C. UN PARTENARIAT AVEC LA POLICE ET LA GENDARMERIE NATIONALES ESSENTIEL MAIS ENCORE PERFECTIBLE
1. Une action des polices municipales qui s'inscrit en complémentarité avec celle des forces nationales
L'action des polices municipales et des gardes champêtres s'inscrit pleinement dans le continuum de sécurité, en partenariat avec celle des forces de sécurité intérieure. Loin de toute forme de concurrence, la complémentarité entre ces deux acteurs est de prime abord de l'ordre de l'évidence. Si les doctrines d'emploi des polices municipales comme des gardes champêtres sont logiquement caractérisées par une forte diversité, force est en effet de constater que leur caractère d'échelon de proximité demeure un puissant facteur commun. Cette faculté à assurer une importante présence sur le terrain constitue indéniablement leur principal atout vis-à-vis de citoyens qui les considèrent par ailleurs de plus en plus souvent comme leur premier recours. La mission d'information estime à ce titre indispensable de préserver le rôle d'échelon de proximité dévolu aux polices municipales, en complémentarité avec des forces de la police et de la gendarmerie nationales.
La DGPN partage au demeurant cette appréciation. Au cours de son audition, ses représentants ont ainsi rappelé, d'une part, que « la coordination est déterminante pour l'efficacité et la qualité du continuum de sécurité entre les forces de sécurité intérieure » et, d'autre part, que « les policiers municipaux ont des fonctions de surveillance générale de la voie et des lieux publics ; ces fonctions s'inscrivent dans le cadre d'une police de proximité de prévention qui implique une étroite coopération avec les services de la police nationale ».
Les auditions et les déplacements de la mission d'information ont confirmé la nécessité d'un partenariat effectif entre ces deux échelons du continuum de sécurité. La montée en puissance des polices municipales sur la période récente a indéniablement permis de donner davantage corps à celui-ci. L'augmentation continue des effectifs sur le territoire national, leur professionnalisation et la montée en gamme de leur équipement ont conduit à faire de la police municipale un partenaire non seulement crédible mais incontournable des forces nationales.
Du reste, ce constat est loin d'être nouveau. Les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue soulignaient déjà cet élément dans leur rapport « D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale » rendu en septembre 2018 : « Globalement reconnus pour leur sérieux et leur professionnalisme tant dans les zones densément peuplées que dans des communes comptant une population moindre, les policiers municipaux sont pleinement considérés comme des partenaires avec lesquels il est possible de travailler en confiance. En outre, selon la volonté propre à chaque commune, la mission a pu constater que certaines polices municipales peuvent s'appuyer sur des équipements matériels de très haute qualité, parfois supérieure à celle de leurs collègues des forces de l'État ».
Pour autant, la complémentarité ne saurait être synonyme de mise à disposition ou de dépendance. La montée en puissance de l'échelon local ne saurait en aucun cas conduire à ce qu'il devienne une force d'appoint de l'échelon national, sauf à remettre en cause l'autorité du maire pour définir le projet de sécurité dans sa commune, ou de palliatif au désengagement de la police et de la gendarmerie nationales de leurs missions de voie publique.
Du reste, la commission des lois était déjà parvenue à une conclusion similaire dans son rapport d'avril 2024 intitulé « Émeutes de juin 2023 : comprendre, évaluer, réagir »26(*). Son rapporteur, François-Noël Buffet, estimait ainsi « indispensable de renforcer la coordination entre les différents acteurs du continuum de la sécurité, singulièrement entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure, dans une logique partenariale et de complémentarité qui ne saurait s'apparenter à une logique de substitution ou de supplétivité ». Il rappelait par ailleurs que « le rôle des polices municipales doit, à l'initiative de chacun des maires, être une force garante de la sécurité de proximité, en complément des forces de sécurité intérieure, sans que leurs actions ne soient assimilables ».
Si la recherche d'une plus grande complémentarité entre ces deux échelons représente donc à l'évidence un objectif prioritaire, la mission d'information considère, conformément à une position constante de la commission des lois, qu'elle doit se dérouler dans le cadre d'un partenariat équilibré, mutuellement bénéfique et adapté aux besoins de chaque territoire.
