III. AUDITION DE M. DANIEL ZAGURY, PSYCHIATRE ET EXPERT PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour entendre Daniel Zagury, psychiatre des Hôpitaux et expert près la cour d'appel de Paris, sur l'état des lieux de la santé mentale depuis la crise sanitaire.
Cette audition fait l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne.
L'audition de M. Zagury, formellement réalisée par la Mecss, doit en fait - comme celle de M. Gaillard la semaine dernière - être rattachée à la mission d'information en cours de notre commission sur l'état des lieux de la santé mentale en France depuis la crise sanitaire, actuellement menée par Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin.
Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de la Mecss. Je vous invite, dans un premier temps, à tenir un bref propos liminaire, d'environ dix minutes. Les sénateurs présents, à commencer par les rapporteurs de la mission d'information de la commission, pourront ensuite vous interroger. Vous avez la parole.
M. Daniel Zagury, psychiatre des Hôpitaux et expert près la cour d'appel de Paris. - J'ai apporté deux exemplaires du livre que j'ai consacré à la crise de la psychiatrie publique. Ce livre m'a valu beaucoup moins de sollicitations que celui que j'ai consacré à Xavier Dupont de Ligonès. En effet, la psychiatrie est un sujet lourd et grave.
Le terme de santé mentale mérite une explication. Apparu au Congrès de Londres en 1948, il a remplacé celui d'hygiène mentale. Il avait émergé dans les années 1920-1930 pour désigner un vaste programme de santé publique appliqué à l'ensemble de la population, en matière de dépistage, d'orientation scolaire, etc. Dans les années 1970, la notion de santé mentale positive a été introduite au Québec. Conjointement, le terme de psychiatrie a été remplacé par celui de santé mentale.
Le bien-être de tous a ainsi remplacé la maladie de quelques-uns. Si la santé mentale s'étend bien au-delà de la psychiatrie, un continuum apparaît cependant entre les deux notions. À mon sens, les « troubles sévères de la santé mentale » que l'on retrouve parfois mentionnés sont tout simplement des troubles psychiatriques. À cet égard, le livre de Nicolas Demorand qui ose dire « je suis un malade mental » m'apparaît tout à fait salvateur. Il importe d'appeler les choses par leur nom. Il me semble qu'un continuum existe également en matière d'organisation des soins et de prévention.
Lorsque j'ai écrit ce livre, au moment où je prenais ma retraite, j'ai cherché à réfléchir aux raisons pour lesquelles nous avions glissé progressivement vers la situation catastrophique que tous reconnaissent aujourd'hui. À cet égard, il convient de remercier Agnès Buzyn d'avoir sorti l'État du déni. Les rapports ont pourtant été nombreux. Ainsi, je trouve remarquable le rapport du Sénat sur l'expertise psychiatrique, mais je m'interroge sur son impact.
La pandémie du covid-19 a révélé plusieurs phénomènes : le fiasco de la bureaucratie, la force du terrain, sa mobilisation face à l'urgence et le retour de la référence au secteur, comme les possibilités de conjonctions d'énergie entre les administrations et les équipes. Les échanges avec les administrations, voire leur soutien, tels que je les ai connus au début de ma carrière, ont aujourd'hui totalement disparu.
Le rassemblement des courants de la psychiatrie me semble la seule issue. J'espère que Raphaël Gaillard, que vous avez auditionné, pourra l'incarner.
