B. ÉVALUER ET ACCOMPAGNER EN AMONT DU JUGEMENT

1. Pour les volontaires, entamer une prise en charge en amont du jugement

La mission est amplement revenue sur les limites de la prise en charge pré-sentencielle des AICS : bien que les individus jouissent, en amont du jugement, de la présomption d'innocence et ne puissent à ce titre être contraints de s'inscrire dans un parcours de soins, il est regrettable que cette période souvent longue ne soit pas employée à des fins de travail de l'individu sur les faits ainsi que sur lui-même.

Aussi, les rapporteures sont convaincues de la nécessité de développer le recours à une prise en charge psychologique ou psychiatrique dès le renvoi devant une juridiction, notamment car il permettrait de ne pas retarder une prise en charge parfois bien acceptée par les auteurs, ainsi que de faciliter l'acceptation de la peine et créer une continuité entre les soins pré-sentenciels et le suivi effectué en milieu carcéral.

Il est néanmoins entendu que ce type de mesure ne pourrait être envisagé que sous réserve de certaines conditions :

la pleine reconnaissance des faits par l'individu ainsi que son consentement aux soins. Cette prise en charge n'aurait en effet pas vocation à se substituer à l'obligation de soins (qui, elle, n'a pas vocation à traiter de la réalité des faits commis mais davantage à prendre en charge en urgence des pathologies ou des situations de dépendance déjà identifiées), et constituerait dès lors un point de départ pour l'AICS dans sa réflexion sur les faits et ses éventuels besoins de suivi psychologique ou psychiatrique ;

le respect intégral du secret médical : afin de garantir l'efficacité du dispositif, il conviendrait d'assurer au patient que cette prise en charge ne sera aucunement susceptible d'interférer avec la procédure juridique en cours. Aussi, l'engagement dans ce dispositif de suivi devrait, sur le même modèle que le recours à des mesures de justice restaurative, être protégé par le secret et n'apporter aucun bénéfice ni aucun préjudice au parcours judiciaire de l'individu.

Recommandation n° 2 : Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical.

De la même manière, les rapporteures ont constaté que les mesures de justice restaurative n'étaient que très peu mises en oeuvre au stade pré-sentenciel, bien que les principales associations portant ces dispositifs ainsi que le ministère n'aient pas pu lui transmettre de données exactes en la matière.

Il semblerait en effet que ces dispositifs soient davantage proposés aux victimes et aux auteurs une fois la peine prononcée, ce qui s'explique notamment par la nécessité pour les parties prenantes de disposer d'un certain recul sur les faits afin d'être prêtes à s'engager dans un dialogue sur les évènements.

Pour autant, le code de procédure pénale, en son article 10-1, précise que les mesures de justice restaurative peuvent être proposées « à tous les stades de la procédure », y compris en amont du jugement, si les conditions requises sont réunies (consentement des deux parties à participer au dispositif, reconnaissance pleine et entière des faits par l'infracteur).

Ces séquences de médiation peuvent être particulièrement appropriées à la phase pré-sentencielle à plusieurs égards :

- elles peuvent, tout d'abord, constituer un lieu d'expression pour les victimes, permettant de compenser les écueils inévitables que suppose un procès pénal en la matière, sans aucunement se substituer à celui-ci. De plus, elles sont parfois le seul cadre dans lequel la victime sera pleinement en mesure de prendre la parole, notamment lorsque la plainte est classée sans suite ou en cas de prescription des faits ;

- les mesures de justice restaurative peuvent également contribuer à la prise de conscience des faits et de ses conséquences par l'auteur, et constituer un point de départ déterminant pour l'engagement dans un parcours de soin. La participation à ces échanges peut en outre faciliter l'acceptation de la peine et de la prise en charge en milieu carcéral.

Il est entendu ici que les principes de confidentialité (conduisant à une non-inscription au dossier pénal) et d'absence de contrepartie procédurale (pas de réduction de peine, pas d'aménagement du fait d'une participation à une mesure de justice restaurative) sont appliqués de la même manière en phase pré-sentencielle, de sorte que l'engagement d'un mis en cause dans un dispositif de justice restaurative n'est aucunement susceptible d'interférer avec le déroulement de la procédure judiciaire et ne peut, à cet égard, faire l'objet d'une « instrumentalisation » par le mis en cause qui souhaiterait obtenir un jugement plus clément.

Les rapporteures regrettent le manque d'information des personnes susceptibles de recourir à ces dispositifs, notamment au stade pré-sentenciel. En effet, comme souligné par les représentants de l'Institut français de justice restaurative, « en matière d'information sur la possibilité de l'exercice d'un droit, en particulier en justice restaurative, trop tôt vaut mieux que trop tard. » La mission appelle dès lors à une meilleure information de la possibilité d'avoir recours à des mesures de justice restaurative en amont du jugement.

