l'on n'a pas besoin d'une expertise psychologique pour résoudre les problèmes de garde d'enfants.
Nous avons beaucoup réfléchi sur les expertises et nous nous sommes interrogées sur leur caractère systématique, au-delà de la première, qui vise à déterminer si l'auteur est pénalement responsable, s'il dispose de son discernement, s'il doit aller à l'hôpital psychiatrique ou en détention provisoire... Nous n'avons obtenu aucune statistique. Officiellement, l'expertise de crédibilité des victimes n'existe plus ; en réalité, on n'en sait rien. Nous n'avons pas pu obtenir de la chancellerie le moindre recensement des expertises ordonnées dans les affaires de ce type. La question de l'expertise est vraiment, dans ce dossier, l'éléphant au milieu de la pièce.
Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, la première condamnation de Joël Le Scouarnec remonte à 2005, soit il y a vingt ans. Depuis, l'arsenal juridique a considérablement évolué. Aujourd'hui, à ma connaissance, la détention d'images pédopornographiques conduit à une interdiction de travailler avec des enfants et à une inscription au Fijaisv, mais il est vrai que l'on vient de très loin... Il a pu exister une forme de banalisation. J'espère que les choses se passeraient différemment aujourd'hui.
Pourquoi avons-nous fait un focus sur les étrangers ? Parce que, après l'assassinat de Philippine, on aurait pu croire, à écouter les commentaires, qu'elle avait été violée par une OQTF plutôt que par un homme. Nous nous sommes interrogées sur la place à donner à la question du droit des étrangers et au fait que l'auteur soit sorti d'un CRA. Nous avons d'ailleurs remonté toute une chaîne de dysfonctionnements intervenus dans les six mois précédant les faits.
Ainsi, des mesures qui auraient dû être prises au moment où l'on savait qu'il allait sortir de détention et qu'il était en situation irrégulière ne l'ont pas été - des démarches auraient alors dû être faites de la part du préfet. Surtout, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils le connaissaient et qu'ils savaient qu'il était dangereux...
Sur le suivi des auteurs dès l'interpellation, il faut que nous ayons en tête que c'est la misère ! La misère, cela aurait d'ailleurs pu être le titre de notre rapport.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela aurait été un titre percutant !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette affaire est le reflet de toute la misère qui touche le suivi psychiatrique, le suivi psychologique, le suivi socio-judiciaire, le suivi de sortie... Il est certain que laisser les auteurs dans la nature, sans logement ni travail, augmente les risques de récidive.
Mmes Audrey Linkenheld, rapporteure, et Dominique Vérien, présidente. - Les Ehpad ne les acceptent pas.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Effectivement, les Ehpad, où il y a 90 % de femmes, n'accueillent pas les AICS facilement...
Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la question des injonctions de soins. Faut-il s'accrocher à l'idée que l'on ne doit tenter de soigner que ceux qui l'acceptent ? J'en doute. Peut-être que ceux qui ne l'acceptent pas d'abord l'accepteront en cours de route...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il y a peu de chances pour que le corps médical soit d'accord !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Par ailleurs, d'après ce que nous avons entendu, faire commencer un suivi psychologique à des détenus en détention provisoire serait porter atteinte à la présomption d'innocence. Les magistrats étaient assez fermes sur ce point. Un détenu qui acceptait de travailler sur le fait qu'il a commis un viol reconnaîtrait sa culpabilité. Je comprends les considérants, mais il y a là quelque chose d'insatisfaisant en termes d'efficacité.
Nous devrions réinterroger tout cela, mais il nous faudrait travailler davantage, et disposer de plus de statistiques. La misère, ce sont aussi les statistiques de la justice !
Mme Annick Billon, rapporteure. - Toute la difficulté de ce rapport est de faire des propositions sur une base statistique quasiment nulle. Il y a très peu de condamnations pour viol, raison pour laquelle nous avons élargi notre rapport à la réitération : si nous nous étions concentrées sur la récidive, notre base statistique aurait été encore plus étroite. Notre demande de chiffres est forte. Nous en avons besoin pour proposer des politiques publiques.
