II. DONNER AUX POLICES MUNICIPALES DE NOUVEAUX MOYENS D'ACTION POUR RÉPONDRE AU DURCISSEMENT DES ENJEUX DE SÉCURITÉ SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE

L'affirmation des polices municipales dans le continuum de sécurité résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. Au-delà de la nécessité de pallier le désengagement de voie publique de la police et de la gendarmerie nationales sur certains territoires, cet essor des polices municipales répond également à une forte demande sociale. Dans un contexte de dégradation continue de la situation sécuritaire sur l'ensemble du territoire national, la présence renforcée de la police municipale sur le terrain fait de celle-ci l'une des premières garanties de la tranquillité publique des Français. Fréquemment en situation de primo-intervenants, les policiers municipaux sont de fait en première ligne pour constater le durcissement du contexte sécuritaire en France.

Si la délinquance d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier, force est malheureusement de constater que les prérogatives et les moyens des policiers municipaux pour faire face à cette augmentation de la violence dans la société n'ont, quant à eux, pas été adaptés en conséquence. L'action de ces agents pourtant incontournables du continuum de sécurité se heurte de l'avis général à d'importantes contraintes, dont la plupart ne se justifient plus et les empêchent d'être pleinement efficaces. Alors que les dernières réformes majeures du régime juridique de la police municipale et des gardes champêtres remontent à 25 ou 30 ans41(*), il est aujourd'hui nécessaire de lever les contraintes juridiques et matérielles qu'ils subissent encore trop souvent dans l'exercice de leurs missions. Du reste, ce constat est largement partagé, comme en attestent les conclusions du rapport d'information précité sur les missions et l'attractivité des polices municipales des députés Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet : « L'aptitude de la police municipale à faire face à l'aggravation réelle ou perçue de la petite délinquance et des incivilités au quotidien est devenue un enjeu central de sécurité [...] »42(*).

Dans cette perspective, la mission d'information appelle à les doter de nouvelles prérogatives administratives, en particulier s'agissant de l'inspection visuelle de l'intérieur de véhicules ou de coffres, et à étendre la gamme d'armement à leur disposition.

S'agissant des prérogatives judiciaires, la mission d'information considère que le durcissement du contexte sécuritaire et la montée en puissance de la délinquance du quotidien justifient une extension des compétences répressives des policiers municipaux. Pour indispensable qu'elle soit, une telle extension devra toutefois être mesurée, au risque, d'une part, de remettre en cause l'autorité des maires sur les policiers municipaux de leur commune et, d'autre part, de priver ces derniers de leur principal atout qu'est la capacité à assurer une forte présence sur la voie publique. Dans ce cadre, la mission d'information appelle notamment à autoriser les agents à prononcer - sous certaines conditions - des amendes forfaitaires délictuelles, à élargir leurs possibilités de procéder à des relevés d'identité et à étendre leurs accès aux fichiers de police liés à leurs missions.

L'octroi de telles prérogatives ne saurait toutefois aller sans contreparties. Il doit avoir pour corollaire le renforcement du contrôle national des polices municipales, dans le strict respect des libertés locales. À ce titre, la mission d'information invite en particulier à établir un système national d'identification anonyme et centralisé des policiers municipaux et des gardes champêtres, ainsi qu'à mettre en place une mission de contrôle permanente des polices municipales, commune aux trois services d'inspection du ministère de l'intérieur.

A. FACE À LA DÉGRADATION DE LA SITUATION SÉCURITAIRE EN FRANCE, DES POLICIERS MUNICIPAUX ENCORE TROP CONTRAINTS DANS LEUR ACTION

1. Une détérioration préoccupante de la situation sécuritaire

Les polices municipales interviennent aujourd'hui dans un contexte bouleversé, marqué par une profonde dégradation de la situation sécuritaire sur l'ensemble du territoire au cours des dernières décennies.

Les dernières données publiées par le ministère de l'intérieur sur l'insécurité et la délinquance sont à cet égard éloquentes43(*). Elles illustrent une augmentation continue du volume comme de la violence de la plupart des infractions constatées sur le territoire national. À titre d'exemple, le nombre de victimes de tentatives d'homicide a presque doublé entre 2016 et 2024, passant de 2 259 à 4 305. La hausse est même de 7 % sur la seule année 2024. On dénombre par ailleurs 100 000 victimes annuelles supplémentaires de coups et blessures volontaires sur la période, avec une progression moyenne de 9 % chaque année. Une tendance similaire est observée s'agissant des violences sexuelles, avec 122 600 victimes enregistrées sur la dernière année contre 51 900 en 201644(*). Seules les statistiques relatives aux vols contre les personnes45(*) laissent ainsi entrevoir une inflexion positive sur le temps long.

