C. GARANTIR LE PRONONCÉ DE PEINES ADAPTÉES AUX PROFILS DES AICS ET PLUS RAPIDEMENT EXÉCUTÉES
Les travaux de la mission conjointe de contrôle l'ont convaincue de la nécessité de modifier le droit et les pratiques pour garantir la meilleure prise en charge possible des AICS en amont de leur procès, seule solution pour permettre in fine le prononcé de peines à la fois adaptées et plus rapidement mises en oeuvre. La mission formule à cet égard cinq recommandations, articulées autour de trois enjeux : la formation des magistrats, le développement mesuré et étroitement conditionné de certaines procédures « rapides » et le soutien à la filière médico-judiciaire, en expertise comme en soins.
1. Des magistrats mieux formés aux spécificités des AICS
La nécessité d'une meilleure formation des magistrats et d'une forme de spécialisation des acteurs de la chaîne pénale pour favoriser un suivi des AICS de nature à mieux lutter contre la récidive a été avancée par la quasi-intégralité des personnes entendues par la mission commune de contrôle, notamment au regard des spécificités de profils dont la dangerosité objective est souvent difficile à déceler et qui peuvent, pour les cas les plus graves, s'avérer manipulateurs.
À cet égard, des débats récurrents concernent l'opportunité de la création de juridictions spécialisées en matière de violences sexuelles. La majorité des rapporteures n'a pas estimé pertinent de retenir cette piste qui, intellectuellement attrayante, soulève toutefois de nombreuses difficultés pratiques, elles-mêmes peu surmontables :
- la spécialisation créerait un risque procédural réel et majeur, puisqu'à défaut de voir une affaire d'ICS confiée à une juridiction spécialisée, le dossier serait frappé de nullité : à ce titre, on rappellera qu'un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation a conclu à la nullité de réquisitions de placement en détention provisoire prononcées par un magistrat non habilité pour connaître des affaires relatives aux mineurs, et par conséquent incompétent pour prendre de telles réquisitions82(*) ;
- les principales lacunes observées par la mission ne touchent pas les compétences des magistrats, mais plutôt leur disponibilité et celle des autres services concernés (services d'enquête, experts, professionnels du soin) ainsi qu'un déficit de signalement des infractions à caractère sexuel, c'est-à-dire qu'elles concernent des facteurs auxquels la création de juridictions spécialisées n'apporterait pas de réponse ;
- la spécialisation implique, par principe, la création de juridictions ad hoc dont le nombre ne saurait de manière réaliste atteindre - et encore moins excéder - celui des tribunaux judiciaires, ce qui pourrait être un facteur d'éloignement entre le justiciable et sa juridiction de jugement dans un contexte déjà marqué par la difficulté des parcours pour les victimes et par une sous-dénonciation des faits ;
- au surplus, les règles procédurales de droit commun sont applicables aux violences sexuelles : de ce point de vue, celles-ci ne présentent pas de technicité particulière.
Il est en revanche apparu intéressant à la mission de s'appuyer sur l'expertise acquise par les pôles « VIF » (violences intrafamiliales) des tribunaux judiciaires pour l'ensemble des ICS commises dans le cadre familial ou proche.
Pour mémoire, depuis le 1er janvier 2024, chaque tribunal judiciaire et chaque cour d'appel sont en effet dotés d'un pôle spécialisé en matière de VIF et qui réunit des personnels de toutes catégories dûment formés (magistrats du siège et du parquet, directeurs des services de greffe, greffiers, juristes assistants et agents contractuels de catégorie A) et dont la coordination est assurée par deux magistrats spécialisés - l'un du siège, l'autre du parquet. Ils sont animés par un comité de pilotage qui, outre les membres du pôle, peut convier des représentants de l'administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, des représentants des services de l'État et des collectivités territoriales, le bâtonnier ou encore des représentants d'associations dont l'activité est en lien avec la lutte contre les violences intrafamiliales.
Les pôles VIF : extraits du
décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant
des
pôles spécialisés en matière de violences
intrafamiliales
au sein des tribunaux judiciaires et des cours
d'appel
« Dans chaque tribunal judiciaire est institué un pôle spécialisé en matière de violences intrafamiliales, composé de magistrats du siège et du parquet appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales, ainsi que de directeurs des services de greffe judiciaires, de greffiers, de juristes assistants et d'agents contractuels de catégorie A.
« Un magistrat du siège et un magistrat du parquet coordonnent respectivement pour le siège et le parquet les activités du pôle.