Nous avons aussi besoin d'expérimentations. Notre rapport s'appuie sur des choses que nous avons vues ou entendues lors de nos déplacements - notamment dans l'Yonne - et de nos auditions. Il faut que les dispositifs existants qui fonctionnent soient utilisés et généralisés.
On ne peut pas imaginer que le temps de la détention, qui peut durer plusieurs années, ne soit pas utilisé pour soigner et préparer la sortie. Si l'injonction de soins commence à la sortie, on a perdu d'avance !
Notre focus sur les OQTF a forcément été inspiré par l'actualité. Si nous ne l'avions pas fait, on nous en aurait demandé les raisons... Il était important que nous nous demandions de quelle manière nous pouvions éviter qu'un fait divers aussi grave ne se reproduise. Nous n'avons pas voulu stigmatiser une quelconque population : nous avons simplement voulu répondre à la question soulevée par ce fait divers, qui a marqué le début de nos travaux et alimenté notre réflexion dès le départ.
Nous avons également fait des propositions spécifiques sur les mineurs. Ce prisme est très important dans le contexte actuel. Dans notre rapport sur l'industrie de la pornographie, nous avons avancé que, si l'on ne s'attaquait pas au visionnage par des mineurs très jeunes, si l'on ne les repérait pas, si l'on ne les accompagnait pas, la population de victimes agresseurs potentiels ne cessera d'augmenter.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Je veux insister sur ce point. Toute notre réflexion est partie du cas dramatique de la jeune Philippine, avec un auteur qui, certes, était étranger, mais qui était aussi mineur quand il a commis sa première infraction à caractère sexuel.
Ce que notre rapport montre, c'est la misère de nos services publics en général, de la justice, de la santé, de l'accompagnement, mais aussi de la protection de l'enfance, sujet sur lequel nous travaillons par ailleurs. Dans le rapport, nous disons - peut-être trop poliment - que, s'il existe des dispositions spécifiques pour les mineurs dans le suivi des auteurs d'infractions à caractère sexuel, c'est dans ce domaine que les choses marchent le moins bien. Alors que les mineurs devraient faire l'objet d'une attention redoublée, sur le plan répressif comme sur le plan éducatif, leur prise en charge est moindre, y compris dans ce domaine. Celui qui a défrayé la chronique était lui-même mineur, ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est sorti assez vite après sa condamnation - en 2024, soit trois ans après celle-ci.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Sa peine était dans la moyenne des condamnations pour viol.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Il faut y insister, quand on sait que 25 % des auteurs sont mineurs et qu'une bonne partie d'entre eux ont très probablement eux-mêmes été victimes. Il y a sans doute, parmi les mineurs auteurs d'infractions, qu'elles soient ou non à caractère sexuel, d'ailleurs, des victimes dont le traumatisme passé peut expliquer le passage à l'acte et la commission de violences. C'est un constat terrible.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour répondre à Olivia Richard, sauf exceptions, on ne peut pas être inscrit au Fijaisv si l'on n'a pas été condamné. Une commune qui, par exemple, souhaite embaucher un éducateur ou un animateur pour faire du cirque dans les écoles va demander si cette personne est inscrite au Fijaisv via le ministère de la jeunesse et des sports. Nous avons fait avancer la loi pour inclure dans le fichier les chauffeurs de bus- c'est malheureusement dans ces métiers en contact avec des enfants que l'on peut retrouver des pédocriminels...
Nous pouvons essayer d'obliger un patient à suivre des soins psychiatriques, mais, pour que le traitement marche - je parle sous couvert de notre collègue Véronique Guillotin par ailleurs médecin comme moi -, il faut une observance du patient et une adhésion.