Il convient également que ce droit à l'information soit accompagné d'une exécution effective de la mesure lorsque celle-ci est initiée : en effet, en raison du manque de personnels formés à la conduite de mesures de justice restaurative, la mise en place des dispositifs est parfois soumise à des délais trop importants pouvant se prolonger au-delà de la procédure judiciaire, ce qui complique le suivi du dispositif. Les représentants de l'IFJR soulignent à cet égard que, « faute de moyens et de temps dédiés pour les professionnels, les listes d'attente s'allongent et les délais aussi. Ils sont très néfastes à la poursuite de la démarche des personnes et conduisent à des désistements ». Sur la base de ces constats, les rapporteures s'accordent unanimement sur la nécessité de poursuivre le travail de formation et de structuration de l'offre de médiation restaurative.

Recommandation n° 3 : Tirer davantage profit des dispositions du code de procédure pénale qui permettent le recours à la justice restaurative à tous les stades de la procédure lorsque les mis en cause reconnaissent les faits.

2. Renforcer l'évaluation du risque de récidive en amont du jugement
a) Recentrer les expertises psychiatriques obligatoires sur les profils les plus à risques

Dans le contexte, amplement décrit au cours des auditions de la mission, de pénurie d'experts psychiatres, les rapporteures se sont interrogées sur le périmètre de l'expertise obligatoire et, plus largement, sur les critères de recours aux expertises médicales en amont des procès pour des infractions à caractère sexuel.

Comme on l'a rappelé, il est actuellement impossible de quantifier le total des expertises obligatoires diligentées sur le fondement de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale et, a fortiori, de déterminer à quelle infraction elles se rattachent précisément. Hors du champ de ces expertises obligatoires, le nombre des expertises conduites à l'égard des victimes d'infractions sexuelles est, lui aussi, inconnu.

Ce flou nuit à l'évaluation des règles de droit et aux réflexions sur leur évolution : c'est pourquoi les rapporteures appellent de leurs voeux un travail statistique sur les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les AICS comme pour les victimes.

Recommandation n° 4 : Évaluer les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les auteurs comme pour les victimes.

Le contexte de pénurie conduit, par ailleurs, les rapporteures à préconiser la remise en cause de l'automaticité du recours à l'expertise préalable au prononcé d'une peine, afin de recentrer le recours aux psychiatres sur les seuls cas qui le nécessitent réellement.

En l'état du droit, la réalisation d'une expertise psychiatrique du mis en cause en matière d'infractions à caractère sexuel est obligatoire avant tout jugement au fond76(*) en cas de poursuites pour viols, agressions sexuelles, infractions sexuelles sur mineurs ainsi que pour l'ensemble des infractions de fixation, détention et diffusion de pédopornographie. Elle est également obligatoire pour des infractions de moindre gravité, à l'instar de la diffusion d'un message violent susceptible d'être vu par un mineur.

L'expertise médicale concluant à l'opportunité d'un traitement est également un préalable obligatoire du prononcé d'une injonction de soins77(*). Celle-ci est même admise comme l'un des éléments garantissant la constitutionnalité de la prononciation d'une injonction de soins par le juge78(*).

Toutefois, sans remettre en cause la nécessité de disposer d'une expertise médicale des mis en cause pour la plupart des jugements sur des faits d'une telle gravité, celle-ci peut également apparaître comme moins utile dans certaines circonstances. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), dans sa contribution écrite, signale ainsi que « si les expertises psychiatriques des mis en cause et condamnés sont de nature à apporter des éléments permettant à la juridiction de prononcer une peine la plus adaptée possible à la personnalité du condamné ou d'évaluer la compatibilité de cette dernière avec une mesure d'aménagement de peine, participant ainsi de la prévention de la récidive, force est de constater que son caractère obligatoire sur un champ d'application aussi large, sans égards pour les faits de l'espèce et sans laisser de place à l'appréciation du magistrat, n'est pas sans générer de difficultés. »

Aussi, pour les faits d'une moindre gravité, il pourrait être envisagé de ne plus recourir de manière systématique à cette expertise ou, à défaut, de la confier à des psychologues qui, comme mentionné supra, ne rencontrent pas les mêmes enjeux de pénurie. La réalisation des expertises psychiatriques obligatoires au stade pré-sentenciel pourrait par exemple ne pas être exigée si l'individu dont il est question a fait l'objet d'une autre expertise récente dans le cadre d'une procédure différente. Ce type de dérogation est aujourd'hui admis en phase post-sentencielle, le juge ou le tribunal de l'application des peines pouvant, avec l'accord du procureur de la République, décider, par ordonnance ou jugement motivé, qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise psychiatrique préalablement à une décision d'aménagement de la peine, dès lors que figure au dossier du condamné une expertise datant de moins de deux ans, y compris si celle-ci a été réalisée avant la condamnation79(*).

