II. LA SORTIE DU SYSTÈME PROSTITUTIONNEL : UN VÉRITABLE PARCOURS DU COMBATTANT
A. LES PARCOURS DE SORTIE DE PROSTITUTION (PSP) : UNE MONTÉE EN CHARGE DIFFICILE
1. Une mise en place lente et contrariée des PSP
Instauré par la loi du 13 avril 201691(*), le parcours de sortie de la prostitution (PSP), lorsqu'il est validé par le préfet de département, permet en principe aux victimes de prostitution de bénéficier de l'accès à une solution d'hébergement, d'une autorisation provisoire de séjour (APS), de l'aide financière à l'insertion sociale (AFIS) et d'un accompagnement individualisé à l'insertion professionnelle, et ce pour une durée 6 mois renouvelable dans la limite de 24 mois.
Le PSP s'organise par une collaboration entre la personne bénéficiaire et l'association départementale agréée qui l'accompagne.
Au 31 décembre 2024, 903 personnes étaient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution (PSP), réparties sur 67 départements. Outre le tiers des départements dans lesquels aucun PSP n'est engagé, 26 départements comptaient entre 1 et 5 PSP, 16 départements entre 6 et 10 PSP, 9 départements entre 11 et 20 PSP, et 12 départements au-delà de 20.
Répartition des bénéficiaires des PSP et de l'AFIS en 2024
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le SDFE
Les PSP ont tendance à se concentrer dans les départements urbains : les cinq départements les plus concernés par les parcours de sortie de la prostitution en 2024 sont en effet Paris (148 PSP), le Rhône (89 PSP), les Bouches-du-Rhône (49 PSP), l'Isère (39 PSP) et la Haute-Garonne (39 PSP). Ces départements représentent 40 % de l'ensemble des PSP.
Toutefois, la mise en oeuvre complète de la loi de 2016 a été lente et contrariée s'agissant des PSP, principalement en raison des retards dans l'installation des commissions départementales chargées d'émettre un avis consultatif sur les demandes de parcours de sorties de prostitution. Le tableau ci-dessous souligne qu'en 2020, soit déjà quatre ans après l'adoption de la loi, 20 commissions n'étaient pas encore installées, et que la couverture complète du territoire n'a eu lieu qu'en 2023.
La lente installation des commission départementales
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
|
Commissions départementales installées |
80 |
87 |
90 |
100 |
100 |
Nombre de personnes en PSP |
403 |
446 |
643 |
845 |
903 |
Note : Les PSP en cours sont comptabilisés au 31 décembre de l'année révolue.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les crédits consacrés à la lutte contre la prostitution et à l'accompagnement des PSP permettent de soutenir les associations nationales têtes de réseau, les associations locales qui accompagnent les personnes dans leurs parcours de sortie de la prostitution, et également de financer l'aide financière à l'insertion sociale (AFIS), entrée en vigueur en décembre 2017.
Budgétés sur le programme 137, ils ont connu une progression significative depuis 2020 : ainsi, en LFI 2024, l'enveloppe consacrée à la lutte contre la prostitution s'est élevée à 3,3 millions d'euros.
En outre, ces crédits sont annuellement abondés en gestion par les fonds issus de l'Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (Agrasc), qui permettent de lancer des appels à projets régionaux renforçant les capacités de réponse et d'accompagnement des associations pour les personnes en situation de prostitution, ainsi que de former les professionnels au repérage et à la prise en charge des victimes.
Ces crédits ont représenté un peu moins de 2 millions d'euros en 2024, après un niveau record de 3,8 millions d'euros en 2023 : ils ont permis le lancement d'un appel à projets régional, dont 1,8 million ont été fléchés vers 33 projets locaux, et 200 000 euros vers le soutien des projets des associations nationales têtes de réseau.
Évolution des crédits du programme
137 et du fonds Agrasc
alloués à la lutte contre la
prostitution
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
2. L'application de la loi se heurte aujourd'hui encore à des obstacles locaux inacceptables
a) Certaines commissions départementales ne se réunissent pas malgré les instructions
Depuis décembre 2023, tous les préfets de département ont installé une commission départementale, chargée de mettre en oeuvre la politique départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, et d'examiner les demandes d'entrée en PSP qui lui sont soumises.
En 2024, 23 commissions départementales n'ont pas été réunies cette même année (elles étaient 14 en 2023) et 15 ne l'ont été qu'une seule fois. Il s'agit d'une méconnaissance de l'instruction ministérielle du 13 avril 2022, qui rappelle les obligations prévues par la loi de 2016 quant au rôle et au fonctionnement de ces commissions. La stratégie nationale de lutte contre la prostitution du 2 mai 2024 renforce cette exigence en prévoyant au moins deux réunions par an, contre une seule auparavant.