2. Des canaux de coordination multiples mais susceptibles d'amélioration
a) Les conventions de coordination : une formalisation de la coopération parfois standardisée ou à sens unique
En pratique, le partenariat entre ces deux acteurs est formalisé par la conclusion de « conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État ». Cette convention permet de définir le cadre opérationnel de coopération entre la police municipale et les forces nationales, dans le strict respect des libertés locales. Il s'agit à ce titre d'un outil essentiel, comme cela a été rappelé par François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'intérieur, lors de son audition devant la commission des lois le 21 mai 2025 : « la police municipale reste placée sous l'autorité du maire et ne substitue pas à la police nationale, tandis que le principe de complémentarité entre les différents acteurs du continuum de sécurité doit se traduire par des conventions entre les maires et les préfectures, de manière à préciser clairement le rôle de chacun ».
Aux termes de l'article L. 512-6 du code de la sécurité intérieure, la convention de coordination précise, « après réalisation d'un diagnostic préalable des problématiques de sûreté et de sécurité auxquelles est confronté le territoire, les missions complémentaires prioritaires, notamment judiciaires, confiées aux agents de police municipale ainsi que la nature et les lieux de leurs interventions, eu égard à leurs modalités d'équipement et d'armement ; elle détermine les modalités selon lesquelles ces interventions sont coordonnées avec celles de la police et de la gendarmerie nationales. Elle précise la doctrine d'emploi du service de police municipale ». Elle est signée à la fois par le représentant de l'État dans le département, le maire, le procureur de la République et, lorsqu'il s'agit d'une convention intercommunale, par le président de l'établissement de coopération intercommunale ou du syndicat concerné27(*). En pratique, le contenu de ces conventions reprend dans la majeure partie des cas celui des deux modèles types figurant aux annexes 1 et 2 du code de la sécurité intérieure.
Ces conventions peuvent également prévoir un dispositif de coopération opérationnelle renforcée qui, selon les termes employés par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) au cours de son audition, permet « de mettre en place une collaboration plus étroite de ces coopérations qui vont au-delà de la simple coordination ». Le cas échéant, ces conventions renforcées peuvent préciser les modalités de coopération dans au moins neuf domaines28(*), parmi lesquels la communication opérationnelle ou la prévention des violences urbaines. Si le nombre exact de ces conventions renforcées n'est pas connu, la DGPN considère néanmoins que cette collaboration « est particulièrement importante quand les polices municipales disposent de moyens en ressources humaines et matérielles conséquents ».
Comme cela a également été rappelé par la DGPN au cours de son audition, la conclusion d'une convention coordination est par ailleurs obligatoire dans six cas de figure : lorsque le service de police municipale concernée compte au moins 3 agents de police municipale29(*), lorsque le ou les agents sont armés30(*), équipés de caméras individuelles31(*) ou qu'ils travaillent de nuit, ainsi qu'en cas de création d'une brigade cynophile de police municipale32(*) ou dans le cadre d'une police municipale mutualisée33(*).
En termes quantitatifs, le taux de couverture des services de police municipale par une convention de coordination est particulièrement élevé. Selon les données transmises à la mission d'information, il est de 98,22 %34(*) en zone police et d'environ 70 % en zone gendarmerie35(*).
En termes qualitatifs, le dispositif recueille toutefois des appréciations contrastées. Certains directeurs de police municipale auditionnés par la mission d'information s'en déclarent satisfaits, voire la décrivent comme un document « dorénavant indispensable ». A contrario, d'autres y voient un outil « purement administratif » ou une simple formalité administrative à accomplir rituellement lorsque le cadre légal l'exige. De surcroît, il a parfois été fait état au cours des auditions de conventions « à sens unique », davantage conçues pour répondre aux besoins des forces de sécurité intérieure que pour établir un cadre de coopération réellement partagé.