Le recentrage de l'obligation de réaliser des expertises psychiatriques en matière d'infractions sexuelles pourrait dès lors contribuer à réduire les délais de procédure qui conduisent fréquemment à des renvois d'audience, faute d'avoir pu réaliser l'expertise dans les temps impartis. Cela présenterait des bénéfices tant pour les victimes, qui sont les premières à pâtir de la longueur des procédures, que pour l'auteur des faits, dont la prise en charge est aujourd'hui trop souvent retardée.

Recommandation n° 5 : Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement.

b) Le nécessaire approfondissement des connaissances en matière de facteurs favorisant la récidive et le recours à des outils innovants d'évaluation du risque

Le constat fait par les rapporteures quant aux lacunes des statistiques disponibles en matière de récidive des délinquants sexuels plaide pour une nette amélioration, par le ministère de la justice, de la précision de ces statistiques, avec des analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

Les psychologues et psychiatres rencontrés par les rapporteures ont en effet exposé les rares études permettant d'objectiver les facteurs annonciateurs d'un risque plus élevé de récidive chez certains individus - sans que ces derniers n'aient pour objectif de remplacer une évaluation individualisée et circonstanciée du mis en cause.

La Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) indique ainsi que les expertises distinguent aujourd'hui les passages à l'acte « transitoires, contextuels et opportunistes », présentant statistiquement un risque de récidive moindre, de ceux relevant d'une « dynamique de propension plus spécifique », davantage enclins à réitérer. De même, la FFPP indique que les agresseurs sexuels d'enfant de type incestueux seraient moins souvent récidivistes que les pédophiles agressant en dehors du milieu familial.

L'étude présentée par le Docteur Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp), lors de son audition par la mission, montre également qu'il est possible de distinguer des groupes d'infracteurs plus ou moins récidivistes en fonction de la nature de l'infraction. Ainsi, selon des études nord-américaines citées par Roland Coutanceau au cours de son audition, les agresseurs sur jeunes garçons, en dehors du cercle familial, ainsi que les agresseurs d'adultes réunissant certains critères (le fait que la victime lui soit inconnue, l'utilisation d'une arme ainsi que la séquestration de la victime) sont statistiquement plus récidivants que les autres agresseurs sexuels.

Ces éléments, à prendre avec le recul nécessaire en raison de la faiblesse d'études similaires conduites en France, peuvent néanmoins permettre, tant lors du prononcé de la peine que lors de l'exécution de celle-ci, de contrer certains biais psychologiques qui peuvent conduire magistrats et professionnels de la santé à sous-estimer la dangerosité de certains infracteurs. La prise en compte de ces données peut également permettre d'orienter le travail élaboré par les SPIP en milieu carcéral afin de mieux cibler les interventions dans le cadre des programmes de prévention de la récidive.

Aujourd'hui ces éléments d'objectivation n'existent pas et sont réclamés par les professionnels : maître Caroline Kazanchi, avocate et juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, soulignait ainsi lors de son audition le 5 décembre 2024, « nous manquons d'outils et de consensus d'experts qui nous permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, et procédons en quelque sorte au doigt mouillé. L'injonction de soins sera ainsi parfois préconisée au motif que la personne présente une pathologie mentale, et dans d'autres cas seulement parce que la personne est dangereuse.

Le manque d'outils se manifeste également en matière d'évaluation du risque de récidive, les mesures les plus draconiennes étant parfois dégainées de manière inadaptée. Cette pratique permet sans doute de satisfaire certains soignants qui se prévaudront de leurs résultats, mais on pourrait leur objecter que des personnes ne disposant pas d'un suivi n'auraient peut-être pas non plus récidivé. »

Ce constat a également été formulé par maître Isabelle Steyer, avocate et membre du collectif Action Juridique Féministe lors de son audition par la mission le 17 décembre 2024, qui soulignait que « les mesures de protection dépendent d'appréciations à l'aune de multiples stéréotypes : si l'on estime qu'un agresseur n'est pas dangereux, on ne protège pas la victime à la hauteur du danger ».

