C. LE RÔLE CENTRAL DES COMMISSIONS PERMANENTES

1. La compétence générale de suivi de l'application des lois par les commissions permanentes
a) Un contrôle dynamique permanent

Conformément à l'article 19 bis A du Règlement du Sénat, les commissions permanentes « mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence [...] le suivi de l'application des lois. » La révision du Règlement du Sénat du 18 juin 2019 a consacré leur contribution à l'élaboration du bilan annuel de l'application des lois. Le Sénat en déduit un taux global d'application des lois, qui s'établit à 59 % pour la session 2023-20247(*).

Au-delà de l'aspect quantitatif, dont l'importance apparait indéniable, la Haute Assemblée assure un suivi qualitatif en vérifiant que l'intention du législateur est bien respectée dans le cadre des dispositions réglementaires. Cette activité de contrôle est effectuée, tout au long de l'année, par chaque commission dans son champ de compétence8(*).

Les rapports d'information des commissions constituent, dans le cadre de l'examen approfondi d'une thématique particulière, un moyen d'analyser qualitativement l'application des lois votées par le législateur dans le passé, et, le cas échéant, d'en proposer des évolutions.

Cet aspect qualitatif du contrôle de l'application des lois a été renforcé en 2022. Conformément à l'une des propositions de la mission de réflexion sur le contrôle parlementaire dont les conclusions ont été approuvées le 1er décembre 2021 par la Conférence des présidents, le programme annuel de contrôle de chaque commission doit désormais comporter l'évaluation de la mise en oeuvre d'une loi emblématique promulguée au cours des dix dernières années. Ce travail prend la forme d'un rapport d'information et conduit à un débat en séance publique en présence du ministre compétent.

C'est notamment dans ce cadre que la commission des affaires sociales a souhaité dresser le bilan de la loi handicap de 20059(*). Chantal DESEYNE, Marie-Pierre RICHER et Corinne FÉRET ont rapporté ces travaux, en y dressant un bilan en demi-teinte, notamment en matière de droit à compensation du handicap10(*). Par ailleurs, en dépit d'un taux d'application jugé globalement satisfaisant11(*), une mesure importante sur les obligations des services publics en matière d'accueil des personnes en situation de handicap auditif demeure sans application. Celle-ci prévoit que « dans leurs relations avec les services publics, les personnes déficientes auditives bénéficient, à leur demande, d'une traduction écrite simultanée ou visuelle de toute information orale ou sonore les concernant selon des modalités et un délai fixés par voie réglementaire »12(*) .

b) Des stocks de mesures en attente

Par ailleurs, les commissions continuent également à assurer le suivi de l'application des lois adoptées antérieurement à la session, ce qui permet, le cas échéant, de repérer certaines anomalies plus anciennes.

Ainsi la commission des finances dénombrait au 31 mars 2025, 16 lois en stock partiellement applicables, - dont la plus ancienne date de 1984, demandant au total 84 mesures d'application. Son président a donc précisé lors de la présentation du bilan de l'application des lois qu'« on ne peut évidemment se satisfaire de cette situation qui démontre que certaines mesures législatives n'étaient probablement pas suffisamment pertinentes ou nécessaires pour être mises en oeuvre, mais aussi que malgré la volonté du Législateur, plusieurs dispositions restent non appliquées faute de diligence de la part du Gouvernement. Cela ne manque pas d'interroger également au regard du principe constitutionnel de clarté et de lisibilité de la loi.

Je reprends à ce titre l'exemple de la création d'une réserve opérationnelle douanière, prévue par la loi n° 2023 610 du 18 juillet 2023 dite « Douane », qui avait été présentée comme stratégique pour les jeux olympiques de Paris en 2024. Les mesures réglementaires nécessaires à sa création n'ont toujours pas été adoptées au 31 mars 2025. Nous sommes désormais bien loin des JO mais cette réserve était, au-delà de cet événement, considérée comme prioritaire par le Gouvernement. »

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a relevé 12 textes sur les 33 lois promulguées entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2023 devant faire l'objet d'une mesure d'application. Si elle se félicite de la mise en application totale de la loi de 2019 portant « création de l'OFB13(*) » avec la publication, le 5 septembre 2024, du dernier décret attendu14(*), d'autres « serpents de mer » continuent de naviguer dans la zone grise d'application partielle, tels que les lois « Économie bleue15(*) de 2016, « Biodiversité16(*) » de 2016, « Montagne17(*) » de 2016, « T3P18(*) » de 2016, « LOM19(*) » de 2019, « AGEC20(*) » de 2020, DDADUE21(*) de 2021, « Réduire l'empreinte environnementale du numérique en France22(*) » de 2021, « Climat et résilience23(*) » de 2021, « Lutte contre le risque incendie »24(*) de 2023, et « APER »25(*) de 2023.