Principaux indicateurs de la délinquance enregistrés par la police et la gendarmerie nationales et évolutions annuelles

Nombre de victimes de coups et blessures volontaires
sur personne de 15 ans ou plus enregistrées (2016-2024)

Cette tendance à la hausse est également particulièrement marquée s'agissant des infractions liées au trafic de stupéfiants. La récente commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a mis en évidence la considérable intensification du trafic de stupéfiants et de la violence qui l'accompagne (règlements de comptes, « narco-homicides », etc.) dans les villes moyennes et jusque dans les zones rurales. Selon les termes de ce rapport d'Etienne Blanc et de Jérôme Durain46(*), « la violence des réseaux de narcotrafic [est] sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible ». Selon eux, cette violence « prend souvent place dans l'espace public [et] rejaillit sur les populations locales » en contribuant à installer « un climat de peur et d'insécurité constant pour l'ensemble des habitants » de certains quartiers ou territoires.

Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'elle s'étend à l'ensemble du territoire national. Les témoignages recueillis par la rapporteure au cours de ses auditions sont unanimes sur ce point ; rares sont les territoires épargnés par l'aggravation de la situation sécuritaire. L'ensemble des directeurs de police municipale auditionnés ont ainsi confirmé cette progression de l'insécurité, et ce quelle que soit la taille de la commune concernée.

Or, les policiers municipaux sont en première ligne face à l'augmentation de la violence dans la société. À titre d'exemple, le directeur de la police municipale de la commune de Saint-Laurent-du-Var a fait état d'une « activité en constante augmentation » et d'un « accroissement évident des interventions ». Les interpellations dans la commune ont presque doublé sur les dix dernières années (122 en 2015 contre 224 en 2024), de même que les mises en fourrière (446 en 2015 contre 805 en 2024). Le directeur de la police municipale de Franconville-la-Garenne, où la mission d'information s'est rendue, a quant à lui insisté sur la « multiplication régulière des phénomènes de violences urbaines », de même que sur « l'aggravation des faits de violence à la personne et des phénomènes de rixes armées » ou encore des rodéos sauvages.

Il est de surcroît particulièrement inquiétant de constater que les policiers municipaux sont eux-mêmes personnellement exposés de manière croissante à des violences dans le cadre de leurs interventions. L'exemple des émeutes urbaines de l'été 2023 est notamment révélateur, d'une part, de la généralisation de la violence dans la société et, d'autre part, des risques encourus par les policiers municipaux dans l'exercice de leurs fonctions. La récente mission d'information de la commission des lois dédiée à cette question47(*) a ainsi souligné, deux différences majeures par rapport aux émeutes de 2005 : le franchissement d'un cap dans l'intensité des violences ainsi que leur amplitude géographique, qui a largement dépassé les seuls quartiers dits « sensibles ».

Dans ce contexte particulièrement tendu, les policiers municipaux ont fréquemment dû intervenir en complément de la police et de la gendarmerie nationales, et ce alors qu'ils ne disposaient pas des équipements nécessaires à l'exercice d'une mission alors largement assimilable à du maintien de l'ordre. Les policiers municipaux de Franconville-la-Garenne, commune particulièrement concernée par les émeutes, ont par exemple immédiatement cité ces évènements pour illustrer leur propension croissante à réaliser des missions d'intervention.

2. Des compétences et des moyens des polices municipales qui n'ont pas suivi l'évolution de la délinquance

Cette dégradation générale du contexte sécuritaire affecte les policiers municipaux à au moins trois titres. Elle induit premièrement de nouvelles attentes de la population, qui expliquent largement l'essor des polices municipales sur le territoire comme l'accroissement de leurs moyens, notamment en matière d'armement ou de vidéoprotection.

Comme évoqué, elle expose deuxièmement les policiers municipaux à des risques accrus. En effet, les délinquants, de même que les terroristes, ne font généralement pas ou plus la différence entre les forces de sécurité intérieure et les policiers municipaux. Lorsqu'ils entendent défier l'autorité, ils s'en prennent à l'uniforme sans plus de distinction. Du reste, ce constat avait déjà été mis en avant en 2018 par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue dans leur rapport précité « D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale » : « Pour une grande partie du grand public - de même que pour nombre de fauteurs de troubles - les distinctions juridiques entre chaque corps ou cadre d'emplois sont largement méconnues, le port d'un uniforme contribuant à rapprocher l'ensemble de ces effectifs ».

En 2023, le ministère de l'intérieur dénombrait ainsi 3 228 cas d'usage d'armes par des policiers municipaux, soit un total en nette augmentation par rapport à l'année précédente (1 492). Le nombre de policiers municipaux blessés en mission s'élevait quant à lui à 1 208, soit 4 % des effectifs, soit un niveau important et préoccupant.

Nombre de cas d'usage d'armes et nombre de policiers municipaux
blessés en mission

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données du ministère de l'intérieur

Troisièmement, ce contexte justifie une évolution des missions des polices municipales, avec un développement de plus en plus marqué de doctrines davantage tournées vers l'intervention. Sur ce point, une majorité des 888 élus locaux ayant répondu à la question relative aux missions des polices municipales dans le cadre de la consultation lancée par la mission d'information auprès des élus locaux sur la plateforme dédiée du Sénat indiquent en effet que les polices municipales doivent assumer aussi bien des missions d'intervention que de prévention de la délinquance.