Témoignage de deux directeurs de police municipale sur la convention de coordination conclue au sein de leur commune
· « Une convention de coordination a été conclue car elle s'avère obligatoire au regard du nombre d'agents et de l'armement. Nous avons adapté la convention type au regard de nos missions et après concertation avec la brigade territoriale de gendarmerie. Je souligne qu'il s'agit d'un document purement administratif et que dès que la coopération entre les forces étatiques et le service de police municipale est bonne, le partage d'informations, les actions communes se font naturellement ».
· « Cette coordination, en général, n'a vocation à être que dans un seul sens, le sens unique, celui de l'intérêt des forces de sécurité intérieure. Certains d'entre nous au sein des polices municipales, évoquons cela comme une simple obligation législative nous permettant le travail de nuit ou lorsque nos effectifs sont au-delà de cinq ETP (...).
« Oui, j'ai formalisé une convention de coordination, le but étant de mieux coordonner les actions et activités sur le terrain et de pouvoir ainsi clarifier les obligations des uns et des autres lorsque la coopération est floue.
« On ressent peu néanmoins l'envie du partenariat dans le sens noble du terme - peu cette envie de se coordonner afin d'être complémentaires. Néanmoins, lorsque le service de police municipale offre un certain nombre de moyens (moto, ou brigades cynophiles par exemple) là où les FSI sont un peu “ faibles ” ou peu ou pas équipées, la coopération s'inscrit d'évidence dans la convention comme la marque indiscutable voire quelque peu contrainte de ce partenariat entre police nationale et police municipale ».
Du reste, le rapport d'information des députés Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet36(*) alertait déjà en 2023 sur quatre points en la matière : le fait que les besoins des collectivités ne soient pas systématiquement pris en compte dans un diagnostic partagé37(*) ; la rareté des mises à jour entre chaque renouvellement triennal, et ce en dépit de l'évolution rapide des caractéristiques de la délinquance ; une évaluation insuffisante au niveau local par les parties prenantes ; la subsistance de services de moindre dimension n'ayant pas conclu de convention. Si la généralisation de la convention de coordination n'a pas nécessairement vocation à constituer un objectif en soi, la mission d'information considère néanmoins que cette analyse demeure pour l'essentiel valable aujourd'hui.
Dans ce contexte, la mission d'information tient à réaffirmer qu'un partenariat efficace doit systématiquement reposer sur un diagnostic partagé sur les besoins de la population en matière de sécurité et sur des engagements réciproques, cohérents avec les compétences de chaque acteur. Elle considère en conséquence indispensable d'individualiser davantage les conventions de coordination, qui sont encore trop régulièrement les répliques exactes du modèle type. De fait, la DLPAJ a elle-même cité au cours de son audition la meilleure appropriation des conventions de coordination comme l'un des axes possibles du renforcement de la coopération.
b) Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance : des instances partenariales établies mais peu opérationnelles
Au niveau institutionnel, la principale instance partenariale entre l'échelon local et les forces de sécurité intérieure est le conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance. Comme l'a rappelé la DGPN au cours de son audition, celui-ci a vocation à être « le lieu de définition de la stratégie de prévention et de lutte contre la délinquance, dont la déclinaison est mise en oeuvre par l'ensemble des partenaires du continuum de sécurité qui vont au-delà des seules polices municipales et nationales ». Concrètement, les conventions de coordination représentent la déclinaison opérationnelle de la stratégie locale ainsi définie.
Si cet organe présente l'avantage de formaliser une structure d'échanges entre les différents acteurs de la sécurité sur le territoire, la mission d'information relève néanmoins que, malgré l'implication des élus locaux, les débats y restent parfois superficiels voire déconnectés des réalités opérationnelles du territoire. Cette implication qui peut être à géométrie variable des membres du CLSPD amoindrit l'intérêt de cette structure, de fait rarement déterminante dans la définition concrète de la coopération opérationnelle entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure.
c) L'affirmation de nouveaux outils contractuels ou opérationnels de coordination
Deux autres outils peuvent par ailleurs être cités au titre des instruments de coopération entre ces deux échelons du continuum de sécurité.