Sous couvert de déstigmatisation et en réaction à des excès antérieurs, un modèle hégémonique s'est instauré. Il considère que la psychiatrie est une spécialité médicale comme les autres et fait passer au second plan le modèle de psychiatrie biopsychosociale, entraînant une régression de l'attractivité de la discipline auprès des étudiants. De même, les infirmiers se trouvent déplacés de service en service. Or la psychiatrie est à la fois une vocation et une pratique très particulière par rapport aux autres spécialités médicales. Ainsi, cette volonté de déstigmatisation se révèle contreproductive et conduit paradoxalement à une surstigmatisation.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, a transféré tout le pouvoir aux managers hospitaliers. Avec mon confrère Vincent Mahé, nous avions donné un nom de maladie à cette évolution : la « bureaucratose ». La situation est insupportable pour les confrères de ma génération qui voient leurs idéaux attaqués. Elle provoque de nombreux départs, même chez de jeunes talents, car les médecins ont perdu leur pouvoir fonctionnel sur leur propre service. Sans restaurer le mandarinat, il serait nécessaire de donner un peu de pouvoir aux médecins qui organisent des équipes. Progressivement, la hiérarchie infirmière a basculé du côté de l'administration. J'ai vu surgir un monde de protocoles, de procédures, de programmes et de réunions qualité, tandis que la qualité des soins s'effondrait.
Le recours exagéré à la contention et à l'isolement constitue un autre symptôme de la catastrophe. Des équipes solidement pourvues, structurées et soudées, peuvent permettre d'éviter la contention, mais des services exsangues y ont plus souvent recours.
Je consacre aussi quelques pages de mon livre aux gardes. Les médecins de garde sont transformés en bed managers, faute de lits disponibles. Les psychiatres des urgences veulent hospitaliser, tandis qu'en aval les services freinent le plus possible. Les conséquences en sont épouvantables, avec par exemple des patients chargés dans des ambulances sans accord médical.
Se pose aussi la question des médecins à diplôme étranger. La psychiatrie implique de maîtriser la langue pour échanger avec les patients en souffrance. Or, j'ai vu des médecins recrutés alors qu'ils ne parlaient presque pas français.
La première des solutions ne concerne peut-être pas directement votre instance. La psychiatrie est une discipline hétérogène, constituée de multiples courants et pratiques, dont l'unité requiert un dialogue avec les pouvoirs publics. Le morcellement syndical et des écoles constitue à cet égard une catastrophe.
Dans les années 1980, nous avons assisté à une prise de pouvoir par les universitaires, qui n'ont pas la même culture que les psychiatres hospitaliers. Une bipartition de la psychiatrie s'est opérée. À titre d'exemple, la psychiatrie de secteur n'est presque pas enseignée, conduisant à une séparation entre « laboureurs du secteur » et « savants hospitaliers ». J'émets dans mon livre plusieurs propositions pour y remédier.
Une loi-cadre définissant le rapport entre le pays et sa psychiatrie me semble nécessaire. Il conviendrait qu'elle précise si le secteur reste un modèle, qui n'a pas vocation à être exclusif. En effet, certains soins (alcoolisme, toxicomanie...) requièrent des équipes plus spécialisées. Il faut donc un quadrillage sectoriel, mais aussi une ouverture.
Il convient aussi de restaurer le pouvoir fonctionnel des médecins. Avec la loi de 2011, la maladie mentale a été stigmatisée au plus haut niveau de l'État. L'instrumentalisation des faits divers sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été désastreuse pour l'image de la psychiatrie. Cette loi a été imposée sans discussion avec les psychiatres, contrairement à celle de 1838 qui avait fait l'objet de 18 mois d'échanges entre aliénistes et parlementaires. Il y a tout de même des leçons à retenir de ceux qui nous ont précédés.
Je crois qu'il est fondamental d'encourager toutes les énergies, les expériences, les intelligences collectives et les créativités pour contrebalancer le poids de la « bureaucratose ». À mon sens, il n'existe aucune contradiction entre le renforcement d'un dispositif de base, le secteur, et des lieux de soins spécifiés pour l'alcoolisme, la toxicomanie, la dépression, le burn-out, les équipes mobiles et précarité...
Concernant le quadrillage géographique, les administrations supportent mal l'inégalité des choix de soin entre les secteurs. Cependant, les expériences de terrain et l'originalité des cultures d'équipe sont facteurs de progrès.
