C. L'EXÉCUTION DE LA PEINE : UNE INSUFFISANTE ADAPTATION AUX SPÉCIFICITÉS DES PROFILS AICS, MALGRÉ L'AUGMENTATION DU NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS « FLÉCHÉS », DÉDIÉS À LEUR PRISE EN CHARGE

Alors que 88 % des auteurs de viol et 39 % des auteurs d'agression sexuelle sont condamnés à une peine d'emprisonnement ferme ou en partie ferme (voir tableau infra), la période de détention est une étape cruciale afin de réduire le risque de récidive : si elle permet d'une part de protéger la société d'une récidive immédiate, elle suppose également un travail de réinsertion, incluant un travail psychologique, criminologique, médical et social, qui doit limiter le risque d'une récidive à la sortie.

Pour les auteurs d'infraction sexuelle, cette période se caractérise par une durée conséquente (10,2 années d'emprisonnement ferme en moyenne42(*)), pouvant ainsi permettre une réelle évolution de l'individu. Pour autant, comme rappelé par les personnels du centre pénitentiaire de Caen, cette incarcération longue peut également conduire à « un phénomène de lassitude, complexifiant le travail sur les faits ».

La sortie de détention constitue également une période charnière qui suppose une évaluation méticuleuse de la dangerosité du détenu, afin de garantir, dans le respect de la peine prononcée, que sa remise en liberté ne constitue pas un risque pour la société.

Condamnations et peines prononcées pour viol et agression sexuelle en 2023

 

Viol

Agression sexuelle

Nombre de condamnations

1 300

5 399

Peines principales

Emprisonnement

Effectif

1 287

4 697

En proportion du nombre de condamnations

99 %

87 %

Dont emprisonnement ferme ou en partie ferme

Effectif

1145

2079

En proportion du nombre de condamnations

88 %

39 %

Suivi socio-judiciaire

<5

73

Autres peines (1)

nc

629

Total

1 300

5 399

Quantum moyen ferme prononcé (2)

10,2 années

1,9 année

Peines complémentaires

Suivi socio-judiciaire

Effectif

721

530

En proportion du nombre de condamnations

55 %

10 %

Retrait d'autorité parentale

77

124

Interdiction

490

2 146

Privation de droits (3)

658

1 884

Confiscation

210

768

Amende

nc

60

Obligation d'accomplir un stage (4)

nc

58

Autres peines (5)

28

181

Total

2 184

5 751

(1) amende, jours-amende, retrait de l'autorité parentale, travail d'intérêt général, interdiction, confiscation, obligation d'accomplir un stage, sanction réparation, avertissement judiciaire, mesure éducative, ....

(2) réclusion criminelle (hors perpétuité) ou emprisonnement ferme ou en partie ferme

(3) droits civiques, civils et de famille, droit de vote, droit d'éligibilité, droit d'être témoin en justice, droit d'exercer une fonction juridique

(4) stage de citoyenneté, stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, ...

(5) en cas de viol : amende, obligation d'accomplir un stage, admonestation, avertissement judiciaire ou solennel, mesure éducative, mise sous protection judiciaire, ...

en cas d'agression sexuelle : admonestation, avertissement judiciaire ou solennel, mesure éducative, mise sous protection judiciaire, ...

Source : calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice

1. Une prise en charge spécifique en détention est prévue pour les auteurs d'infraction à caractère sexuel

Au 1er octobre 2024, 13 130 personnes étaient incarcérées pour au moins une infraction à caractère sexuel, dont 8 304 étaient définitivement condamnées. Afin de tenir compte des spécificités des AICS détenus, une spécialisation accrue du suivi des détenus condamnés pour des faits de nature sexuelle est prévue par des dispositions législatives depuis la fin des années 1990.

Aux cours de trois déplacements en établissements pour peines ainsi que de nombreuses auditions, les rapporteures ont pu apprécier la richesse de cette prise en charge, tout en observant ses limites. Il apparaît ainsi que :

- la prise en charge des détenus AICS présente de fortes disparités, y compris au sein d'établissements désignés pour leur accueil et recevant à cet égard des moyens spécifiques ;

- les établissements spécialisés dans la prise en charge des profils rencontrent, comme l'ensemble des établissements pour peine, des enjeux de rareté des moyens qui peuvent diminuer la portée de l'encadrement prévu pour les détenus AICS ;

- l'étape cruciale de préparation à la sortie pâtit de difficultés qui renforcent le risque de récidive précoce.

a) L'évaluation et l'orientation des AICS en début de peine

L'orientation initiale des condamnés vers un établissement pénitentiaire est effectuée, pour les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour des faits de viols sur mineur ou sur majeur (le cas échéant, accompagnés d'une circonstance aggravante), par l'un des cinq centres nationaux d'évaluation répartis sur le territoire national, où ils font l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire d'une durée de six semaines.

Le Centre national d'évaluation (CNE)

L'article D. 112-6 du code pénitentiaire prévoit que « la direction de l'administration pénitentiaire comprend un centre national d'évaluation, chargé de concourir à la procédure d'orientation prévue par l'article D. 211-9 et aux évaluations mentionnées aux articles R. 545-3 et D. 422-9 ».

Le CNE est une entité spécifique au sein de l'administration pénitentiaire qui est répartie en cinq sites d'évaluation, intégrés au sein d'établissements pénitentiaires : le site du centre pénitentiaire de Fresnes (94) ; le site du centre pénitentiaire Sud-Francilien (77) ; le site du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (59) ; le site du centre pénitentiaire d'Aix-Luynes (13) et le site du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), ce dernier étant réservé à l'évaluation d'auteurs d'infractions à caractère terroriste.

Initialement créé à des fins d'observation (Centre National d'Observation), puis d'évaluation (Centre National d'Évaluation) de la personnalité de certaines personnes détenues condamnées, préalablement à leur affectation en établissement pour peines, mais également au cours de l'exécution de leur peine, le CNE dispose désormais d'une nouvelle mission d'évaluation de la dangerosité des condamnés, destinée à éclairer l'autorité judiciaire.

En 2024, 44 % des personnes accueillies par le centre étaient condamnées pour des faits de nature sexuelle.

Le CNE procède à deux types d'évaluation :

l'évaluation de la personnalité en vue de l'orientation en établissements pour peines de la personne détenue auteure de crimes aggravés condamnés à 15 ans ou plus de réclusion criminelle. Le CNE formule également des préconisations de prise en charge.

l'évaluation de la dangerosité qui vise à déterminer l'existence ou la persistance d'une dangerosité dans le cadre d'une mesure de sûreté ou pour une personne détenue inscrite dans un parcours d'aménagement de peine. Elle constitue une aide à la décision pour l'autorité judiciaire, dans l'objectif de prévenir la récidive. Ainsi, elle consiste à identifier chez la personne détenue les facteurs de risque et de protection face au risque de commission d'une nouvelle infraction.

Ces deux types d'évaluation ont en commun leur nature pluridisciplinaire. Les équipes du CNE, sous la responsabilité d'un directeur et de son adjoint, sont composées de quatre pôles d'évaluation : le pôle surveillance, le pôle insertion et probation, le pôle psychologique et le pôle psychotechnique.

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Pour les condamnés non soumis à l'évaluation par le CNE mais dont le temps d'incarcération est supérieur à deux ans, la procédure d'orientation et de décision d'affectation des condamnés telle que prévu par le code de procédure pénale s'applique. Le ministère de la justice dispose alors de la compétence d'affectation des condamnés sur la base d'un dossier d'orientation comprenant les renseignements relatifs à la situation pénale et pénitentiaire du condamné, les éléments afférents aux conditions de prise en charge sanitaire et l'avis du SPIP de l'établissement et du juge de l'application des peines réalisé par le chef d'établissement où le condamné est détenu.

b) Le protocole Santé-Justice relatif à la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel définit une prise en charge particulière pour ce public

Conformément à l'article 40 de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, lorsqu'une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins doit subir une peine privative de liberté, elle exécute cette peine dans un établissement pénitentiaire lui assurant un suivi médical et psychologique adapté. Il revient donc à l'administration pénitentiaire d'orienter ces personnes dans un établissement pénitentiaire adapté à la prise en charge spécifique qu'implique la nature des faits commis.

Dans cette perspective, en 2009, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a désigné 22 établissements pour peines spécialisés dans la prise en charge des AICS, devant disposer de moyens sanitaires adaptés et d'une prise en charge pénitentiaire spécifique. Les personnes condamnées pour des faits de nature sexuelle doivent ainsi y être affectées prioritairement, dans le respect de l'individualisation de l'orientation ainsi que du maintien des liens familiaux.

Outre un suivi spécifique, ces établissements spécialisés garantissent la sécurité de ces profils, plus susceptibles de faire l'objet de représailles de la part de co-détenus en détention « classique ».

Liste des établissements « fléchés » pour la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel

Établissement

Nombre de détenus

dont pour au moins une infraction sexuelle (AICS)

Taux de détenus AICS

Centre de détention d'Argentan

596

120

20,1 %

Centre de détention de Bapaume

539

321

59,6 %

Centre de détention de Bedenac

190

132

69,5 %

Centre de détention de Casabianda

128

89

69,5 %

Centre de détention de Joux La Ville

578

340

58,8 %

Centre de détention de Le Port

502

173

34,5 %

Centre de détention de Mauzac

363

288

79,3 %

Centre de détention de Melun

292

250

85,6 %

Centre de détention de Muret

607

245

40,4 %

Centre de détention de Roanne

533

141

26,5 %

Centre de détention de Salon De Provence

633

274

43,3 %

Centre de détention de Toul

399

256

64,2 %

Centre de détention de Val De Reuil

792

240

30,3 %

Centre pénitentiaire de Caen

401

336

83,8 %

Centre pénitentiaire de Liancourt

586

176

30,0 %

Centre pénitentiaire de Nantes

1 463

310

21,2 %

Centre pénitentiaire de Perpignan

753

97

12,9 %

Centre pénitentiaire de Poitiers Vivonne

794

146

18,4 %

Centre pénitentiaire de Riom

729

148

20,3 %

Centre pénitentiaire de Saint Quentin Fallavier

623

108

17,3 %

Maison centrale d'Ensisheim

183

96

52,5 %

Maison centrale de Saint Martin De Re

370

178

48,1 %

Total

12 054

4 464

37,03 %

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Les modalités spécifiques de prise en charge des AICS au sein de ces établissements ont été définies par le protocole conclu entre le ministère de la justice et le ministère de la santé le 16 décembre 2011, dit « protocole Santé-Justice ».

Celui-ci prévoit premièrement une prise en charge spécialisée sur le plan sanitaire, développée grâce à la dotation exceptionnelle attribuée à chaque agence régionale de santé siège d'un établissement « fléché ». Le protocole rappelle ainsi que « si l'organisation régionale de l'offre de soins concerne l'ensemble des établissements pénitentiaires de la région, une attention particulière doit être portée aux établissements spécialisés où les personnes détenues condamnées pour des faits de nature sexuelle sont orientées ». Pour ces établissements, l'organisation de la prise en charge de ces détenus est décrite au sein d'un projet d'organisation régionale validé par l'ARS, ainsi que d'un protocole local entre l'établissement de santé et l'établissement pénitentiaire. Ce dispositif sanitaire et médical spécifique se justifie par la prévalence de problématiques psychologiques et psychiatriques chez les AICS, mais également par leur moyenne d'âge élevée et la durée conséquente des peines qui nécessitent, au sein de l'établissement, un travail quant à la prise en charge du vieillissement en détention.

Les moyens renforcés de ces établissements doivent permettre au personnel médical d'inciter les personnes détenues à entreprendre, si cela est nécessaire, une démarche de soins, dans le respect du consentement du détenu ainsi que du secret médical. Comme pour tout détenu, les AICS sont également informés par le JAP de la possibilité d'entreprendre un traitement dès le début de l'incarcération, puis de manière annuelle43(*). Pour les personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, le médecin traitant du détenu délivre à ce dernier, une fois par trimestre, des attestations indiquant si le patient suit ou non de manière régulière le traitement proposé par le JAP. Ces documents peuvent ainsi permettre à ce dernier de se prononcer sur l'octroi ou le retrait de peine ou l'octroi d'une libération conditionnelle44(*).

Le protocole définit par ailleurs un cadre de prise en charge pénitentiaire propre aux établissements spécialisés, visant à prendre en compte les spécificités des détenus AICS et à travailler à la prévention de la récidive. En complément du suivi individuel s'inscrivant dans le parcours d'exécution des peines effectué par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) assuré pour chaque détenu, le protocole prévoit que les établissements spécialisés proposent des méthodes d'intervention adaptées à la nature des faits commis et au profil des détenus, notamment par la mise en place de programmes de prévention de la récidive (PPR). Ces programmes consistent en une prise en charge sous forme de groupes de parole rassemblant des personnes condamnées présentant une problématique commune liée au type d'infraction commise. Ils visent ainsi à sortir l'auteur d'un éventuel déni, à développer l'expression et la réflexion sur le passage à l'acte délinquant et sur les conditions de non réitération dans un cadre collectif, ainsi qu'éventuellement à inciter les détenus à entreprendre un suivi médical.