Il s'agit, en premier lieu, des contrats de sécurité intégrée, dont le premier a été signé à Toulouse le 9 octobre 2020. Leurs contours ont été précisés par la circulaire n° 6258-SG du 16 avril 2021 qui précise, d'une part, que leur objectif est « de formaliser et de renforcer les engagements partagés de l'État et des collectivités territoriales dans le domaine de la sécurité » et, d'autre part, « qu'ils s'adressent prioritairement aux grandes agglomérations ou aux bassins de délinquance les plus importants ». Ces contrats, qui doivent rester en vigueur jusqu'à l'échéance électorale de 2026, se démarquent des conventions de coordination par plusieurs aspects.
Ils ont tout d'abord vocation à couvrir plusieurs communes, y compris au-delà du périmètre des intercommunalités. Ils sont ensuite le support d'une approche globale, qui entend associer l'ensemble des acteurs impliqués dans la production de sécurité, sans se cantonner aux forces de sécurité stricto sensu. Sept volets distincts susceptibles d'être pris en compte sont ainsi mentionnés dans la circulaire précitée38(*). Comme cela est enfin rappelé dans le rapport d'information précité des députés Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet, l'objectif était par ailleurs également d'y « intégrer les dispositifs contractuels déjà existants ou en voie de création sur un même territoire, tels que les contrats locaux de sécurité, les quartiers de reconquête républicaine, les stratégies territoriales de sécurité et de prévention de la délinquance ou encore les conventions de la coordination ».
Au-delà de ces éléments, l'objectif de ces contrats est principalement de formaliser un accord implicite voyant l'État s'engager à maintenir, voire à augmenter le volume des effectifs de policiers nationaux sur le territoire signataire en contrepartie d'un engagement de même nature pour les effectifs de police municipale. Selon le rapport d'information précité, seule une soixantaine de contrats de sécurité intégrée avaient été conclus à l'été 2023.
À l'approche de l'échéance fixée par la circulaire du 16 avril 2021, la mission d'information ne peut qu'appeler à ce qu'une évaluation de ce dispositif soit réalisée, en particulier s'agissant de ses effets sur la relation entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure.
En second lieu, la DGPN a insisté au cours de son audition sur le rôle des groupes de partenariat opérationnel (GPO), soit des instances locales pilotées par la police nationale « pour résoudre de manière collégiale les problématiques de sécurité, décider d'action dont la mise en oeuvre est souvent confiée conjointement à la police municipale et à la police nationale, actions qui elles-mêmes ont pu être abordées lors des cellules restreintes du CLSPD ». Un bilan établi par le ministère de l'intérieur fait état de 7 000 réunions organisées sur les onze premiers mois de l'année 2020 dans les 941 secteurs de proximité créés à cet effet dans les circonscriptions de sécurité publique39(*). Ledit bilan mentionne par ailleurs plusieurs exemples d'actions concrètes initiées par les GPO, parmi lesquelles la densification des patrouilles de voie publique ou le contrôle des parties communes et des caves des lieux d'habitat collectif.
d) In fine, une coordination dont l'efficacité repose essentiellement sur les relations interpersonnelles
Si les instruments de coordination formalisés entre la police municipale et les forces de sécurité intérieure sont donc nombreux, la mission d'information ne peut toutefois que constater que la qualité de celle-ci repose encore essentiellement sur la qualité des relations interpersonnelles entre les différents acteurs. De ce point de vue, les témoignages entendus par la rapporteure au cours de ses travaux laissent entrevoir des réalités variées.
La majorité des directeurs de police municipale auditionnés dressent un bilan plutôt positif de cette coopération, l'un d'entre eux faisant par exemple état « d'un bilan relativement positif, avec des réunions hebdomadaires permettant de planifier les opérations conjointes, d'anticiper les besoins et de faire le point sur les situations en cours. Cela permet de cadrer le volet opérationnel, de favoriser les échanges avec un partage des missions et des informations. Cette coordination est faite en réel partenariat, ce qui à mon sens est indispensable ».