Il m'apparaît fondamental que les psychiatres et les infirmiers disposent d'une formation spécifique, mais ouverte à toutes les dimensions de la psychiatrie. À mon sens, il faut encourager toutes les initiatives qui font converger les courants, comme la présence des services universitaires dans les établissements publics de santé.
Pour conclure, les témoignages sur la honte d'être malade, comme celui de Nicolas Demorand, peuvent être propices à un réenchantement. Il faut faire confiance au terrain, lui permettre d'exprimer sa créativité et ses intelligences collectives, pour réenchanter la psychiatrie sans se cacher derrière la santé mentale. À défaut, la psychiatrie lourde risque de devenir une sorte de défectologie dans la cité.
M. Alain Milon, président. - Je laisse la parole à Jean Sol.
M. Jean Sol. - Mes questions seront peut-être redondantes, car beaucoup a déjà été dit. La première portera sur la démographie des psychiatres en France. Il nous a souvent été dit que, malgré certaines avancées, la psychiatrie souffrait toujours de quelques préjugés au regard d'autres spécialités médicales et que cette image la handicapait pour susciter les vocations. Pensez-vous que les choses changent vraiment ? Et comment aider la psychiatrie à se débarrasser de toutes ces mauvaises représentations ?
Deuxièmement, nous aimerions avoir votre point de vue d'expert sur ce qu'on pourrait appeler une « psychiatrisation de la radicalité », c'est-à-dire la tendance à expliquer les attentats et autres actes d'une violence insoutenable, commis cette dernière décennie, par l'existence d'un trouble psychiatrique chez les auteurs des faits. Certains psychiatres nous ont d'ailleurs dit que cette association souvent médiatique entre problème psychiatrique et violence radicale contribuait à façonner une mauvaise image de la psychiatrie. Qu'en pensez-vous ?
M. Daniel Zagury. - Le lien entre psychiatrie et radicalité est mon sujet de prédilection. J'ai cherché à expliquer cette question difficile dans un article publié dans Marianne. J'y indiquais que la haine de la France n'était pas une maladie mentale.
Avec la fin de Daesh, de plus en plus de sujets mêlés à des actes terroristes présentent soit des troubles sévères de la personnalité, soit des maladies mentales. J'ai ainsi été consulté sur des affaires complexes qui donnaient lieu à des querelles d'experts.
Pour aller à l'essentiel, il peut arriver qu'un sujet schizophrène décompense et s'identifie de façon héroïque à un terroriste. En effet, les malades mentaux délirants, les psychotiques, puisent dans l'air du temps des modèles d'action. Dans mon expérience, je n'en ai pas vu plus de trois ou quatre.
Si la psychose se traduit par le passage à l'acte, il faut conclure à l'irresponsabilité pénale, mais le cas est rare. En revanche, quand la psychose se mêle à d'autres éléments (radicalisation, revendication sur les réseaux sociaux, islamisation progressive, comportements ciblés visant les non-musulmans...), il ne s'agit plus exclusivement de maladie mentale. Il faut alors laisser le tribunal décider.
Certains psychiatres sont choqués quand un sujet halluciné, avec une authentique affection psychiatrique, est jugé responsable. Cependant, une revendication du geste sur internet, une radicalisation et l'expression d'une haine de la France ne relèvent pas de la maladie mentale.
Cette intrication de facteurs est de plus en plus fréquente et la situation évolue très rapidement. De fait, le profil psychologique des terroristes a évolué depuis 2001. Après les personnalités structurées des débuts, sont apparus progressivement des petits délinquants instables, toxicomanes, etc., qui se rachetaient une deuxième vie dans la probité islamiste. Aujourd'hui, nous observons de plus en plus de sujets très déstructurés qui passent à l'acte.
Le public est choqué, à juste titre, par cette psychiatrisation excessive. La réaction médiatique se limite à une alternative simpliste entre maladie mentale et terrorisme, alors qu'en réalité, les deux phénomènes sont intriqués. À mon sens, il nous faut réfléchir à des modèles un peu plus complexes qui intègrent cette intrication. En effet, de plus en plus de sujets en errance, malades ou troublés se saisissent de la revendication islamiste. Il est très difficile pour les responsables politiques d'analyser ce qui relève de l'équation individuelle et ce qui relève d'autres facteurs.