« Les magistrats coordonnateurs sont désignés respectivement par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près cette juridiction, après avis respectivement de l'assemblée générale des magistrats du siège et de l'assemblée générale des magistrats du parquet. Il est mis fin à leurs fonctions et pourvu à leur remplacement dans les mêmes formes.
« Les magistrats coordonnateurs concourent, chacun pour ce qui le concerne, en concertation avec les autres membres du pôle, à l'élaboration, à la mise en oeuvre, au suivi et à l'évaluation des mesures et actions en matière de violences intrafamiliales. Ils participent, en lien avec le coordonnateur régional de formation, à la définition d'actions de formation continue déconcentrée adaptées aux besoins des membres du pôle. Ils veillent au partage, au sein du pôle, des informations nécessaires à l'exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale.
« Le magistrat coordonnateur du siège veille à la mise en place des circuits de traitement appropriés par les services du siège, civils et pénaux, appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales. Il adresse au président du tribunal judiciaire toutes propositions d'amélioration des dispositifs de prévention, détection, traitement, suivi et évaluation de faits de cette nature et de protection des victimes.
« Le magistrat coordonnateur du parquet veille à la mise en place des circuits de traitement appropriés par les services du parquet appelés à intervenir en matière de violences intrafamiliales, en lien avec leurs différents partenaires. Il adresse au procureur de la République toutes propositions d'amélioration des dispositifs de prévention, détection, traitement, suivi et évaluation des faits de cette nature et de protection des victimes.
« Les magistrats coordonnateurs dressent périodiquement le bilan de l'activité du pôle qu'ils présentent ensemble à l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet, ainsi qu'à l'assemblée plénière des magistrats et des fonctionnaires. Le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près ce tribunal présentent ensemble l'activité du pôle au conseil de juridiction, au moins une fois par an.
« Les coordonnateurs et les membres du pôle bénéficient d'une formation spécifique en matière de violences intrafamiliales.
« Un comité de pilotage de la lutte contre les violences intrafamiliales est placé auprès du pôle mentionné à l'article R. 212-62-1. Coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, ou, en cas d'absence ou d'empêchement, par les magistrats coordonnateurs de ce pôle, ce comité se réunit aussi souvent que nécessaire et au moins une fois par an. [...] Le comité de pilotage a pour missions :
« 1° De définir les actions coordonnées à mettre en oeuvre pour concourir à la lutte contre les violences intrafamiliales ;
« 2° De piloter la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des dispositifs de lutte contre les violences intrafamiliales ;
« 3° De contribuer à déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour le traitement des procédures judiciaires de violences intrafamiliales ;
« 4° De faire toutes propositions visant à l'amélioration du traitement des violences intrafamiliales ;
« 5° De partager les informations nécessaires à l'exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale. »
Source : décret n° 2023-1077 précité
Les rapporteures estiment qu'une réflexion doit être conduite pour étudier l'intégration aux compétences des « pôles VIF » de toutes les ICS commises dans le cadre familial (ce qui est au demeurant recommandé par la circulaire de mise en oeuvre du décret n° 2023-1077 précité du 24 novembre 202383(*)). Elles estiment en tout état de cause que la formation des magistrats, y compris en formation continue, doit être enrichie afin de les sensibiliser aux spécificités des profils des AICS, qu'il incombe aux juges de prendre en compte dès le stade de la sanction.
Une telle formation serait particulièrement utile pour les juges de l'application des peines84(*), les AICS ayant, selon les personnes entendues par la mission, des comportements souvent « dociles » en détention, y compris pour des profils dits « manipulateurs » : le traitement de tels détenus suppose indéniablement des compétences spécifiques, qu'il serait judicieux que le ministère puisse rapidement mettre en place afin que les AICS ayant commis les faits les plus lourds ou dont la dangerosité a été établie par des expertises avant jugement et au cours de la détention puissent être orientés vers des magistrats pleinement conscients de leurs particularités.
Recommandation n° 8 : Former les magistrats, et en priorité les juges de l'application des peines, aux spécificités des profils des AICS afin de garantir le prononcé et l'exécution de justes peines.
Il a semblé aux rapporteures de la mission conjointe de contrôle que cette solution fondée sur la formation des magistrats limitait le risque de voir à terme se développer des solutions techniques dites « prédictives », fondées sur l'intelligence artificielle et qui pourraient - selon certaines personnes entendues par la mission - être utilisées comme aides à la décision quant à la dangerosité des mis en cause ou des condamnés85(*).