Consultation des élus locaux - Réponses à la question :
« Quelle est votre conception des missions assurées par les polices municipales ? »

Note : nombre de répondants : 888

Source : commission des lois du Sénat, d'après les résultats de la consultation des élus locaux, « Polices municipales : quel bilan ? quelles réformes ? »

Un tel bouleversement du contexte dans lequel les polices municipales interviennent impose une évolution en profondeur de leur cadre juridique, qui date pour l'essentiel de la loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales. Si la délinquance a fortement évolué depuis lors, voire s'est professionnalisée, force est malheureusement de constater que le régime juridique des polices municipales et les équipements qui leur sont attribués n'ont pas été révisés en parallèle. Il en résulte un décalage profondément insatisfaisant entre le volontarisme de nombreux élus locaux pour développer leur police municipale et les moyens dont celles-ci disposent effectivement pour garantir la tranquillité publique48(*).

Ce constat est partagé par l'ensemble des personnes auditionnées par la mission d'information. À titre d'exemple, une majorité claire des élus locaux ayant participé à la consultation de la mission d'information ont répondu par la négative à la question « Les missions attribuées aux polices municipales par le code de la sécurité intérieure sont-elles en adéquation avec vos besoins ? » (448 sur 796 répondants, 56,3 %). Plus encore, plus d'un élu répondant sur deux qualifie l'inadéquation entre les prérogatives octroyées aux polices municipales et ses besoins d'importante ou de très importante (57,4 % des 428 répondants à cette question).

Consultation des élus locaux - Réponses à la question :
« L'inadéquation entre les prérogatives octroyées aux polices municipales
et vos besoins est : »

Note : nombre de répondants : 428

Source : commission des lois du Sénat, d'après les résultats de la consultation des élus locaux, « Polices municipales : quel bilan ? quelles réformes ? »

L'analyse du Gouvernement n'est pas différente. Lors de son audition du 21 mai 2025 devant la commission des lois,
François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur, a ainsi rappelé que « le cadre législatif des polices municipales date de 1999 et celui qui s'applique aux gardes champêtres de 1994, alors que la nature des interventions des agents a évolué ; les policiers municipaux sont souvent les primo-intervenants ».

Dans ce contexte, la mission d'information plaide pour une mise à niveau des prérogatives administratives et judiciaires des policiers municipaux et des gardes champêtres, ainsi que des équipements qui leur sont attribués. Face à l'augmentation générale de l'insécurité sur le territoire, il est impératif de lever les contraintes juridiques et matérielles empêchant encore trop souvent ces acteurs incontournables du continuum de sécurité d'être pleinement efficaces dans leur action.


* 41 Décret n° 94-731 du 24 août 1994 portant statut particulier du cadre d'emplois des gardes champêtres ; loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales.

* 42 Assemblée nationale, rapport n'information n° 1544 (2022-2023) de MM. Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet sur les missions et l'attractivité des polices municipales, 19 juillet 2023.

* 43 Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, « Insécurité et délinquance en 2024 : une première photographie », 30 janvier 2025.

* 44 Ce chiffre doit néanmoins être analysé avec précaution dès lors que, comme le relève le ministère de l'intérieur, « l'augmentation sensible des violences sexuelles enregistrées ces dernières années s'explique notamment par une évolution du comportement de dépôt de plainte des victimes, dans le prolongement de l'affaire Weinstein et des différents mouvements sur les réseaux sociaux en faveur de la libération de la parole des victimes. En outre, l'augmentation des violences sexuelles enregistrées s'inscrit dans un contexte d'amélioration des conditions d'accueil des victimes par les services de sécurité, et plus récemment à la suite des évolutions législatives concernant la protection des mineurs contre les violences sexuelles. Ainsi, les victimes portent à la connaissance de la police et de la gendarmerie davantage de faits de violences sexuelles, mêmes s'ils ont eu lieu longtemps auparavant ».

* 45 Les vols avec armes décroissent en moyenne de 4 % par an depuis 2016 (8 700 en 2024). Cette tendance est encore plus marquée s'agissant des vols violents sans armes (-8 % par an, 48 400 en 2024). On dénombre par ailleurs plus de 100 000 victimes de vols sans violence de moins sur la période (709 400 en 2016 contre 608 000 en 2024).

* 46 Sénat, rapport n° 588 (2023-2024) fait au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et sur les moyens pour y remédier, 7 mai 2024.

* 47 Sénat, rapport n° 521 (2023-2024) fait par François-Noël Buffet au nom de la commission des lois, investie des pouvoirs d'une commission d'enquête, sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, 9 avril 2024.

* 48 Cf. II. B et C.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page