J'ai été particulièrement marquée, au cours de nos travaux, par notre visite, à Caen, d'une prison ouverte où séjournent de très vieux AICS, dont nous nous sommes demandé quels actes abominables ils avaient pu commettre pour être encore là, alors qu'ils ne semblaient plus être en état d'embêter qui que ce soit. Je veux souligner le volontarisme et l'implication de ceux qui les accompagnaient. Pourtant, eux aussi savent ce qu'est la misère ! Je trouve vraiment que ceux qui accompagnent les détenus en général sont remarquables.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur l'imposition des soins, mais force est de constater que, à Migennes, dans l'Yonne, des jeunes qui ne voulaient pas, au départ, être pris en charge par les psychologues du Savi y sont revenus par la suite de leur plein gré, ayant compris qu'ils étaient eux-mêmes victimes. On peut se dire que ce qui fonctionne sur les jeunes pourrait éventuellement fonctionner sur des adultes...
Sur la question des experts, je fais un pas de côté. À l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie, que nous avons visité hier dans le cadre d'autres travaux de la délégation, une chercheuse nous a confié qu'elle trouvait que les jeunes médecins d'aujourd'hui éprouvaient de vraies difficultés à prendre des décisions. Ils demandent systématiquement des analyses complémentaires, des suranalyses... Il semblerait qu'il y ait un problème générationnel avec le risque associé à la prise d'une décision. Aujourd'hui, les médecins, comme les magistrats, cherchent à se rassurer par de nombreuses analyses qui nous coûtent cher.
Madame de La Gontrie, il y a déjà beaucoup de choses dans la loi ! Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est former, notamment les magistrats et les forces de sécurité intérieure, à son application, pour qu'ils sachent détecter, traiter et prendre en charge correctement.
Mme Olivia Richard. - Je parlais non pas de la possibilité pour les collectivités d'interroger le Fijaisv, mais des associations employées par certaines collectivités pour assurer des animations.
Lorsque nous avons débattu du Fijaisv en séance publique, j'avais déposé un amendement, qui avait été voté, visant à permettre aux associations de demander au moins le casier judiciaire des personnes qu'elles souhaitaient embaucher. Les débats avaient permis de mettre au jour les délais, très longs, de consultation indirecte du Fijaisv - cela peut prendre trois mois ! Ce délai complique l'embauche, ce qui décourage la consultation : le Fijaisv est insuffisamment consulté pour beaucoup de catégories d'embauches. Cette difficulté avait été soulevée lors des débats, et le garde des sceaux de l'époque nous avait répondu que, si nous rendions la consultation du Fijaisv obligatoire, nous allions devoir nous armer de patience... Le problème se pose aussi pour le passage des frontières. Cependant, je rappelle que l'on a su automatiser la consultation indirecte du Fijaisv dans certains domaines : il faudrait étendre ce procédé à d'autres secteurs.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Cela fait écho à notre recommandation n° 18. Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, que le Fijaisv y soit expressément mentionné !
Mme Véronique Guillotin. - Merci aux rapporteures.
Pour m'occuper d'une association, je sais que, quand une association sportive embauche un salarié - je ne parle pas des bénévoles -, elle est dans l'obligation de demander la carte professionnelle, pour la simple et bonne raison que celle-ci est adossée au casier judiciaire.
Mme Olivia Richard. - Cela fonctionne bien dans le sport !
Mme Véronique Guillotin. - C'est peut-être quelque chose qu'il serait assez facile d'étendre.
Demain matin, notre collègue députée Sandrine Josso et moi-même allons présenter à la délégation aux droits des femmes le rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes qui nous a été commandé par le Gouvernement. Globalement, on retrouve, dans nos conclusions, les grandes lignes de ce que vous avez écrit : la sensibilisation, la formation de tous les professionnels de première ligne - magistrature, police, gendarmerie, professionnels de santé, professionnels sociaux...