M. Jean Sol. - Vous aviez apporté des éléments de réponse à ma première question lors de votre propos liminaire. Je relaierai donc celles de Céline Brulin, qui ne peut malheureusement être présente.
Il nous a été rapporté que certains centres hospitaliers psychiatriques assurent un nombre croissant de prises en charge de personnes ayant commis des actes criminels. Or, ces établissements n'ont pas toujours la capacité d'assurer leur prise en charge dans de bonnes conditions, tant pour les patients que pour le personnel médical. Quelles seraient vos recommandations sur ce sujet ?
Plus largement, et comme souvent dans le champ de la santé, nos travaux ont mis en lumière des difficultés de coordination des différents acteurs qui concourent à la prise en charge des patients : établissements psychiatriques, santé scolaire, établissements médico-sociaux, préfecture pour les soins sans consentement, élus locaux... Pensez-vous que les outils de concertation mis en avant (projets territoriaux de santé mentale, conseils locaux de santé mentale) sont la solution ?
M. Daniel Zagury. - Concernant cette deuxième question, la logique même du secteur reposait sur une coordination avec les autres acteurs. Cette coordination fonctionne bien quand le secteur est performant et bien inscrit dans la vie sociale des communes. Or certains secteurs sont désertés ou insuffisamment dotés de psychiatres. Dans ces conditions, nous sommes à la croisée des chemins. Le secteur demeure-t-il un modèle ? Si oui, il doit être complété, comme je l'indiquais précédemment.
Sur le sujet des criminels, je connais des situations individuelles extrêmement préoccupantes. Certains sujets peuvent être maintenus dans les unités psychiatriques alors que les psychiatres les estiment guéris, parfois depuis longtemps, voire très longtemps. Ces situations sont totalement inacceptables.
De fait, plus une équipe est démunie en personnel qualifié, moins elle pourra affronter des patients particulièrement difficiles. Les services cherchent à orienter ces patients vers les unités pour malades difficiles, mais celles-ci sont saturées. J'ai récemment discuté avec un chef de service qui m'a signalé une augmentation de 20 % des demandes cette année.
La fluidité de l'ensemble du système est ainsi rompue : les unités pour malades difficiles étant saturées, les unités de secteur hospitalières sont contraintes de garder des patients au-delà de leurs capacités de contention et de soins.
M. Daniel Chasseing. - Ma première question concerne le suivi des patients. Pensez-vous que le manque de suivi ait une incidence sur la survenance de phases de décompensation et d'actes violents ? Nos travaux mettent en avant la nécessité de développer les équipes mobiles permettant d'éviter les ruptures de suivi. Partagez-vous ce constat ?
En second lieu, il semble que les centres médico-psychologiques (CMP) et la sectorisation soient aujourd'hui à bout de souffle. Pensez-vous qu'une des mesures prioritaires pour la psychiatrie publique soit de renforcer ces CMP notamment dans leurs moyens humains, en y adjoignant notamment des infirmières de pratique avancée (IPA) en psychiatrie et santé mentale ? Avec la coordination du médecin psychiatre, ces infirmières peuvent prescrire des médicaments à des malades stables, sachant qu'elles peuvent appeler le psychiatre en cas d'épisode aigu.
M. Daniel Zagury. - Les visites à domicile, évidemment fondamentales, s'organisent à partir du CMP, non des équipes mobiles. Celles-ci peuvent s'occuper de la précarité ou des urgences. Toutes les expériences sont à respecter, à partir du moment où elles trouvent à agir là où elles sont situées.
Les études sont très claires : plus la présence et l'encadrement sont développés après l'hospitalisation, moins les actes de violence sont nombreux. Ainsi, une étude montre qu'un patient vu toutes les semaines commet quatre fois moins d'actes de violence qu'un patient vu tous les mois.