Outre les PPR, les SPIP mettent en place différents programmes et actions collectives à l'attention des auteurs de violences sexuelles autour de l'insertion sociale, de l'accès aux droits, de la parentalité, et des habiletés sociales au travers d'interventions cognitivo-comportementales. Selon la DAP, « ces prises en charge collectives encouragent les personnes placées sous-main de justice à prendre conscience des conséquences de leur comportement et à amorcer un cheminement personnel axé sur le sens des responsabilités », contribuant à diminuer le risque de récidive.

Enfin, le protocole prescrit des modalités d'évaluation des détenus au cours de leur détention. Les professionnels pénitentiaires rencontrés par la mission ont en effet rappelé le phénomène de sur-adaptation de ces profils aux règles de la vie en détention, ce qui peut conduire les professionnels pénitentiaires et les magistrats à sous-estimer le niveau de dangerosité réel de l'individu, et ainsi anticiper sa sortie en dépit du risque (non-identifié) de récidive.

En conséquence, les articles 717-1 et 706-53-14 du code de procédure pénale prévoient des bilans spécifiques afin d'évaluer la dangerosité des personnes visées par le protocole :

deux ans avant la fin de peine, la personne condamnée éligible à la rétention de sûreté est convoquée par le juge d'application des peines afin d'établir un bilan sur le suivi médical mis en oeuvre. À cette fin, ce bilan peut notamment être établi au vu des certificats fournis par le médecin ou psychologue traitant. Si nécessaire, un psychiatre expert peut être sollicité pour éclairer le juge d'application des peines. Au vu du bilan, le juge d'application des peines peut proposer à la personne condamnée de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé ;

- un an avant la fin de peine, la situation de la personne est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin d'évaluer sa dangerosité. À cette fin, lors de cet examen de situation, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d'au moins six semaines, dans un centre national d'évaluation. Ce service est chargé d'effectuer une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité. Parallèlement, est diligentée une expertise médicale réalisée par deux experts.

La personnalité de la personne condamnée est également discutée lors des instances de concertation préalable à d'éventuels aménagements ou réductions de peine, telles que les commissions d'application des peines, qui réunissent l'ensemble des acteurs de l'administration pénitentiaire (personnels de surveillance et SPIP) afin d'apporter à l'autorité judiciaire des éléments et analyses sur la personnalité et le comportement de la personne placée sous-main de justice, ou les débats contradictoires, au cours desquels le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public puis les observations du condamné. Sont également versés aux débats contradictoires le rapport rédigé par le SPIP concernant le détenu et l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire.

Il convient enfin de rappeler que le SPIP ne procède pas à une évaluation de la dangerosité dans ses rapports transmis à l'autorité judiciaire, mais opère une évaluation de la situation globale de la personne et vient identifier quels sont chez la personne placée sous main de justice les facteurs de protection et les facteurs de risque de récidive. Cette évaluation est mise à jour régulièrement afin d'adapter au mieux la prise en charge, les objectifs et les modalités de travail.

L'application concrète du protocole santé-justice

Les rapporteures ont pu constater la qualité du travail effectué au sein des établissements spécialisés, lors de déplacements au centre pénitentiaire de Caen ainsi qu'au centre de détention de Joux-la-Ville.

Dans ce premier, accueillant plus de 83 % de détenus AICS, une offre de soins spécifique a été établie grâce à la présence d'un service médico-psychologique régional au sein du centre. De plus, un effort de pluridisciplinarité du suivi des détenus est mis en oeuvre, avec la participation des personnels soignants aux instances pluridisciplinaires.

La prise en charge pénitentiaire a été étoffée grâce à une équipe dédiée au parcours d'exécution des peines, avec comme objectif d'insérer les AICS dans un parcours de travail et de responsabilisation vis-à-vis des faits. Une commission pluridisciplinaire unique, composée des personnels de direction, des SPIP, ainsi que des détenus, est chargée de faire régulièrement le bilan de l'évolution de la détention du détenu, évaluée à l'aune d'objectifs définis collectivement.

Le centre pénitentiaire de Caen a également eu recours à des expériences de justice restaurative, sur la base du volontariat des détenus, ayant donné des résultats particulièrement positifs quant à l'avancée du détenu dans son travail vis-à-vis de la reconnaissance des faits.

Source : données recueillies lors du déplacement au centre pénitentiaire de Caen

Enfin, les établissements non spécialisés dans la prise en charge de ce public étant eux aussi amenés à accueillir des détenus auteurs d'infraction sexuelle, les SPIP y assurent des actions spécifiques à destination des AICS, en sus du suivi individuel prévu pour chaque détenu reposant sur les principes d'évaluation, d'individualisation du parcours d'exécution de la peine et d'un travail réalisé en pluridisciplinarité.

2. En dépit d'un parcours spécifique, la prise en charge des AICS en détention se heurte à de regrettables lacunes
a) Une prise en charge inégale des AICS au sein des établissements spécialisés

Si la mission a pu apprécier la finesse de la prise en charge des détenus AICS dans certains établissements spécialisés, les rapporteures ont également constaté de fortes disparités dans la prise en charge des AICS ainsi que des faiblesses dans l'application du protocole national.

(1) Les limites de la cartographie d'établissements spécialisés dans l'accueil des AICS

Premièrement, des limites ont été observées sur la répartition actuelle des établissements « fléchés AICS » sur le territoire national. De fait, alors qu'il était prévu à leur création en 2009 que les établissements fléchés AICS accueilleraient entre 50 et 80 % d'AICS, ce seuil n'est pas atteint dans douze des établissements fléchés, soit plus de la moitié (et est même inférieur à 20 % pour trois d'entre eux). Cette faible affectation de détenus AICS dans des établissements pourtant conçus pour les recevoir se justifie, certes, par la prise en compte de critères de maintien des liens familiaux lors de l'orientation initiale vers les établissements sur peine. Ces taux traduisent néanmoins les limites de la cartographie actuelle des établissements spécialisés, parfois trop éloignés de certains bassins de vie afin d'être « attractifs ».

Afin de répondre à ces limites, la DAP a annoncé engager une révision de la cartographie des établissements pour peines fléchés ICS afin de mieux répondre aux besoins constatés. Une nouvelle liste de 24 établissements a donc été élaborée, en collaboration avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Celle-ci prévoit :

- la fin du fléchage de deux établissements, le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne et le centre de détention de Perpignan, qui présentaient des taux de détenus AICS les plus bas (respectivement 18,4 % et 12,9 %), remplacés par deux autres établissements au sein des mêmes directions interrégionales des services pénitentiaires ;

- l'ajout du centre de détention de Tatutu de Papeari, en raison de l'identification d'un besoin de soutien sur la thématique des AICS ;

- l'ajout du centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand afin de proposer deux centres fléchés sur la DISP de Dijon ;

- une réflexion sur l'ajout d'un centre, à moyen terme, sur la DISP de Paris, désigné parmi les futures constructions de nouveaux établissements.

Cette actualisation supposerait donc une augmentation nette de trois établissements fléchés AICS, mieux répartis en fonction des besoins constatés sur les différents bassins de vie.

(2) L'application parcellaire du protocole santé-justice au sein des établissements fléchés

En outre, la mission a constaté de réelles lacunes dans l'application du protocole santé-justice, pourtant signé il y a presque quinze ans désormais.

Les deux évaluations de l'application de celui-ci conduites par la DAP, en 2015 et 2023, font en effet état d'une grande disparité dans la prise en charge des détenus entre les 22 centres (seuls 19 ayant répondu à ces deux enquêtes). Ainsi, en 2023 :

- seuls cinq établissements sur les 19 répondants ont mis en oeuvre des PPR ; soit un recul regrettable puisque ce nombre s'élevait à 18 en 2015. Si sept établissements indiquent par ailleurs avoir mis en place des actions collectives hors PPR à destination des AICS, l'absence de mise en oeuvre d'au moins un programme de prévention de la récidive, dispositif explicitement prévu par le protocole, dans la totalité des établissements spécialisés ne peut qu'interroger les rapporteures ;

- en outre, seuls 10 établissements ont conclu un protocole entre les services pénitentiaires et les services de soins fixant les modalités d'intervention des services de santé au sein de l'établissement pénitentiaire. De la même façon, ce protocole est explicitement prévu dans la doctrine établie par les ministères de la justice et de la santé, il est donc tout à fait surprenant que moins de la moitié des établissements concernés ne le mettent pas en oeuvre ;

- enfin, seuls 11 établissements bénéficient d'un accompagnement par un CRIAVS, ce qui apparaît très dommageable aux rapporteures au regard de l'expertise précieuse qu'ont développée ces structures dans l'accompagnement des professionnels intervenant auprès des AICS.

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) a également conduit une évaluation de l'application du volet sanitaire du protocole en 2024, à laquelle n'ont répondu que 15 des 22 établissements concernés. L'enquête a établi un niveau de spécialisation sanitaire globalement satisfaisant au sein des établissements ayant répondu, puisque 89 % de ceux-ci ont constitué une équipe médicale spécialisée dans la prise en charge des AICS et 94 % des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) proposent des prises en charge spécifiques aux AICS détenus. Néanmoins, les rapporteures regrettent que le faible taux de réponse des établissements pénitentiaires ne permette pas de garantir la fiabilité de ces résultats.

L'évaluation conduite par la DGOS a, en outre, permis d'établir, d'une part, la faible connaissance par certaines ARS des protocoles locaux et des moyens dédiés à la prise en charge des AICS en détention, et d'autre part, l'absence d'une culture du partage et de l'évaluation au sein de ces établissements, 69 % des répondants indiquant n'entretenir aucun lien avec les autres établissements spécialisés. Ce constat semble corroboré par les professionnels de terrain, comme en témoignait Caroline Kazanchi, avocate, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, devant la mission conjointe de contrôle, soulignant que « nous disposons donc, en théorie, des dispositifs nécessaires en termes de soins et de suivi, mais sont-ils bien déployés en pratique ? J'en doute : ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association. Je ne dispose ainsi pas d'éléments chiffrés relatifs à la mise en oeuvre de ce protocole de 2011, en particulier au niveau des Spip, alors que ces services peuvent assurer le relais entre le soin en détention - spécifique - et le soin post-carcéral ».

Les conclusions de ces trois études amènent donc les rapporteures de la mission à constater une prise en charge très inégale des AICS, particulièrement regrettable a fortiori au sein d'établissements fléchés dont les moyens ont été ajustés à la hausse afin de proposer un suivi renforcé à ces profils et ainsi lutter contre le risque de récidive. La mission déplore également l'absence de partage d'information et de collaboration entre ces différents établissements, ainsi que l'impulsion bien trop faible au niveau national d'orientations permettant une prise en charge standardisée et régulièrement évaluée.

Face à ces constats, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a indiqué avoir procédé à la diffusion d'une note à l'ensemble des services rappelant les attendus de prise en charge des AICS dans les établissements spécialisés :

Extrait de la note du 10 juin 2024 du directeur de l'administration pénitentiaire, adressée aux chefs d'établissement pénitentiaire

« Afin de garantir une prise en charge adaptée des AICS, il vous est demandé de bien vouloir mobiliser vos services et de veiller à ce que :

« - Dans chaque établissement fléché, un programme de prévention de la récidive par an a minima soit proposé par le SPIP aux personnes détenues condamnées pour ce type de fait.

« - Les personnels intervenant en établissement fléché AICS et en CNE puissent se voir proposer une formation adaptée à cette spécificité à leur arrivée en établissement. À ce titre, il conviendra de prévoir des sessions de formation en lien avec les différents profils d'AICS, leur évaluation et les modalités de prise en charge.

« - Par ailleurs, la mise en place de formations aux outils d'évaluation spécifiques aux auteurs de violences sexuelles est également fortement conseillée afin de permettre aux professionnels d'évaluer et d'accompagner ce public de la façon la plus probante.

« Il importe également de veiller à ce que :

« - des liens réguliers soient pris avec les CRIAVS afin de mettre en place des sessions de formations, d'informations, d'analyse des pratiques ;

« - les cercles de soutien et de responsabilité (CSR) se développent, conformément aux recommandations européennes.

