C. LES MESURES D'ORIGINE PARLEMENTAIRE : UN CONSTAT INQUIÉTANT

1. Les lois d'initiative parlementaire : une application à deux vitesses ?
a) Un taux moyen préoccupant

On dénombre 30 lois d'initiative parlementaire, adoptées sur la session 2023-2024 contre 29, la session précédente. Elles ne représentent que 58,8% du total des lois promulguées pendant l'année parlementaire contre 66% la session précédente.

En légère amélioration de trois points par rapport à la session précédente, le taux d'application des mesures prévues par les lois d'initiative parlementaire ne s'élève toutefois qu'à 46 %, soit un niveau bien inférieur au taux global d'application de 59 %.

Cette différence de 13 points est d'autant plus notable que l'application de ces lois d'initiative parlementaire ne nécessite en général qu'un nombre réduit de mesures réglementaires, de l'ordre de deux à trois décrets d'application par texte adopté. En l'espèce, elles n'ont concentré que 17 % du total des mesures réglementaires attendues pour les lois adoptées au cours de la session 2023-2024.

Évolution du taux de mise en application des dispositions législatives
des lois d'initiative parlementaire

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG68(*)

b) Un bilan contrasté selon les commissions

Ce taux global reflète des situations contrastées selon les commissions. À l'exception du taux d'application des mesures attendues par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, l'ensemble des taux des autres commissions sont très inférieurs au taux global d'application moyen de 59 % 69(*).

C'est la commission des affaires sociales qui concentre le plus grand nombre de mesures réglementaires d'application prévues, soit plus de 62 % d'entre elles70(*). (Cf. Graphique ci-dessous)

Répartition des propositions de loi par commission pour la session 2023-2024

Répartition des mesures attendues issues de propositions de loi par commission pour la session 2023-2024

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG

Pour autant moins de la moitié (42 %) des mesures prévues des lois d'initiative parlementaire examinées par la commission des affaires sociales ont été mises en application. Si ce taux est en légère augmentation de quatre points par rapport à la session précédente, il demeure néanmoins bien inférieur au taux global d'application de 48 % des mesures prévues relevant du suivi de la commission pour 2023-2024. L'application des propositions de loi d'initiative parlementaire relatives au domaine social semble, avec une certaine constance, ne pas relever d'une priorité du Gouvernement.

Une autre observation inquiétante est la chute d'un tiers du taux d'application des mesures prévues des lois d'initiative parlementaire relevant de la commission des lois.

Évolution du taux d'application des mesures issues
de lois d'initiative parlementaire

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG

Le taux moyen d'application des lois relevant de la commission des lois s'élève à 30 % pour la session 2023-2024 contre 45 % l'année parlementaire précédente. Le constat interroge d'autant plus que le taux moyen d'application des mesures relevant de cette commission est de 81 %, en 2023-2024.

Le taux d'application des mesures issues de lois d'initiative parlementaire examinées par la commission des finances s'établit à 44% en 2023-2024. La non parution d'un unique décret peut bloquer la mise en oeuvre d'une réforme comme celle visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement71(*). Le décret déterminant la part du capital d'EDF devant revenir à l'actionnariat salarié n'est toujours pas paru.

Comparaison du taux d'application des mesures issues
de loi d'initiative parlementaire avec le taux moyen global
et les taux moyens des commissions en 2023-2024

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG

Interrogés à ce sujet l'année dernière, les services du SGG avançaient que les mesures issues d'initiatives parlementaires étaient difficiles à anticiper, à la différence des mesures issues du Gouvernement. Les taux d'application seraient nécessairement plus faibles. Le ministre des relations avec le Parlement indiquait, en 2023, qu'il ne fallait pas y voir « le signe d'une mauvaise volonté de la part du Gouvernement mais principalement la conséquence d'une moindre anticipation des textes d'application des lois »72(*).

Si cet argument peut s'entendre, il n'en demeure pas moins qu'il ne saurait y avoir une application des lois à deux vitesses, en fonction de l'origine des dispositions législatives, comme en témoigne le graphique ci-dessus pour la commission des lois et celle des finances. La circulaire du 27 décembre 2022 relative à l'application des lois ne fait pas de distinction selon la provenance gouvernementale ou parlementaire des dispositions. Si celles issues de propositions de lois sont en effet plus difficiles à anticiper, il ne pourrait cependant y avoir un tel écart, s'agissant des dispositions attendues par la commission des lois, de plus de 29 points avec le taux global moyen et de 51 points avec le taux moyen de la commission.