Cette conclusion s'inscrit au demeurant dans la droite ligne des travaux récemment menés par la commission des lois, dont le rapport d'information sur l'intelligence artificielle générative et les professions du droit86(*) rappelait, à juste titre, que l'acte de juger - ce qui intègre l'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive - ne pouvait pas valablement être confié à des outils techniques, et l'utilisation de solutions prédictives en la matière ne répond en aucun cas aux cas d'usage imaginés par la mission d'information menée par Christophe-André Frassa et Marie-Pierre De la Gontrie. La mission conjointe de contrôle partage leurs conclusions et rappelle, à leurs côtés, que toute utilisation d'outils d'intelligence artificielle emporte avec elle « le risque d'hallucinations, les biais de conception, l'obsolescence des données sur lesquelles repose le modèle, l'inconstance des réponses données à des questions pourtant identiques ou encore les risques liés à la confidentialité des données, personnelles ou sensibles ».
Extraits du rapport « L'intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir »87(*)
La volonté de préserver le caractère humain de l'activité juridictionnelle apparaît partagée aux échelles européenne et nationale. Le RIA précise ainsi en son considérant 61 que si « l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle peut soutenir le pouvoir de décision des juges ou l'indépendance judiciaire, [elle] ne devrait pas les remplacer, car la décision finale doit rester une activité humaine ». Cette formule synthétise les arguments qui ont été unanimement exprimés lors des auditions. Le RIA classe ainsi les outils d'intelligence artificielle générative dédiés aux autorités juridictionnelles parmi les systèmes « à haut risque » ; ce régime restrictif prévient le risque de la substitution d'un traitement algorithmique à une décision juridictionnelle.
Les représentants de l'ensemble des professions juridiques ont ainsi exprimé leur attachement au caractère humain de toute décision de justice, qu'il s'agisse des magistrats - administratifs ou judiciaires -, des greffiers, des avocats, du ministère de la justice ou d'un professeur d'université.
Il apparaît en effet que le raisonnement d'un juge n'est ni probabiliste, ni déterminé par les précédentes décisions, spécialement dans un système de droit continental qui repose sur la logique déductive du syllogisme. La décision de justice résulte en effet d'un cheminement spécifique, qui exige du temps et une procédure contradictoire voire délibérative. Cela permet aux juges d'identifier des solutions juridiques nouvelles, qui se traduisent par les évolutions et les revirements jurisprudentiels qui participent à la nécessaire plasticité du phénomène juridique.
[...]
Le cadre juridique actuel et la conception de la justice que partagent les différentes professions juridiques assurent que l'acte de juger demeure « une prérogative exclusive du magistrat ».
2. Des débats sur l'extension du « plaider-coupable » en matière criminelle
La mission a longuement commenté les difficultés liées aux délais de traitement des affaires, parmi lesquels les délais d'audiencement jouent un rôle non-négligeable malgré la mobilisation sans faille des magistrats, des greffiers et de l'ensemble des professionnels de justice appelés à travailler sur les dossiers d'ICS.
Les rapporteures n'entendent pas faire des « procédures rapides » la clé de voûte de leur raisonnement et estiment nécessaire d'envisager un renforcement des moyens de la justice, ou a minima une sanctuarisation des moyens supplémentaires prévus dans le cadre de la dernière loi d'orientation et de programmation88(*). Elles estiment également que, sous l'effet d'une succession trop rapide de « priorités » mises en avant par les ministres successifs de la justice, parfois au gré des faits divers, la réponse pénale a pu se trouver fragilisée et mettre de côté le contentieux - pourtant massif et traversant toutes les strates de la société - des infractions à caractère sexuel.
En dépit de cette conviction, les rapporteures n'ont pu que constater que non seulement les délais d'audiencement étaient élevés, mais surtout qu'aucun indicateur ne laissait présager une amélioration de la situation à court ou moyen terme. Or, comme évoquée précédemment, la rapidité de la prise en charge des AICS est un facteur déterminant de leur réinsertion : il appartient donc au Parlement de réfléchir, sans attendre, aux voies et moyens d'un traitement accéléré des dossiers d'ICS, dès que cela est possible.
C'est dans ce contexte que la mission a débattu de la pertinence d'une extension de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - mieux connue sur le nom de « plaider-coupable » -, y compris en matière criminelle, pour traiter le cas des AICS qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés.