« Enfin, les directions d'insertion et de probation pénitentiaires sont également encouragées à mettre en place des réunions régulières inter établissements AICS afin d'échanger sur les différentes modalités de prise en charge, les difficultés, et de mutualiser les bonnes pratiques et les besoins de formation. »

Si ces orientations sont les bienvenues, les rapporteures appellent à leur mise en oeuvre rapide, assortie d'un contrôle accru de la part de la DAP afin de ne plus permettre de tels retards dans l'application d'un protocole indispensable à la lutte contre la récidive, adopté il y a plus de dix ans.

Plus encore, la mission ne peut que déplorer l'absence d'une évaluation concrète des effets de la spécialisation de certains établissements dans la prise en charge des AICS sur la récidive. À date, aucune étude n'a été conduite afin d'objectiver les effets de cette spécialisation sur la récidive en comparaison à la détention « classique ». Aussi, aucun élément ne permet de corroborer le bien fondé des dispositifs mis en place, rendant dès lors abstrait tout travail d'amélioration de cette prise en charge.

La DAP a néanmoins indiqué qu'une étude visant à évaluer et comparer le contenu des prises en charge à destination des AICS, leurs disparités et l'intérêt même du fléchage vers des établissements spécialisés a été initiée et devrait présenter ses conclusions en 2027. Ensuite seulement, la DAP envisage de mettre en place une recherche afin d'évaluer l'impact d'une détention en établissement fléché sur la récidive. La direction a enfin indiqué que le protocole Santé-justice serait en cours d'actualisation, sans préciser si ce processus devait aboutir au terme des deux évaluations mentionnées ci-avant.

b) Une prise en charge qui pâtit d'un manque de moyens et d'une coordination trop peu aboutie des professionnels concernés

En outre, la mission a également constaté que la prise en charge des AICS lors de la détention se heurte non seulement au manque de moyens disponibles mais aussi à un défaut de coordination et de formation des différents acteurs impliqués dans ce suivi.

De fait, il est apparu aux rapporteures que les établissements spécialisés dans la prise en charge des AICS connaissent des difficultés liées au manque de moyens en milieu carcéral, puisque, comme le souligne l'Association nationale des juges de l'application des peines, « la situation de surpopulation pénale induit mécaniquement une dégradation de la prise en charge des personnes incarcérées, les personnels n'étant pas renforcés ».

Les enjeux de disponibilité des personnels médicaux, a fortiori pour certains établissements en zone rurale, entraînent de véritables difficultés dans le suivi médical des détenus, mais peuvent également être un obstacle à une préparation à la sortie progressive. En effet, les permissions de sortie et les aménagements de peine n'étant accordés que sous la condition d'avoir procédé à une expertise médicale de moins de deux ans, les longs délais de prise en charge peuvent ralentir le projet d'exécution des peines des détenus et favoriser une sortie de détention brutale et non préparée pour les AICS. Les rapporteures ont à cet égard été vivement alertées par la situation du centre pénitentiaire de Caen, ville dans laquelle seuls deux experts, de plus de 70 ans, sont recensés, ainsi que celle de la maison centrale d'Ensisheim, qui ne dispose pas de psychiatre.

S'agissant de la prise en charge pénitentiaire, l'inflation du nombre de dossiers suivis par un seul conseiller pénitentiaire a également été portée à l'attention des rapporteures. Cette situation conduit inévitablement à un suivi plus lâche des détenus et, de l'aveu de certains conseillers rencontrés lors des auditions, à une priorisation des détenus les plus volontaires à s'engager dans une démarche de travail, au détriment des profils plus isolés. Le manque de moyens et l'alourdissement de la charge de travail des CPIP peuvent également constituer un obstacle au développement d'ateliers annexes, tels que les expériences de justice restaurative et les cercles d'accompagnement et de responsabilités, pour lesquels ces derniers ne disposent pas de temps spécifique dédié. Les syndicats représentatifs des services d'insertion et de probation ont également souligné la nécessité d'aller plus loin dans la formation des professionnels à la prise en charge des AICS, formation qui n'est pas obligatoire hormis en formation initiale à l'École nationale d'administration pénitentiaire. Il semblerait ainsi que la formation aux enjeux spécifiques de la prise en charge des AICS, priorisée il y a quelques années, soit désormais quelque peu éclipsée par les formations liées aux violents intrafamiliaux.

En outre, la mission a pu constater des difficultés propres à la prise en charge des AICS hors des établissements spécifiquement dédiés. En effet, alors que les établissements fléchés peuvent facilement constituer des groupes de profils similaires pour mettre en place des ateliers de travail collectifs - dont les professionnels reconnaissent unanimement l'utilité -, il peut être moins aisé de reproduire ces expériences dans le reste des établissements, du fait de l'hétérogénéité des profils accueillis. Les besoins spécifiques des AICS, notamment sur le volet médical, peuvent également faire l'objet d'une offre de soins moins adaptée dans les centres non spécialisés.

Outre les enjeux de ressources, il a été porté à l'attention des rapporteures des faiblesses dans la collaboration entre différents corps de métier intervenant en détention, pouvant amenuiser le suivi du détenu ainsi que l'évaluation de sa situation personnelle. Comme souligné par Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur lors de la table ronde organisée par la mission le 5 décembre 2024, « lorsqu'on évoque l'enjeu de la pluridisciplinarité, il est ainsi triste de constater, au moment où les juridictions de l'application des peines se prononcent, que les rapports des Spip, des experts et des intervenants sociaux sont isolés les uns des autres. Une prise en charge de la récidive plus solide devrait s'appuyer sur une véritable pluridisciplinarité ». Ces difficultés peuvent pour partie être imputées à la prépondérance du « prisme du soin », décrit par les CRIAVS, pouvant conduire à la marginalisation du travail conduit par les CPIP sur le volet criminologique, au profit d'une approche médicale des infractions de nature sexuelle. Ces biais sont regrettables pour la prise en charge des AICS puisque, comme rappelé par le Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), pour les AICS « la présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %, environ la moitié des auteurs ne présentant donc aucun trouble ».

c) Les limites de la préparation à la sortie

Les travaux de la mission ont également permis de constater les difficultés relatives à la préparation des détenus à la sortie de détention. Sans qu'aucune étude statistique ne permette de corroborer cela, les professionnels rencontrés au cours des auditions et des déplacements ont unanimement affirmé que la préparation à la sortie est une étape cruciale pour la diminution du risque de récidive pour l'auteur d'infraction sexuelle, en tant qu'elle suppose souvent un cumul de problématiques matérielles, juridiques, administratives, sociales et psychologiques pour l'individu, après une peine longue.

Or, la préparation à la sortie se heurte à un taux élevé de sortie sèche de détention pour les AICS, qui peut conduire à un risque accru de récidive précoce. Les AICS font, en 2023, moins souvent l'objet d'un aménagement de peine que l'ensemble des condamnés (33 % d'entre eux contre 39,4 % selon les données de la DAP). Or, selon les professionnels rencontrés au cours des travaux de la mission, une sortie non anticipée est susceptible de renforcer le risque de récidive, en replongeant le condamné dans un environnement social peu stable, voire criminogène, après une période durable de rupture avec la société. Les représentants du syndicat des personnels d'insertion et de probation UFAP-UNSA rappellent en outre que le risque de récidive est le plus élevé dans les six premiers mois qui suivent la sortie de détention.

Ce phénomène est renforcé par les difficultés que rencontrent les services pénitentiaires et sociaux pour établir des partenariats avec des structures externes permettant une réinsertion réussie des AICS s'agissant du volet social (hébergement, emploi, réseau social). Comme l'a rappelé la fédération française des CRIAVS, « beaucoup de patients sortent après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale », dans ces conditions une sortie sans accompagnement est particulièrement propice à la récidive.

À cet égard, le manque d'assistants de service social en SPIP a été pointé du doigt par les professionnels rencontrés. De même, la direction de l'administration pénitentiaire constate des difficultés dans la mise en oeuvre du partenariat45(*) entre le SPIP et le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO, en charge de l'offre de logement) qui vise à favoriser l'insertion des sortants de détention sans solution d'hébergement. Des difficultés identiques sont constatées avec d'autres structures d'hébergement d'aval, notamment des maisons de retraite puisqu'une partie conséquente des AICS en fin de peine sont âgés ou dépendants. Les partenaires de l'hébergement sont en effet souvent réticents à accueillir ce public ou en raison de contraintes inhérentes aux publics qu'ils accueillent déjà au sein de leurs structures. À titre d'exemple, le SIAO est tenu de prendre en compte la personnalité de l'auteur d'infraction sexuelle dans l'accès aux droits, l'orientation et l'accompagnement pour ne pas mettre en difficulté les autres hébergés dans les structures et le personnel d'accueil de ces lieux (notamment des victimes de violence sexuelle). La DAP signale toutefois que les SPIP bénéficient de certains partenariats locaux avec des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou des associations disposées à accueillir des personnes sous main de justice à leur sortie de détention. En somme, comme le résume l'ANJAP, la continuité de la prise en charge au terme de la détention « semble plus relever d'initiatives locales que d'une organisation plus institutionnalisée ».

La difficile prévisibilité de la date de sortie pour les courtes peines a également été soulignée lors des travaux de la mission, en raison des effets induits par la récente réforme des réductions de peine entrée en vigueur en 202346(*) visant à rendre plus systématique les sorties sous liberté conditionnelle en fin de courte peine. Comme en a témoigné un juge de l'application des peines, « il arrive que nous prolongions quelque peu la période d'incarcération avant la sortie conditionnelle, afin de disposer de quelques semaines pour éviter une sortie trop brutale et notamment prévoir des rendez-vous avec le psychiatre, entamer des démarches pour trouver un hébergement, éventuellement, prévenir la victime ».

Enfin, comme souligné par l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP), « les juges de l'application des peines ne disposent pas de statistiques sur l'efficacité des aménagements de peine et de la probation et, l'on ne peut que le regretter, car cela serait très utile pour évaluer [les] modèles de prise en charge et les rendre plus performants » ; constat auquel ne peuvent que souscrire les rapporteures, qui déplorent une fois encore l'absence de la culture de l'évaluation au sein du ministère de la justice.

3. Les spécificités de la prise en charge des mineurs en milieu fermé

La prise en charge des MAICS, par nature complexe, n'a fait que récemment l'objet de dispositifs spécifiques en France.

À titre liminaire, on rappellera que le droit pénal des mineurs et la procédure pénale applicable aux délinquants âgés de moins de 18 ans - qu'il s'agisse ou non d'infractions à caractère sexuel - constituent un corpus de règles spécifiques par rapport au reste du droit pénal et de la procédure pénale. Outre une réduction de moitié du quantum de peine encouru (qui, sauf exception et pour les seuls mineurs de seize ans ou plus, ne peut pas excéder la moitié de la peine encourue par les majeurs), les mesures pénales applicables aux mineurs doivent en effet, selon le principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) dégagé par le Conseil constitutionnel en 200247(*),, s'inscrire dans « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité » ; elles doivent par ailleurs être « prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Si ces règles n'impliquent pas que « les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives », ni d'écarter par principe le prononcé « en cas de nécessité, [...] [de] mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention »48(*), elles supposent l'intervention de professionnels (magistrats et éducateurs) spécialisés, ainsi que le traitement de la plupart des mineurs selon des procédures qui diffèrent de celles qui s'appliquent aux majeurs.

S'agissant des mesures éducatives et des sanctions appliquées en milieu ouvert, les difficultés constatées sont analogues à celles observées par les rapporteures au stade pré-sentenciel (voir supra). Ainsi, les professionnels de la PJJ sont confrontés à de multiples difficultés dans la prise en charge de ces jeunes : problème d'accès et d'adhésion aux soins, lenteur et complexité du système judiciaire, limites de l'accompagnement individuel, embarras, voire malaise, des équipes en charge du suivi du mineur face à la gravité des faits commis, solitude, découragement des professionnels, etc. D'autres difficultés ont été identifiées, telles que le manque de visibilité du parcours de soins et du parcours judiciaire des jeunes, l'insuffisance des échanges entre les professionnels de justice et du soin, le manque de connaissances mutuelles, les résistances en miroir entre les services, et la solitude et parfois le découragement des professionnels.

S'agissant du milieu fermé, les mineurs sont soumis à des dispositions particulières qui tendent à les séparer des majeurs. Il convient, à cet égard, de distinguer deux enjeux : celui de l'incarcération des mineurs - étant souligné que celle-ci reste exceptionnelle et réservée à des infractions particulièrement graves, en raison du principe constitutionnel précité de primauté de l'éducatif sur la sanction en ce qui concerne les délinquants mineurs - et celui de leur placement dans des structures d'enfermement spécifiques que sont les centres éducatifs fermés (CEF) ou renforcés (CER).