En outre, le bilan d'application des lois d'initiative parlementaire est fort hétérogène en fonction des commissions concernées, ainsi que l'illustre le taux d'application global des lois relevant de la compétence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Cette dernière affiche un taux d'application des mesures issues d'une loi d'initiative parlementaire de 82 %, supérieur de 23 points au taux global, toutes lois confondues, de la commission. On peut donc saluer l'effort du ministère de la transition écologique (MTE). Plusieurs facteurs probables peuvent expliquer ce taux :

- le nombre réduit de mesures attendues ;

- la volonté politique d'exemplarité du MTE en particulier sur des textes ne relevant que de sa compétence.

À titre d'illustration, saluons la diligence avec laquelle les mesures d'application ont été prises pour la loi n° 2023-1270 du 27 décembre 2023 relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, d'origine sénatoriale73(*). Celles-ci ont été élaborées en cours de navette parlementaire, afin de préparer au mieux l'échéance du 31 décembre 2024 d'ouverture à la concurrence. Le rapporteur avait reçu le projet des textes règlementaires en préparation et avait été invité à formuler des recommandations. Hormis la mesure différée à prendre avant le 9 décembre 202674(*), la loi est intégralement applicable75(*).

Ce constat de satisfecit doit être cependant nuancé, en fonction des lois. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a ainsi émis de nombreuses réserves sur le bilan qualitatif de la mise en application de la loi « Serm76(*) », en dépit d'un taux de 100 % (Cf. ci-dessous).

La commission s'était attachée à simplifier les procédures administratives et à renforcer la sécurité juridique des projets de Serm, en prévoyant notamment qu'ils soient déclarés d'utilité publique par décret en Conseil d'État. Je regrette que le décret d'application de cette mesure en affaiblisse considérablement la portée en la limitant aux projets d'un coût supérieur à 500 millions d'euros. Ce seuil restrictif exclura malheureusement du bénéfice de la disposition de nombreux projets essentiels pour décarboner les mobilités dans les territoires.

En outre, le Gouvernement a identifié 26 projets de Serm. Cependant, aucun arrêté reconnaissant le statut de Serm n'a été pris près d'un an et demi après la promulgation de cette loi. Il est donc indispensable d'en accélérer la publication afin de respecter l'objectif fixé par cette loi : la mise en place d'au moins dix Serm, dans un délai de dix ans à compter de sa promulgation.

La commission s'était inquiétée du financement des dépenses d'investissement et de fonctionnement relatives aux Serm dont les modalités n'étaient pas établies et avait donc introduit dans le texte le principe d'une conférence de financement des Serm. Celle-ci n'a pas eu lieu dans les délais impartis ; mais, nous pouvons collectivement nous réjouir du lancement le 5 mai dernier par le Gouvernement d'Ambition France Transports, la conférence sur le financement des transports.

Source : Présentation du bilan de l'application des lois devant la commission de l'aménagement du territoire le 14 mai 2025

2. Les mesures issues d'un amendement sénatorial : un effacement de l'amélioration constatée l'an dernier
a) Un taux moyen médiocre

Après une nette amélioration lors de la session précédente, le taux de mise en application des mesures prévues par un amendement sénatorial retrouve, en 2023-2024, son niveau de 2021-2022, en s'établissant à 56 %, soit trois points de moins que le taux global moyen d'application.

Par ailleurs, ce taux de mise en application de 56 % chute à 53 % pour les mesures prévues par un amendement sénatorial d'une loi adoptée après engagement de la procédure accélérée.

Évolution du taux de mise en application des dispositions législatives issues des amendements sénatoriaux

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG

b) La commission des affaires sociales : « la double peine »

Les amendements sénatoriaux sont à l'origine de 16,8 % des mesures totales prévues77(*). Trois commissions contribuent à hauteur des deux tiers de la production des amendements d'origine sénatoriale adoptés, la commission des finances et celle des affaires économiques pour chacune 27 % et la commission des affaires sociales pour 25 %, comme l'indique le graphique ci-dessous.

