D. LE POST-SENTENCIEL : UN CHAMP SOUS-INVESTI

1. L'insuffisant recours aux mesures de sûreté

À la suite de l'exécution de sa peine et en cas de risque très élevé de récidive, plusieurs mesures de sûreté sont prévues par le code de procédure pénale pour maintenir l'auteur de violences sous surveillance en vue de protéger la société. Dans ce cas, le risque de récidive ou de dangerosité doit être constaté par une expertise médicale.

En fonction du niveau de risque et de gravité de l'infraction initialement commise, plusieurs mesures de sûreté existent, avec des degrés de coercition progressifs représentés ci-dessous.

Mesures de sûreté applicables aux AICS

 

Surveillance judiciaire

Surveillance de sûreté

Rétention de sûreté

Nature de la mesure

Mesure de contrôle (qui peut inclure une injonction de soins et un placement sous surveillance électronique mobile), prononcée à la libération du condamné, qui le soumet à des obligations et interdictions contrôlées par le JAP

Mesure restrictive de liberté (qui peut inclure une injonction de soins et un placement sous surveillance électronique mobile), prononcée à la libération du condamné ou à l'issue du placement sous surveillance judiciaire, placée sous le contrôle du JAP

Mesure exceptionnelle, privative de liberté, qui doit être exécutée dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté assortie d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique

Juridiction à l'origine de la mesure

Tribunal de l'application des peines

Juridiction régionale de la rétention de sûreté

Prévue par la cour d'assises (lors de la condamnation) et prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté à l'issue de la peine

Type de condamnation

Condamnation à une peine privative de liberté d'au moins 7 ans sans peine de suivi socio-judiciaire60(*)

Condamnation à une réclusion criminelle d'au moins 15 ans, dans les cas où l'inscription au Fijaisv apparaît insuffisante et si cette mesure constitue l'unique moyen de prévenir la commission de nouvelles infractions61(*)

Condamnation supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle pour des crimes de droit commun, si la personne présente un trouble grave de la personnalité62(*) et si la personne a été en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique adaptée

Durée

Limitée en fonction du crédit de réduction de peine

Deux ans renouvelables

Un an renouvelable

Source : mission conjointe de contrôle du Sénat

Ces différentes mesures peuvent s'articuler au cours du parcours post-sentenciel d'un condamné particulièrement dangereux suivant une logique d'escalade. Ainsi, la surveillance de sûreté peut être mise en place en cas d'échec de la surveillance judiciaire, comme prévu par l'article 723-37 du code de procédure pénale. Une surveillance de sûreté peut également donner lieu à un placement postérieur en rétention de sûreté en cas de non-respect
des obligations qui lui sont liées63(*). À l'inverse, la surveillance de sûreté peut succéder à la rétention de sûreté lorsque celle-ci n'est pas prolongée ou lorsqu'il y est mis fin.

S'agissant de la surveillance de sûreté, l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) précise que, bien qu'efficace, une telle mesure peut être perçue comme injuste dans la mesure où elle s'ajoute à la peine et peut se poursuivre, à l'inverse du suivi socio-judiciaire ou de la surveillance judiciaire, au-delà du quantum prononcé par la juridiction de jugement64(*).

La rétention de sûreté constitue la mesure la plus restrictive car elle entraîne une privation de liberté s'étendant au-delà de l'exécution de la sanction pénale ; pour cette raison, elle n'est prononcée qu'à titre exceptionnel pour les faits les plus graves. Ce dispositif résulte de l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 200865(*) ; en dépit de l'ancienneté de son texte institutif, cette mesure n'a pas encore d'effet concret en raison de la lourdeur des condamnations auxquelles elle s'applique et de sa non-rétroactivité, affirmée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet estimé que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement »66(*).

Ne s'appliquant qu'aux faits commis après l'entrée en vigueur de la loi et aux seuls condamnés à des peines d'au moins quinze ans, la rétention de sûreté n'a, à ce jour, donné lieu à aucun placement consécutif à l'exécution d'une peine selon le ministère de la justice. Cependant, entre 2018 et 2024, le ministère estime67(*) à six le nombre de détenus ayant été placés en rétention de sûreté à la suite du non-respect des obligations liées à une surveillance de sûreté. En outre, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) indique que l'ensemble des placements en rétention de sûreté portés à sa connaissance ont concerné des auteurs d'infractions à caractère sexuel, et plus particulièrement de viol aggravé (par exemple sur mineur, par ascendant, sur personne vulnérable, avec arme, en récidive).

Pour ce qui concerne, enfin, la situation actuelle en matière de placements en rétention de sûreté, la DACG a indiqué aux rapporteures, en février 2025, qu'« aucune personne ne se trouve actuellement en rétention de sûreté, le dernier placement s'étant achevé le 24 janvier 2024 ».

La mission a également constaté, au cours de son déplacement au centre pénitentiaire de Fresnes, que l'aile dédiée au centre socio-médico-judiciaire (CSMJS, le seul en France) était entièrement vide. L'inutilisation d'une dizaine de chambres entièrement équipées ainsi que des services médicaux associés semble constituer une gestion inefficace des ressources, particulièrement dans un contexte de forte surpopulation carcérale engendrant une demande accrue en soins. Par ailleurs, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLP) avait constaté, en 2014 et 2015, que dans ce centre, « l'inactivité est totale du fait de la situation d'isolement de facto des personnes retenues ainsi que de l'absence de projet spécifique en matière éducative, professionnelle ou socioculturelle » et que « le suivi médico-psychologique [était] de fait inexistant » pour les quelques personnes retenues68(*).