Pour ce qui concerne l'incarcération des mineurs, qui concernait (toutes infractions confondues) 732 d'entre eux au 1er janvier 202449(*), le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) dispose que ceux-ci ne peuvent être détenus qu'au sein d'un quartier pour mineurs ou dans un établissement pénitentiaire spécialisé « garantissant l'intervention continue d'un service de la protection judiciaire de la jeunesse » (article L. 124-1). Il précise par ailleurs que ces établissements ou quartiers « garantissent une stricte séparation des détenus mineurs et majeurs » (article L. 124-2).

Selon un arrêté du 27 mai 2021 annexé au code de la justice pénale des mineurs, on dénombre à ce jour 6 établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs et 47 établissements disposant de quartiers pour mineurs50(*). Le taux d'occupation des places correspondantes était, au 1er janvier 2024, de 62 %51(*) en moyenne pour l'ensemble des structures concernées.

Comme le rappelait la Cour des comptes dans un rapport consacré aux CEF et aux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) d'octobre 202352(*), les structures de milieu fermé pour les mineurs reposent sur « un projet ambitieux, consistant à organiser la détention [ou le placement] autour de l'action éducative et à engager d'importants moyens afin de favoriser la réinsertion des mineurs détenus ». Or, ce projet n'est, selon la Cour, plus respecté dans les faits.

S'agissant des EPM, ils doivent en théorie être dotés d'un projet d'établissement visant, entre autres, à permettre une prise en charge pluridisciplinaire des mineurs avec notamment un « binômage » entre administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse. La Cour relève que ces projets font défaut dans cinq EPM sur six. Elle y a également observé une insuffisance du temps consacré aux activités et à la scolarisation, largement inférieur à l'objectif (pourtant modeste) de 20 heures hebdomadaires fixé par une circulaire de 2013.

Plus encore, la Cour a constaté que le profil des surveillants pénitentiaires et des éducateurs de la PJJ affectés au sein des EPM n'était pas toujours « adapté aux missions particulières de ces établissements » : il va de soi que ce constat, qui pose problème pour les mineurs délinquants dans leur ensemble, est particulièrement préoccupant pour les MAICS, dont la prise en charge ne saurait aller sans un surcroît de formation pour l'ensemble des professionnels impliqués.

S'ajoutent à ce constat des difficultés liées à la répartition des mineurs entre les EPM et les quartiers « mineurs » des établissements généralistes (qui accueillent donc aussi des majeurs) : à cet égard, la Cour pointe l'existence d'« importantes différences de moyens et de prise en charge qui distinguent les établissements pour mineurs des quartiers pour mineurs », alors même que rien n'indique que les mineurs concernés présentent des profils différenciés.

En d'autres termes, s'agissant spécifiquement des MAICS incarcérés, il ne semble pas que ceux-ci soient prioritairement orientés vers des EPM, alors même que c'est au sein de ces établissements qu'ils pourraient faire l'objet d'une prise en charge certes imparfaite, mais plus efficace qu'au sein d'un quartier pour mineurs. Plus largement, même pour ceux qui seraient détenus en EPM, rien ne démontre que ces établissements disposent de moyens adaptés pour tenir compte des particularités de la réinsertion des auteurs d'infractions sexuelles, a fortiori mineurs : les rapporteures rappellent à ce titre que, contrairement à ce qui existe pour les majeurs, aucun établissement pour mineurs - quelle qu'en soit la nature - n'est à ce jour « fléché » pour les auteurs d'ICS.

Le constat n'est guère plus satisfaisant dans les CEF. La révélation, respectivement en 2017 et en 2018, de lourds dysfonctionnements par des rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme - qui pointaient l'existence de phénomènes importants de violences - a conduit à la suspension d'activité ou à la fermeture, parfois définitive, de plusieurs structures jusqu'en 2021.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes alerte sur le fait que « ces difficultés répétées [qui] traduisent des défaillances graves dans l'encadrement des mineurs [...] perdurent, amplifiées par une insuffisante structuration des relations avec les partenaires institutionnels ». Outre les difficultés applicables aux mineurs délinquants dans leur ensemble (manque de professionnels qualifiés lié à un déficit d'attractivité des métiers du travail social, avec un recours croissant à l'intérim ; manque de coopération avec les éducateurs de milieu ouvert, y compris pendant la phase - pourtant cruciale - de préparation de la sortie ; articulation défaillante avec l'Éducation nationale, menant à l'isolement des professeurs affectés en CEF et partenariats insuffisants avec les établissements scolaires du secteur...), les rapporteures relèvent que des problèmes substantiels ont été pointés par la Cour s'agissant de la prise en charge des questions sanitaires, particulièrement essentielle pour les MAICS. En effet, selon le rapport précité :

« La prise en charge des questions sanitaires dans les CEF, quand elles dépassent les compétences de l'infirmière de l'équipe, est trop tributaire des arrangements trouvés localement avec les services hospitaliers et les professionnels libéraux de proximité. Contrairement au partenariat avec les forces de sécurité intérieure et l'éducation nationale, la coopération avec les établissements et professionnels de santé n'est pas encadrée par une circulaire. Au ministère chargé de la santé, la direction générale de l'offre de soins est engagée dans une collaboration avec l'administration pénitentiaire, avec l'appui des agences régionales de santé (ARS). Les antennes des hôpitaux qui sont implantés dans les établissements pénitentiaires sont dotées et organisées pour traiter, parallèlement à la patientèle adulte, les mineurs incarcérés qui ont besoin de soins, que les affections dont ils souffrent soient somatiques ou psychiques. Les CEF, en revanche, vu du ministère de la santé et des ARS, se situent dans un angle mort s'expliquant en partie par la petite taille de ces structures. Ni la PJJ ni le secteur associatif ne parvient à formaliser suffisamment son partenariat avec les établissements de santé. Les difficultés d'accès à la pédopsychiatrie, en particulier, alors que les jeunes enfermés dans les CEF sont particulièrement affectés par les troubles psychiques, sont expliquées par la DPJJ en premier lieu par le manque de moyens du secteur, aboutissant à des listes d'attente dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et à l'insuffisance des hôpitaux de jour. Elle constate toutefois une augmentation des collaborations entre les DTPJJ et les ARS. »

Ce constat est d'autant plus inquiétant que les éléments réunis par les rapporteures n'ont pas accrédité l'idée d'une reprise en main du sujet par les ministères compétents à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes : il apparaît ainsi que les défaillances pointées en 2023 n'ont, à ce jour, pas été résolues, ce qui est de nature à susciter de lourdes difficultés pour la gestion des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel en milieu fermé.

Les rapporteures relèvent également que le ministère de la justice n'est pas doté d'un outil statistique permettant d'évaluer la pertinence du recours au milieu fermé, quelle qu'en soit la forme, pour les MAICS. Comme le rappelait Laurence Harribey dans son avis budgétaire sur les crédits de la PJJ au titre du projet de loi de finances pour 202553(*), faute pour le ministère d'être parvenu à déployer le logiciel prévu à cet effet, appelé « PARCOURS », il n'est toujours pas possible d'assurer le suivi statistique des mineurs délinquants, ce qui empêche de recenser les actes pris à leur égard par les acteurs compétents (magistrats, associations du secteur associatif habilité (SAH), éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne leur suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ. Le projet prend aujourd'hui le visage d'un véritable « naufrage », et l'absence de suivi des parcours des mineurs rend impossible l'évaluation de l'efficacité des mesures prises envers les MAICS en termes de prévention de la récidive : cette situation est particulièrement préjudiciable aux mineurs eux-mêmes, mais aussi aux pouvoirs publics qui se trouvent privés d'outils pour déterminer les solutions les plus pertinentes pour éviter que des mineurs déjà condamnés pour des infractions à caractère sexuel ne commettent, à nouveau, des crimes ou des délits de même nature.

4. Hors de la détention : une exécution de la peine qui pâtit d'un manque de moyens et de coordination entre acteurs

Lorsque la peine est exécutée en tout ou partie hors de la détention, plusieurs mesures sont susceptibles de s'appliquer aux AICS, de nature à limiter le risque de récidive :

- mesures de sursis probatoire ou sursis probatoire renforcé (ainsi que d'autres obligations probatoires - de mise à l'épreuve - prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal), suspendant la peine d'emprisonnement à condition que l'auteur respecte les obligations et interdictions fixées par le juge, y compris le cas échéant une obligation de soins ;

aménagement de peine hors établissement pénitentiaire, par le biais d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'un placement à l'extérieur, d'une liberté conditionnelle, ou d'un fractionnement de peine ;

suivi socio-judiciaire, qui constitue le principal dispositif auquel les juges ont recours s'agissant du suivi des AICS à la sortie de détention et qui peut être assorti d'une injonction de soins.

La mise en place d'un suivi socio-judiciaire (SSJ) est décidée par la juridiction de condamnation, dans la majorité des cas à titre de peine complémentaire à une peine d'emprisonnement. Ce suivi prend alors le relais de la détention, dans le but notamment d'éviter les « sorties sèches », de faciliter la réinsertion sociale et de prévenir le risque de récidive.

Part des « sorties sèches » des AICS au sein de la population carcérale totale

Champ

Année

Écroués condamnés libérés au cours de l'année

dont libérés sans aménagement de peine

Part des condamnés libérés sans aménagement de peine (%)

 

Total condamnés libérés

2019

59 512

44 204

74,3 %

 

2020

56 700

38 985

68,8 %

 

2021

51 947

36 646

70,5 %

 

2022

55 582

39 544

71,1 %

 

2023

55 413

34 162

61,6 %

 

dont condamnés AICS libérés

2019

2 424

1 745

72,0 %

 

2020

2 491

1 657

66,5 %

 

2021

2 257

1 518

67,3 %

 

2022

2 304

1 594

69,2 %

 

2023

2 423

1 600

66,0 %

 

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Alors que les « sorties sèches » concernent plus de deux tiers des AICS condamnés libérés, un taux similaire à celui de la population carcérale générale, une meilleure prise en charge des AICS à la sortie de détention est indispensable ; d'autant que, comme ont rappelé aux rapporteures les représentants du syndicat des personnels d'insertion et de probation UFAP-UNSA Justice lors de leur audition du 18 février 2025, le risque de récidive est le plus élevé dans les six premiers mois qui suivent la sortie de détention.

Toutefois, les conditions dans lesquelles se mettent en place les mesures de prise en charge des auteurs à l'issue de leur détention ne permettent pas toujours un suivi approprié des AICS, du fait, d'un manque de moyens et d'un défaut de coordination pluridisciplinaire entre acteurs.

En outre, la pathologisation du traitement des auteurs de violences sexuelles, qui fait essentiellement reposer la prévention de la récidive sur le soin psychiatrique, rencontre des limites et doit, à tout le moins, être complétée par une action sociétale et des mesures visant à la réinsertion socio-professionnelle des auteurs rendue parfois difficile par le profil très particulier de cette population « post-carcérale ».

Enfin, il faut saluer l'émergence, timide mais réelle, de mesures alternatives au soin pour améliorer la prévention de la récidive, telles que le recours aux outils de justice restaurative.

a) Le suivi socio-judiciaire : un dispositif conçu pour les AICS qui souffre d'un manque de moyens, d'un défaut de coordination entre acteurs et d'une relative inadaptation des outils
(1) Le suivi socio-judiciaire et l'injonction de soins, des outils centraux dans la prise en charge des AICS post-détention

Au moment de sa condamnation, l'auteur d'infractions à caractère sexuel peut faire l'objet d'une décision de suivi socio-judiciaire (SSJ) prononcée par la juridiction de jugement, sur la base des articles 131-36-1 et suivants du code pénal.

Ce dispositif, créé par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a été, dès l'origine, conçu comme un outil de prévention de la récidive des AICS. Il emporte des mesures de surveillance et d'assistance et suppose une articulation étroite entre les professionnels de la justice, de la santé et du secteur social.

Ainsi que le soulignait Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur lors de la table ronde organisée par la mission le 5 décembre 2024, « formellement, la question de la prévention de la récidive apparaît après la condamnation, principalement au travers de l'injonction de soins et, plus encore, du suivi socio-judiciaire, qui innerve l'intégralité du parcours carcéral et post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Fruit d'une longue et intéressante recherche de consensus entre les sphères médicale et judiciaire, le suivi socio-judiciaire, introduit dans la loi en 1998, peut éventuellement être assorti d'une injonction de soins, dont la pertinence sera obligatoirement évaluée par un expert psychiatre, contrairement à l'obligation de soins. (...) l'objectif consiste à assurer un suivi post-carcéral, avec l'espoir d'éviter les sorties sèches et de guider les sorties. »

En matière criminelle ou délictuelle, le SSJ est prononcé à titre de peine complémentaire de la peine principale de réclusion, en même temps que la condamnation de l'auteur. Selon les données communiquées aux rapporteures par le ministère de la justice, entre 2019 et 2023, 51 % des condamnations pour viol et 11 % des condamnations pour agression sexuelle ont été assorties d'une peine complémentaire de SSJ. Au total, 20 % des individus condamnés pour viol ou agression sexuelle ont ainsi vu leur condamnation assortie d'un suivi socio-judiciaire.