L'essentiel est de redonner à la psychiatrie son prestige et de réduire la bureaucratisation. L'administration devrait aider les équipes, non leur imposer des principes rigides.
Par exemple, un même service peut recevoir des injonctions contradictoires, comme l'interdiction de laisser fumer les patients en chambre d'isolement au nom de l'hygiène et la critique de cette même interdiction comme une atteinte aux droits des patients. La réalité du soin consiste à adapter les pratiques à l'évolution de l'état du patient, non à appliquer des principes. Un autre exemple concerne les relations sexuelles où la protection des patientes vulnérables se voit opposer un principe de liberté.
De même, la circulation des patients en pyjama porterait atteinte à leur dignité. Il est paradoxal qu'un administratif vienne parler de dignité du patient à des professionnels dont toute la vocation est justement de restaurer celle-ci. La parole du praticien n'est plus écoutée ni respectée. Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner de la diminution des vocations et des départs.
Il est nécessaire de rééquilibrer les pouvoirs fonctionnels entre l'administration et les médecins en restaurant leur capacité d'agir sur leur propre équipe.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - En vous écoutant, nous comprenons que les vocations soient de moins en moins nombreuses, compte tenu des difficultés auxquelles vous faites face.
Mon inquiétude porte également sur la pédopsychiatrie. Dans mon département, un hôpital ne dispose plus de pédopsychiatres, laissant 2 500 familles sans aucun suivi. Je pense également aux enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) placés en famille d'accueil, dont un pourcentage significatif est en situation de handicap ou en difficulté psychologique, du fait de la maltraitance, de l'instabilité des placements, etc.
À mon sens, c'est un cercle vicieux, car nous sommes passés d'environ 1 200 pédopsychiatres en 2009 à environ 700 aujourd'hui. C'est une catastrophe. Je pense qu'il faut former beaucoup plus, redonner de la noblesse à ce métier et desserrer certains étaux, comme les principes dans lesquels vous avez indiqué être enfermés.
Je souhaiterais vous demander votre opinion sur les IPA, dont beaucoup se forment, notamment en psychiatrie. Pensez-vous qu'ils pourront apporter une aide efficace au regard du manque de moyens que nous rencontrons tous et toutes ?
M. Alain Milon, président. - Compte tenu du temps qui nous reste, je vous propose d'écouter d'autres questions et de répondre globalement.
Mme Annie Le Houérou. - Je poursuivrai d'abord sur les études de santé. À quel moment voyez-vous la spécialisation en psychiatrie ? Faut-il revenir aux infirmiers en psychiatrie tels qu'ils existaient précédemment ou opter pour une spécialisation après des études de santé, comme pour les infirmiers anesthésistes (IADE) et les infirmiers de bloc opératoire (Ibode), indépendamment des formations complémentaires pour exercer en pratique avancée ?
Mon autre question concerne la sectorisation, sur l'organisation de laquelle j'ai cru entendre que vous aviez quelques interrogations. Quelle serait donc pour vous l'organisation idéale ? Faut-il rattacher des services psychiatriques à des hôpitaux généraux ? En effet, la sectorisation permet quand même d'assurer sur un territoire donné un maillage fort avec des établissements bien identifiés et de nombreuses interventions hors les murs.
M. Daniel Zagury. - Je me suis mal fait comprendre. Après l'avoir pratiquée pendant trente ans, je suis partisan de la sectorisation comme maillage de base, mais je reconnais ses limites. Par exemple, elle ne répond pas aux problématiques de délinquance sexuelle. Des activités transsectorielles, intersectorielles et spécifiques, des articulations avec les services universitaires sont donc également nécessaires. Cependant, cette organisation complexe ne doit pas s'élaborer dans les administrations, mais sur le terrain.
À propos des infirmiers, je précise que la psychiatrie publique est un travail de co-élaboration. À cet égard, les temps de réunion, que les administrations jugeaient coûteux, étaient essentiels. Ils permettaient à tous (assistantes sociales, infirmiers, psychologues, éducateurs, art-thérapeutes, psychiatres, internes...) de donner leur avis.