Aussi, sans remplacer le travail humain et médical que suppose l'expertise psychologique, le développement de la recherche sur les causes et les signaux de récidive paraît indispensable, dans un domaine emprunt de représentations préétablies qui peuvent être trompeuses. Ces recherches, menées dans le domaine à la fois criminologique et sociologique, permettront, par ailleurs, la construction et un recours renforcé à des outils innovants en matière d'évaluation du risque de récidive, tels que des grilles d'évaluation actuarielle, à la fois par les psychiatres et les psychologues et par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation et les travailleurs sociaux.

Au sujet de l'évaluation standardisée du risque de récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel lors de la table ronde du 5 décembre 2024, Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, a déclaré qu'« aucun outil n'offre évidemment de solution miraculeuse, mais certains outils semi-structurés s'avèrent particulièrement intéressants. À l'étranger, les soignants ne sont pas les seuls à les utiliser et les travailleurs sociaux y recourent également. La difficulté, aujourd'hui, consiste à les implanter dans la pratique française ».

De même, Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, a reconnu que « nous utilisons parfois des échelles d'évaluation du risque de récidive bâties dans d'autres pays, car ce travail n'a pas été accompli en France, ce qui est regrettable. L'utilisation d'échelles ``actuarielles'' permettrait pourtant, par la validation du réel, de déterminer les populations sur lesquelles il conviendrait de concentrer nos efforts ».

Si le recours à ces outils d'évaluation actuarielle du risque de récidive des AICS est plébiscité par la plupart des experts psychiatres et psychologues entendus par la mission, ils appellent aussi à les utiliser avec précaution.

Ainsi, Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), a estimé « essentiel de conserver une diversité des outils auxquels les psychologues ont recours. » Prenant l'exemple des échelles actuarielles, il a précisé qu'elles « sont tout à fait intéressantes, facilement réplicables, mais (...) ne peuvent pas être l'alpha et l'oméga de l'évaluation. Elles sont plutôt une aide à l'évaluation, dont les résultats doivent être analysés et confrontés aux données cliniques. L'idée est bien d'aboutir à un examen global qui prenne en compte la complexité des processus pour comprendre vraiment ce qui s'est passé ».

Interrogés par les rapporteures sur les risques de biais d'interprétation associés à l'utilisation d'outils d'évaluation actuarielle générés par l'IA, les experts ont indiqué que ces outils devaient être couplés à une appréciation clinique systématique.

Ainsi, pour Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), « les échelles d'évaluation sont en effet des outils statistiques algorithmiques et il faut indéniablement reconnaître qu'elles ont progressé. On a essayé de croiser les deux approches, en utilisant des échelles qui prennent en compte une dimension clinique et que seuls des cliniciens peuvent remplir. Certains critères pourront ainsi être déterminés par une IA, mais nécessiteront toujours une appréciation clinique ».

De même, Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy), a indiqué que ces échelles d'évaluation devaient toujours servir de « guide pour un entretien clinique classique ».

Outre les experts psychiatres et psychologues, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont également parfois recours aux outils d'évaluation actuarielle du risque de récidive, importés notamment d'Amérique du Nord.

Dans une contribution écrite transmise aux rapporteures, la direction de l'administration pénitentiaire a indiqué que des formations à l'utilisation d'outils actuariels spécifiques à l'évaluation des AICS se développent actuellement à destination des CPIP exerçant dans les établissements pénitentiaires fléchés AICS, précisant toutefois que « ces grilles canadiennes nécessitent en amont des formations longues et onéreuses (quatre jours de formation a minima) et une supervision sur le long terme ».

Interrogée sur ce point par les rapporteures, Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, a souligné que, depuis une vingtaine d'années, l'activité des CPIP a évolué pour intégrer les apports de la recherche criminologique, plus particulièrement celle originaire d'Amérique du Nord. Ces apports permettent notamment d'établir un guide d'évaluation du risque de récidive basé sur le modèle RBR (risque besoin réceptivité) qui combine différentes méthodologies visant à améliorer cette évaluation et à réintroduire des critères objectifs dans cette évaluation tout en conservant l'expertise humaine du professionnel.

Sans préjudice des développements infra de la mission conjointe de contrôle sur les risques associés au recours aux outils d'intelligence artificielle pour élaborer des solutions techniques dites prédictives, les rapporteures rappellent la nécessité de manipuler ces outils avec précaution, de les adapter à l'environnement judiciaire national et de veiller au bon équilibre entre recours à l'IA, aujourd'hui inévitable, pour construire ces solutions innovantes et supervision humaine de leur élaboration et utilisation.

Le recours aux grilles d'évaluation actuarielle ne saurait être conçu autrement que comme un guide et une aide à la décision des professionnels lorsqu'il s'agit d'évaluer le risque de récidive des délinquants sexuels.