La CRPC est une procédure désormais relativement ancienne, dont l'efficacité est éprouvée par la pratique ; aux yeux de certaines des rapporteures, elle peut permettre de répondre à la crainte que certaines plaignantes éprouvent face à la perspective de se soumettre au procès pénal - qui reste trop souvent une épreuve difficile pour les victimes, ne serait-ce qu'en raison du retour sur les faits qu'il implique.
La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)
La CRPC, aussi dénommée « plaider-coupable », a été introduite par la loi n° 2004-104 du 9 mars 2004. Elle est prévue aux 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale.
Elle est applicable à tous les délits commis par des majeurs, quelle que soit la peine encourue. Sont cependant exclus les délits de presse, les délits d'homicides involontaires et les délits politiques, ainsi que les délits d'atteintes volontaires et involontaires à l'intégrité physique des personnes et d'agressions sexuelles prévues aux articles 222-9 à 222-31 du code pénal lorsqu'ils sont punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à cinq ans.
La CRPC permet de prononcer toute peine principale ou complémentaire encourue. Néanmoins, la peine d'emprisonnement proposée ne peut ni être d'une durée supérieure à 3 ans, ni excéder la moitié de la peine encourue. Elle peut faire l'objet d'un aménagement et peut être assortie en tout ou partie du sursis.
Le recours à la CRPC suppose la reconnaissance par le mis en cause de l'ensemble des faits qui sont reprochés ; l'assistance de l'avocat est obligatoire.
La procédure est mise en oeuvre à l'initiative du parquet ou sur demande de l'intéressé ou de son avocat ou encore suite à une ordonnance de renvoi du juge d'instruction avec l'accord du procureur de la République ou des parties. Elle peut intervenir à la suite d'un défèrement.
La procédure se déroule en deux temps :
- une première phase se déroule devant le procureur de la République, au cours de laquelle celui-ci recueille la reconnaissance de la culpabilité du mis en cause et lui propose une peine ;
- si l'auteur accepte la peine, il comparaît en audience publique devant le président du tribunal judiciaire ou un juge délégué. Ce juge entend la personne et son avocat et statue le jour même par ordonnance motivée.
Le magistrat du siège peut refuser d'homologuer la peine proposée lorsque les conditions ne sont pas réunies (reconnaissance des faits, notamment) ou s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire. Il peut également refuser l'homologation lorsque les déclarations de la victime, entendue lors de l'audience, apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur.
Depuis la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, si la peine proposée n'est pas acceptée ou que le magistrat du siège rend une ordonnance de refus d'homologation, le procureur de la République peut, à une seule reprise, saisir à nouveau le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par celui-ci d'une requête en homologation d'une peine, sous réserve de son acceptation par la personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés.
Source : MCC sur la prévention de la récidive du viol.
Sans se prononcer sur la pertinence au fond d'une extension de la CRPC aux crimes sexuels, la mission estime que, si une telle mesure devait être envisagée, elle supposerait que soient prévus des aménagements de la procédure existante, limitée à certains faits de nature délictuelle. Dans cette hypothèse, les principaux enjeux de réflexion devraient ainsi concerner :
- le quantum de peine encouru en cas de reconnaissance des faits ;
- la nécessité que la procédure soit réservée à des AICS qui admettent l'intégralité des faits qui leur sont reprochés ;
- la préservation de la place de la victime : si le procès pénal est tourné vers la défense des intérêts de la société, et non de la victime, il paraît difficilement envisageable qu'un « plaider-coupable » puisse être mise en oeuvre par le parquet sans l'adhésion pleine et entière du ou de la plaignant(e). Ainsi, et à supposer que l'extension de la CRPC aux crimes sexuels soit envisagée, des « garde-fous » devront être mis en place par le législateur pour éviter tout dévoiement. On rappellera à cet égard que, en l'état du droit, la procédure réserve une place substantielle à la victime : informée, sans délai et par tout moyen, du recours à cette procédure, elle est invitée à comparaître en même temps que l'auteur des faits, accompagnée le cas échéant de son avocat, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui pour se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice. Le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui statue sur cette demande, même dans le cas où la partie civile n'a pas comparu à l'audience. La victime peut faire appel de l'ordonnance d'homologation et son accord pour la mise en oeuvre d'une CRPC est requis lorsque la procédure a été mise en oeuvre à son initiative (c'est-à-dire lorsque tribunal a été saisi par une citation directe délivrée par la partie civile ou lorsque l'ordonnance de renvoi a été prise par le juge d'instruction, saisi par une plainte avec constitution de partie civile).