Selon le ministère de la justice, cette situation s'explique par la nature même du SSJ : la mesure requérant l'intervention d'un nombre important d'acteurs (conseillers d'insertion et de prévention, juge d'application des peines, et médecin coordonnateur en cas d'injonction de soins...) et présentant, de ce fait, une certaine complexité opérationnelle, elle serait privilégiée dans les hypothèses de profils inquiétants ou récidivistes. Pour les autres profils, la pratique paraît être davantage celle du sursis probatoire avec obligation de soins, voire - plus étonnamment - celle du sursis simple lorsque l'infraction est de moindre gravité et que le « positionnement de l'auteur » le permet.

Le SSJ peut également être prononcé à titre de peine principale mais uniquement en matière délictuelle (article 131-36-7 du code pénal). Cela n'a concerné qu'1 % des condamnations pour agression sexuelle entre 2019 et 202354(*).

Le prononcé d'un suivi socio-judiciaire s'applique pour une durée proportionnée à la gravité de l'infraction.

Source : guide de l'injonction de soins du ministère de la santé

Le SSJ a vocation à s'appliquer à compter du jour où la privation de liberté a pris fin, donc à la sortie de détention, pour la durée fixée par la décision de condamnation.

Ce suivi emporte, sauf décision contraire de la juridiction de condamnation, une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi que le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale. Cette expertise doit être réalisée avant tout jugement au fond, le cas échéant dès le stade de l'enquête, dans les affaires de viol et d'agressions sexuelles, et l'expert est alors interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins (article 706-47-1 du code de procédure pénale). 

L'injonction de soins peut également être prononcée, postérieurement à la condamnation, dans le cadre du suivi socio-judiciaire d'une libération conditionnelle, d'une surveillance judiciaire ou d'une surveillance de sûreté.

Ce dispositif de soins pénalement ordonné a été spécifiquement conçu pour les AICS et peut être assorti d'un traitement inhibiteur de libido.

Il ne s'applique qu'à l'issue de la peine privative de liberté lorsqu'une telle peine a été prononcée, le condamné ayant toutefois la possibilité d'entreprendre des soins dès la détention, ce qui peut alors lui permettre d'obtenir alors des réductions de peine.

À sa sortie de détention, le condamné est informé qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement mais que, s'il refuse les soins, l'emprisonnement prononcé dans le cadre du suivi sera mis à exécution ; en outre, il est systématiquement convoqué par le juge de l'application des peines pour rappel des obligations auxquelles il est soumis.

Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre, à titre de mesure de sûreté, un placement sous surveillance électronique mobile (PSEM)55(*). Cependant, selon les données transmises aux rapporteures par le ministère de la justice, entre 2019 et 2023, seuls 53 PSEM ont été prononcés dans le cadre de condamnations pour au moins une infraction sexuelle.

(2) Les limites d'une injonction de soins insuffisamment ciblée : difficultés matérielles d'application et limites conceptuelles
(a) Des limites quantitatives : des injonctions dont la fréquence effective ne peut pas être mesurée à ce jour

Les premières limites des injonctions de soins concernent, comme pour d'autres outils pourtant essentiels à la prévention de la récidive des AICS, l'impossibilité d'en établir une évaluation quantitative fiable.

En effet, les données communiquées aux rapporteures par le ministère de la justice indiquent que 650 à 800 injonctions de soin sont prononcées chaque année en complément à un sursis probatoire ou un suivi socio-judiciaire (les données ne distinguant pas ces deux cas de figure) pour une infraction sexuelle. Ainsi, environ 10 % des AICS condamnés (mais un quart de ceux condamnés pour viol) semblent faire l'objet d'une injonction de soins.

Condamnations, suivis socio-judiciaires et injonctions de soins prononcées à l'encontre d'auteurs de viol ou d'agressions sexuelles en 2023

 

Viol

Agression sexuelle

Total

Suivi socio-judiciaire (à titre de peine principale ou complémentaire)

721

55 % des condamnations

603

11 % des condamnations

1 324

19 % des condamnations

Injonction de soin

339

26 % des condamnations

371

7 % des condamnations

11 % des condamnations

Total des condamnations

1 300

5 399

6 699

Source : calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice

Selon la même source, en 2023, 710 injonctions de soins et 131 injonctions thérapeutiques ont été prononcées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire pour infraction sexuelle, soit 13 % du total des condamnations pour viol ou agressions sexuelles la même année, sans même évoquer les condamnations pour d'autres infractions à caractère sexuel.

Ces chiffres soulèvent deux difficultés.

D'une part, ils sont singulièrement bas et contrastent avec l'état du droit, qui impose, « sauf décision contraire de la juridiction », qu'une telle injonction soit prévue pour toute personne soumise à un suivi socio-judiciaire (article 131-36-4 du code pénal). Ils sont également en contradiction avec les déclarations recueillies par les rapporteures lors de leurs déplacements et auditions sur la systématicité des injonctions de soins pour les AICS ayant commis un viol, une agression sexuelle ou toute autre infraction grave.

Les représentants de l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) ont ainsi estimé, au cours de leur audition par les rapporteures le 12 février 2025, que la loi était très incitative au prononcé de SSJ par les juridictions de condamnation et que la définition du public éligible à l'injonction de soins comme étant « susceptible de recevoir un traitement » était très large. Par conséquent, ils ont appelé à s'interroger sur son caractère trop systématique, d'autant plus que son application concrète est souvent percutée par la réalité des moyens dévolus à la prise en charge sanitaire des auteurs de violences sexuelles.

D'autre part, les renseignements recueillis par les rapporteures permettent d'établir que ces statistiques ne reflètent pas l'intégralité des mesures d'injonction de soins mises en application à l'encontre des AICS. Il apparaît en effet, toujours selon les services du ministère de la justice, que :

la juridiction de jugement peut prononcer un SSJ sans ordonner une injonction de soins pour plusieurs raisons : cette absence peut résulter soit du fait que la mesure n'est pas préconisée par le rapport d'expertise, soit d'une volonté de laisser le juge de l'application des peines prévoir cette injonction s'il l'estime utile, soit - et de manière plus surprenante - d'une analyse tendant à estimer que le prononcé d'une injonction est inutile en raison de l'automaticité prévue par la loi. S'agissant du second point, le ministère indique qu'un certain nombre (dont la proportion n'est pas quantifiée...) de JAP estiment que l'injonction de soins s'applique dès lors qu'elle n'a pas été expressément écartée par la juridiction de jugement, les conduisant à l'intégrer au SSJ au stade de l'exécution de la peine ;

les chiffres transmis n'intègrent pas intégralement les mesures ajoutées en cours d'exécution. Si le JAP a la faculté de mettre en place une injonction de soins en fin de peine, lorsque l'expertise ordonnée en amont de la libération du condamné AICS révèle que la conduite d'un tel traitement est possible, et si cette mise en place est normalement reflétée par les applicatifs du ministère, il n'en reste pas moins que dans certains ressorts, les mesures d'injonctions de soins ajoutées par les JAP ne sont pas enregistrées dans les bases de données de l'administration centrale, que ce soit en raison de la charge de travail pesant sur ces magistrats ou de l'absence d'un médecin coordinateur pour garantir la mise en oeuvre effective des traitements.

En tout état de cause, les rapporteures s'interrogent sur le faible nombre d'injonctions de soins effectivement recensées par les services du ministère comme sur les difficultés que ceux-ci rencontrent dans la mise en place d'un réel suivi des mesures prononcées - sans même évoquer la perspective d'une évaluation, pourtant opportune, de leur efficacité.

(b) Des difficultés d'ordre « matériel »

Les rapporteures ont également pu constater, au cours de leurs travaux, les difficultés matérielles liées à l'application du suivi socio-judiciaire. Si, comme l'a rappelé l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) au cours de son audition le 12 février 2025, les AICS sont rarement réfractaires aux soins, la vraie difficulté réside dans les délais d'attente et la possibilité d'avoir accès à des soignants.

Le bon déroulé de l'injonction de soins à laquelle a été condamné l'auteur à la sortie de sa détention se heurte non seulement au manque de moyens disponibles (manque de médecins et de soignants, manque de structures sanitaires susceptibles de l'accueillir) mais aussi à un défaut de coordination et de communication entre les différents acteurs impliqués dans la mise en oeuvre de son suivi socio-judiciaire, comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission.

La mise en place effective d'une injonction de soins exige d'abord la présence d'un médecin coordonnateur qui joue le rôle d'interface entre l'autorité judiciaire et les soignants du condamné.

Lors de la table ronde avec des représentants de Criavs organisée par la mission le 5 décembre 2024, la docteure Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a rappelé que, « nommé par le juge, le médecin coordonnateur reçoit le dossier pénal et sert d'interface entre la justice et le thérapeute. (...) Il revoit l'auteur une fois par trimestre afin d'évaluer son implication dans les soins et son évolution ; il établit aussi un rapport destiné au service de l'application des peines une fois par an, rapport qu'il transmet également au Spip. Distinct d'un expert, le médecin coordonnateur n'a donc pas vocation à se prononcer sur la dangerosité psychiatrique ou criminologique de l'auteur, il n'est pas non plus thérapeute traitant. »

Or, l'attention des rapporteures a été, à de multiples reprises, attirée sur la pénurie de médecins coordonnateurs susceptibles d'accomplir cette mission. Cette pénurie est aggravée par des règles d'incompatibilité qui interdisent de nommer comme coordinateur le psychiatre qui a réalisé l'expertise du condamné ou celui qui est chargé de ses soins.

Interrogée sur ce point par les rapporteures, la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG) a tenu à souligner « les difficultés à recruter des médecins coordonnateurs et à assurer le suivi psychiatrique, notamment dans le cadre des injonctions de soins. Toutes les juridictions ont les plus grandes difficultés à mobiliser les psychiatres et les services de psychiatrie. C'est un problème majeur qui passe d'abord par une mobilisation de la psychiatrie lorsqu'elle intervient au bénéfice et dans le cadre d'une procédure judiciaire ».

De même, dans sa contribution adressée aux rapporteures, la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaire (CNPTJ) relève que, « pour les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire, le nombre trop peu important de médecins coordonnateurs ne permet pas de tirer tous les avantages des mécanismes de l'injonction de soins. Il s'agit d'un mécanisme où le médecin coordonnateur (...) peut être un véritable levier d'incitation à l'engagement dans les soins et permettre à terme une prise de conscience nécessaire de l'importance des soins mais aussi du questionnement sur les mécanismes personnels en action. En effet, le condamné sait que si le médecin coordonnateur estime insuffisants les soins mis en place, il en avisera le juge d'application des peines qui pourrait mettre à exécution une partie de la peine d'emprisonnement envisagée en cas d'irrespect du suivi socio-judiciaire. »

De fait, l'ANJAP, lors de son audition, a pointé la faible disponibilité des médecins coordonnateurs, précisant que ces derniers ne devraient pas avoir à traiter plus de soixante auteurs condamnés à un SSJ par trimestre (soit vingt entretiens par mois). Dans la mesure où ces médecins continuent, par ailleurs, d'exercer leur activité de psychiatre au quotidien, leur prise en charge spécifique des AICS dans le cadre d'une injonction de soins est de plus en plus complexe.

L'ANJAP a également soulevé les difficultés associées à un éventuel questionnement de la responsabilité du médecin coordonnateur en cas de récidive de l'auteur, peu incitatif à l'exercice de cette mission spécifique par les psychiatres.

Enfin, outre la faible rémunération dont bénéficient ces psychiatres au titre de leur activité de médecins coordonnateurs, l'ANJAP a souligné le vieillissement de la population des médecins coordonnateurs, redoutant qu'arrivant à l'âge de la retraite, ils ne soient tout simplement pas remplacés.

Les conditions de sortie de détention des AICS condamnés à un SSJ assorti d'une injonction de soins s'avèrent donc problématiques dès lors que le vivier de médecins coordonnateurs n'est pas suffisant pour assurer ce suivi.

La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a indiqué aux rapporteures ne pas disposer d'étude menée sur l'efficacité de la peine de suivi socio-judiciaire sur la prévention de la récidive, notamment pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Elle a, en revanche, été alertée à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des peines de suivi socio-judiciaire, en raison des contraintes liées à l'offre de soins, lesquelles relèvent du ministère de la santé et de l'accès aux soins.