Par ailleurs, dans la perspective de l'entrée en vigueur effective de la rétention de sûreté à une échelle plus large, la mission regrette le manque de statistiques qui pourraient permettre de préparer au mieux l'entrée en rétention de plusieurs condamnés dans les années à venir.

2. Des dispositifs complémentaires qui reposent principalement sur l'adhésion des auteurs

Tout au long de leur peine et après son exécution, les condamnés AICS sont libres de participer à des mesures de justice restaurative. Le code de procédure pénale prévoit en effet que « la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative ».69(*) Cette pratique permet de proposer à la victime et à l'auteur « toute mesure permettant [...] de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction ». Si ces mesures peuvent intervenir à tous les stades d'une procédure judiciaire, l'Institut français pour la justice restaurative (IFJR) a précisé lors de son audition qu'en raison du manque d'information au cours de la procédure, l'essentiel de la pratique a lieu en post-sentenciel. En dehors de la procédure judiciaire, la mise en place de ces mesures peut également intervenir après la prescription des faits : l'IFJR soulignait ainsi que « la justice restaurative est également, pour beaucoup, notamment dans les situations de violences sexuelles intrafamiliales et inceste, à envisager lorsqu'une procédure pénale n'est plus possible. »70(*). Ces mesures peuvent également être envisagées dans les cas où la victime renonce à porter plainte.

L'audition de l'IFJR a permis de constater que les mesures de justice restaurative, si elles ne leur sont pas réservées, accueillent une majorité de victimes et d'auteurs d'infractions à caractère sexuel. Ainsi, 61 % des mesures de justice restaurative menées en France correspondaient à des situations de violences sexuelles au 30 juin 202471(*).

Parmi les mesures apparentées à la justice restaurative, les différents acteurs du domaine médico-social interrogés par la mission ont plus particulièrement mis en avant les conséquences bénéfiques des cercles de soutien et de responsabilisation (CSR-CAR). S'il ne s'agit pas à proprement parler d'une mesure de justice restaurative, puisqu'elle implique uniquement l'auteur et non la victime de l'infraction, elle présente toutefois des connexités avec celle-ci car elle est repose uniquement sur le volontariat des auteurs. Elle est mise en oeuvre par des bénévoles représentant la société civile qui peuvent être formés par l'IFJR.

Ce dispositif s'adresse en priorité aux AICS présentant un fort risque de récidive et isolés socialement. Dans ce type de configuration, la mise en place d'un CSR permet au condamné, à sa sortie de détention, d'être entouré par un « cercle d'accompagnement » et un « cercle ressource », tous deux composés de bénévoles qui l'accompagnent dans ses démarches et sont présents en permanence à ses côtés.

Développé depuis une trentaine d'années au Canada, ce type de mesure semble avoir un impact positif sur la récidive. En France, la pratique du CSR demeure expérimentale : pour l'année 2023, l'IFJR a recensé une unique mesure de CSR-CAR.

La mise en place des cercles de soutien et de responsabilité au Canada

Le Canada a été le pionnier dans la mise en place de cercles de soutien et de responsabilité (CSR), où ils ont été créés en 1994 afin de répondre au besoin d'encadrement des AICS à leur sortie de détention. Ils sont gérés par la « CoSA Canada » (Canadian national organization for Circles of Support and Accountability) et financés par l'organisme de sécurité publique canadienne (Public Safety Canada). Ils s'adressent uniquement aux condamnés AICS.

Désormais présents sur l'ensemble du territoire canadien, les CSR sont composés d'une communauté de bénévoles qui agissent sous l'égide d'un professionnel appelé « coordonnateur » chargé de les former. Cet ensemble accompagne le condamné sous forme de cercles « interne » (les bénévoles) et « externe » (les professionnels), lui apporte du soutien émotionnel et des stratégies de développement du lien social.

Plusieurs études ont démontré l'efficacité de ce type de programme pour lutter contre la récidive. Ainsi, selon les données officielles du Service correctionnel du Canada, les condamnés AICS ayant bénéficié d'un CSR présenteraient une réduction de plus de 70 % du taux de récidive par rapport au groupe témoin.

Source : mission conjointe de contrôle

Ces différents dispositifs restent cependant limités car ils reposent sur un double volontariat : d'une part, celui des bénévoles qui bénéficient d'une formation dispensée par l'IFJR (environ 500 personnes en 2024) et, d'autre part, celui des AICS concernés. En effet, l'engagement dans un parcours de justice restaurative comme dans un parcours de soins qui ne soit pas pénalement ordonné est conditionné à la reconnaissance des faits par son auteur, et ne résulte en aucun cas d'une contrainte. Un AICS ne bénéficie donc de mesures de justice restaurative ou de dispositifs de soutien que dans le cas où il se porte volontaire. Malgré ces limites, l'IFJR a fait part, au cours de son audition, de difficultés à répondre à la demande de mesures de justice restaurative en raison de la taille de la structure et du faible nombre de salariés.


* 60 Article 723-29 du code de procédure pénale

* 61 Article 723-37 du code de procédure pénale

* 62 Articles 706-43-13 et 706-53-14 du code de procédure pénale

* 63 Article 706-53-19 du code de procédure pénale

* 64 Contribution écrite de l'ANJAP à la mission

* 65 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

* 66 Conseil constitutionnel, Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

* 67 Aucune statistique précise n'a pu être communiquée aux rapporteures par le service statistique du ministère sur ce sujet.

* 68 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 5 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté.

* 69 Article 10-1 du code de procédure pénale.

* 70 Contribution écrite de l'IFJR.

* 71 Source : données transmises par l'IFJR.

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