Pour ma part, j'ai été enchanté de travailler avec des infirmiers psychiatriques, compte tenu de leur culture dans ce domaine. Pour le reste, j'estime que plus les équipes comporteront de soignants motivés, moins elles seront démunies quantitativement et qualitativement, et mieux elles travailleront. J'appartiens à une génération de militants du service public, mais je constate la disparition de cet état d'esprit.
Mme Corinne Imbert. - Je rebondis sur les limites de la sectorisation. Ne sont-elles pas atteintes pour les conseils départementaux au titre de l'aide sociale à l'enfance ? Cela rejoint le problème de la pédopsychiatrie. En effet, les services de l'ASE accompagnent parfois des jeunes en grande difficulté, qui peuvent présenter des troubles psychiatriques conséquents pour lesquels ils ont peu de réponses. La sectorisation ne pourrait-elle pas être amendée, au moins pour ce type de situations ?
Ma seconde question n'a rien à voir. Que pensez-vous de la facilité de prescription des antidépresseurs ? Doit-elle être réservée aux médecins spécialistes, même si leur nombre se réduit de plus en plus ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je constate également le manque de pédopsychiatres.
À Arras, le service psychiatrique fonctionne bien aujourd'hui et a retrouvé une attractivité, alors qu'il n'y avait plus de psychiatres il y a vingt ans. Dans le service public, l'accueil est bien fait pour les situations de crise, mais le suivi n'est pas vraiment de qualité. Les patients sont renvoyés vers des cliniques spécialisées où le service laisse à désirer. Or les patients hospitalisés temporairement pour dépression représentent la grande majorité.
Quant aux cas difficiles de schizophrénie, ils se retrouvent en ville, car les contrôles périodiques ne sont pas bien effectués. Face au danger, j'ai dû organiser plusieurs fois des réunions avec procureur, juge et commissaire de police pour mettre les psychiatres devant leurs responsabilités.
M. Daniel Zagury. - Vous avez dit que dans les situations de crise, le service se montre fonctionnel et réactif, ce qui est déjà beaucoup. Cela étant, une équipe bien constituée, bien étoffée et bien coordonnée doit normalement assurer la continuité des soins. Telle est l'essence même de la philosophie du secteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - N'étant pas médecin, je parle de l'extérieur, mais j'ai eu l'impression que les principes de liberté l'emportaient sur l'accompagnement et le soin. J'ai alors eu le sentiment qu'il fallait forcer la décision d'un responsable pour pouvoir modifier un comportement à mon sens inapproprié, compte tenu des difficultés engendrées dans la ville.
M. Daniel Zagury. - Sans être un grand spécialiste concernant la prescription des antidépresseurs, je peux dire que, dans ma carrière d'expert judiciaire, j'ai pu observer que beaucoup de victimes se voient prescrire un antidépresseur très précocement et pas toujours de façon adaptée. Pire encore, la prescription peut être maintenue pendant plus de cinq ans.
Feu Jean-Pierre Olié disait que les antidépresseurs étaient mal prescrits, plutôt que trop prescrits. En tout état de cause, il apparaît que les médecins généralistes les prescrivent facilement pour des accidents de vie qui relèveraient peut-être d'autres approches.
M. Alain Milon, président. - Vous avez insisté sur la coordination et le travail en commun des différentes équipes. Pour autant, beaucoup de personnes atteintes de maladies psychiatriques sont affectées de comorbidités mal suivies.
M. Daniel Zagury. - En effet, la question des comorbidités est fondamentale. L'espérance de vie des malades mentaux est amputée de dix ans. Les soins somatiques aux malades mentaux sont essentiels, dans les hôpitaux comme dans les services extrahospitaliers. Personnellement, j'ai eu la chance de travailler avec un pionnier dans ce domaine.
M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup, Monsieur le professeur, pour vos éclairages.