La loi « Climat et résilience » illustre parfaitement l'engagement des rapporteurs à suivre d'un point de vue qualitatif la mise en oeuvre d'une loi. Un des dispositifs de cette loi concernant les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) a fait l'objet d'une mission d'information conduite par M. Philippe TABAROT. Dans le rapport d'information « ZFE- m : sortir de l'impasse »26(*), la commission a ainsi alerté sur les risques d'un déploiement trop brutal du dispositif.

Le Sénat continue donc non seulement de suivre ce stock de lois en attente de mesures mais également leur mise en oeuvre afin de mieux répondre aux enjeux cruciaux auxquels les citoyens sont confrontés quotidiennement.

La mise en application partielle des lois anciennes génère un effet boule de neige du nombre de mesures restant à prendre qui s'accroit d'année en année. Le président de la commission des finances, M. Claude RAYNAL, a mis en garde sur « le fait que tant le nombre de lois que le nombre de mesures du stock de la commission va une fois de plus augmenter à l'issue de cette session, l'inflation se poursuit puisque le nombre de mesures en stock devrait dépasser la barre des 100 mesures en attente d'application, alors qu'il y en avait moins de 40 avant 2020 ».

Le Sénat demeure également très vigilant sur le processus de codification, qui ne saurait s'effectuer autrement qu'à droit constant, au risque de méconnaître la volonté du législateur.

2. La mission particulière du rapporteur

Enfin, le contrôle de l'application des lois par les commissions permanentes a connu une évolution supplémentaire, introduite par la réforme du 18 juin 2019 de l'article 19 bis B du Règlement du Sénat. « Le rapporteur est chargé de suivre l'application de la loi après sa promulgation et jusqu'au renouvellement du Sénat. »27(*) Il s'agit du cinquième bilan annuel publié dans le cadre de cette évolution règlementaire notable.

Votre rapporteure salue le travail accompli par ses collègues dans le cadre de l'application des lois, considérant qu'ils constituent le premier maillon de la chaine de ce suivi. En effet, ceux-ci permettent au Sénat d'exercer un rôle proactif d'alerte en amont du processus qualitatif de contrôle.

Au total, l'exhaustif travail de recensement et d'évaluation effectué par le Sénat lors de l'élaboration du bilan annuel constitue une forme d'aiguillon pour le Gouvernement, dont « la perspective [...] contribue parfois à accélérer, au printemps, la mise en oeuvre de certains décrets »28(*).


* 7 Ce taux est calculé en prenant en compte les mesures dont la mise en application est différée.

* 8 Le contrôle spécifique assuré par la commission des finances et la commission des affaires sociales respectivement sur l'exécution des lois de finances et l'application des lois de financement de la sécurité sociale est consacré aux 2. et 3. de l'article 19 bis A du Règlement du Sénat.

* 9 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

* 10 Rapport d'information n° 306 (2024-2025), déposé le 5 février 2025, « Bilan de l'application de la loi du 11 février 2005 ».

* 11 Taux de 94 %.

* 12 Article 78 de la Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 sur le handicap.

* 13 Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement.

* 14 Décret n° 2024-889 du 4 septembre 2024 relatif au fichier national du permis de chasser.

* 15 Loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue. Taux d'application de 92 % au 31 mars 2025.

* 16 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Taux d'application de 92 % au 31 mars 2025.

* 17 Loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Taux d'application de 80 % au 31 mars 2025.

* 18 Loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes. Taux d'application de 89 % au 31 mars 2025.

* 19 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. Taux d'application de 94 % au 31 mars 2025.

* 20 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Taux d'application de 91 % au 31 mars 2025.

* 21 Loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances. Taux d'application de 78 % au 31 mars 2025.

* 22 Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. Taux d'application de 75 % au 31 mars 2025.

* 23 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Taux d'application de 74 % au 31 mars 2025.

* 24 Loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. Taux d'application de 80 % au 31 mars 2025.

* 25 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Taux d'application de 58 % au 31 mars 2025.

* 26 Rapport d'information n° 738 (2022-2023), déposé le 14 juin 2023, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relatif aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).

* 27 « Il peut être confirmé dans ces fonctions à l'issue du renouvellement. Les commissions permanentes peuvent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. »

* 28 Intervention du ministre en charge des relations avec le Parlement lors du débat sur le bilan d'application des lois du 2 juin 2021.

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