D'autres voix sont en revanche plus nuancées, soulignant la fragilité de cette coordination voire son caractère unilatéral. Ainsi, un chef de service entendu par la rapporteure a regretté que la relation avec les forces de sécurité intérieure « se borne principalement à compléter les effectifs étatiques pour faire le nombre », ajoutant que celle-ci « trouve son intérêt et sa motivation très souvent dans le relationnel personne-personne, ce qui la fragilise dès le moment où arrivent les mobilités ». Plus encore, certains policiers municipaux ont évoqué par ces mots la persistance de frictions, principalement du fait d'une méconnaissance de la réalité des missions opérées par la police municipale, l'un d'entre eux soulignant : « je déplore que le rôle de la police municipale soit méconnu chez certains fonctionnaires d'État et nous pouvons constater un certain “ dédain ” de ces derniers ».
Si la coopération se déroule ainsi de manière fluide dans la plupart des cas, des difficultés peuvent localement intervenir. Dans ce contexte, la mission d'information ne peut que regretter que le rôle des relations interpersonnelles dans la qualité de la coordination opérationnelle entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure soit aussi prépondérant.
3. En pratique, un effet de dépendance qui ne fait que s'accroître
Un risque régulièrement mis en avant est par ailleurs celui d'une substitution progressive des forces de sécurité intérieure par les polices municipales ou les gardes champêtres. Nombre d'acteurs font en effet le constat d'une forme de dépendance croissante des forces de sécurité intérieure à l'action des polices municipales sur la voie publique.
Ce constat a été largement documenté par la Cour des comptes dans son rapport public thématique précité d'octobre 202040(*). La Cour y affirme dans celui-ci que les polices municipales sont devenues les principales forces de tranquillité publique, avec un effet de substitution avéré dans les communes dotées d'une police municipale dont la doctrine d'emploi est interventionniste. Selon la Cour, « les forces de l'État considèrent en réalité les missions de tranquillité du quotidien comme l'apanage de la police municipale qu'elles délèguent volontiers lorsque leurs moyens font défaut ».
Cette dynamique de substitution serait par ailleurs accentuée par le développement de doctrines de polices municipales plus offensives et dont le champ action dépasse alors largement celui des missions de surveillance de la voie publique traditionnellement dévolues aux polices municipales. La multiplication des interpellations en flagrance, le développement du travail de nuit ou encore la mise en place de numéros d'alertes propres à la police municipale sont autant de manifestations concrètes de cette extension des missions alors effectivement assurées par la police municipale sur le territoire.
Si la Cour des comptes considère dans ce contexte l'existence d'un effet de substitution comme acquise, elle ne tranche en revanche pas la question de son origine : « ces polices municipales tendent à s'assimiler aux unités de voie publique de la police nationale, au-delà du partage des tâches initialement prévu par les conventions de coordination qui sont censées organiser leurs relations. Il est difficile de savoir si ce phénomène est l'effet de l'occupation, par les polices municipales, du vide créé par un moindre engagement des policiers nationaux, ou bien d'une moindre implication de la police nationale faisant suite à la montée en puissance des moyens municipaux ».
Au cours de ses travaux, la mission d'information a été frappée de constater la divergence des discours sur ce point entre les acteurs étatiques et locaux. Si la majorité des élus locaux ou des directeurs de police municipale interrogés ont confirmé l'existence d'un effet de dépendance, à des degrés divers selon les territoires, celui-ci est en revanche contesté par les forces de sécurité intérieure.
Conclusions de la Cour des comptes sur l'évolution des missions des polices municipale et sur la coordination avec les forces de sécurité intérieure
« La diversité des doctrines d'emploi, reflet de l'ambition politique du maire pour sa police municipale, reste d'actualité mais la question se pose désormais davantage en matière de positionnement sur un spectre allant de la prévention et de la tranquillité à l'intervention à des fins répressives.
« Si tous les services de police municipale ont principalement la charge de la tranquillité et de la salubrité publiques, certains cherchent à lutter plus activement contre la délinquance en développant leurs capacités d'intervention.