Elle a notamment souligné qu'« alors qu'ils sont indispensables au suivi de la peine de suivi socio-judiciaire, les médecins coordonnateurs sont en nombre insuffisant pour les ressorts qui en sont dotés, certains ressorts n'en disposant pas. Au 1er février 2023, 419 postes de médecins coordonnateurs ont été recensés sur les listes établies par les procureurs de la République dont 106 exerçant sur le ressort de plusieurs tribunaux judiciaires, soit un effectif global de médecins d'environ 300. 11 tribunaux judiciaires et 4 cours d'appels n'avaient aucun médecin coordonnateur sur leur ressort, correspondant à 8 départements. »

À cet égard, lors de leur déplacement à Caen, les rapporteures ont été informées par la juge de l'application des peines du tribunal judiciaire que le ressort de Caen ne disposait que d'un seul médecin psychiatre coordonnateur pour 150 suivis socio-judiciaires.

De même, dans une communication transmise aux rapporteures, l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France a souligné le nombre restreint de médecins coordonnateurs inscrits sur les listes, « insuffisant pour permettre aux juges de l'application des peines de désigner sereinement systématiquement des médecins coordonnateurs ». Elle a également regretté le manque d'encadrement de l'exercice de leurs missions ainsi que l'absence de définition d'un référentiel de bonnes pratiques et d'outils communs partagés, destinés à l'ensemble des médecins coordonnateurs.

Outre le rôle du médecin coordonnateur, le bon déroulé du SSJ, et plus particulièrement de la mise en oeuvre de l'injonction de soins, suppose que l'AICS puisse effectivement accéder aux soins thérapeutiques qui lui ont été prescrits. Or, la crise majeure que connaît la psychiatrie en France aujourd'hui ne permet pas d'assurer une prise en charge adéquate des auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Pour Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, intervenant lors de la table ronde précitée réunissant des représentants de Criavs, la pénurie et la faible disponibilité de psychiatres « expliquent que les personnes sortant de prison avec une injonction de soins à la suite d'une condamnation pour viol éprouvent autant de mal à obtenir l'aide d'un professionnel. Nous ne progresserons pas sans soutenir et étoffer notre système de soins psychiatriques. »

De même, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a relevé que « parmi les difficultés à signaler, le système de santé peine à accueillir les personnes souffrant de troubles psychiques puisqu'il faut parfois six mois pour obtenir un rendez-vous, tandis que les listes d'attente sont démesurées. Les CMP [Centres médico-psychologiques] sont, quant à eux, submergés par des personnes souffrant de maladies très aiguës. (...) Les difficultés résident dans l'accès aux soins et dans la mise en place - ou le maintien, parfois - de traitements spécifiques pour une minorité d'auteurs davantage à risque de rechute et de récidive. »

Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, a quant à lui souligné l'existence de différences d'accès aux soins entre régions : « la problématique à l'origine des différences que l'on constate entre les régions tient à ce que, dans certaines d'entre elles, les personnes incitées à suivre des soins ne peuvent guère obtenir autre chose, y compris auprès d'établissements fléchés ou de structures extérieures spécialisées comme les CMP, que la preuve qu'elles sont inscrites sur une liste d'attente. Les pratiques varient selon les régions en fonction des contraintes qui y prévalent. Par endroits, des injonctions de soins interviennent sans médecin coordonnateur faute d'un tel spécialiste. Ailleurs, les Spip et les JAP doivent se satisfaire d'un document qui atteste d'une démarche pour obtenir des soins auprès d'un psychologue ou d'un psychiatre, à défaut de disponibilité de ces professionnels. »

Enfin, l'efficacité de l'injonction de soins trouve également ses limites dans le manque de coordination, pourtant indispensable, entre les différents acteurs concernés par sa mise en oeuvre.

Comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs de la mission, la réussite de l'injonction de soins repose notamment sur le respect de sa logique pluridisciplinaire, gage d'une prise en charge plus solide du risque de récidive.

Lors de la table ronde du 5 décembre 2024, maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, rappelait qu'« un suivi s'intègre dans une logique pluridisciplinaire, comme nous l'enseigne la criminologie : le passage à l'acte criminel ne peut être appréhendé au seul prisme d'un trouble psychiatrique - quel qu'il soit -, mais doit également intégrer des critères d'ordre environnemental. »

Pourtant, selon elle, cette logique pluridisciplinaire fait souvent défaut lors de la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire : « ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association », précisait encore maître Kazanchi.

Or, l'articulation entre les acteurs qui accompagnent les AICS est primordiale pour la réussite du SSJ : il importe que les professionnels de la justice, de l'administration pénitentiaire - au premier rang desquels les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) - et du secteur sanitaire travaillent de concert et avec le même objectif d'un accompagnement cohérent.

L'échange d'informations entre tous ces acteurs constitue une des clés de la réussite du suivi socio-judiciaire des auteurs. Or, la difficulté tient non seulement à leur nombre important (JAP, CPIP, médecin coordonnateur, psychiatre traitant, psychologue traitant) mais aussi au changement de personnes assurant le suivi tout au long de sa durée.

Lors d'une table ronde organisée par les rapporteures le 22 janvier 2025 avec des représentants du ministère de la santé et de la prévention, et de différentes agences régionales de santé, l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a particulièrement insisté sur la nécessité de développer une « culture commune » entre les différents intervenants en détention et hors détention, notamment entre les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les personnels des unités sanitaires en organisant des formations ou événements les regroupant.

La période qui suit la libération pouvant être particulièrement critique pour l'auteur d'infractions à caractère sexuel, des expériences d'équipes mobiles transitionnelles (EMOT) spécifiquement destinées aux AICS ont vu le jour : elles ont vocation à faciliter la continuité des prises en charge dans la période de transition entre le milieu carcéral et le milieu ouvert, et visent à accompagner les individus détenus souffrant de troubles psychiatriques sévères lors de leur libération. D'après l'Association des juges de l'application des peines (ANJAP), entendue par les rapporteures le 12 février 2025, ces expériences sont très concluantes mais limitées sur l'ensemble du territoire. En effet, à ce jour, seules deux initiatives de ce type ont vu le jour : à Lille et à Toulouse.

(c) Les limites « conceptuelles » du dispositif

Outre les limites d'ordre matériel à la bonne mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire, les rapporteures ont également identifié les limites conceptuelles de ce dispositif.

Tout d'abord, elles s'interrogent sur la temporalité du suivi socio-judiciaire : par nature, lorsqu'elle n'est prononcée en lieu et place de l'incarcération dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, l'injonction de soins s'applique à l'auteur longtemps après les faits, souvent après plusieurs années de détention durant lesquelles l'auteur a pu souhaiter ne se soumettre à aucune forme de soins. Cette situation est de nature à remettre en cause l'efficacité de la mesure elle-même, et soulève des interrogations quant à sa pertinence lorsqu'elle est prononcée à l'issue d'une peine privative de liberté.

Par ailleurs, le principe même du caractère théoriquement systématique de l'injonction de soins dans le cadre du SSJ peut être questionné.

Ainsi que le formulait Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des CRIAVS, « le soin ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Il est plus ou moins adapté selon les profils et n'est jamais suffisant pour prévenir la récidive », ajoutant qu'« il faut d'abord, en matière sociétale, rééduquer les esprits et circonscrire les systèmes de domination - de l'adulte sur l'enfant, de l'homme sur la femme, du supérieur hiérarchique sur son subordonné -, ce qui ne relève nullement du soin ». 

Si l'intérêt du soin en matière de prévention de la récidive des auteurs de violences sexuelles ne doit pas globalement être remis en question, il ne saurait constituer l'unique instrument de leur prise en charge ni être uniquement conçu comme du soin psychiatrique car, comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs de la mission, de nombreux AICS ne souffrent pas d'une pathologie psychiatrique.

Or, la pathologisation des violences sexuelles fait reposer la prévention de la récidive en matière d'infractions sexuelles sur le soin. Ce principe est aujourd'hui discuté par différents experts.

De l'avis de Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, entendu lors de la table ronde précitée du 5 décembre 2024, « l'engorgement [des services psychiatriques] est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils ». C'est pourquoi, « le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions ». La systématisation de l'injonction de soins résulte notamment d'un manque « d'outils et de consensus d'experts qui permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, [nous] procédons en quelque sorte au doigt mouillé. »

Lors de la table ronde du 6 février 2025 réunissant experts psychiatres et psychologues, plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que les auteurs d'infractions à caractère sexuel ne relèvent pas tous d'une prise en charge psychiatrique.

Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA), s'est ainsi exprimé : « la dernière question que tout le monde se pose est celle de savoir si tous les auteurs d'infraction à caractère sexuel (AICS) présentent des maladies psychiatriques ou des déviances sexuelles. Absolument pas ! La présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %. Environ la moitié des auteurs ne présente donc aucun trouble. La déficience mentale, surtout en institution, ainsi que les états dépressifs passagers et les conduites addictives peuvent également se retrouver dans le passage à l'acte. »

De même, Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), a relevé que, « concernant les auteurs, assez peu d'entre eux sont atteints de troubles psychiatriques. Dès lors, il ne semble pas totalement pertinent de penser la notion de récidive sous l'angle unique de la psychopathologie ou de la psychiatrie ».

Dès lors, il apparaît nécessaire de réfléchir à une nouvelle architecture de la prévention de la récidive qui ne reposerait pas exclusivement sur le traitement psychiatrique mais privilégierait également d'autres formes de prise en charge, par le relais de psychologues et sans se dispenser d'un accompagnement social et éducatif.

Il apparaît, plus largement, indispensable de s'interroger sur la mise en place d'une véritable évaluation du dispositif de l'injonction de soins dans sa forme actuelle, a fortiori dans un contexte où celle-ci est conçue à ce jour comme un outil majeur de prévention de la récidive des AICS.

En effet, et comme l'a souligné Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France lors de la table ronde du 5 février 2024, « la loi de 1998 n'a jamais fait l'objet d'une véritable évaluation. (...) À ce jour, nous sommes incapables en France de savoir immédiatement combien d'injonctions de soins sont en cours d'exécutionL'absence de données nous met en difficulté et une étude ne suffirait pas ; il faudrait, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, accumuler et conserver les informations, pendant dix ou quinze ans, pour disposer ensuite d'éléments concrets d'appréciation sur les profils des récidivistes et leurs divers déterminants socio-économiques, psychologiques, etc. »

L'absence d'évaluation de l'efficacité des outils déployés par la loi de 1998 en matière de suivi post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel suscite l'interrogation des rapporteures car, ainsi que l'a souligné Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, « le suivi socio-judiciaire a été rendu générique, tout comme l'injonction de soins. (...) Cette injonction de soins est pourtant lourde puisqu'elle nécessite, à la différence de l'obligation de soins, un médecin coordonnateur, alors que nous connaissons bien la pénurie qui affecte cette professionLorsque seulement deux ou trois médecins sont présents pour toute une région, il est difficile d'expliquer que ce soin et ce suivi post-carcéral peuvent être efficaces. »

(3) Outre le soin, les autres facteurs décisifs du processus de désistance post-détention

Faire du soin psychiatrique la pierre angulaire du traitement préventif de la récidive des AICS peut mener à une impasse si les autres facteurs susceptibles de favoriser la récidive, notamment ceux en lien avec l'environnement social de l'auteur, ne sont pas pris en compte, d'autant plus que cette population présente des spécificités de nature à freiner le processus de désistance, qui correspond à l'abandon de comportements délinquants et à l'orientation vers la réinsertion sociale.

Comme l'a indiqué à la mission Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, le processus de désistance est « le processus de sortie des parcours de délinquance - en l'occurrence d'agressions sexuelles - qui permet d'éviter la récidive, ce qui conduit à mettre en évidence les facteurs protecteurs davantage que les facteurs de risque. Les études internationales sont claires : le soin y contribue dans une certaine mesure, mais l'hébergement, le travail ou le réseau social jouent également. » Selon elle, « toutes les études montrent que, pour diminuer le risque de récidive, il est essentiel de prévoir des aménagements de peines et d'éviter à tout prix les sorties sèches de prison. Les facteurs sociaux - hébergement, emploi, réseau social - comptent encore plus que les soins pour protéger du risque de récidive. Or, beaucoup de patients sortent encore après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale... Dans ces conditions, il n'est pas possible pour eux de poursuivre les soins. »

Les AICS sortant de détention présentent un profil à part au sein de la population post-carcérale avec les principales caractéristiques suivantes :

- une moyenne d'âge plus élevée que le reste de la population carcérale, si bien qu'à la sortie de détention les AICS, souvent condamnés à de longues peines de réclusion (dix ans ou plus), sont déjà âgés, dans l'incapacité de se réinsérer professionnellement et parfois même en situation de dépendance ;

- un délitement des liens familiaux et sociaux au fil des années : à la sortie de détention, les AICS se retrouvent souvent sans attache ni lien familial ou amical. La rupture des liens familiaux et sociaux complique le processus de désistance et la réinsertion post-carcérale ;

- un accès à l'hébergement et au logement à la sortie de détention très difficile dans un contexte global extrêmement tendu en matière d'hébergement d'urgence et de logement social ;

- une insertion professionnelle hypothéquée par toutes les caractéristiques précédemment évoquées ;

- et, par conséquent, une paupérisation accrue de cette population.