Nous avons peut-être davantage insisté, pour ce qui est de la prévention, sur la nécessaire recherche, notamment clinique, sur les psychotraumatismes. À cet égard, je vous recommande la visite de la Maison de la résilience, très belle structure de recherche fondée par le professeur Hingray. Il a été mis en évidence que les victimes de violences et de viols développaient une forme d'amnésie : elles sont mal dans leur peau et développent des pathologies parallèles, sans faire le lien avec le traumatisme de départ, dont elles ne se souviennent plus. Au final, si la question des chiffres est compliquée, ce n'est pas seulement parce que les plaintes n'aboutissent pas, mais aussi parce certaines victimes elles-mêmes sont dans l'ignorance de ce qu'elles ont subi. Il y a donc tout un travail de recherche à faire dans ce domaine.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui, la formation permet de répondre à ma préoccupation sur le rôle de la puissance publique. Nous avons dit moult fois que les choses avaient un peu progressé sur ce point, et que le Fijaisv avait été un progrès formidable.
Cependant, je reviens encore une fois à l'affaire Le Scouarnec : le problème n'était pas une absence de détection, c'était une absence de circulation de l'information. J'aurais aimé que le rapport contienne une préconisation à ce sujet.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Il y a quand même des recommandations sur le dialogue et le recoupement entre les différents services, puisque nous disons que chacun est dans son silo, qu'il faut un échange, un partage d'informations pour éviter de la perte en ligne.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas vu cela.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - C'est dans les recommandations nos 1, sur la prévention primaire, et 7.
Mme Annick Billon, rapporteure. - C'est davantage développé dans le texte du rapport que dans les recommandations.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez dit que vous aviez réagi à l'actualité, avec l'affaire Philippine. Il est assez curieux que vous formuliez des réponses tout en dénonçant des dysfonctionnements, lesquels impliquent que les outils existent déjà.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Il n'y a quasiment pas de préconisations qui soient issues de cette affaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si ! La recommandation n° 19 sur les CRA l'est directement.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce n'est pas la plus importante.
Mme Annick Billon, rapporteure. - La recommandation n° 19 apporte une réponse à une difficulté... En quoi est-ce problématique ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - S'agissant de l'affaire Le Scouarnec, ce dernier a été protégé malgré sa condamnation. Objectivement, aujourd'hui, il n'aurait pas eu le droit de continuer à travailler.
Il est problématique que des médecins mis en examen et ayant fait l'objet d'un certain nombre de plaintes continuent à exercer parce que l'ordre des médecins ne fait pas le ménage, et que l'hôpital pour lequel ils travaillent continue à les faire travailler sans les mettre de côté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne pense pas que ce soit sur l'ordre des médecins que doive reposer le rôle que doit jouer la puissance publique en matière de sécurité.
En revanche, il aurait pu être judicieux d'ajouter une recommandation sur les hôpitaux.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est vrai que, plus qu'aux mis en examen, nous nous sommes surtout intéressées aux condamnés récidivistes, nous demandant ce que nous pouvions faire pour qu'ils soient moins dangereux à leur sortie de prison.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le Scouarnec avait été condamné !
Mme Dominique Vérien, présidente. - Oui, mais, au moment de sa condamnation, on considérait qu'être condamné pour la détention d'images pornographiques n'était pas grave. Fort heureusement, la loi a beaucoup évolué depuis ! Les choses auraient probablement été différentes s'il avait été condamné pour viol - du moins nous l'espérons...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce que vous déclarez sur le dialogue pourrait faire l'objet d'une recommandation.
Enfin, je regrette que le titre du rapport ne soit pas plus marquant. Sans aller jusqu'à parler de « misère », nous pourrions choisir un sous-titre qui marquerait davantage les esprits.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Les rapporteures nous ont fait plusieurs propositions, et nous avons retenu celle-ci : « Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes ».
L'idée est d'éviter les futures victimes, mais aussi d'éviter que des victimes deviennent des auteurs, et l'indication de la prise en charge des auteurs me paraît indispensable.
Les vingt-quatre recommandations et le titre du rapport sont adoptés.
La commission des lois et la délégation aux droits des femmes adoptent le rapport et en autorisent la publication.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup ! Je donne rendez-vous aux rapporteures à 16 h 30 pour la présentation du rapport à la presse.