« Le besoin de coordination avec les forces de sécurité intérieure s'en fait d'autant plus ressentir. Cette coordination est aujourd'hui entrée dans les habitudes, grâce à des conventions qui ont fait l'objet d'une appropriation politique et de moyens opérationnels dont la diffusion a été encouragée.
« Là où elles existent, les polices municipales occupent désormais pleinement le champ de la tranquillité publique, que les forces de sécurité nationales leur délèguent volontiers lorsque leurs moyens font défaut.
« Au-delà, un nombre croissant de services municipaux mettent en oeuvre des doctrines d'intervention qui contribuent à les assimiler à la police et - dans une moindre mesure - à la gendarmerie nationale. Pour certaines infractions comme les tapages nocturnes, ces polices municipales se substituent aux forces nationales. Pour d'autres, comme les infractions liées aux stupéfiants, elles s'y ajoutent.
« Cette situation révèle les fragilités des forces étatiques, qui se retrouvent de plus en plus en situation de dépendance vis-à-vis de moyens dont elles n'ont pas la maîtrise. La légitimité de l'intervention des forces municipales dans ce qui peut être considéré comme le “ coeur de métier ” des forces de l'État n'est en outre pas totalement assurée, alors leur formation n'est pas du même niveau et le contrôle dont elles font l'objet reste faible. »
Interrogée sur ce point, la DGPN a ainsi fait valoir les éléments suivants au cours de son audition : « il n'y a aucun effet de substitution sur les compétences régaliennes (terrorisme et narcobanditisme), où seules les forces de l'État ont compétence pour intervenir. Sur les autres champs missionnels, notamment de la sécurité du quotidien, le principe de complémentarité s'applique et non de dépendance dans l'action quotidienne des polices municipales et des forces de sécurité intérieure. Le constat de terrain est que certaines polices municipales, dotées de moyens humains et matériels importants, investissent de plus en plus le champ de la lutte contre la délinquance et agissent en complémentarité de la Police nationale ». Défendant la même position, la DLPAJ a insisté sur le fait que « la police municipale ne se substitue pas aux forces de sécurité intérieure, notamment en matière de maintien de l'ordre ou d'enquête judiciaire », tout en rappelant que, toutefois, « une bonne coordination entre les entités, à travers notamment des conventions de coordination élaborées rigoureusement et faisant l'objet d'un suivi, demeure primordiale ».
A contrario, les associations d'élus auditionnées ont insisté sur la réalité, dans certains territoires majoritairement urbains, de ce phénomène de déport de la police et de la gendarmerie nationales sur les polices municipales pour l'exercice de missions de voie publique. À titre d'exemple, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a indiqué que « cet effet de substitution et de dépendance était parfois ressenti sur le terrain ; en se basant sur plusieurs exemples en milieu urbain, certains maires évoquent une perte nette de l'empreinte terrain des forces de sécurité intérieure et un glissement vers les polices municipales des interventions de sécurité publique normalement assumées par les forces de sécurité intérieure, y compris (et surtout) les interventions nocturnes ; le risque à terme est la constitution d'une force de proximité, les polices municipales, et d'une force judiciaire, les forces de sécurité intérieure ». Cette analyse est partagée tant par France Urbaine, qui constate, « surtout dans les grandes villes et agglomérations françaises, un déport de charge où les policiers municipaux sont primo-intervenants sur de nombreux faits et délits, car la police nationale dans ces territoires n'a plus la capacité de juguler l'ensemble des phénomènes », que par l'association des petites villes de France qui déplore que « les communes interviennent désormais pour combler les carences de l'État ».
Si la mission d'information admet que l'intensité de cet effet de substitution entre les forces de sécurité intérieure et la police municipale ou les gardes champêtres varie selon les territoires, elle considère en revanche que sa réalité ne fait aujourd'hui plus débat s'agissant des grandes agglomérations. De fait, les forces de sécurité intérieure, dont le volontarisme et le professionnalisme doivent par ailleurs être salués, sont largement accaparées par d'autres tâches, limitant d'autant leur présence sur le terrain. Par voie de conséquence, les policiers municipaux et les gardes champêtres sont effectivement devenus la principale force de terrain, au point que les habitants des territoires concernés les contactent désormais en priorité en cas de difficulté. Un exemple frappant est celui de la police municipale de Meaux, où la mission d'information a effectué un déplacement. Son directeur a indiqué que le nombre d'appels émis vers le numéro de contact de la police municipale mis en place par la commune pouvait parfois dépasser celui des appels émis vers le 17.