Ces différentes spécificités des AICS doivent être prises en considération au moment de la préparation de leur sortie de détention afin d'anticiper le plus possible la récidive.

Lors de leur déplacement à Caen le 31 janvier 2025, les rapporteures ont pu constater ces particularités au travers de leurs échanges avec le personnel du centre pénitentiaire de Caen ainsi qu'avec les différents acteurs locaux dédiés à la prise en charge des AICS.

Il leur a ainsi été indiqué que la construction de projets professionnels avec cette population vieillissante n'était, par nature, pas à l'ordre du jour et que la construction de projets sans dimension professionnelle mais permettant tout de même une réinsertion post-carcérale devait être poursuivie.

Elles ont également pu constater au cours de leurs échanges avec le personnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) que, non seulement la moyenne d'âge des détenus du centre pénitentiaire de Caen, composé à 80 % d'AICS, était plus élevée que le reste de la population carcérale, avec un quart de détenus de plus de 60 ans, mais aussi qu'elle souffrait d'un phénomène de vieillissement précoce. Or, il a été indiqué aux rapporteures que l'orientation de ce public vers des résidences seniors ou des EHPAD à la sortie de la détention se révèle quasiment impossible car ce profil judiciaire effraie les responsables de ces structures.

Pour cette population, le premier levier d'insertion est incontestablement celui du lieu de vie post-détention (hébergement ou logement). Cependant, dans un contexte général très tendu en matière d'hébergement d'urgence et d'accès au logement, il est d'autant plus difficile de trouver des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) voire en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) pour les AICS les plus âgés dont un certain nombre est grabataire.

Dans le département du Calvados par exemple, la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) a indiqué aux rapporteures qu'un seul CHRS de 30 places sur tout le département était en mesure d'accueillir des hommes seuls et que, malgré une diversification des offres d'hébergement (résidences sociales, intermédiations locatives, etc.), il demeurait extrêmement difficile de trouver un lieu d'hébergement aux AICS sortant de prison en raison de leur profil très particulier.

Lorsque l'accès à l'hébergement ou au logement s'avère impossible, le suivi socio-judiciaire de l'AICS est lui-même fortement compromis. Ainsi que le soulignait devant la mission Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France : « des obligations ou des injonctions de soins décidées pour des personnes qui dorment dans la rue n'ont guère de sens, et j'estime qu'il faut arrêter de prendre ce type de décisions. Étant moi-même médecin coordonnateur, j'estime qu'environ 15 % des personnes que je suis ne viennent pas me voir car elles ne disposent ni de téléphone ni d'adresse fixe. »

C'est pourquoi les rapporteures estiment qu'une attention particulière doit être portée aux facteurs de désistance autres que le soin psychiatrique ; au premier rang desquels l'insertion sociale, l'accès à un hébergement et la lutte contre les addictions, qui constituent autant de moyens complémentaires de prévenir la récidive.

(4) Des mesures spécifiques aux MAICS 

S'agissant plus spécifiquement du public des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS), le rapport de recherche de Marie Romero56(*) sur la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), publié en octobre 2022, indique que les MAICS font rarement l'objet de peines de suivi socio-judiciaire (5% des mineurs condamnés, surtout en cas de viol).

En outre, le rapport de recherche note que rares sont les services de santé spécialisés dans la prise en charge des MAICS : les structures médicales sont en effet saturées et parfois réticentes à l'accueil de cette population de mineurs. Ces mineurs ont beaucoup de mal à aller vers le soin et à y adhérer. Les professionnels éprouvent des difficultés pour engager des mineurs auteurs dans une démarche de soins contraints sans qu'ils n'y adhèrent.

Des dispositifs de prise en charge dédiée aux MAICS existent pourtant et permettent :

- de proposer un référentiel commun d'intervention aux professionnels ;

- d'assurer un cadre cohérent aux mineurs.

Il existe ainsi quatre types de dispositifs spécifiques de prise en charge des MAICS : des dispositifs de soins (prise en charge thérapeutique individuelle, groupale, familiale) ; des dispositifs de prise en charge dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse ; des dispositifs de psychoéducation ; des dispositifs de justice restaurative.

Source : synthèse du rapport de recherche de Marie Romero sur la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse (octobre 2022)

D'après les éléments fournis aux rapporteures par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 20 à 25 % des condamnations de mineurs pour viol s'accompagnent du prononcé d'un SSJ à titre de peine complémentaire. En outre, moins de 4 % des condamnations de mineurs pour agression sexuelle donnent lieu au prononcé d'un SSJ au titre de peine principale ou de peine complémentaire. En revanche, aucune donnée n'est disponible sur les obligations et injonctions de soins.

Nombre et nature des SSJ prononcés à l'égard de MAICS en fonction du type de condamnation

 

SSJ prononcés
en peine principale

SSJ prononcés
en peine complémentaire

2021

   

sur 407 condamnations pour viol concernant 396 mineurs

moins de 5

86

sur 1 408 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 391 mineurs

15

18

2022

   

sur 282 condamnations pour viol concernant 276 mineurs

aucun

61

sur 1 134 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 118 mineurs

15

19

2023

   

sur 271 condamnations pour viol concernant 264 mineurs

moins de 5

68

sur 1 151 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 130 mineurs

15

23

Source : direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) - Ministère de la justice

La DPJJ souligne que le suivi des MAICS peut s'avérer difficile. La désertification médicale, les difficultés d'accès aux soins en pédopsychiatrie impactent fortement la prise en charge éducative. Ce constat est partagé par la direction générale de la santé : la démographie médicale est mise à mal au moins pour la prochaine décennie, et des solutions innovantes et créatives partenariales doivent se construire au regard des ressources territoriales.

La prise en charge des MAICS peut se faire auprès de centres médico-psychologiques (CMP) spécialisés. Certains centres de santé sexuelle de conseils départementaux, mais très à la marge, s'autorisent à les prendre en charge.

b) L'enjeu de l'exécution des autres peines complémentaires

Outre l'injonction de soins prononcée dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, d'autres types de peines complémentaires peuvent être prononcés par le juge pénal à l'encontre des auteurs d'infractions à caractère sexuel.

C'est le cas notamment de la peine complémentaire de restriction professionnelle des condamnés assortie d'une interdiction de tout contact avec des mineurs, ou encore de l'interdiction du territoire français assortie d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à la sortie de la détention. Ces peines complémentaires visent notamment à limiter le risque de récidive des auteurs condamnés.

Toutefois, l'exécution de ces peines complémentaires prononcées à l'encontre des auteurs d'infractions à caractère sexuel peut souffrir de dysfonctionnements en raison du lien insuffisant entre la sphère pénale et les autres acteurs impliqués dans l'exécution de la peine. La mission estime donc nécessaire d'améliorer ce lien et la communication entre le juge et les entités concernées par l'exécution de la peine.

S'agissant de l'interdiction de contact avec les mineurs et des mesures de restriction professionnelle afférentes, elles découlent notamment de l'inscription des individus condamnés pour infractions sexuelles au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv).

Le nombre d'inscrits au Fijaisv est important et en augmentation régulière : il présentait un total d'environ 80 000 inscrits au 31 décembre 2018 contre plus de 111 000 inscrits au 30 septembre 2024.

L'inscription au Fijaisv des AICS relève d'une logique de « limitation de l'opportunité criminelle », ainsi que l'a formulé Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, lors de son audition par les rapporteures le 11 décembre 2024. Or, la question du contrôle du respect de cette interdiction se pose avec acuité surtout lorsque la communication entre la sphère pénale et le reste des administrations concernées par l'exécution de la peine complémentaire est défaillante.

Interrogée sur ce point par les rapporteures, la direction des affaires criminelles et des grâces a apporté la réponse suivante : « si l'une des finalités du FIJAISV est, en effet, la prévention du renouvellement des infractions de l'article 706-47 du code de procédure pénale, son utilité concrète dans ce domaine passe par l'accessibilité des administrations à l'ensemble des données du fichier, dès lors qu'elles doivent intervenir dans une activité au contact des mineurs. L'objectif ainsi recherché est d'éviter que des auteurs des infractions de l'article 706-47 ne se retrouvent, grâce à leur position professionnelle ou sociale, en situation de commettre des faits similaires sur des mineurs. Récemment, la loi a étendu le périmètre de cette prévention administrative du renouvellement de ces infractions à certaines activités concernant des majeurs en situation de vulnérabilité. S'il est impossible de déterminer dans quelle mesure ces consultations administratives ont pu prévenir la commission de tels actes sur les mineurs, l'on peut constater néanmoins qu'entre 2021 et 2024 le nombre des consultations du FIJAISV a très fortement progressé, passant de 3.000.000 environ à plus de 6.400.000. Ce qui paraît attester sans ambiguïté et de la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés et de la parfaite prise de conscience de l'importance de ces vérifications. »

Dans ses travaux récents sur la proposition de loi57(*) présentée par Marie Mercier, déposée au Sénat le 11 septembre 2024, tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, la commission des lois a reconnu que ce fichier constituait un outil essentiel à la prévention des crimes et délits les plus graves, à l'identification des auteurs des infractions commises ainsi qu'à la mise en oeuvre des mesures de sûreté pouvant être imposées aux personnes condamnées ou mises en cause pour les mêmes faits.

Souscrivant au constat posé par la proposition de loi sur les lacunes du droit en vigueur privant ce fichier d'une partie de son efficacité, la commission a souhaité en conforter les dispositifs et garantir leur pleine applicabilité opérationnelle. Adoptée en première lecture par le Sénat le 5 novembre 2024, la proposition de loi prévoit ainsi d'améliorer l'efficacité du Fijaisv et du Fijait (pour les auteurs d'infractions terroristes) et de faciliter l'accès, par certaines entités publiques ou privées, aux données qu'ils contiennent.

Les principales dispositions de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, adoptée en première lecture par le Sénat

La proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat le 5 novembre 2024 :

prévoit l'information de l'autorité académique et du chef d'établissement en cas de mise en examen ou de condamnation pour une infraction terroriste d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans ledit établissement ;

impose à l'officier d'état civil de saisir le procureur de la République lorsqu'une personne demande un changement de prénom ou de nom alors qu'elle a été condamnée pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour une infraction sexuelle ou violente grave, ou alors qu'elle est inscrite au Fijaisv ou au Fijait, afin que le magistrat puisse s'y opposer si ce changement est susceptible de constituer une menace pour l'ordre public ;

- oblige les personnes inscrites au Fijaisv et au Fijait à déclarer tout changement de prénom ou de nom ;

- impose aux inscrits au Fijaisv, sur décision expresse de la juridiction de jugement et en cas de particulière dangerosité, de déclarer leurs déplacements à l'étranger ;

étend au délit d'incitation d'un mineur à commettre un acte de nature sexuelle et au délit d'extorsion d'images pédopornographiques la liste des infractions susceptibles d'entraîner l'inscription au Fijaisv ;

interdit aux personnes condamnées pour des faits graves ou inscrites au Fijaisv ou au Fijait d'exercer dans le secteur du transport public des mineurs ou des majeurs vulnérables ;

étend le mécanisme de condamnation obligatoire à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact habituel des mineurs à plusieurs infractions (les meurtres, assassinats et actes de torture et de barbarie, la réduction en esclavage et l'enlèvement-séquestration, le proxénétisme et la traite des êtres humains) et met en place une interdiction de droit d'exercer une activité auprès des mineurs, pour une durée de dix ans, en cas de condamnation pour incitation des mineurs à commettre une infraction ou à se mettre en danger ;

- punit de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende la violation ou la simple tentative de violation d'une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, y compris pour les faits commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement en France ;

prévoit des procédures rappelant aux associations et aux employeurs qu'ils peuvent se voir communiquer le bulletin n° 3 du casier judiciaire des personnes appelées à participer à leurs activités, des candidats à l'embauche et de leurs salariés (le bulletin n° 3 faisant notamment apparaître les interdictions d'exercice d'une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs) ;

- autorise l'employeur, dans le cas où une interdiction de contact avec des mineurs interviendrait au cours de l'exécution d'un contrat de travail et en cas d'incompatibilité directe entre l'emploi occupé et cette interdiction, à licencier la personne qui n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions ;

impose aux plateformes qui mettent en relation des particuliers pour des services de garde d'enfants ou d'assistance aux personnes vulnérables, sous peine d'amende administrative et de coupure d'accès, d'informer les employeurs de leur faculté d'obtenir le bulletin n° 3 du casier judiciaire de leurs salariés.