Répartition des mesures attendues issues d'amendements sénatoriaux par commission pour la session 2023-2024

Source : Cellule d'assistance au contrôle et de soutien au travail législatif
de la direction de la législation et du contrôle, d'après les données de la base APLEG78(*)

Le graphique ci-après révèle que les mesures issues des amendements sénatoriaux relevant de la compétence de la commission des affaires sociales subissent un sort identique aux mesures prévues dans les lois d'initiative parlementaire, avec un faible taux d'application de 35 % sur 2023-2024, bien inférieur au taux moyen de la commission de 48 % et au taux global moyen de 59 %.

Ainsi est toujours attendue la mesure permettant aux sapeurs-pompiers volontaires, justifiant d'une durée minimum d'engagement, de valider des trimestres de retraite pour compléter leur carrière professionnelle. Cette disposition vise à reconnaitre leur engagement au service des populations79(*).

c) Carence d'application fortuite ou intentionnelle ?

La non publication d'une mesure peut relever également d'une volonté politique comme en témoigne la non parution du décret d'application relatif à l'affectation annuelle aux communes et aux départements d'une fraction80(*) du produit de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance. Cette mesure de la loi de finances pour 2024 a été introduite par un amendement du Sénat. Le président de la commission des finances, lors de la présentation du bilan, a par ailleurs rappelé « la tentative du Gouvernement d'annuler rétroactivement cette affectation lors de l'examen de la loi de finances pour 2025 [qui] a été rejetée par le Parlement ».

En revanche, les mesures prévues par les amendements sénatoriaux relevant de la compétence de la commission des lois bénéficient d'un taux d'application de 65 %, supérieur aux taux pour les lois d'initiative parlementaire (30%) mais bien inférieur au taux moyen de la commission.


* 68 Taux comprenant les mesures différées mais excluant les mesures prises non prévues.

* 69 La commission des lois a examiné 12 PPL, la commission de la culture 6, la commission des finances 3, celle du développement durable 4, de même que la commission des affaires sociales. La commission des affaires étrangères en a également examiné la loi d'initiative parlementaire d'application directe n° 2024-309 du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021. 14 de ces 30 lois sont d'application directe et 3 ont été mises en application. 6 lois sont partiellement mises en application et 3 non mises en application. Ces 13 lois prévoient 114 mesures soit un peu plus de 17 % de la totalité des mesures attendues sur la session 2023-2024, au nombre de 658.

* 70 La commission des affaires sociales a suivi 71 mesures attendues sur 114, contre 16 pour la commission des finances, 11 pour celle du développement durable, 10 pour celle des lois, et 6 pour la commission de la culture.

* 71 Loi n° 2024-330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement. Cette loi est issue d'une proposition de loi à l'Assemblée nationale.

* 72 Débat sur le bilan de l'application des lois, 31 mai 2023.

* 73 Texte n° 943 (2022-2023) de M. Vincent CAPO-CANELLAS et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 29 septembre 2023.

* 74 Il s'agit du décret relatif au comité social unique pour l'ensemble du personnel d'Île-de-France Mobilités (IDFM), mesure à entrée en vigueur différée, à l'expiration des mandats des représentants des personnels.

* 75 Les quatre mesures attendues pour sa bonne application ont été publiées. Elles concernent les transferts des contrats et des personnels, la procédure d'arbitrage des différends en cas de litige, les conditions du volontariat, la procédure applicable à la détermination du nombre d'équivalents temps plein à transférer, et les fonctions des entités mutualisées ne faisant pas l'objet d'un transfert aux nouveaux employeurs.

* 76 Loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains.

* 77 Hors mesures attendues par les commissions spéciales.

* 78 Les données dans APLEG de la commission de la culture n'identifient l'origine des amendements. Les amendements sénatoriaux adoptés dans le cadre des commissions spéciales ont été sortis du décompte.

* 79 Cf. Article 24 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Il a introduit un article L. 173-1-5 au code de la sécurité sociale relatif aux conditions et limites selon lesquelles les assurés ayant accompli au moins dix années de service, continues ou non, en qualité de sapeur-pompier volontaire ont droit à des trimestres supplémentaires pris en compte pour la détermination du taux de calcul de la pension et la durée d'assurance dans le régime. Le régime auquel incombe la charge de valider ces trimestres lorsque l'assuré a relevé successivement, alternativement ou simultanément de plusieurs régimes d'assurance vieillesse de base. Cet article est issu d'un amendement déposé au Sénat par Mme Nathalie DELATTRE, dans le texte de la première lecture au Sénat à l'article 11 bis. Il a ensuite été réécrit dans sa version définitive au stade de la CMP.

* 80 Le montant est de 50 millions d'euros.

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