Dans tous les cas, le « plaider-coupable » ne saurait être utilisé comme une solution strictement capacitaire ou de « confort » pour désengorger les juridictions criminelles, ou sans tenir compte de l'intérêt que revêt, pour la société, la tenue d'un procès.
3. Garantir le développement d'une offre médico-judiciaire adaptée
Les rapporteures ont également estimé nécessaire d'agir sur l'accès des AICS à une offre de soins adaptée. Elles proposent, à cette fin, plusieurs leviers complémentaires.
En premier lieu, les rapporteures ont mis en avant les limites des statistiques dont dispose le ministère de la justice en matière d'injonction de soins, de même que le nombre étonnamment bas de suivis socio-judiciaires effectivement prononcés à l'encontre des AICS, y compris pour les infractions les plus graves. Une réforme sérieuse doit, avant toute chose, s'appuyer sur des évaluations fiables de l'existant qui, en l'espèce, font défaut, alors même que l'injonction de soins a été pensée comme un outil central de la prise en charge des AICS par le législateur : cette situation n'est pas acceptable.
Dans ce contexte, les rapporteures appellent à ce qu'un travail soit mené non seulement pour fiabiliser les chiffres disponibles s'agissant des injonctions, mais aussi et surtout pour comprendre les motifs de leur relative rareté : pour mémoire, en 2023, seules 11 % des condamnations pour agression sexuelle ont donné lieu au prononcé d'un SSJ, et seules 7 % prévoyaient expressément une injonction de soins.
Sans plaider pour l'automaticité de telles peines qui, comme les rapporteures l'ont déjà relevé, ne sauraient être considérées comme une solution miracle face au risque de récidive des AICS, la mission estime indispensable de pouvoir disposer sans délai de chiffres consolidés pour envisager, enfin, le lancement d'une évaluation du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins.
Cette piste suppose par ailleurs que soient valorisés les travaux de recherche scientifique et sociologique sur ces thèmes, afin d'assurer la parfaite indépendance de l'évaluation ainsi conduite.
Recommandation n° 9 : Produire des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS.
Par ailleurs, la mission conjointe de contrôle juge indispensable de s'interroger sur l'attractivité des professions psychiatriques et, plus particulièrement, des fonctions d'expertise. La réflexion sur l'attractivité globale des professions psychiatriques, bien que nécessaire, dépasse le cadre de la présente mission ; les rapporteures souhaitent toutefois que le Sénat puisse consacrer des travaux de contrôle à cette thématique à brève échéance, tant la psychiatrie leur est apparue comme un secteur sinistré. La situation ne saurait rester inchangée sous peine de mettre substantiellement en cause la faculté qu'a la profession d'assumer ses missions d'intérêt général.
Au-delà de ce sujet et en l'état des ressources disponibles, il conviendrait tout à la fois, pour faciliter la mobilisation des professionnels disponibles :
- de s'interroger sur une revalorisation de la rémunération des experts ;
- de rendre plus ergonomique le système de mandatement existant, puisque les démarches que les experts doivent effectuer pour obtenir leur rémunération semblent particulièrement complexes89(*) ;
Recommandation n° 10 : Revaloriser la rémunération des experts psychiatres et psychologues, et garantir la perception effective par ceux-ci de cette rémunération.
- d'utiliser le levier que constitue la profession de psychologue, actuellement peu exploitée pour la conduite d'expertises alors même que son concours est indispensable à la bonne conduite de la phase pré-sentencielle dans un contexte où la population de psychiatres ne semble pas, à date, permettre à ces derniers d'assurer l'intégralité des expertises obligatoires prévues par le législateur. Il conviendrait ainsi de standardiser, comme le proposait Florent Simon, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP)90(*), la formation des psychologues afin de renforcer leur visibilité auprès de l'extérieur et, partant, leur attractivité en tant qu'experts. La profession souffre en effet aujourd'hui d'une forme d'« émiettement » liée à la multiplicité des parcours (199 sont recensés en master par le SNP), y compris pour la sphère judiciaire : les filières qui traitent de l'expertise sont en effet distinctes de celles qui concernent le travail en administration pénitentiaire, ou encore la PJJ ou l'aide sociale à l'enfance (ASE), si bien qu'« aucun[e] n'est parfaitement calibré[e] pour l'exercice de la psychologie légale ».
C'est dans ce contexte que la mission soutient la proposition du SNP tendant à intégrer la psychologie légale à la formation des psychologues, sur le modèle du doctorat d'exercice qui existe au Québec.
Recommandation n° 11 : Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres.