S'agissant de l'interdiction de séjourner sur le territoire français, les rapporteures ont également constaté au cours de leurs travaux, et notamment lors de leur déplacement dans l'Yonne au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville, le 28 novembre 2024, l'absence de fluidité entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des auteurs d'infractions sexuelles en dehors de la détention.

En effet, l'articulation et la continuité de la communication entre l'ensemble des acteurs engagés dans le suivi des AICS sont d'autant plus cruciales lorsque ces derniers sont des étrangers qui, à la sortie de détention, font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et, dans l'attente de ce renvoi forcé, d'un placement en centre de rétention administrative (CRA).

Les rapporteures ont ainsi été informées par le service pénitentiaire de l'insertion et de la probation (SPIP) au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville de la difficulté à continuer le suivi en centre médico-psychologique (CMP) d'un étranger placé en CRA dans la mesure où les CPIP ne sont pas informés du lieu de rétention administrative. Or, il apparaît nécessaire qu'un lien entre le SPIP et l'AICS étranger placé en CRA, dans l'attente de l'exécution de son OQTF, devait pouvoir être maintenu après le départ de l'auteur du centre pénitentiaire.

c) Des outils innovants mais insuffisamment développés tels ceux de la justice restaurative

De l'avis de nombreux interlocuteurs de la mission, certains outils innovants pouvant contribuer à prévenir la récidive de certains délinquants sexuels sont encore insuffisamment développés, que ce soit en détention ou hors de la détention.

C'est le cas notamment des mesures de justice restaurative qui, bien que présentant des résultats souvent probants lorsqu'elles sont mobilisées dans des affaires de violences sexuelles, demeurent utilisées de façon marginale en pratique.

C'est la loi58(*) du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales qui a introduit dans le code de procédure pénale (CPP) les dispositions législatives relatives aux mesures de justice restaurative.

Ainsi, l'article 10-1 du CPP dispose qu'« à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en oeuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »

L'article 10-2 du CPP prévoit, quant à lui, que « les officiers et les agents de police judiciaire ou, sous leur contrôle, les assistants d'enquête informent par tout moyen les victimes de leur droit (...) d'obtenir la réparation de leur préjudice, par l'indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s'il y a lieu, une mesure de justice restaurative ».

Les mesures de justice restaurative peuvent donc intervenir, pour les AICS majeurs comme mineurs, à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, du moment que les faits ont été reconnus par l'auteur et que la victime, qui a été préalablement informée de ce droit à réparation via la justice restaurative par les officiers et agents de police judiciaire, a accepté d'y recourir.

Ces mesures peuvent revêtir deux formes principales :

- soit des mesures en groupe mettant en présence des personnes (victimes et auteurs) non corrélées par les faits mais ayant subi ou commis le même type d'infraction pénale ;

- soit des mesures de médiation restaurative mettant en présence des personnes (victimes et auteurs) corrélées par les faits.

Popularisées grâce au film Je verrai toujours vos visages59(*), sorti en France en mars 2023, les mesures de justice ou de médiation restaurative sont certes aujourd'hui plus répandues que lors de leur introduction dans le code de procédure pénale il y a dix ans en raison d'une demande accrue, mais le recours à ces mesures demeure encore très marginal, notamment en matière de viols et d'agressions sexuelles. Les demandes émanent aussi bien des victimes que des auteurs.

Interrogée par la mission sur l'efficacité des outils de justice restaurative introduits par la loi précitée du 15 août 2014, Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, a ainsi indiqué : « nous savons qu'ils donnent des résultats probants. Ils demeurent cependant marginaux en pratique et il conviendrait de les soutenir ».

L'Institut français pour la justice restaurative (IFJR), créé en 2013, a notamment pour mission de promouvoir la justice restaurative à travers des actions de sensibilisation, d'apporter une aide au développement d'offres de justice restaurative locale, de former professionnels et bénévoles à la justice restaurative et de participer à la mise en oeuvre opérationnelle des mesures de justice restaurative en proposant une supervision technique et en assurant directement l'animation de médiations restauratives.

L'IFJR a notamment mis en place divers partenariats de nature à promouvoir les mesures de justice restaurative, avec le ministère de la justice, les associations d'aide aux victimes, et, s'agissant plus spécifiquement de la formation, avec les écoles de formation des magistrats (ENM), des personnels pénitentiaires (ENAP) et des personnels de la PJJ (ENPJJ).

Lors de son audition par les rapporteures le 12 février 2025, l'IFJR a noté une montée en puissance du recours à la justice restaurative depuis trois ou quatre ans et fourni le nombre de mesures de justice restaurative en cours de mise en oeuvre et terminées depuis 2018.

Source : IFJR

L'IFJR a constaté un doublement en six mois du nombre total de participants aux mesures de justice restaurative, passant de quelque 150 participants fin 2023 à près de 330 participants fin juin 2024, dont 144 victimes et 184 auteurs, au total.

Source : IFJR

En outre, l'IFJR a indiqué à la mission que plus de 60 % des mesures de justice restaurative, en cours au 30 juin 2024, étaient relatives aux infractions à caractère sexuel. Parmi elles, trois quarts (soit 45 % du total des mesures) correspondaient à des faits de violences sexuelles hors inceste.

Source : IFJR

L'IFJR note également que plusieurs programmes et services font état de listes d'attente pour l'accès aux mesures de justice restaurative : au 30 juin 2024, 398 personnes étaient enregistrées sur liste d'attente parfois depuis une année.

Interrogée par les rapporteures sur la mise en oeuvre des mesures de justice restaurative, Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, a toutefois relativisé l'impact des mesures de justice restaurative dans le domaine des infractions sexuelles, estimant que « ces outils sont encore assez peu utilisés en matière de violences sexuelles. Il faut un profil type d'auteur et de victime d'infractions. On teste ce type de mesure plutôt sur un autre contentieux que celui des violences sexuelles. » Elle a également estimé que ces mesures n'étaient mises en oeuvre que de manière localisée avec peu d'expériences de justice restaurative à grande échelle au niveau national.

De même, Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Créteil, représentant la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), a estimé que, si la justice restaurative présente un réel intérêt dans le cadre de certaines procédures, elle ne peut concerner qu'un faible nombre de cas qui ne couvre à l'évidence pas le phénomène massif des violences sexuelles. Il s'agit par ailleurs de ne pas créer de violences supplémentaires pour la victime, appelées « victimisation secondaire », ce qui nécessite de manier ces mesures avec précaution et de n'y recourir que lorsque toutes les conditions sont propices à leur réussite du point de vue de la victime.

Interrogé par les rapporteures sur l'efficacité des mesures de justice restaurative en matière de prévention de la récidive des violences sexuelles, l'IFJR a indiqué ne disposer « ni du recul nécessaire ni des moyens appropriés pour présenter des données chiffrées. Nous appelons la recherche française à se pencher sur la question et notamment en produisant des recherches basées sur un suivi longitudinal de cohorte, avec groupe de contrôle à profil identique. Par ailleurs, la confidentialité des mesures empêche des recherches basiques sur casier judiciaire ».

Toutefois, certaines données disponibles à l'étranger, notamment les travaux de la chercheuse australienne Kathleen Daly sur les effets de la « justice réparatrice dans les cas de violences sexuelles », « mettent en évidence des taux de récidive de 48 % chez les auteurs de violences sexuelles ayant pris part à un processus de justice restaurative contre 66 % chez les auteurs qui ont été jugés sans avoir recouru à la justice restaurative. Concernant les jeunes, une autre recherche de Kathleen Daly montre que s'il peut y avoir de la recondamnation chez les jeunes (54 % des jeunes recondamnés, mais pour des faits non sexuels), il y a peu de récidives (9 %), en particulier si les démarches de justice restaurative sont associées à d'autres types d'accompagnements psychologiques et sociaux ».

Les critères de réussite des mesures de justice restaurative, notamment en cas d'infractions à caractère sexuel, sont nombreux et déterminants :

- dans un processus de médiation restaurative, qui représente l'essentiel de la pratique aujourd'hui d'après l'IFJR, la capacité d'un AICS à prendre part à une mesure de justice restaurative, au-delà des critères légaux (consentement, reconnaissance des faits), est déterminée par sa capacité à en retirer des bénéfices personnels et à ne pas occasionner une victimisation secondaire chez la personne victime (notamment en niant les faits). Mais elle est aussi dépendante de la capacité de la victime à lui faire face, à en retirer des bénéfices personnels, et à la compatibilité de leurs attentes entre elles et in fine de la cohérence de ces attentes à l'égard du programme ;

- une réelle articulation entre les autorités judiciaires et les programmes de justice restaurative, qui fait pourtant souvent défaut : l'exclusion des violences sexuelles des conventions de partenariat, à la demande des autorités judiciaires, réduit le périmètre de la justice restaurative alors même que la loi de 2014 n'a exclu aucune infraction ;

- un renforcement de la formation des magistrats qui orientent rarement vers des mesures de justice restaurative tant de manière générale qu'en matière de violences sexuelles ;

- une information générale, dès le départ et à tous les stades de la procédure judiciaire (enquête, instruction et procès), des victimes quant à la possibilité de faire valoir leur droit à la justice restaurative.

Lors de son déplacement à Caen le 31 janvier 2025, la mission a pu échanger avec une juge d'application des peines au sujet de la mise en oeuvre de mesures de justice restaurative : elle a indiqué que des expériences de justice restaurative commençaient à se mettre en place à Caen et qu'elle était très favorable à cette expérimentation qui présentait un intérêt indéniable. Elle a souligné que les auteurs participant à ces mesures parvenaient à se rendre compte de la souffrance qu'ils avaient infligée à leur victime, qu'ils pouvaient entendre la parole soit de leur victime, soit d'autres victimes ayant subi la même infraction pénale. Elle a également souligné l'existence de groupes de parole collectifs entre auteurs présentant un intérêt certain en matière de lutte contre la récidive.

De même, l'IFJR a indiqué aux rapporteures qu'« en matière de récidive, (...) dans le spectre de la justice restaurative (même s'il ne peut être qualifié de mesure de justice au sens de l'article 10-1 du code de procédure pénale), les cercles de soutien et de responsabilisation (CSR) sont généralement illustrés comme présentant des résultats exceptionnels. »

Toutefois, certains interlocuteurs de la mission ont pu mettre en doute l'utilité de tels groupes de parole collectifs. C'est le cas notamment de maître Isabelle Steyer, avocate pénaliste et membre du collectif Action Juridique Féministe, qui a déclaré lors de son audition par la mission le 17 décembre 2024 : « en ce qui concerne les groupes de parole d'hommes violents, nous manquons de recul sur l'efficacité de ces dispositifs. Il est très à la mode de distribuer ce type de sanction. Pour ma part, je suis intervenue dans de tels groupes, mais je n'en ai pas vraiment perçu l'utilité, si ce n'est de rassurer le juge. En effet, ce dernier apporte ainsi une réponse judiciaire, mais il convient de s'interroger sur la valeur de cette réponse. »


* 42 Calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice.

* 43 Article 763-7 du code de procédure pénale.

* 44 Article 717-1 du code de procédure pénale.

* 45 Circulaire SPIP/SIAO du 13 mai 2016.

* 46 Prévue par l'article 11 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 47  Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi d'orientation et de programmation pour la justice ».

* 48 Décision précitée.

* 49 Selon les statistiques publiées par le ministère de la justice.

* 50 S'y ajoutent sept unités affectées à la prise en charge des jeunes filles mineures.

* 51 Statistiques précitées.

* 52  Observations définitives sur « Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs », rendues publiques le 16 octobre 2023.

* 53  Rapport n° 150 (2024-2025) de Laurence Harribey, fait au nom de la commission des lois.

* 54 Ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique du casier judiciaire national des personnes physiques (données à septembre 2024).

* 55 Articles 131-36-9 et suivants du code pénal

* 56 Chargée de mission au service de l'évaluation, de la recherche et du contrôle (SERC) de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), en partenariat avec la Fédération française des Criavs.

* 57  Rapport n° 98 (2024-2025) de Muriel Jourda.

Voir le dossier législatif en ligne de la proposition de loi de Marie Mercier et plusieurs de ses collègues : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-756.html

* 58 Loi n° 2014-896.

* 59 Film français, écrit et réalisé par Jeanne Herry, sorti le 29 mars 2023.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page