Ces dysfonctionnements, là où ils sont observés, trouvent leurs origines dans des décisions préfectorales : c'est en effet le préfet, et lui seul, qui convoque les commissions. Lorsqu'elles ne sont pas réunies, les raisons invoquées sont généralement l'absence de prostitution repérée sur le territoire, l'absence de demande de parcours de sortie de la prostitution (PSP) ou encore un agenda préfectoral contraint - raisons qui ne sauraient justifier, aux yeux des rapporteurs spéciaux, que soient méconnues les instructions émanant des ministres de l'égalité entre les femmes et les hommes.
b) Les personnes en sortie de prostitution confrontées aux dysfonctionnements des commissions et aux pratiques restrictives de certaines préfectures
S'agissant de l'instruction des demandes de PSP, l'association agréée transmet à la préfecture le dossier de la personne accompagnée. Ce dossier est présenté à la commission, qui émet un avis consultatif. La décision finale d'acceptation ou de refus revient au préfet.
En principe, toute personne majeure, qu'elle soit en situation administrative régulière ou non, peut bénéficier d'un parcours de sortie de la prostitution si elle manifeste clairement sa volonté de sortir de la prostitution. La personne doit avoir cessé ou, a minima, être en train de cesser cette activité, qu'elle soit ou non sous l'emprise d'un réseau. L'engagement à s'inscrire dans un parcours de sortie est formalisé par une déclaration sur l'honneur, exigée à l'entrée du dispositif. Ces principes, clairement établis par la loi, s'imposent à tous les départements.
Pourtant, la progression du nombre de parcours de sortie de la prostitution connaît depuis 2023 une nette décélération.
Évolution du nombre de PSP en cours depuis 2017
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
En effet, si 903 personnes étaient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution en décembre 2024, la progression du nombre de personnes en PSP ralentit nettement : elle n'est plus que de + 6,3 % entre 2023 et 2024, alors qu'elle avait atteint les chiffres de + 31 % entre 2022 et 2023, et de + 44 % entre 2021 et 2022.
Selon l'administration, cette tendance serait due, outre à une plus grande prudence des associations agréées (qui ne transmettraient que les dossiers estimés avoir une forte chance d'aboutir) et à une saturation croissante des capacités d'accompagnement, à l'absence de réunion des commissions départementales déjà citée et à un phénomène sur lequel les associations spécialisées ont alerté les rapporteurs spéciaux : les pratiques très restrictives de certaines préfectures.
En effet, le dernier rapport de l'Observatoire national des violences faites aux femmes portant sur le système prostitutionnel et publié en avril 202592(*) a relevé une augmentation de 8 points de la part des refus de PSP entre 2023 et 2024, passant de 10 % à 18 % en un an. Au total, ce sont 84 demandes de PSP qui ont été refusé par les préfectures.
Or, pour la MIPROF, plusieurs motifs avancés au soutien des refus opposé par les préfets « ne relèvent pas des conditions réglementaires actuellement prévues pour l'entrée en PSP » : c'est notamment le cas des refus fondés sur les motifs suivants :
- la circonstance que la demandeuse ait été déboutée de sa demande d'asile ou que son conjoint était en situation irrégulière ;
- le fait sa prostitution n'avait pas eu lieu dans le département où elle avait fait sa demande ;
- le fait qu'elle était toujours en situation de prostitution.
Les associations spécialisées ont en particulier attiré l'attention des rapporteurs spéciaux sur le fait que certains refus ont pu être motivés par la volonté de ne pas créer, en accordant un parcours de sortie de prostitution, une voie vers la régularisation du séjour sur le territoire français de personnes prostituées qui y résident irrégulièrement. En d'autres termes, la politique de lutte contre la prostitution se heurterait à la priorité donnée à la politique migratoire.
Les rapporteurs spéciaux considèrent qu'au vu des faibles effectifs de personnes engagées dans des PSP, il convient de réévaluer le risque « d'appel d'air ». Au vrai, qui peut décemment soutenir que des étrangers iraient jusqu'à entrer dans la prostitution - a fortiori dans le cadre d'une exploitation par un réseau de traite, comme c'est parfois le cas - dans le seul but d'obtenir le droit au séjour ?
Il est nécessaire, aux yeux des rapporteurs spéciaux - qui rappellent que c'est là la volonté du législateur de 2016, de ne pas opposer aux parcours de sortie de la prostitution des considérations de politique migratoire.
Outre la stabilisation du financement des associations agréées grâce à la signature de conventions pluriannuelles (cf. recommandation supra), les rapporteurs spéciaux proposent de revoir les instructions ministérielles afin de préciser les motifs qui peuvent à bon droit être opposés aux demandes de PSP, de préciser par décret que chaque commission départementale doit se réunir au moins deux fois par an.
Ils recommandent également d'allonger la durée entre chaque « renouvellement » des PSP. Actuellement, ceux-ci sont en effet accordés pour six mois, renouvelables trois fois dans la limite de 24 mois. L'allongement de la durée entre chaque renouvellement, en les portant à 12 mois renouvelable une fois - toujours dans la limite de 24 mois - permettrait aux yeux des rapporteurs spéciaux de sécuriser les parcours des personnes engagées dans des sorties de prostitution.
Recommandation : Favoriser les entrées et sécuriser la prise en charge en parcours de sortie de prostitution (PSP) en précisant les motifs qui peuvent à bon droit leur être opposés ainsi que le nombre minimal de réunions annuelles de la commission départementale, et porter la durée entre chaque renouvellement de 6 à 12 mois dans la limite de 24 mois
* 91 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
* 92 « Le système prostitutionnel », Observatoire national des violences faites aux femmes, MIPROF, n° 24, avril 2025.