Si les polices municipales s'acquittent avec professionnalisme de ces missions parfois désinvesties par les forces de sécurité intérieure, une telle situation ne va toutefois pas sans susciter de nombreuses interrogations. Elle est tout d'abord susceptible de créer des inégalités entre les citoyens vis-à-vis de la sécurité publique, qu'il appartient à l'État de garantir sur l'ensemble du territoire. Une telle substitution n'est par ailleurs pas sans risque pour les policiers municipaux ou les gardes champêtres eux-mêmes, dès lors qu'ils doivent assurer des missions pour lesquelles ils ne sont pas ou peu formés et les exposant parfois à un niveau de risque accru, et ce alors même qu'ils ne disposent pas nécessairement des équipements pour y faire face. Aussi, le renforcement des polices municipales que la mission d'information appelle de ses voeux a vocation à s'inscrire en complémentarité avec l'objectif, posé par la loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur (LOPMI), de doublement des effectifs des forces de l'ordre sur le terrain entre 2023 et 2030, et en aucun cas à se substituer à celui-ci.
* 26 Rapport d'information N° 521 (2023-2024), « Émeutes de juin 2023 : comprendre, évaluer, réagir », 9 avril 2024.
* 27 Article L. 512-5 du code de la sécurité intérieure.
* 28 Il s'agit du partage d'informations sur les moyens disponibles en temps réel et leurs modalités d'engagement, de l'information quotidienne et réciproque, de la communication opérationnelle (par le prêt exceptionnel de matériel radio, la retransmission immédiate des sollicitations adressées à la police municipale dépassant ses prérogatives ou la participation de la police municipale à un poste de commandement commun en cas de crise ou de gestion de grand événement), de la vidéoprotection (par la rédaction des modalités d'interventions consécutives à la saisine des forces de sécurité intérieure par un centre de supervision urbaine et d'accès aux images), des missions menées en commun sous l'autorité fonctionnelle du responsable des forces de sécurité de l'État, de la prévention des violences urbaines et de la coordination des actions en situation de crise, de la sécurité routière, de la prévention ainsi que de l'encadrement des manifestations sur la voie publique ou dans l'espace public, hors missions de maintien de l'ordre.
* 29 Article L. 512-4 du code de la sécurité intérieure, même si le service compte moins de trois agents.
* 30 Article L. 511-5 du code de la sécurité intérieure, même si le service compte moins de trois agents.
* 31 Article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure, même si le service compte moins de trois agents.
* 32 Article L. 511-5-2 du code de la sécurité intérieure, même si le service compte moins de trois agents.
* 33 Articles L. 512-1 et L. 512-1-2 du code de la sécurité intérieure.
* 34 Avec 994 conventions signées au 31 décembre 2024 pour 1012 services de police municipale (sur 1 573 communes situées sur le ressort de la DGPN).
* 35 Avec environ 2 000 conventions de coordinations recensées en zone gendarmerie.
* 36 Assemblée nationale, rapport n'information n° 1544 (2022-2023) de MM. Lionel Royer-Perreaut et Alexandre Vincendet sur les missions et l'attractivité des polices municipales, 19 juillet 2023.
* 37 « Notamment du fait que ce sont les préfectures qui “ pilotent ” le processus d'élaboration, ce qui laisse peu de marge pour l'élaboration ».
* 38 La sécurité intérieure, la justice, la prévention de la délinquance, les mineurs, l'éducation nationale, la lutte contre la radicalisation et le séparatisme ainsi que les transports.
* 39 Ministère de l'intérieur, « Police de sécurité du quotidien : la mise en oeuvre des groupes de partenariat opérationnel », 10 février 2021.
* 40 Cour des comptes, rapport public thématique, « Les polices municipales », octobre 2020.