Recommandation n° 6 : Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

c) Chez les mineurs, l'évaluation doit permettre la détection de violences subies antérieurement par l'auteur

En complément du constat formulé précédemment s'agissant du besoin de formation des acteurs sociaux à la détection des violences sexuelles subies par les enfants afin d'éviter le premier passage à l'acte, les rapporteures estiment également que l'expertise psychiatrique et, plus globalement, la période d'enquête et d'instruction en amont du jugement, sont propices à la détection chez les mineurs mis en cause d'expériences antérieures où l'enfant aurait lui-même été victime d'abus, plaidant pour un renforcement de la formation de l'ensemble des acteurs de la prise en charge des MAICS à la détection de violences subies.

En effet, comme le démontrent les données produites par Marie Romero et d'autres recherches citées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse80(*), les mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel ont pour la plupart vécu des antécédents de violences familiales (maltraitances physique et morale, carences, expositions aux violences conjugales) et, pour plus d'un quart d'entre eux, ces violences étaient de nature sexuelle, commises par une personne de la famille ou de l'entourage proche, non détectées avant leur prise en charge institutionnelle. De nombreux jeunes auteurs ont également été exposés de façon précoce à de la pornographie en ligne avant l'âge pubertaire, d'autres rapportent une situation de harcèlement scolaire subie à l'entrée au collège.

Aussi, la détection en amont du jugement du statut de victime du mis en cause doit permettre de mieux appréhender le passage à l'acte de l'agresseur, sans le justifier ni l'excuser, et ainsi servir de point de départ à la reconnaissance des faits commis par le jeune et à un travail permettant, in fine, de prévenir la récidive.

Comme rappelé par Marie Romero, cette détection est trop souvent entravée par le manque de connaissances et de formation des professionnels de la justice et de la protection de l'enfance, ainsi que par le sentiment de malaise qui accompagne le sujet de la délinquance sexuelle des mineurs ainsi que l'insuffisance des échanges entre les professionnels de la justice et du soin. Si le code de justice pénale des mineurs a permis d'améliorer la connaissance de la situation du mineur, notamment dans le cadre de l'information judiciaire instruite par un juge spécialisé dans les affaires concernant les mineurs qui peut ordonner une mesure judiciaire d'investigation éducative81(*) ainsi que des mesures d'investigation sur la personnalité du mineur, les rapporteures estiment qu'il est nécessaire, au vu de l'ampleur des MAICS concernés, de porter une attention systématique à la recherche d'indicateurs de violences antérieures qu'aurait subi le jeune.

La mesure judiciaire d'investigation éducative

Aux termes de l'article L. 322-7 du code de la justice pénale des mineurs, la mesure judiciaire d'investigation éducative consiste en une évaluation approfondie et interdisciplinaire de la personnalité et de la situation du mineur, y compris, le cas échéant, sur le plan médical.

Elle peut être ordonnée par le juge des enfants, le juge d'instruction et les juridictions de jugement pour mineurs à tous les stades de la procédure pénale.

Elle peut être mise en oeuvre par les services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse ou du secteur associatif habilité.

Elle donne lieu à un rapport contenant tous renseignements utiles sur sa situation ainsi qu'une proposition éducative ou une proposition de mesures propres à favoriser son insertion sociale.

La mission partage également la préconisation de Marie Romero visant à mieux former les magistrats, les experts judiciaires et les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse intervenant auprès des MAICS, afin que ceux-ci soient sensibilisés à ces problématiques et puissent identifier efficacement les premiers signes laissant penser que l'auteur est également victime. Cette détection semble indispensable pour la prise en charge de l'enfant et à des fins de prévention de la récidive.

Recommandation n° 7 : Former les magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie...) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes.


* 76 Article L. 706-47-1 du code de procédure pénale.

* 77 Article L. 131-36-4 du code pénal.

* 78 Décision n° 2007-554 DC du 9 août, loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

* 79 Article D.49-23 du code de procédure pénale.

* 80 Gamet, M.L., « Quelle mise en oeuvre des actions de prévention et de promotion de la santé en matière de violences sexuelles ? », Paris : Audition Publique, 14-15 juin 2018 ; Gamet, M.L., Auteurs de Violences Sexuelles : Prévention, évaluation, prise en charge », 48 p ; Gamet, M.L., Les violences sexuelles des mineurs. Victimes et auteurs : de la parole au soin, 2010, Dunod ; Piet, E., Durand, A., Lazimi, G., « Évaluation d'un atelier de réparation pénale de mineurs agresseurs sexuels conduit par des médecins et des éducateurs », 2015.

* 81 Article L. 432-1 du code de la justice pénale des mineurs.

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