Cette évolution suppose de toute évidence une réflexion préalable, en lien avec la recommandation n° 4, pour distinguer les cas d'expertise obligatoire devant conduire l'expert à se prononcer sur l'opportunité d'une injonction de soins - avec, le cas échéant, la prescription d'un traitement inhibiteur de libido - et qui paraît devoir par nature être réservés à des médecins, donc à des psychiatres, et les cas d'expertise facultative portant sur des profils moins lourds pour lesquels un psychologue pourrait opportunément être saisi, avec une nécessaire faculté d'« escalade » vers un psychiatre dans l'hypothèse où l'expertise ainsi conduite révélerait des éléments de personnalité pouvant attester de l'existence d'une pathologie mentale.
Dans une perspective de plus vaste ampleur, et sans préjudice de la recommandation n° 14 sur la nécessaire évaluation des conditions d'efficacité des injonctions de soins, les rapporteures souhaitent inviter les juridictions - et au premier chef, les parquets - à repenser les modalités de la prise en charge des AICS mis en cause ou condamnés.
En ce qui concerne les soins, et à tous les stades de la procédure, une réflexion analogue pourrait être menée pour, face à la pénurie de psychiatres, donner davantage de poids aux psychologues, notamment dans la mise en oeuvre des injonctions de soins. En effet, et même si cette analyse gagnerait à être approfondie par le ministère de la justice au moyen d'une étude ad hoc, les travaux de recherche récents tendent à démontrer que certains AICS ne sont pas atteints de troubles psychiatriques lourds - ce qui signifie que les auteurs de violences sexuelles ne relèvent pas de la compétence exclusive des psychiatres.
L'intervention des psychologues serait naturellement encadrée : elle se ferait sous l'autorité d'un médecin coordonnateur, notamment pour faciliter le « passage de relai » lorsque l'état psychique d'un AICS impose le recours à des soins qui ne peuvent être effectués que par un psychiatre (prescription d'un traitement médicamenteux ou traitement de pathologies susceptibles de donner lieu à une telle prescription, notamment). Il va en effet de soi que, de même qu'en pré-sentenciel et dans l'hypothèse où des pathologies seraient développées ou repérées pendant la mise en oeuvre de l'injonction de soins sous l'égide d'un psychologue, une réorientation immédiate du détenu vers un psychiatre devrait être prévue91(*).
Il convient, sous ces réserves, d'envisager d'orienter plus fréquemment les AICS vers des psychologues, permettant aux psychiatres de concentrer leur prise en charge en matière de soins pénalement ordonnés sur les cas les plus lourds relevant spécifiquement de leur compétence. S'agissant des injonctions de soins exécutées hors de la détention (voir infra), l'orientation d'un condamné vers un psychologue pourrait être décidée par le médecin coordonnateur, celui-ci semblant le mieux placé pour apprécier la nature du suivi à mettre en place au vu du profil de la personne condamnée.
Recommandation n° 12 : Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques.
* 82 Crim. 13 avril 2023, n°23-80.470.
* 83 Circulaire JUSB2332178C.
* 84 Cette proposition est, par ailleurs, indissociable de la recommandation n° 15 tendant à renforcer les compétences des juges de l'application des peines dans le cadre de la mise en oeuvre d'une véritable injonction de soins en détention.
* 85 Les recommandations en matière de soutien à l'expertise poursuivent, d'ailleurs, le même objectif.
* 86 Rapport d'information n° 216 (2024-2025) sur l'intelligence artificielle générative et les professionnels du droit de Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie, déposé le 18 décembre 2024
* 87 Rapport d'information n° 216 (2024-2025), déposé le 18 décembre 2024.
* 88 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048430512
* 89 Charles-Olivier Pons, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), soulignait à ce titre lors de la table ronde consacrée à l'expertise du 6 février 2025 que « La question de la rémunération doit aussi être soulevée. Le système Chorus Pro, qui doit nous permettre d'être remboursés de nos frais, est tellement complexe qu'il décourage toutes les bonnes volontés ».
* 90 Table ronde précitée.
* 91 Comme les rapporteures l'ont relevé supra, cette piste ne saurait, à droit constant, retirer aux psychiatres leur compétence en matière d'expertise, le code ne visant que des « expertises médicales » qui ne semblent pas valablement pouvoir être conduites par des psychologues : en lien avec la recommandation n° 4 sur le recentrage de l'expertise obligatoire en amont du procès pour les AICS, les psychologues pourraient ainsi être requis dans le cadre des expertises ordonnées d'initiative par les magistrats du parquet ou par les juges d'instruction.